Police juive du ghetto
La police juive du ghetto (JĂŒdische Ghetto-Polizei en allemand) ou service dâordre juif (JĂŒdischer Ordnungsdienst), communĂ©ment appelĂ©e police juive par les Juifs, est une unitĂ© de police mise en place dans les ghettos juifs de lâEurope sous domination nazie, pendant la Seconde Guerre mondiale. Les services dâordre juifs sont crĂ©Ă©s dans les ghettos Ă la suite des JudenrĂ€te â les conseils juifs locaux â auxquels ils sont formellement rattachĂ©s ; ils sont dans les faits soumis aux forces allemandes, dont ils appliquent les ordres au sein des ghettos.
Dans un premier temps chargĂ©s pour lâessentiel de tĂąches bĂ©nĂ©ficiant aux habitants des ghettos (gestion de la circulation, rĂšglement des conflits, surveillance de lâhygiĂšne publique, etc.), ils se voient progressivement confier la responsabilitĂ© de mettre en Ćuvre le travail forcĂ©, de confisquer les biens des Juifs et de surveiller lâenceinte des ghettos, dĂ©sormais sĂ©parĂ©s du reste de la ville. Dans ce cadre, corruption et extorsions sont omniprĂ©sentes, si bien que les polices juives sont rapidement perçues avec hostilitĂ© par la population.
LâannĂ©e 1942, durant laquelle les dĂ©portations vers les centres dâextermination se multiplient dans le cadre de la Solution finale, marque un tournant pour les polices juives : sous les ordres des nazis, les agents du JĂŒdischer Ordnungsdienst participent aux rafles et aux dĂ©portations, souvent en Ă©change de la promesse dâavoir, ainsi que leur famille, la vie sauve. NĂ©anmoins, la liquidation des ghettos, jusquâen 1944, est suivie de celle des polices juives : pour la plupart, leurs membres sont in fine exĂ©cutĂ©s sur place ou dĂ©portĂ©s, comme les autres Juifs.
Si les services dâordre juifs ont trĂšs majoritairement participĂ© aux exactions et aux dĂ©portations, quelques-uns ont collectivement refusĂ© dây participer, certains policiers ont dĂ©missionnĂ©, ont aidĂ© leurs pairs juifs, voire ont rejoint la rĂ©sistance, souvent au prix de leur vie.
Ă lâissue de la guerre, les services dâordre juifs sont haĂŻs par les survivants de la Shoah pour leur participation aux dĂ©portations. Certains de leurs membres â et dans une moindre mesure des conseillers juifs locaux â encore vivants sont convoquĂ©s devant des tribunaux dâhonneur juifs organisĂ©s en Europe ou devant des tribunaux civils, notamment en Pologne et en IsraĂ«l. Les polices juives sont dans un premier temps dĂ©peintes comme coupables de collaboration avec les nazis. Le regard ultĂ©rieur des historiens, en particulier Ă partir des annĂ©es 1990, est davantage nuancĂ© ; ils sâattachent moins Ă les qualifier moralement (victimes, coupables ou dans une zone grise) quâĂ comprendre et dĂ©crire leur rĂ©alitĂ©.
Chronologie
Contexte
Le rĂ©gime nazi et lâUnion soviĂ©tique, liĂ©s par le Pacte germano-soviĂ©tique, envahissent la Pologne en 1939, provoquant lâentrĂ©e en guerre de la France et du Royaume-Uni et marquant le dĂ©but de la Seconde Guerre mondiale. TroisiĂšme Reich et URSS se partagent le territoire polonais : certains territoires de lâOuest sont annexĂ©s par lâAllemagne, la partie centrale de la Pologne devient le Gouvernement gĂ©nĂ©ral de Pologne sous domination nazie, tandis que les territoires de lâEst sont annexĂ©s par lâURSS.
DĂšs la fin de lâannĂ©e 1939, lâAllemagne nazie, de maniĂšre essentiellement dĂ©centralisĂ©e, confine les Juifs de Pologne dans des ghettos, de maniĂšre Ă sĂ©parer strictement les populations juives â en attendant leur expulsion â de celles dites « aryennes », et afin dâexploiter Ă©conomiquement les premiĂšres, essentiellement via le travail forcĂ©[1] - [2].
Ă partir de , le TroisiĂšme Reich envahit lâURSS avec lâopĂ©ration Barbarossa. Cette invasion conduit les nazis Ă occuper des territoires polonais de lâEst, qui sont dĂšs lors regroupĂ©s au sein du Reichskommissariat Ostland au Nord (lequel inclut Ă©galement la Lituanie, la Lettonie et lâEstonie) et du Reichskommissariat Ukraine au Sud. Dans ces anciens territoires soviĂ©tiques dĂ©sormais sous domination nazie, les Allemands crĂ©ent Ă©galement des ghettos juifs, cette fois avec pour but premier lâextermination des Juifs dans le cadre de la Solution finale : les ghettos visent Ă rassembler la population juive Ă titre temporaire, en attendant que soient possibles sa dĂ©portation et son Ă©limination dans les centres dâextermination[1] - [2].
Des conseils juifs locaux, les JudenrĂ€te, sont crĂ©Ă©s dĂšs 1939 par les nazis dans les diffĂ©rents ghettos juifs afin dây servir dâintermĂ©diaires auprĂšs de la population, quâils sont chargĂ©s dâadministrer selon les ordres allemands. Les conseillers juifs, souvent des notables locaux, sont thĂ©oriquement Ă©lus par la population et en pratique nommĂ©s avec lâaccord des forces allemandes[3].
Mise en place
Les services dâordre juifs (en allemand, JĂŒdischer Ordnungsdienste), appelĂ©s « polices juives » par les Juifs, sont instaurĂ©s dans les diffĂ©rents ghettos Ă partir de 1940 sur consigne des Allemands, bien quâaucun ordre Ă©crit en ce sens Ă©manant des autoritĂ©s centrales nazies nâait Ă©tĂ© retrouvĂ©[4]. Les JĂŒdische Ordnungsdienste sont chargĂ©s de maintenir lâordre dans le ghetto et dây faire appliquer les dĂ©cisions allemandes, notamment en matiĂšre dâexploitation Ă©conomique â travail forcĂ©, impĂŽts, confiscation de biens, etc.[5] - [6] - [7].
La mise en place des polices juives accompagne la constitution des ghettos[8]. Ainsi, Ă ĆĂłdĆș, lâordre de constituer un service dâordre juif intervient une dizaine de jours aprĂšs celui de crĂ©ation du ghetto[8] et deux mois avant son isolement effectif du reste de la ville, en p. 180)_9-0">[9] ; Ă Varsovie, cet ordre intervient en , deux semaines environ avant celui Ă©tablissant le ghetto[10] (la police est effectivement mise en place fin novembre, deux semaines aprĂšs que le ghetto a Ă©tĂ© verrouillĂ©[4]) ; Ă LwĂłw, la crĂ©ation de la force de police est ordonnĂ©e en mĂȘme temps que le ghetto est constituĂ©, le [11] ; Ă Radom, lâordre dâinstaurer un JĂŒdischer Ordnungsdienst prĂ©cĂšde dâune semaine lâĂ©tablissement du ghetto, en [8] ; Ă CzÄstochowa, il suit dâune dizaine de jours celui de crĂ©ation du ghetto, en [8] - [12] ; Ă Kolomya, il suit de trois jours lâinstauration du ghetto en [13].
Ă propos du ghetto de Cracovie, lâhistorienne Alicja Jarkowska-Natkaniec Ă©crit : « La crĂ©ation du Judenrat et dâune force responsable du maintien de lâordre et de lâhygiĂšne publique dans le quartier juif Ă©pargna aux Allemands la peine de crĂ©er leur propre systĂšme administratif«_
Ă lâinverse des JudenrĂ€te, imposĂ©s par les forces occupantes mais qui sâinscrivent dans la continuitĂ© dâorganisations locales juives dâavant-guerre (notamment les kehillot)[15], les services dâordre juifs sont des organisations sans prĂ©cĂ©dent dans les communautĂ©s juives locales, relĂšve lâhistorien israĂ©lien[16] Aharon Weiss[17]. Dans certains cas nĂ©anmoins, les services dâordre sont crĂ©Ă©s Ă partir de milices prĂ©existantes, quoique postĂ©rieures au dĂ©but de lâoccupation[18]. Ainsi, dans le ghetto de Varsovie en devenir, la mise en place du JĂŒdischer Ordnungsdienst en sâappuie sur un « service de sĂ©curitĂ© du bataillon du travail » constituĂ© par le Judenrat en pour rĂ©pondre aux quotas de travailleurs forcĂ©s Ă©tablis par les Allemands ; il surveille aussi la construction de lâenceinte du ghetto quelques mois plus tard[19] - [20]. Des milices prĂ©existent Ă©galement Ă CzÄstochowa et Ă Kovno : respectivement la Inspekcja Ruchu Ulicznege (IRU), chargĂ©e de contrĂŽler la circulation des Juifs dans les rues, et lâOrdnunsgruppe, qui protĂšge lâĂ©quivalent local du Judenrat[21] - [18].
Les Allemands donnent pour consignes â diversement respectĂ©es â de recruter dans les JĂŒdischer Ordnungsdienste des jeunes qui soient sportifs, aient une expĂ©rience militaire et soient diplĂŽmĂ©s[5] - [6] - [22].
La crĂ©ation de ces services dâordres, formellement placĂ©s sous la coupe des JudenrĂ€te, suscite des craintes au sein de ces derniers. Dans un certain nombre de cas, afin de sâassurer un contrĂŽle effectif sur la police juive et de veiller Ă sa respectabilitĂ©, les conseils juifs locaux cherchent Ă maĂźtriser le recrutement des effectifs policiers[6] - [23], qui leur est gĂ©nĂ©ralement confiĂ©, bien que les Allemands (notamment la Gestapo) nomment Ă©galement dâautoritĂ© certains policiers[24] - [25] â Ă Thessalonique, en GrĂšce, le chef de la police juive est ainsi dĂ©signĂ© par les Allemands et prend ses ordres auprĂšs de la Gestapo[26] - [27]. Dans plusieurs ghettos, le Judenrat place ses membres Ă la tĂȘte de la police juive[28] ; câest notamment le cas dans les ghettos de Lublin, Pabianice, Skierniewice, ƻóĆkiew, Ć»arki ainsi que dans ceux de Sosnowiec et de lâEst de la Haute-SilĂ©sie, dont la direction des conseils locaux supervise aussi les polices juives[28] - [29].
La police juive est parfois le bras exĂ©cutif, obĂ©issant, du Judenrat â câest entre autres le cas dans les ghettos de Kovno, ĆĂłdĆș[30] et, dans un second temps, BiaĆystok[31] - [29] â, tandis que dans dâautres ghettos, la police juive agit indĂ©pendamment de celui-ci (par exemple, Ă Vilnius[32]) voire en prend Ă terme le contrĂŽle : Ă Otwock par exemple, le commandant de la police, servile, est nommĂ© Ă la tĂȘte du Judenrat par les Allemands lors de la liquidation du ghetto ; dans le ghetto de Nowy SÄ cz, câest un criminel notoire qui dirige la police avec lâapprobation des nazis et il obtient la direction du conseil juif local aprĂšs la dĂ©portation du [33]. Les forces allemandes encouragent ces configurations lorsque les JudenrĂ€te se montrent peu enclins Ă exĂ©cuter les ordres reçus[34].
Officiellement rattachĂ©s au Judenrat, les services dâordre juifs sont cependant Ă©galement soumis Ă la supervision des autoritĂ©s administratives allemandes, des Schutzstaffel (SS) et, dans les ghettos du Gouvernement gĂ©nĂ©ral de Pologne, de la police bleue (policja granatowa en polonais ; surnom destinĂ© Ă la distinguer de la police polonaise dâavant-guerre[10]), par exemple Ă CzÄstochowa ou Cracovie[29] - [22] - [25]. Ils sont parfois placĂ©s directement ou indirectement sous les ordres de lâOrdnungspolizei (Orpo) : la police du ghetto de Kielce rĂ©pond ainsi Ă la Schutzpolizei (et Ă la Gestapo)[31] et celle de Varsovie Ă la police bleue elle-mĂȘme subordonnĂ©e Ă lâOrpo[35].
Ăvolution des prĂ©rogatives
Le pĂ©rimĂštre et la nature des prĂ©rogatives des polices juives varient dâun ghetto Ă lâautre[22]. Lâhistorien Aharon Weiss distingue cependant trois grands types de missions qui leur sont confiĂ©es[36] :
- les missions qui dĂ©coulent des ordres allemands (directs ou par lâintermĂ©diaire du Judenrat) ;
- les missions dĂ©cidĂ©es par le Judenrat lui-mĂȘme ;
- les missions issues des besoins de la communauté juive.
En plus de lâapplication des consignes allemandes, les polices juives effectuent donc dâautres missions Ă la demande du Judenrat ou selon les besoins de la population. Ces missions tournĂ©es vers le bien-ĂȘtre de la population (contrĂŽle de la circulation, rĂšglement des conflits, contrĂŽle de la propretĂ©, etc.) priment dans un premier temps[37] ; elles constituent par exemple le quotidien des policiers du ghetto de Varsovie[38].
Rapidement cependant, les Allemands (directement ou via les JudenrÀte) tendent à imposer davantage de missions, notamment répressives, aux polices juives : contrÎle des prix, prélÚvement de taxes, etc.[36] - [22].
DĂšs 1940, les services dâordre juifs sont chargĂ©s de seconder les Allemands pour mettre en Ćuvre les travaux forcĂ©s, en sĂ©lectionnant des individus Ă cette fin puis en les escortant jusquâĂ leur lieu de travail Ă lâextĂ©rieur du ghetto, ce qui nâest pas sans consĂ©quence sur leur perception par les populations[22] - [36]. En , dans le ghetto de Kovno, dans le Reichskommissariat Ostland (plus prĂ©cisĂ©ment en Lituanie), la police juive â sous les ordres de lâArbeitsamt (lâĂ©quivalent local du Judenrat), lequel a lâobligation de remplir les quotas de travailleurs fixĂ©s par les Allemands â participe ainsi Ă lâenvoi de plusieurs centaines de Juifs vers le ghetto de Riga Ă des fins de travail forcĂ©[39] - [40]. Des policiers Ă©crivent[39] :
« Tout le sale travail, le recrutement des gens et leur transfert en prison, incomba, comme toujours, à la police. Il est [évident] que personne ne voulait, de son propre gré, se rendre dans un endroit inconnu. Il fallut les recruter de force. Il y eut de nombreux cas de résistance, de combat et de désobéissance, pour lesquels les gens furent aussi punis. »
Dans la majoritĂ© des ghettos, la police juive est Ă©galement investie dâun pouvoir de sanction judiciaire : câest usuellement le commandant qui prononce les sanctions (amendes, incarcĂ©rationâŠ) ; il arrive Ă©galement que les services dâordre soient forcĂ©s dâexĂ©cuter des Juifs sur ordre de tribunaux allemands[39] - [41].
Toujours avec des disparitĂ©s dâun ghetto Ă lâautre, les activitĂ©s de police visant Ă amĂ©liorer ou protĂ©ger le bien-ĂȘtre des populations reculent donc progressivement pour laisser la place Ă des opĂ©rations essentiellement rĂ©pressives, avec un tournant majeur en 1942[42].
Participation à la déportation
La mise en place de la Solution finale, en 1942, ouvre une pĂ©riode nouvelle pour les polices juives, sommĂ©es de participer Ă la dĂ©portation (et parfois Ă la sĂ©lection) des Juifs vers les centres dâextermination[22].
Le but initial des nazis est de faire reposer les opĂ©rations de dĂ©portation dans les ghettos sur les JĂŒdische Ordnungsdienste, afin dâĂ©pargner physiquement et moralement les troupes allemandes. Face au manque dâefficacitĂ© de ceux-ci, nĂ©anmoins, les autoritĂ©s nazies prennent la main sur les opĂ©rations, tout en persistant Ă impliquer les services dâordre[43].
Le degrĂ© de participation des policiers juifs Ă la dĂ©portation varie dâun ghetto Ă lâautre, probablement en fonction des ordres des autoritĂ©s allemandes locales et de la posture de chaque police juive. Certains services dâordre assistent les SS ou la police locale, tandis que dâautres participent eux-mĂȘmes Ă la sĂ©lection des Juifs Ă dĂ©porter, les escortent jusquâaux wagons devant les convoyer vers les camps dâextermination, voire pourchassent et dĂ©nichent ceux qui tentent dâĂ©chapper Ă la dĂ©portation en se cachant dans le ghetto[43]. Une survivante du ghetto de BorysĆaw, Gina Wieser, tĂ©moigne ainsi en 1945 : « Notre police juive sâest pliĂ©e en quatre pour rendre service aux Allemands pendant les rafles et a livrĂ© tous les Juifs quâelle a pu trouver. Elle a appris aux Allemands Ă fouiller les bunkers et les abris, creuser sous le sol et Ă dĂ©molir les murs »[44]. Des cas de chantage ont Ă©tĂ© documentĂ©s dans plusieurs ghettos, oĂč des policiers Ă©vitent la dĂ©portation Ă dâautres Juifs contre paiement[45].
Pour sâassurer de lâobĂ©issance des membres du JĂŒdische Ordnungsdienste, les forces allemandes manient la peur et comptent sur leur instinct de survie. Des policiers sont rĂ©guliĂšrement exĂ©cutĂ©s sommairement par les forces allemandes en reprĂ©sailles de dĂ©lits commis par la population â ou menacĂ©s de lâĂȘtre sâils sont jugĂ©s inefficaces[46] â ce qui contribue Ă les terroriser[43] - [47]. Par ailleurs, il leur est promis quâeux et leurs familles seront Ă©pargnĂ©s lors des dĂ©portations[37] - [43]. En , Ă ĆĂłdĆș, GĂŒnter Fuchs, de la Gestapo, menace ainsi de dĂ©portation les enfants des policiers juifs si ces derniers rechignent Ă rafler les autres enfants du ghetto[30]. Certains policiers, en plus dâobĂ©ir, tĂąchent de prouver leur efficacitĂ© Ă lâoccupant en faisant preuve de cruautĂ© et de brutalitĂ© Ă lâĂ©gard des autres habitants du ghetto[43]. Ă lâinverse, Oskar Rosenfeld relate dans son journal de bord le cas dâun policier juif de ĆĂłdĆș qui a Ă©tĂ© fouettĂ© par un Allemand pour sâĂȘtre comportĂ© de façon trop « humaine » avec les dĂ©portĂ©s[30].
Plusieurs historiens, pour expliquer la participation des policiers juifs aux rafles et dĂ©portations, soulignent la croyance bien ancrĂ©e selon laquelle la dĂ©portation aurait Ă©tĂ© pire, davantage brutale, si elle avait menĂ©e par les Allemands ; dĂšs lors, il apparaĂźt Ă des policiers comme un moindre mal de la mener eux-mĂȘmes[48] - [49]. Certains membres de la police juive dĂ©peignent eux-mĂȘmes leur violence comme un moyen dâĂ©viter lâintervention des Allemands dans le ghetto, et donc comme une maniĂšre de protĂ©ger les Juifs de lâoppresseur[50]. Ainsi en est-il dans le ghetto de ĆĂłdĆș, lorsque le prĂ©sident du Judenrat Chaim Rumkowski, qui commande la police juive, confrontĂ© Ă lâordre des Allemands de « relocaliser » (en rĂ©alitĂ© dĂ©porter vers le centre d'extermination de CheĆmno) 20 000 Juifs en , puis de dĂ©porter des enfants en , estime quâil est prĂ©fĂ©rable que la police juive sâen charge afin dâĂ©viter la brutalitĂ© et lâarbitraire dâune intervention de la police allemande, indique lâhistorienne allemande Andrea Löw. Les policiers juifs de ĆĂłdĆș forcent nĂ©anmoins les trĂšs nombreux rĂ©calcitrants Ă les accompagner, avec brutalitĂ©, lors de vĂ©ritables rafles[30].
Individuellement ou collectivement, des policiers refusent nĂ©anmoins dâobĂ©ir, tentent dâaider la population, quittent la police ou rejoignent la rĂ©sistance[51] (cf. infra).
Liquidation des polices juives
Les promesses faites aux policiers par les autoritĂ©s allemandes sont dans la plupart des cas trahies : « La police juive ne fut Ă©pargnĂ©e quâaussi longtemps que son aide Ă©tait requise », Ă©crit lâarchiviste et historien amĂ©ricain dâorigine polonaise Isaiah Trunk«_
Lorsque la liquidation des ghettos se fait par Ă©tapes successives, comme câest le cas Ă Varsovie, Cracovie ou Lublin, lâeffectif policier est gĂ©nĂ©ralement amputĂ© Ă chaque Ă©tape, une partie Ă©tant dĂ©portĂ©e, tandis que lâautre croit aux promesses de survie[22] - [43]. Ainsi dans le ghetto de Lublin, lors de la premiĂšre dĂ©portation, en , 35 des 113 policiers juifs se voient promettre qu'ils demeureront en service de maniĂšre permanente ; ils sont cependant exĂ©cutĂ©s ou dĂ©portĂ©s en novembre de la mĂȘme annĂ©e[43]. Ă Cracovie, la liquidation finale du ghetto intervient en : une partie des Juifs est assassinĂ©e sur place, dâautres sont dĂ©portĂ©s Ă Auschwitz, dâautres encore dĂ©placĂ©s au camp de travail voisin de PĆaszĂłw, tandis que la police demeure pour « nettoyer » le ghetto ; le , la plupart des policiers sont assassinĂ©s avec leur famille, tandis que le reste continue Ă officier au sein du camp de PĆaszĂłw, qui sera Ă son tour liquidĂ© Ă partir de [56]. AprĂšs la liquidation des ghettos, de nombreux membres des services dâordre qui ont Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s de la sorte dans des camps, avec les autres survivants de leur ghetto, y demeurent policiers ou y occupent des postes dâencadrement[57].
Calel Perechodnik, policier juif du ghetto d'Otwock, qui y a participĂ© aux opĂ©rations de dĂ©portation en , narre dans Suis-je un meurtrier ? comment il a alors lui-mĂȘme accompagnĂ© sa femme et sa fille sur la place centrale du ghetto dâOtwock aprĂšs quâon lui a promis quâelles seraient Ă©pargnĂ©es â elles sont en rĂ©alitĂ© toutes les deux dĂ©portĂ©es au centre d'extermination de Treblinka[58]. Il dĂ©crit Ă©galement lâĂ©tat dâesprit de ses collĂšgues dont les compagnes viennent dâĂȘtre dĂ©portĂ©es : « La souffrance ennoblissait le cĆur de certains qui compatissaient Ă celle de tous les Juifs sans exception et les aidaient sans contrepartie. Dâautres, rendus amers, cherchaient et trouvaient consolation dans les malheurs dâautrui[59] - [60]. »
Tribunaux dâhonneur et perception aprĂšs la guerre
Au terme de la guerre, des policiers juifs et â dans une moindre mesure, souligne Isaiah Trunk â des membres des conseils juifs locaux sont accusĂ©s par les survivants dâavoir eu une position privilĂ©giĂ©e durant lâoccupation, dâavoir brutalisĂ© leurs frĂšres juifs et dâavoir collaborĂ© avec les nazis.
Certains policiers sont jugĂ©s par des tribunaux. Câest notamment le cas en IsraĂ«l â oĂč la justice examine Ă©galement le cas de kapos et membres des JudenrĂ€te[61] â, en Pologne[62] - [56] et dans les pays intĂ©grĂ©s aprĂšs-guerre Ă lâUnion soviĂ©tique[63].
Plusieurs dizaines de policiers sont prĂ©sentĂ©s (ou, plus rarement, se prĂ©sentent eux-mĂȘmes pour ĂȘtre rĂ©habilitĂ©s) devant les tribunaux dâhonneur juifs[62] ; ceux-ci jugent aussi des kapos juifs â les prisonniers chargĂ©s par les nazis dâencadrer leurs pairs dans les camps de concentration et, dans une moindre mesure, des membres des JudenrĂ€te[64] - [65]. Ces tribunaux dâhonneur sont constituĂ©s sous divers noms dans plusieurs pays europĂ©ens, notamment dans des camps de personnes dĂ©placĂ©es en Allemagne et en Italie, dans lesquels prĂ©vaut au sein de la communautĂ© juive lâidĂ©e selon laquelle il est de son ressort de juger les crimes commis par des Juifs contre d'autres Juifs, notamment afin dâĂ©viter toute manipulation antisĂ©mite[66]. Ils sont gĂ©nĂ©ralement prĂ©sidĂ©s par des survivants Ă la Shoah et peuvent prononcer des peines allant de lâinterdiction dâoccuper des fonctions officielles dans les institutions juives Ă lâexclusion de la communautĂ© juive[67] - [56]. En Pologne, un tribunal dâhonneur, le Tribunal civil (en polonais, SÄ dy spoĆeczne) est crĂ©Ă© en 1946 par le ComitĂ© central des Juifs en Pologne (CCJP) aprĂšs que MichaĆ Weichert, un Juif de Cracovie accusĂ© de collaboration et considĂ©rĂ© comme un traitre par le CCJP, a Ă©tĂ© acquittĂ© par une cour d'Ătat ; la premiĂšre personne poursuivie par la nouvelle instance est un membre du service dâordre du ghetto de Varsovie, Shepsl Rotholc[68] - [69] - [70]. En Allemagne, dans la zone occupĂ©e par les Ătats-Unis, des tribunaux dâhonneur locaux Ă©mergent en 1945, puis le ComitĂ© central des Juifs libĂ©rĂ©s crĂ©e Ă Munich un Tribunal dâhonneur central en , lequel jugera notamment deux anciens membres de la police juive de Kovno ; dans la zone soviĂ©tique, un tribunal dâhonneur est crĂ©Ă© fin 1945[71].
La question posĂ©e, plus encore pour les polices juives que pour les conseils locaux, est celle de la collaboration avec les nazis : il sâagit alors dâĂ©valuer sâils ont « agi sous la contrainte et sâils auraient pu se soustraire au service », Ă©crit lâhistorienne polonaise Katarzyna Person«_
Les policiers accusĂ©s se dĂ©fendent pour la plupart en affirmant nâavoir pas participĂ© aux dĂ©portations et autres exactions, Ă lâinverse de leurs collĂšgues ; ceux qui admettent leur participation Ă©voquent un simple rĂŽle destinĂ© Ă donner le change et affirment avoir sauvĂ© des Juifs ou aidĂ© la rĂ©sistance, ou bien encore expliquent nâavoir Ă©tĂ© que des rouages dâune machine qui les dĂ©passait[79].
Certains policiers, accusĂ©s par de nombreux survivants, sont reconnus coupables ; dâautres ne sont pas condamnĂ©s par manque de preuves et tĂ©moignages ou parce quâils ont Ă©migrĂ© ; dâautres encore sont innocentĂ©s et voient reconnus leurs efforts pour aider autant que possible les Juifs â un tribunal dâhonneur loue mĂȘme lâattitude de lâensemble de la police du ghetto de BiaĆystok qui a refusĂ© de participer aux rafles prĂ©cĂ©dant la dĂ©portation[22] - [80].
Quant Ă lâURSS, les historiens français Alain Blum, Thomas Chopard et Emilia Koustova consacrent une Ă©tude Ă quinze membres des JĂŒdischer Ordnungsdienst des ghettos lituaniens qui ont Ă©tĂ© jugĂ©s par les tribunaux soviĂ©tiques aprĂšs la guerre. Ils distinguent deux grandes pĂ©riodes. De la LibĂ©ration Ă la fin des annĂ©es 1940, les investigations, menĂ©es Ă charge, se concentrent sur une minoritĂ© de policiers, dont les actions violentes sont envisagĂ©es sous un prisme individuel, sans analyse du contexte â la vie dans les ghettos â, ni prise en compte des contraintes qui pesaient sur eux. Au tournant des annĂ©es 1950, dans un contexte rĂ©pressif marquĂ© par un regain de lâantisĂ©mitisme stalinien (chasse aux sionistes, aux « cosmopolites »), certains anciens policiers sont accusĂ©s dâĂȘtre des ennemis de lâUnion soviĂ©tique, par exemple pour leur appartenance Ă lâUnion of Jewish Fighters for Lithuanian Independence durant lâentre-deux-guerres. Leur participation passĂ©e aux polices juives nâest pas le cĆur de lâaccusation : elle fait figure dâargument supplĂ©mentaire pour dĂ©montrer quâils sont des Juifs « fascistes » ou « chauvinistes » ; indĂ©pendamment de leurs actes effectifs â voire en inventant des accusations absentes des tĂ©moignages des survivants â, leur appartenance aux JĂŒdischer Ordnungsdienst permet de les dĂ©peindre sous les traits stĂ©rĂ©otypĂ©s dâindividus sadiques et brutaux[63].
Si les polices juives ont Ă©tĂ© dĂ©crites trĂšs sĂ©vĂšrement au sortir de la guerre, leur analyse ultĂ©rieure par les historiens, comme pour les conseils juifs, est plus nuancĂ©e, relĂšve lâhistorienne Katarzyna Person[81]. Selon lâhistorien français Georges Bensoussan, les services dâordre se retrouvent dâemblĂ©e enfermĂ©s dans le mĂȘme piĂšge que les conseils juifs locaux, dĂ©sireux dâĆuvrer Ă la survie des Juifs : celui de lâaccommodement aux ordres allemands â et lorsque « la police juive du ghetto se fait lâauxiliaire des assassins, lâaccommodement vire au pire »[82]. « Les procĂšs, Ă©crit Isaiah Trunk, ont mis Ă nu les racines profondes de la fragilitĂ© et de la dĂ©gradation humaines, notamment la perfidie du rĂ©gime nazi dans les ghettos et les camps pour duper ses collaborateurs«_
Caractéristiques
Rémunération et avantages
Les policiers de certains ghettos (par exemple Lublin ou Pabianice) sont normalement rĂ©munĂ©rĂ©s par le Judenrat, quoique les salaires soient dans bien des cas irrĂ©guliers ; dans les autres ghettos, aucune rĂ©munĂ©ration nâest prĂ©vue[22] - [86].
Des privilĂšges sont toutefois octroyĂ©s aux membres de la police juive du ghetto, notamment lâexemption de travaux forcĂ©s, la rĂ©ception de rations alimentaires plus importantes, lâexonĂ©ration de certaines taxes et la promesse â souvent trahie â dâĂ©chapper, ainsi que leur famille, aux dĂ©portations[87].
Lâabsence ou la faiblesse de la rĂ©munĂ©ration est rĂ©putĂ©e avoir entraĂźnĂ© des difficultĂ©s de recrutement dans certains ghettos, avoir encouragĂ© la candidature dâindividus jugĂ©s peu recommandables et avoir participĂ© Ă lâomniprĂ©sence de la corruption dans les rangs de la police. En situation de pouvoir et affectĂ©s pour certains Ă la garde de lâenceinte du ghetto, les policiers peuvent en effet tirer profit de la contrebande et spolier les autres Juifs[87] - [22].
Ăquipement
Les membres de la police juive ne portent pas dâuniformes officiels harmonisĂ©s. Ils sont gĂ©nĂ©ralement dotĂ©s dâun brassard dâidentification, dâun chapeau et dâun insigne, identiques au sein dâun ghetto mais variables dâun ghetto Ă lâautre ; ils arborent cependant tous une Ă©toile de David[86]. Certains portent Ă©galement leur matricule, voire leur grade[86]. Ils sont Ă©quipĂ©s de matraques ou bĂątons, en bois ou en caoutchouc, mais ne sont pas autorisĂ©s Ă porter dâarmes Ă feu[86] - [5]. Quelques-uns sont Ă©quipĂ©s de vĂ©los, par exemple les agents chargĂ©s des communications dans le ghetto de Varsovie[88].
Effectifs
Les effectifs de police sont uniquement composĂ©s dâhommes, Ă quelques exceptions prĂšs (ĆĂłdĆș, entre et [30], et Vilnius comportĂšrent notamment des effectifs fĂ©minins)[89]. Les policiers sont dâorigines sociales diverses, avec des niveaux dâĂ©tude et des professions variables, mais un niveau dâĂ©ducation gĂ©nĂ©ralement supĂ©rieur Ă la moyenne : on y trouve dâanciens commerçants comme des artisans, ainsi qu'un certain nombre dâanciens soldats et dâavocats[90]. En outre, notamment en raison de la corruption pour y entrer, certains dĂ©linquants et criminels parviennent Ă lâintĂ©grer, dans le but dâen tirer des bĂ©nĂ©fices personnels[22] - [90] - [20].
Dans certains ghettos (par exemple Ă Kovno[39]), les policiers sont essentiellement des rĂ©sidents locaux, tandis que dans dâautres figurent (y compris Ă la tĂȘte de la police) de nombreux rĂ©fugiĂ©s dâautres villes ou pays, parfois nommĂ©s par les Allemands[91]. Selon lâhistorien Aharon Weiss, au sein dâun Ă©chantillon de cent ghettos du Gouvernement gĂ©nĂ©ral de Pologne, la majoritĂ© des commandants de police nâĂ©tait pas impliquĂ©e dans la vie publique locale dâavant-guerre, Ă lâinverse des JudenrĂ€te composĂ©s essentiellement de figures publiques juives bien connues localement[92].
Les effectifs varient selon la taille des ghettos, et augmentent Ă lâapproche des dĂ©portations, lorsqu'il faut de la main-dâĆuvre pour les mener, avant de diminuer de nouveau aprĂšs, quand certains policiers dĂ©missionnent, sont exĂ©cutĂ©s ou dĂ©portĂ©s[93]. La plus grande unitĂ© de police juive se trouve dans le ghetto de Varsovie, qui accueille plus de 300 000 personnes : elle compte jusquâĂ environ 2 300 agents[93]. Le ghetto de ĆĂłdĆș dĂ©nombre quant Ă lui environ 1 200 agents, le ghetto de LwĂłw 500[94] et le ghetto d'Otwock une centaine[95].
Organisation
La police juive est hiĂ©rarchisĂ©e : Ă sa tĂȘte, un commandant, nommĂ© en allemand Leiter des OD (« OD » signifie Ordnungsdienst, « service dâordre » et Leiter signifie « chef » ou « dirigeant ») ou Chef der Ghettopolizei ; il est assistĂ© dâun adjoint. Selon la taille du ghetto et de sa police, des postes de police sont installĂ©s dans les diffĂ©rents quartiers ; chacun est dotĂ© dâun responsable et comporte Ă©ventuellement des subdivisions et une hiĂ©rarchie subalterne. Ă Varsovie par exemple, le plus grand ghetto juif, chaque commissariat de quartier comporte un commandant assistĂ© de deux adjoints, Ă la tĂȘte de (notamment) trois pelotons dâune cinquantaine dâhommes, chacun sous la direction dâun commandant adjoint de quartier et divisĂ© en groupes de douze hommes, eux-mĂȘmes dotĂ©s dâun responsable et subdivisĂ©s en sections[88].
Dans les ghettos de taille moyenne et grande, la police comporte divers services spĂ©cialisĂ©s : unitĂ© chargĂ©e du travail forcĂ©, contrĂŽle de lâhygiĂšne publique et lutte contre les Ă©pidĂ©mies, surveillance de la prison, brigade criminelle, gardiens de lâenceinte du ghetto, dĂ©fense anti-aĂ©rienne (Ă Varsovie[96]), etc.[97].
Des unitĂ©s de lutte contre lâincendie sont crĂ©Ă©es dans plusieurs ghettos, oĂč elles sont tantĂŽt rattachĂ©es au conseil juif local, tantĂŽt Ă la police. Leurs membres sont Ă©galement amenĂ©s Ă endosser des missions de police dans certains ghettos ; des documents en tĂ©moignent Ă Kovno, ĆĂłdĆș et Zelechow[98].
Corruption
La corruption est omniprĂ©sente dans les services dâordre juifs et elle est souvent dĂ©noncĂ©e dans les tĂ©moignages dâhabitants des ghettos[99] - [37].
Elle est de maniĂšre gĂ©nĂ©rale favorisĂ©e par lâĂ©tat de dĂ©nuement et de famine qui prĂ©vaut dans les ghettos, relĂšve lâhistorien Isaiah Trunk ; chez les policiers, elle est plus encore rĂ©pandue du fait de leur situation de pouvoir, de leurs contacts avec les Allemands et la police polonaise locale (possibilitĂ© concrĂšte de marchander avec eux et influence dĂ©lĂ©tĂšre de ces derniers sur lâĂ©thique des policiers) et enfin, comme relevĂ© prĂ©cĂ©demment, de la prĂ©sence en leur sein dâindividus cherchant Ă tirer profit de leur position privilĂ©giĂ©e[22] - [99].
Des policiers de Varsovie estiment que la corruption de la police juive, et la violence qui lâaccompagne, font partie dâune stratĂ©gie allemande, « diviser pour mieux rĂ©gner », dont le but est de corrompre moralement la communautĂ© juive dans son ensemble[100].
La corruption prend plusieurs formes. ChargĂ©s de faire appliquer les ordres sur le travail forcĂ©, certains membres de la police juive en exemptent ceux qui peuvent leur verser des dessous-de-table â ou Ă tout le moins leur attribuent des postes moins Ă©puisants. Lorsque, pour le compte du conseil juif local ou des forces allemandes, ils collectent des taxes et confisquent certains biens, ils en profitent pour sâenrichir personnellement ; certains vont jusquâĂ sâassocier Ă la Gestapo pour spolier les Juifs[101].
Les policiers, Ă©galement responsables de la garde de lâenceinte du ghetto â au sein duquel sĂ©vit souvent la famine â extorquent pour certains tout ou partie de la contrebande quâils viennent Ă dĂ©couvrir[101]. Dans certains cas nĂ©anmoins, par exemple Ă Skierniewice, ils organisent la contrebande en faveur de la population[102]. Les membres du service dâordre juif servent souvent dâintermĂ©diaires entre la population et les Allemands ou les policiers polonais[101] - [103].
Ă Varsovie, il est Ă©galement rapportĂ© que les actions de dĂ©sinfection des appartements (menĂ©es dans le cadre de lâĂ©pidĂ©mie de typhus, par la police juive et parfois par lâOrdnungspolizei et la police bleue) sont lâoccasion de vols et de brutalitĂ©s ; les policiers juifs se font verser des pots-de-vin par la population pour prĂ©venir des inspections sanitaires, les empĂȘcher, faire libĂ©rer des personnes confinĂ©es aux bains publics ou encore dĂ©truire des rapports dâinspection[104] - [20].
Toujours Ă Varsovie, de nombreux membres du service dâordre chargĂ©s de la surveillance de la prison du ghetto â crĂ©Ă©e Ă lâĂ©tĂ© 1941 ; sa surpopulation et plus largement ses conditions de dĂ©tention inhumaines engendrent une forte mortalitĂ© â sont enclins Ă relĂącher plus rapidement les dĂ©tenus (gĂ©nĂ©ralement emprisonnĂ©s pour contrebande) qui les payent, ou Ă leur octroyer des avantages. Quelques policiers aident cependant gracieusement des dĂ©tenus Ă sâĂ©vader[105] - [20].
La corruption sâĂ©tend dans certains ghettos (Varsovie, ĆĂłdĆș[30], etc.) jusquâaux actions de liquidation, au cours desquelles des policiers juifs monnayent la vie sauve dâautres Juifs ainsi que des services (porter une lettre Ă la famille, vendre du pain) Ă ceux qui vont ĂȘtre dĂ©portĂ©s[45] - [106].
Dans les ghettos oĂč il se soucie de la respectabilitĂ© du service dâordre juif, le conseil local Ćuvre Ă lutter contre la corruption en son sein[36]. Ă Kovno, des Ă©crits de policiers font ainsi mention dâun groupe corrompu qui aurait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© par la section criminelle de la police du ghetto[39]. Dans le ghetto de BiaĆystok, la police juive est largement corrompue et terrorise tant la population que le Judenrat, si bien que le prĂ©sident de ce dernier opĂšre en une purge durant laquelle une vingtaine de policiers corrompus sont envoyĂ©s dans des camps de travail[31].
Ă Varsovie, en revanche, en dĂ©pit des rĂšglements internes du service dâordre juif qui interdisent explicitement lâenrichissement personnel des agents et les actes de corruption, ceux-ci « deviennent la principale source de revenus pour les policiers et sont tolĂ©rĂ©s Ă contrecĆur par lâadministration juive et les autoritĂ©s allemandes », souligne lâhistorienne Katarzyna Person«_
Relations avec la population, les nazis et la résistance
Variété des situations
Le positionnement des JĂŒdische Ordnungsdienste vis-Ă -vis des occupants nazis, de la population et du Judenrat varie dâun ghetto Ă lâautre, ainsi quâavec le temps[22].
Dans une Ă©tude de cent ghettos du Gouvernement gĂ©nĂ©ral de Pologne, Aharon Weiss recense quatre grands cas de figure : dans quatorze communautĂ©s, le Judenrat et la police juive cherchent Ă protĂ©ger au mieux la population juive de la rĂ©pression nazie ; dans vingt-deux autres, elle tente de protĂ©ger la population dans un premier temps avant de se soumettre aux nazis ; dans vingt-sept communautĂ©s, les deux institutions sont dâemblĂ©e infĂ©odĂ©es aux Allemands ; enfin, dans les trente-sept cas restants, la police â soumise aux nazis â absorbe ou dirige le Judenrat[109].
Désobéissance aux ordres allemands
Si les membres des JĂŒdische Ordnungsdienste ont participĂ© Ă la spoliation des Juifs et aux dĂ©portations, ce nâest pas systĂ©matique : certains policiers refusent dâobĂ©ir aux Allemands, aident la population (dans de nombreux cas au prix de leur vie) ou quittent la police[51] - [110]. Ă Varsovie, quelques-uns se seraient suicidĂ©s[51] - [110]. Dâautres choisissent dâĂȘtre dĂ©portĂ©s avec lâensemble des Juifs, avec leur famille, alors quâils peuvent demeurer au ghetto[111]. Le policier Calel Perechodnik narre ainsi lâacte de son collĂšgue, survenu le sur la place oĂč sont rassemblĂ©s les Juifs dâOtwock pour ĂȘtre dĂ©portĂ©s Ă Treblinka :
« Je me tais, mais lâattitude dâAbram Willendorf Ă©claire la situation. Lui non plus ne dit rien Ă sa femme, il enlĂšve son brassard, sa casquette et son matricule, les jette et sâassied tranquillement par terre. Nous partons ensemble, voilĂ la rĂ©ponse tacite de Willendorf, homme dâhonneur. [âŠ] Tu as sauvĂ© lâhonneur des Juifs dâOtwock, lâhonneur de la police. [âŠ] Et moi, lâintellectuel, quâai-je fait ? Ai-je ĂŽtĂ© mon brassard ? Non, je nâen ai pas eu le courage[112]. »
Plusieurs actions collectives de dĂ©sobĂ©issance ont Ă©galement Ă©tĂ© documentĂ©es. Ainsi, dans le ghetto de Kovno (dans lâactuelle Lituanie, alors intĂ©grĂ©e au Reichskommissariat Ostland), les et , une quarantaine de policiers juifs qui refusent dâaider les Allemands lors dâune Aktion â qui fit 1 300 victimes â sont emmenĂ©s dans le NeuviĂšme Fort oĂč ils sont torturĂ©s puis exĂ©cutĂ©s[39]. Dâautres policiers collaborent Ă lâinverse avec les nazis et intĂšgrent la nouvelle police juive instituĂ©e dans la foulĂ©e de ces Ă©vĂ©nements, directement sous les ordres de la Gestapo[39]. Dans le ghetto de BiaĆystok, lors des dĂ©portations de , la police refuse de participer Ă la rafle des Juifs ordonnĂ©e par les Allemands â ses membres sont en consĂ©quence rouĂ©s de coups[31]. Dans plusieurs ghettos, des policiers juifs, parfois la majoritĂ© d'entre eux, prĂ©viennent la population de lâimminence dâune opĂ©ration de dĂ©portation, afin quâelle puisse se cacher[51].
Selon lâhistorien Aharon Weiss, sur 100 polices juives de ghettos du Gouvernement gĂ©nĂ©ral de Pologne Ă©tudiĂ©es, 88 ont accĂ©dĂ©, durant leur existence, aux demandes allemandes, y compris lors des opĂ©rations de dĂ©portation dans le cadre de la liquidation des ghettos. NĂ©anmoins, ces Ă©pisodes « se sont surtout produits dans les derniĂšres phases de lâexistence des ghettos, aprĂšs que des changements de personnel avaient Ă©tĂ© effectuĂ©s dans les rangs de la police » : les policiers â ainsi que les membres du Judenrat â les moins obĂ©issants dĂ©missionnent ou sont exĂ©cutĂ©s, et sont remplacĂ©s par des membres davantage serviles«_
Attitude vis-à -vis de la résistance
Dans certains ghettos existent des mouvements de rĂ©sistance, plus ou moins organisĂ©s. Leurs relations avec les JĂŒdische Ordnungsdienste sont variables dâun ghetto Ă lâautre.
Dans de nombreux cas, les relations entre rĂ©sistants et policiers sont hostiles ; ainsi que le rĂ©sume lâhistorien Paul R. Bartrop : « tandis que [les rĂ©sistants] voient la police du ghetto comme des traĂźtres Ă leur peuple qui font le travail des nazis, [les policiers] considĂšrent comme leur rĂŽle dâĂ©liminer les menaces pesant sur le bon fonctionnement du ghetto et de ne pas attiser la colĂšre des occupants«_
Selon Isahia Trunk, plusieurs raisons peuvent expliquer lâattitude de la police juive : les actions de la rĂ©sistance vont Ă lâencontre du maintien de lâordre dans le ghetto, dont les policiers sont responsables devant les Allemands ; les policiers tiennent la rĂ©sistance pour responsable des brutales reprĂ©sailles des Allemands contre des Juifs (y compris parfois des membres du Judenrat ou de la police) aprĂšs une de leurs actions ; enfin, la croyance selon laquelle ils survivront au ghetto est rĂ©pandue parmi les policiers[116].
Les policiers juifs ainsi que les membres de conseils juifs qui se sont opposĂ©s le plus frontalement Ă la rĂ©sistance ont souvent Ă©tĂ© assassinĂ©s par cette derniĂšre[118]. Ă Varsovie, le , pendant la liquidation du ghetto, Izrael Kanal, Ă la fois membre de la police juive et de l'organisation de rĂ©sistance juive Ć»ydowska Organizacja Bojowa (Ć»OB), tente ainsi, sans succĂšs, dâassassiner le commandant de la police, JĂłzef SzeryĆski ; son successeur, Jacob Lejkin, est exĂ©cutĂ© par la Ć»OB deux mois plus tard. Dâautres policiers sont par la suite exĂ©cutĂ©s par la Ć»OB et la Ć»ydowski ZwiÄ zek Wojskowy (Ć»ZW)[119] - [120] - [121].
NĂ©anmoins, il existe de nombreux exemples de policiers, parfois lâessentiel des effectifs, qui entretiennent de bonnes relations avec la rĂ©sistance. Isahia Trunk estime que la police juive est plus souvent susceptible dâaider la rĂ©sistance dans lâEst (Est de la Pologne, Lituanie et BiĂ©lorussie) que dans le centre et lâOuest de la Pologne, probablement parce que sây trouvent les forĂȘts abritant les partisans et que les jeunes policiers y ont plus souvent quâailleurs eu un engagement avant-guerre dans des partis politiques[122].
Plusieurs cas de Juifs concomitamment policiers et rĂ©sistants ont Ă©tĂ© documentĂ©s, de mĂȘme que de policiers finissant par rejoindre la rĂ©sistance[116]. MĂȘme dans les polices largement hostiles Ă la rĂ©sistance, il arrive quâun individu fournisse des informations aux rĂ©sistants, comme ce fut le cas Ă Cracovie[116].
Ainsi, quinze des vingt-deux policiers que compte le ghetto de Baranavitchy (RuthĂ©nie blanche) appartiennent Ă la rĂ©sistance, dont le commandant (qui est exĂ©cutĂ© par les Allemands pour cette raison)[116]. Dans le ghetto de Kovno, une partie de la JĂŒdische Ghetto-Polizei appartient Ă la rĂ©sistance ; dans les pas de lâArbeitsamt (lâĂ©quivalent local du Judenrat), elle entraĂźne aux armes des Juifs et aide quelque 300 rĂ©sistants Ă fuir le ghetto pour rejoindre les partisans soviĂ©tiques dans les forĂȘts environnantes[116] - [39] - [123]. Le soutien dâune partie de la police Ă la rĂ©sistance a Ă©galement Ă©tĂ© documentĂ© dans les ghettos de Riga (Reichskommissariat Ostland), Minsk et Lida (RuthĂ©nie blanche) ainsi que Rohatyn (Gouvernement gĂ©nĂ©ral de Pologne)[116].
La rĂ©sistance cherche par ailleurs Ă infiltrer ses membres dans les polices juives, afin dâobtenir des informations sur la vie du ghetto et dâaider Ă dĂ©masquer les informateurs de la Gestapo ; câest par exemple le cas Ă Vilnius, oĂč le Fareynikte Partizaner Organizatsye (FPO) est actif[116].
Perception par la population
Si, dans les premiers temps, la police juive a pu ĂȘtre perçue sous un jour positif par la population juive des ghettos, qui y voyait une force Ă mĂȘme de la protĂ©ger de la criminalitĂ© et des Allemands, ce sentiment sâest estompĂ©, au plus tard lors des premiĂšres dĂ©portations auxquelles les policiers juifs ont participĂ© : aprĂšs quoi, les Juifs ne ressentent gĂ©nĂ©ralement que de la haine Ă lâĂ©gard du service dâordre juif et vont jusquâĂ se rĂ©jouir de la dĂ©portation des policiers[5] - [22] - [124] - [125].
La dĂ©fiance, puis la haine de la population Ă lâĂ©gard de la police du ghetto et des conseils juifs locaux trouvent leur source dans le fait que ces deux institutions mettent en Ćuvre en pratique les diktats rĂ©pressifs allemands et sont dĂšs lors le visage des exactions (travail forcĂ©, confiscation de biens, diverses taxes, etc.). Les Allemands demeurent en retrait jusquâaux dĂ©portations, durant lesquelles ils agissent en premiĂšre ligne[126]. Le journal de lâĂ©crivain en yiddish Yehoshua Perle[127] - [128], habitant du ghetto de Varsovie, tĂ©moigne de cette perception :
« Incidemment, il convient dâobserver quâĂ partir du toutes les affiches et tous les dĂ©crets Ă©taient revĂȘtus de la signature du Judenrat ou de la direction de la police juive. Les forces dâoccupation allemandes nâont signĂ© aucune affiche, aucune ordonnance. [âŠ] De maniĂšre Ă ce que lâon constate ultĂ©rieurement que ce nâĂ©tait pas eux qui avaient procĂ©dĂ© Ă lâexpulsion forcĂ©e mais bien la communautĂ© juive[124]. »
La population reproche Ă la police et au Judenrat leur corruption, leur inhumanitĂ© et leur brutalitĂ©[126]. Dans le ghetto de ĆĂłdĆș, les dĂ©buts de la police juive sont certes marquĂ©s par la fiertĂ© des familles qui comptent un policier en leur sein, mais la population devient rapidement hostile en raison de la corruption et de la violence de lâOrdnungsdienst ; lâĂ©crivain Oskar Rosenfeld, Ă lâimage dâautres habitants du ghetto, dĂ©crit des « policiers [qui] crient, frappent, matraquent, au niveau de la poitrine » et les compare Ă lâoccupant allemand«_
Les policiers sont souvent perçus comme des privilĂ©giĂ©s, dont la consommation parfois ostentatoire dâalcool et de bonne chĂšre dans des bars et restaurants, alors que les autres Juifs peinent Ă manger Ă leur faim, tĂ©moigne de lâarrogance[39] - [131]. Cependant, les hommes du rang sont eux-mĂȘmes pauvres, souligne lâhistorienne Katarzyna Person sâagissant de Varsovie[132].
AprĂšs avoir dĂ©crit la participation de la police juive de Varsovie Ă lâexĂ©cution, par la police bleue polonaise, de dĂ©tenus de la prison du ghetto, en novembre et , Katarzyna Person relate«_
« Pour la premiĂšre fois, les membres du service dâordre juif furent utilisĂ©s comme des auxiliaires durant lâexĂ©cution dâautres Juifs. [âŠ] Pour beaucoup, ces exĂ©cutions devinrent un symbole de lâeffondrement moral final de la police â et, rĂ©trospectivement, elles ont mĂȘme Ă©tĂ© considĂ©rĂ©es comme une amorce de leurs actions sur lâUmschlagplatz pendant lâAktion Reinhard. »
Les publications clandestines de plusieurs ghettos, souvent Ă©ditĂ©es par des partis politiques, dĂ©noncent ou moquent le Judenrat et, parfois davantage encore, le service dâordre juif[126]. Ce dernier est frĂ©quemment et unanimement dĂ©criĂ© dans les tĂ©moignages Ă©crits dâhabitants et de rĂ©sistants du ghetto de Varsovie ; lâĂ©crivain Yehoshua Perle, Ă©voquant les policiers qui ont participĂ© aux dĂ©portations, Ă©crit Ă chaud[124] - [134] :
« Pourtant la question doit ĂȘtre posĂ©e, hurlĂ©e aux cieux : mais oĂč donc ont-ils Ă©tĂ© Ă©levĂ©s, ces jeunes ? Quels sont les [sic] de pĂšres juifs qui ont pu engendrer cette semence dâassassins ? Quelles mamans juives ont donc allaitĂ© ces meurtriers ? Il faut croire quâils sont issus dâun croisement dâassassins et de putains. La police juive sâest dĂ©carcassĂ©e pour donner satisfaction Ă ses maĂźtres sanguinaires qui ont jurĂ© dâextirper le judaĂŻsme. »
Lâhistorien juif polonais et archiviste du ghetto de Varsovie Emanuel Ringelblum, tentant dâanalyser la passivitĂ© des plus pauvres face Ă lâoppresseur, Ă©crit : « La police juive a appris comment frapper, comment faire respecter lâordre, et comment envoyer les gens dans les camps de travail, et elle est lâun des facteurs contribuant Ă garder les gens dans le rang«_
RĂ©sultent de cette hostilitĂ© Ă lâĂ©gard de la plupart des polices juives (et des JudenrĂ€te) des actes dâopposition, individuels ou collectifs, tantĂŽt spontanĂ©s, tantĂŽt organisĂ©s : dĂ©sobĂ©issance aux policiers voire rĂ©bellion physique lorsquâils tentent dâappliquer les directives relatives au travail forcĂ© ou quâils cherchent Ă rĂ©guler la contrebande, manifestations et grĂšves dirigĂ©es contre le conseil juif. Les actions individuelles sont parfois punies de prison (ou dâun passage Ă tabac, jusquâĂ la mort dans deux cas documentĂ©s), les manifestations rĂ©primĂ©es brutalement, avec lâaide des Allemands si nĂ©cessaire[126]. Lors de la liquidation du ghetto de Varsovie, Ă lâĂ©tĂ© 1942, les policiers qui tentent dâamener les Juifs sur lâUmschlagplatz sont frĂ©quemment attaquĂ©s[136].
La police juive â plus encore que les conseils juifs, Ă©crit lâhistorien Georges Bensoussan[137] â finit ainsi, bien souvent, par ĂȘtre perçue comme criminelle, et ĂȘtre associĂ©e aux forces nazies avec lesquelles elle est accusĂ©e dâavoir collaborĂ©[56] - [31] - [138]. Plusieurs policiers sont attaquĂ©s voire tuĂ©s par dâautres Juifs et par la rĂ©sistance avant la fin de la guerre[119] ; celle-ci venue, plusieurs dizaines dâentre eux sont traduits devant des tribunaux (cf. supra).
Historiographie
De nombreuses publications sont consacrĂ©es aux conseils juifs de ghettos spĂ©cifiques, avec des mentions de leur service dâordre, mais peu de sources de synthĂšse exhaustives existent. Lâouvrage de lâhistorien Isaiah Trunk â le plus complet qui soit paru sur les JudenrĂ€te, note lâhistorien Dan Michman â consacre un chapitre aux polices juives, « mais lâĂ©tude la plus complĂšte sur ce phĂ©nomĂšne demeure la thĂšse de doctorat dâAharon Weiss »[16] - [139]. Les historiens sâappuient notamment sur les rĂ©cits de survivants et les archives des ghettos ; les rares Ă©crits de policiers, notamment celui anonyme Ă Kovno et celui de Calel Perechodnik Ă Otwock, sont des sources utiles aux historiens[16] - [81] - [140].
Lâhistoriographie des polices juives du ghetto sâinscrit dans celle, dĂ©battue, des conseils juifs locaux, les JudenrĂ€te â auxquels elles sont officiellement rattachĂ©es. Lâhistorienne polonaise Katarzyna Person souligne quâaprĂšs la guerre, les premiers travaux dâhistoriens, qui sâappuient sur des rĂ©cits de survivants, prĂ©sentent exclusivement les polices juives comme des instruments de terreur et dâoppression aux mains des Allemands. Dans les annĂ©es 1960 Ă©mergent des dĂ©bats sur la responsabilitĂ© morale des conseils juifs â et, dans une faible mesure, des polices juives â dans la Shoah : sont-ils coupables, victimes, ou dans une « zone grise » telle que dĂ©finie par lâĂ©crivain italien Primo Levi, rescapĂ© de la Shoah ? Ces dĂ©bats portent notamment sur les Ă©crits de Raul Hilberg dans La Destruction des Juifs d'Europe et ceux dâHannah Arendt dans Eichmann Ă JĂ©rusalem, pour qui une partie des leaders juifs ont collaborĂ© avec les nazis[16] - [141] - [142]. Ce nâest que par la suite, et vĂ©ritablement Ă partir des annĂ©es 1990, Ă©crit Katarzyna Person, que lâhistoire des services dâordre juifs est Ă©tudiĂ©e sans chercher Ă qualifier moralement leurs actions[143]. Les historiens français Alain Blum, Thomas Chopard et Emilia Koustova soulignent que lâĂ©mergence de nouvelles sources, telles que le document sur la police de Kovno ou lâouvrage de Katarzyna Person consacrĂ© Ă la police du ghetto de Varsovie, a permis de mettre lâaccent sur le vĂ©cu et le quotidien des membres des polices juives, plutĂŽt que sur la question morale de leur responsabilitĂ©[63].
Par ailleurs, lâimage des polices juives est parfois manipulĂ©e Ă des fins antisĂ©mites, lors de certains procĂšs soviĂ©tiques[63] ou aprĂšs mars 1968 en Pologne, quand fleurissent des publications visant Ă accabler les policiers juifs pour mieux dĂ©douaner les Polonais non juifs de leur passivitĂ© durant la Shoah[143].
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[âŠ]_while_the_former_[the_resistance]_saw_the_ghetto_police_as_traitors_to_their_people_who_did_the_Nazi's_work_for_them,_the_latter_[the_police]_saw_it_as_their_role_to_eliminate_the_threats_to_the_smooth_running_of_the_ghetto_and_not_bring_down_the_wrath_of_the_occupiers. _»-115" class="mw-reference-text">Bartrop 2017. Citation originale : « [âŠ] while the former [the resistance] saw the ghetto police as traitors to their people who did the Nazi's work for them, the latter [the police] saw it as their role to eliminate the threats to the smooth running of the ghetto and not bring down the wrath of the occupiers. » - Trunk 1996, p. 519-526.
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For_the_first_time,_Jewish_Order_Service_members_were_used_as_an_auxiliary_service_during_the_execution_of_other_Jews._[âŠ]_For_many,_these_executions_became_a_symbol_of_the_final_moral_collapse_of_the_Jewish_policeâand_in_hindsight_came_to_be_seen_even_as_an_initiation_to_their_actions_on_the_Umschlagplatz_during_Operation_Reinhard. _»-133" class="mw-reference-text">Person 2021, p. 73-75. Citation originale : « For the first time, Jewish Order Service members were used as an auxiliary service during the execution of other Jews. [âŠ] For many, these executions became a symbol of the final moral collapse of the Jewish policeâand in hindsight came to be seen even as an initiation to their actions on the Umschlagplatz during Operation Reinhard. » - Person 2021, p. 137-138.
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The_Jewish_polce_have_learned_how_to_hit,_to_enforce_order,_and_to_send_people_to_the_labor_camps,_and_they_are_one_of_the_contributing_factors_that_keep_people_in_line. _»-135" class="mw-reference-text">Trunk 1996, p. 544. Citation originale : « The Jewish polce have learned how to hit, to enforce order, and to send people to the labor camps, and they are one of the contributing factors that keep people in line. » - Person 2021, p. 132-133.
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Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
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Articles
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