Convoi n° 20 du
Le , le vingtième convoi (no 1233) quitte la caserne Dossin (à Malines, en Belgique) pour une « destination inconnue ». Il s'agit en fait du vingtième convoi quittant la Belgique à destination d'Auschwitz, avec à son bord 1 631 déportés juifs. Il est l'objet d'une action menée par des résistants en vue d'en libérer les passagers. 231 parvinrent à s'échapper. De toute la Seconde Guerre mondiale, c'est l'unique épisode de ce type recensé en Europe de l'Ouest[1] - [2]. Un épisode similaire s'est déroulé en Pologne dans la nuit du 19 au et a conduit à la libération de 49 déportés (Akcja w Celestynowie (pl)).
Convoi no 20 du | |
Caserne Dossin à Malines | |
Contexte | Seconde Guerre mondiale |
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Mode de transport | Ferroviaire |
Numéro | XX |
Départ | Belgique (19 avril 1943) |
Arrivée | Auschwitz, Reich allemand |
Déportés | Juifs |
· Total | 1631 |
· Moins de 16 ans | 262 |
Survivants en 1945 | 153 |
But de la déportation | Extermination |
Attaque du XXe convoi à Boortmeerbeek | ||
Coordonnées | 50° 58′ 55″ nord, 4° 34′ 25″ est | |
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Géolocalisation sur la carte : Belgique
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Au total, 153 personnes survécurent au XXe convoi.
Les préparatifs
En 1943, Hertz Jospa, Mauritz Bolle et Roger Van Praag, membres du Comité de défense des Juifs (CDJ), étudient la possibilité de monter une action pour arraisonner un convoi de déportation. Les risques sont énormes, y compris ceux de représailles. Mais le CDJ n'a pas les moyens de mener à bien ce type d'action. Finalement, Youra Livchitz s'empare du projet pour le mener à son terme. C'est dans l'atelier de Marcel Hastir, au 51 de la rue du Commerce, à Bruxelles, que l'attaque est planifiée. Youra Livchitz avait déployé toute son énergie pour convaincre l'Armée belge des partisans de monter l'attaque, car le Front de l'Indépendance avait décliné l'offre en raison de la charge logistique d'une telle planification. Ils ne sont finalement que trois à monter l'opération : Youra Livchitz, Jean Franklemon et Robert Maistriau.
Le , ils quittent à vélo la place Meiser par la chaussée de Haecht en direction de Boortmeerbeek. Dans leurs sacoches, quatre tenailles, une lampe-tempête et un pistolet Browning modèle 1906 calibre 6,35 mm[3]. L'arme a été fournie par Richard Altenhoff, responsable de l'armement du Groupe G, rencontré par l'entremise de Hertz Jospa et qui devait être le « quatrième homme », mais qui finalement ne prend pas part à l'attaque[4] - [5].
L'opération
Le vingtième convoi part de Malines le . Pour la première fois, les wagons de troisième classe ont été remplacés par des wagons à bestiaux. Un wagon supplémentaire a été ajouté avec 18 hommes et une femme : le Sonderwagen, dans lequel prennent place des résistants et les « évadés » de précédents convois. Celui-ci emporte 1 631 juifs, dont 262 enfants. Parmi ceux-ci figure le plus jeune bébé qui sera déporté de Belgique à Auschwitz : Suzanne Kaminski, née le (no 215, alors âgée de 39 jours). Le no 584 du même convoi XX est porté par Jacob Blom. Né le , il est le doyen des déportés de Malines (100 ans).
Dans le virage de Boortmeerbeek, les trois partisans, armés d'un seul pistolet, de sept cartouches et d'une lampe-tempête recouverte d'un papier rouge, parviennent à immobiliser le train[6].
Une fois le train arrêté, la Schutzpolizei, postée en tête du train et à l'arrière, ouvre le feu. Malgré la fusillade, les trois hommes parviennent à ouvrir un premier wagon, dont s'échappent 17 personnes[7]. Finalement, 231 déportés prennent la fuite[8] : 23 sont tués et 95 sont repris par la suite et déportés à Auschwitz. Au total, 113 personnes échappent à la mort, dont Simon Gronowski[6]. Il a 11 ans lorsqu'il saute du convoi[Notes 1], où reste sa mère. Sa sœur, en raison de sa nationalité belge nouvellement acquise, fait partie du convoi XXIIB et disparaît également à Auschwitz.
L'un des wagons intéressait particulièrement les trois hommes parce qu'il contenait des membres de la Résistance juive. 6 ou 7 parviennent à s'évader. Leur rassemblement ne doit rien au hasard. Eva Fastag, au camp de regroupement ((de) Sammellager) de Malines, a « trafiqué » les listes à cet effet[9].
Le machiniste Albert Dumon, qui conduit le train, comprend que des déportés tentent de recouvrer la liberté et applique volontairement à la lettre la réglementation ferroviaire entre Tirlemont et Tongres (la ligne qu'il couvre) : mise au pas de la locomotive pour les franchissements de passages à niveau, ralentissements dans les courbes, arrêt d'une demi-heure à Borgloon en attendant une signalisation adéquate et arrêt complet lors d'un signal rouge… Cette attitude non dénuée de risques (refuser de conduire un train de déportés était sanctionné par une exécution immédiate) permet à de très nombreux passagers de sauter d'un train qui roule à vitesse modérée et, par conséquent, de ne pas se rompre le cou. Néanmoins, selon Albert Dumon, la nuit est claire et les Allemands postés sur le train peuvent voir distinctement les déportés qui s'enfuient. Ceux qui ont la présence d'esprit de se jeter au sol évitent pour la plupart les balles allemandes, mais les victimes sont nombreuses à joncher le long des voies, comme Dumon s'en aperçoit lorsqu'il ramène la locomotive (sans les wagons) à la gare de Tirlemont[10] - [Notes 2].
Régine Krochmal, une infirmière de 22 ans, membre de la Résistance, parvient à s'échapper à l'aide d'un couteau à pain aux environs de Haacht. Elle et Simon Gronowski survivent à la guerre.
Après l'attaque
Lors de l'attaque, Youra Livchitz a été blessé. Il se rend chez les parents de Jacqueline Mondo, Octave et Suzanne qui mettent tout en œuvre pour le soigner. Youra veut absolument prévenir ses coéquipiers pour qu'ils se mettent à l'abri. Il charge Jacqueline de prendre contact avec Pierre Romanovitch pour qu'il les prévienne. Pierre Romanovitch qui se faisait passer pour un comte russe était en fait un délateur à la solde des Nazis. La famille Mondo et de nombreux autres membres de la résistance sont aussitôt arrêtés. Octave et Suzanne sont emprisonnés à la prison de Saint-Gilles, le . Octave sera fusillé par les Allemands, à Ludwigsburg en Allemagne, le et Suzanne est transférée à Ravensbrück où elle meurt le , la veille de la libération du camp. Jacqueline et son frère sont également arrêtés mais ils seront libérés en [11].
Youra Livchitz dénoncé par Pierre Romanovitch, est arrêté comme l'est également son frère Alexandre, le . Ils sont tous deux fusillés à une semaine d'intervalle en . Robert Maistriau et Jean Franklemon survivent à la guerre[12].
Le , Yad Vashem a reconnu Octave Mondo et Suzanne Mondo-Watrin comme Justes parmi les nations[11].
Après guerre, Pierre Romanovitch, le traitre, est condamné à mort et exécuté[11].
Commémoration
Une stèle commémorative est inaugurée en 1993 près de la gare de Boortmeerbeek en souvenir de cet acte de résistance et des personnes déportées.
Notes et références
Notes
- Ses souvenirs sont publiés par les Éditions Pire sous le titre de L'enfant du 20e convoi. Avec une adaptation pour les enfants de primaire : Simon, le petit évadé. Simon Gronowski devient par la suite un brillant avocat.
- Albert Pierre Dumon (dit Pierre) courtisait déjà à l'époque Julia Vollon (de 14 ans son aînée) et savait que celle-ci cachait Zlata Weberman, née Rand, et son fils, Emile Weberman. Ayant appris que son mari, Simon (Simcha) Weberman, avait été arrêté, Zlata Weberman lui fit parvenir, cachée dans un pain, une lime qui l'aida à s'échapper. Albert Pierre Dumon, au courant du fait que Simon Weberman était dans le train qu'il conduisait, trouva toutes les occasions pour ralentir le train et permettre à ses occupants de sauter. Simon Weberman alla se réfugier dans un petit bois à l'abri des tirs nazis et marcha jusqu'à Bost, près de Tirlemont, pour se présenter à la porte de Julia Vollon avec un bouquet de fleurs. À la fin de la guerre, Albert Pierre Dumon épousera Julia Vollon, avec pour témoins Simon et Zlata Weberman. Les deux couples resteront amis jusqu'à la fin de leurs jours. Cette relation quasi familiale perdure toujours. Pascale Hobin, l'arrière-petite-nièce de Julia Vollon, sera le témoin au mariage de Nathalie Weberman, petite-fille de Simon et Zlata Weberman et fille d'Emile Weberman. Julia Vollon et Albert Pierre Dumon ont toujours refusé toute forme de reconnaissance officielle, disant qu'ils n'avaient pas fait cela pour avoir des médailles.
Références
- « Robert Maistriau » paru sur le site de l'Université libre de Bruxelles[PDF].
- Marion Schreiber, Rebelles silencieux, éditions Lannoo, 2000 - 316 pages.
- Robert Maistriau, Docteur honoris causa de l'ULB[PDF].
- Schreiber 2000, p. 119.
- Steinberg et Schram 2008, p. 14.
- Steinberg et Schram 2008, p. 35 et sq.
- Gronowski 2005, p. 104.
- Gronowski 2005, p. 184.
- Steinberg et Schram 2008, p. 20.
- Steinberg 1980, p. 119.
- (en) Yad Vashem database, The Righteous Among The Nations, lire en ligne.
- William Ugeux, Histoires de Résistants, Paris-Gembloux, Éditions Duculot, 1979.
Voir aussi
Bibliographie et filmographie
En 2013, Simon Gronowski a enregistré son témoignage pour le BBC World Service Radio programme 'Witness History' (en anglais)
- En 2000, l'écrivaine et journaliste allemande Marion Schreiber a publié le livre « Stille Rebellen : Der Überfall auf den 20. Deportationszug nach Auschwitz » (Rebelles silencieux. L'attaque du convoi de déportation no 20 pour Auschwitz). Il a été traduit en néerlandais par Jan Gielken : « Stille rebellen, de overval op deportatietrein nr. 20 naar Auschwitz » et en français : Marion Schreiber, Rebelles silencieux : L'attaque du convoi de déportation no 20 pour Auschwitz, Racine, , 308 p. (ISBN 978-1-903809-89-1, lire en ligne).
- Simon Gronowski, L'enfant du 20e convoi, Bruxelles, Luc Pire, coll. « Voix personnelles », , 206 p. (ISBN 978-2-87415-531-4, lire en ligne).
- En 2004, a été produit pour l'ancienne série « Histoires » le documentaire Canvas Johan Opdebeeck i.s.m. Histoires. Production : Turnkey S.A. et Eye2Eye médias en coproduction avec la VRT, la RTBF et EO, avec le soutien du Fonds Film in Vlaanderen et CoBO.
- L'écrivain belge Kid Toussaint et son caricaturiste espagnol Jose Maria Beroy (es), ont réalisé deux albums de bande dessinée intitulés « À l'ombre du convoi », aux éditions Casterman).
- Maxime Steinberg, Le dossier Bruxelles-Auschwitz : la police SS et l'extermination des juifs de Belgique : suivi de documents judiciaires de l'affaire Ehlers, Le Comité, , 223 p. (lire en ligne).
- Maxime Steinberg et Laurence Schram, Transport XX, Éditions du Musée juif de la déportation et de la Résistance, , 63 p. (ISBN 978-90-5487-477-5, lire en ligne).
- Marc Michiels et Mark Van den Wijngaert (nl) ont publié en 2012 « Het XXste transport naar Auschwitz, de ongelijke strijd op leven en dood » (Le transport vingtième pour Auschwitz, le combat inégal de la vie et la mort).
- Marcel Hastir, Une Vie, en écoutant la musique, Fondation d'Utilité Publique Atelier Marcel Hastir, , 354 p.