Appel de Genève
L'Appel de Genève est une demande émise en 1996 par des grands magistrats anti-corruption pour un espace judiciaire européen dans le but de lutter contre les malversations financières.
1996 : L'appel de Genève
Le , Denis Robert réunit sept grands magistrats anti-corruption – Bernard Bertossa[1], Edmondo Bruti Liberati (it), Gherardo Colombo, Benoît Dejemeppe, Baltasar Garzón, Carlos Jiménez Villarejo, Renaud Van Ruymbeke – pour lancer l'Appel de Genève pour un espace judiciaire européen[2] - [3] - [4] - [5] - [6]. Ils souhaitent obtenir une harmonisation fiscale et judiciaire européenne qui permettrait, entre autres, la levée du secret bancaire, afin de lutter contre les fraudes fiscales et le blanchiment d'argent issu de la criminalité[2] - [7].
Cet appel fait l'objet d'un livre de Denis Robert La justice ou le chaos, paru en 1996[8] - [9].
La promotion 1996 de l'École nationale de la magistrature française a pris le nom d'« Appel de Genève » comme nom de baptême[10].
En février 1997, quatre cents juges français, plus de cent élèves de l'école de la magistrature, ainsi que sept députés français signent l'Appel de Genève[10] - [9].
2001 : Les « boîtes noires » de la mondialisation financière
Le , les juges Eva Joly, Renaud Van Ruymbeke, Jean de Maillard, ainsi que les procureurs Bernard Bertossa et Benoît Dejemeppe signent une tribune dans Le Monde intitulée « Les « boîtes noires » de la mondialisation financière »[11]. Benoît Dejemeppe, alors procureur du Roi au Parquet de Bruxelles, a interdit au juge d'instruction Jean-Claude Leys, pressenti par les auteurs de l'initiative, de signer cet appel et il l'a donc signé lui-même. Jean-Claude Leys est le juge qui a instruit le scandale de la KredietBank-Luxembourg qui a fait trembler le gratin de la finance belge et quelques groupes français dominants du CAC-40.
Cette tribune affirme qu'« il est temps de prendre la mesure » de l'« impact » du « livre du journaliste Denis Robert et de l'ancien cadre luxembourgeois Ernest Backes Révélation$ ».
Les auteurs y déclarent que « l'essentiel de l'impact de Révélation$ se révèle dans le silence assourdissant de l'ensemble des acteurs du système mis en cause dans le fonctionnement de Clearstream et, dans une moindre mesure, de son homologue Euroclear ainsi que du système de routage financier Swift ».
Selon les magistrats, « la première révélation » concerne les comptes non publiés : « l'existence de comptes non publiés de clients occultes ne paraît avoir aucun sens au sein d'une chambre de compensation. De même, la floraison de comptes non publiés ouverts par les filiales de grandes banques installées dans les paradis fiscaux ne cesse d'étonner. » Ils ajoutent que l'on retrouve le même « principe de dissimulation » chez Swift. La « deuxième révélation » apportée par l'ouvrage de Denis Robert serait que « le chaos des flux financiers n'est qu'apparent ».
En effet, si « les paradis bancaires et fiscaux cachent à merveille les points de passage et d'arrivée des capitaux sales », ces flux financiers passent « dans les mêmes « tuyaux » financiers que les autres, c'est-à -dire les sociétés de clearing et de routage financier ». Par conséquent, « l'invisibilité physique de ces transferts est trompeuse car, en réalité, les sociétés de clearing et de routage exercent un quasi-monopole sur le transport international des capitaux. » Enfin, « la troisième révélation », « capitale » selon les magistrats anti-corruption, concerne l'enregistrement des opérations de transfert sur « des micro-fiches ou des disques optiques », enregistrement nécessaire afin de servir « de preuve des transferts et des changements de propriété » en cas de litige entre les usagers. Ces micro-fiches sont donc d'un intérêt évident pour le pôle des magistrats de lutte contre la délinquance financière.
C'est pourquoi, toujours selon les juges, « Denis Robert et Ernest Backes nous montrent tout simplement où se trouvent les « boîtes noires » de la mondialisation financière », et « doit permettre aux citoyens européens de comprendre le rôle des chambres de compensation et par là même d'éclairer la mondialisation financière d'un jour nouveau ».
Ils proposent comme « solution parmi d'autres » de « placer ces institutions » (Clearstream, Euroclear et autres chambres de compensation et de routing) « sous le contrôle d'une organisation internationale qui pourrait jouer le rôle du tiers de confiance ».
2002 : DĂ©bat
Le chef de la division de Criminalité économique au Conseil de l'Europe, estime que M. Bertossa a fait changer les mentalités. Depuis la publication de son appel, le COE a élaboré des conventions à ce sujet. Par contre à Genève, plusieurs avocats sont critiques et un représentant des banques privées donne un avis mitigé[12].
2008 : La position de la France qui dit ne plus vouloir tolérer les « trous noirs » est contestée
Dans un discours, le à Bruxelles, le président de la République, Nicolas Sarkozy, a appelé à « l’élimination des zones d’ombres » de la finance internationale. À Strasbourg, le chef de l’État a également épinglé le Luxembourg : « On ne peut pas se battre à l’extérieur de notre continent contre certaines pratiques, et les tolérer sur notre continent », a déclaré Nicolas Sarkozy. Même tonalité du côté de François Fillon. Le le Premier ministre déclare à l'Assemblée Nationale : « Des trous noirs comme les centres offshore ne doivent plus exister. Leur disparition doit préluder à une refondation du système financier international ».
Le , le juge Van Ruymbeke[6], l’un des 7 signataires de l’Appel de Genève, dénonce l’hypocrisie des politiques sur France Inter[13], avant le sommet du G20 à Washington censé jeter les bases d’une réforme du système financier international : « On nage en pleine hypocrisie. Depuis 1996 (date de l’Appel de Genève), il n’y a eu aucune volonté politique d’éradiquer sérieusement les paradis fiscaux »[13].
En 2009, selon un autre des 7 signataires, le juge Bernard Bertossa : « il y a eu des progrès », mais il manque « une justice internationale pour lutter contre la délinquance financière » car « La corruption est la cause principale de la pauvreté »[14] - [15].
Notes et références
- « Bernard Bertossa: «Obliger les paradis fiscaux à collaborer» », sur LEFIGARO, (consulté le )
- « Texte de l'appel de Genève sur le site du Syndicat de la magistrature », sur web.archive.org, (consulté le )
- « Pouvoir judiciaire - Appel de Genève », sur ge.ch (consulté le )
- « Cinq juges européens face à la criminalité financière », sur Franceinfo, (consulté le )
- « Vous avez dit Appel de Genève? », sur www.laliberte.ch (consulté le )
- « Renaud Van Ruymbeke, le juge aux 1 001 dossiers », sur L'Obs (consulté le ) : « Figure de l'appel de Genève, monté en 1996 par le journaliste Denis Robert, il plaide avec plusieurs magistrats européens pour une meilleure coopération des justices contre la corruption. »
- Natacha Paris, « L’européanisation de la justice pénale au nom de la lutte contre « la criminalité organisée » dans les années 1990 : le rôle d’acteurs à la marge du processus décisionnel européen », Cultures & Conflits, no 62,‎ , p. 79–105 (ISSN 1157-996X, DOI 10.4000/conflits.2061, lire en ligne, consulté le )
- Denis Robert, « Il y a un an, sept magistrats européens en appelaient à un espace judiciaire commun pour lutter contre «l'Europe des paradis fiscaux» et de l'argent sale. En vain. L'appel de Genève, un an dans le désert. », sur Libération.fr, (consulté le )
- Denis Demonpion, « Le chiffre », Le point, no 1273,‎ , p. 16
- « L'appel de Genève a été signé par 400 magistrats français », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
- « Les "boîtes noires" de la mondialisation financière », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
- Myriam Gazut & Frédérique Chabloz, « L'Appel de Genève », sur rts.ch, (consulté le )
- « Paradis fiscaux : les trous noirs de la finance mondiale », France Inter,
- « Entretien: Bernard Bertossa, ancien procureur général de Genève. « La corruption est la cause principale de la pauvreté ». », La Croix,‎ (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
- Anthony Amicelle et Jean Bérard, « Vers la fin du secret bancaire ou de la vie privée ? », Cultures & Conflits, nos 114-115,‎ , p. 286–292 (ISSN 1157-996X, DOI 10.4000/conflits.21291, lire en ligne, consulté le )