Corruption
La corruption est la perversion ou le dĂ©tournement d'un processus ou d'une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d'obtenir des avantages ou des prĂ©rogatives particuliĂšres ou, pour le corrompu, d'obtenir une rĂ©tribution en Ă©change de sa complaisance. Elle conduit en gĂ©nĂ©ral Ă l'enrichissement personnel du corrompu ou Ă l'enrichissement de l'organisation corruptrice (groupe mafieux, entreprise, club, etc.[2]). Il s'agit d'une pratique qui peut ĂȘtre tenue pour illicite selon le domaine considĂ©rĂ© (commerce, affaires, politiqueâŠ) mais dont le propre est justement d'agir de maniĂšre Ă la rendre impossible Ă dĂ©celer ou Ă dĂ©noncer.
Elle peut concerner toute personne bénéficiant d'un pouvoir de décision, que ce soit une personnalité politique, un fonctionnaire, un cadre d'une entreprise privée, un médecin, un arbitre ou un sportif[3], un syndicaliste ou l'organisation à laquelle ils appartiennent. Le trafic d'influence est une forme de corruption.
Origine du pot-de-vin
Ă lâorigine, le « pot » Ă©tait le rĂ©cipient de terre cuite ou dâĂ©tain dans lequel lâon servait le vin ou la biĂšre. Dans la culture occidentale, on offre Ă une personne un « pot Ă boire » par sympathie ou en Ă©change dâun petit service rendu :
- lâexpression « donner un pot-de-vin » apparaĂźt au dĂ©but du XVIe siĂšcle avec une connotation trĂšs innocente qui signifiait simplement « donner un pourboire ». Ce pot pouvait ĂȘtre soit le liquide lui-mĂȘme (le vin ou la biĂšre), soit quelques piĂšces de monnaie ne reprĂ©sentant quâune valeur symbolique ;
- au fil des siĂšcles, cette coutume a pris une connotation plus pĂ©jorative et est devenu synonyme dâillĂ©galitĂ© et de corruption. La valeur de ce « pot » a pris une valeur beaucoup plus importante, quâelle soit monĂ©taire ou matĂ©rielle, dĂ©signĂ©e par le terme « corruption ».
DĂ©finitions
ProblÚmes de définition
Il est difficile de proposer une dĂ©finition de la corruption qui convienne Ă tous les pays et toutes Ă©poques ; les dĂ©finitions avancĂ©es servent souvent Ă Ă©tablir des rapports de domination entre pays du nord et pays "sous-dĂ©veloppĂ©s" (considĂ©rĂ©s comme plus corrompus) ; elles ont pu ĂȘtre jugĂ©es paternalistes et eurocentrĂ©es[4]. Ainsi l'anthropologue Olivier de Sardan fait remarquer que des pratiques africaines comme le don ou les actes de solidaritĂ© sont regardĂ©es ailleurs comme des formes de corruption. Pour sa part, Bo Rothstein (en) adopte une position plus universaliste ; il considĂšre que toutes les sociĂ©tĂ©s s'accordent Ă valoriser l'impartialitĂ© dans la sphĂšre politique, il admet que toutes les sociĂ©tĂ©s n'interprĂštent pas de la mĂȘme maniĂšre la distinction entre la sphĂšre politique et la sphĂšre privĂ©e, mais pense qu'elles aspirent gĂ©nĂ©ralement Ă les sĂ©parer pour Ă©viter les prĂ©fĂ©rences injustes et le nĂ©potisme[4].
Transparency International
Selon Transparency International, « la corruption consiste en lâabus d'un pouvoir reçu en dĂ©lĂ©gation Ă des fins privĂ©es »[5].
Cette définition permet d'isoler trois éléments constitutifs de la corruption :
- lâabus de pouvoir ;
- à des fins privées (donc ne profitant pas nécessairement à la personne abusant du pouvoir, mais incluant aussi bien les membres de sa proche famille ou ses amis) ;
- un pouvoir que lâon a reçu en dĂ©lĂ©gation (qui peut donc Ă©maner du secteur privĂ© comme du secteur public).
Tranparency utilise Ă©galement parfois cette dĂ©finition : « abus de pouvoir Ă finalitĂ© dâenrichissement personnel ».
Instances européennes
L'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe définit la corruption comme « l'utilisation et l'abus du pouvoir public à des fins privées »[6].
Pour la Commission des communautés européennes, « la corruption est liée à tout abus de pouvoir ou toute irrégularité commis dans un processus de décision en échange d'une incitation ou d'un avantage indu ».
La dĂ©finition donnĂ©e par le groupe multidisciplinaire sur la corruption du Conseil de lâEurope est lĂ©gĂšrement diffĂ©rente[7] : « la corruption est une rĂ©tribution illicite ou tout autre comportement Ă l'Ă©gard des personnes investies de responsabilitĂ© dans le secteur public ou le secteur privĂ©, qui contrevient aux devoirs qu'elles ont en vertu de leur statut d'agent d'Ătat, d'employĂ© du secteur privĂ©, d'agent indĂ©pendant ou d'un autre rapport de cette nature et qui vise Ă procurer des avantages indus de quelque nature qu'ils soient, pour eux-mĂȘmes ou pour un tiers ».
Le groupe multidisciplinaire sur la corruption (GMC) insiste sur la difficulté de cerner avec exactitude les bornes légales du phénomÚne mais rappelle que sa nature relÚve de l'abus de pouvoir ou de l'improbité dans la prise de décision[8].
Banque mondiale
La Banque mondiale retient la dĂ©finition suivante pour la corruption : « Utiliser sa position de responsable dâun service public Ă son bĂ©nĂ©fice personnel[9]. »
Nations unies
L'Institut international de planification de l'éducation de l'UNESCO a étudié plus particuliÚrement la corruption dans l'éducation. à ce titre, il donne la définition suivante : « une utilisation systématique d'une charge publique pour un avantage privé, qui a un impact significatif sur la disponibilité et la qualité des biens et services éducatifs et, en conséquence, sur l'accÚs, la qualité ou l'équité de l'éducation »[10].
Causes
Causes générales
- Mauvaise gouvernance : cadre législatif flou, systÚme judiciaire inadéquat, manque de transparence et de responsabilisation, manque de liberté de la presse.
- Absence de toute politique anti-corruption prĂ©ventive et de prise de conscience de l'importance des questions comme l'Ă©thique professionnelle, les conflits d'intĂ©rĂȘts (pour Ă©viter par exemple que les personnes entrent dans les conseils municipaux pour y dĂ©fendre leurs propres intĂ©rĂȘts fonciers, entrepreneuriaux ou autres ; manque de rĂ©flexe de se "dĂ©sengager" de certaines dĂ©cisions), le refus des cadeaux et autres avantages qui finissent par crĂ©er des relations troubles ou mal perçues par les tiers (y compris les cadeaux de fin d'annĂ©e).
- Institutions faibles : fonctionnaires à forte autorité ayant peu de comptes à rendre, responsables officiels attirés par des rémunérations coupables et ayant des salaires faibles, facteurs culturels ayant trait au mode de contrÎle dans l'administration ou à la croyance au « droit aux bénéfices » des responsables administratifs.
- Faibles salaires : l'administration publique de nombreux Ătats prĂ©voit des salaires relativement faibles pour certains de leurs agents ; typiquement les mĂ©decins, les policiers (corruption policiĂšre (en)), par exemple les douaniers sont les victimes faciles du systĂšmes oĂč la culture admet qu'il n'est pas besoin de les payer [de maniĂšre dĂ©cente] Ă©tant donnĂ© qu'ils peuvent tirer un avantage occulte de leurs fonctions.
- Culture administrative et corporatiste peu propice gĂ©nĂ©rant des craintes et qui dissuade toute dĂ©nonciation (ou simple remise en cause d'un systĂšme affectĂ©) par les Ă©lĂ©ments intĂšgres ou simplement dĂ©sireux d'appliquer les rĂšgles existantes ; esprit de revanche du groupe et des supĂ©rieurs imposant des sanctions dĂ©guisĂ©es au lieu de valoriser l'intĂ©gritĂ© (d'oĂč la nĂ©cessitĂ© de vĂ©ritables mesures et politiques de protection de la vie professionnelle des « lanceurs d'alerte » et Ă©ventuellement de leurs proches). L'absence de dispositifs de codes de dĂ©ontologie et de prĂ©vention des conflits d'intĂ©rĂȘt fragilise Ă©galement l'intĂ©gritĂ© professionnelle[11].
- Aspects culturels : le développement de la corruption est quelquefois attribué partiellement à des perversions de valeurs culturelles, lorsque par exemple la notion de respect ou de soumission à l'autorité est détournée de ses objectifs[12]. Une étude menée en 2006 (sur un échantillon toutefois limité de 193 étudiants issus de 43 pays) semble montrer une corrélation entre la propension à offrir des pots-de-vin et le degré de corruption existant dans le pays d'origine[13].
Corruption post-conflit
Les pays les plus affectĂ©s par la corruption sont souvent des pays qui sortent de pĂ©riodes de guerres. Durant le conflit mĂȘme, la corruption se dĂ©veloppe considĂ©rablement. Pour signer des accords de paix, il a fallu faire des concessions, gĂ©nĂ©ralement, Ă d'anciens chefs de guerre corrompus, et leur garantir l'impunitĂ©. Ces dirigeants sans scrupules, une fois intĂ©grĂ©s dans le nouveau jeu politique, font obstacle Ă l'Ă©tablissement d'une justice impartiale qui menacerait leurs intĂ©rĂȘts. Ils sapent ainsi les efforts en vue d'un redressement durable du pays. Les spĂ©cialistes des sociĂ©tĂ©s post-conflit soulignent la place centrale qu'il convient d'accorder Ă la lutte contre la corruption dans tout programme d'aide internationale, sous peine de compromettre la stabilitĂ© du pays difficilement conquise aprĂšs la guerre.
Les interventions internationales post-conflit, longtemps considĂ©rĂ©es comme «une technique neutre », qui aide les sociĂ©tĂ©s post-conflit Ă devenir pacifiques, dĂ©mocratiques, prospĂšres, ont fait l'objet de nombreuses critiques. Plusieurs pays oĂč le redressement aprĂšs la guerre est grevĂ© par la corruption avaient bĂ©nĂ©ficiĂ© de programmes d'aide internationale, dans lesquels la lutte contre la corruption avait Ă©tĂ© relĂ©guĂ©e au second plan, en particulier le Mozambique, la Bosnie-HerzĂ©govine, le Timor oriental, l'Afghanistan, le Kosovo, la Palestine et le Liban[14].
Les causes de ce relatif dĂ©sintĂ©rĂȘt portĂ© Ă la lutte contre la corruption sont multiples. D'une part, les donateurs internationaux craignent, en dĂ©nonçant les gouvernements locaux, d'ĂȘtre empĂȘchĂ©s d'intervenir, et de livrer Ă elles-mĂȘmes, sans aide internationale, des populations fragilisĂ©es par la guerre[15]. D'autre part, ils sont parfois impliquĂ©s eux-mĂȘmes dans la corruption[4] - [15]. Enfin, les donateurs Ă©trangers modulent leur aide Ă la reconstruction en fonction de leurs intĂ©rĂȘts gĂ©ostratĂ©giques propres[4] - [15]. La plus grande part de l'aide accordĂ©e par les Ătats-Unis a Ă©tĂ© destinĂ©e Ă des gouvernements corrompus ; ainsi par exemple il leur a Ă©tĂ© reprochĂ© de perpĂ©tuer par leur soutien la corruption de leurs alliĂ©s en Afghanistan, les «seigneurs de la guerre»[15].
Caractéristiques
Formes
La Banque mondiale retient les formes suivantes de corruption[16] :
- les « dessous de table » : ce sont des versements Ă des responsables officiels afin quâils agissent plus vite, de façon plus souple et plus favorable[17] ;
- la « fraude » : c'est la falsification de données, de factures, la collusion, etc. ;
- « lâextorsion » : c'est lâargent obtenu par la coercition ou la force ;
- le « favoritisme » (« népotisme », « collusion ») : c'est le fait de favoriser des proches ;
- le « détournement de fonds » : c'est le vol de ressources publiques par des fonctionnaires.
Types de corruption
La Banque mondiale retient les types suivants de corruption :
- la grande corruption : c'est une corruption Ă haut niveau oĂč les dĂ©cideurs politiques crĂ©ant et appliquant les lois utilisent leur position officielle pour promouvoir leur bien-ĂȘtre, leur statut ou leur pouvoir personnel ;
- la petite corruption : c'est la corruption bureaucratique dans lâadministration publique.
La façon de dĂ©finir la corruption varie selon les pays. Ainsi, dans le cas des Ătats-Unis, les journalistes BenoĂźt BrĂ©ville et Renaud Lambert soulignent qu'« une entreprise qui souhaite influer sur les choix dâun Ă©lu nâa pas besoin de recourir aux dessous-de-table. Depuis et lâarrĂȘt « Citizens United v. Federal Election Commission » rendu par la Cour suprĂȘme, il lui suffit de subventionner des associations liĂ©es Ă son poulain, le plus lĂ©galement du monde et sans plafonnement des montants. Dans bien des pays, une telle pratique est prohibĂ©e ; outre-Atlantique, on parle de⊠libertĂ© dâexpression. Selon un rapport de la Sunlight Foundation, entre 2007 et 2012, les deux cents entreprises amĂ©ricaines les plus actives politiquement ont, au niveau fĂ©dĂ©ral, dĂ©pensĂ© 5,8 milliards de dollars en frais de ce type. Durant la mĂȘme pĂ©riode, elles ont reçu lâĂ©quivalent de 4 400 milliards de dollars en cadeaux divers : subventions, exonĂ©rations, rĂ©duction dâimpĂŽts. Amender la loi plutĂŽt que ces comportements : la mĂ©thode sĂ©duit. Les multinationales amĂ©ricaines souhaitant sâimplanter dans des pays pauvres sont ainsi autorisĂ©es Ă effectuer des « paiements de facilitation » (facilitating payments) pour accĂ©lĂ©rer une procĂ©dure, obtenir une autorisation, faire passer un dossier sur le dessus de la pile. De leur cĂŽtĂ©, les justiciables suffisamment fortunĂ©s peuvent mettre un terme aux poursuites dont ils font lâobjet en versant de lâargent Ă la partie adverse. Fluctuante, la frontiĂšre entre corruption et pratiques lĂ©gales apparaĂźt dĂšs lors soumise aux alĂ©as du droit. Et de la logique qui en sous-tend souvent lâĂ©laboration : faire entrer les pratiques des dominants dans la lĂ©galitĂ©, tout en garantissant la plus grande sĂ©vĂ©ritĂ© pour les forfaits des classes populaires »[18].
Coût
Selon une estimation de la Banque mondiale, en 2001-2002 1 000 milliards de dollars auraient Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©s en pots-de-vin. Ce montant reprĂ©sente environ 3 % des Ă©changes de la planĂšte pour cette mĂȘme pĂ©riode[19].
Selon une étude commandée par le Parlement européen, le coût de la corruption pourrait atteindre 990 milliards d'euros dans l'Union européenne, dont 120 milliards pour la France[20].
L'organisation non gouvernementale internationale Transparency International a publiĂ© le une liste des dix chefs d'Ătat les plus corrompus[21] Mohamed Suharto aurait par exemple dĂ©tournĂ© entre 15 et 35 milliards de dollars, Ferdinand Marcos entre cinq et dix et Mobutu Sese Seko environ cinq milliards lorsqu'il dirigeait le ZaĂŻre. Le pays de la liste ayant le PNB le plus Ă©levĂ© Ă©tait le PĂ©rou avec 2 051 dollars par habitant en 2001. Au Canada, des personnalitĂ©s politiques et des hauts fonctionnaires associĂ©s Ă l'administration du Parti libĂ©ral du gouvernement du Canada sont impliquĂ©s dans un scandale de plusieurs centaines de millions de fausses factures de programmes de commandites[22] gouvernementales. L'argent Ă©tait utilisĂ© pour la rĂ©Ă©lection des candidats du Parti libĂ©ral.
Un rapport du CCFD-Terre solidaire, « Biens mal acquis⊠profitent trop souvent. La fortune des dictateurs et les complaisances des pays occidentaux » estiment que plus de 120 milliards de dollars ont Ă©tĂ© dĂ©tournĂ©s ces dix derniĂšres annĂ©es, notamment Ă cause de la corruption[23] - [24]. En France, le dĂ©putĂ© François Loncle, ancien prĂ©sident de la Commission des Affaires ĂtrangĂšres de l'AssemblĂ©e nationale et liĂ© Ă Laurent Gbagbo, l'ex-prĂ©sident ivoirien, a ainsi minimisĂ© ou couvert pendant plusieurs annĂ©es les pratiques de corruption en CĂŽte d'Ivoire[25].
Pour les entreprises qui la pratiquent, la corruption semble trĂšs rentable, sauf pour celles â minoritaires â qui se font prendre et condamner[26] - [27]. Elle est par ailleurs, par dĂ©finition, trĂšs difficile Ă quantifier au niveau mondial.
Selon l'agence de notation Standard and Poor's, les investisseurs ont une probabilité allant de 50 à 100 % de perdre la totalité de leurs investissements dans un délai de cinq ans dans les pays connaissant divers degrés de corruption[28].
LâintĂ©rĂȘt portĂ© par les mĂ©dias aux affaires de corruption a considĂ©rablement augmentĂ© depuis quelques dĂ©cennies. En France notamment, Le Figaro, Le Monde et LibĂ©ration ont publiĂ© 2 630 articles traitant de corruption entre 1981 et 1990. Une dĂ©cennie plus tard, le chiffre a quadruplĂ©. Pour les chercheurs Catherine Fieschi et Paul Heywood, la mutation du dĂ©bat politique fut la consĂ©quence de lâeffondrement du systĂšme communiste au dĂ©but des annĂ©es 1990 : « Les partis dont les batailles Ă©lectorales sâorganisaient hier autour dâenjeux idĂ©ologiques, mais qui avaient les mĂȘmes pratiques en matiĂšre de corruption, ont dĂ» changer de tactique. Les programmes de la gauche et de la droite ont commencĂ© Ă se ressembler, tandis que lâurgence de faire la dĂ©monstration de sa compĂ©tence une fois au pouvoir devenait dĂ©terminante. (âŠ) La concurrence politique a donc conduit Ă dĂ©laisser les dĂ©bats de fond pour leur prĂ©fĂ©rer les accusations de corruption, destinĂ©es Ă entacher le crĂ©dit de lâadversaire »[18].
Lutte contre la corruption
Transparency International propose comme « solution parmi d'autres » de « placer ces institutions » (Clearstream, Euroclear et autres chambres de compensation et de routing) « sous le contrÎle d'une organisation internationale qui pourrait jouer le rÎle du tiers de confiance ».
L'OCDE fait de la lutte contre la corruption l'un de ses principaux objectifs.
Dans les faits, selon le magistrat Eric Alt, « les actions judiciaires se heurtent souvent Ă lâhostilitĂ© des gouvernements. Ainsi, le Royaume-Uni a interdit lâenquĂȘte sur un rĂ©seau de corruption qui avait accompagnĂ© la vente, pour 56 milliards dâeuros, dâarmements Ă lâArabie saoudite. LâItalie a supprimĂ© lâan dernier le Haut-Commissariat de lutte contre la corruption. En France, les autoritĂ©s politiques nâont pas permis aux juges chargĂ©s de lâaffaire des frĂ©gates de TaĂŻwan dâaccĂ©der Ă des documents en se retranchant derriĂšre le secret-dĂ©fense. Dans le mĂȘme sens, la loi de programmation militaire du prĂ©voit de protĂ©ger les « locaux dâentreprises privĂ©es intervenant dans le domaine de la recherche ou de la dĂ©fense ». Ce qui signifie concrĂštement que de grands groupes industriels pourraient bĂ©nĂ©ficier dâune protection globale contre les investigations judiciaires au motif quâils dĂ©tiendraient des documents classifiĂ©s »[29].
Au niveau du Conseil de l'Europe
Le Conseil de l'Europe, fondĂ© en 1949 et basĂ© Ă Strasbourg, s'est impliquĂ© dans la lutte contre la corruption. Le dĂ©veloppement des travaux a Ă©tĂ© jalonnĂ© par plusieurs Ă©vĂ©nements marquants depuis 1981, lorsque le ComitĂ© des ministres du Conseil de lâEurope a recommandĂ© de prendre des mesures contre le crime Ă©conomique (y compris, entre autres, la corruption) (Recommandation no R (81) 12). En 1994, les ministres de la justice des Ătats membres du Conseil de lâEurope (19e ConfĂ©rence, La Vallette) sont convenus de la nĂ©cessitĂ© de traiter la corruption Ă Ă©chelle europĂ©enne, car ce phĂ©nomĂšne menace gravement la stabilitĂ© des institutions dĂ©mocratiques. Le Conseil de lâEurope, en tant que principale institution europĂ©enne ayant vocation Ă dĂ©fendre la dĂ©mocratie, lâĂtat de droit et les Droits de lâHomme, a Ă©tĂ© chargĂ© de trouver des rĂ©ponses Ă cette menace. Les ministres ont reconnu que pour lutter efficacement contre la corruption, il convenait dâadopter une approche aussi exhaustive que possible et ont recommandĂ© dâinstaurer un Groupe multidisciplinaire sur la corruption (GMC) pour prĂ©parer un programme dâaction global et pour examiner la possibilitĂ© dâĂ©laborer des instruments juridiques dans ce domaine, soulignant notamment lâimportance dâĂ©tablir un mĂ©canisme de suivi afin de veiller au respect des engagements contenus dans ces conventions. Avec la crĂ©ation du Groupe multidisciplinaire sur la corruption (GMC) en , sous les auspices du ComitĂ© europĂ©en pour les problĂšmes criminels (CDPC) et du ComitĂ© europĂ©en pour la coopĂ©ration juridique (CDCJ), la lutte contre la corruption sâest affirmĂ©e comme Ă©tant lâune des prioritĂ©s du Conseil de lâEurope.
En , le ComitĂ© des Ministres a adoptĂ© le Programme dâAction contre la Corruption qui a Ă©tĂ© Ă©laborĂ© par le GMC et a fixĂ© la date du pour sa mise en Ćuvre. Le ComitĂ© des Ministres sâest fĂ©licitĂ©, en particulier, des objectifs du GMC consistant Ă prĂ©parer une ou plusieurs conventions internationales contre la corruption, et de son intention de prĂ©voir un mĂ©canisme de suivi visant Ă assurer le respect des normes contenues dans ces instruments. C'est ainsi que sont nĂ©s :
- la Résolution (97) 24 portant les vingt principes directeurs pour la lutte contre la corruption : ce texte recense de maniÚre synthétique les éléments de base de toute politique anti corruption ambitieuse et efficace ;
- la Convention pénale sur la corruption (STE no 173) : ce traité fixe notamment des obligations en matiÚre d'incrimination de diverses formes de corruption, qu'il s'agisse du secteur public ou privé ou encore de la corruption nationale ou transnationale ;
- la Convention civile sur la corruption (STE no 174) : cet autre traité impose aux pays de prendre des mesures diverses en matiÚre civile (mécanismes de recours et d'indemnisation ouverts aux victimes de la corruption, nullité des contrats entachés par la corruption), ou encore notamment d'introduire des mécanismes de protection professionnelle et autres des personnes signalant de bonne foi les soupçons de corruption ;
- la Recommandation no R (2000) 10 sur les codes de conduite pour les agents publics et Code modĂšle de conduite pour les agents publics (annexe Ă la Recommandation) : ce texte invite les pays Ă adopter de tels codes et il offre un modĂšle en annexe dont les gouvernements ou administrations individuelles peuvent facilement s'inspirer ;
- le Protocole additionnel à la Convention pénale sur la corruption (STE no 191) : ce traité étend le champ des incriminations de la corruption dans la Convention pénale aux arbitres (en matiÚre commerciale, civile ou autre) ainsi qu'aux jurés - ces deux catégories de personnes constituant des catégories complémentaires aux magistrats de l'ordre judiciaire ;
- la Recommandation no R (2003) 4 sur les rÚgles communes contre la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes électorales : texte unique en son genre au niveau international, de par les thÚmes qu'il couvre et la portée des principes énoncés.
Par ailleurs, les Ătats ont rapidement souhaitĂ© assortir ces divers textes d'un mĂ©canisme d'Ă©valuation destinĂ© Ă veiller Ă leur mise en Ćuvre au niveau national. C'est ainsi qu'est nĂ© le Groupe d'Ătats contre la Corruption (GRECO) en , qui regroupe, au , 46 Ătats y compris les Ătats-Unis d'AmĂ©rique (bon nombre de mĂ©canismes du Conseil de l'Europe Ă©tant ouverts aux Ătats non membres de l'organisation compte tenu de la matiĂšre : entraide judiciaire, lutte contre le blanchiment ou la corruption, cybercriminalitĂ©, etc.).
Autres organisations internationales
Ă d'autres niveaux, un rapport sur la lutte contre la corruption dans les pays en dĂ©veloppement a Ă©tĂ© approuvĂ© par le Parlement europĂ©en en . Il y est notamment Ă©crit que la corruption reprĂ©sente un frein au dĂ©veloppement dans ces pays et que de ce fait lâUnion europĂ©enne doit faire de la lutte contre la corruption un axe prioritaire de sa politique de dĂ©veloppement. Les auteurs recommandent la crĂ©ation dâune liste noire des Ătats et des reprĂ©sentants gouvernementaux corrompus, la suspension des prĂȘts afin de prĂ©venir les dĂ©tournements de fonds publics, l'allocation d'une partie de lâaide au dĂ©veloppement aux organismes de surveillance, une plus grande transparence des programmes dâaide de lâUnion europĂ©enne (qui reprĂ©sentent prĂšs de 55 % de lâaide publique internationale)[30].
Dans le monde de l'entreprise, l'ONG Transparency International a proposé en 2001 un code de conduite constitué par les « principes d'action contre la corruption » (Business Principles for Countering Bribery).
Burundi
Un observatoire de lutte contre la corruption Olucome a été créé en 2002. Le gouvernement du Burundi, qui a instauré en 2010 une politique de tolérance zéro à la corruption, n'est pas satisfait de son classement en 2012[31]. L'Olucome dresse son bilan aussi pour l'année 2012[32].
En 2019 le Burundi est classĂ© deuxiĂšme pays le plus corrompu de lâEAC.
En 2021 les propos concernant la lutte contre la corruption Ă©noncĂ© par le prĂ©sident Evariste Ndayishimiye, Ă©lu le ont crĂ©Ă© des polĂ©miques. Ndayishimiye a affirmĂ© publiquement « ceux qui ont volĂ©, câest fait. On va mettre votre cas devant la Commission vĂ©ritĂ© et rĂ©conciliation ». Selon lui il est impossible de lancer des poursuites contre tous ceux qui ont pratiquĂ© la corruption il faut donc se concentrer sur les futures corruptions. LâOlucome dĂ©nonce une « consĂ©cration de lâimpunitĂ© »[33].
Brésil
Au BrĂ©sil, la lutte contre la corruption semble avoir fait l'objet d'une instrumentalisation Ă des fins politiques par les mĂ©dias. Des universitaires ont calculĂ© que 95 % des articles traitant de la corruption Ă la veille des Ă©lections prĂ©sidentielles de 2010 et de 2014 concernaient le Parti des travailleurs, et 5 % le Parti de la social-dĂ©mocratie brĂ©silienne, un parti conservateur pourtant considĂ©rĂ© comme « le plus sale » du BrĂ©sil par les institutions Ă©lectorales de lâĂ©poque[18].
France
Le Service central de prĂ©vention de la corruption (SCPC), crĂ©Ă© en 1993 Ă l'initiative de Pierre BĂ©rĂ©govoy, publie chaque annĂ©e un rapport sur la corruption en France et formule des propositions pour la combattre. Toutefois, il estime dans son rapport 2010 « impossible dâobtenir des services enquĂȘteurs des dĂ©lais raisonnables de traitement compte tenu de la charge ou du manque dâeffectifs dans leurs formations Ă©conomiques et financiĂšres »[29]. Il est remplacĂ© depuis par l'Agence française anticorruption.
La France a insĂ©rĂ© dans le code du travail l'article L. 1161, qui protĂšge les lanceurs d'alerte, c'est-Ă -dire les personnes qui tĂ©moignent de bonne foi de faits de corruption, contre les sanctions, licenciements, ou mesures discriminatoires dont elles pourraient ĂȘtre victimes de la part de leurs employeurs[34]. La lĂ©gislation sur la protection des lanceurs d'alerte a Ă©tĂ© ensuite renforcĂ©e, en dernier lieu par la loi du 21 mars 2022.
L'association Anticor, crĂ©Ă©e en 2002 sous l'Ă©gide de SĂ©verine Tessier et parrainĂ©e notamment par Ăric Halphen, regroupe des Ă©lus de toutes tendances politiques qui ont dĂ©cidĂ© de s'unir contre la corruption. Des juristes et des personnalitĂ©s engagĂ©es soutiennent cette association Ă travers son comitĂ© de parrainage. Anticor dĂ©cerne chaque annĂ©e un prix de la casserole Ă un Ă©lu condamnĂ© pour des faits de corruption et un prix d'Ăthique Ă une personne ayant fait preuve de courage pour dĂ©noncer la corruption ou ayant montrĂ© une intĂ©gritĂ© remarquable.
L'association Alpaga est une association créée par des professionnels de la lutte contre la corruption. Elle aide les particuliers et les élus confrontés à des faits de corruption, de détournement public, de favoritisme ou de clientélisme, à rendre leurs témoignages plus efficaces auprÚs des autorités judiciaires. Elle a également un rÎle de formation.
LâAcadĂ©mie internationale de lutte contre la corruption (IACA) est un Ă©tablissement dâenseignement supĂ©rieur qui a pour objectif dâĂ©tudier les problĂšmes et carences actuels dans la lutte contre la corruption. Trois ratifications sont nĂ©cessaires pour que IACA puisse devenir une organisation internationale Ă part entiĂšre[35]. Le processus de ratification est toujours en cours. Il est prĂ©vu que les programmes scolaires dĂ©buteront officiellement en automne 2011[36]. Comme dĂ©fini dans lâaccord confĂ©rant le statut dâOrganisation internationale Ă lâacadĂ©mie internationale de lutte contre la corruption, le but dâIACA est de devenir un centre dâexcellence, de formation professionnelle, de coopĂ©ration et de recherche universitaire qui engloberait tous les aspects de la corruption[35]. LâAcadĂ©mie contribuera Ă la mise en Ćuvre de la Convention des Nations Unies contre la Corruption (UNCAC) et des autres instruments juridiques rĂ©gionaux et internationaux[36].
Des journalistes d'investigation, des juristes et des philosophes se sont Ă©galement donnĂ© pour tĂąche de lutter contre les diverses formes de corruption Ă travers leurs ouvrages. Outre Denis Robert dĂ©jĂ citĂ©, Alain Etchegoyen (Le corrupteur et le corrompu), Philippe Madelin (L'or des dictatures, La France mafieuse, L'argent des gaullistes), Ăric Alt (La lutte contre la corruption, L'esprit de corruption; RĂ©sister Ă la corruption), Roger Lenglet (L'eau des multinationales, Profession corrupteur, Syndicats : corruption, dĂ©rives et trahison, L'argent noir des syndicatsâŠ), Jacques Derogy (EnquĂȘte sur les ripoux de la CĂŽte), Sophie Coignard (Rapport Omerta, Les bonnes frĂ©quentations), Pierre Lascoumes (Une dĂ©mocratie corruptible, arrangements, favoritisme et conflits dâintĂ©rĂȘts,)
Les paradis fiscaux et le secret bancaire sont Ă©galement l'objet d'une rĂ©glementation de plus en plus stricte bien que les Ătats interprĂštent chacun diffĂ©remment en droit interne les diffĂ©rents traitĂ©s et conventions affĂ©rents. Ces paradis peuvent en effet recueillir les fonds dĂ©tournĂ©s par des dictateurs (externalisation de leur fortune dans des placements dans les banques Ă©trangĂšres ou dans des fonds souverains comme la Libyan Investment Authority[37].
Enfin, la lutte anti-corruption s'est dĂ©veloppĂ©e aussi autour des activitĂ©s d'influence qui peuvent recourir Ă des moyens douteux et qui sont susceptibles d'avoir des rĂ©percussions graves sur l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, comme la dĂ©mocratie ou la santĂ© publique par exemple. Le lobbying est ainsi devenu, aprĂšs de nombreux scandales sanitaires et financiers ayant rĂ©vĂ©lĂ© l'action pernicieuse de lobbyistes auprĂšs des dĂ©cideurs politiques, l'objet d'une volontĂ© d'encadrement lĂ©gislatif de plus en plus sensible et de dĂ©bats intenses. En 2006, le projet de rĂ©solution d'une proposition de rĂšglement sur la circulation des lobbyistes au sein de l'AssemblĂ©e nationale française en offre une illustration.
Suisse
Le Code pénal suisse punit la corruption active ou passive (d'agents publics suisses ou étrangers, ainsi que dans le secteur privé)[38].
Sanctions
DĂšs lâantiquitĂ©, Platon condamne sĂ©vĂšrement la corruption, exigeant que « ceux qui remplissent envers la citĂ© quelque fonction doivent la remplir sans recevoir aucun cadeau » ; il Ă©nonce comme loi de « ne pas accepter de cadeaux Ă lâoccasion dâun service public. Qui nâobĂ©ira pas sera, une fois convaincu, mis Ă mort sans rĂ©mission »[39]. Ă AthĂšnes en effet, le dĂ©lit de vĂ©nalitĂ© (en grec ancien : ÎŽÏÏÏÎœ) visait, entre autres, les magistrats notamment lors de la reddition de comptes, et consistait en corruption active aussi bien que passive. Si une condamnation Ă mort Ă©tait possible au moyen dâune procĂ©dure extraordinaire, la peine a fini par ĂȘtre celle du dĂ©cuple[40].
Ătude sociologique
Emprise de la corruption
La corruption apparaĂźt chaque fois que la frontiĂšre entre la logique administrative d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et la logique Ă©conomique d'intĂ©rĂȘt privĂ© s'estompe ; elle est donc favorisĂ©e par l'effacement contemporain de la sphĂšre publique, par l'assimilation Ă peu prĂšs exclusive de la rĂ©ussite et de l'enrichissement. On voit ainsi de plus en plus de hauts fonctionnaires « pantoufler » dans les entreprises, forme « blanche » (lĂ©gale) de corruption. MĂȘme sans les soupçonner d'avoir Ă©tĂ© des « sous-marins » de l'entreprise au sein de l'Ătat, ils mettent les informations acquises dans l'administration au service d'intĂ©rĂȘts privĂ©s. Jean-NoĂ«l Jeanneney[41] constate que, entre 1974 et 1989, cent deux inspecteurs des Finances ont rejoint le privĂ©, ce qui correspond au rythme de recrutement dans ce corps. Il voit Ă©galement un lien entre la multiplication des ronds-points et l'intĂ©ressement en pourcentage de certains fonctionnaires de l'Ă©quipement.
Les grands partis, n'arrivant pas à se financer via les cotisations d'adhérents, auraient institutionnalisé la corruption : attribution des marchés publics aux plus offrants, subventions à de pseudo-associations. Cette situation a conduit à la réforme des modes de financement des partis et des campagnes électorales comme à une indépendance accrue du pouvoir judiciaire.
Les administrés acceptent la corruption parce qu'elle facilite les choses, leur permet de profiter de passe-droits. Les entreprises justifieront de leur cÎté le versement de sommes importantes aux élites politiques du tiers monde par la nécessité de favoriser la balance commerciale. C'est oublier que la corruption qui existait dans ces pays n'a pris une telle ampleur que parce que les entreprises occidentales ont voulu s'assurer ainsi l'accÚs à leurs richesses naturelles.
La corruption ne concerne pas que les élites politiques, administratives et économiques. Aujourd'hui encore, comme au XIXe siÚcle, la plupart des fonctionnaires découverts sont de rang modeste, rappelle Yves Mény[42]. C'est le gardien de prison qui facilite les contacts des détenus avec l'extérieur, le fonctionnaire de la préfecture de police qui accorde abusivement une carte de séjour, le commissaire de police « ripoux ». Il s'agit alors de sommes faibles, quelques milliers d'euros, sans commune mesure avec celles que mettent en jeu les détournements d'attribution de marchés publics. Le fonctionnaire corrompu considÚre sa fonction comme un patrimoine dont il use à sa guise, les rÚgles publiques comme des instruments de chantage. Il est plus difficile de prouver la corruption dÚs lors qu'il n'y a pas d'échanges monétaires directs, ce qui est le cas dans les affaires de corruption de haut vol.
DĂ©mocratie et corruption
La corruption, note Yves MĂ©ny[42], met en pĂ©ril la dissociation du public et du privĂ© caractĂ©ristique de l'Ătat. En faisant intervenir des commissions occultes, elle est une rĂ©gression de l'un des principes fondamentaux de la dĂ©mocratie, l'Ă©galitĂ© d'accĂšs des citoyens aux marchĂ©s, aux emplois et aux services publics, sans autres considĂ©rations que la capacitĂ© et le mĂ©rite[43]. Cependant, Max Weber reliait assez Ă©troitement la corruption et la vie politique des dĂ©mocraties, qui suppose l'apparition de professionnels de la politique, qui vivent de la politique et non pas pour la politique. Ă le lire, seule une classe de personnalitĂ©s politiques jouissant d'une fortune personnelle pourrait rendre Ă la politique sa puretĂ©. On peut cependant constater, comme le fait Jean-NoĂ«l Jeanneney[41], qu'il n'y a pas que les hommes neufs, issus de milieux modestes, qui sont sensibles Ă la corruption. Le centre libĂ©ral entretient une proximitĂ© pĂ©rilleuse avec les milieux d'argent et leurs valeurs. Selon Della Porta et MĂ©ny[42], c'est surtout l' « absence d'une vĂ©ritable opposition qui apparaĂźt comme le dĂ©nominateur commun de nombre de cas de corruption ». Elle va alors de pair avec le dĂ©sintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral Ă l'Ă©gard des idĂ©es et des programmes, d'oĂč les motivations troubles de ceux qui entrent en politique : ils y voient avant tout et sont aussi tenus d'y voir un instrument de rapide mobilitĂ© sociale[44]. Ainsi, en CĂŽte d'Ivoire, le dĂ©putĂ© français François Loncle a-t-il entretenu des liens Ă©troits pendant plusieurs annĂ©es avec le prĂ©sident Laurent Gbagbo afin d'Ă©dulcorer la portĂ©e de la corruption alors mise en Ćuvre et de bĂ©nĂ©ficier de plusieurs gratifications dont des voyages en Afrique[25].
Dans une optique plus conjoncturelle, dĂšs lors qu'un acteur peut prendre des dĂ©cisions publiques qui ont des consĂ©quences dĂ©mesurĂ©es pour certains intĂ©rĂȘts privĂ©s, la corruption s'insinue. Jeanneney[41] Ă©voque la mise en place d'un rĂ©seau ferroviaire sous la monarchie de Juillet et le second Empire, les constructions immobiliĂšres des annĂ©es 1960 et 1970, la dĂ©centralisation. On peut mentionner encore les privatisations de la fin des annĂ©es 1980. La loi Royer de 1973, qui mettait en place des commissions chargĂ©es d'autoriser l'installation de grandes surfaces dans les villes moyennes Ă©tait donc particuliĂšrement risquĂ©e. Dans le mĂȘme ordre d'idĂ©es, MĂ©ny[42] voit dans la concentration du pouvoir entre les mains des exĂ©cutifs et dans la faiblesse et le caractĂšre formel des contrĂŽles une caractĂ©ristique de la corruption « Ă la française ». Les cabinets des dirigeants politiques se substituent aux instances bureaucratiques. Or, « un collaborateur dĂ©vouĂ© accepte ce qu'un fonctionnaire indĂ©pendant refuserait ».
Financement des partis
Le succĂšs aux Ă©lections dĂ©pend en partie de l'intensitĂ© de la propagande Ă©lectorale. Trouvant que le financement public est insuffisant pour remporter les Ă©lections, certains partis politiques s'efforcent d'obtenir une contribution financiĂšre des entreprises, tout particuliĂšrement celles dont l'activitĂ© Ă©conomique dĂ©pend de l'obtention de commandes, d'autorisations ou de subventions des instances publiques. Le droit pĂ©nal a toujours prĂ©vu des peines trĂšs sĂ©vĂšres pour ces pratiques qualifiĂ©es traditionnellement d'extorsion de fonds ou de concussion, quel que soit par ailleurs l'emploi de ces fonds, enrichissement personnel ou dĂ©tournement Ă des fins Ă©lectorales. Donatella Della Porta et Yves MĂ©ny[42] observent que la corruption politique engendre tout une foule d'intermĂ©diaires qui n'appartiennent ni Ă l'Ătat ni au marchĂ©, et qui violent les rĂšgles des deux. Ces acteurs, dirigeants d'offices publics de gestion, caissiers de partis, Ă©missaires des personnalitĂ©s politiques, ne relĂšvent ni du contrĂŽle bureaucratique ni de l'investiture dĂ©mocratique. La distinction entre le dĂ©tournement d'argent au service d'un parti et l'enrichissement personnel est donc sujette Ă caution, ne serait-ce qu'en raison de l'existence de cette classe trouble.
Comme indiquĂ© prĂ©cĂ©demment, les Ătats membres du Conseil de l'Europe ont reconnu l'importance des liens potentiels entre corruption et financement politique ; cela a conduit Ă la Recommandation N° R (2003) 4 sur les rĂšgles communes contre la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes Ă©lectorales. Ce texte unique prĂ©voit plusieurs principes visant notamment Ă assurer au niveau national la transparence des comptes politiques, l'existence d'un mĂ©canisme de contrĂŽle ainsi que d'un Ă©ventail de sanctions efficaces, proportionnĂ©es et dissuasives. Les mesures concernent tout autant le financement des partis que celui des campagnes Ă©lectorales, ces deux domaines Ă©tant difficiles Ă dissocier (les partis participent eux-mĂȘmes aux Ă©lections, ils n'ont pas le monopole de la prĂ©sentation des candidats dans de nombreux pays). Les rapports d'Ă©valuation adoptĂ©s Ă ce jour par le Groupe d'Ătats contre la Corruption (GRECO) ont montrĂ© que mĂȘme dans les pays disposant d'une lĂ©gislation assez dĂ©taillĂ©e en la matiĂšre, des amĂ©liorations restaient souhaitables, par exemple en ce qui concerne un pĂ©rimĂštre comptable plus Ă©tendu (en vue de mieux prendre en compte les diverses structures des partis et l'activitĂ© financiĂšre lors des prĂ©campagnes), un niveau d'indĂ©pendance plus grand et des moyens de contrĂŽle rĂ©els au bĂ©nĂ©fice de l'organe de contrĂŽle, un Ă©ventail de sanctions plus Ă©tendu en vue d'apprĂ©hender plus efficacement les manquements comptables moindres mais aussi les financements occultes de grande envergure.
Termes désignant la corruption
- Tadwira / Rachoua : terme Marocain pour désigner le pot de vin
- En français, on emploie les termes : Pot-de-vin, dessous-de-table, gracieuseté, graisser la patte, commission, pourboire.
- Pot-de-vin : rémunération tenue secrÚte d'un intermédiaire ou d'un décideur (auquel on « graisse la patte ») pour favoriser l'obtention d'un avantage.
- Dessous-de-table : partie financiÚre non déclarée d'une transaction officiellement déclarée, pour éviter taxes et/ou impÎts.
- Bakchich : dans l'Empire ottoman, au Maghreb et au Moyen-Orient. On l'utilise aussi pour « pourboire ».
- Payola (de pay, en anglais payer, et Victrola, marque de platines de disques) : corruption des annĂ©es 1950 aux Ătats-Unis, dans laquelle les DJ des radios se faisaient payer (des sommes minimes) pour passer des titres nouveaux d'artistes peu connus.
- « Aspects culturels de la dĂ©pense » : euphĂ©misme parfois utilisĂ© dans le discours officiel au ViĂȘt Nam.
- Gombo : terme camerounais pour désigner le fait de monnayer un service normalement gratuit.
- Mange-mille : policier africain véreux cherchant à verbaliser à tout prix.
- Cahoua : mot arabe qui veut dire « café », euphémisme utilisé pour designer un pot-de-vin dans les pays du Maghreb.
- Subornation de témoin : pression en vue d'inciter une personne à déposer en justice d'une façon contraire à la vérité.
- Frais commerciaux extraordinaires : terme du jargon de l'Union européenne[45].
- Frais commerciaux exceptionnels (FCE) : terme utilisé par l'administration fiscale française[46].
- tchipa ou kahwa termes algériens pour désigner le pot de vin.
- Igiturire terme burundais pour désigner le pot de vin.
- Enveloppe brune : le terme « enveloppe brune » dĂ©signe une somme dâargent liquide versĂ© Ă un journaliste afin dâorienter sa couverture.
Classement des pays selon le niveau de corruption
L'ONGI Transparency International publié son indice de perception de la corruption (IPC) depuis 1995. L'indice de 2017, publié en , couvre 180 pays et territoires. La note moyenne de corruption est de 43 %, et les deux tiers des pays et territoires évalués sont fortement touchés par la corruption[47]. L'ONG remarque que de nombreux pays n'ont fait aucun progrÚs pendant les six années sur lesquelles porte l'indice[48].
Les dix pays les moins corrompus sont : la Nouvelle-ZĂ©lande (no 1), le Danemark, la Finlande, la NorvĂšge, la Suisse, Singapour, la SuĂšde, le Canada, le Luxembourg et le Royaume-Uni.
Les dix pays les plus corrompus sont : la Somalie, le Sud-Soudan, la Syrie, l'Afghanistan, le Yémen, le Soudan, la Libye, la Corée du Nord, la Guinée-Bissau et la Guinée équatoriale.
Les Ătats-Unis arrivent en 16e position, la France se classe 23e, l'Italie 54e, le BrĂ©sil 96e, la Chine 77e, l'Inde 81e, le Mexique 135e, l'Iran 130e, la Russie 135e.
L'indice de perception de la corruption, Ă©laborĂ© par Transparency International, permet de classer les pays selon leur degrĂ© de probitĂ©, les plus malhonnĂȘtes obtenant la note 0, et les plus intĂšgres celle de 10. Pour sa premiĂšre apparition dans le palmarĂšs, la dictature nord-corĂ©enne dĂ©croche directement le titre de pays le plus corrompu, ex-ĂŠquo avec la Somalie[49].
Transparency International est toutefois controversée puisqu'elle ne considÚre que les malversations concernant le secteur public, ignorant celles du secteur privé[18].
Corruption par pays
GrĂšce
En 2012, la GrĂšce atteint la cinquiĂšme place du pays le plus corrompu dâEurope[50]. Câest aprĂšs lâarrivĂ©e de George PapandrĂ©ou, nommĂ© Premier ministre du pays en octobre 2009, que des donnĂ©es auparavant falsifiĂ©es et cachĂ©es ont fait surface. Le gouvernement socialiste de PapandrĂ©ou annonce que le dĂ©ficit est deux fois plus Ă©levĂ© que celui ayant Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©. Ă partir de la fin des annĂ©es 90, de lourdes dettes publiques ont Ă©tĂ© dissimulĂ©es avec lâaide de la banque amĂ©ricaine Goldman Sachs afin que la GrĂšce puisse faire partie de lâUnion europĂ©enne[51]. La GrĂšce a pu satisfaire les critĂšres du TraitĂ© de Maastricht et, par ce fait, ĂȘtre admise en 2001 dans lâEuro. Afin de pouvoir rester dans cette position et avoir droit Ă de meilleurs Ă©changes Ă©conomiques entre les pays membres de lâUnion europĂ©enne, la GrĂšce continua de camoufler ses dettes jusquâĂ la dĂ©claration dâune crise Ă©conomique en 2008[52]. Entre autres dĂ» Ă une corruption du secteur politique, le taux des comptes de dettes publiques Ă©tait en hausse. Le clientĂ©lisme politique, les pots-de-vin, lâĂ©vasion fiscale et le nĂ©potisme ont causĂ© au gouvernement une perte dâargent. Plusieurs dirigeants politiques usaient leur pouvoir Ă leur avantage pour acheter des votes et des contrats provenant de diffĂ©rentes entreprises[53]. LâĂ©vasion fiscale prend aussi sa place dans les dĂ©ficits, puisqu'elle coĂ»te chaque annĂ©e prĂšs de 13 milliards dâeuros[50]. Ces actes, venant de politiciens reconnus, mĂšnent Ă un manque de confiance du peuple grecque, amenant une crise politique au pays. Les dĂ©cisions prises par George PapandrĂ©ou Ă la suite de la dĂ©couverte de corruption majeure ont aussi diminuĂ© lâassurance quâavait le peuple grec envers le gouvernement[50]. Lâalliance entre la Commission europĂ©enne, le Fonds monĂ©taire international et la Banque centrale europĂ©enne (la troĂŻka) a dĂ©cidĂ© dâaffaiblir les services publics et les dĂ©penses sociales pour pallier le dĂ©ficit de la GrĂšce. Cette dĂ©cision a amenĂ© le gouvernement de PapandrĂ©ou Ă devoir entreprendre des changements majeurs. Entre autres, ce dernier hausse les taxes, dĂ©clenchant mĂȘme une montĂ©e du taux de chĂŽmage, une Ă©lĂ©vation dâĂ©migration, et mĂȘme une augmentation de suicides. Le manque de confiance face au gouvernement socialiste dĂ» aux nouvelles conventions du Premier ministre amĂšne une augmentation de votes chez la gauche radicale, spĂ©cialement en 2012, pour ses idĂ©aux dĂ©nonçant entre autres la perte dâemploi[51].
Russie
La Russie souffre d'une trÚs importante corruption. En 2012, le pays est classé 133e de 176 pays sur la perception de la corruption Indice de Transparency International, à égalité avec les Comores, le Guyana, le Honduras, l'Iran et le Kazakhstan[54]. Selon plusieurs experts, le marché de la corruption dans le pays a dépassé 240 milliards de dollars américains en 2006[55].
Une Ă©tude sur des ministres de quinze pays de lâex-URSS, rĂ©compensĂ©e d'un IgNobel[56], a montrĂ© que lâobĂ©sitĂ© des personnalitĂ©s politiques est liĂ©e Ă leur niveau de corruption[57] - [58]. L'hypothĂšse de l'auteur est que c'est au restaurant que l'on soudoie les hommes politiques[56].
Suisse
Entre 2000 et 2020, les tribunaux suisses ont prononcé 18 condamnations (de personnes physiques) pour corruption d'agents publics étrangers (les entreprises condamnées ne sont pas répertoriées)[59].
La responsabilitĂ© pĂ©nale des entreprises est entrĂ©e en vigueur en 2003[60]. Depuis, huit entreprises ont Ă©tĂ© condamnĂ©es par le MinistĂšre public de la ConfĂ©dĂ©ration pour ne pas avoir empĂȘchĂ© un cas de corruption ou de blanchiment d'argent[59].
En 2021, le Tribunal pĂ©nal fĂ©dĂ©ral condamne un fonctionnaire du SecrĂ©tariat d'Ătat Ă l'Ă©conomie et trois chefs d'entreprise pour corruption, aprĂšs qu'ils eurent transmis des cadeaux et de l'argent (d'une valeur totale de 2 millions de francs) en Ă©change de contrats[61].
Notes et références
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Voir aussi
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Articles connexes
- Affaire politico-financiĂšre
- Caciquisme
- Crime en col blanc
- Corruption politique
- Crime organisé
- DĂ©linquance
- Ăric Halphen, juge français anti-corruption
- Histoire du droit
- Impunité
- Jeitinho
- Lobbying
- Mafia
- RĂ©trocommissions
- Roger Lenglet, philosophe et journaliste d'investigation
- Capture rĂšglementaire
Caractéristiques de la corruption
Lutte contre la corruption
- Anticor,ONG anti-corruption
- Appel de GenĂšve
- Académie internationale de lutte contre la corruption (IACA)
- Convention de l'OCDE contre la corruption
- Convention de l'ONU contre la corruption
- Ăthique des affaires
- GRECO (Conseil de l'Europe)
- Ăric Halphen
- Michel Hunault
- Eva Joly
- Roger Lenglet
- Les nouveaux chiens de garde
- Lobbying
- Philippe Madelin ;
- Transparency International (ONG anti-corruption)
- RĂ©publique bananiĂšre
- Révélation$
- Denis Robert
- Roberto Saviano
- Commission nationale de surveillance (Chine)
- Agence française anticorruption (France)
- Instance centrale de prévention de la corruption (Maroc)
- SĂ©verine Tessier
Liens externes
- Ressource relative Ă la recherche :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Site de Transparency International.
- Union européenne ⹠Corruption en 2011 : quels indices de perception de la corruption ? Avec un graphique commenté.
- Carte de la corruption dans l'Union européenne, par Pierre Verluise, docteur en géopolitique.
- Résilience bioéconomique.
- Article de The Conversation, Lutter contre la corruption grùce à la société civile (exemple indien).