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Shoah

La Shoah (hĂ©breu : Ś©Ś•ŚŚ”, « catastrophe, anĂ©antissement ») ou Holocauste est l'entreprise d'extermination systĂ©matique, menĂ©e par l'Allemagne nazie contre le peuple juif pendant la Seconde Guerre mondiale, qui conduit Ă  la disparition d'entre cinq et six millions de Juifs, soit les deux tiers[1] - [alpha 1] des Juifs d'Europe[alpha 2] et environ 40 % des Juifs du monde[3] - [alpha 3] - [alpha 4]. On utilise aussi les termes de « gĂ©nocide juif », de « judĂ©ocide » ou encore de « destruction des Juifs d'Europe » (Raul Hilberg) et de « hourban » (yiddish : Ś—Ś•ŚšŚ‘ŚŸ , « destruction »). Des dĂ©bats continuent de diviser historiens et linguistes sur le terme adĂ©quat.

Shoah
Image illustrative de l’article Shoah
SĂ©lection Ă  Auschwitz-Birkenau en mai ou .

Date 1941-1945
Lieu Allemagne nazie et Europe sous domination nazie
Victimes Juifs européens
Type Shoah par balles, chambre à gaz, travaux forcés, malnutrition
Morts Environ 6 millions
Auteurs Drapeau de l'Allemagne nazie TroisiÚme Reich et régimes satellites ou collaborationnistes
Ordonné par Adolf Hitler
Motif Antisémitisme
Participants Wehrmacht
Schutzstaffel
Guerre Seconde Guerre mondiale

Les Juifs, dĂ©signĂ©s par les nazis comme leurs « ennemis irrĂ©ductibles » et assimilĂ©s par leur idĂ©ologie Ă  une race infĂ©rieure, sont affamĂ©s jusqu'Ă  la mort dans les ghettos de Pologne et d'Union soviĂ©tique occupĂ©e, ou assassinĂ©s par l'emploi des mĂ©thodes suivantes : fusillades massives des Einsatzgruppen sur le front de l'Est — connues sous l'appellation « Shoah par balles » — ; travail forcĂ© et sous-alimentation dans les camps de concentration ; gazage dans les « camions Ă  gaz » ou dans les chambres Ă  gaz des centres d'extermination. Dans ce dernier cas, les corps, privĂ©s de sĂ©pulture, sont Ă©liminĂ©s par l'usage intensif des fours crĂ©matoires et la dispersion des cendres. Cet aspect de la Shoah en fait le seul gĂ©nocide industrialisĂ© de l'Histoire. L'horreur de ce « crime de masse »[alpha 5] conduit, aprĂšs-guerre, Ă  l'Ă©laboration des notions juridiques de « crime contre l'humanitĂ© » et de « gĂ©nocide »[alpha 6]. Ces crimes sont jugĂ©s imprescriptibles par la Convention sur l'imprescriptibilitĂ© des crimes de guerre et des crimes contre l'humanitĂ©[alpha 7], adoptĂ©e par les Nations unies en 1968. Ces notions sont utilisĂ©es postĂ©rieurement dans de multiples contextes, notamment le gĂ©nocide armĂ©nien, celui des Tutsi ou le massacre de Srebrenica. Le droit international humanitaire est Ă©galement enrichi avec l'adoption des conventions de GenĂšve de 1949, qui protĂšgent la population civile en temps de guerre. Les prĂ©cĂ©dentes conventions de GenĂšve (1929), en vigueur durant la Seconde Guerre mondiale, concernent uniquement les combattants blessĂ©s, malades ou faits prisonniers.

L'extermination des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale se distingue par son caractĂšre industriel, bureaucratique et systĂ©matique qui rend l'action gĂ©nocidaire nazie unique dans l'histoire de l'humanitĂ©[alpha 8]. Paroxysme d'antisĂ©mitisme, ce gĂ©nocide veut Ă©liminer une population qui ne reprĂ©sente aucune menace militaire ou politique, sinon dans l'imagination des bourreaux[7]. Les femmes, les enfants (y compris les nouveau-nĂ©s) et les vieillards sont tout aussi systĂ©matiquement traquĂ©s et vouĂ©s Ă  la mort de masse que les hommes adultes. En particulier, 1 500 000 enfants sont victimes de l'anĂ©antissement[8]. L'extermination physique des Juifs est aussi prĂ©cĂ©dĂ©e ou accompagnĂ©e de leur spoliation systĂ©matique (aryanisation) et de la destruction d'une part considĂ©rable de leur patrimoine culturel et religieux. PerpĂ©trĂ© sur l'ordre d'Adolf Hitler, le crime est principalement mis en Ɠuvre par la Schutzstaffel (SS) et le Reichssicherheitshauptamt (RSHA) dirigĂ©s par Heinrich Himmler, ainsi que par une partie de la Wehrmacht et par de nombreux experts et bureaucrates du TroisiĂšme Reich[9]. Il bĂ©nĂ©ficie de complicitĂ©s individuelles et collectives dans toute l'Europe, notamment au sein des mouvements collaborationnistes d'inspiration fasciste ou nazie et de la part de gouvernements ou d'administrations ayant fait le choix de la collaboration d'État. L'ignorance du dĂ©but puis les passivitĂ©s indiffĂ©rentes ou lĂąches de beaucoup permettent aussi son accomplissement. Au contraire, de nombreux anonymes, souvent au pĂ©ril de leur vie, se dĂ©vouent pour sauver des persĂ©cutĂ©s. Certains d'entre eux reçoivent aprĂšs-guerre le titre honorifique de « Juste parmi les nations », tandis que des mouvements de masse sont rares, Ă  l'exception de la grĂšve gĂ©nĂ©rale de 1941 Ă  Amsterdam pour protester contre les rafles.

Le TroisiĂšme Reich extermine aussi en masse les handicapĂ©s mentaux : leur gazage massif lors de l'Aktion T4 prĂ©cĂšde et prĂ©figure celui des Juifs d'Europe. Les Roms sont eux aussi victimes d'un gĂ©nocide connu sous le nom de Porajmos. Les populations civiles slaves notamment polonaise et soviĂ©tique connaissent des pertes importantes causĂ©es par des crimes de guerre et des massacres. Seul le gĂ©nocide des Juifs est conduit de façon systĂ©matique et avec acharnement, jusqu'aux derniers jours des camps en 1945. La Shoah constitue l'un des Ă©vĂ©nements les plus marquants et les plus Ă©tudiĂ©s de l'histoire contemporaine. Son impact moral, historique, culturel et religieux est immense et universel, surtout depuis sa redĂ©couverte Ă  partir des annĂ©es 1960-1970. À cĂŽtĂ© de l'investigation historique, la littĂ©rature de la Shoah offre quelques pistes aux nombreuses interrogations posĂ©es Ă  la conscience humaine par la nature et l'horreur exceptionnelles du gĂ©nocide.

Terminologie

Page 3 du mémorandum du sous-secrétaire du ministre des Affaires étrangÚres du TroisiÚme Reich Martin Luther, mentionnant la « solution finale », 21 août 1942[10]. Traduction vers l'anglais par la libraire Truman.

Photographie extraite du rapport de de JĂŒrgen Stroop Ă  Himmler. LĂ©gende originale en allemand : « PoussĂ©s hors de leurs trous ».

Certaines des personnes visibles sur cette photo ont été identifiées :
– le petit garçon au premier plan est peut-ĂȘtre Artur Dab Siemiatek, Levi Zelinwarger (prĂšs de sa mĂšre Chana Zelinwarger) ou Tsvi Nussbaum ;
– Hanka Lamet, la petite fille à gauche ;
– Matylda Lamet Goldfinger, la mùre de Hanka, deuxiùme en partant de la gauche ;
– Leo KartuziƄski, en arriĂšre-plan avec un sac blanc sur l'Ă©paule ;
– Golda Stavarowski, la premiùre femme à droite, au fond, qui ne lùve qu’une main ;
– Josef Blösche, le SS avec un pistolet-mitrailleur Ă  droite, exĂ©cutĂ© en 1969.

En France et dans le monde francophone, pour nommer l'Ă©vĂ©nement, l'usage a tendance Ă  consacrer le terme « Shoah », prĂ©fĂ©rĂ© Ă  « Holocauste ». Ainsi Le Petit Larousse (2004) prĂ©cise-t-il Ă  l’entrĂ©e « Holocauste » : « gĂ©nocide des Juifs d'Europe perpĂ©trĂ© par les nazis et leurs auxiliaires de 1939 Ă  1945 [
]. On dit plus couramment Shoah. » Et Ă  l’entrĂ©e « Shoah » : « mot hĂ©breu signifiant « anĂ©antissement » et par lequel on dĂ©signe l'extermination systĂ©matique de plus de cinq millions de Juifs par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. » De mĂȘme, l’EncyclopĂŠdia Universalis indique Ă  l’entrĂ©e « Shoah » : « En hĂ©breu, shoah signifie catastrophe. Ce terme est de plus en plus employĂ©, de prĂ©fĂ©rence Ă  holocauste, pour dĂ©signer l'extermination des juifs rĂ©alisĂ©e par le rĂ©gime nazi »[11].

Shoah, en hĂ©breu ancien, signifie « anĂ©antissement, cataclysme, catastrophe, ruine, dĂ©solation ». Ce mot apparaĂźt quatre fois dans les Nevi'im (IsaĂŻe 10,3[12], ÉzĂ©chiel 38,9 et 47,11, Sophonie 1,15) et neuf fois dans les Ketouvim (Psaumes 35,8 (deux fois), 35,17 et 63,10, Proverbes 1,27 et 3,25, Job 30,3, 30,14 et 38,27). « Holocauste » est encore plus connotĂ© religieusement puisque signifiant « sacrifice par le feu, ne laissant subsister aucune trace de la victime » et faisant rĂ©fĂ©rence au sacrifice d’Isaac dans la GenĂšse. Cette idĂ©e de sacrifice gĂȘne de nombreux auteurs, tels l’historienne Lilly Scherr, le rabbin Emil Fackenheim ou encore les historiens des religions Jean HalpĂ©rin et Odon Vallet, qui la trouvent pour le moins incompatible avec le crime nazi[13]. Si le monde francophone prĂ©fĂšre l’appeler « Shoah », de nombreux pays, dont les pays anglo-saxons, de mĂȘme que l’Organisation des Nations unies, continuent d’employer de prĂ©fĂ©rence le terme « Holocauste ». Il est institutionnalisĂ© en AmĂ©rique depuis 1993 (musĂ©e United States Holocaust Memorial Museum)[14].

Dans son Ă©dition du 17 mars 1933, au moment des premiĂšres persĂ©cutions nazies des Juifs et en pleine ascension d’Hitler vers les pleins pouvoirs, le quotidien palestinien en hĂ©breu Davar publie l'article « À l’heure de la Shoah des Juifs allemands » et affirme que « les Juifs allemands encouraient la destruction »[15] : c’est une des premiĂšres fois, peut-ĂȘtre la premiĂšre fois[13], que « Shoah » est employĂ© dans une anticipation floue du pire avenir. AprĂšs la guerre et la crĂ©ation de l'État d’IsraĂ«l, le Premier ministre David Ben Gourion instaure un « Jour de la Shoah », Yom HaShoah. Le terme se trouve, par exemple, dans le texte hĂ©breu de la DĂ©claration d'indĂ©pendance de l'État d'IsraĂ«l de 1948, mais la version anglaise le remplace par « Holocauste »[16]. L’utilisation de « Shoah » a surtout Ă©tĂ© constatĂ©e depuis les annĂ©es 1990, consĂ©cutivement Ă  la sortie du film de Claude Lanzmann, Shoah, en 1985. Il s'agit d'un film documentaire de neuf heures trente composĂ© de tĂ©moignages. Claude Lanzmann justifie le titre de son film de la façon suivante : « Si j’avais pu ne pas nommer ce film, je l’aurais fait. Comment aurait-il pu y avoir un nom pour nommer un Ă©vĂ©nement sans prĂ©cĂ©dent dans l’histoire ? Je disais « la chose ». [
] Ce sont des rabbins qui ont trouvĂ© le nom de Shoah. Mais cela veut dire anĂ©antissement, cataclysme, catastrophe naturelle. Shoah, c’est un mot hĂ©breu que je ne comprends pas. Un mot opaque que personne ne comprendra. Un acte de nomination radicale. Un nom qui est passĂ© dans la langue, sauf aux États-Unis »[17].

La Shoah est un gĂ©nocide, terme formĂ© en 1943 par le juriste Raphael Lemkin afin de dĂ©signer des destructions dĂ©libĂ©rĂ©es de nations, ethnies ou groupes religieux, dont l'extermination des Juifs d'Europe qui avait alors lieu[18]. Les expressions « gĂ©nocide juif » ou, plus rare, « judĂ©ocide »[19] - [20], sont donc utilisĂ©es ; « judĂ©ocide » est notamment employĂ© par l'historien Arno Mayer dans La « Solution finale » dans l'histoire[21]. Cette expression « Solution finale » est tirĂ©e de l’expression nazie « solution finale Ă  la question juive » : die Endlösung der Judenfrage[22] - [23].

Certains auteurs francophones rĂ©cusent le nom Shoah. Linguiste et traducteur, Henri Meschonnic prĂ©cise que shoah signifie « catastrophe naturelle » et ajoute que la destruction des Juifs n’a pas Ă  se dire en hĂ©breu : « Le mot « Shoah », avec sa majuscule qui l’essentialise, contient et maintient l’accomplissement du thĂ©ologico-politique, la solution finale du « peuple dĂ©icide » pour ĂȘtre le vrai peuple Ă©lu. Il serait plus sain pour le langage que ce mot ne soit plus un jour que le titre d’un film »[24]. Elie Wiesel conteste aussi ce terme autant que celui d'« holocauste » mĂȘme s'il l'emploie Ă©galement. Dans ses entretiens avec MichaĂ«l de Saint-Cheron, en 1988, il dit lui prĂ©fĂ©rer le terme « hourban », qui, dans la littĂ©rature yiddish portant sur l'Ă©vĂ©nement, signifie Ă©galement « destruction » et se rĂ©fĂšre Ă  celle du Temple de JĂ©rusalem. Par leur origine, ces trois termes (shoah, holocauste, hourban) soulignent la spĂ©cificitĂ© juive de l'Ă©vĂ©nement[25].

La Shoah comme terme d'un processus

Le boycott des magasins juifs en 1933.

Raul Hilberg analyse la Shoah comme un processus, dont les étapes sont la définition des Juifs, leur expropriation, leur concentration, et enfin leur destruction[26].

La premiĂšre Ă©tape est la loi sur la restauration de la fonction publique du 7 avril 1933 (Gleichschaltung) qui a pour but l'Ă©limination par l'État national-socialiste de tous les adversaires du rĂ©gime et en premier lieu les Juifs[27]. La loi stipulait la mise Ă  la retraite de tous les fonctionnaires « non aryens »[28]. Suivirent les lois dites de Nuremberg, en 1935[29].

Boycott officiel des magasins juifs par les SA, Berlin, printemps 1933.

Les Juifs y sont dĂ©finis par la lĂ©gislation nazie selon la religion de leurs ascendants et leur propre confession. Toute personne ayant trois ou quatre grands-parents juifs est considĂ©rĂ©e comme juive. Une personne ayant deux grands-parents juifs est considĂ©rĂ©e Ă©galement comme juive si elle est elle-mĂȘme de religion israĂ©lite, ou si elle est mariĂ©e Ă  une personne de cette confession. Si tel n'est pas le cas, ou si la personne n'a qu'un seul grand-parent juif, elle est rangĂ©e dans une catĂ©gorie spĂ©cifique, les Mischlinge[alpha 9]. La dĂ©finition des Mischlinge est arrĂȘtĂ©e en 1935. À partir de lĂ , ils restent soumis aux mesures de discriminations concernant les non-aryens, mais Ă©chappent en principe aux mesures ultĂ©rieures, comme le processus de destruction, qui ne concerneront que les seuls Juifs[31]. À partir de l'automne 1941, les Juifs d'Allemagne doivent porter une Ă©toile jaune, signe rendu Ă©galement obligatoire en 1942 Ă  travers les territoires europĂ©ens occupĂ©s, oĂč les nazis ont d'emblĂ©e fait recenser et discriminer la population juive. Le , alors que l'extermination bat son plein, Himmler interdit Ă  ses experts de continuer Ă  chercher la dĂ©finition du Juif — afin de ne pas lier les mains aux tortionnaires[32]. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les lois de Nuremberg sont rapidement introduites telles quelles par ordonnance allemande dans la plupart des pays vaincus et occupĂ©s, notamment la Belgique, les Pays-Bas et la GrĂšce. Mais plusieurs pays europĂ©ens avaient adoptĂ© d'eux-mĂȘmes leur propre lĂ©gislation antisĂ©mite dĂšs l'avant-guerre, notamment l'Italie fasciste de Mussolini en 1938, la Hongrie de l'amiral Horty, la Roumanie du marĂ©chal Ion Antonescu, la Slovaquie de Mgr Tiso. En France, le gouvernement de Vichy du marĂ©chal PĂ©tain, issu de la dĂ©faite de , a mis en place un statut discriminatoire des Juifs dĂšs [33]. Toutes ces dispositions n'ont aucun objectif homicide par elles-mĂȘmes, mais elles prĂ©disposent les gouvernants Ă  collaborer aux futures dĂ©portations. Et, en isolant et en fragilisant les Juifs nationaux et Ă©trangers, elles les rendent vulnĂ©rables lorsque surviendra la tentative nazie d'extermination.

L'expropriation prend la forme de trĂšs fortes incitations sur les Juifs Ă  vendre les entreprises qu'ils possĂšdent (aryanisation), puis, Ă  partir de 1938, de ventes lĂ©galement forcĂ©es. La concentration des Juifs du Reich dans des immeubles rĂ©servĂ©s commence Ă  partir d'[alpha 10]. Cette phase d'expropriation est Ă©galement mise en Ɠuvre avec des variantes dues aux circonstances locales dans l'ensemble des pays d'Europe sous domination nazie[alpha 11]. Avant-guerre, le but est d'abord de chasser les Juifs par une persĂ©cution sans cesse plus radicale. La liste des mĂ©tiers interdits s'allonge sans fin, celle des brimades et des interdictions aussi : toute vie normale leur est rendue impossible, afin de les contraindre Ă  l'Ă©migration hors du Reich. Mais beaucoup refusent de quitter leur pays, et Ă  partir de 1938, la volontĂ© nazie d'expansion territoriale met cette politique dans une impasse : Ă  chaque agrandissement, le Reich absorbe plus de Juifs qu'il n'en sort de ses frontiĂšres[36].

Humiliation publique d'un notable juif, l'avocat Michael Siegel, Munich le .

C'est le cas lorsqu'il annexe l'Autriche en (l'Anschluss est accompagnĂ©e d'un dĂ©chaĂźnement immĂ©diat de brutalitĂ©s contre les Juifs, agressĂ©s, battus, dĂ©pouillĂ©s ou humiliĂ©s jusqu'en pleine rue), puis lors du rattachement des SudĂštes () et de l'entrĂ©e des troupes allemandes Ă  Prague le . La conquĂȘte de la Pologne, en , fait Ă  elle seule tomber plus de trois millions de Juifs sous la coupe des nazis.

En octobre 1939, dans un acte antidatĂ© au 1er septembre 1939 pour le faire coĂŻncider avec le dĂ©but de la guerre[37], Hitler autorise personnellement l'Aktion T4, qui entraĂźne l'extermination par gazage d'environ 70 000 handicapĂ©s[38] mentaux allemands en deux ans[39], dans des « centres d'euthanasie » prĂ©vus Ă  cet effet. Les forces nazies poursuivent le programme Aktion T4 en Pologne : elles fusillent ou assassinent au moyen d'un camion Ă  gaz les malades incurables qu'elles trouvent[40]. La continuitĂ© entre cette politique d'eugĂ©nisme criminelle et la Shoah est trĂšs importante : nombre de spĂ©cialistes de « l'euthanasie » sont ensuite rĂ©affectĂ©s au gazage massif des Juifs, qui survient Ă  son tour Ă  partir de fin 1941[41].

Timbre de la RFA commémorant la nuit de Cristal (9 novembre 1938).

Au cours de la nuit de Cristal du , pogrom organisĂ© par les responsables nazis dans toute l'Allemagne, 91 Juifs sont assassinĂ©s et 30 000 internĂ©s dans des camps de concentration ; des centaines de magasins sont dĂ©vastĂ©s et des dizaines de synagogues incendiĂ©es. Cet Ă©vĂ©nement marque un nouveau durcissement de la politique antisĂ©mite.

Le , pour le sixiÚme anniversaire de sa prise du pouvoir, dans un discours retentissant devant le Reichstag, Hitler déclare :

« Je vais Ă  nouveau ĂȘtre prophĂšte, aujourd'hui : si la juiverie financiĂšre internationale, hors d'Europe et en Europe, rĂ©ussissait Ă  prĂ©cipiter encore une fois les peuples dans une guerre mondiale, alors la consĂ©quence n'en serait pas la bolchĂ©visation de la terre et la victoire de la juiverie, mais l'anĂ©antissement de la race juive en Europe[42]. »

Or c'est Ă  cette « prophĂ©tie » que lui-mĂȘme et de nombreux dignitaires et responsables nazis se rĂ©fĂ©reront les annĂ©es suivantes pour justifier tous les massacres de masse perpĂ©trĂ©s contre les Juifs jusqu'au gĂ©nocide[alpha 12].

Carte postale autrichienne illustrant la lĂ©gende du « coup de poignard dans le dos » (Dolchstoßlegende), 1919

En particulier, lorsque la guerre devient mondiale en avec l'agression japonaise Ă  Pearl Harbor et la dĂ©claration de guerre du Reich aux États-Unis, Hitler et son entourage se persuadent qu'il faut « punir » les Juifs, jugĂ©s responsables de la guerre que l'Axe a elle-mĂȘme provoquĂ©e, et donc vus comme coupables des pertes allemandes au front ou des bombardements sur les villes[45].

HantĂ©s par le mythe mensonger du « coup de poignard dans le dos » (l'Allemagne aurait perdu la guerre en 1918 sans ĂȘtre militairement vaincue, mais parce qu'elle aurait Ă©tĂ© trahie de l'intĂ©rieur, entre autres par les Juifs), les nazis veulent aussi anĂ©antir la menace imaginaire que reprĂ©senteraient les communautĂ©s du continent. Beaucoup de tortionnaires seront persuadĂ©s de mener contre ces civils dĂ©sarmĂ©s une lutte tout aussi mĂ©ritoire que celle des combattants au front[46].

Dans son discours de Posen prononcĂ© en , Himmler justifie la nĂ©cessitĂ© pour les Allemands de tuer aussi les femmes et les enfants en raison du danger que ces derniers exercent un jour des reprĂ©sailles sur eux-mĂȘmes ou leurs propres enfants. C'est Ă  cette occasion qu'il qualifie le massacre en cours de « page glorieuse de notre histoire, et qui ne sera jamais Ă©crite »[47].

Au-delĂ , la Shoah est l'aboutissement logique de la haine idĂ©ologique absolue des antisĂ©mites nazis pour une « race » qu'ils ne jugent pas seulement infĂ©rieure, mais radicalement nuisible et dangereuse. Vus comme des « poux » et des « vermines »[48], exclus de l'humanitĂ© (au point qu'on ne se donnera jamais la peine d'Ă©tablir aucun dĂ©cret les condamnant Ă  mort, a fortiori de le lire aux victimes, les Juifs n'ont pas leur place sur terre — notamment pas dans l'espace vital arrachĂ© Ă  l'Est sur les « sous-hommes » slaves[49].

Le judĂ©ocide trouve en effet aussi en partie ses origines dans le vaste projet de remodelage dĂ©mographique de l'Europe mis au point par les nazis, secondĂ©s par une plĂ©thore d'experts, de gĂ©ographes et de savants souvent hautement diplĂŽmĂ©s. Dans l'espace vital conquis Ă  l'Est, il s'agit de faire de la place pour des colons allemands en dĂ©portant les Slaves en masse, mais aussi en les stĂ©rilisant et en les rĂ©duisant Ă  l'Ă©tat d'une masse de sous-hommes vouĂ©s Ă  l'esclavage, tandis que les mĂȘmes territoires doivent ĂȘtre nettoyĂ©s des Tziganes et surtout des Juifs par l'extermination[50].

Comme le rĂ©sume Marc Mazower, « gĂ©nocide et colonisation Ă©taient inextricablement liĂ©s, car le but de Hitler Ă©tait la complĂšte recomposition raciale de l’Europe ». Ce n'est en rien un hasard si les premiĂšres expulsions puis mises Ă  mort massives de Juifs eurent lieu dans les territoires polonais annexĂ©s par le Reich et qu'il s'agissait de « nettoyer » et de germaniser au plus vite, ainsi le Warthegau ou les environs de Dantzig, ni si la ville d'Auschwitz, siĂšge du plus grand camp de concentration et d'extermination nazi, devait ĂȘtre aussi redessinĂ©e pour accueillir des colons allemands[51].

Ces projets dĂ©mographiques ne sont toutefois qu'un point de dĂ©part car Ă  partir du meurtre des Juifs de l'Est, c'est par extension, par pure haine idĂ©ologique, tous les Juifs d'Europe et tous ceux du monde entier tombĂ©s sous la coupe des hitlĂ©riens qui doivent ĂȘtre tuĂ©s[52] (en 1943, on verra mĂȘme les nazis dĂ©porter 17 Juifs de Tunis vers les camps de la mort[53], tandis qu'Hitler demandera en vain Ă  ses alliĂ©s japonais de s'en prendre aux Juifs allemands rĂ©fugiĂ©s Ă  Shanghai[54]).

DĂšs novembre 1940[55], les Juifs polonais sont enfermĂ©s dans des ghettos mortifĂšres oĂč la faim, le travail forcĂ©, les mauvais traitements et les exĂ©cutions sommaires entament un processus d’élimination physique.

Lettre de Göring à Heydrich chargeant ce dernier d'organiser la « solution finale de la question juive », juillet 1941.

En 1940, le Plan Madagascar des Allemands prĂ©voyait encore une Ă©migration massive et forcĂ©e des Juifs d'Europe occupĂ©e vers Madagascar qui serait devenue une « rĂ©serve juive »[56]. La continuation du conflit avec le Royaume-Uni empĂȘche cette solution Ă  la « question juive » d'aboutir. DĂ©but 1941, Hitler songe Ă©galement Ă  dĂ©porter les Juifs en SibĂ©rie : cette solution aurait suffi Ă  entraĂźner une hĂ©catombe et Ă©tait donc dĂ©jĂ  en elle-mĂȘme quasi gĂ©nocidaire[57]. Mais dĂšs le ralentissement de l'avancĂ©e allemande en Russie Ă  l'automne 1941 et avant mĂȘme l'Ă©chec de la Wehrmacht devant Moscou, cette solution n'est plus Ă  l'ordre du jour.

AprĂšs l'agression de l'URSS le , cependant, la violence meurtriĂšre se dĂ©chaĂźne Ă  une Ă©chelle sans prĂ©cĂ©dent : ce sont prĂšs de 1 500 000 Juifs qui pĂ©rissent en quelques mois, fusillĂ©s par les Einsatzgruppen[58]. Au dĂ©but, les Einsatzgruppen exĂ©cutent surtout des hommes juifs. Mais Ă  partir de la fin de l'Ă©tĂ© 1941, les meurtres de masse sont Ă©tendus aux femmes et aux enfants juifs[59].

L'extermination de la totalitĂ© des Juifs d'Europe est dĂ©cidĂ©e dans le courant de l'automne 1941. Le , le dirigeant SS Reinhard Heydrich reçoit, signĂ© par Hermann Göring, no 2 du rĂ©gime, un ordre officiel secret qui lui confie la recherche et la mise en Ɠuvre d'une « solution finale au problĂšme juif ». Sans doute vers la fin de l'Ă©tĂ©, Adolf Eichmann est convoquĂ© dans le bureau de Reinhard Heydrich qui lui dit : « Je sors de chez le ReichsfĂŒhrer Heinrich Himmler ; le FĂŒhrer Adolf Hitler a maintenant ordonnĂ© l'extermination physique des Juifs[60] - [61]. »

La plupart des registres de mise Ă  mort ont Ă©tĂ© dĂ©truits par les nazis Ă  la fin de la guerre, mais une Ă©tude rĂ©cente a pu s'appuyer sur les archives des chemins de fer allemands ; elles montrent que les nazis ont exterminĂ© plus de 1,5 million de personnes (Juifs polonais pour la majoritĂ©) en moins de trois mois en 1942. Selon une estimation nouvelle : rien que dans les trois grands camps de la mort de Pologne, ce sont environ un quart des 6 millions de victimes juives de l'Holocauste qui ont Ă©tĂ© assassinĂ©s durant le seul Ă©tĂ© 1942 (mortalitĂ© qui a alors touchĂ© un demi-million de personnes par mois, un chiffre nettement plus Ă©levĂ© que les estimations prĂ©cĂ©dentes[62])[63].

Pour Raul Hilberg, la Shoah est notamment un crime de bureaucrates, qui passent d'une Ă©tape Ă  l'autre, minutieusement, logiquement, mais sans plan prĂ©Ă©tabli[64]. Cette analyse a Ă©tĂ© approuvĂ©e par les autres spĂ©cialistes de la Shoah, mais le moment exact oĂč l'intention exterminatrice apparaĂźt fait l'objet de dĂ©bats, analysĂ©s ci-aprĂšs dans la section « Historiographie » de l'article.

L'extermination des Juifs d'Europe orientale (1939-1941)

Les ghettos

La construction du mur du Ghetto de Varsovie

AprĂšs l'invasion allemande de la Pologne, les Juifs de ce pays sont contraints de vivre dans des quartiers clos, les ghettos. Les conditions de vie y sont extrĂȘmement dures pour trois raisons. D’abord, les responsables de la concentration des Juifs en Pologne sont, souvent, des membres de la NSDAP, et non, comme en Allemagne, des fonctionnaires sans affiliation partisane. Ensuite, les Juifs polonais reprĂ©sentent ce qu’il y a de plus mĂ©prisable dans la mythologie nazie, et sont les plus persĂ©cutĂ©s dĂšs avant la guerre. Enfin, les Juifs Ă©taient beaucoup plus nombreux numĂ©riquement et proportionnellement, en Pologne (3,3 millions, dont deux millions dans la zone allemande, sur 33 millions d’habitants dans tout le pays) qu’en Allemagne[65]. Les Juifs de l’Ancien Reich (frontiĂšres de 1937) sont Ă©galement dĂ©portĂ©s vers les ghettos de Pologne, Ă  partir de 1940.

Les premiers ghettos sont Ă©difiĂ©s dans la partie de la Pologne « incorporĂ©e » au Reich, pendant l’hiver 1939-1940, puis dans le Gouvernement gĂ©nĂ©ral, partie de la Pologne administrĂ©e par Hans Frank. Le plus ancien est le ghetto de ƁódĆș, le plus grand, celui de Varsovie. La ghettoĂŻsation est achevĂ©e pour l’essentiel au cours de l’annĂ©e 1941, et complĂštement terminĂ©e en 1942[66].

À l’intĂ©rieur mĂȘme du ghetto, les mouvements des Juifs sont limitĂ©s : ils doivent rester chez eux de dix-neuf heures Ă  sept heures. La surveillance extĂ©rieure est assurĂ©e par la police rĂ©guliĂšre et la surveillance intĂ©rieure par la Police de sĂ»retĂ© (Gestapo et Kripo), elle-mĂȘme renforcĂ©e par la police rĂ©guliĂšre, Ă  la demande de cette derniĂšre[67].

DĂšs le , le principe du travail forcĂ© pour les Juifs de Pologne est adoptĂ©[68]. Les Juifs sont dĂ©cimĂ©s par la malnutrition, les Ă©pidĂ©mies — notamment de typhus, de tuberculose, de grippe — et la fatigue consĂ©cutive au travail que leur imposent les autoritĂ©s allemandes. Par exemple, le ghetto de ƁódĆș, qui compte 200 000 habitants Ă  l’origine, compte plus de 45 000 morts jusqu’en [69].

Au cours de l'année 1943, sur l'ordre d'Himmler, les ghettos sont progressivement réorganisés en camps de concentration. Ce ne sont plus les administrations civiles qui s'en occupent mais les SS. En Ostland, les tueries continuent jusqu'à la disparition quasi totale des Juifs.

À partir de , les survivants des ghettos sont dĂ©portĂ©s vers les centres de mise Ă  mort. Les premiers sont les Juifs du Wartheland, envoyĂ©s Ă  CheƂmno. En , ceux de Lublin sont envoyĂ©s Ă  BeĆ‚ĆŒec. À partir de juillet, le ghetto de Varsovie commence Ă  ĂȘtre vidĂ©[70].

Les unités mobiles de tuerie : la premiÚre vague de massacres

Le , pendant les prĂ©paratifs de l'invasion de l'URSS, le Generalfeldmarschall Keitel rĂ©dige une sĂ©rie d’« ordres pour les zones spĂ©ciales » : « Dans la zone des opĂ©rations armĂ©es, au ReichsfĂŒhrer SS Himmler seront confiĂ©es, au nom du FĂŒhrer, les tĂąches spĂ©ciales en vue de prĂ©parer le passage Ă  l’administration politique — tĂąche qu'impose la lutte finale qui devra se livrer entre deux systĂšmes politiques opposĂ©s. Dans le cadre de ces tĂąches, le ReichsfĂŒhrer SS agira en toute indĂ©pendance et sous sa propre responsabilitĂ© »[71].

En termes clairs, il est dĂ©cidĂ© que des unitĂ©s mobiles du RSHA, les Einsatzgruppen, seraient chargĂ©es d'exterminer les Juifs — ainsi que les Tziganes, les cadres communistes, voire les handicapĂ©s et les homosexuels. Ce passage aurait Ă©tĂ© dictĂ© par Adolf Hitler en personne[72].

Pendant les premiĂšres semaines, les membres des Einsatzgruppen, inexpĂ©rimentĂ©s en matiĂšre d'extermination, ne tuent que les hommes juifs. À partir d'aoĂ»t, les autoritĂ©s centrales clarifient leurs intentions, et les Juifs sont assassinĂ©s par familles entiĂšres. Les Einsatzgruppen se dĂ©placent par petits groupes, les Einsatzkommandos, pour massacrer leurs victimes. Ils se placent le plus prĂšs possible des lignes de front, quitte Ă  revenir vers l'arriĂšre aprĂšs avoir massacrĂ© leurs premiĂšres victimes. C'est le cas, par exemple, de l’Einsatzgruppe A, qui s’approche de Leningrad avec les autres troupes, puis se replie vers les pays baltes et la BiĂ©lorussie, dĂ©truisant, entre autres, les communautĂ©s juives de Liepāja, Riga, Kaunas (en treize opĂ©rations successives) et Vilnius (en quatorze attaques)[73]. Dans les premiers mois de l'invasion de l'URSS, les unitĂ©s mobiles annoncent prĂšs de 100 000 tuĂ©s par mois.

Les SS sont assistĂ©s par une partie de la Wehrmacht. Dans bien des cas, les soldats raflent les Juifs pour que les Einsatzkommandos les fusillent, mais il leur arrive de participer eux-mĂȘmes aux massacres et de fusiller des Juifs, sous prĂ©texte de reprĂ©sailles. À Minsk, plusieurs milliers de « Juifs, criminels, fonctionnaires soviĂ©tiques et asiatiques » sont rassemblĂ©s dans un camp d’internement, puis assassinĂ©s par des membres de l’Einsatzgruppe B et de la Police secrĂšte de campagne[74]. Leur action est complĂ©tĂ©e par des unitĂ©s formĂ©es par les chefs de la SS et de la Police, ou plus rarement par la seule Gestapo. C’est le cas, notamment, Ă  Memel (plusieurs milliers de victimes), Minsk (2 278 victimes), Dnipropetrovsk (15 000 victimes) et Riga[75]. Des troupes roumaines participent Ă©galement aux fusillades, ainsi que le Sonderkommando letton de Viktors Arājs : responsable Ă  lui seul de la mort d'entre 50 000 et 100 000 personnes (juives et/ou communistes), Arājs ne sera condamnĂ© qu'en 1979.

Une femme juive et son enfant fusillés par les Einsatzgruppen pendant que d'autres victimes doivent creuser leur propre fosse. Ivanhorod, Ukraine, 1942.

Les procĂ©dures de massacres sont standardisĂ©es pour ĂȘtre rapides et efficaces. Les Einsatzgruppen choisissent gĂ©nĂ©ralement un lieu en dehors de la ville. Ils approfondissent un fossĂ© antichar ou creusent une nouvelle fosse. À partir d'un point de rassemblement, ils amĂšnent les victimes jusqu'au fossĂ© par petits groupes en commençant par les hommes. Les prisonniers remettent alors tout ce qu'ils ont comme objet de valeur au chef des tueurs. Par beau temps ou sous un froid hivernal, ils doivent donner leurs vĂȘtement et mĂȘme parfois leur linge de corps.

Certains Einsatzgruppen alignent les condamnés face aux fossés puis les mitraillent laissant leurs corps inertes tomber dans la tombe collective[76]. D'autres tirent une balle dans la nuque de chaque condamné.

Paul Blobel et Ohlendorf, commandants d’Einsatzgruppen refusent ces mĂ©thodes jugĂ©es trop stressantes pour les SS et prĂ©fĂšrent les tirs Ă  distance. Ils utilisent ce qui a Ă©tĂ© appelĂ© le « systĂšme des sardines », Ölsardinenmanier : Une premiĂšre rangĂ©e de victimes doit s'allonger au fond du fossĂ©. Elle est fusillĂ©e du haut du fossĂ© par des tirs croisĂ©s. Les suivants se couchent Ă  leur tour sur les cadavres de la premiĂšre rangĂ©e et la fusillade recommence. À la cinquiĂšme ou sixiĂšme couche, la tombe est recouverte de terre[77].

Les Einsatzgruppen veulent que leurs actions soient la plus discrĂšte possible et s'efforcent d'agir Ă  l'Ă©cart des populations civiles et de la Wehrmacht[78]. Toutefois, certains s’efforcent de susciter des pogroms locaux, Ă  la fois pour diminuer leur charge de travail et pour impliquer une part maximale de la population locale dans l’anĂ©antissement des Juifs. Les bureaucrates du RSHA et les commandants de l’armĂ©e ne souhaitent pas que de telles mĂ©thodes soient employĂ©es, les uns parce que ces formes de tueries leur paraissent primitives et donc d’une efficacitĂ© mĂ©diocre par rapport Ă  l’extermination soigneuse des Einsatzgruppen ; les autres parce que ces pogroms font mauvais effet. Les pogroms ont donc lieu, principalement, dans des territoires oĂč le commandement militaire Ă©tait encore mal assurĂ© de son autoritĂ© : en Galicie et dans les pays baltes, tout particuliĂšrement en Lituanie. En quelques jours, des Lituaniens massacrent 3 800 Juifs Ă  Kaunas. Les Einsatzgruppen trouvent une aide plus importante et plus durable en formant des bataillons auxiliaires dans la population locale, dĂšs le dĂ©but de l’étĂ© 1941. Ils ont Ă©tĂ© crĂ©Ă©s, pour la plupart, dans les pays baltes et en Ukraine. L’Einsatzkommando 4a (de l’Einsatzgruppe C) dĂ©cide ainsi de ne plus fusiller que les adultes, les Ukrainiens se chargeant d’assassiner les enfants. Quelquefois, la fĂ©rocitĂ© des collaborateurs locaux effraie jusqu’aux cadres des Einsatzgruppen eux-mĂȘmes. C’est le cas, en particulier, des membres de l’Einsatzkommando 6 (de l’Einsatzgruppe C), « littĂ©ralement Ă©pouvantĂ©s par la soif de sang » que manifeste un groupe d’« Allemands ethniques » ukrainiens[79]. Le recrutement en Ukraine, Lituanie et Lettonie est d’autant plus facile qu’un fort antisĂ©mitisme y sĂ©vissait avant la guerre — Ă  la diffĂ©rence de l’Estonie, oĂč la haine des Juifs Ă©tait presque inexistante[80].

Lorsque les tueurs estiment que l’extermination prendra du temps, ils crĂ©ent des ghettos pour y parquer les survivants, en attendant leur Ă©limination. Mais dans plusieurs cas, cette crĂ©ation n’est pas nĂ©cessaire, notamment Ă  Kiev : 33 000 Juifs sont assassinĂ©s en quelques jours, prĂšs de Babi Yar[81].

De passage Ă  Minsk, le 15 aoĂ»t 1941, Himmler assiste Ă  une opĂ©ration mobile de tuerie. ÉbranlĂ© par le massacre mais pĂ©nĂ©trĂ© de l'importance supĂ©rieure de ces actes, il demande Ă  ses subordonnĂ©s de chercher un moyen moins traumatisant pour les SS de remplir leur mission[82].

C'est ainsi que les premiers camions Ă  gaz sont testĂ©s. À partir de , deux Ă  trois camions Ă  gaz sont envoyĂ©s dans chaque Einsatzgruppe. Le procĂ©dĂ© est toujours le mĂȘme. Les camions sont garĂ©s Ă  l'Ă©cart. Des groupes de 70 juifs en linge de corps s'entassent Ă  l'intĂ©rieur. Les gaz d'Ă©chappement sont dĂ©versĂ©s Ă  l'intĂ©rieur faisant suffoquer les victimes. Les camions roulent ensuite jusqu'au fossĂ© oĂč les corps inanimĂ©s sont jetĂ©s[83]. Mais la pluie met Ă  mal l'Ă©tanchĂ©itĂ© des camions. Les hommes souffrent de maux de tĂȘte en dĂ©chargeant les camions, car tous les gaz d'Ă©chappement ne se sont pas dispersĂ©s. La vision des visages dĂ©figurĂ©s des asphyxiĂ©s stresse les SS[84].

Selon le tribunal de Nuremberg, environ deux millions de Juifs ont Ă©tĂ© assassinĂ©s par les unitĂ©s mobiles de tuerie — une estimation reprise Ă  son compte par Lucy S. Dawidowicz[85]. Hilberg compte de son cĂŽtĂ© 1,4 million de victimes, et LĂ©on Poliakov 1,5 million, mais cette fois pour la seule URSS[86].

La deuxiĂšme vague (1942)

La premiĂšre vague de massacres s'arrĂȘte pour l'essentiel Ă  la fin de l'annĂ©e 1941, sauf en CrimĂ©e oĂč elle se prolonge jusqu'Ă  l'Ă©tĂ© 1942. Une deuxiĂšme vague de tuerie s'amorce dĂšs la fin de l'annĂ©e 1941 dans les rĂ©gions de la Baltique et se diffuse tout au long de l'annĂ©e 1942 dans tous les territoires occupĂ©s[87].

Rapport de Himmler Ă  Hitler faisant Ă©tat de l'assassinat de 363 211 Juifs de la rĂ©gion de BiaƂystok entre le et le .

Les Einsatzgruppen jouent un rĂŽle moins important. Ils sont placĂ©s sous le commandement des chefs suprĂȘmes des SS et de la police. Les effectifs de la police rĂ©guliĂšre s'accroissent beaucoup pour prendre part Ă  la deuxiĂšme vague de massacres. À la fin de l'annĂ©e 1942, 5 rĂ©giments de la police rĂ©guliĂšres servent sur le front, 4 sont stationnĂ©s Ă  l'arriĂšre, renforcĂ©s par 6 bataillons supplĂ©mentaires qui obĂ©issent tous aux dirigeants SS et de la police[88]. Les villes importantes et les zones rurales des rĂ©gions occupĂ©es fournissent elles aussi des Ă©lĂ©ments. Ces Ă©lĂ©ments recrutĂ©s sur place sont essentiellement composĂ©s de Baltes, BiĂ©lorusses et Ukrainiens. Ils forment la Schutzmannschaft (Schuma en abrĂ©gĂ©). Son effectif passe de 33 270 hommes au milieu de l'annĂ©e 1942 Ă  47 974 Ă  la fin de l'annĂ©e[89]. Les SS reçoivent aussi l'appui de la gendarmerie militaire et de la police secrĂšte militaire[90].

Dans l’Ostland, il reste au dĂ©but de l'annĂ©e 1942, environ 100 000 Juifs. Environ 68 000 vivent dans les grands ghettos, le reste a trouvĂ© refuge dans les forĂȘts, certains comme partisans. En , les SS et la police du Nord commencent Ă  ratisser la rĂ©gion mĂ©thodiquement, zone par zone, tuant les Juifs des petits ghettos et exĂ©cutant ceux des forĂȘts. Seulement quelques milliers parviennent Ă  en rĂ©chapper[91]. En mĂȘme temps, se prĂ©pare la destruction des grands ghettos de l’Ostland.

La mĂ©thode est souvent la mĂȘme. La veille de la tuerie, un dĂ©tachement juif creuse des grandes tombes. Dans la nuit ou Ă  l'aube, les forces allemandes pĂ©nĂštrent dans le ghetto et rassemblent les Juifs. Ceux qui tentent de se cacher sont exĂ©cutĂ©s parfois Ă  la grenade. Ceux qui se sont groupĂ©s sont amenĂ©s par camions jusqu'aux fosses communes oĂč ils sont exĂ©cutĂ©s par balle. Fin 1942, il n'y a pratiquement plus de Juifs en Ukraine.

Malgré toutes les précautions d'Himmler pour garder les tueries secrÚtes, des photos prises par des soldats alliés, hongrois ou slovaques circulent. Himmler craint aussi que les Soviétiques ne découvrent un jour les charniers, si l'armée allemande recule. Il ordonne à Paul Blobel d'effacer les traces des exécutions des Einsatzgruppen. Le commando « 1005 » reçoit la mission de rouvrir les tombes et de brûler deux millions de cadavres. Mais ce travail est imparfaitement accompli pour de nombreuses raisons[92].

Les massacres par balles Ă  l'Est aprĂšs 1942

Encore en novembre 1943, pour dĂ©manteler l'empire Ă©conomique que son subordonnĂ© Odilo Globocnik s'est taillĂ© autour de Lublin grĂące Ă  la main-d'Ɠuvre juive asservie, Himmler ordonne le massacre de cette derniĂšre : en deux jours, plus de 40 000 Juifs (10 000 Ă  Trawniki, 15 000 Ă  Poniatowa et 17 000 ou 18 000 dans le camp principal de Lublin[93]) sont assassinĂ©s au cours de ce qui est connu comme l'opĂ©ration « FĂȘte des Moissons ».

Autres fusillades de Juifs en Europe occupée

La Pologne et les Balkans occupés ont vu de nombreux massacres de Juifs par fusillade, mais aussi par pendaison, noyade ou sévices exercés jusqu'à la mort. Les cas de la Roumanie, de la Serbie et de la Croatie sont décrits ci-aprÚs à la partie des cas particuliers de cet article.

En Europe de l'Ouest, la terreur nazie revĂȘt des formes moins amples et de tels dĂ©chaĂźnements publics de sauvagerie sont difficilement pensables. Les massacres collectifs de Juifs en plein air sont de ce fait restĂ©s rares ou inexistants. Cependant, les nombreux otages fusillĂ©s par les nazis sont souvent pris parmi les Juifs.

Serge Klarsfeld a ainsi établi que sur plus d'un millier d'otages assassinés au fort du Mont-Valérien, 174 étaient juifs[94]. Encore le , à Rillieux, le chef milicien Paul Touvier fait abattre arbitrairement sept Juifs pour venger[95] la mort de l'orateur collaborationniste Philippe Henriot, exécuté par la Résistance, le [96]. Des Juifs italiens figurent parmi les victimes du massacre des Fosses ardéatines à Rome en .

Les camps de concentration et d'extermination (1942-1945)

Du massacre à l'Est au génocide en Europe (automne 1941)

Fours crématoires dans le camp de concentration allemand de Weimar, avril 1945

L'Ă©limination physique s'Ă©tend au cours de l'automne 1941 aux Juifs allemands puis Ă  ceux de toute l'Europe occupĂ©e. C'est le passage dĂ©cisif d'un judĂ©ocide jusque-lĂ  localisĂ© en URSS Ă  un gĂ©nocide industriel planifiĂ© de l'ensemble du peuple juif et mis en Ɠuvre dans toute l'Europe occupĂ©e.

À partir de septembre - octobre 1941, des Juifs allemands sont Ă  leur tour dĂ©portĂ©s dans les ghettos mortifĂšres de l’Est, voire dans les zones de massacre en URSS. 80 convois partent ainsi du Reich avant fin 1941. Dans des conditions Ă©pouvantables, 72 trains acheminent leur chargement humain dans des ghettos oĂč les fusillades ont libĂ©rĂ© de la place (presque tous pĂ©riront gazĂ©s ou fusillĂ©s Ă  leur tour lors des liquidations de ghettos en 1942-1943). 8 autres voient leurs passagers liquidĂ©s dĂšs l'arrivĂ©e[97].

Ainsi le 15 octobre, prĂšs de 5 000 Juifs dĂ©portĂ©s de Berlin, Munich, Francfort, Vienne ou Breslau sont dĂ©portĂ©s en Lituanie et fusillĂ©s par les Einsatzgruppen dĂšs leur descente du train : le rapport JĂ€ger fait Ă©tat de leur exĂ©cution au fort IX de Kaunas les 25 et 29 novembre. Le 18 octobre, d'autres convois quittent Prague, Luxembourg ou Berlin. Tout le Grand-Reich est donc concernĂ©[98].

On bascule un peu plus du meurtre des Juifs d’URSS Ă  ceux de l’espace europĂ©en entier lorsque le 2 octobre, Heydrich laisse dynamiter six synagogues de Paris par les collaborationnistes doriotistes du PPF, avec des explosifs fournis par ses services, afin de bien montrer que la France ne sera plus jamais « la citadelle europĂ©enne des Juifs » et que ceux-ci doivent craindre pour leur vie partout en Europe occupĂ©e[99].

Le , Himmler interdit officiellement l’émigration des Juifs hors d'Europe. Ne reste donc plus ouverte que l’option de l'extermination. La mĂȘme annĂ©e, la construction de BeĆ‚ĆŒec est lancĂ©e ainsi que l'agrandissement du camp d'Auschwitz[100] - [101].

Le 7 dĂ©cembre, le premier camp d'extermination est ouvert Ă  CheƂmno en Pologne annexĂ©e[102] : de fusillades « artisanales », la tuerie passe Ă  l'Ă©chelle industrielle. Les victimes, emmenĂ©es de tout le Warthegau dirigĂ© par le fanatique gauleiter Arthur Greiser, sont enfermĂ©es dans des camions Ă  gaz oĂč elles meurent lentement asphyxiĂ©es par les fumĂ©es d'Ă©chappement, dirigĂ©es sur l'intĂ©rieur du vĂ©hicule. En sept mois, plus de 100 000 personnes trouvent ainsi la mort.

La conférence de Wannsee (20 janvier 1942)

ConvoquĂ©e par Reinhard Heydrich, le principal adjoint de Heinrich Himmler, cette confĂ©rence rĂ©unit alors les secrĂ©taires d'État des principaux ministĂšres. Himmler et Heydrich ont en effet besoin, pour la mise en Ɠuvre des dĂ©portations dans l'Europe entiĂšre, de la pleine coopĂ©ration de l'administration allemande. À cet Ă©gard, la Deutsche Reichsbahn, la sociĂ©tĂ© ferroviaire d’État, a jouĂ© un rĂŽle essentiel.

Statistiques des Juifs européens à déporter, dressées lors de la Conférence de Wannsee (musée de la Maison de la Conférence de Wannsee).

La confĂ©rence ne dĂ©cide pas du gĂ©nocide, la « solution finale de la question juive » (die Endlösung der Judenfrage) est dĂ©jĂ  activĂ©e bien avant mĂȘme le dĂ©but de la confĂ©rence de Wannsee, le (initialement prĂ©vue pour le mais reportĂ©e). L'ordre en a Ă©tĂ© donnĂ© en juillet 1941 par Hermann Göring Ă  Heydrich[103]. Chez les nazis, les questions ne se dĂ©cident nullement au cours de confĂ©rences. La seule question dont on discute — et qui ne sera d'ailleurs jamais tranchĂ©e — est celle des Mieschehe (Juifs Ă  conjoint aryen) et des Mischlinge (demi-Juifs). Le Protocole montre que la plus grande partie de la confĂ©rence a Ă©tĂ© consacrĂ©e Ă  cette question insoluble. L'autre grande question fut celle des Juifs allemands travaillant dans les usines d'armement, qui obtiennent un sursis Ă©phĂ©mĂšre Ă  la dĂ©portation[104].

Le procĂšs-verbal de la confĂ©rence, rĂ©digĂ© par Eichmann, ne laisse aucun doute sur le plan criminel d'extermination systĂ©matique. Plus de onze millions de Juifs de l'Europe entiĂšre (y compris les Juifs français, les Juifs britanniques, suisses ou portugais, inclus dans le dĂ©compte statistique Ă©tabli minutieusement par Eichmann) doivent ĂȘtre arrĂȘtĂ©s et « Ă©vacuĂ©s » vers l'Est oĂč ils trouveront la mort.

Ce document est capital aux historiens pour comprendre le processus de dĂ©cision, mĂȘme s'il a Ă©tĂ© Ă©purĂ© pour que rien de trop compromettant ne soit Ă©crit. DĂ©jĂ  les nazis recourent en effet Ă  tout un langage codĂ© spĂ©cifique qui leur servira Ă  dissimuler leurs crimes dans les annĂ©es suivantes : jusqu'Ă  la fin, la dĂ©portation-extermination des Juifs sera ainsi dĂ©signĂ©e par l'euphĂ©misme d’« Ă©vacuation », le gazage massif comme un « traitement spĂ©cial » (Sonderbehandlung), les dĂ©tenus livrĂ©s Ă  l'extermination par le travail comme des « piĂšces » (StĂŒck).

Grandes rafles et trains de la mort

Les Juifs sont arrĂȘtĂ©s dans de grandes rafles synchrones menĂ©es en Europe occidentale et enfermĂ©s dans des camps de transit (Drancy, Westerbork, Theresienstadt) dans l'attente de leur dĂ©portation vers l'est, tandis qu'en Pologne occupĂ©e les ghettos (Varsovie, Lodz, Cracovie, Lublin) sont progressivement vidĂ©s de leurs occupants en les dĂ©portant par trains entiers vers les centres d'extermination nouvellement construits. Dans les Ètats satellites (Serbie, GrĂšce, Slovaquie, Croatie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie), le ministĂšre des affaires Ă©trangĂšres par le biais des consuls et ambassadeurs y joue un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant en mettant en place les mesures prĂ©paratoires essentielles aux dĂ©portations de masse avec l'aide des reprĂ©sentants d'Adolf Eichmann sur place : dĂ©finitions, expropriations, concentration.

Rafle d'enfants conduits au train de déportation, Pologne.

Le processus est partout similaire. Les Juifs de tous ùges et de tout sexe sont traqués et raflés chez eux, sur leurs lieux de travail, et jusque dans des orphelinats, des hÎpitaux, des asiles d'aliénés ou des maisons de retraite. Beaucoup répondent simplement, surtout au début, aux convocations qui leur sont adressées, par peur, par légalisme, par absence d'alternative, ou dans l'ignorance de ce qui les attend.

Dans des conditions généralement trÚs sordides, hommes, femmes, enfants et vieillards sont parqués dans des lieux qui font office d'antichambre des camps de la mort nazis : Drancy en France, la caserne Dossin à Malines en Belgique, Westerbork aux Pays-Bas ou encore Fossoli en Italie sont parmi les plus célÚbres.

À TerezĂ­n, dans les SudĂštes, les nazis ouvrent mĂȘme le un camp-modĂšle destinĂ© Ă  berner (avec succĂšs) les reprĂ©sentants de la Croix-Rouge. Ce ghetto surpeuplĂ©, oĂč les familles ne sont pas disloquĂ©es ni le travail forcĂ© imposĂ©, offre des conditions de vie dures mais peu mortifĂšres, et relativement privilĂ©giĂ©es par rapport Ă  ce que les Juifs connaissent ailleurs. Mais la plupart des 140 000 personnes Ă  y avoir transitĂ©, en majoritĂ© des TchĂšques, ont ensuite Ă©tĂ© dĂ©portĂ©es pour Auschwitz oĂč elles seront assassinĂ©es, notamment lors de la liquidation du « camp des familles » en .

Conduits Ă  une gare, les dĂ©portĂ©s sont partout entassĂ©s brutalement dans des wagons Ă  bestiaux dĂ©libĂ©rĂ©ment surchargĂ©s, dans une promiscuitĂ© Ă©prouvante et des conditions sanitaires dĂ©gradantes, sans presque rien Ă  manger ni Ă  boire. L'angoisse est accrue par l'ignorance de la destination (PitchipoĂŻ, comme l'appellent les dĂ©tenus de Drancy) et l'incertitude quant Ă  ce qui attend Ă  l'arrivĂ©e, mĂȘme si peu imaginent la mise Ă  mort industrielle. Le voyage est Ă©pouvantable, et plus ou moins long (de quelques heures Ă  une ou deux journĂ©es pour les Juifs polonais, trois Ă  quatre jours en moyenne depuis la France, plus de deux semaines pour certains convois de GrĂšce). Il n'est pas rare que des dĂ©portĂ©s finissent par boire leur urine ou par lĂ©cher leur sueur. Certains meurent en route, d'autres deviennent fous ou se suicident (parfois collectivement). Rares sont ceux qui tentent une Ă©vasion, par peur des reprĂ©sailles collectives, par absence de lieu de refuge ou pour ne pas se sĂ©parer des leurs, enfin par ignorance de leur sort futur. Ce sont des ĂȘtres dĂ©jĂ  Ă©puisĂ©s et ravagĂ©s qui arrivent aux centres de mise Ă  mort.

Les compagnies ferroviaires nationales, dont la SNCF, n'ont jamais manifesté de réticences particuliÚres à faire circuler ces trains. Les frais des transports étaient payés sur les biens volés aux Juifs, qui se trouvaient ainsi financer leur propre envoi à la mort[alpha 13]. En revanche, rien ne prouve que les nazis aient systématiquement donné la priorité aux convois de déportation sur les convois militaires ou d'importance vitale pour le Reich.

Les convois (un millier de personnes en moyenne) sont intégralement gazés s'il s'agit d'un camp d'extermination. Dans les camps mixtes d'Auschwitz-Birkenau et de Maidanek, une minorité est désignée à l'arrivée pour le travail forcé et découvre brutalement l'horreur concentrationnaire. En général, l'extermination par le travail forcé ne leur laisse pas plus de quelques semaines ou de quelques mois à survivre. Ainsi, seuls 7 % des Juifs de France désignés pour le travail forcé ont vu la fin de la guerre.

De nombreux convois de Juifs d'Europe roulent dĂ©jĂ  vers les camps de la mort dĂšs les premiers mois de 1942. Au , 168 972 Juifs vivent en Allemagne, il n'en reste plus que 131 823 au et 51 257 au [105]. En Slovaquie, de mars Ă  , 75 000 des 90 000 Juifs du pays sont dĂ©jĂ  dĂ©portĂ©s sur ordre du gouvernement de Mgr Tiso, avant suspension des transports[106]. Ce sont des dĂ©portĂ©es slovaques qui sont les premiĂšres victimes Ă  l'Ă©tĂ© 1942 de la sĂ©lection instituĂ©e Ă  l'arrivĂ©e Ă  Auschwitz.

L'été 1942 est particuliÚrement fatidique, avec les grandes rafles de Juifs presque simultanées qui marquent l'Europe occupée.

Au cours de cet Ă©tĂ© 1942, en effet, 300 000 Juifs du ghetto de Varsovie sont dĂ©portĂ©s en masse au camp d'extermination de Treblinka et aussitĂŽt gazĂ©s. Le premier transport part de l’Umschlagplatz le 21 juillet.

Le , 1 135 Juifs d'Amsterdam convoquĂ©s « pour aller travailler en Allemagne » sont aussitĂŽt dĂ©portĂ©s les premiers Ă  Auschwitz. La cadence des rafles et des convois est telle que dĂšs , les Allemands proclament la capitale nĂ©erlandaise judenrein (libre de Juifs). Sur 120 000 Juifs hollandais, 105 000 ont Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s Ă  Auschwitz et Sobibor, dont 5 500 seulement ont survĂ©cu. La communautĂ© juive aux Pays-Bas, prĂ©sente dans le pays depuis le XVIIe siĂšcle, est la communautĂ© juive d'Europe occidentale la plus affectĂ©e par la Shoah, 75 % de cette derniĂšre ayant Ă©tĂ© exterminĂ©e.

Rafle de Juifs du 20 août 1941 à Paris.

Les 16 et 17 juillet, Ă  la demande des Allemands, les forces de l'ordre du rĂ©gime de Vichy arrĂȘtent 13 152 Juifs Ă©trangers au cours de la rafle du Vel' d'Hiv, parmi lesquels 3 031 hommes, 5 802 femmes et 4 051 enfants. InternĂ©s Ă  Pithiviers et Beaune-la-Rolande, ils sont pour l'essentiel dĂ©portĂ©s dans les deux mois qui suivent.

D'autres rafles et dĂ©portations sans retour ont lieu en zone nord dans les mĂȘmes temps. Le 15 juillet, 200 Juifs sont ainsi arrĂȘtĂ©s Ă  Tours, 66 Ă  Saint-Nazaire. À Angers, le Sipo-SD agissant seul en arrĂȘte 824 le . À Lille, le 15 septembre, 526 personnes sont dĂ©portĂ©es : 25 reviendront. À Bordeaux, le prĂ©fet rĂ©gional Sabatier et son secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral pour la Gironde Maurice Papon font partir le 18 juillet un premier convoi de 172 personnes : 10 autres suivront jusqu'au , totalisant 1 560 victimes.

Bien qu'aucun soldat allemand ne soit prĂ©sent en zone sud, le gouvernement français accepte, cas unique en Europe occupĂ©e, de livrer des Juifs qui y rĂ©sident, qu'ils soient puisĂ©s dans les trĂšs durs camps d'internement de Gurs, NoĂ©, RĂ©cĂ©bĂ©dou, Les Milles, ou bien qu'ils soient victimes de la grande rafle du perpĂ©trĂ© Ă  Lyon, Toulouse et autres grandes villes mĂ©ridionales (5 885 Juifs Ă©trangers arrĂȘtĂ©s et dĂ©portĂ©s). Entre le 6 aoĂ»t et le 15 septembre, 3 456 internĂ©s des camps et 913 travailleurs extraits de 18 GTE (groupements de travailleurs Ă©trangers) sont Ă©galement dĂ©portĂ©s Ă  Drancy puis Auschwitz[107].

À partir du 15 aoĂ»t, le SD commence Ă  rafler les Juifs d'Anvers avec la collaboration active des autoritĂ©s communales. À Bruxelles, oĂč le bourgmestre Jules Coelst a refusĂ© d'aider l'occupant, les rafles de septembre donnent des rĂ©sultats nettement moins satisfaisants. Les deux tiers des Juifs d'Anvers sont dĂ©portĂ©s, contre un tiers de ceux de Bruxelles[108].

Du 13 au 20 août, de trÚs nombreux Juifs croates sont déportés à Auschwitz par les collaborateurs oustachis[109].

ParticuliÚrement nombreuses donc en 1942, les rafles de Juifs continuent à intervalles réguliers dans pratiquement tous les pays d'Europe, jusqu'à la fin de l'occupation allemande ou de la guerre.

En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, les Juifs travaillant pour des entreprises allemandes (notamment dans l'armement) sont dĂ©portĂ©s en dernier, ainsi que les privilĂ©giĂ©s des Conseils juifs. En 1943-1944, les revers militaires et le besoin de main-d'Ɠuvre obligent les nazis Ă  mettre Ă  part un certain nombre de « Juifs de travail » (Arbeitsjuden) dans des camps de travail assez durs, mais oĂč leur mort n'est pas recherchĂ©e et leur dĂ©portation au moins retardĂ©e.

Les fusillades et les camions à gaz avaient permis dÚs 1941-1942 de déclarer les pays baltes et l'Ukraine judenrein (« nettoyés de juifs »). La cadence des rafles et des déportations est telle que dÚs 1943 les nazis peuvent déclarer judenrein Berlin le 19 juin, Salonique le 20 août, ou Amsterdam en septembre.

L'action Reinhardt : la liquidation par gazage des Juifs de Pologne (1942-1943)

DĂ©portation des Juifs du ghetto de Varsovie Ă  Treblinka depuis l’Umschlagplatz, 1942.

AprĂšs celui de BeĆ‚ĆŒec, le camp d'extermination de Sobibor est ouvert le , celui de Treblinka le 1er juillet, celui de Maidanek prĂšs de Lublin Ă  l'automne. Ils sont essentiellement destinĂ©s au gazage massif des Juifs de Pologne - mĂȘme si en raison d'une Ă©pidĂ©mie de typhus Ă  Auschwitz, 34 convois de Juifs hollandais ont Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©s sur Sobibor en 1943, et donc intĂ©gralement anĂ©antis, de mĂȘme que quatre convois de Juifs de France.

Ces camps ne servent qu'Ă  tuer, seuls quelques centaines de dĂ©portĂ©s sur des centaines de milliers Ă©taient « Ă©pargnĂ©s » pour aider en tant qu'esclaves au fonctionnement Ă©lĂ©mentaire du camp. Les victimes sont tuĂ©es au monoxyde de carbone (au zyklon B Ă  Maidanek) dans les chambres Ă  gaz oĂč elles sont conduites dĂšs leur descente de train.

Treblinka est surtout destinĂ© aux Juifs de Varsovie, Maidanek Ă  ceux de Lublin, BeĆ‚ĆŒec et Sobibor assumant le massacre industriel des Juifs des autres ghettos juifs du Gouvernement gĂ©nĂ©ral. Le but est de les exterminer systĂ©matiquement.

Liquidation du ghetto de Cracovie par les Allemands, .

Le , avec le premier convoi des Juifs de Lublin vers BeĆ‚ĆŒec dĂ©bute l’« Aktion Reinhardt »[110] dĂ©cidĂ©e le Ă  la confĂ©rence de Wannsee dans la banlieue de Berlin et qui aurait reçu ce nom en hommage Ă  Reinhard Heydrich, abattu par la rĂ©sistance tchĂšque fin . Elle va faire deux millions de victimes et signifier la mort de plus de 90 % de la communautĂ© juive de Pologne, jusque-lĂ  la premiĂšre du monde.

De ce fait, l'annĂ©e 1942 est de loin l'annĂ©e la plus meurtriĂšre dans les centres d'extermination (hors Auschwitz). Au , 1 449 000 ĂȘtres humains ont trouvĂ© la mort dans les camps Ă  monoxyde de carbone. À leur dĂ©mantĂšlement en 1943-1944, 1 750 000 personnes y auront en tout trouvĂ© la mort[111].

La centralité du camp d'Auschwitz-Birkenau (1942-1944)

À Auschwitz-Birkenau, l'emploi de zyklon B (qui tue 36 fois plus rapidement que le monoxyde de carbone) est testĂ© sur des prisonniers soviĂ©tiques dĂšs le . DĂ©but 1942, le commandant du camp, Rudolf HĂ¶ĂŸ, reçoit verbalement l'ordre de Himmler de faire du camp, idĂ©alement situĂ© Ă  un nƓud ferroviaire, le principal centre de l'extermination des Juifs dĂ©portĂ©s de toute l'Europe. Plusieurs Krematorium y sont construits, associant les chambres Ă  gaz Ă  des fours crĂ©matoires de grande capacitĂ© destinĂ©s Ă  faire disparaĂźtre les corps.

Une des entrées de Birkenau vue de l'intérieur du camp aprÚs la construction de la « rampe » intérieure en 1944. Auparavant, la « sélection » avait lieu à la descente des trains à l'extérieur du camp, à mi-chemin entre Auschwitz et Birkenau.

Le premier train de victimes françaises part ainsi pour Auschwitz le , le premier transport de Juifs de Salonique le , le premier de Rome le , cinq semaines aprÚs l'occupation de l'Italie, et le premier convoi de Hongrie le .

Avec le démantÚlement des autres camps d'extermination fin 1943, Auschwitz devient le principal lieu d'accomplissement du génocide. Sur plus d'un million de personnes qui y sont assassinées, 90 % sont juives, de tous les pays.

MĂȘme si seul un sixiĂšme des victimes de la Shoah y a trouvĂ© la mort, c'est donc Ă  bon droit qu’« Auschwitz » en est venu Ă  dĂ©signer par mĂ©tonymie l'ensemble du gĂ©nocide. D'autant que ce camp de concentration et d'extermination, le plus vaste de tous, a laissĂ© des vestiges importants et un certain nombre de survivants, au contraire des principaux camps d'extermination, dĂ©mantelĂ©s et rasĂ©s, qui ne comptent aucun survivant hors quelques Ă©vadĂ©s et miraculĂ©s (deux rescapĂ©s contre plus de 150 000 gazĂ©s Ă  Chelmno, quatre contre 650 000 morts Ă  BeĆ‚ĆŒec).

SĂ©lection de femmes et enfants juifs hongrois Ă  la descente du train, Auschwitz-Birkenau, mai 1944

À partir de , une « sĂ©lection » a lieu Ă  l'arrivĂ©e de chaque nouveau convoi de dĂ©portĂ©s. Sur un geste de la main des SS prĂ©posĂ©s au tri, les dĂ©portĂ©s valides sont rĂ©servĂ©s au travail forcĂ©. Ceux jugĂ©s inaptes au travail sont immĂ©diatement conduits Ă  la chambre Ă  gaz : bĂ©bĂ©s, enfants, vieillards, infirmes, femmes enceintes, personnes trop ĂągĂ©es, ou simplement celles qui portent des lunettes ou avouent exercer une profession intellectuelle voire un mĂ©tier non manuel.

Dans ses mĂ©moires, Rudolf Höss estime qu'au moins les trois quarts des dĂ©portĂ©s pĂ©rissaient dĂšs l'arrivĂ©e, dans la chambre Ă  gaz, dont la majoritĂ© des femmes, et la totalitĂ© des enfants, vieillards et handicapĂ©s. À l'en croire, plus de gens Ă©taient sĂ©lectionnĂ©s pour le gazage pendant l'hiver, oĂč le camp de concentration avait besoin de moins de main-d'Ɠuvre[112].

Franciszek Piper, historien du camp d'Auschwitz, estime que 65 % des dĂ©portĂ©s (soit 97 000 sur 150 000 Juifs occidentaux) ont Ă©tĂ© gazĂ©s Ă  l’arrivĂ©e. Il confirme la diffĂ©renciation sexuelle de la mise Ă  mort : 77,5 % des femmes et filles belges ont Ă©tĂ© gazĂ©es dĂšs l'arrivĂ©e, mais 51 % des hommes, soit 49 % d’hommes mis Ă  part et recensĂ©s par le service du travail (Arbeitstatistik) d’Auschwitz[113].

Panneau indiquant « Bain et désinfection I » à l'entrée de la chambre à gaz n° 1, camp de Majdanek

Selon Georges Wellers, sur 61 098 Juifs dĂ©portĂ©s de France entre les et , 78,5 % ont Ă©tĂ© gazĂ©s Ă  l’arrivĂ©e. Pour l'historienne Danuta Czech, 76,6 % des Juifs grecs ont dĂ» l’ĂȘtre aussi. Quant aux Juifs de Hollande, entre le et le , 57 convois de Westerbork ont apportĂ© 51 130 victimes, dont 18 408 ont Ă©tĂ© dĂ©signĂ©es aptes au travail, les 64 % autres gazĂ©es immĂ©diatement[114].

De façon perverse, les dĂ©portĂ©s sĂ©lectionnĂ©s sont conduits aux chambres Ă  gaz sur des paroles rassurantes et sont persuadĂ©s de se dĂ©shabiller et d'entrer dans la piĂšce pour y prendre une douche – mais Ă  la moindre tentative de rĂ©sistance ou au moindre doute, c'est avec la derniĂšre brutalitĂ© qu'ils sont forcĂ©s d'y entrer et de s'y entasser. Les victimes meurent en quelques minutes aprĂšs la fermeture des portes et la diffusion du gaz mortel. Celles qui se trouvent le plus prĂšs de l'endroit par oĂč sort le gaz pĂ©rissent les premiĂšres. Beaucoup sont gravement blessĂ©es ou meurent piĂ©tinĂ©es dans les bousculades vaines au cours desquelles les victimes cherchent gĂ©nĂ©ralement Ă  forcer les portes ou se disputent les coins oĂč il reste encore un peu d'air[115].

Chaussures récupérées par les nazis sur les déportés gazés, Maidanek.

Le Sonderkommando, composĂ© de dĂ©tenus en majoritĂ© juifs et pĂ©riodiquement liquidĂ©s, est chargĂ© d'incinĂ©rer les cadavres aprĂšs avoir rĂ©cupĂ©rĂ© les cheveux et les dents en or. La rĂ©duction des victimes en cendres aussitĂŽt dispersĂ©es traduit le souci des nazis de dissimuler les preuves de leur crime et symbolise leur volontĂ© d'effacer jusqu'Ă  la derniĂšre trace l'existence des Juifs sur la terre. Des centaines de trains conduisent dans le Reich les biens volĂ©s aux assassinĂ©s, aprĂšs stockage Ă  la section dite « Canada » du camp. Les cheveux des victimes sont utilisĂ©s pour faire des vĂȘtements. En revanche, la confection de savon, Ă  partir de la graisse humaine des incinĂ©rĂ©s est demeurĂ©e au stade expĂ©rimental, non Ă  Ă©chelle industrielle (nĂ©anmoins, Ă  Buchenwald, des abat-jours faits Ă  partir de peaux humaines ainsi que d'autres objets Ă  vocation scientifique comme des tĂȘtes rĂ©duites (Ă  la façon jivaro) ou des tĂȘtes de trĂšs jeunes enfants dans des bocaux de formol ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s[116]).

Enfin, la centralitĂ© symbolique du camp d'Auschwitz dans la mĂ©moire est complexe. D'une part, devenu la « mĂ©tonymie de toutes les victimes du nazisme », il est cependant une anomalie puisqu'il est le seul des lieux de l'extermination Ă  associer un camp de concentration au centre de mise Ă  mort. Il symbolise d'autre part le gĂ©nocide, alors que « le cƓur de la judaĂŻcitĂ© europĂ©enne, Juifs de Pologne et d'Union soviĂ©tique a Ă©tĂ© tuĂ© ailleurs »[117].

L'extermination des Juifs de Hongrie (1944)

L'industrie de la mort atteint son apogĂ©e Ă  Auschwitz avec la liquidation en des 67 000 derniĂšres victimes du ghetto de Lodz, le dernier subsistant encore en Pologne, et surtout avec la dĂ©portation en 56 jours de plus de 435 000 Juifs hongrois par Adolf Eichmann, du 15 mai au 8 juillet 1944. Plus du tiers des victimes juives d'Auschwitz sont hongroises.

La Hongrie connaissait un fort antisĂ©mitisme depuis la fin du XIXe siĂšcle, aggravĂ© par la participation de nombreux Juifs Ă  l'Ă©phĂ©mĂšre « RĂ©publique des conseils » fondĂ©e en 1919 par BĂ©la Kun. En , 3 000 IsraĂ©lites avaient trouvĂ© la mort dans les pogroms de la terreur blanche, et dĂšs 1920, MiklĂłs Horthy, rĂ©gent du Royaume de Hongrie, Ă©dictait la plus prĂ©coce lĂ©gislation antisĂ©mite d'Europe, radicalisĂ©e en 1938-1939 puis en 1941. Depuis 1939, la dĂ©finition lĂ©gale du Juif Ă©tait mĂȘme raciale, les 100 000 Juifs de confession catholique Ă©tant donc Ă©galement victimes des discriminations.

Geza Lajtos (1891-1945) et des coreligionnaires de Budapest lors d'une sélection sur la rampe devant un médecin SS, camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, mai 1944

À l'Ă©tĂ© 1941, Budapest fait dĂ©porter 18 000 Juifs de Hongrie « apatrides » en Ukraine, sur les arriĂšres du front russe. Les 27 et 28 aoĂ»t, plus de 10 000 d'entre eux sont exterminĂ©s par l'Einsatzgruppen C Ă  Kamianets-PodilskyĂŻ, premier massacre de Juifs Ă  atteindre les cinq chiffres, et Ă©tape-clĂ© dans le passage Ă  l'extermination Ă  grande Ă©chelle. Seuls 2 000 Ă  3 000 de ces premiers dĂ©portĂ©s hongrois survivent Ă  l'Ă©tĂ©. À la suite de cet Ă©pisode, le gouvernement suspend les expulsions en zone allemande. Mais l'armĂ©e hongroise exĂ©cute de son cĂŽtĂ© un millier de Juifs dans les territoires annexĂ©s Ă  la Serbie, et surtout, elle impose aux Juifs de Hongrie un « Service du travail » aux armĂ©es particuliĂšrement meurtrier : les victimes de ce service ne sont pas officiellement des dĂ©portĂ©s, et elles conservent par exemple leurs biens et leurs domiciles en leur absence, mais de fait, plus de 42 000 personnes emmenĂ©es ainsi travailler en Ukraine occupĂ©e y dĂ©cĂšdent dĂšs avant le tournant de mars 1944[118].

Certes, Ă  plusieurs reprises, le rĂ©gent Horthy se refuse Ă  Ă©liminer les Juifs de la vie du pays, pas plus qu'il n'accepte les demandes rĂ©pĂ©tĂ©es de Hitler de les dĂ©porter ou de leur faire porter l'Ă©toile jaune. La Hongrie fait de ce fait figure d'asile relatif dans l'Europe de la Shoah, certains Juifs venant mĂȘme y trouver refuge depuis des pays voisins. Bien que 63 000 Juifs hongrois et apatrides aient perdu la vie dĂšs avant mars 1944, tout ne change vraiment de façon brutale et radicale qu'avec l'irruption des troupes allemandes, appuyĂ©es par les collaborationnistes fascistes, les Croix flĂ©chĂ©es.

Files de Juifs (identifiés comme hongrois) descendus du train et conduits directement vers les chambres à gaz et crématoires 2 et 3 du camp d'extermination Auschwitz-Birkenau, 27 mai 1944

Le , en effet, les nazis envahissent leur alliĂ© hongrois, qui songe Ă  virer de bord Ă  l'approche de l'ArmĂ©e rouge. Le nouveau premier ministre, Döme SztĂłjay, collabore pleinement avec les Allemands. Le processus de concentration et de dĂ©portation des Juifs s'y rĂ©pĂšte sur le mĂȘme schĂ©ma qu'ailleurs depuis 1939 mais de maniĂšre particuliĂšrement accĂ©lĂ©rĂ©e : Ă©toile jaune obligatoire, constitution de conseils juifs, enfermement en ghettos, puis dĂ©portations. Celles-ci ne concernent que les Juifs des provinces et de la banlieue de Budapest, ceux de la capitale restant pour le moment Ă©pargnĂ©s.

Sur ces 435 000 Juifs provinciaux activement dĂ©portĂ©s du 15 mai au 8 juillet 1944, avec l'aide des forces de l'ordre hongroises, seuls 10 % ont Ă©tĂ© mis au travail forcĂ©, les autres Ă©tant exterminĂ©s Ă  l'arrivĂ©e Ă  Birkenau[119]. Pour accĂ©lĂ©rer la cadence de mise Ă  mort, en dĂ©rivation de la ligne principale un tronçon de voie ferrĂ©e est construit qui, une fois franchi le porche d'entrĂ©e en forme de tour entre dans le camp pour aboutir Ă  proximitĂ© immĂ©diate des chambres Ă  gaz. On amĂ©nage une rampe pour la descente des dĂ©portĂ©s et la sĂ©lection. Cette rampe deviendra l'un des symboles les plus connus d'Auschwitz et du gĂ©nocide. Les crĂ©matoires ne suffisant plus Ă  l'incinĂ©ration de tous les cadavres Ă  un rythme suffisant, des milliers d'entre eux sont brĂ»lĂ©s en plein air sur d'Ă©normes bĂ»chers. À cette pĂ©riode, Auschwitz reçoit jusqu'Ă  quatre trains quotidiens, et les opĂ©rations de mise Ă  mort par le Zyklon B tuent jusqu'Ă  10 000 personnes par jour.

L'amiral Horthy, qui avait autorisĂ© les transports dans un premier temps, retire son autorisation le 9 juillet, alors que des informations sur l'extermination parviennent en Hongrie et que le Vatican ou les États-Unis multiplient les pressions. SztĂłjay est limogĂ© par Horthy en aoĂ»t. Les dĂ©portations sont suspendues jusqu'au 15 octobre, alors que 150 000 Juifs demeurent encore domiciliĂ©s ou rĂ©fugiĂ©s Ă  Budapest, oĂč ils survivent tant bien que mal dans le ghetto, spoliĂ©s de tout. Entre mars et octobre 1944, par ailleurs, 150 000 Juifs sont encore envoyĂ©s au Service du travail sous l'Ă©gide de l'armĂ©e hongroise, dont seulement 20 000 reviendront[120].

Arrestation de Juifs de Budapest, octobre 1944

Le 15 octobre, Horthy est arrĂȘtĂ© par les nazis et remplacĂ© par les collaborationnistes des Croix flĂ©chĂ©es, qui instaurent un gouvernement fasciste hongrois. Sous la conduite de leur chef, le nouveau Premier Ministre Ferenc SzĂĄlasi, les Croix flĂ©chĂ©es relancent la persĂ©cution, et multiplient, sur place, les massacres dĂ©sordonnĂ©s de Juifs et les marches de la mort. Un certain nombre de Juifs restĂ©s Ă  Budapest sont sauvĂ©s par des protections diplomatiques, en particulier grĂące Ă  l'action de Raoul Wallenberg.

En 1941, 825 000 Juifs vivaient sur le territoire hongrois, dont 100 000 convertis ou chrĂ©tiens d'ascendance juive. 63 000 ont perdu la vie dĂšs avant le 19 mars 1944. AprĂšs cette date, 618 000 ont Ă©tĂ© victimes de la dĂ©portation Ă  Auschwitz, des marches de la mort ou de l'envoi au Service du Travail aux armĂ©es : 501 500 y ont perdu la vie. 116 500 Juifs de Hongrie sont revenus de dĂ©portation, 20 000 du Service du Travail, et 119 000 autres restĂ©s Ă  Budapest ont survĂ©cu[121]. Au total, si 225 000 Juifs de Hongrie ont survĂ©cu (soit 31 %), une proportion trĂšs forte Ă  l'Ă©chelle de l'Europe centrale et orientale, leur communautĂ© a perdu 569 507 membres dont 564 507 assassinĂ©s et 5 000 autres exilĂ©s.

L'extermination par le travail forcé

Les camps de concentration nazis ont été un enfer rarement égalé dans l'histoire humaine. Par un processus systématique et pervers de déshumanisation de leurs victimes, les SS et les kapo visaient à détruire leur personnalité et leur vie en un temps trÚs bref, au moyen de la sous-alimentation, des coups, de l'absence d'hygiÚne et du travail forcé.

« Le travail rend libre » : la devise cynique et ironique – tirĂ©e de l'Ɠuvre du philosophe allemand Hegel[122] – du portail du camp d'Auschwitz I.

Les traitements inhumains ne laissaient aux dĂ©portĂ©s qu'un laps trĂšs court Ă  vivre : en 1942, un dĂ©portĂ© d'Auschwitz a trois mois en moyenne d'espĂ©rance de survie. Sur quatre trains de plus de 1 000 Juifs tchĂšques chacun arrivĂ©s du 17 au 25 avril, et qui n'ont pas connu de sĂ©lection pour les gaz Ă  l'arrivĂ©e, on ne compte pourtant au 15 aoĂ»t que 182 survivants.

Raul Hilberg note que l'extermination par le travail, avec ses sommets de cruautĂ©, n'a cependant constituĂ© qu'une part rĂ©duite de la Shoah. MĂȘme Ă  Auschwitz, sur 200 000 internĂ©s juifs, il n’a Ă©tĂ© enregistrĂ© « que » 90 000 dĂ©cĂšs. L’extermination par le travail forcĂ© a donc dix fois moins tuĂ© que le gazage de 865 000 personnes dans le mĂȘme camp[123].

Esclaves du Reich Ă  Buchenwald.

SĂ©parĂ©s de leurs familles (souvent seuls survivants ou presque si les autres membres ont Ă©tĂ© dĂ©jĂ  tuĂ©s par gazage), les dĂ©portĂ©s juifs qui ont Ă©chappĂ© Ă  la premiĂšre sĂ©lection Ă  l'arrivĂ©e sont spoliĂ©s de tous leurs biens et de tout souvenir personnel, intĂ©gralement tondus, privĂ©s de leur nom et affublĂ©s d'un uniforme rayĂ© et d'un matricule par lequel ils seront seul appelĂ©s. Ils sont exploitĂ©s dans des usines de guerre au profit de la SS qui les « loue » aux entrepreneurs Ă  des prix dĂ©risoires : c'est ainsi que le gĂ©ant chimique IG Farben par exemple se compromet gravement dans l'exploitation des dĂ©portĂ©s d'Auschwitz. Ils peuvent aussi ĂȘtre employĂ©s Ă  des travaux absurdement inutiles (creuser des trous rebouchĂ©s chaque soir, porter et rapporter des pierres d'un endroit Ă  l'autre
). Ils sont exposĂ©s Ă  la sous-alimentation systĂ©matique et aux traitements sauvages de kapos souvent recrutĂ©s parmi les criminels de droit commun.

Ceux qui faiblissent deviennent des « musulmans »[124], exposés à la liquidation par les médecins SS au Revier (infirmerie) du camp ou à la sélection pour la chambre à gaz.

Les rares survivants (en gĂ©nĂ©ral ceux qui ont Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s dans les derniers, Ă  un moment oĂč le Reich en pĂ©ril prolonge un peu plus la vie de sa main-d'Ɠuvre servile) doivent pour s'en sortir s'endurcir moralement, passer inaperçus, avoir beaucoup de chance, travailler dans des kommandos moins pĂ©nibles et moins pĂ©rilleux.

Les marches de la mort (1945)

Les derniers gazages ont lieu fin Ă  Auschwitz, alors que les nazis aux abois commencent Ă  dĂ©truire les installations et les preuves du gĂ©nocide. L'extermination ne s'arrĂȘte pas pour autant. Ainsi Ă  partir du , Adolf Eichmann soumet des dizaines de milliers de Juifs hongrois Ă  une « marche de la mort » Ă©prouvante de Budapest Ă  la frontiĂšre du Reich.

Le , un peu moins de 60 000 survivants d'Auschwitz sont Ă©vacuĂ©s Ă  pied vers l'Allemagne Ă  l'approche des SoviĂ©tiques. L'Ă©vacuation est gĂ©nĂ©ralement dĂ©peinte par les survivants comme l'un de leurs pires souvenirs de dĂ©portation : sans vĂȘtements ni chaussures appropriĂ©s dans l'hiver trĂšs rigoureux, Ă©puisĂ©s et sous-alimentĂ©s, ils doivent marcher jusqu'Ă  plusieurs dizaines de kilomĂštres par jour. Ceux qui ne peuvent plus suivre sont abattus immĂ©diatement par l'escorte SS. D'autres dĂ©tenus sont aussi entassĂ©s dans des trains qui les transfĂšrent d'un camp Ă  un autre au prix d'une mortalitĂ© considĂ©rable.

À RavensbrĂŒck, Dachau ou Bergen-Belsen, oĂč Ă©chouent nombre d'anciens dĂ©tenus d'Auschwitz Ă  bout de force, l'Ă©pidĂ©mie de typhus provoque une hĂ©catombe. La maladie emporte notamment Anne Frank le Ă  Bergen-Belsen. En avril, Ă  l'approche des AlliĂ©s, de nouvelles marches de la mort et de nouveaux trains meurtriers Ă©vacuent les dĂ©portĂ©s.

En tout, de janvier Ă  , « autour de 250 000 Juifs moururent d'Ă©puisement ou de froid au cours de ces marches, quand ils ne furent pas abattus sur place ou brĂ»lĂ©s vifs[125] ».

Ce sont des survivants hagards et traumatisés, ainsi que des monceaux de cadavres squelettiques, que découvrent généralement des soldats alliés incrédules. 40 % des Juifs libérés seraient morts dans les semaines suivantes : « leur état sortait du domaine de compétence de la médecine occidentale[126] ». Avec les tonnes de biens volés aux Juifs assassinés, les fours crématoires ou les vestiges des chambres à gaz, le monde se retrouve en 1945 devant les preuves d'un crime de masse qui devait conduire au procÚs de Nuremberg à la naissance du concept de crime contre l'humanité.

Le cas de la Shoah en Roumanie

Le Pogrom de IaƟi : Juifs massacrĂ©s par l’armĂ©e roumaine Ă  Jassy, 26 juin 1941.
: la moitié des déportés du « Train de la mort » ne sont jamais parvenus en Transnistrie : « oubliés » dans une gare de triage, ils sont morts de soif, de chaleur et de faim, avant que leurs cris n'alertent des habitants.

Membre de l’Axe depuis octobre 1940, le rĂ©gime du dictateur Antonescu a refusĂ© de livrer les Juifs sous son autoritĂ© aux nazis, mais c’est pour mettre en Ɠuvre son propre plan d’extermination. La Roumanie abritait avant-guerre la troisiĂšme communautĂ© juive d'Europe, 780 000 personnes selon le recensement de , mais avec les cessions territoriales de 1940, environ 420 000 Juifs sont devenus Hongrois ou SoviĂ©tiques : parmi ces derniers, environ 120 000 autres retombent sous domination roumaine de 1941 Ă  1944 et, accusĂ©s en bloc d’avoir soutenu l'URSS, seront les premiers des 220 000 Juifs victimes de la Shoah roumaine, nombre qui met le rĂ©gime Antonescu au second rang des bourreaux de la Shoah aprĂšs les nazis et devant les Oustachis croates.

La Roumanie avait naturalisĂ© tous ses Juifs, qu’ils fussent ou non roumanophones, lors des rĂ©formes dĂ©mocratiques de 1919 (qui avaient aussi donnĂ© le droit de vote aux femmes), mais aprĂšs la grande dĂ©pression des annĂ©es 1930, la xĂ©nophobie antisĂ©mite s’y Ă©tait dĂ©veloppĂ©e Ă  travers la montĂ©e en puissance du parti nazi local d’Andreas Schmidt et de la Garde de fer de Korneliusz Zielinski. Peu avant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement, menacĂ© par ces mouvements, entreprend une politique antisĂ©mite, excluant les Juifs des chemins de fer, imposant des quotas dans l’encadrement industriel et les universitĂ©s, et rĂ©voquant une partie des fonctionnaires de confession israĂ©lite, mais il entreprend, en mĂȘme temps, de rĂ©primer militairement la Garde de Fer, et un climat de guerre civile s’installe, durant lequel les membres de la Garde de Fer commettent des attentats et se livrent Ă  des pogroms[127]. Le , la persĂ©cution prend une dimension raciste : les « Marranes », juifs convertis au christianisme, sont considĂ©rĂ©s comme juifs au mĂȘme titre que les personnes de religion juive. Seuls les Juifs « calotesques » qui possĂ©daient la nationalitĂ© roumaine avant le , leurs descendants, les Juifs qui avaient combattu pendant la PremiĂšre Guerre mondiale (soit environ dix mille personnes) Ă©taient exemptĂ©s de ces discriminations[128].

En , les « lĂ©gionnaires » de la Garde de fer perpĂštrent un coup d’état et un pogrom sanglant Ă  Bucarest. 118 morts sont identifiĂ©s. Les cadavres sont atrocement mutilĂ©s[129]. AprĂšs l’invasion de l'URSS, l’armĂ©e roumaine, alliĂ©e de la Wehrmacht, participe activement au massacre de masse des Juifs. Le , l’armĂ©e, la gendarmerie et la police roumaines assassinent 7 000 Juifs Ă  Jassy.

La Transnistrie, une rĂ©gion d’extermination

Déportation des Juifs par l'armée roumaine, Transnistrie, 1941.

La Transnistrie, rĂ©gion ukrainienne de 42 200 km2 occupĂ©e par la Roumanie, est l’un des sinistres Ă©lĂ©ments de la gĂ©ographie de la Shoah : 217 757 Juifs (dont 130 000 de nationalitĂ© soviĂ©tique), 87 757 Roumains « indĂ©sirables » pour le rĂ©gime et 25 000 Roms y sont dĂ©portĂ©s. 139 957 Juifs et les deux tiers des Roms sont morts de froid, de privations et de typhus dans les camps de fortune dressĂ©s par les autoritĂ©s d’occupation roumaines[130], tels ceux de Bogdanovka, Domanivka et Akhmetchetka. Ils sont logĂ©s dans des conditions dĂ©plorables, entassĂ©s dans des ruines, des Ă©tables ou des porcheries. Ils souffrent de nombreuses maladies : la Croix-Rouge roumaine et la FĂ©dĂ©ration des communautĂ©s juives de Roumanie peinent Ă  alimenter et soigner ces masses de dĂ©portĂ©s, et ne peuvent empĂȘcher l’armĂ©e (qui les rançonne par ailleurs, manquant elle-mĂȘme d’intendance) d’en massacrer une partie entre dĂ©cembre 1941 et [131], mais, selon Otto Ohlendorf, responsable de l'Einsatzgruppe D, de « maniĂšre brouillonne, non professionnelle et inutilement sadique »[132].

Les massacres d'Odessa

Six jours aprĂšs l’entrĂ©e des troupes roumaines dans Odessa, qui devient capitale de la Transnistrie, un attentat tue le gĂ©nĂ©ral Glogojanu, commandant d’Odessa et 40 autres militaires[133]. Le soir mĂȘme, le gouvernement roumain ordonne des reprĂ©sailles implacables. AussitĂŽt, le nouveau commandant d’Odessa, le gĂ©nĂ©ral Trestioreanu, annonce qu’il va pendre les Juifs et les communistes sur les places publiques. Durant la nuit 5 000 personnes sont exĂ©cutĂ©es. Le 23 octobre, 19 000 Juifs sont exĂ©cutĂ©s et leurs cadavres arrosĂ©s d’essence et brĂ»lĂ©s[134]. Des milliers d’autres sont dĂ©tenus comme otages dans des entrepĂŽts Ă  la sortie de la ville. Le 24 octobre, ils sont transportĂ©s en dehors de la ville et fusillĂ©s devant des fossĂ©s anti-chars par groupes de 40 ou 50. L’opĂ©ration se rĂ©vĂ©lant trop lente, les 5 000 Juifs restants sont enfermĂ©s dans trois entrepĂŽts, mitraillĂ©s puis les entrepĂŽts sont incendiĂ©s. 40 000 Juifs sont ainsi tuĂ©s ce jour-lĂ [135]. Le 24 au soir, le marĂ©chal Antonescu demande que les otages qui ne sont pas encore morts connaissent les mĂȘmes souffrances que les Roumains morts dans l’explosion. Les victimes sont amenĂ©es dans un entrepĂŽt, fusillĂ©es. L’entrepĂŽt est dynamitĂ© le 25 octobre, jour de l’enterrement des Roumains victimes de l’attentat du [136]. Le premier novembre, la ville ne compte plus que 33 885 Juifs, essentiellement des femmes et des enfants enfermĂ©s dans le quartier de Moldoveanca, jadis chantĂ© par Isaac Babel et transformĂ© en ghetto[137]. Ces Juifs d’Odessa et de sa pĂ©riphĂ©rie sont ensuite dĂ©portĂ©s Ă  leur tour vers les camps de Bogdanovka, Domanivka et Akhmetchetka[131].

Reste du pays

Environ 369 000 Juifs vivaient dans les frontiĂšres roumaines de 1940 et avaient conservĂ© leur nationalitĂ© roumaine : le gouvernement d’Antonescu envisageait de les dĂ©porter intĂ©gralement, mais y renonça Ă  contre-cƓur sur les insistances de Wilhelm Filderman et des cercles humanistes auprĂšs du dictateur, mais surtout pour des raisons cyniquement Ă©conomiques : il Ă©tait plus rentable pour le rĂ©gime de rançonner les Juifs en partance pour l’exil (vers la Turquie neutre, via la Bulgarie) grĂące Ă  l’organisation bucarestoise « Alya » dirigĂ©e par Eugen Meissner et Samuel Leibovici, que d’organiser leur dĂ©portation[138].

En aoĂ»t 1941, un « service du travail public » fut crĂ©Ă© pour obliger les juifs roumains Ă  effectuer des travaux de voirie et de terrassement Ă  la place des employĂ©s mobilisĂ©s. Ils n’y portaient pas d’étoile jaune, mais un brassard[139]. Toute absence ou retard sans motif valable Ă©tait puni, pour l’intĂ©ressĂ© et sa famille, par la dĂ©portation en Transnistrie, qui concerna 80 000 d’entre eux : beaucoup y pĂ©rirent de maladies ou de froid. Wilhelm Filderman, bien qu’ami de jeunesse du dictateur, n’y Ă©chappa pas non plus[138].

En mars 1944, l’ArmĂ©e rouge des gĂ©nĂ©raux Rodion Malinovski et Fiodor Tolboukhine libĂšre la Transnistrie et les survivants de la Shoah roumaine. Le , alors que le rĂ©gime fasciste est renversĂ© et que la Roumanie rejoint les AlliĂ©s, les journaux de Bucarest annoncent que le nouveau gouvernement de Constantin Sănătescu abroge toute la lĂ©gislation antisĂ©mite[139].

Le comportement des Juifs pendant la Shoah

Raul Hilberg et Hannah Arendt en particulier ont voulu Ă©clairer la responsabilitĂ© des victimes elles-mĂȘmes, qui souvent, par leur attitude passive et soumise, ont facilitĂ© la tĂąche des bourreaux[103]. Ainsi, la mise Ă  mort de 1,5 million de Juifs soviĂ©tiques n'a pas coĂ»tĂ© ne serait-ce qu'un seul blessĂ© aux bourreaux, de mĂȘme que par exemple, 300 000 Juifs du ghetto de Varsovie ont Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s sans heurts et sans rĂ©sistance Ă  Treblinka Ă  l'Ă©tĂ© 1942. Mais ce mĂȘme ghetto se soulĂšvera en avril 1943 et opposera aux troupes nazies une rĂ©sistance hĂ©roĂŻque. La question de la « collaboration » de certains Juifs Ă  la dĂ©portation de leur propre peuple a Ă©galement suscitĂ© dĂšs l'Ă©poque de dures divisions au sein mĂȘme des victimes, et des controverses douloureuses aprĂšs la guerre.

Vivre et mourir au temps de la Catastrophe

Les Juifs pensent avant tout à survivre et notamment à se nourrir. Ils connaissent en permanence la peur et la terreur. Chassés de leurs emplois voire de leurs domiciles, privés de tous leurs droits et de leurs moyens de subsistance par l'aryanisation et les lois antisémites, ils sont exclus de toute vie normale par un arsenal sans cesse plus complet d'interdits les plus mesquins.

Ils ne peuvent par exemple emprunter certaines rues ni sortir de leur ghetto quand il en existe un, ils ne peuvent pĂ©nĂ©trer dans certains magasins ni faire jouer leurs enfants dans les jardins publics, ils ne peuvent faire les courses qu'Ă  certaines heures dĂ©favorables, ils sont astreints Ă  des travaux forcĂ©s humiliants (balayer les rues, faire des terrassements, etc.), ils ne peuvent possĂ©der de radio ni de bicyclette, ils doivent monter Ă  l'arriĂšre des tramways et des mĂ©tros (quand ils peuvent encore les emprunter), parfois ils ne sont mĂȘme pas autorisĂ©s Ă  s'asseoir sur les bancs publics ou Ă  utiliser les cabines tĂ©lĂ©phoniques.

Reconstitution de l'accĂšs Ă  la cachette d'Anne Frank Ă  Amsterdam.

Lorsqu'ils se cachent, c'est dans des conditions plus ou moins difficiles, plus ou moins prĂ©caires. Certains survivent jusqu'Ă  des annĂ©es dans des caves, des piĂšces cachĂ©es ou des greniers Ă©troits, ou encore dans des forĂȘts. VisitĂ©e aujourd'hui par des millions de personnes, « l'Annexe », oĂč 8 personnes dont Anne Frank vĂ©curent cachĂ©s deux ans, est en fait relativement confortable par comparaison avec le lot commun de la plupart des Juifs camouflĂ©s.

Dans des conditions tragiques, les ghettos ont lutté pour maintenir jusqu'au bout une vie culturelle, musicale et artistique riche et remarquable.

Conscients que leur communautĂ© Ă©tait vouĂ©e Ă  l'anĂ©antissement total et que nul ne pourrait tĂ©moigner un jour de leur sort, des archivistes comme Emanuel Ringelblum Ă  Varsovie ont partout tenu chronique de la vie des ghettos, et enterrĂ© rĂ©guliĂšrement des documents et des objets relatifs au quotidien des futurs assassinĂ©s. De nombreux Juifs d'Europe occupĂ©e tenaient des journaux au cƓur de la persĂ©cution, telles Ă  Paris HĂ©lĂšne Berr, ou Ă  Amsterdam la jeune Anne Frank, ou encore Etty Hillesum, connue pour la haute spiritualitĂ© qu'elle dĂ©veloppa dans l'Ă©preuve. Le Centre de documentation juive contemporaine et le Conseil reprĂ©sentatif des institutions juives de France ont Ă©tĂ© fondĂ©s en 1943 en pleine clandestinitĂ©.

Sous le RĂ©gime de Vichy notamment, le lĂ©galisme, l’obĂ©issance traditionnelle Ă  l’autoritĂ© et le dĂ©sir de se montrer bons citoyens ont poussĂ© beaucoup de Juifs Ă  se soumettre aux lois discriminatoires, et Ă  se laisser recenser. Le port de l’étoile jaune est imposĂ© en zone occupĂ©e par les Allemands et dans certaines villes du protectorat de Tunisie sous Vichy et occupĂ©e par le rĂ©gime nazi, par exemple Nabeul et Sfax, entre novembre 1942 et mai 1943[140], mais ne l'est pas en zone sud, administrĂ©e par le Gouvernement de Vichy. Beaucoup de futurs dĂ©portĂ©s croyaient impossible une trahison de leur propre gouvernement, espĂ©rant vainement jusqu’au bout qu’ils seraient protĂ©gĂ©s des Allemands par le prestigieux et charismatique marĂ©chal PĂ©tain. Le patriotisme voire le nationalisme de nombreux Juifs allemands n'avait pas moins freinĂ© l'Ă©migration hors du Reich avant-guerre.

MalgrĂ© les informations et les rumeurs contradictoires qui circulent rĂ©guliĂšrement sur les massacres, l'incertitude est complĂšte sur le destin final des Juifs, difficilement imaginable ou difficilement crĂ©dible, et alors que se mentir Ă  soi-mĂȘme est parfois tout simplement nĂ©cessaire Ă  la survie psychique. Il n'est pas rare que l'on refuse de croire aux fusillades de masses ou aux gazages mĂȘme en Pologne alors qu'ils se tiennent Ă  quelques dizaines de kilomĂštres de lĂ . MĂȘme l'arrivĂ©e Ă  Auschwitz ne suffit pas toujours Ă  en dessiller certains.

Les nazis savent en outre duper leurs victimes jusqu'aux derniers instants. À l'arrivĂ©e Ă  Treblinka, l'illusion d'une gare normale est entretenue aussi par la prĂ©sence d'un faux guichet, d'une pancarte « destination Byalistock » et d'une fausse horloge dont les aiguilles sont peintes. À Auschwitz, certaines chambres Ă  gaz ont Ă©tĂ© ornĂ©es un temps de faux pommeaux de douche.

DerniÚre lettre d'une Italienne juive, jetée du train pour Auschwitz.

Beaucoup de Juifs périssent aussi parce qu'ils refusent en connaissance de cause de se séparer de leurs familles, ou parce qu'ils veulent partager le sort de leurs amis, de leur communauté, de leur peuple.

Ainsi, malgrĂ© l'avertissement que constitue le massacre de 14 000 Juifs Ă  Riga le , le grand historien Simon Dubnow refuse de se cacher, et fait partie des 27 000 autres Juifs de la ville assassinĂ©s le . À Varsovie, le Dr Janusz Korczak, que sa renommĂ©e mondiale mettait Ă  l'abri, part volontairement avec les enfants de son orphelinat et meurt avec eux dans les chambres Ă  gaz de Treblinka ().

Le chantage n'était pas non plus absent des refus de chercher à s'échapper. Les lettres écrites par Etty Hillesum depuis Westerbork, l'antichambre néerlandaise d'Auschwitz, décrivent comment les candidats à l'évasion étaient découragés par les chefs juifs du camp qui les accusaient de mettre égoïstement en danger la vie d'autres qui seraient déportés à leur place.

Lors de la « Shoah par balles »

Étudiant le comportement des Juifs lors de l'invasion allemande de l'URSS en 1941, Raul Hilberg note que les Juifs ne sont pas prĂ©parĂ©s Ă  se battre contre les Allemands, ni mĂȘme Ă  fuir. Les autoritĂ©s soviĂ©tiques ont Ă©vacuĂ© toutes les personnes des zones menacĂ©es nĂ©cessaires Ă  l'Ă©conomie du pays. Beaucoup de Juifs figurent parmi elles, ou parmi les mobilisĂ©s de l'ArmĂ©e rouge. Par contre, les moins formĂ©s, les plus fragiles, les vieillards, les femmes, les enfants, doivent se dĂ©brouiller par eux-mĂȘmes[141]. Or ces Juifs n'ont pas Ă©tĂ© informĂ©s de ce qui se passait pour les Juifs dans l'Europe occupĂ©e. Ils ne savent donc pas quels dangers les menacent[142].

Les Einsatzgruppen ont tĂŽt fait de repĂ©rer les faiblesses de leurs proies. Ils ne se gĂȘnent pas pour utiliser les Juifs afin de mener Ă  bien leurs traques. À Vinnitsa, le chef de l'Einsatzgruppe utilise le rabbin de la communautĂ©. Il lui demande de rĂ©unir les Juifs de la ville Ă  des fins d'enregistrement. AprĂšs la rĂ©union de tous les Juifs, il les fait fusiller[143]. Ailleurs des affiches sont collĂ©es pour rassembler les Juifs Ă  des fins de « rĂ©installation ». Beaucoup de Juifs qui s'Ă©taient enfuis dans les campagnes avant l'arrivĂ©e des nazis, sont obligĂ©s de revenir chez eux parce qu'ils ne trouvent aucune aide et aucun refuge. LĂ , ils sont pris et tuĂ©s[144].

Raul Hilberg souligne aussi que dans les actions de l’Einsatzgruppe, il y a en gĂ©nĂ©ral, entre dix et cinquante victimes par tueur. Mais ces tueurs sont bien armĂ©s et dĂ©cidĂ©s. Les Juifs ne peuvent pas exploiter leur supĂ©rioritĂ© numĂ©rique[145]. Les Juifs dĂ©sorientĂ©s, sont habituĂ©s Ă  obĂ©ir. Les exĂ©cutions menĂ©es par les Einsatzgruppen ne coĂ»tent pas une seule vie aux Allemands[78].

Le rÎle controversé des conseils juifs

DĂšs l'Ă©poque, puis surtout dans les annĂ©es 1960-1970, de dures controverses ont entourĂ© le rĂŽle des conseils juifs (JĂŒdenrate) installĂ©s sur une idĂ©e d'Eichmann Ă  la tĂȘte de tous les ghettos d'Europe, ainsi que celui des forces de polices juives agissant sur leurs ordres. Les associations obligatoires crĂ©Ă©es sur ordre des nazis pour organiser les communautĂ©s des pays occupĂ©s (l'Union gĂ©nĂ©rale des israĂ©lites de France, l'Association des Juifs en Belgique) ont pareillement Ă©tĂ© accusĂ©es d'avoir servi de relais aux nazis.

Il a existĂ© en Europe environ un millier de JĂŒdenrate, dont quelque 10 000 personnes ont Ă©tĂ© membres[146].

D'une collaboration d'abord purement technique et administrative, beaucoup de conseils sont passĂ©s Ă  une collaboration Ă  la dĂ©portation en elle-mĂȘme, par illusion qu'une politique de concessions permettrait de sauver « l'essentiel » en sacrifiant une partie des leurs, mais aussi, Ă  terme, pour sauvegarder leurs positions de pouvoir et leurs privilĂšges, ou tout simplement pour sauver leur propre vie et celle de leurs protĂ©gĂ©s en dĂ©montrant leur bonne volontĂ© et leur efficacitĂ©.

HĂ©ritage de siĂšcles de persĂ©cutions, beaucoup de Juifs avaient plus l’habitude de nĂ©gocier et de plier l'Ă©chine silencieusement que de se battre. En Russie et en Pologne, les pogroms du passĂ© leur avaient dĂ©montrĂ© leur isolement dans une sociĂ©tĂ© trĂšs antisĂ©mite, et ces violences ne tournaient au meurtre que s'il y avait tentative de rĂ©sistance. Le passĂ© avait aussi habituĂ© les notables juifs Ă  chercher Ă  sauver « l'essentiel » tout en attendant la fin de l'orage, les plus cruelles persĂ©cutions ayant toujours eu une fin. Il n'Ă©tait guĂšre facile de soupçonner voire de penser qu'ils Ă©taient cette fois face Ă  un ennemi rĂ©solu Ă  les dĂ©truire jusqu'au dernier.

Assez reprĂ©sentatif de ces illusions est le discours tenu Ă  Vilna par le responsable juif Jacob Gens : « Quand ils me demandent mille juifs, je les donne. Car si nous, les Juifs, nous ne donnons pas de notre propre grĂ©, les Allemands viendront et prendront ce qu’ils veulent par la force. Alors, ils ne prendront pas mille personnes, mais des milliers et des milliers. En en livrant des centaines, j’en sauve un millier. En en livrant un millier, j’en sauve dix mille[147]. »

En URSS, les reprĂ©sentants les plus courageux des communautĂ©s ont Ă©tĂ© liquidĂ©s avant mĂȘme l'arrivĂ©e des Allemands, qui achĂšvent de purger l'Ă©lite juive de ses reprĂ©sentants les moins dociles. Celle qui reste « tend Ă  ĂȘtre soumise, craintive et dĂ©latrice » (Paul Johnson)[147], d'autant que les responsables recevaient des privilĂšges alimentaires et matĂ©riels, et elle coopĂšre dĂšs lors aux recensements, aux spoliations, aux dĂ©portations.

Les polices allemande et juive gardent ensemble l'une des entrĂ©es du ghetto de ƁódĆș.

À Lodz en Pologne, le trĂšs controversĂ© Chaim Rumkowski se comporte en vĂ©ritable dictateur des quelque 200 000 Juifs entassĂ©s dans le ghetto, allant jusqu'Ă  faire imprimer un timbre Ă  son effigie. Il choisit d'emblĂ©e de mettre le ghetto au service de l'effort de guerre allemand, fournissant la main-d'Ɠuvre de 117 petites usines de textile fabriquant des uniformes pour la Wehrmacht. La police juive participe aux arrestations et aux dĂ©portations, des Juifs allant arrĂȘter ainsi leurs propres coreligionnaires, parfois sans mĂ©nagement, et traquant ceux qui se cachaient ou se montraient rĂ©fractaires au dĂ©part. VidĂ© progressivement par les dĂ©portations, le ghetto de Lodz survit toutefois jusqu'Ă  aussi tard qu'. Rumkowski et sa famille furent dĂ©portĂ©s dans le dernier convoi, et l’homme fut peut-ĂȘtre tuĂ© par les dĂ©portĂ©s eux-mĂȘmes pendant le trajet[148].

De mĂȘme, le conseil juif d'Amsterdam fut dĂ©portĂ© en dernier une fois la ville « nettoyĂ©e » de tous ses Juifs.

Tous les conseils juifs n'ont pas acceptĂ© de se compromettre. Le , le JĂŒdenrat du ghetto de Tarnopol refuse ainsi de participer Ă  l'organisation des transports vers les camps. À Minsk et Ă  BiaƂystok, les conseils sont mĂȘme trĂšs proches de la RĂ©sistance juive et agissent en symbiose avec elle[149].

Symbole de l'impasse tragique oĂč se sont retrouvĂ©s beaucoup d'entre eux, le doyen du ghetto de Varsovie, Adam CzerniakĂłw, se donne la mort en pour ne pas devoir collaborer Ă  la dĂ©portation d'enfants et de vieillards. Son geste n'empĂȘchera pas les nazis de vider le ghetto de 300 000 de ses habitants dans les semaines suivantes.

Juifs dans la Résistance, résistances juives et révoltes armées

Tous les Juifs n'ont pas passivement acceptĂ© leur destin. Un certain nombre se sont suicidĂ©s, parfois par familles entiĂšres, plutĂŽt que de se laisser dĂ©porter. Des Juifs ont refusĂ© d'embarquer lors de transports, ainsi Ă  Przemyƛl, Ă  BiaƂystok, etc. En gĂ©nĂ©ral, ils l'ont payĂ© aussitĂŽt de leur vie[150].

RĂ©sistantes du ghetto de Varsovie insurgĂ© : de gauche Ă  droite, Bluma Wyszogrodzka, Rachela Wyszogrodzka et MaƂka Zdrojewicz.

Au rebours des légendes antisémites sur la « lùcheté juive », les israélites sont surreprésentés dans les mouvements de la Résistance intérieure et extérieure, et ce à travers toute l'Europe occupée. Ainsi, les Juifs de France comptent pour 5 % des compagnons de la Libération, alors qu'ils sont moins de 1 % de la population. Des milliers ont laissé la vie dans les Résistances de chaque pays.

Toutefois, surtout en Occident, beaucoup de ces rĂ©sistants juifs sont des « assimilĂ©s » qui ne se considĂšrent pas ou plus comme juifs, et qui ne rĂ©sistent pas en tant que Juifs. De ce fait, ils se refusent frĂ©quemment Ă  porter une attention particuliĂšre au sort des Juifs, de crainte d'ĂȘtre accusĂ©s de privilĂ©gier un groupe de victimes par rapport aux autres, et de ne se soucier que de leurs coreligionnaires. GĂ©nĂ©ralement, ils ont cru qu'il fallait avant tout se prĂ©occuper de gagner la guerre, et que la victoire arrĂȘterait la persĂ©cution et ferait revenir les dĂ©portĂ©s. Ils n'ont pas eu conscience de l'anĂ©antissement spĂ©cifique - et difficilement imaginable - qui attendait leur propre peuple.

Une Résistance spécifiquement juive a aussi existé, mais elle n'a pas nécessairement non plus fait pour autant de la lutte contre la déportation une priorité. Ainsi les bataillons juifs de la MOI en France, liés au PCF, se sont-ils avant tout investis dans le sabotage ou les attentats contre les forces d'occupation.

La rĂ©sistance armĂ©e juive notamment en Europe de l'Est se heurte Ă  d'importants obstacles structurels. DĂ©pourvus d'expĂ©rience des armes par des siĂšcles de discrimination, la plupart des Juifs ignorent leur usage, ni ne peuvent souvent se rĂ©soudre Ă  briser le tabou culturel et religieux de la violence. Le fatalisme d'inspiration religieuse a parfois pu jouer son rĂŽle. Les Ă©lĂ©ments les plus susceptibles de se battre ont Ă©migrĂ© en Palestine avant-guerre ou, en URSS, sont mobilisĂ©s dans l'ArmĂ©e rouge. Les armes sont extrĂȘmement difficiles Ă  se procurer. On ne peut souvent escompter de l'aide de mouvements de rĂ©sistance locaux, pas toujours exempts eux-mĂȘmes de prĂ©jugĂ©s voire de violences antisĂ©mites. La terreur permanente fait que beaucoup prĂ©fĂšrent nĂ©gocier ou plier l'Ă©chine que tenter une lutte isolĂ©e, sans espoir, radicalement inĂ©gale, qui prĂ©cipiterait des reprĂ©sailles meurtriĂšres. La grande majoritĂ© des Juifs cherche d'abord Ă  survivre et Ă  se nourrir. Enfin, les divisions politiques, sociales et religieuses traditionnellement vivaces au sein des communautĂ©s n'arrangent rien.

Ceci n'empĂȘche pas les initiatives individuelles ou portĂ©es par de petits groupes de militants juifs. Ainsi, en Belgique, en Robert Holzinger, l'un des directeurs de l'Association des Juifs en Belgique est abattu en rue par trois membres de la compagnie juive du Corps mobile des partisans[151]. Ils revendiquent l'attentat en ces termes « Le chef de l'Association juive qui n'avait pas hĂ©sitĂ© Ă  coopĂ©rer avec l'occupant pour martyriser ses concitoyens juifs a payĂ© sa trahison. Un bras vengeur l'a abattu en rue. »[151]. Le , le XXe convoi de la dĂ©portation des Juifs de Belgique est arraisonnĂ© par Youra Livchitz, un jeune mĂ©decin juif aidĂ© de deux complices[152]. Toujours en Belgique, la section enfance du ComitĂ© de dĂ©fense des Juifs organise, avec l'aide de Office de la naissance et de l'enfance et d'un rĂ©seau catholique, le sauvetage de plus de 4 000 enfants qui seront soustraits aux plans d'extermination nazis en Ă©tant placĂ©s dans des familles ou des foyers d'accueil[153].

En Europe de l'Est, dans les ghettos, la rĂ©sistance finit cependant par s'organiser : c'est le cas en URSS Ă  Riga, Ă  Kaunas, et mĂȘme Ă  Vilnius. DĂšs , l'Organisation des combattants de Minsk rejoint les rangs des premiers partisans soviĂ©tiques. Un soulĂšvement armĂ© est signalĂ© dĂšs le Ă  Nesvizh en BiĂ©lorussie, et plusieurs autres ghettos se rĂ©voltent Ă©galement cet Ă©tĂ©-lĂ . En gĂ©nĂ©ral, ces soulĂšvements s'accompagnent de fuites de masse, mais la plupart sont rattrapĂ©s et tuĂ©s. À l'intĂ©rieur mĂȘme du ghetto de Kaunas (Kovno), une vĂ©ritable guĂ©rilla permanente sĂ©vit contre les Allemands.

À Varsovie, les dĂ©bats sont rudes entre ceux qui jugent toute rĂ©sistance armĂ©e suicidaire, et ceux qui veulent tĂ©moigner au monde et Ă  la postĂ©ritĂ© que les Juifs ne se sont pas laissĂ©s exterminer sans combat. Le est fondĂ©e l’Organisation juive de combat qui, fait exceptionnel, parvient Ă  regrouper aussi bien les sionistes que les communistes et les bundistes, seuls les sionistes « rĂ©visionnistes » (de droite) faisant encore bande Ă  part.

Soldats nazis lors de la répression du soulÚvement du ghetto de Varsovie (avril 1943).

Alors que sur plus de 500 000 habitants initiaux du ghetto, il n'en reste que moins de 90 000 au printemps 1943, un millier de combattants sous les ordres du jeune et charismatique Mordechaj Anielewicz dĂ©clenchent le le soulĂšvement du ghetto de Varsovie. Sans illusions sur la fin qui les attend tous, ils entendent explicitement dĂ©montrer Ă  la postĂ©ritĂ© qu'une rĂ©sistance juive a existĂ©. De fait, Ă  la grande fureur de Hitler lui-mĂȘme, le ghetto insurgĂ© parvient Ă  tenir au moins cinq semaines contre les SS du gĂ©nĂ©ral JĂŒrgen Stroop. MalgrĂ© ses moyens dĂ©risoires, il n'est submergĂ© qu'aprĂšs une lutte acharnĂ©e, lĂ  oĂč des États europĂ©ens entiers avaient capitulĂ© sans combat ou avaient combattu moins longtemps.

Des rĂ©voltes armĂ©es ont aussi eu lieu en 1943 dans les ghettos de Sosnowiec, BiaƂystok, Częstochowa, TarnĂłw, Vilnius. Le Chant de Vilnius du poĂšte yiddish et chef partisan Aba Kovner est restĂ© l'hymne des rĂ©sistants juifs de la Shoah.

Les rĂ©voltes les plus improbables et les plus spectaculaires ont eu lieu au cƓur mĂȘme des centres d'extermination. Le , les dĂ©tenus de Treblinka se soulĂšvent et une partie parvient Ă  s'enfuir. L'Ă©pisode accĂ©lĂšre la dĂ©cision de dĂ©manteler ce centre de mise Ă  mort. L'Ă©vĂ©nement se reproduit le Ă  Sobibor, thĂ©Ăątre d'une rĂ©volte remarquablement bien prĂ©parĂ©e, synchronisĂ©e Ă  travers tout le camp. À Auschwitz-Birkenau, le , les dĂ©tenus du Sonderkommando chargĂ©s d'incinĂ©rer les gazĂ©s parviennent Ă  dynamiter le Krematorium no IV et abattent quelques gardiens avant d'ĂȘtre tous tuĂ©s.

Le destin des survivants aprĂšs 1945

Les Juifs rescapĂ©s n'ont pas seulement traversĂ© des Ă©preuves traumatisantes, qu'ils aient ou non subi la dĂ©portation. Ils ont gĂ©nĂ©ralement perdu leur famille, en totalitĂ© ou en partie. Souvent ils ont Ă©tĂ© dĂ©possĂ©dĂ©s sans pouvoir toujours retrouver leurs biens. À l'Est ou en Hollande, c'est pratiquement toute leur communautĂ© qui a Ă©tĂ© Ă©radiquĂ©e : leur monde mĂȘme n'existe plus, une culture et un univers ont disparu sans retour.

Émigration hors d'Europe

Si les survivants d'Europe occidentale sont gĂ©nĂ©ralement rentrĂ©s chez eux et y sont restĂ©s, il n'en est pas de mĂȘme pour ceux d'Europe de l'Est, dont pas grand monde ne veut, et qui se retrouvent en plus en butte Ă  la campagne antisĂ©mite qui se dĂ©veloppe dans le bloc communiste Ă  partir de 1948.

Les « DP » (Displaced Persons) juifs sont d’abord traitĂ©s comme les autres rĂ©fugiĂ©s et dĂ©placĂ©s, sans Ă©gards particulier pour la tragĂ©die qu'ils ont traversĂ©e. Ce qui veut dire qu'ils sont souvent mis dans les mĂȘmes camps que leurs anciens persĂ©cuteurs ukrainiens, baltes, russes, etc., du moins jusqu'en , oĂč le prĂ©sident amĂ©ricain Truman les fait mettre Ă  part.

Un certain nombre de survivants parviennent Ă  Ă©migrer aux États-Unis ou en Europe de l'Ouest. Cependant, si certains aident Ă  combler le besoin de bras, ceux des Juifs orientaux qui ont fait des Ă©tudes ou exercent une profession non-manuelle ne sont pas les bienvenus. Quant aux Britanniques, ils continuent Ă  fermer la Palestine Ă  l'Ă©migration juive, interceptant les clandestins pour les interner Ă  Chypre et Ă  Rhodes.

En 1947, le sort de l’Exodus choque l'opinion internationale : ce navire parti de SĂšte avec plus de 4 500 survivants est en effet refoulĂ© par les Britanniques, qui finissent par dĂ©barquer de force les passagers, de surcroĂźt dans un port allemand, indĂ©licatesse ultime.

Le scandale contribue en partie Ă  la dĂ©cision de l'ONU de partager la Palestine et d'autoriser la naissance d'un État juif, censĂ© servir notamment de refuge et de nouvelle patrie aux survivants. Entre 1948 et 1951, 332 000 Juifs europĂ©ens partent pour IsraĂ«l depuis les camps d'Allemagne ou l'Europe de l'Est. 165 000 autres iront en France, en Grande-Bretagne, Australie ou en AmĂ©rique[154].

Ainsi, 90 000 des 200 000 Juifs roumains partent entre 1948 et 1951, de mĂȘme que 39 000 des 55 000 Juifs slovaques survivants, ou la moitiĂ© des 15 000 derniers Juifs yougoslaves[155]. Paradoxalement, ce sont des communautĂ©s Ă©pargnĂ©es par le gĂ©nocide comme celles de Bulgarie ou a fortiori de la Turquie neutre qui connaissent l'Ă©migration la plus massive pour IsraĂ«l. La disparition de l'aire culturelle sĂ©farade, commencĂ©e avec la Shoah, devient ainsi irrĂ©versible, ne laissant que quelques milliers de Juifs dans ces pays[156].

De mĂȘme, la campagne antisĂ©mite qui sĂ©vit en Pologne communiste aprĂšs la guerre des Six Jours (1967) acheva de faire partir la quasi-totalitĂ© des Juifs encore prĂ©sents dans le pays.

L'Ă©migration massive acheva donc en bonne partie ce que la Shoah avait poursuivi et accompli par le meurtre : vider l'Europe de l'Est de ses Juifs.

Traumatismes, silences et témoignages

En gĂ©nĂ©ral, les survivants de la Shoah n'ont pas Ă©tĂ© Ă©coutĂ©s Ă  leur retour, mĂȘme lorsqu'ils ont eu le dĂ©sir ou la force de parler. Peu nombreux et noyĂ©s dans la masse des rapatriĂ©s ou des victimes de guerre, ils Ă©taient aussi le rappel vivant des compromissions de leurs gouvernements dans la dĂ©portation et l'extermination. De surcroĂźt, le moment Ă©tait Ă  la cĂ©lĂ©bration de l'hĂ©roĂŻsme des rĂ©sistants et des soldats, et non Ă  la valorisation de la souffrance et des victimes. Simone Veil a ainsi tĂ©moignĂ© de l'impossibilitĂ© pour les tĂ©moins de se faire entendre, d'autant qu'il Ă©tait difficile de regarder en face les atrocitĂ©s inimaginables dont ils faisaient le rĂ©cit.

MĂȘme en IsraĂ«l, comme l'a Ă©tabli l'historien Tom Segev (Le SeptiĂšme Million, 1993), les survivants du gĂ©nocide se voyaient souvent soupçonnĂ©s d'avoir collaborĂ© pour survivre, ils se voyaient reprochĂ©s d'ĂȘtre allĂ©s dans les camps « comme des moutons Ă  l'abattoir » ou de ne pas avoir Ă©migrĂ© en Palestine avant la guerre. L'État hĂ©breu, fondateur dĂšs 1953 de Yad Vashem, se focalisait avant tout sur la cĂ©lĂ©bration des quelques hĂ©ros du soulĂšvement du ghetto de Varsovie plutĂŽt que d'insister sur la masse des femmes, des enfants ou des vieillards assassinĂ©s.

Jusqu'Ă  la redĂ©couverte de la Shoah en Occident dans les annĂ©es 1970, beaucoup de survivants ont donc prĂ©fĂ©rĂ© garder le silence, ne s'ouvrant souvent mĂȘme pas de leur passĂ© Ă  leurs propres enfants, amis ou collĂšgues. Plus d'un a Ă©tĂ© taraudĂ© par la « culpabilitĂ© du survivant »[157].

« Marche des vivants » à Auschwitz-Birkenau, 2004

Incapables de surmonter les sĂ©quelles psychologiques et morales de leur passĂ©, certains survivants de la Shoah se sont suicidĂ©s, devenant ainsi les victimes, parfois des dĂ©cennies aprĂšs, d’« assassinats diffĂ©rĂ©s » (François BĂ©darida). Parmi les plus connus figurent le poĂšte Paul Celan, l'Ă©crivain Primo Levi, ou la mĂšre du dessinateur Art Spiegelman. Toutefois, rien n'indique que le suicide ait Ă©tĂ© particuliĂšrement rĂ©pandu parmi les survivants de la Shoah.

Le devoir de mĂ©moire dĂ©veloppĂ© en Occident depuis les annĂ©es 1970, en rĂ©action notamment Ă  la menace nĂ©gationniste, a souvent permis Ă  nombre d'anciens dĂ©portĂ©s de sortir de leur silence et d'aller tĂ©moigner devant les mĂ©dias, dans les Ă©coles et les lycĂ©es, ou encore en Ă©crivant leurs souvenirs. Certains sont retournĂ©s rĂ©guliĂšrement sur les lieux du massacre pour accompagner comme guides des groupes de visiteurs, en particulier jeunes, notamment Ă  Auschwitz. Ce lieu crucial et symbolique a reçu ainsi 25 millions de visiteurs depuis 1945.

Bourreaux, bureaucrates et complices

La Shoah constitue un crime d'autant plus dĂ©concertant et traumatisant qu'elle a Ă©tĂ© perpĂ©trĂ©e Ă  l'instigation d'un des pays les plus modernes du monde, cĂ©lĂšbre pour ses rĂ©ussites scientifiques et techniques ainsi que pour son rayonnement artistique et philosophique. Le haut niveau culturel et intellectuel de maints participants dĂ©pourvus d'Ă©tats d'Ăąme a Ă©galement frappĂ© la postĂ©ritĂ©. Les bourreaux de la Shoah sont ainsi devenus le symbole de l'Ă©chec de la culture Ă  empĂȘcher l'horreur, et de la remise en question de l'idĂ©e mĂȘme de civilisation.

De surcroßt, aucun tortionnaire nazi n'a été obligé de participer à la Shoah. Un soldat des Einsatzgruppen ou un garde de camp dont les nerfs craquaient se laissait persuader de continuer, ou bien il obtenait facilement sa mutation. En cas de procÚs aprÚs-guerre, tout en cherchant à minimiser son rÎle, aucun n'a nié la réalité de l'extermination. Pratiquement aucun non plus n'a jamais fait acte de regrets ou de repentir.

Dans tous les pays d'Europe, il s'est trouvĂ© Ă©galement des institutions, des groupes ou des individus pour relayer les initiatives nazies et permettre l'accomplissement du gĂ©nocide. D’autres enfin les ont aidĂ©s de leur silence, de leur passivitĂ©, ou de leur indiffĂ©rence et de leur refus de savoir.

Les tortionnaires : identité et mentalités

Les fusillades massives sont nerveusement Ă©prouvantes pour des hommes qui finissent par craquer, par se saouler ou par devenir dangereux pour leurs propres complices. Le recours aux camions Ă  gaz puis aux chambres Ă  gaz vise Ă  mettre entre bourreaux et victimes une distance suffisante pour permettre aux premiers de poursuivre plus tranquillement leur besogne jusqu'au bout.

À Auschwitz, la division des tĂąches dilue le sentiment de responsabilitĂ© individuelle, puisque chacun n’est qu'un maillon du processus complet d'extermination - chargĂ© uniquement qui de la sĂ©lection, qui de conduire les victimes aux gaz, qui d'apporter le poison mortel ou qui de le verser. Les euphĂ©mismes du langage officiel (« traitement spĂ©cial » pour gazage, « Ă©vacuation » pour dĂ©portation) permettent aussi un peu plus aux criminels de ne pas regarder leurs actes en face.

Beaucoup des tortionnaires n'ont rien de brutes incultes[158]. Les chefs des Einsatzgruppen (1 000 hommes chacun en moyenne) comptent en leur rang de nombreux intellectuels ou encore des avocats. Otto Ohlendorf Ă©tait docteur en histoire du droit et diplĂŽmĂ© de trois universitĂ©s. Un commandant du bataillon C, Ernst Biberstein, est un thĂ©ologien protestant. La plupart des mĂ©decins de la mort nazis, Ă  l'instar de Josef Mengele, sont des praticiens trĂšs diplĂŽmĂ©s et respectĂ©s dans leur ordre. Beaucoup de SS en poste dans les camps se montrent des amateurs raffinĂ©s de musique ou de peinture.

Mais beaucoup ont aussi profitĂ© de la pleine licence que l’autoritĂ© leur donnait d’humilier et de tuer les Juifs pour donner libre cours Ă  leur sadisme et Ă  leur sauvagerie – tout en s’enrichissant personnellement sans vergogne de leurs dĂ©pouilles matĂ©rielles. Qu’il s’agisse de SS, des Aufseherin (gardiennes), de policiers, de soldats « ordinaires », de collaborationnistes ou encore de kapo des camps recrutĂ©s parmi les criminels de droit commun, d’innombrables photos ou rĂ©cits dĂ©montrent le plaisir souvent pris Ă  faire souffrir leurs victimes par les humiliations les plus perverses, ou en imaginant les supplices les plus cruels.

Couper en public la barbe des vieux Juifs religieux, les forcer Ă  des danses grotesques et Ă©puisantes avant de les abattre, prolonger ou aggraver dĂ©libĂ©rĂ©ment la souffrance et l’agonie de victimes, poser hilare avec le dernier Juif vivant de telle ville nettoyĂ©e avant d’envoyer la photo Ă  sa famille en Allemagne comme une curiositĂ©, sont ainsi pendant la Shoah des pratiques courantes parmi bien d’autres.

Arrestation des Aufseherinnen de Bergen-Belsen, avril 1945. Parmi les femmes figurent Hildegard Kanbach (premiÚre à gauche), Irene Haschke (au centre, troisiÚme à partir de la droite), la gardienne en chef, Elisabeth Volkenrath (deuxiÚme à partir de la droite, partiellement cachée) et Herta Bothe (premiÚre à droite).

Dans les camps de concentration, des commandants et des gardes se livrent au quotidien Ă  des pratiques gratuites et non moins barbares. Ainsi, lĂącher les chiens policiers sur des dĂ©tenus (Ă  Sobibor, le sergent SS Paul Grot dresse mĂȘme son chien Ă  arracher les testicules de ses victimes dĂšs qu’il l’entend crier : « Jude ![159] »), prĂ©cipiter certains dĂ©tenus du haut de l’escalier de la carriĂšre de Mauthausen, en obliger d’autres Ă  s’approcher des barbelĂ©s pour mieux les abattre pour « tentative d’évasion ». Les coups de fouet et de gummi (matraques en caoutchouc) pleuvent en permanence, et bien des dĂ©tenus sont tuĂ©s sous les prĂ©textes les plus futiles, et par n’importe quel moyen.

Cependant, comme le relĂšve une ancienne dĂ©portĂ©e d’Auschwitz citĂ©e par l’historien-tĂ©moin Hermann Langbein, « tous ceux qui Ă©taient lĂ -bas ont fait aussi une fois ou l’autre quelque chose de bien. C’est ça qui est terrible[160]. » Plus d’un bourreau s’est aussi montrĂ© ponctuellement capable d’un attendrissement inattendu, d’un geste d’aide ou de clĂ©mence, ou d’une modĂ©ration Ă©pargnant (provisoirement) des vies. Le commandant Rudolf HĂ¶ĂŸ expose dans ses mĂ©moires que pour le bon accomplissement de la tĂąche confiĂ©e par le FĂŒhrer, il devait refouler sa sensibilitĂ©, prĂ©senter malgrĂ© lui un visage impassible et donner l’exemple de l’endurcissement Ă  tous ses subordonnĂ©s[161].

La culture d’obĂ©issance inconditionnelle Ă  l’autoritĂ© a Ă©tĂ© une condition indispensable du gĂ©nocide. DoublĂ©e d’une absence totale d’interrogation morale et d’une incapacitĂ© Ă  recourir Ă  la conscience personnelle, elle a permis Ă  la machine de mort du IIIe Reich de fonctionner sans accroc sĂ©rieux et d’atteindre rapidement une bonne part de ses objectifs. Au-delĂ  de la haine antisĂ©mite, le culte quasi religieux vouĂ© par les nazis Ă  l’ordre du FĂŒhrer (FĂŒhrersbefehl) suffisait Ă  faire taire toute interrogation personnelle sur la lĂ©gitimitĂ© du meurtre de masse.

Allemands et Autrichiens « ordinaires »

Le médecin SS de la mort Fritz Klein au milieu de la fosse commune de Bergen-Belsen.

Des enquĂȘtes d'historiens europĂ©ens ou amĂ©ricains ont d'autre part montrĂ© les nombreuses complicitĂ©s existant dans la sociĂ©tĂ© allemande pour la mise en Ɠuvre de la Shoah. Christopher Browning et Daniel Jonah Goldhagen ont par exemple analysĂ© le comportement de bataillons de police composĂ©s « d'hommes ordinaires » envoyĂ©s en Pologne et qui se comportent en bourreaux consciencieux, et parfois mĂȘme zĂ©lĂ©s, lors des massacres et des dĂ©portations. Daniel J. Goldhagen en conclut que les Allemands Ă©taient les « bourreaux volontaires de Hitler[162] - [163]. » Cette thĂšse est critiquĂ©e par d'autres historiens, en particulier pour son manque de nuance, car elle prĂ©sente le dĂ©faut de mettre sur le mĂȘme plan « l'antisĂ©mitisme ordinaire » et les manipulations qu'en font les « antisĂ©mites radicaux ».

Les débats portent aussi sur le rÎle des Allemands ordinaires. Au fur et à mesure que l'on se rapproche du front, l'implication de la société n'est pas contestable.

La Wehrmacht et la police des zones d'occupation ont participĂ© Ă  la Shoah. Sans l'aide de l'armĂ©e, les 3 000 hommes des Einsatzgruppen n'auraient pas pu massacrer un million d'hommes. De nombreux soldats venaient regarder les exĂ©cutions en voyeurs et y ont mĂȘme participĂ©[164].

Beaucoup d'Allemands avaient plus ou moins conscience des atrocitĂ©s que subissaient les Juifs. Les soldats du front de l’Est rapportaient des rĂ©cits des massacres des Einsatzgruppen lors de leurs permissions dans le Reich. Dans la derniĂšre partie de la guerre, des rumeurs sur le gazage des Juifs circulaient. L'attitude gĂ©nĂ©rale a Ă©tĂ© le repli sur soi et la volontĂ© de ne pas savoir sur ce qui se cachait derriĂšre les rumeurs[165].

Les Autrichiens ont participĂ© au gĂ©nocide en proportion encore bien plus grande que les Allemands, et ont peut-ĂȘtre tuĂ© plus de Juifs que ces derniers. Parmi les chefs nazis, outre Hitler lui-mĂȘme, on peut citer Eichmann, Kaltenbrunner, Seyss-Inquart. Les Autrichiens ont fourni un tiers des tueurs des Einsatzgruppen, environ 40 % des gardes des camps de concentration, les commandants de quatre des six camps d'extermination, ou encore commandants, ou les chefs de la Gestapo tant aux Pays-Bas (Hans Rautter) qu'en Pologne (Grabner)[166] - [167]. C'est un policier autrichien, Karl Silberbauer, qui arrĂȘta le Anne Frank et sa famille Ă  Amsterdam. Ne s'en posant pas moins aprĂšs la guerre en « premiĂšre victime du nazisme (en) », l'Autriche refusera durablement toute responsabilitĂ© et toute indemnisation des victimes juives.

Fonctionnaires et « criminels de bureau »

MĂȘme sans ĂȘtre antisĂ©mites, de nombreux EuropĂ©ens des pays occupĂ©s ont pris part Ă  la Solution finale en exĂ©cutant les ordres du gouvernement en fonctionnaires consciencieux ou zĂ©lĂ©s dĂ©pourvus d’états d’ñmes.

À travers l’Europe, d’innombrables politiciens, bureaucrates et policiers ont un jour ou l’autre sauvĂ© ponctuellement des Juifs ou sont intervenus en faveur de certains d’entre eux, ce qui ne les empĂȘchait pas pour autant de continuer Ă  participer Ă  la Solution finale. À l’approche des AlliĂ©s, il devenait banal, surtout parmi les opportunistes et les carriĂ©ristes, d’avoir « son » Juif pour se dĂ©douaner lors des futures procĂ©dures d’épuration. Selon Raul Hilberg, sauver quelques Juifs d’une main tout en contribuant Ă  la mort de bon nombre d’autres permettaient aussi aux « assassins de bureau » de garder la conscience tranquille et de continuer leur tĂąche.

Concernant l'Europe de l'Est, le régime nazi avait établi une administration spécifique chargée d'appliquer le Generalplan Ost afin d'obtenir l'aryanisation des territoires conquis sur l'Union soviétique.

Sans commettre personnellement de cruautĂ©s ni de meurtres, et sans ĂȘtre forcĂ©ment antisĂ©mites ni adhĂ©rer nĂ©cessairement Ă  l’idĂ©ologie nazie, de nombreux hommes politiques, bureaucrates et fonctionnaires du Reich et des États collaborateurs se sont faits les rouages de la Solution finale. Ils ont pu agir avec plus ou moins de zĂšle selon les individus, les lieux et les moments. Ils ont pu avoir des raisons diverses, ainsi la conviction du rĂ©gime de Vichy qu'il fallait Ă  tout prix maintenir l'illusion d'une souverainetĂ© française en procĂ©dant soi-mĂȘme aux arrestations et l'illusion qu'en allant de bonne grĂące au-devant des volontĂ©s allemandes, on obtiendrait une place de choix pour la France dans la nouvelle Europe nazie.

En Allemagne, le président de la Reichsbank, Walther Funk, a participé à la spoliation des biens juifs en créant des comptes bancaires sous le faux nom de Max Heiliger en entente avec Heinrich Himmler.

Le débat sur les responsabilités

Pendant longtemps les historiens occidentaux ont attribué la responsabilité des crimes nazis au petit groupe des dirigeants du Reich.

Dans les annĂ©es 1950, seule l'historiographie marxiste posait la question de la responsabilitĂ© du peuple allemand dans la mise en Ɠuvre de la violence nazie. Elle pointait du doigt le rĂŽle de l'aristocratie, de la bourgeoisie et de l'appareil industriel, mais n'Ă©tendait pas les responsabilitĂ©s au-delĂ  de ce cercle.

À partir des annĂ©es 1960, l'Ă©cole historique « fonctionnaliste », majoritairement allemande, montre que les questions soulevĂ©es par l'origine de la Shoah sont trĂšs complexes. Un autre courant historiographique, nommĂ© intentionnaliste, leur reprochera de diluer ce faisant les responsabilitĂ©s dans l'organisation et la mise en Ɠuvre de la Shoah[168]. Selon les fonctionnalistes, donc, le gĂ©nocide est le rĂ©sultat d'un processus dĂ©cisionnel et organisationnel Ă©talĂ© dans le temps, entre l'Ă©tĂ© 1941 et l'automne 1942, dans lequel Hitler s'est contentĂ© de donner de vagues directives[169]. Leurs travaux montrent qu'un grand nombre d'acteurs ont pris part Ă  la Shoah, et ils ont renouvelĂ© la recherche en suscitant de nouvelles Ă©tudes.

Ian Kershaw explique dans son livre, Hitler, que le FĂŒhrer a toujours Ă©tĂ© au centre des dĂ©cisions, mĂȘme s'il ne donnait pas tous les ordres lui-mĂȘme.

Götz Aly décrit la marche au génocide des années 1939-1941. Il montre que non seulement les SS, mais aussi les Gauleiter ou encore les experts de Berlin, ont joué un rÎle dans le déplacement et le massacre des populations juives. D'autres historiens pointent les initiatives locales comme celles qui furent prises en Pologne en 1941. Elles permettent de mieux comprendre l'importance de « l'expérimentation » des méthodes d'assassinat sur le terrain. Par contre, elles ont le défaut de faire croire que les hauts dirigeants du IIIe Reich comme Himmler, Heydrich et Hitler n'auraient pas été indispensables au processus du génocide.

Cependant, il ne faut pas oublier qu'Hitler est maĂźtre d'un bout Ă  l'autre du processus. Il suggĂšre plus qu'il ne dicte mais cela fait partie de ses mĂ©thodes. Saul FriedlĂ€nder insiste sur ce point. Il raconte que quand l'Allemagne envahit l'URSS, Goebbels et Heydrich se demandent si les Juifs russes doivent porter l'Ă©toile jaune. Ils vont voir Göring : « C'est trop important, allons en parler Ă  Hitler. » Hitler reçoit tous les chiffres sur le nombre de juifs assassinĂ©s. AprĂšs Stalingrad, il insiste auprĂšs de Goebbels pour revenir Ă  la centralitĂ© de la question juive[170]. De plus l'intention de tuer est prĂ©sente dĂšs le dĂ©but de la guerre. MĂȘme les projets de dĂ©portation dans la rĂ©gion de Lublin, Ă  Madagascar ou en SibĂ©rie auraient eu comme consĂ©quences la mort de millions de Juifs. Enfin la mise en Ɠuvre de la Shoah se caractĂ©rise par des Ă©changes nombreux entre Berlin et les responsables locaux. La somme des initiatives locales n'aurait pas abouti Ă  la Shoah sans coordination au sommet d'hommes comme Göring, Himmler, Heydrich et bien sĂ»r Hitler[165].

Traques, procĂšs et fuites des responsables de l'extermination

Le corps de Himmler, qui se suicide Ă  sa capture par les Britanniques, .

Le suicide de Hitler le et celui de Himmler le 23 mai ont privĂ© le tribunal de Nuremberg de la comparution des deux principaux responsables de l'Holocauste. Nombre de criminels de tout rang ont aussi Ă©chappĂ© Ă  la justice en se donnant la mort, Ă  l'image le 1er mai de Goebbels, instigateur de la propagande antisĂ©mite, de la nuit de Cristal et de la dĂ©portation des Juifs de son fief de Berlin. Se sont aussi tuĂ©s en 1945 le BrigadefĂŒhrer-SS (gĂ©nĂ©ral de brigade SS) Odilo Globocnik, ou encore Theodor Dannecker, l'organisateur des dĂ©portations de France et de plusieurs autres pays.

D'autres maĂźtres-d'Ɠuvre de premier plan ont Ă©tĂ© abattus pendant la guerre par des rĂ©sistants, ainsi Heydrich Ă  Prague en . Dans les Balkans, des partisans ont aussi tuĂ© l'ancien commandant de BeĆ‚ĆŒec Christian Wirth. D'autres ont littĂ©ralement disparu dans la tourmente. Martin Bormann pĂ©rit par exemple probablement le au cours de la bataille de Berlin, de mĂȘme que le chef de la Gestapo pour le territoire allemand Heinrich MĂŒller.

Les AlliĂ©s avaient prĂ©venu dĂšs 1941-1942 que les criminels de guerre seraient poursuivis et punis. DĂšs 1943-1944, Ă  mesure de la libĂ©ration de l'URSS, les SoviĂ©tiques lancĂšrent des enquĂȘtes approfondies. Ils jugĂšrent et condamnĂšrent des Allemands responsables de massacres et nombre de leurs complices locaux. Les Ă©purations menĂ©es dans les diffĂ©rents pays libĂ©rĂ©s ont permis de juger une partie des responsables de la Solution finale, mĂȘme si la spĂ©cificitĂ© et l’ampleur de celle-ci restaient encore floues pour les contemporains, et mĂȘme si la dĂ©portation des Juifs ne constitua pas un problĂšme central pour l’accusation ni pour l’opinion.

Certains criminels ayant sĂ©vi sur plusieurs pays furent cependant jugĂ©s par un État en particulier. Les Slovaques se chargĂšrent par exemple de condamner Ă  mort l’un des principaux subordonnĂ©s d'Eichmann : Dieter Wisliceny, qui outre la Slovaquie avait aussi sĂ©vi en GrĂšce et en Hongrie.

Les vingt-quatre principaux dirigeants nazis accusĂ©s au procĂšs de Nuremberg ont dĂ» rĂ©pondre notamment des chefs de gĂ©nocide et de crime contre l'humanitĂ©. La Shoah a Ă©tĂ© amplement Ă©voquĂ©e par les juges, les victimes et les bourreaux citĂ©s Ă  tĂ©moin, dont le commandant d'Auschwitz Rudolf HĂ¶ĂŸ, le responsable d'unitĂ©s mobile de tuerie Otto Ohlendorf ou le gĂ©nĂ©ral SS Erich von dem Bach-Zelewski. Mais elle n'y occupa pas une place centrale, et aucun Juif ne fut par exemple citĂ© comme tĂ©moin.

Une sĂ©rie d'autres procĂšs, toujours Ă  Nuremberg, visa entre 1946 et 1951 les chefs des Einsatzgruppen, des industriels responsables de l'exploitation de main-d'Ɠuvre concentrationnaire, ou des mĂ©decins nazis criminels.

Un dĂ©tenu identifie un SS arrĂȘtĂ©, 1945.

Les tribunaux militaires alliĂ©s jugĂšrent aussi plusieurs dizaines de gardes et certains commandants des camps de concentration, au cours de procĂšs comme ceux de Dachau, Buchenwald ou RavensbrĂŒck.

Le premier et principal commandant d'Auschwitz, Rudolf HĂ¶ĂŸ, jugĂ© par les Polonais, fut exĂ©cutĂ© en 1947 sur le lieu de ses crimes. Son successeur moins extrĂ©miste, Arthur Liebehenschel, connut le mĂȘme sort. Le troisiĂšme et dernier commandant, Richard Baer, ne fut retrouvĂ© que tardivement, et mourut en prison en 1963 avant son procĂšs. Dans les annĂ©es 1960, l'Allemagne de l'Ouest jugea Ă  son tour, en trois procĂšs tenus Ă  Francfort, plusieurs anciens gardiens du plus important lieu du gĂ©nocide. Mais sur 7 000 gardes SS passĂ©s par Auschwitz, seuls 10 % ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s et jugĂ©s.

Des criminels nazis en fuite seront traquĂ©s et retrouvĂ©s. L'ancien commandant de Treblinka, Franz Stangl, fut ainsi extradĂ© du BrĂ©sil et mourut en prison Ă  DĂŒsseldorf en 1971[171]. Adolf Eichmann, organisateur des dĂ©portations, fut enlevĂ© par le Mossad en Argentine et jugĂ© Ă  JĂ©rusalem par la cour suprĂȘme de l'État d'IsraĂ«l. Son procĂšs retentissant en 1961 marqua le dĂ©but du rĂ©veil de la mĂ©moire de la Shoah. Pour la premiĂšre fois de l'Histoire, par ailleurs, il Ă©tait rendu compte devant un tribunal juif de « crimes contre le peuple juif ».

Parfaitement rĂ©gulier (IsraĂ«l alla jusqu'Ă  payer les frais de l'avocat allemand d'Eichmann, aprĂšs lui avoir permis de s'inscrire exceptionnellement au barreau de l'État hĂ©breu), le procĂšs fut marquĂ© par la prĂ©sentation d'abondants documents accablants et le tĂ©moignage de nombreux survivants. CondamnĂ© Ă  mort et pendu en 1962, Eichmann apparut comme un homme terne et ordinaire, incapable du moindre regret ni de la moindre rĂ©flexion morale sur ses actes. Il se prĂ©senta comme un bureaucrate mĂ©ticuleux et consciencieux, prĂ©occupĂ© uniquement de l'aspect technique de sa tĂąche. Son attitude inspira Ă  Hannah Arendt des rĂ©flexions cĂ©lĂšbres sur la « banalitĂ© du mal ».

Nombre d'exĂ©cutants de la Shoah ne furent jamais inquiĂ©tĂ©s, et firent de prospĂšres carriĂšres administratives, politiques ou Ă©conomiques en RFA et en RDA. Ou bien, ils virent les poursuites Ă  leur encontre abandonnĂ©es avec le temps, Ă  moins de s'en tirer avec des peines lĂ©gĂšres et tardives. Bien d'autres sont morts libres aprĂšs s'ĂȘtre rĂ©fugiĂ©s en AmĂ©rique latine (tels Josef Mengele, le « mĂ©decin de la mort » d'Auschwitz) ou dans le monde arabe, par exemple Alois Brunner. Des filiĂšres liĂ©es Ă  des personnalitĂ©s du Vatican[172] aidĂšrent certains criminels de masse Ă  s'enfuir, tels le sanguinaire dictateur croate Ante Pavelić, tandis qu'avec la guerre froide, SoviĂ©tiques et AmĂ©ricains ralentirent les poursuites et recyclĂšrent nombre d'anciens nazis en Europe ou dans leurs services secrets.

Klaus Barbie, un des principaux chefs de la Gestapo lyonnaise, entra ainsi au service de la CIA et put se rĂ©fugier en Bolivie ; enfin extradĂ© en 1983, il fut jugĂ© Ă  Lyon en 1987 et condamnĂ© Ă  perpĂ©tuitĂ© pour crimes contre l'humanitĂ©, en particulier pour la rafle des 44 enfants orphelins d'Izieu.

L’imprescriptibilitĂ© des crimes contre l’HumanitĂ© (intĂ©grĂ©e par exemple dans le droit français en 1964), le rĂ©veil de la mĂ©moire de la Shoah et l’action tenace de « chasseurs de nazis » tels que Simon Wiesenthal ou encore Beate et Serge Klarsfeld ont permis dans les annĂ©es 1980-1990 la tenue d’une nouvelle sĂ©rie de procĂšs.

En particulier, RenĂ© Bousquet, ancien chef de la police du gouvernement de Vichy et responsable de la majoritĂ© des dĂ©portations de France, fut abattu par un dĂ©sĂ©quilibrĂ© en 1993 Ă  la veille d’ĂȘtre jugĂ©. Son adjoint Jean Leguay Ă©tait dĂ©cĂ©dĂ© avant procĂšs. Le milicien Paul Touvier en 1994 et l’ancien haut fonctionnaire Maurice Papon en 1998 furent les premiers Français spĂ©cifiquement condamnĂ©s pour complicitĂ©s de crimes contre l’humanitĂ©.

Attitude du monde extérieur

« Comment tout un peuple en voie d’ĂȘtre exterminĂ© a-t-il pu subir pareil destin ? Comment le monde entier a-t-il pu laisser s’accomplir pareille monstruositĂ© sans tenter d’intervenir pour l’arrĂȘter ou au moins pour la freiner ? Comment l’Europe chrĂ©tienne a-t-elle pu laisser pĂ©rir le peuple d’IsraĂ«l quand elle n’a pas contribuĂ© elle-mĂȘme Ă  leur massacre ? ». L'historien et ancien rĂ©sistant catholique François BĂ©darida rĂ©sumait en ces termes les questions angoissantes posĂ©es Ă  l'humanitĂ© par la Shoah[173].

De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, « sauf dans l’esprit d’une poignĂ©e de dirigeants nazis, les Juifs n’avaient pas Ă©tĂ© l’enjeu de la Seconde Guerre mondiale » (Tony Judt)[174].

L'avant-guerre : frontiÚres fermées et réfugiés refoulés

Mars 1939. Réfugiés juifs de Tchécoslovaquie occupée, en situation irréguliÚre, renvoyés par la police britannique en avion pour Varsovie[175] qui sera bombardée et occupée six mois plus tard.

Dans les annĂ©es 1930, la plupart des pays occidentaux ont fermĂ© leurs frontiĂšres aux victimes des persĂ©cutions antisĂ©mites en Allemagne et en Europe centrale. De 1939 Ă  1940, bien des Juifs autrichiens et allemands rĂ©fugiĂ©s ont mĂȘme Ă©tĂ© internĂ©s comme « ressortissants ennemis » par la Grande-Bretagne et la France.

De peur que le monde arabe et ses ressources pétrolifÚres ne basculent du cÎté du IIIe Reich, les Britanniques ferment la Palestine à l'immigration juive, et renouvellent sa limitation drastique par le Livre blanc de 1939, pour la maintenir sans discontinuer pendant la guerre et jusqu'en 1948.

En 1939, un navire chargĂ© de rĂ©fugiĂ©s partis d'Europe, le Saint Louis, est refoulĂ© par les États-Unis, puis par le Canada, avant de devoir repartir pour les Pays-Bas oĂč les passagers sont redirigĂ©s dans diffĂ©rents pays d'Europe qui les ont acceptĂ© (Belgique, Royaume-Uni, France et Pays-Bas).

La confĂ©rence d'Évian sur les rĂ©fugiĂ©s, tenue du 6 au , a constituĂ© la dĂ©monstration publique la plus lamentable du refus gĂ©nĂ©ral d'accueillir les Juifs. L'URSS, l'Italie fasciste et la TchĂ©coslovaquie n'ont mĂȘme pas daignĂ© envoyer un reprĂ©sentant. Les observateurs dĂ©lĂ©guĂ©s par la Hongrie, la Pologne ou la Roumanie veulent juste savoir si l'on pourrait les aider Ă  se dĂ©barrasser de leurs propres Juifs. Les autres pays ne veulent pas accueillir plus de rĂ©fugiĂ©s.

C'est l'Ă©poque oĂč le Canada explique qu'aucun rĂ©fugiĂ© serait encore trop (« none is too many »), oĂč les États-Unis et l'AmĂ©rique latine, pas encore remis de la Grande DĂ©pression, restreignent encore plus les entrĂ©es. La Suisse, jugeant par la bouche d'un conseiller fĂ©dĂ©ral que « la barque est pleine » (« Das Boot ist voll »), nĂ©gocie avec les nazis pour refouler les rĂ©fugiĂ©s de son territoire : la ConfĂ©dĂ©ration demande elle-mĂȘme Ă  Berlin, et obtient en , que les passeports des Juifs allemands expulsĂ©s soient marquĂ©s de la lettre J Ă  l'encre rouge indĂ©lĂ©bile[176].

AssurĂ© que l’étranger ne portera aucun secours aux Juifs, Hitler peut renforcer sa politique raciste et, parallĂšlement au succĂšs de Munich, lancer la nuit de Cristal, puis le gĂ©nocide lui-mĂȘme.

Des hommes

Des hommes courageux ont bravĂ© toutes les difficultĂ©s pour tenter de prĂ©venir les AlliĂ©s. Ainsi, Witold Pilecki se fait intentionnellement capturer et interner Ă  Auschwitz, avant de faire passer un rapport Ă  la rĂ©sistance polonaise en 1940 (qui est transmis au gouvernement britannique en 1941). Jan Karski, dĂ©lĂ©guĂ© Ă  Londres par la rĂ©sistance polonaise, aprĂšs s'ĂȘtre infiltrĂ© dans le ghetto de Varsovie, fait un rapport qu'il transmet en main propre au gouvernement polonais en exil ; il rencontre notamment le ministre des Affaires Ă©trangĂšres britannique et en 1943 le prĂ©sident Roosevelt pour le leur prĂ©senter. Mais son rapport rencontre surtout de l'incrĂ©dulitĂ©, mĂȘme auprĂšs des communautĂ©s juives de ces deux pays.

Le rĂ©sistant chrĂ©tien Kurt Gerstein, entrĂ© dans la SS pour la combattre de l'intĂ©rieur, tente d'alerter le monde dĂšs l'Ă©tĂ© 1942 sur les gazages qu'il a vus en personne Ă  BeĆ‚ĆŒec, et se suicide en juillet 1945, aprĂšs avoir tĂ©moignĂ© de ce qu'il avait vu. Depuis la Suisse, le tĂ©lĂ©gramme Riegner du informe Londres et Washington de la « Solution finale » en cours. De façon gĂ©nĂ©rale, ces informations n'ont pas ou peu Ă©tĂ© crues, et n'ont suscitĂ© aucune rĂ©action particuliĂšre des gouvernements et des opinions des pays alliĂ©s. MĂȘme des organisations juives ont refusĂ© de croire les chiffres et les descriptions qui leur Ă©taient faites de la machine de mort nazie[177].

Samuel Zygelbojm, reprĂ©sentant du Bund auprĂšs du gouvernement polonais en exil Ă  Londres, se donne la mort le : « Par ma mort, je voudrais, pour la derniĂšre fois, protester contre la passivitĂ© d’un monde qui assiste Ă  l’extermination du peuple juif et l’admet ».

L'incrédulité pouvait s'expliquer par le souvenir des excÚs de la propagande et du « bourrage de crùne » sous la Grande Guerre. Au-delà, elle a été encouragée par l'absence de précédent comparable et par le caractÚre inouï et impensable du crime.

Des informations

Les informations sur l'extermination des Juifs ont aussi circulĂ© dĂšs 1941 et surtout 1942 Ă  la BBC, dans la presse anglo-saxonne et jusque dans une partie de la presse clandestine des pays occupĂ©s. Mais elles se mĂȘlaient sans traitement spĂ©cifique Ă  d'autres rĂ©cits d'atrocitĂ©s et Ă  l'Ă©vocation d'autres enjeux et problĂšmes[178].

Les Alliés n'ont pas non plus toujours conscience de la spécificité du sort qui frappait le peuple juif. Ils n'ont dÚs lors pas voulu donner l'impression qu'ils privilégiaient une catégorie de victimes par rapport à une autre. Winston Churchill, dont les services pouvaient déchiffrer les messages codés allemands grùce au systÚme Enigma, savait dÚs l'été 1941 que les Einsatzgruppen massacraient systématiquement les Juifs soviétiques, mais dans ses discours publics, il dénonça ces horreurs sans jamais mentionner le caractÚre juif des victimes.

Les Anglo-Saxons, sans parler des SoviĂ©tiques, n'ont pas non plus voulu donner l'impression qu'ils faisaient la guerre pour les Juifs, de peur notamment des rĂ©actions antisĂ©mites d'une partie de leur population. En URSS, l'antisĂ©mitisme traditionnel et le regain de nationalisme voire de chauvinisme suscitĂ© par la lutte contre l'Allemagne ne laissaient guĂšre de place Ă  l'Ă©vocation spĂ©cifique du sort des Juifs. Aux États-Unis, une poussĂ©e d'antisĂ©mitisme dans l'opinion (certains taxaient le New Deal de Roosevelt de Jew Deal) Ă©tait Ă©galement dĂ©favorable Ă  l'Ă©vocation du caractĂšre juif des massacres. Mais de maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, c'est aussi que l'attention des populations, attachĂ©s Ă  survivre ou Ă  gagner la guerre, n'Ă©tait pas disposĂ©e Ă  faire une prioritĂ© du sort d'une minoritĂ© (1 % de la population de France, 10 % de celle de Pologne). « Sauf dans l’esprit d’une poignĂ©e de dirigeants nazis, les Juifs n'[ont] pas Ă©tĂ© l’enjeu de la Seconde Guerre mondiale[174]. »

Durant la guerre et en particulier Ă  partir de 1943, les autoritĂ©s polonaises en exil, alimentĂ©es en informations de premiĂšre main par la RĂ©sistance intĂ©rieure, fournissent aux gouvernements alliĂ©s et aux opinions publiques du monde libre les rapports les plus prĂ©coces et les plus prĂ©cis sur l'extermination en cours des populations juives[179] et appellent, en vain, Ă  des actions spĂ©cifiques pour y mettre fin[180] - [181]. Ainsi, le 10 dĂ©cembre 1942, le Ministre des Affaires Ă©trangĂšres du gouvernement polonais en exil adresse une longue note diplomatique Ă  l'ensemble des Gouvernements alliĂ©s (dont le Gouvernement soviĂ©tique qui sera le seul Ă  rejeter cette note) dĂ©crivant prĂ©cisĂ©ment l'extermination en cours par l'Allemagne nazie non seulement des Juifs de Pologne mais aussi des « centaines de milliers » de Juifs d'Europe dĂ©portĂ©s Ă  cette fin. La note souligne sans ambiguĂŻtĂ© qu'il s'agit d'une entreprise d'extermination totale et sans prĂ©cĂ©dent. À cette date, ce document constitue la premiĂšre dĂ©nonciation officielle par un Gouvernement alliĂ© de l'extermination en cours des Juifs et la premiĂšre fois que les souffrances des Juifs en tant que Juifs, et non seulement en tant que citoyens de l'un ou l'autre État, sont officiellement singularisĂ©es et dĂ©noncĂ©es. Cette note et les dĂ©marches polonaises sont directement Ă  l'origine, le 17 , d'une dĂ©claration commune solennelle de la quasi-totalitĂ© des Gouvernements alliĂ©s contre le massacre des Juifs en Europe et de l'annonce, Ă  l'attention des responsables, qu'ils seront poursuivis.

De faibles réactions

Moins explicitement, le pape Pie XII dénonce dans son message radio de Noël la mort des innocents qui ont été voués à la mort en raison de leur seule race. En 1943-1944, les déclarations alliées restent rares, alors que l'extermination continue à battre son plein.

D'abord absorbĂ©s par la poursuite d'objectifs militaires, les AlliĂ©s semblent avoir pensĂ© que la fin rapide de la guerre Ă©tait la meilleure maniĂšre d'arrĂȘter la persĂ©cution, sans saisir que le rythme industriel du massacre risquait de ne laisser que peu de Juifs encore en vie Ă  la victoire. En 1944, au plus fort de la dĂ©portation des Juifs de Hongrie, Churchill se montre favorable Ă  un bombardement sur les rails et les chambres Ă  gaz d'Auschwitz, mais veut consulter d'abord les AmĂ©ricains : le projet est bloquĂ© Ă  un niveau gouvernemental infĂ©rieur, et n'est pas transmis Ă  Roosevelt. Que le bombardement d'Auschwitz ait pu ou non changer quoi que ce soit au sort des victimes, le fait est que son enjeu moral intrinsĂšque n'a guĂšre Ă©tĂ© perçu, ni le silence des AlliĂ©s rompu[182].

Dans l'ensemble, la passivité et l'indifférence ont prévalu, sans conscience de la gravité exceptionnelle du crime en cours.

Du 19 au , se dĂ©roule la la confĂ©rence des Bermudes pour aborder l’aide possible aux Juifs d’Europe. Elle a lieu loin de tout et de tous, sans qu'aucune organisation juive ne soit reprĂ©sentĂ©e. Les confĂ©renciers ne disposaient d'aucun pouvoir de dĂ©cision et pouvaient seulement Ă©mettre des recommandations. Ce fut un Ă©chec. Le dĂ©partement d'État amĂ©ricain, dirigĂ© par Cordell Hull, se montre d'une passivitĂ© particuliĂšrement accablante, alors que les rapports officiels et officieux lui parviennent depuis 1942.

« Pour cinq millions de Juifs enfermés dans le piÚge mortel des Nazis, la conférence des Bermudes a été une farce tragique[183] - [184]. »

Le ministre Henry Morgenthau, lui-mĂȘme d'origine juive, n'ose pas intervenir longtemps en faveur des Juifs d'Europe, de peur d’ĂȘtre taxĂ© de partialitĂ©. Mais c'est son rapport explosif de janvier 1944 contre l'inaction du dĂ©partement d'État qui fait tardivement rĂ©agir Roosevelt : le , le prĂ©sident amĂ©ricain fonde le War Refugee Board (Bureau des rĂ©fugiĂ©s de guerre), dirigĂ© par John Pehle. En 18 mois, le WRB sauvera des dizaines de milliers de personnes. Son envoyĂ© en Roumanie, Ira Hirschmann, rĂ©ussit Ă  faire libĂ©rer les 48 000 Juifs survivants de Transnistrie et Ă  les faire partir en Turquie. Iver Olsen depuis la SuĂšde fait sauver de nombreux survivants des pays baltes et dĂ©pĂȘche Ă  Budapest Raoul Wallenberg. Il reste permis de se demander combien d'autres personnes auraient pu ĂȘtre sauvĂ©es si la prise de conscience et la volontĂ© d'agir avaient Ă©tĂ© plus prĂ©coces[185].

Les Églises et le Vatican du pape Pie XII

Les chrĂ©tiens sont l'un des plus importants groupes dans lesquels on a comptĂ© des « Justes parmi les nations ». Mais sur le plan institutionnel, l'attitude des Églises d'Europe face Ă  la Shoah a Ă©tĂ© contrastĂ©e en fonction des pays, des hommes et des dignitaires.

Ceux qui ont protesté

Des Églises nationales ont fermement protestĂ© en tant que telles contre la persĂ©cution des Juifs :

  • L'Ă©glise protestante allemande, oĂč, dĂšs le 21 septembre 1933, un groupe de pasteurs s'organise en une « ligue de dĂ©tresse Bekenntniskirche » ou « Église confessante »[186]. En janvier 1934, 7 000 pasteurs regroupĂ©s autour de Martin Niemöller protestent notamment contre l'introduction du paragraphe « aryen » dans l'Union qui prĂ©voyait l'exclusion des pasteurs d'origine juive ou mariĂ©s Ă  une juive[187] - [186]. Cette Église confessante s'organise comme une institution indĂ©pendante de l’église protestante officielle restĂ©e entre les mains des ChrĂ©tiens allemands, favorables Ă  Hitler.
  • L'Église rĂ©formĂ©e de France exprime publiquement son dĂ©saccord avec le racisme officiel du rĂ©gime de Vichy dĂšs le 26 mars 1941, par la voix de son prĂ©sident Marc Boegner, dont les lettres adressĂ©es d'une part Ă  l’amiral Darlan et d’autre part au grand rabbin de France IsaĂŻe Schwartz, sont obligeamment publiĂ©es par le journal collaborationniste Au Pilori sous le titre « Une lettre inadmissible du chef des protestants de France », ce qui leur assure une publicitĂ© nationale immĂ©diate[188].
  • L'Église d'État luthĂ©rienne en NorvĂšge, dont les Ă©vĂȘques dĂ©missionnent collectivement en 1942 par rejet du gouvernement collaborateur de Quisling,
  • Les hiĂ©rarchies catholiques et protestantes des Pays-Bas en .

Ceux qui ont gardé le silence

Dans la France du rĂ©gime de Vichy, le loyalisme de l'Ă©piscopat envers le rĂ©gime rĂ©actionnaire du marĂ©chal PĂ©tain a fait taire bien des langues. Seuls cinq Ă©vĂȘques sur plus d'une centaine ont publiquement protestĂ© contre les rafles de l'Ă©tĂ© 1942, dont l'archevĂȘque de Marseille Mgr Delay, le cardinal Gerlier, primat des Gaules, Ă  Lyon, Mgr Moussaron Ă  Albi, Mgr Pierre-Marie ThĂ©as Ă  Montauban, et surtout Mgr Jules SaliĂšge Ă  Toulouse. Toutefois, la peur d'un conflit avec l'Église a jouĂ© son rĂŽle dans la dĂ©cision de Pierre Laval de diminuer les dĂ©portations Ă  partir de l'automne 1942[189].

Dans le Reich, oĂč le concordat de 1933, le patriotisme en pleine guerre et le respect de l'ordre Ă©tabli lient les mains Ă  l'Ă©piscopat national, les mĂȘmes personnalitĂ©s qui avaient condamnĂ© en chaire l'extermination des handicapĂ©s mentaux, Ă  l'image de Mgr Clement von Galen, n'ont pas eu un mot en public sur le sort des Juifs. Hors le cas de l'Église confessante, les prĂȘtres, pasteurs ou Ă©vĂȘques qui se sont engagĂ©s dans le secours aux Juifs voire dans la RĂ©sistance l'ont gĂ©nĂ©ralement fait de leur seule initiative et sans encouragement aucun de leur hiĂ©rarchie.

Le cas particulier du Pape Pie XII

Le pape Pie XII Ă©tait sans doute le chef d'État le mieux informĂ© sur le gĂ©nocide, grĂące aux informations qui pouvaient remonter Ă  Rome depuis de multiples paroisses et diocĂšses de toute l'Europe. Son silence officiel lui a toutefois Ă©tĂ© beaucoup reprochĂ©.

Les institutions religieuses de Rome ont abritĂ© de nombreux Juifs, et le Saint-SiĂšge, soutenu par l'Ă©piscopat local, est intervenu par exemple pour obtenir l'arrĂȘt des dĂ©portations dans la Slovaquie de Mgr Tiso, ou encore en Hongrie. Mais aucune protestation officielle ni aucune dĂ©nonciation publique claire du sort des Juifs n'a eu lieu, en dĂ©pit de l'immense prestige moral et diplomatique du Saint-SiĂšge, et mĂȘme lorsqu'une rafle eut lieu dans l'ancien ghetto de Rome « sous les fenĂȘtres du pape » le .

On ne peut pas dire que la papautĂ© ait dĂ©bordĂ© de sympathie Ă  l'Ă©gard des juifs : elle n'avait pas particuliĂšrement bien traitĂ© les juifs du Comtat ou des autres États pontificaux (cf l’affaire Mortara). Encore en 1940, des siĂšcles d'antijudaĂŻsme chrĂ©tien se faisaient sentir au Vatican. Pie XII n'Ă©tait sans doute pas radicalement hostile aux juifs mais il donnait clairement la prioritĂ© Ă  la dĂ©fense de ceux d'entre eux qui s'Ă©taient convertis au catholicisme. Les raisons de son silence face Ă  la Shoah semblent avoir Ă©tĂ© complexes et restent difficiles Ă  cerner tant que toutes les archives vaticanes relatives Ă  ce pontificat ne sont pas disponibles. Parmi les raisons les plus frĂ©quemment avancĂ©es par les historiens figurent la sous-estimation du sort qui attendait les Juifs et le refus de faire de leur sort une question prioritaire (ce qui fut le cas de tous les dirigeants alliĂ©s ou clandestins de la Seconde Guerre mondiale), le choix par tempĂ©rament de la diplomatie sur la confrontation et sur la parole de dĂ©nonciation, la peur d'attirer des reprĂ©sailles sur une Église allemande qu'il connaissait bien comme ancien nonce Ă  Berlin, la focalisation sur le danger d'expansion du communisme athĂ©e (mĂȘme si le pape refusa toujours de soutenir la « croisade » nazie contre l'URSS, il Ă©tait beaucoup plus anticommuniste qu'antinazi), l'espĂ©rance (finalement illusoire) enfin de servir d'intermĂ©diaire dans de futures nĂ©gociations de paix entre AlliĂ©s et Axe[190]..

À cette heure, la polĂ©mique qui entoure le silence de Pie XII n'est toujours pas Ă©teinte[191]. L'affaire du carmel d'Auschwitz est venue raviver ces blessures dans le courant des annĂ©es 1980-1990.

Espagne

L'Espagne du dictateur Franco, alliĂ© non-belligĂ©rant de Hitler, a tantĂŽt acceptĂ© tantĂŽt refoulĂ© les rĂ©fugiĂ©s juifs. En 1926, le dictateur Primo de Rivera avait annulĂ© le dĂ©cret d'expulsion de 1492 Ă  l'origine de la diaspora sĂ©farade (DĂ©cret d'Alhambra) et restituĂ© la nationalitĂ© espagnole aux descendants qui en faisaient la demande, sous condition qu'ils ne reviennent pas vivre dans la pĂ©ninsule. Cette disposition a permis Ă  certains SĂ©pharades des pays occupĂ©s de survivre Ă  la Shoah. Par ailleurs, des diplomates et consuls espagnols ont ponctuellement secouru des descendants de Juifs d'Espagne lĂ  oĂč ils Ă©taient en poste, mĂȘme si aucun ordre ne leur a jamais Ă©tĂ© donnĂ© en ce sens depuis Madrid. De nombreux espagnols ne se rendaient pas compte qu'une grande partie des rĂ©fugiĂ©s traversant les PyrĂ©nĂ©es Ă©taient Juifs. Le nombre de Juifs ayant Ă©chappĂ© au gĂ©nocide en passant par l'Espagne Ă  partir de 1940 est estimĂ© entre 20 000 et 35 000[192].

Portugal

Au Portugal, 40 000 Juifs Ă©taient rĂ©fugiĂ©s dĂšs 1940. Seuls 10 000 parviendront Ă  partir en AmĂ©rique, les États-Unis se refusant Ă  desserrer les quotas. À Bordeaux et Bayonne, pendant l'exode de juin 1940, le consul portugais Aristides de Sousa Mendes dĂ©sobĂ©it Ă  son gouvernement en dĂ©livrant des milliers de visa transit Ă  des rĂ©fugiĂ©s notamment juifs. Sa carriĂšre fut aussitĂŽt brisĂ©e, et le dictateur Salazar devait s'acharner sur lui et sur sa famille bien aprĂšs la guerre, le contraignant Ă  mourir dans la misĂšre.

Suisse

La Suisse affirmera pendant un demi-siĂšcle avoir accueilli les rĂ©fugiĂ©s qu'elle pouvait et s'ĂȘtre tenue prĂȘte Ă  se battre en cas d'invasion nazie. Mais les Suisses ont dĂ» faire face dans les annĂ©es 1990 Ă  la redĂ©couverte d'une vĂ©ritĂ© difficile : la Suisse a en effet souvent refoulĂ© les Juifs tentant de passer sa frontiĂšre.

De fait, le pays n’a accueilli en rĂ©alitĂ© que 30 000 Juifs[193], dont 7 000 seulement avant la guerre, et il a refoulĂ© en pleine guerre ceux qui cherchaient secours chez elle, notamment les Juifs non accompagnĂ©s de leurs enfants - c'est ainsi que les parents de Saul FriedlĂ€nder furent refoulĂ©s Ă  l'Ă©tĂ© 1942 : retombĂ©s aux mains du rĂ©gime de Vichy, ils pĂ©rirent dĂ©portĂ©s en octobre. Les rĂ©fugiĂ©s juifs acceptĂ©s n'avaient pas le droit de travailler, et devaient vivre sur les taxes spĂ©ciales prĂ©levĂ©es par la ConfĂ©dĂ©ration sur ses riches rĂ©sidents juifs. Elle en refoula 20 000[193].

Par contre, Carl Lutz, un diplomate suisse, dĂ©livra 50 000 certificats d'immigration permettant de mettre 50 000 Juifs sous la protection suisse Ă  Budapest[194].

Les banques du pays ont aussi abritĂ© et recyclĂ© en connaissance de cause l’or (or nazi) pillĂ© aux Juifs dĂ©portĂ©s, contribuant ainsi substantiellement Ă  financer l’effort de guerre allemand. En revanche, contrairement Ă  une lĂ©gende, aucun train de dĂ©portĂ©s n'a transitĂ© par la Suisse[195].

SuĂšde

La SuÚde a accueilli des milliers de réfugiés juifs et résistants, dont l'intégralité de la communauté danoise évacuée en , et plusieurs centaines de Juifs norvégiens[196] - [197]. Toutefois, son gouvernement social-démocrate a continué jusqu'au bout à fournir le Reich en minerai de fer.

En 1944, Raoul Wallenberg, jeune diplomate suédois, sauve des dizaines de milliers de Juifs hongrois de la mort en les cachant dans les bùtiments de la légation suédoise de Budapest et en leur fournissant de faux passeports suédois.

Turquie

La Turquie n'a jamais connu de son histoire de persĂ©cution des Juifs en tant que juifs[198], et elle sera l'un des rares pays Ă  majoritĂ© musulmane Ă  reconnaĂźtre IsraĂ«l dĂšs sa fondation. Si des milliers de Juifs ont trouvĂ© asile en Turquie avant et pendant la guerre — en particulier des universitaires et des artistes, qui participĂšrent de façon dĂ©cisive Ă  la modernisation de la Turquie[199] —, et si des milliers d'autres ont immigrĂ© clandestinement en Palestine (les chiffres varient de 12 000 Ă  100 000[200]), grĂące Ă  une action conjointe des autoritĂ©s turques et des organisations sionistes, certains Ă©pisodes ont donnĂ© Ă  des interprĂ©tations divergentes et Ă  des polĂ©miques. Ainsi, en fĂ©vrier 1942, les 769 passagers roumains du paquebot Struma, qui espĂ©raient passer en Palestine, pĂ©rissent noyĂ©s dans la mer Noire lors du torpillage de leur navire par erreur par un sous-marin soviĂ©tique[201] - [202]. Certains historiens font porter la responsabilitĂ© sur les autoritĂ©s tant britanniques que turques[203], d'autres, essentiellement sur les autoritĂ©s britanniques[204]. La mĂȘme tragĂ©die se reproduira le 5 aoĂ»t 1944, sur le navire MefkĂŒre battant pavillon turc et de la Croix-rouge, transportant plus de 300 rĂ©fugiĂ©s juifs roumains Ă  travers la mer Noire et coulĂ© par un sous-marin soviĂ©tique[205].

Le consul de Turquie Ă  Rhodes, Selahattin ÜlkĂŒmen (1914-2003), a Ă©tĂ© fait Juste parmi les nations[206]. La Fondation Raoul-Wallenberg travaille depuis 2008 pour que soient reconnus d’autres diplomates turcs, notamment Behiç Erkin, ambassadeur Ă  Paris et Necdet Kent, consul gĂ©nĂ©ral Ă  Marseille[207].

Le 11 novembre 1942, la Grande AssemblĂ©e nationale turque vota la crĂ©ation d’un impĂŽt sur la fortune ; face Ă  l’ampleur de la fraude, les inspecteurs rĂ©Ă©valuĂšrent arbitrairement le montant Ă  percevoir, de façon plus Ă©levĂ©e pour les non-musulmans que pour les autres, et utilisĂšrent la contrainte par corps au cours de l’annĂ©e 1943. Le 15 mars 1944, cet impĂŽt fut abrogĂ©, les sommes encore dues annulĂ©es et les derniers contribuables incarcĂ©rĂ©s remis en libertĂ©[208].

Les communautés juives d'Amérique et de Palestine

En , Stephen Wise, ami personnel du prĂ©sident Roosevelt qu’il tente rĂ©guliĂšrement d’alerter sur le sort des Juifs, rassemble 75 000 manifestants Ă  Madison Square Garden, Ă  New York, contre le massacre en cours. Mais ce genre de manifestation reste exceptionnel pendant la guerre. Dans l'ensemble, la communautĂ© juive amĂ©ricaine rĂ©putĂ©e si puissante n'a que peu poussĂ© son gouvernement Ă  agir en faveur des coreligionnaires d'Europe, par peur de favoriser une poussĂ©e d’antisĂ©mitisme aux États-Unis[209]. Un des derniers messages du ghetto de Varsovie insurgĂ©, en , s'adresse aux Juifs d'AmĂ©rique pour dĂ©plorer le silence et la passivitĂ© dont ils ont fait preuve au moment de la mort de leurs frĂšres d'Europe.

Dans son ouvrage Le SeptiĂšme Million, paru en 1993 en IsraĂ«l, l'historien Tom Seguev a montrĂ© que pour les dirigeants du Yichouv (la communautĂ© juive de Palestine) et futurs fondateurs d'IsraĂ«l, le sort des Juifs d'Europe n'avait constituĂ© pendant la guerre qu'un problĂšme secondaire. Les futurs fondateurs d'IsraĂ«l, Ă  commencer par David Ben Gourion, Ă©taient plus soucieux de prĂ©parer l'aprĂšs-guerre et la crĂ©ation de l'État juif, et se sentaient au demeurant impuissants Ă  changer la situation en Europe. En 1944, le CongrĂšs juif mondial a appelĂ© Ă  bombarder les chambres Ă  gaz et les rails menant Ă  Auschwitz, mais assez mollement, Chaim Weizmann se montrant favorable Ă  la requĂȘte mais sans insister, et Ben Gourion hostile.

Sauvetages et Justes parmi les nations

La tragĂ©die des Juifs a Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ralement proportionnelle Ă  leur degrĂ© d’isolement dans la sociĂ©tĂ©.

Les populations face Ă  la Shoah

À l’Est, ils ont d’autant plus presque tous pĂ©ri qu’ils Ă©taient abandonnĂ©s, ignorĂ©s ou mĂ©prisĂ©s par des populations largement antisĂ©mites. Par ailleurs, celles-ci Ă©taient soumises elles-mĂȘmes Ă  une terreur de masse permanente qui mettait en danger de mort immĂ©diat tout auteur d’un geste de compassion ainsi que sa propre famille. Des Polonais ou des Ukrainiens furent sauvagement suppliciĂ©s en public pour avoir donnĂ© un morceau de pain ou un asile Ă  des Juifs, des familles entiĂšres pendues, fusillĂ©es ou dĂ©portĂ©es pour leur ĂȘtre venus en aide. Mais malgrĂ© le contentieux antisĂ©mite et la terreur nazie, la Pologne compte aussi plus de 5 000 Justes parmi les nations reconnus Ă  cette heure par Yad Vashem, soit le plus grand nombre en Europe.

En Allemagne, les dĂ©nĂ©gations d'aprĂšs-guerre (« Nous ne savions pas ») ne recouvrent pas la rĂ©alitĂ© historique : lettres du front, journaux intimes, rapports de police (sans oublier en 1945 le spectacle des marches de la mort), permettent d'Ă©tablir qu'entre la moitiĂ© et les deux tiers de la population adulte du Reich ont su que les Juifs Ă©taient non seulement dĂ©portĂ©s mais exterminĂ©s, mĂȘme si les modalitĂ©s prĂ©cises de la mise Ă  mort Ă©taient plus rarement connues, et mĂȘme si beaucoup ont prĂ©fĂ©rĂ© dĂ©tourner les yeux par indiffĂ©rence, par peur, par conformisme, par incrĂ©dulitĂ© ou par intĂ©rĂȘt[210].

La rĂ©sistance allemande au nazisme n'a pas toujours perçu l'antisĂ©mitisme comme une question centrale, et certains conjurĂ©s du complot du 20 juillet 1944 contre Adolf Hitler restaient convaincus de l'existence d'une « question juive » voire de la nĂ©cessitĂ© d'une lĂ©gislation restreignant « l'influence juive ». Mais le programme des comploteurs prĂ©voyait explicitement l'arrĂȘt des persĂ©cutions et la restitution des biens volĂ©s, et l'Ă©chec de la tentative pour renverser Hitler a bien empĂȘchĂ© l'arrĂȘt immĂ©diat de la Shoah.

Dans le Reich, des individualités courageuses ont fait preuve de compassion, comme Mgr Lichtenberg, mort déporté pour avoir prié à Berlin pour les Juifs. En 1943, dans la Rosenstrasse à Berlin, des conjointes de Juifs manifestent avec succÚs pour obtenir la libération de leurs maris, un épisode resté toutefois exceptionnel. Malgré les risques et la surveillance totalitaire de la Gestapo, quelques rares milliers de Juifs ont réussi à survivre clandestinement dans les villes allemandes jusqu'à la fin (surnommés les U-Boot ou « sous-marins ») grùce à l'aide d'Allemands « aryens » dévoués.

Aux Pays-Bas, pays sans tradition antisĂ©mite, une grĂšve gĂ©nĂ©rale de solidaritĂ© paralyse Amsterdam pour plusieurs jours lorsqu’en , les Allemands dĂ©portent 365 Juifs Ă  Mauthausen et Buchenwald[211]. Cette premiĂšre grĂšve antiraciste de l’Histoire Ă©choue Ă  sauver les victimes, mais manifeste un refus collectif de la persĂ©cution peu frĂ©quent dans l’Europe du temps. La RĂ©sistance locale et de nombreux individus viendront en aide Ă  des IsraĂ©lites, sans toutefois empĂȘcher la mort de 80 % de la communautĂ©.

Contrairement Ă  une idĂ©e reçue, ce bilan d’échec n’est pas dĂ» Ă  l’absence de montagnes et de forĂȘts pour cacher les persĂ©cutĂ©s hollandais[212]. En effet, des centaines de milliers de rĂ©sistants, de rĂ©fractaires au STO et de Juifs ont rĂ©ussi Ă  se cacher dans les villes jusqu’en 1945. Le problĂšme a surtout tenu dans la division traditionnelle de la sociĂ©tĂ© nĂ©erlandaise en communautĂ©s politiques et religieuses trĂšs cloisonnĂ©es (la « pilarisation », c'est-Ă -dire les piliers[alpha 14]) : sans relations suffisantes en dehors de leur propre communautĂ©, ghettoĂŻsĂ©e puis anĂ©antie, les Juifs hollandais ne pouvaient espĂ©rer trouver d’aide extĂ©rieure salvatrice.

En France, la mise en Ɠuvre de la Shoah prend une dimension Ă©minemment xĂ©nophobe, car le rĂ©gime de Vichy apporte l'aide de sa police Ă  la dĂ©portation de Juifs Ă©trangers, en croyant Ă  tort que les Allemands Ă©pargneront ainsi les Juifs français (alors mĂȘme qu’ils n’avaient jamais reçu la moindre promesse ne serait-ce que verbale en ce sens). En revanche, la mobilisation de nombreux inconnus, d’hommes d’Église, de couvents, de filiĂšres de rĂ©sistance ou de rĂ©seaux de solidaritĂ© a permis aux trois quarts des Juifs de France de voir la fin de la guerre, une proportion exceptionnelle en Occident.

En Belgique, oĂč la trĂšs grande majoritĂ© des Juifs, d’immigration rĂ©cente, n'a pas la nationalitĂ© belge, les Allemands ont l’habiletĂ© d’exempter les Juifs de nationalitĂ© belge des premiĂšres dĂ©portationsp. 1108_(nationalitĂ©),_p. 1118_(premiĂšres_dĂ©portations_juillet_42),_p. 1120_(directive_dĂ©porter_aussi_nationalitĂ©_belge,_dĂ©cembre_1942)_228-0">[214]. Au dĂ©but de 1941, les Allemands remanient l'administration belge et placent Ă  certains postes-clefs des individus proches des thĂšses nazies issus du mouvement Rex ou du VNV qui favoriseront la nomination de bourgmestres pro-nazis ou placeront Ă  la tĂȘte de la police un Ă©lĂ©ment tout dĂ©vouĂ© Ă  l'occupant. Le gouvernement en exil le dĂ©nonce mais aucune directive claire ou dĂ©saveu du ComitĂ© des secrĂ©taires-gĂ©nĂ©raux ne verra le jour. Si bien qu'en 1942, l'administration belge n'est plus en mesure de refuser d'appliquer les directives percolant depuis la militĂ€rverwaltung. En , l'occupant avait mis en place l'Association des Juifs en Belgique (AJB), sorte de Judenrat, et lui imposait, entre autres choses, de constituer des registres reprenant des listes familiales de l'ensemble des Juifs rĂ©sidant sur le territoire. Lorsque les personnes convoquĂ©es pour la dĂ©portation cessĂšrent de se prĂ©senter spontanĂ©ment Ă  la Caserne Dossin, des rafles furent organisĂ©es, des SS flamands et des policiers belges y prirent part, notamment, lors des trois rafles que connut Anvers. À Bruxelles, le bourgmestre s'opposera Ă  une telle implication des forces de l'ordre[215].

Les sauvetages collectifs : Danemark et Bulgarie

Monument en l’honneur de la nation bulgare et du sauvetage des juifs bulgares Ă  Jaffa, IsraĂ«l.

Au Danemark, le roi Christian X menace de porter lui-mĂȘme l'Ă©toile jaune si les Allemands cherchent Ă  l'imposer. En , lorsqu'une indiscrĂ©tion volontaire du diplomate allemand Georg Ferdinand Duckwitz fait connaĂźtre le projet de dĂ©portation des quelque 7 000 Juifs, la population se mobilise pour faire passer la communautĂ© en SuĂšde neutre Ă  travers le dĂ©troit de Copenhague. En plusieurs nuits, avec la bienveillance de la police et de l'administration, une flottille de petits navires conduit Ă  bon port ceux qu'une chaĂźne de complicitĂ©s a permis d'acheminer en cachette jusqu’aux quais[216].

La Bulgarie est membre de l'Axe depuis , mais n'est pas en guerre contre les AlliĂ©s. En , un vaste mouvement d'opinion oblige le roi et le Parlement Ă  reculer et Ă  refuser de livrer les Juifs nationaux aux nazis. MalgrĂ© la prĂ©sence de la Wehrmacht sur le sol de son alliĂ©, la communautĂ© bulgare (50 000 Juifs)[217] survit intĂ©gralement Ă  la guerre[218]. En revanche, Sofia accepte d’arrĂȘter et de dĂ©porter plus de 13 000 Juifs grecs de la Thrace et de la MacĂ©doine occupĂ©s par ses troupes.

Des alliés de Hitler entre compromissions et réticences

La Finlande, Ă  la suite du scandale de l’opinion, n’a finalement livrĂ© que 9 des 34 Juifs Ă©trangers prĂ©vus : un seul de ces neuf survivra.

Les Japonais, qui ont commis d’innombrables crimes de guerre en Asie, ne donnent pas suite pour autant aux demandes de leur alliĂ© Hitler de s’en prendre aux 20 000 Juifs allemands rĂ©fugiĂ©s Ă  Shanghai aprĂšs 1933. L’antisĂ©mitisme idĂ©ologique des nazis leur reste incomprĂ©hensible, et par le plan Fugu, ils tentent au contraire d’utiliser ces rĂ©fugiĂ©s souvent hautement qualifiĂ©s pour mettre en valeur la Mandchourie occupĂ©e.

D’autres alliĂ©s de Hitler se sont arrĂȘtĂ©s Ă  mi-chemin dans leur participation Ă  la Shoah.

La RĂ©publique slovaque (1939-1945) de Mgr Tiso, satellite du Reich, a d’abord livrĂ© par dizaines de milliers ses ressortissants Juifs au dĂ©but de l’annĂ©e 1942, avant de se raviser, notamment sous la pression du Vatican, et de suspendre les dĂ©portations. Mais aprĂšs l’écrasement du soulĂšvement national slovaque d’, les nazis et les collaborationnistes reprennent les dĂ©portations racistes.

En Hongrie, les Juifs, bien que soumis Ă  une lĂ©gislation antisĂ©mite depuis l’entre-deux-guerres, ne sont pas livrĂ©s au TroisiĂšme Reich tant que la Wehrmacht n’envahit pas le pays en , mais sont victimes des violences des fascistes des « Croix flĂ©chĂ©es ». L’amiral Horthy s’oppose aux dĂ©portations allemandes, suspendues en juillet, mais elles reprennent Ă  l’automne quand il est Ă©vincĂ© par les nazis au profit des « Croix flĂ©chĂ©es ».

Camp d’internement pour Juifs italiens à Fossoli, une des antichambres d’Auschwitz.

En Roumanie, le dictateur fasciste Ion Antonescu refuse aussi de livrer les Juifs des territoires qu’il contrĂŽle Ă  ses alliĂ©s nazis (la Wehrmacht entre dans le pays en ), mais c’est pour mettre en Ɠuvre son propre plan d’extermination (environ 220 000 Juifs en sont victimes, notamment en Transnistrie, une rĂ©gion ukrainienne occupĂ©e par la Roumanie fasciste). Et c’est moyennant finances qu’il laisse des organisations comme Aliyah (prĂ©sidĂ©e par Eugen Meissner et Samuel Leibovici, et liĂ©e Ă  la FĂ©dĂ©ration des communautĂ©s juives de Roumanie) affrĂ©ter trains et navires pour faire passer des Juifs roumains, par la Bulgarie ou par la mer Noire, jusqu’en Palestine. Le consulat britannique ne dĂ©livre des visas que jusqu’à la dĂ©claration de guerre des AlliĂ©s Ă  la Roumanie en , qui place les Juifs roumains dans la situation de « citoyens d’un pays ennemi ». Sans visas britanniques, la Palestine devient inaccessible, ce qui entraĂźne des tragĂ©dies comme celle du vapeur Struma. L’émigration ne reste possible qu’à travers la Bulgarie avec des visas turcs (la Bulgarie est membre de l'Axe mais n'est pas en guerre contre les AlliĂ©s, et la Turquie est neutre). Les visas turcs sont fort coĂ»teux et ne sont dĂ©livrĂ©s qu'au compte-gouttes, grĂące Ă  l’aide de la communautĂ© juive d’Istanbul[219] elle-mĂȘme soutenue par le ComitĂ© juif amĂ©ricain. À partir de , la dictature roumaine ayant perdu un quart de son armĂ©e Ă  Stalingrad, ralentit et progressivement arrĂȘte son plan d’extermination des Juifs, de sorte qu’à sa chute le environ la moitiĂ© des Juifs roumains de 1938 sont encore en vie[220].

L’Italie fasciste se voit gĂ©nĂ©ralement gratifiĂ©e d’avoir protĂ©gĂ© les Juifs dans ses zones d’occupation. Ainsi, dans les sept dĂ©partements français occupĂ©s par l’armĂ©e italienne entre et le , l'administration militaire a refusĂ© toute dĂ©portation et n'a pas hĂ©sitĂ© Ă  rappeler Ă  l'ordre les autoritĂ©s du rĂ©gime de Vichy quand elles s'en prenaient Ă  des IsraĂ©lites. De ce fait, de nombreux Juifs de France affluent dans la zone italienne, oĂč les rafles et les dĂ©portations commencent dĂšs l’arrivĂ©e des Allemands, Ă  partir de . Toutefois, l'historiographie rĂ©cente a nuancĂ© fortement cette reprĂ©sentation d'un fascisme italien protecteur des Juifs. Elle a dĂ©montrĂ© que Mussolini Ă©tait devenu personnellement raciste et antisĂ©mite au moment de la conquĂȘte de l'Éthiopie (1935-1936) puis avec la radicalisation de son rĂ©gime dans un sens totalitaire, Ă  la fin des annĂ©es 1930. De ce fait, les lois antijuives adoptĂ©es en Italie en 1938 ne doivent rien Ă  une volontĂ© d'imiter son alliĂ© Hitler, et rĂ©pondent Ă  une conversion rĂ©elle du rĂ©gime Ă  l'antisĂ©mitisme. Plus appliquĂ©es que ce que l'on a longtemps cru, elles ont fragilisĂ© les Juifs italiens et prĂ©parĂ© en partie le terrain aux Allemands. Elles Ă©taient d’autant plus graves que l’Italie n’avait pas de tradition antisĂ©mite et que les Juifs Ă©taient traditionnellement nombreux et bien acceptĂ©s dans l’armĂ©e, dans l’administration ou dans le mouvement fasciste lui-mĂȘme. D'autre part, toujours selon les historiens actuels, le refus des Italiens de livrer les Juifs doit beaucoup plus Ă  une volontĂ© de se saisir de l'occasion pour montrer aux Allemands qu'ils Ă©taient capables de « rĂ©soudre » eux-mĂȘmes le « problĂšme juif », qu'Ă  une quelconque sympathie pour les Juifs. Aucune instruction de protĂ©ger les Juifs ne fut jamais donnĂ©e par le gouvernement de Rome, et il arriva mĂȘme que les troupes italiennes livrent en certains endroits des Juifs aux nazis, ainsi lors de la dĂ©portation des Juifs de Tirana en Albanie. AprĂšs l'invasion de l'Italie en , les trĂšs violentes milices fascistes de la RĂ©publique de Salo collaborent activement Ă  la traque et Ă  l'assassinat des Juifs. PrĂšs de 9 000 Juifs italiens ont Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s dont Primo Levi.

Dévouements individuels et organisés

DiplÎme de Juste parmi les nations délivré en 1990 à Roger Taillefer (1907-1999)

Décerné par Yad Vashem, le titre de « Juste parmi les nations » honore les non-Juifs qui ont sauvé des Juifs de la Shoah pour des motifs désintéressés.

Ne sont donc pas abordĂ©s ici ceux qui ont vendu des faux papiers aux Juifs parfois Ă  prix d’or, ou qui en ont fait passer en Espagne ou en Suisse contre de l’argent - certains passeurs peu scrupuleux vendaient mĂȘme leurs clients aux nazis aprĂšs avoir touchĂ© la somme due ; la plupart des passeurs « justes », bĂ©nĂ©voles et courageux, ont offert leur aide gratuitement, au risque de leur vie ou de leur libertĂ©, en jouant souvent un double-jeu dangereux avec les autoritĂ©s de l'Ă©poque, occupants ou leur propre hiĂ©rarchie.

À Marseille, l'amĂ©ricain Varian Fry parvint en 1940 Ă  faire sortir plus de 2 000 intellectuels et artistes d'Europe dont de nombreux Juifs. En 1940 Ă  Jassy, de 1941 Ă  1944 Ă  Czernowitz, le pharmacien Beceanu et le docteur Traian Popovici sauvĂšrent respectivement 1 500 et 19 000 juifs locaux des pogroms et des tentatives de dĂ©portation du rĂ©gime Antonescu, le « PĂ©tain roumain »[221]. En 1944 Ă  Budapest, le diplomate suĂ©dois Raoul Wallenberg sauva plus de 20 000 israĂ©lites hongrois, notamment en leur dĂ©livrant des passeports suĂ©dois. L'industriel allemand Oskar Schindler sauva 1 200 juifs dans son usine Ă  Cracovie. Irena Sendler est une militante polonaise catholique qui sauva 2 500 enfants juifs du Ghetto de Varsovie et fut dĂ©clarĂ©e Juste parmi les nations par l'institut Yad Vashem.

Les institutions religieuses sont sur-reprĂ©sentĂ©es dans l’aide aux Juifs, souvent dissimulĂ©s dans des couvents ou des pensionnats religieux. Des faux certificats de baptĂȘme ont Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©s par d’innombrables curĂ©s et pasteurs. MalgrĂ© leurs sympathies pĂ©tainistes, un grand nombre d’évĂȘques français ont fait donner asile Ă  des Juifs. À Rome, le silence officiel du pape Pie XII n’empĂȘcha nullement les institutions religieuses liĂ©es au Vatican d’abriter et de sauver des milliers de pourchassĂ©s. D’autres organisations d’inspiration religieuse Ă©taient plus proches de la RĂ©sistance spirituelle. Ainsi de nombreux enfants raflĂ©s Ă  Lyon ont-ils Ă©tĂ© sortis en une nuit du camp de Villeurbanne () par l’AmitiĂ© chrĂ©tienne de l’abbĂ© Glasberg et du R.P. Pierre Chaillet, fondateur de TĂ©moignage chrĂ©tien.

Une rescapée de la Shoah montre le nom du Juste qui l'a sauvée et lui a permis de vivre, Yad Vashem, Jérusalem.

Des villages entiers sont parfois venus au secours des persécutés, comme les villages protestants de Nieuwlande aux Pays-Bas, de Dieulefit dans la DrÎme et du Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire, ce dernier étant collectivement reconnu comme Juste. Minorité jadis persécutée par le pouvoir royal, les protestants français ont été particuliÚrement nombreux à se dévouer aux nouveaux proscrits.

Des fonctionnaires, des policiers, des soldats, des entreprises ont refusĂ© de participer Ă  la persĂ©cution, Ă  la spoliation ou Ă  la dĂ©portation. Quelques policiers Ă©chappĂ©s de la prĂ©fecture oĂč ils Ă©taient consignĂ©s rĂ©ussissent Ă  avertir et sauver des Juifs parisiens Ă  la veille de la rafle du Vel’ d’Hiv’. Des responsables de la prĂ©fecture, le , ont sauvĂ© la quasi-totalitĂ© des centaines de Juifs visĂ©s par la rafle manquĂ©e de Nancy.

Beaucoup d’EuropĂ©ens sont venus en aide aux Juifs comme Ă  une catĂ©gorie de parias parmi d’autres, sans avoir conscience eux-mĂȘmes du sort spĂ©cifique qui les attendait par rapport aux prisonniers Ă©vadĂ©s, aux rĂ©sistants ou aux rĂ©fractaires au STO. MĂȘme lorsqu’ils sauvaient des gens de l’extermination, peu d’individus et de mouvements ont Ă©tĂ© Ă  l’époque au courant des projets rĂ©els de Hitler et de la virulence du racisme et de l’antisĂ©mitisme dans l’idĂ©ologie nazie.

Les « justes parmi les nations » sont recensĂ©s surtout Ă  l’Ouest de l'Europe, oĂč la libertĂ© de recherche historique et libre circulation des informations a permis aux juifs rescapĂ©s de retrouver leurs sauveteurs, et oĂč ceux-ci ont pu apprendre l'existence de Yad Vashem. À l'est, oĂč c'est seulement Ă  partir de 1989 que l'information et la recherche historique ont pu se dĂ©velopper librement, le recensement des justes, bien plus tardif et alĂ©atoire, est inachevĂ©.

Bilans

Culturel

La Shoah est, entre autres, un anéantissement culturel. Le Yiddishland d'Europe centrale et orientale a pratiquement disparu, et l'on estime que les trois quarts des locuteurs du yiddish ont disparu pendant la guerre.

La France a perdu le quart de sa population juive, mĂȘme si le monde israĂ©lite français en tant que tel continue d'exister (des synagogues et des Ă©coles juives sont mĂȘme restĂ©es ouvertes Ă  Paris toute l'Occupation), en revanche, les communautĂ©s juives d'Amsterdam, Berlin, Vienne, Budapest ou Vilnius ont Ă©tĂ© Ă©radiquĂ©es Ă  plus de 80 ou 90 %. À Vilnius, ce sont 32 000 Juifs qui sont assassinĂ©s lors des pogroms du dĂ©but du conflit[222]. Les nazis ont aussi cherchĂ© Ă  effacer toute trace du passĂ© juif multisĂ©culaire en spoliant leurs victimes de tous leurs biens et Ɠuvres d'art, en dĂ©truisant les synagogues, en brĂ»lant des livres de priĂšres, en retournant les cimetiĂšres.

Ce n'est pas le peuple juif qui a perdu un grand nombre de ses enfants, mais les rares survivants qui ont perdu leur peuple et leur univers, sans retour possible[223]. Marek Edelman, un des rares chefs survivants du soulÚvement du ghetto de Varsovie, déclare ainsi devant la destruction de 97 % de la communauté polonaise : « Dans le monde, il n'y a plus de Juifs. Ce peuple n'existe pas. Et il n'y en aura pas[224]. »

Bilans chiffrés des victimes

Les estimations du nombre de Juifs tuĂ©s lors de l'Holocauste varient pour les spĂ©cialistes entre 5,1 millions (l'historien Raul Hilberg) et 6 millions (l'Ă©conomiste et statisticien Jacob Lestchinsky). L'historien allemand Wolfgang Benz donne comme chiffres, au minimum 5,29 millions de morts et au maximum « un peu plus de 6 millions de morts »[225]. On parle de 6 millions de victimes en rĂ©fĂ©rence au chiffre citĂ© dĂšs le procĂšs de Nuremberg[226], justifiĂ© dans Le BrĂ©viaire de la Haine de LĂ©on Poliakov[227] et repris au procĂšs d'Adolf Eichmann. Le Yad Vashem a pu retrouver le nom d'un peu plus de 4 millions d'entre elles[228], selon ses propres estimations.

L'Europe du génocide.

À la fin de son ouvrage La Destruction des Juifs d'Europe, Raul Hilberg tente de chiffrer globalement les victimes. Il rĂ©partit les chiffres en trois catĂ©gories[5] :

  1. Morts consécutives aux privations, en particulier, la faim et la maladie dans les ghettos ;
  2. Morts par fusillades ;
  3. Morts consécutives aux déportations vers les camps d'extermination.

Les estimations proviennent de rapports Ă©manant notamment des services allemands, des autoritĂ©s satellites et des conseils juifs. Ils ont ensuite Ă©tĂ© affinĂ©s grĂące aux comparaisons entre les statistiques d'avant-guerre et celles d'aprĂšs-guerre. Hilberg s'efforce de faire des corrections pour ne prendre en compte que les Juifs victimes de la Shoah et Ă©carter ceux dont la mort peut ĂȘtre imputĂ©e Ă  la guerre.

Cette dissociation est souvent dĂ©licate. Ainsi, lorsque l'Allemagne envahit l'URSS, un million et demi de Juifs quittent leur domicile, au mĂȘme titre qu'un nombre plus important de non-juifs parmi lesquels la mortalitĂ© est supĂ©rieure Ă  la normale. Un autre problĂšme dans l'estimation du nombre de victimes tient au fait que 70 % des victimes proviennent de la Pologne et de l'URSS et que les frontiĂšres de ces deux pays ne cessent d'Ă©voluer tout au long de la guerre si bien que les statistiques de la bureaucratie nazie se rĂ©fĂšrent souvent Ă  des territoires dont les frontiĂšres sont mouvantes[229].

En rĂ©sumĂ©, l'ampleur du gĂ©nocide lui-mĂȘme, les circonstances de la persĂ©cution et de la guerre, l'ambiguĂŻtĂ© mĂȘme de la qualitĂ© de Juif rendent impossible de chiffrer prĂ©cisĂ©ment le nombre de victimes, encore moins de les catĂ©goriser : Hilberg donne finalement l'estimation de 5,1 millions de victimes juives.

Les victimes par pays

Taux de mortalité de la population juive par pays.

Les chiffres du tableau de Lucy S. Dawidowicz montrent le nombre de victimes comparé à la population d'avant-guerre de chaque pays, et le pourcentage de tués par pays[230] :

Pays Population juive estimée avant guerre Population juive exterminée Pourcentage de tués
Pologne 3 300 000 3 000 000 90 %
Pays baltes 253 000 228 000 90 %
Allemagne et Autriche 240 000 210 000 90 %
BohĂȘme et Moravie 90 000 80 000 89 %
Slovaquie 90 000 75 000 83 %
GrĂšce 70 000 54 000 77 %
Pays-Bas 140 000 105 000 75 %
Hongrie 650 000 450 000 70 %
RSS de BiĂ©lorussie 375 000 245 000 65 %
RSS d'Ukraine 1 500 000 900 000 60 %
Belgique 65 000 40 000 60 %
Yougoslavie 43 000 26 000 60 %
Roumanie 850 000 340 000 40 %
NorvĂšge 2 173 890 41 %
France 350 000 90 000 26 %
Bulgarie 64 000 14 000 22 %
Italie 40 000 8 000 20 %
Luxembourg 5 000 1 000 20 %
RSFS de Russie 975 000 107 000 11 %
Finlande 2 000 22 1 %
Danemark 8 000 52 0.6< 1 %
Total 8 861 800 5 933 900 67 %

D'autres sources existent, avec des nombres de victimes diffĂ©rents. Les pourcentages ci-dessous sont copiĂ©s du site du CCLJ[231], qui les a tirĂ©s de l'Histoire universelle des Juifs par Élie Barnavi (2002) et de Jacob Robinson :

Les noms des victimes sur les murs de la synagogue Pinkas Ă  Prague.
Selon l'Histoire universelle des Juifs par Élie Barnavi (2002) Selon Jacob Robinson[232] :

Total : Environ 5 950 400

Total : 5 820 960

Les victimes par année

D'aprĂšs Hilberg[233] :

Total : 5 100 000

Nombre de victimes selon la cause du décÚs

D'aprĂšs Hilberg[234] :

  • Constitution de ghettos et privations : plus de 800 000
    • Ghettos de l'Europe de l’Est sous occupation allemande : plus de 600 000
    • Theresienstadt et privations Ă  l'extĂ©rieur des ghettos : 100 000
    • Camps de Transnistrie (Juifs roumains et soviĂ©tiques) : 100 000
  • Fusillades Ă  ciel ouvert : 1 300 000
  • Camps : 3 000 000
    • Centres d'extermination crĂ©Ă©s par l'Allemagne
    • Camps crĂ©Ă©s par la Roumanie : 100 000
    • Camps crĂ©Ă©s par la Croatie et autres : moins de 50 000

Total : 5 100 000, dont 2 700 000 dans les chambres Ă  gaz.

Les victimes en France

Selon des chiffres établis par l'association des Fils et filles de déportés juifs de France présidée par Serge Klarsfeld et publiés en 1985 :

  • 75 721 Juifs, dont prĂšs de 11 000 enfants, ont Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s de France entre mars 1942 et aoĂ»t 1944 ;
  • en tout, on dĂ©nombre 74 convois en direction des camps de concentration ou d'extermination ; pour la plupart, ils sont partis de la gare du Bourget (1942-1943) ou de la gare de Bobigny (1943-1944) ; le premier, en date du 27 mars 1942, est parti de CompiĂšgne et le dernier, le 18 aoĂ»t 1944, de Clermont-Ferrand ;
  • prĂšs de 90 % de ces 76 000 Juifs ont Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s vers Auschwitz :
    • en 1942, les 43 convois sont partis pour Auschwitz-Birkenau ;
    • en 1943, sur 17 convois, 13 sont allĂ©s Ă  Auschwitz et 4 Ă  Sobibor ;
    • en 1944, sur 14 convois, 13 sont partis pour Auschwitz, et l’un est parti pour Kaunas et Reval (le convoi 73) ;
  • 3 000 personnes sont mortes dans les camps d'internement français et il a Ă©tĂ© procĂ©dĂ© Ă  environ 1 000 exĂ©cutions de Juifs sur le sol français ; ces 4 000 victimes s’ajoutent ainsi aux 76 000 dĂ©portĂ©s, le bilan de la « solution finale » pour la France est alors proche de 80 000 victimes en tout ;
  • 2 566 survivants ont Ă©tĂ© comptabilisĂ©s Ă  la libĂ©ration des camps en 1945, soit environ 3 % des dĂ©portĂ©s ;
  • les nationalitĂ©s les plus touchĂ©es parmi les Juifs dĂ©portĂ©s de France ont Ă©tĂ© les Polonais (environ 26 000), les Français (24 000 dont plus de 7 000 sont des enfants nĂ©s en France de parents Ă©trangers), les Allemands (7 000), les Russes (4 500), les Roumains (3 300), les Autrichiens (2 500), les Grecs (1 500), les Turcs (1 300), les Hongrois (1 200) ;
  • pour au moins 85 % des Juifs dĂ©portĂ©s de France, l'opĂ©ration d’arrestation a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e par les forces de police françaises.

Conséquences et mémoire de la Shoah

L’importance centrale de la Shoah dans le devoir de mĂ©moire occidental ne fut acquise qu’à partir de sa redĂ©couverte dans les annĂ©es 1970, et d’une meilleure comprĂ©hension de sa spĂ©cificitĂ©[235].

À l’heure actuelle, comme le note l’historien Tony Judt, la Shoah est devenue une pierre angulaire de l’identitĂ© europĂ©enne : « nier ou rabaisser la Shoah, c’est s’exclure soi-mĂȘme du champ du discours public civilisĂ©. (
) Sa mĂ©moire est devenue la dĂ©finition et la garantie mĂȘme de l’humanitĂ© restaurĂ©e du continent »[236].

Impact sur le droit international

La Shoah marque un tournant historique car elle est l'occasion d'une prise de conscience internationale amenant plusieurs faits majeurs :

Réparations morales et reconnaissance du passé

Les pays communistes refusĂšrent longtemps toute indemnisation des victimes juives, gommĂšrent l’identitĂ© juive des victimes du nazisme et n’admirent aucunement la responsabilitĂ© de leurs États dans les crimes passĂ©s. La RDA rejeta ainsi la responsabilitĂ© du crime sur les capitalistes ouest-allemands, et ne reconnut la responsabilitĂ© du peuple allemand dans la Shoah qu’aprĂšs les premiĂšres Ă©lections libres de 1990, Ă  la veille de disparaĂźtre.

AprÚs-guerre, le procureur de Hesse Fritz Bauer ne fut pas avare de ses efforts afin d'obtenir justice et compensations aux victimes du régime nazi. En 1958, il réussit à obtenir qu'un procÚs en action collective certifié ait lieu ; le recueil des nombreuses réclamations individuelles de victimes aboutira aux procÚs dits « d'Auschwitz » de Francfort, dont la procédure débuta en 1963.

Bauer fonda également, avec Gerhard Szczesny, le Syndicat Humaniste, une organisation des droits de l'Homme, en 1961. AprÚs la mort de Bauer, l'Union fit un don pour financer le Prix Fritz Bauer. De plus, l'Institut Fritz Bauer, fut fondé en 1995, une organisation à but non lucratif consacrée aux droits civils, qui se concentre sur l'histoire et les conséquences de l'Holocauste.

Plaque en mémoire de l'agenouillement de Willy Brandt devant le mémorial du ghetto de Varsovie en 1970, monument inauguré en 2000 à Varsovie.

En 1970, le chancelier ouest-allemand Willy Brandt s’agenouilla spectaculairement devant le monument Ă  la mĂ©moire du ghetto de Varsovie.

En 1995, lors d'un voyage en IsraĂ«l, la reine Beatrix des Pays-Bas Ă©voqua publiquement le sort des Juifs du pays, exterminĂ©s Ă  80 %. L'État avait attendu 1972 pour accepter de verser une indemnitĂ© aux rescapĂ©s[237].

En , le prĂ©sident Jacques Chirac reconnut la responsabilitĂ© de l’État français dans la rafle du Vel’ d’Hiv’ et la dĂ©portation des Juifs, Ă©voquant la « dette imprescriptible » Ă  leur Ă©gard.

DĂšs sa premiĂšre Ă©lection en 1990, le prĂ©sident polonais Lech WaƂęsa s'est rendu en IsraĂ«l pour dĂ©noncer devant la Knesset l'antisĂ©mitisme passĂ© et prĂ©sent en Pologne, message confirmĂ© en juillet 1991 pour l'anniversaire du pogrome de Kielce (juillet 1946). NĂ©anmoins, il ne prononce pas une seule fois le mot « juif » lors de son discours au 50e anniversaire de la libĂ©ration d’Auschwitz en 1995. Son successeur Aleksander Kwaƛniewski a prononcĂ© en juillet 2001 un discours solennel Ă  l'occasion de l'anniversaire du massacre, Ă  Jedwabne en 1941, d'un millier de Juifs par leurs voisins polonais, et a reconnu la responsabilitĂ© des Polonais dans ce crime et fait acte de repentance. Ces prises de position font suite Ă  d'intenses dĂ©bats publics dans le pays, notamment Ă  propos du pogrome de Jedwabne[238], au dĂ©veloppement de la recherche historique et des actions associatives et Ă©ducatives depuis l'avĂšnement de la dĂ©mocratie[239].

En 2005, Ă  la veille de l’entrĂ©e de son pays dans l’union europĂ©enne, le prĂ©sident Ion Iliescu reconnaĂźt que la Roumanie a participĂ© Ă  la Shoah[240].

Le rapprochement judĂ©o-chrĂ©tien conduit depuis l'entre-deux-guerres et relancĂ© par le concile de Vatican II (1962-1965) (oĂč la Shoah, encore peu redĂ©couverte en Europe, n'a pas Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e) a parfois butĂ© sur la question de l'attitude de la PapautĂ© et d'une partie du clergĂ© et des fidĂšles pendant le gĂ©nocide. L'installation du carmel d'Auschwitz dans l'enceinte du camp, dans les annĂ©es 1980, a provoquĂ© une controverse longue de dix ans, les organisations juives dĂ©nonçant une tentative de gommer la spĂ©cificitĂ© juive du lieu au profit d'une « christianisation » et d'une rĂ©cupĂ©ration de la Shoah. Jean-Paul II, ancien archevĂȘque de Cracovie et qui s'est rendu plusieurs fois Ă  Auschwitz, mit fin Ă  la polĂ©mique en 1993 en ordonnant le dĂ©part des carmĂ©lites.

En , l'Ă©piscopat français publiait Ă  Drancy une dĂ©claration de repentance pour les rĂ©actions insuffisantes de l'Église de France pendant la persĂ©cution raciale. En 1998, aprĂšs plus de dix ans de travaux d'une commission d'historiens et d'hommes d'Église, la publication par le Vatican du document Souvenons-nous : une rĂ©flexion sur la Shoah n'apporta pas pleine satisfaction aux reprĂ©sentants juifs. Toutefois, la condamnation rĂ©pĂ©tĂ©e de l'antisĂ©mitisme par Rome et par les Églises nationales (y compris polonaise), les demandes de pardon pour le long antijudaĂŻsme du passĂ© et les voyages de Jean-Paul II et BenoĂŻt XVI Ă  Auschwitz ont dĂ©montrĂ© la rupture officielle de l'Église avec toute tentation antisĂ©mite.

En , la chanceliĂšre allemande Angela Merkel a Ă©voquĂ© la Shoah dans un discours devant la Knesset : « Nous autres, Allemands, la Shoah nous emplit de honte. Je m’incline devant ses victimes, ses survivants et ceux qui les ont aidĂ©s Ă  survivre[241] ».

Réparations financiÚres et restitutions des biens volés

Alliances volées aux Juifs tués.

DĂšs l'aprĂšs-guerre, une partie des biens volĂ©s aux Juifs ont pu ĂȘtre restituĂ©s. Mais c'est dans les annĂ©es 1990 que l'aryanisation a commencĂ© Ă  faire l'objet d'Ă©tudes historiques spĂ©cifiques et d'enquĂȘtes publiques approfondies, ainsi avec la mission MattĂ©oli mise en place en 1997 par le gouvernement français.

En 1951 est crĂ©Ă©e la Jewish Claims Conference, dont le but est de gĂ©rer les rĂ©parations financiĂšres des victimes juives des nazis. En 2012, le total des sommes versĂ©es Ă  la Claims Conference dĂ©passe les 70 milliards de dollars[242].

En 1953, un traitĂ© signĂ© entre la RFA et IsraĂ«l prĂ©voit le versement par Bonn d'une importante indemnitĂ©. Il est ratifiĂ© malgrĂ© l'opposition d'une partie de la classe politique allemande et de certains IsraĂ©liens choquĂ©s que Ben Gourion ait nĂ©gociĂ© directement avec les Allemands et Adenauer. Le traitĂ© sera scrupuleusement appliquĂ©, avec 845 millions de dollars versĂ©s en 1965, 5 000 employĂ©s fĂ©dĂ©raux occupĂ©s Ă  traiter 4 276 000 demandes. En 1973, le travail est considĂ©rĂ© comme achevĂ© Ă  95 %. Les rĂ©parations ont occupĂ© jusqu'Ă  5 % du budget fĂ©dĂ©ral de l'Allemagne de l'Ouest[243]. À la fin des annĂ©es 1980, prĂšs de 30 milliards de dollars d'indemnisations ont Ă©tĂ© versĂ©s, ce qui Ă©tait conforme et mĂȘme supĂ©rieur aux attentes des signataires du texte de 1953[244]. En 2007, le total des indemnisations versĂ©es par l'Allemagne est estimĂ© Ă  64 milliards d'euros[245].

Les industries qui avaient exploitĂ© la main-d'Ɠuvre concentrationnaire juive ont refusĂ© aprĂšs-guerre de reconnaĂźtre la moindre responsabilitĂ© morale et de verser la moindre indemnitĂ©. Selon Paul Johston, les grandes entreprises allemandes « ont rĂ©sistĂ© pied Ă  pied Ă  toute demande d’indemnisation dans un Ă©tonnant mĂ©lange de mesquinerie et d’arrogance ». 13 millions de dollars avaient Ă©tĂ© versĂ©s au milieu des annĂ©es 1980 Ă  moins de 15 000 Juifs rescapĂ©s (les anciens esclaves d'IG Farben touchant 1 700 $ chacun, ceux d'AEG Telefunken 500 $, d'autres encore moins) et rien n'avait Ă©tĂ© versĂ© aux familles de ceux morts d’épuisement. Ce n'est qu'en 1999 qu'un fonds de compensation sera mis en place en Allemagne et en Autriche pour les anciens travailleurs forcĂ©s juifs des camps de la mort et des camps de travail, voire pour une partie des travailleurs civils amenĂ©s de force en Allemagne.

Les États communistes refuseront de reconnaĂźtre la moindre responsabilitĂ© dans un crime attribuĂ© au capitalisme occidental, et a fortiori de verser la moindre indemnitĂ© jusqu'Ă  leur disparition. L'Autriche, dont les foules avaient rĂ©servĂ© un accueil triomphal Ă  Hitler en 1938 et qui a fourni de loin la plus forte proportion de militants du NSDAP et de tueurs de la Shoah, se prĂ©sentera comme « premiĂšre victime du nazisme » et refusera durablement toute reconnaissance morale et financiĂšre.

En France, un dĂ©cret du attribue aux orphelins de dĂ©portĂ©s du fait de persĂ©cutions antisĂ©mites une rente viagĂšre de 3 000 francs par mois ou un versement forfaitaire de 180 000 francs[246]. Une commission d'indemnisation pour les victimes de spoliations (CIVS), est mise en place en 1999. Au , le total des sommes versĂ©es est d'environ 470 millions d'euros[247].

Au total, depuis 1948, le montant des indemnisations versĂ©es aux survivants de l'Holocauste (et leurs ayants droit) par le gouvernement français est Ă©valuĂ© par celui-ci Ă  plus de 6 milliards de dollars[248].

Le problĂšme des rĂ©parations comporte aussi un volet judiciaire. Une premiĂšre procĂ©dure aboutit Ă  la condamnation solidaire de l'État et de la SNCF en 2006 pour la dĂ©portation de Georges Lipietz. La SNCF fait appel et obtient gain de cause en 2007. Dans la foulĂ©e, plus de 1 500 familles dĂ©posent plainte[249]. Un avis dĂ©favorable Ă  ces familles est rendu par le Conseil d'État[250].

Des programmes de restitution des Ɠuvres d'art spoliĂ©es sous le TroisiĂšme Reich sont Ă©galement mis en place dans plusieurs pays[251] - [252].

De l'occultation


Dans les premiĂšres annĂ©es de l'aprĂšs-guerre, la notion rĂ©cente de gĂ©nocide est loin d'ĂȘtre comprise par tout le monde, et beaucoup de contemporains n'ont pas conscience de la spĂ©cificitĂ© du sort qui a frappĂ© le peuple juif, quand ils ne refusent pas de croire ou d'Ă©couter les survivants, ou quand ils ne soupçonnent pas ceux-ci d'exagĂ©rer ou d'avoir collaborĂ© pour survivre. Bien des rescapĂ©s, dĂ©jĂ  fort peu nombreux, n'ont aucune envie d'insister eux-mĂȘmes sur leur particularitĂ©, et prĂ©fĂšrent afficher leur appartenance retrouvĂ©e Ă  la communautĂ© nationale. C'est ainsi qu'en France, les victimes des dĂ©portations sont souvent absurdement dĂ©clarĂ©es « mortes pour la France », comme si enfants, vieillards et femmes Ă©taient morts au champ d’honneur[253].

Le camp paradigmatique de l'enfer nazi n'est pas alors Auschwitz, lointain et maintenant inaccessible derriĂšre le rideau de fer, mais Buchenwald, haut-lieu du martyre de la RĂ©sistance europĂ©enne. AntisĂ©mitisme officiel Ă  l'Est oblige, rien sur le monument de Babi Yar en URSS ou de Birkenau en Pologne n'indique le caractĂšre juif des victimes, et le musĂ©e national d'Auschwitz prĂ©sente le camp comme le lieu de martyre des rĂ©sistants de Pologne et d'Europe. Birkenau, oĂč se trouvaient les chambres Ă  gaz, est dĂ©laissĂ© par les guides et les visiteurs jusqu'aux annĂ©es 1990, et livrĂ© aux mauvaises herbes et Ă  l'abandon relatif, aprĂšs avoir Ă©tĂ© dĂ©jĂ  saccagĂ© en partie Ă  la libĂ©ration par des civils polonais Ă  la recherche de « l'or juif » et de matĂ©riaux Ă  rĂ©cupĂ©rer.

L'occultation se retrouve aussi de l'autre cĂŽtĂ© de l'Europe. C'est l'Ă©poque oĂč Nuit et brouillard d'Alain Resnais (1955) peut montrer les chambres Ă  gaz sans parler des Juifs. À la fin des annĂ©es 1970, lors de l'Ă©laboration du pavillon français Ă  Auschwitz, un fonctionnaire obtient encore qu'il ne soit pas fait plus mention des Juifs que d'autres catĂ©gories, et que la collaboration et les divisions civiles françaises soient escamotĂ©es[254].

Le chef-d'Ɠuvre de Primo Levi, Si c'est un homme (1945), a eu le plus grand mal Ă  trouver un Ă©diteur puis un public jusqu'aux annĂ©es 1970. Le succĂšs mondial dĂšs les annĂ©es 1950 du Journal d'Anne Frank et de ses adaptations thĂ©Ăątrale et filmique fait exception, en partie parce qu'il s'arrĂȘte Ă  l'arrestation de la jeune fille et ne dĂ©crit ni la dĂ©portation ni l'extermination. En France, dĂšs 1951, LĂ©on Poliakov publie la premiĂšre grande Ă©tude de la politique d'extermination des Juifs menĂ©e par les nazis dans son ouvrage Le BrĂ©viaire de la Haine, prĂ©facĂ© par François Mauriac.

Globalement, les États et les peuples prĂ©fĂšrent aprĂšs-guerre mettre l'accent sur l'hĂ©roĂŻsme des rĂ©sistants et des combattants, plutĂŽt que sur la souffrance et les victimes. Implicitement, ceux qui ont endurĂ© la dĂ©portation sans avoir rien fait sinon naĂźtre juifs sont perçus comme forcĂ©ment moins mĂ©ritants que les rĂ©sistants qui savent pourquoi ils ont Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s[253].

MĂȘme IsraĂ«l ne se rĂ©fĂ©ra pas Ă  sa naissance Ă  la Shoah, et prĂ©fĂ©ra insister sur les quelques hĂ©ros qui ont combattu les nazis les armes Ă  la main plutĂŽt que sur la masse de ceux tuĂ©s sans pouvoir se dĂ©fendre. Significativement, le gĂ©nocide est commĂ©morĂ© le 19 avril, anniversaire du soulĂšvement du ghetto de Varsovie, et sous le nom de « Jour des HĂ©ros ».


 à la centralité

La perspective ne se renverse qu'Ă  partir du procĂšs d'Adolf Eichmann en 1961, de la guerre des Six Jours (1967) avant laquelle l'opinion mondiale a sincĂšrement craint un « nouvel Auschwitz » en cas de victoire arabe, du rĂ©veil de la mĂ©moire juive avec le changement de gĂ©nĂ©ration, et surtout des annĂ©es 1970, oĂč la spĂ©cificitĂ© de l'Holocauste et sa centralitĂ© sont dĂ©sormais mieux Ă©tablis par les historiens et mieux portĂ©s Ă  connaissance d'un large public.

La diffusion de la série télévisée Holocauste (1979) eut ainsi un énorme impact sur le public notamment américain ou allemand, comme ultérieurement les succÚs de La Liste de Schindler de Steven Spielberg ou de La Vie est belle de Roberto Benigni. En 1985, le documentaire Shoah de Claude Lanzmann eut un impact tel que le mot servit désormais à désigner le judéocide dans la plupart des langues, sauf les pays-anglo-saxons restés fidÚles au terme d'Holocauste (cf. infra pour précisions).

La nécessité de lutter contre les faussaires négationnistes à partir des années 1970 a également stimulé les travaux historiques et poussé de nombreux témoins à sortir de leur silence.

Aucun nazi n'a jamais niĂ© le crime lors de son procĂšs, confirmĂ© par les tĂ©moignages des victimes et de maints bourreaux, et les preuves matĂ©rielles et documentaires surabondaient, y compris de la main mĂȘme des plus hauts responsables (journal de Goebbels, rapports et discours secrets de Himmler, testament de Hitler). Mais Ă  partir des annĂ©es 1970, dans le sillage de pionniers tels que les Ă©crivains Maurice BardĂšche (fasciste revendiquĂ©) ou Paul Rassinier (ancien Ă©lu SFIO ensuite passĂ© Ă  l'extrĂȘme droite, pourtant dĂ©portĂ©), de pseudo-historiens dont l'un des chefs de file est Robert Faurisson ont entrepris, notamment en France, de nier la rĂ©alitĂ© du gĂ©nocide des Juifs. Leurs attaques se sont portĂ©es notamment sur l'existence des chambres Ă  gaz (bien qu'au demeurant, celles-ci n'aient tuĂ© qu'un peu moins de la moitiĂ© des victimes, les autres ayant Ă©tĂ© affamĂ©es ou fusillĂ©es).

L'une des chambres Ă  gaz d'origine, intacte, Ă  Maidanek.

Selon les hommes et les groupes, leurs motivations premiĂšres ont pu ĂȘtre l'antisĂ©mitisme, la rĂ©habilitation du nazisme, l'antisionisme radical (la Shoah prĂ©sentĂ©e comme mensonge pour lĂ©gitimer l'État d'IsraĂ«l), ou un anticommunisme fanatique dĂ©sireux en niant les crimes nazis et en gommant la spĂ©cificitĂ© de la Shoah de prouver que rien n'avait Ă©tĂ© pire que le communisme[255].

La contre-attaque menĂ©e par les historiens, les tĂ©moins et les pouvoirs publics a dĂ©finitivement fait litiĂšre de leurs thĂšses. Elles continuent toutefois Ă  trouver une audience favorable dans certains mouvements de l'extrĂȘme-droite europĂ©enne (plusieurs cadres du Front national, dont Jean-Marie Le Pen, ont rĂ©guliĂšrement dĂ©frayĂ© la chronique et Ă©tĂ© condamnĂ©s en justice pour des propos pour le moins ambigus sur la Shoah[256]). À la faveur du conflit israĂ©lo-palestinien, elles sont trĂšs rĂ©pandues dans le monde arabe et musulman. Élu en 2005, le prĂ©sident iranien Mahmoud Ahmadinejad a particuliĂšrement multipliĂ© les provocations sur la Shoah, qu'il a qualifiĂ© plusieurs fois de mythe, lançant un concours de caricatures sur l'Holocauste ou convoquant en 2007 une confĂ©rence nĂ©gationniste Ă  TĂ©hĂ©ran. Contrairement Ă  ce que de nombreux journaux francophones dĂ©clarĂšrent, elle eut peu de succĂšs[257]. MalgrĂ© l'opposition d'une partie des historiens de la Shoah, certains États occidentaux ont adoptĂ© des lois contre la nĂ©gation des crimes contre l'humanitĂ© nazis, ainsi IsraĂ«l, l'Allemagne, l'Autriche ou encore la France avec la loi Gayssot de 1990.

MĂ©morial aux Juifs assassinĂ©s d'Europe, ouvert au cƓur de Berlin en 2005.
Chambre de la mémoire à Yad Vashem

En rĂ©action aux nĂ©gationnistes, le prĂ©sident amĂ©ricain Jimmy Carter lance Ă  Washington, en 1979, la construction de l'United States Holocaust Memorial Museum, le plus grand musĂ©e de l'Holocauste du monde. InaugurĂ© en 1993, il avait Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ© en 1951 par le mĂ©morial du martyr juif inconnu Ă  Paris, ancĂȘtre du mĂ©morial de la Shoah ouvert en 2005, ou encore en 1953 par Yad Vashem Ă  JĂ©rusalem.

Le phĂ©nomĂšne rĂ©cent de l'« amĂ©ricanisation de la Shoah » a Ă©tĂ© notĂ© par les historiens de la mĂ©moire telle Annette Wieviorka. Le terme dĂ©signe la place considĂ©rable prise par l'Holocauste dans la vie publique amĂ©ricaine, l'importance du cinĂ©ma hollywoodien dans la mise Ă  portĂ©e du gĂ©nocide Ă  un vaste public, le rĂŽle de plus en plus grand de l'historiographie amĂ©ricaine, soutenue par les abondants moyens difficilement Ă©galables des universitĂ©s locales (les États-Unis sont un des rares pays oĂč existent des chaires d'histoire de la Shoah)[258].

Controverses contemporaines et avenir d'une mémoire

Largement reconnue comme le principal crime des nazis et, au-delĂ , comme l'un des plus grands crimes de l'Histoire, la Shoah, par son caractĂšre exceptionnel mĂȘme, a parfois aussi Ă  son tour occultĂ© ou renvoyĂ© au second plan d'autres crimes des hitlĂ©riens[259].

La « querelle des historiens » (Historikerstreit), dans la RFA des annĂ©es 1980, a tournĂ© autour des propos controversĂ©s de quelques historiens conservateurs et nationalistes tels Ernst Nolte, accusĂ©s par d'autres tels JĂŒrgen Habermas de vouloir « banaliser » la Shoah et « normaliser » le passĂ© nazi, en gommant la spĂ©cificitĂ© gĂ©nocidaire du judĂ©ocide, afin de mieux mettre en Ă©quivalent les crimes nazis et ceux du communisme et dĂ©douaner Ă  terme l'Allemagne des premiers au profit d'une dĂ©nonciation des seconds.

Dans les pays de l'Est ex-communistes, la fin du systÚme ancien s'est souvent accompagnée de résurgences publiques d'antisémitisme et de tentatives ouvertes de réhabilitation des anciens collaborateurs de Hitler. De surcroßt, l'autovictimisation et la dénonciation virulente des décennies passées sous le communisme risque de laisser peu de place à la mémoire de la Shoah ni des compromissions de chaque pays dans la persécution[260].

La culpabilitĂ© liĂ©e Ă  la Shoah en Allemagne a aussi pu ĂȘtre ressentie comme une impossibilitĂ© Ă  parler des souffrances endurĂ©es par la population civile. Il est significatif que ce soit un historien de la Shoah, Jörg Friedrich, qui se soit senti autorisĂ© Ă  publier aussi la premiĂšre somme sur les bombardements alliĂ©s sur le Reich[261], ou un Ă©crivain peu suspect de complaisance pour le nazisme, GĂŒnter Grass, qui ait pu Ă©voquer dans un roman le torpillage du Wilhelm Gustloff et de ses milliers de rĂ©fugiĂ©s.

La centralité prise par la question du génocide se reflÚte aussi par la multiplication des polémiques autour d'hommes et d'institutions accusés de complicité. Parmi les cas célÚbres, le président autrichien et ancien secrétaire général de l'ONU Kurt Waldheim, les procÚs intentés par certains anciens déportés à des compagnies nationales de chemins de fer dont la SNCF, l'ouvrage retentissant démontrant qu'IBM a vendu aux nazis un systÚme trÚs perfectionné de fichage[262], etc.

D'autres controverses ont entourĂ© les silences et les passivitĂ©s d'acteurs accusĂ©s d'avoir nĂ©gligĂ© le sort des Juifs. On ne compte plus aujourd'hui les ouvrages et les discussions autour du silence du pape Pie XII, de celui du ComitĂ© international de la Croix-Rouge, de l'enlĂšvement de Raoul Wallenberg par les SoviĂ©tiques (sans grande rĂ©action de sa SuĂšde natale), du refus des Anglo-Saxons de bombarder Auschwitz, de la lenteur des États-Unis ou des responsables sionistes de Palestine Ă  se prĂ©occuper des dĂ©portations en Europe, de l'absence de toute action de la RĂ©sistance française pour arrĂȘter les trains de dĂ©portation


AprÚs l'Allemagne, chaque pays a eu aussi à redécouvrir son propre passé et ses propres compromissions dans le génocide, ou tout simplement ses passivités.

La Suisse a ainsi redĂ©couvert dans les annĂ©es 1990 l'Ă©poque oĂč elle refoulait les rĂ©fugiĂ©s juifs et acceptait d'abriter l'or volĂ© dans les camps. La Belgique a redĂ©couvert la compromission des autoritĂ©s communales d'Anvers, lĂ  oĂč celles de Bruxelles s'Ă©taient refusĂ© Ă  coopĂ©rer. Le Luxembourg est amenĂ© Ă  refaire le point sur cette partie de son histoire lorsque, en 2011, Vincent Artuso dĂ©fend une thĂšse de doctorat au Luxembourg et Ă  la Sorbonne Ă  Paris. Il transmet Ă©galement un rapport final Ă  Xavier Bettel[263]. La France a redĂ©couvert l'ampleur des compromissions du rĂ©gime de Vichy dans la Solution finale depuis les travaux de Robert Paxton (La France de Vichy, 1973) et d'une nouvelle gĂ©nĂ©ration d'historiens, qui ont dĂ©montrĂ© que les lois antisĂ©mites avaient Ă©tĂ© adoptĂ©es sans pression des Allemands, que les pouvoirs publics français Ă©taient allĂ©s souvent spontanĂ©ment au-devant de leurs exigences, que la police française a participĂ© seule Ă  la rafle du Vel’ d’Hiv’ ou que Pierre Laval a insistĂ© pour que les Allemands emmĂšnent les Juifs de moins de 16 ans dont ils ne voulaient pas au dĂ©part.

Toutefois, ont été aussi redécouverts les efforts de nombreux inconnus pour sauver les Juifs : en témoigne l'inauguration au Panthéon, en , d'une inscription à la gloire des Justes de France.

À l'heure de la disparition des derniers tĂ©moins de la Shoah, la question de la transmission de la mĂ©moire aux futures gĂ©nĂ©rations est posĂ©e.

En France, aprĂšs une proposition controversĂ©e[264] du prĂ©sident Nicolas Sarkozy[265], le , de confier la mĂ©moire d'un enfant juif dĂ©portĂ© Ă  chaque enfant Ă©lĂšve de CM2, qui n'a pas Ă©tĂ© mise en application, le ministĂšre de l'Éducation nationale a ouvert le un site web destinĂ© Ă  l'enseignement de la Shoah[266]. Il comprend une brochure et plusieurs documents pĂ©dagogiques et fait suite aux propositions d'un rapport[267].

Le gouvernement polonais issu du parti conservateur Droit et Justice adopte en 2018 une loi controversĂ©e qui prĂ©voit de sanctionner de trois ans d'emprisonnement l’« attribution Ă  la nation ou Ă  l’État polonais, en dĂ©pit des faits, de crimes contre l’humanitĂ© ». La loi interdit dĂ©sormais d’évoquer l’implication des Polonais dans les crimes nazis, le pays Ă©tant sous occupation, selon ses dirigeants. Le gouvernement lituanien prĂ©sente en janvier 2020 un projet de loi intitulé « L’État lituanien, qui a Ă©tĂ© occupĂ© de 1940 Ă  1990, n’a pas participĂ© Ă  la Shoah ». Le texte stipule que « ni la Lituanie ni ses dirigeants n’ont participĂ© au gĂ©nocide ». Le texte est vivement critiquĂ© par des historiens et survivants du gĂ©nocide. Le journaliste et historien Dominique Vidal note que « Bien Ă©videmment, les forces nazies ont commis l’essentiel de ces crimes mais elles ont reçu le soutien de collaborationnistes. Une sĂ©rie de pogroms ont Ă©tĂ© perpĂ©trĂ©s uniquement par les fascistes lituaniens avant l’arrivĂ©e d’Einsatzgruppen allemands. Cet antisĂ©mitisme s’appuyait Ă  l’époque sur l’accusation que les juifs Ă©taient le pilier du systĂšme soviĂ©tique, les complices du pacte germano-soviĂ©tique »[268].

Condamnation de la négation de la Shoah par l'ONU

Le , l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies a adopté la résolution 61/L.53 condamnant la négation de l'Holocauste en ces termes :

L’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, [
]
Notant que le 27 janvier a Ă©tĂ© dĂ©signĂ© par l’Organisation des Nations unies JournĂ©e internationale dĂ©diĂ©e Ă  la mĂ©moire des victimes de l'Holocauste,
1. Condamne sans rĂ©serve tout dĂ©ni de l’Holocauste ;
2. Engage vivement tous les États membres Ă  rejeter sans rĂ©serve tout dĂ©ni de l’Holocauste en tant qu’évĂ©nement historique, que ce dĂ©ni soit total ou partiel, ou toute activitĂ© menĂ©e en ce sens[269].

Évocation de la Shoah dans les arts

Churban, huile sur toile, Roger David Servais (en), 1966

L'ampleur de l'atrocité révélée au monde à la libération des camps et au cours du procÚs de Nuremberg marque profondément les esprits. Ce sentiment d'horreur ou de désolation s'exprime dans la production artistique de la seconde moitié du XXe siÚcle, d'abord par la publication de témoignages de victimes puis par la représentation explicite ou métaphorique de la Shoah.

Musique

Historiographie du génocide

Tendances générales

Les ouvrages pionniers entre tous furent le BrĂ©viaire de la Haine de LĂ©on Poliakov, publiĂ© pour la premiĂšre fois en 1951, et La Destruction des Juifs d'Europe publiĂ© dĂšs 1961 par l'historien amĂ©ricain Raul Hilberg ; ces deux ouvrages ont connu plusieurs rĂ©Ă©ditions Ă  chaque fois enrichies par leur auteur. À partir du rĂ©veil des annĂ©es 1970, la Shoah est devenue de loin l'un des Ă©vĂ©nements les plus Ă©tudiĂ©s de l'Histoire contemporaine, sinon de l'Histoire universelle.

Traditionnellement, deux historiographies parallÚles étaient consacrées l'une à l'étude des bourreaux, l'autre à celle des victimes. Au premier courant peuvent se rapporter les travaux de Omer Bartov, Philippe Burrin, Christopher Browning, Daniel Goldhagen, Jean-Claude Pressac, Ian Kershaw, Christian Gerlach, ou encore Léon Poliakov. Au second se rattacheraient plutÎt les ouvrages, pour la France, de Anne Grynberg, Serge Klarsfeld, Michael Marrus, ou Renée Poznanski. La somme de Saul FriedlÀnder, L'Allemagne nazie et les Juifs (1997-2007), dresse la premiÚre synthÚse des deux courants, en intégrant et en articulant à la fois de trÚs nombreux témoignages personnels de victimes, des aperçus généraux et les points de vue des décideurs et des exécutants.

Ces derniÚres années, les travaux historiques les plus neufs ont porté sur la mémoire de la Shoah (Annette Wieviorka notamment), sur l'aryanisation (Philippe Verheyde, Jean-Marc Dreyfus, Florent Le Bot, etc.), sur la redécouverte des crimes de guerre de la Wehrmacht (une exposition itinérante allemande démontrant la compromission des officiers et des soldats allemands dans les massacres de Juifs et autres atrocités à l'Est a considérablement contribué à détruire, à partir de 1997, le mythe d'aprÚs-guerre d'une « Wehrmacht aux mains propres » qui aurait mené une guerre honorable au contraire des SS).

Une autre tendance importante est le regain d'intĂ©rĂȘt pour la « Shoah par balles », mise en lumiĂšre auprĂšs du grand public par les efforts du pĂšre Patrick Desbois et de son Ă©quipe, dans les annĂ©es 2000, pour retrouver et ouvrir en ex-URSS les fosses communes des Juifs fusillĂ©s par les Einsatzgruppen, et pour mettre Ă  profit les paroles des derniers tĂ©moins, ainsi que les archives soviĂ©tiques dĂ©sormais accessibles plus facilement aux chercheurs occidentaux. Il faut cependant remarquer que cette « Shoah par balles » Ă©tait dĂ©jĂ  connue et Ă©tudiĂ©e par les historiens[270].

Le débat sur la genÚse de la Shoah

Dans les années 1980 surtout, la discussion sur la genÚse précise du génocide a opposé intentionnalistes et fonctionnalistes.

Pour les premiers, l'intention d'exterminer les Juifs d'Europe a prĂ©cĂ©dĂ© la dĂ©claration de guerre. C'est le cas, notamment, de LĂ©on Poliakov, d'Eberhard JĂ€ckel, de Lucy S. Dawidowicz, ou de Daniel Goldhagen. Ils s'appuient sur plusieurs textes de Hitler, notamment des lettres de 1919 et 1920[271]. Dans un premier texte antisĂ©mite de 1919, Hitler dĂ©veloppe un « antisĂ©mitisme rationnel ». DĂšs cette Ă©poque, il explique qu'on « doit faire des Juifs des Ă©trangers par la loi » et que le but est « l'expulsion des Juifs » du corps social[272]. Le schĂ©ma des persĂ©cutions des Juifs du IIIe Reich est dĂ©jĂ  tracĂ©. S'appuyant sur les thĂšses racialistes l'antisĂ©mitisme rationnel s'oppose aux pogroms. À la violence populaire fondĂ©e sur le rejet et l'exĂ©cration, il choisit la lĂ©gitimitĂ© objective et rationalisĂ©e de la loi dans le but de marginaliser puis de criminaliser les Juifs et donc de justifier et lĂ©galiser leur persĂ©cution, ce qui sera appliquĂ© Ă  partir de son arrivĂ©e au pouvoir[273]. Les historiens s'appuient aussi sur des passages de Mein Kampf[alpha 15], ou le discours du , selon lequel une nouvelle guerre mondiale conduirait Ă  « l'anĂ©antissement de la race juive en Europe »[274].

En opposition Ă  cette thĂšse, plusieurs historiens, en particulier Martin Broszat, Arno Mayer et Philippe Burrin, pensent que les nazis n'avaient pas choisi la Solution finale avant 1941. L'antisĂ©mitisme extrĂȘme des nazis est, d'aprĂšs cette thĂšse, la condition nĂ©cessaire de la Shoah plutĂŽt que sa cause directe. Les nazis auraient dĂ©cidĂ© d'exterminer seulement aprĂšs que l'invasion de la Pologne et de l'URSS a placĂ© des masses considĂ©rables de Juifs sous leur autoritĂ©, et aprĂšs une Ă©mulation au sein de la « polycratie nazie » (Martin Broszat). AprĂšs le dĂ©but de la guerre, Himmler Ă©crit dans son journal, Ă  la suite d'une rencontre avec Hitler le : « Question juive ! À exterminer comme des partisans. » Il s'agit de ce qui se rapproche le plus, en langue codĂ©e, d'un ordre du FĂŒhrer pour Ă©liminer tous les Juifs d'Europe[275].

Dans les années 1990 et 2000, d'autres historiens, tels Ian Kershaw, ont tenté de dépasser ce débat[276].

Selon Kershaw, le FĂŒhrer, dotĂ© de son « pouvoir charismatique » d'un genre inĂ©dit, est l’homme qui rend possible les plans caressĂ©s de longue date Ă  la « base » : sans qu’il ait nullement besoin de donner d’ordres prĂ©cis, sa simple prĂ©sence au pouvoir autorise les nombreux antisĂ©mites d’Allemagne Ă  dĂ©clencher boycotts et pogroms, ou les mĂ©decins d’extrĂȘme-droite tels Josef Mengele Ă  pratiquer les atroces expĂ©riences pseudo-mĂ©dicales et les opĂ©rations d’« euthanasie » massive dont l’idĂ©e prĂ©existait Ă  1933. C'est ainsi aussi que sur le terrain, l’extermination des juifs a Ă©tĂ© souvent le fait d’initiatives locales, allant souvent au-devant des dĂ©cisions du FĂŒhrer. Ces derniĂšres ont Ă©tĂ© notamment l'Ɠuvre d’officiers de la SS et de gauleiters fanatiques pressĂ©s de plaire Ă  tout prix au FĂŒhrer en liquidant au plus tĂŽt les indĂ©sirables dans leurs fiefs. Les gauleiters Albert Forster Ă  Dantzig, Arthur Greiser dans le Warthegau ou Erich Koch en Ukraine ont ainsi particuliĂšrement rivalisĂ© de cruautĂ©s et de brutalitĂ©s, les deux premiers concourant entre eux pour ĂȘtre chacun le premier Ă  tenir leur promesse verbale faite Ă  Hitler de germaniser intĂ©gralement leur territoire sous dix ans[277].

Au-delĂ , Adolf Hitler, personnage fort peu bureaucratique et dĂ©pourvu de tout goĂ»t pour le travail suivi, laisse chacun libre de se rĂ©clamer de lui et d'agir Ă  sa guise pour peu qu'il aille dans le sens global de ses volontĂ©s (ce qu'un fonctionnaire nazi rĂ©suma de la formule : « marcher en direction du FĂŒhrer »). Chaque individu, chaque clan, chaque bureaucratie, chaque groupe rivaux font de la surenchĂšre, et essayent d’ĂȘtre les premiers Ă  rĂ©aliser les projets fixĂ©s dans leurs grandes lignes par Hitler. C’est ainsi que la persĂ©cution antisĂ©mite va s’emballer et passer graduellement de la simple persĂ©cution au massacre puis au gĂ©nocide industriel[278].

Sans son pouvoir charismatique, Hitler n'aurait jamais pu lancer la Shoah sans rĂ©diger un seul ordre Ă©crit. Aucun exĂ©cutant du gĂ©nocide ne demanda jamais, justement, Ă  voir un ordre Ă©crit : le simple FĂŒhrersbefehl (ordre du FĂŒhrer) Ă©tait suffisant pour faire taire toute question, et entraĂźnait l’obĂ©issance quasi religieuse et aveugle des bourreaux. Mais sans maints « Allemands ordinaires », SS ou gĂ©nĂ©raux ayant intĂ©grĂ© un discours hitlĂ©rien que beaucoup ne demandaient qu'Ă  entendre, jamais les massacres des Einsatzgruppen ni Auschwitz ou Treblinka n'auraient Ă©tĂ© possibles.

Archives de la Shoah

Les archives de la Shoah sont conservées dans plusieurs établissements, notamment[279] :

  • en Allemagne, Ă  Bad Arolsen, Potsdam, Coblence et (depuis 1996) Berlin. Ces centres ont rĂ©cupĂ©rĂ© la plupart des documents conservĂ©s, jusqu’à la fin des annĂ©es 1960, par les Archives nationales des États-Unis ;
  • au Centre de conservation des documents historiques de Moscou ;
  • au Yiddish Institute for Jewish Research (YIVO) et au Leo Baeck Institut, tous deux Ă©tablis Ă  New York ;
  • dans les archives de la police israĂ©lienne (documents produits pour le procĂšs d’Adolf Eichmann) et Ă  l’institut de Yad Vashem (documents Ă©crits et tĂ©moignages oraux de survivants) ;
  • au Centre de documentation juive contemporaine, de Paris (documents nazis et juifs).

Les dĂ©bats tenus lors du procĂšs de Nuremberg, ainsi que les documents utilisĂ©s Ă  cette occasion, ont Ă©tĂ© intĂ©gralement reproduits dans ProcĂšs des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international : Nuremberg, 14 novembre 1945-1er octobre 1946, ouvrage en 25 volumes publiĂ© Ă  Nuremberg de 1947 Ă  1949 et rĂ©imprimĂ© en 1993.

Peu de collectes systématiques des témoignages oraux ont été faites. La Fondation Spielberg a toutefois entrepris depuis 1997 d'interroger tous les survivants possibles, chacun se voyant demander deux heures d'entretien sur la vie avant, pendant et aprÚs la Shoah[280].

Notes et références

Notes

  1. Si l'on prend en considĂ©ration d'une part ce nombre de six millions et, d'autre part, le recensement de 11,292 millions de Juifs en Europe, tel qu’il figure en annexe de la confĂ©rence de Wannsee, le rapport serait d’environ 53 %. Les statistiques Ă©tablies par les services de Heydrich en 1942 sont cependant surestimĂ©es[2].
  2. Principalement, en Europe centrale et en Europe de l'Est ; notamment, la Pologne, avec environ trois millions de victimes, représente à elle seule plus de la moitié du nombre total : elle possédait la communauté juive la plus importante en Europe avant la guerre et la quasi-totalité de celle-ci (plus de 90 %) est exterminée.
  3. Le chiffre de six millions de victimes est prĂ©sentĂ© lors du procĂšs de Nuremberg[4]. AprĂšs avoir dĂ©pouillĂ© les archives du IIIe Reich, l'historien Hilberg[5], arrive au chiffre de 5,1 millions de morts minimum.
  4. Niewyk et Nicosia 2000, p. 45 « The Holocaust is commonly defined as the murder of more than 5 000 000 Jews by the Germans in World War II »
    « Le mot « Holocauste » dĂ©signe communĂ©ment l'assassinat de plus de 5 000 000 de Juifs par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. ».
  5. « Comme le crime en question est aussi Ă©norme que complexe, qu'il supposait la participation d'un grand nombre de personnes, Ă  diffĂ©rents niveaux et de diffĂ©rentes maniĂšres — les auteurs des plans, les organisateurs, les exĂ©cutants, chacun selon son rang — il n'y a pas grand intĂ©rĂȘt Ă  faire appel aux notions ordinaires de conseils donnĂ©s ou sollicitĂ©s dans l’accomplissement du crime car ces crimes sont commis « en masse », non seulement du point de vue du nombre des victimes, mais aussi du point de vue de ceux qui perpĂštrent le crime et, pour ce qui est du degrĂ© de responsabilitĂ© d’un de ces nombreux criminels quel qu'il soit, sa plus ou moins grande distance par rapport Ă  celui qui tuait effectivement la victime ne veut rien dire. Au contraire, en gĂ©nĂ©ral, le degrĂ© de responsabilitĂ© augmente Ă  mesure qu'on s'Ă©loigne de l’homme qui manie l'instrument fatal de ses propres mains. » Jugement de la Cour israĂ©lienne au terme du procĂšs d'Adolf Eichmann[6].
  6. Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par les Nations unies en 1948.
  7. Lire une version conforme de la Convention sur l’imprescriptibilitĂ© des crimes de guerre et des crimes contre l’humanitĂ© (la version en français suit celle en anglais)
  8. Voir à ce sujet la querelle des historiens allemands et par exemple les réflexions de Zygmunt Bauman dans Modernité et Holocauste.
  9. DĂ©finition des Mischlinge[30].
  10. Pour la seule Allemagne[34].
  11. C'est ce que montre Hilberg lorsqu'il passe en revue les pays sous domination nazie[35].
  12. Dans son journal au 27 mars 1942, Goebbels note : « la prophĂ©tie que le FĂŒhrer leur avait adressĂ©e concernant le dĂ©clenchement d'une nouvelle guerre mondiale commence Ă  se rĂ©aliser de la maniĂšre la plus terrible qui soit[43] »
    Hitler le 24 février 1942 déclare : « ma prophétie trouvera son accomplissement, ce n'est pas l'humanité aryenne qui sera anéantie par cette guerre, mais le Juif qui sera exterminé[44] »
    Himmler le 5 mai 1944 dĂ©clare : « le FĂŒhrer l'avait annoncĂ© aux Juifs avant la guerre « si vous poussez encore Ă  la guerre les peuples d'Europe, cela ne signifiera pas l'extermination du peuple allemand mais celle des Juifs ».
  13. Ce point est analysé par Raul Hilberg dans le film Shoah de Claude Lanzmann, 1985.
  14. Hilberg cite L'ouvrage de référence, Louis de Jong, Het Koninkrijk der Nederlangen, vol. 8, non traduit en anglais[213].
  15. En particulier celui-ci : « Si l'on avait, au dĂ©but et au cours de la guerre, tenu une seule fois douze ou quinze mille de ces HĂ©breux corrupteurs du peuple sous les gaz empoisonnĂ©s que des centaines de milliers de nos meilleurs travailleurs allemands de toute origine et de toutes professions ont dĂ» endurer sur le front, le sacrifice de millions d'hommes n'eĂ»t pas Ă©tĂ© vain. Au contraire, si l'on s'Ă©tait dĂ©barrassĂ© Ă  temps de ces quelque douze mille coquins on aurait peut-ĂȘtre sauvĂ© l'existence d'un million de bons et braves Allemands pleins d'avenir. » (Adolf Hitler, Mon combat, Nouvelles Ă©ditions latines, 1934, p. 677-678).

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  14. Les Ă©diteurs du Columbia guide to the Holocaust, Donald Niewyk et Francis Nicosia, constatent un Ă©cart entre l’acception usuelle du mot « Holocauste » (exclusivement le peuple juif) et diverses approches plus « inclusives » : (en) Donald Niewyk et Francis Nicosia, The Columbia guide to the Holocaust, New York, Columbia University Press, , 473 p. (ISBN 978-0-231-11200-0, OCLC 462070434), p. 45-52. Pour leur part, ils choisissent un moyen terme comme base de travail : le critĂšre de l’hĂ©rĂ©ditĂ©, Donald Niewyk et Francis Nicosia 2000, p. 52. Ils proposent cette dĂ©finition : « L’Holocauste (c’est-Ă -dire le gĂ©nocide nazi) Ă©tait l’assassinat systĂ©matique, et planifiĂ© par l’État, de communautĂ©s entiĂšres dĂ©terminĂ©es par l’hĂ©rĂ©ditĂ©. Cela s’appliquait aux Juifs, aux Tsiganes et aux handicapĂ©s » : « The Holocaust – that is, Nazi genocide – was the systematic, state-sponsored murder of entire groups determined by heredity. This applied to Jews, Gypsies and the handicapped. »
  15. Benny Morris et Claire Drevon (traductrice), « RĂ©action des quotidiens juifs d’Eretz IsraĂ«l Ă  l’accession d’Hitler au pouvoir en 1933 », Revue d'Histoire de la Shoah, vol. 182, no 1,‎ , p. 31 (ISSN 2111-885X et 2553-6141, DOI 10.3917/rhsho.182.0031, lire en ligne, consultĂ© le )
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    « La seconde (phase de la dĂ©nutrition) « commençait quand l’affamĂ© avait perdu le tiers de son poids normal ». « Outre l’amaigrissement plus prononcĂ© » et ses effets physiologiques, se modifiait aussi le comportement. L’allure Ă©tait typique : « quand on observait un groupe de loin », ajoute Fejkiel, « il faisait penser Ă  des Arabes en train de mendier, d’oĂč le nom de “musulmans” qu’on leur donnait habituellement dans le camp » »
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  264. Shoah : confusion autour de la question des parrainages « Copie archivée » (version du 3 mars 2008 sur Internet Archive), Nouvelobs.com.
  265. Discours de M. le président de la République « Copie archivée » (version du 12 avril 2008 sur Internet Archive) lors du dßner annuel du CRIF, 13 février 2008.
  266. MĂ©moire et histoire de la Shoah Ă  l'Ă©cole.
  267. Rapport sur l'enseignement de la Shoah Ă  l'Ă©cole primaire, HĂ©lĂšne Waysbord-Loing, juin 2008.
  268. « Shoah : la Lituanie rĂ©Ă©crit l’histoire et ses crimes », L'HumanitĂ©,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  269. Voir Texte de la RĂ©solution « sur le site de l'ONU [PDF] »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?).
  270. Voir C. Ingrao et J. Solchany, La Shoah par balles : les historiens oubliés, le 5 juin 2008 sur nonfiction.fr ; consulté le 23 décembre 2008. Voir également l'exposition virtuelle montée par le Mémorial de la Shoah de Paris.
  271. « L’antisĂ©mitisme fondĂ© sur des motifs purement sentimentaux, trouvera son expression ultime sous forme de pogroms. L’antisĂ©mitisme selon la raison doit, lui, conduire au combat lĂ©gislatif contre les privilĂšges des Juifs et Ă  l’élimination de ces privilĂšges
 Son "but ultime" doit, immuablement, ĂȘtre l’élimination des Juifs en gĂ©nĂ©ral. » (lettre du 16 septembre 1919, Adolf Hitler, SĂ€mtliche Aufzeichnungen. 1905-1924, textes Ă©ditĂ©s par Eberhard JĂ€ckel et Axel Kuhn, Stuttgart, 1980, Doc 61, p. 88 et sqq., passage citĂ© dans Georges Miedzianagora et Gabrielle Jofer, Objectif extermination, Frison Roche Ă©dition, 1994, p. 13) ; « Le Juif en tant que ferment de dĂ©composition (selon Mommsen) n’est pas Ă  envisager comme individu particulier, bon ou mĂ©chant, [il est] la cause absolue de l’effondrement intĂ©rieur de toutes les races, dans lesquelles il pĂ©nĂštre en tant que parasite. Son action est dĂ©terminĂ©e par sa race. Autant je ne peux faire reproche Ă  un bacille de tuberculose, Ă  cause d’une action qui, pour les hommes signifie la destruction, mais pour lui la vie, autant suis-je cependant obligĂ© et justifiĂ©, en vue de mon existence personnelle, de mener le combat contre la tuberculose par l’extermination de ses agents. Le Juif devient et devint au travers des milliers d’annĂ©es en son action une tuberculose de race des peuples. Le combattre signifie l’éliminer. » (lettre du 3 juillet 1920, Hitler, op. cit., Doc 116, p. 15, citĂ© dans Georges Miedzianagora et Gabrielle Jofer, op. cit., p. 14). Voir aussi Dawidowicz 1977, p. 39 et sqq.
  272. Eberhard JĂ€ckel et Axel Kuhn, Hitler, SĂ€mtliche Aufzeichnungen, 1905-1925, Stuttgart, 1980, p. 88-90.
  273. Lire dans l'article Histoire des Juifs en Allemagne, le paragraphe Discriminations et persécutions.
  274. Eberhard JÀckel, Hitler idéologue, éd. Gallimard, coll. « Tel », 1995, p. 83.
  275. Christian Gerlach, Sur la conférence de Wannsee, de la décision d'exterminer les Juifs d'Europe, Liana Levi, 1999, p. 53-69.
  276. Dominique Vidal, Les Historiens allemands relisent la Shoah, Ă©d. Complexe, 2002.
  277. Ian Kershaw, Hitler, t. II, op. cit., passim.
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Bibliographie

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    Docteur en histoire, Alain Michel a Ă©tĂ© le responsable du bureau francophone de l’École internationale pour l’enseignement de la Shoah Ă  Yad Vashem (2004-2009). Voir aussi : Vichy et la Shoah, Des difficultĂ©s de la comprĂ©hension des sources.
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Victimes et témoins de la Shoah

Un grand nombre d'Ɠuvres a Ă©tĂ© recensĂ© dans les articles suivants : Liste de tĂ©moignages et journaux intimes Ă©crits pendant la Shoah et Liste de rĂ©cits de rescapĂ©s de la Shoah.

La Shoah, les grandes puissances et les pays neutres

  • Carlo Falconi, Le Silence de Pie XII, 1939-1945, Edition du rocher,
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  • Jean Richardot, Une autre Suisse 1940-1944, Paris GenĂšve, FĂ©lin Labor et Fides, coll. « Questions d'Ă©poque », , 268 p. (ISBN 978-2-8309-1021-6, OCLC 237559931)
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RĂ©ception de la Shoah

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Annexes

Articles connexes

Autres persécutions commises par les Nazis

Voir aussi

Liens externes

Sites généraux

La Shoah par balles

Les victimes

Les bourreaux

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