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NĂ©gationnisme

Le négationnisme est au sens strict la négation de l'existence de la Shoah. Au sens large, le négationnisme désigne un déni de certains génocides ou crimes majeurs, malgré la présence de preuves flagrantes rapportées par les historiens.

ÉtagĂšre chargĂ©e de diffĂ©rents ouvrages nĂ©gationnistes.

Le terme est crĂ©Ă© en 1987 par l'historien Henry Rousso pour dĂ©signer la contestation de la rĂ©alitĂ© du gĂ©nocide mis en Ɠuvre contre les Juifs par l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, c'est-Ă -dire la nĂ©gation de la Shoah. Le nĂ©gationnisme consiste ainsi Ă  prĂ©tendre, soit qu'il n'y a pas eu d'intention d'exterminer les Juifs, soit que les moyens de rĂ©aliser cette extermination, notamment les chambres Ă  gaz destinĂ©es Ă  donner la mort, n'ont pas existĂ©.

Par la suite, le négationnisme désigne la contestation ou la minimisation des crimes contre l'humanité condamnés par le tribunal de Nuremberg, puis par extension la contestation ou la minimisation d'autres faits historiques qu'on pourrait aussi qualifier de crimes contre l'humanité, tels que le génocide arménien perpétré par le gouvernement Jeunes-Turcs de l'Empire ottoman pendant la PremiÚre Guerre mondiale, le Holodomor ukrainien par l'URSS (le caractÚre intentionnel de cette famine est cependant remis en question par de nombreux historiens), le massacre de Nankin par l'armée impériale japonaise, le génocide des Tutsi au Rwanda, les crimes du régime khmer rouge au Cambodge, ou encore le laogai de Chine.

Bien que le spectre des épisodes visés par les négationnistes soit large, des traits communs se retrouvent dans leurs négations respectives[1], et notamment l'emploi de la méthode hypercritique dans l'analyse des sources et des témoignages[2] ainsi que les sophismes suivants[3] :

  • tels dĂ©tails ne sont pas clairs ou sont contradictoires, donc toute l'explication est fausse, donc les preuves avancĂ©es pour cette explication sont en fait des rĂ©futations sophistiques ;
  • l'absence de preuves vaut preuve de l'absence des faits invoquĂ©s.

Les négationnistes se cachent souvent derriÚre le « révisionnisme historique », une approche adoptée par de vrais historiens, qui consiste à légitimement remettre certains faits en perspective dans leurs contextes en les « revisitant », souvent plusieurs dizaines d'années aprÚs les événements. Le terme « révisionniste » reste cependant polémique et plus généralement utilisé comme synonyme de négationnisme, en particulier en français[4].

Cas des génocides perpétrés par les nazis

Le , l'Assemblée générale des Nations unies a adopté par consensus une résolution condamnant la négation du génocide des Juifs par l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale[5].

Qu'elle concerne les crimes des nazis ou d'autres, la dĂ©marche nĂ©gationniste a ceci de particulier qu'elle use d'une mĂ©thodologie partiale et malhonnĂȘte, opĂ©rant la sĂ©lection, la dissimulation, le dĂ©tournement ou la destruction d'informations corroborant l'existence du crime (voire la crĂ©ation de fausses preuves « impliquant » l'inexistence des Ă©vĂšnements passĂ©s). On peut lĂ©gitimement parler de nĂ©gationnisme lorsque de telles mĂ©thodes sont employĂ©es, lorsque les faits contestĂ©s ont Ă©tĂ© indubitablement Ă©tablis et lorsque les motivations ne sont pas exclusivement la recherche des faits historiques mais la volontĂ© de promouvoir une idĂ©ologie, une croyance ou une mĂ©moire collective magnifiĂ©e, en l'exonĂ©rant des crimes commis en son nom (par exemple le racisme, le communisme, le panturquisme, l'antisĂ©mitisme, l'intĂ©grisme religieux
).

Négationnisme et révisionnisme

La notion de négationnisme est fondamentalement à distinguer de celle du révisionnisme.

Le terme « nĂ©gationnisme » a Ă©tĂ© crĂ©Ă© par l’historien Henry Rousso en 1987[6]. Son utilitĂ© est de dĂ©signer correctement la dĂ©marche de falsification historique comme celle de Robert Faurisson ou d'Henri Roques, qui se qualifient eux-mĂȘmes indĂ»ment de « rĂ©visionnistes ». Selon les termes d'Henri Rousso, lors de son tĂ©moignage au procĂšs intentĂ© par Robert Faurisson envers Robert Badinter en 2007, « il fallait distinguer ce qui me paraĂźt ĂȘtre la dĂ©marche normale d'un historien — la remise en cause permanente d'un certain nombre d'interprĂ©tations — de la nĂ©gation pure et simple d'un certain nombre de faits Ă©tablis »[7].

Il s'agit donc principalement de dénoncer les méthodes employées par les négationnistes : contre-vérités, falsifications, discrédit jeté sur les témoins[8].

Le négationnisme vient en parfaite contradiction des évÚnements qui se sont effectivement déroulés, alors que le révisionnisme essaye de réinterpréter ou de remettre en perspective des faits, en accord avec les données objectives, sans opérer de sélection dans celles-ci.

Motivations

Motivations principales

Les motivations des nĂ©gationnistes peuvent ĂȘtre diverses. Dans le cas de la nĂ©gation du gĂ©nocide juif commis par les nazis, elles apparaissent ĂȘtre principalement l'antisĂ©mitisme et la volontĂ© de dĂ©fendre — en niant la rĂ©alitĂ© des faits — le rĂ©gime nazi et ses collaborateurs (comme le rĂ©gime de Vichy en France). Mais il existe aussi un nĂ©gationnisme issu de l'« ultragauche » (comme celui du groupe français La Vieille Taupe fondĂ© par Pierre Guillaume) qui visait initialement Ă  dĂ©faire la pensĂ©e politique du consensus de l'antifascisme jugĂ© prĂ©judiciable Ă  la possibilitĂ© de la rĂ©volution. Ce groupe trĂšs minoritaire[9] est, de fait, conduit Ă  se tourner vers l'extrĂȘme droite nĂ©gationniste[10].

La nĂ©gation d’un gĂ©nocide ou d'un crime contre l'humanitĂ© (Shoah, Porajmos, gĂ©nocide armĂ©nien, Goulag, crimes des Khmers rouges, Laogai ou gĂ©nocide des Tutsis par exemple) vise notamment, de facto, Ă  obtenir un non-lieu pour ce qui est admis comme un crime, et Ă  retirer aux victimes leur droit de mĂ©moire et tout droit Ă  des rĂ©parations (en l’absence de crime il n’y a plus ni criminels ni victimes). Le nĂ©gationnisme peut ainsi servir Ă  protĂ©ger les auteurs d'un gĂ©nocide, leurs complices et leurs hĂ©ritiers idĂ©ologiques.

Les thĂšses nĂ©gationnistes reposent le plus souvent sur des faits maquillĂ©s (destruction d'archives ou de fosses communes par exemple), et sur la contestation ou l'omission dĂ©libĂ©rĂ©e des Ă©lĂ©ments Ă  charge. Ces thĂšses peuvent ĂȘtre le fait d'extrĂ©mistes (nĂ©o-nazis ou fanatiques religieux par exemple), de faussaires (protochronistes par exemple) mais parfois aussi d'auteurs qui se prĂ©sentent comme des « historiens » qui emploient la mĂ©thode hypercritique pour dĂ©clarer que les preuves sont insuffisantes.

Aussi le négationnisme est-il, pour le philosophe André Jacob, une « subversion du doute cartésien » consistant à « profiter, sous l'égide de quelque pulsion inavouée, de l'éloignement temporel des événements pour manipuler et en faire douter »[11]. Pierre-André Taguieff, analysant le complotisme contemporain, relÚve pour sa part à propos de la « tentation du relativisme radical, impliquant le rÚgne du doute sans limites », qu'à cet égard, « le négationnisme n'est qu'un miroir grossissant d'un phénomÚne affectant l'ensemble des sciences historiques et sociales »[12].

Boris Cyrulnik définit le négationnisme comme un message adressé aux survivants : « Crevez, votre souffrance nous importune »[13].

Passé et présent

Le nĂ©gationnisme vise des objectifs politiques, en se rĂ©fĂ©rant au passĂ© pour agir sur le terrain des conflits du prĂ©sent, pour Bernard-Henri LĂ©vy. Ainsi, selon lui, la nĂ©gation de la Shoah constitue l’un des fondements du nouvel antisĂ©mitisme, basĂ© sur l’« accusation d’inventer, aggraver ou, simplement exploiter l’hypothĂ©tique souffrance des siens »[14] afin de promouvoir le sionisme. La nĂ©gation de la Shoah vise, le plus souvent, Ă  faire pression sur le conflit israĂ©lo-palestinien, et Ă  dĂ©lĂ©gitimer l'État d'IsraĂ«l, selon LĂ©vy, en mettant en jeu l’idĂ©e que « les juifs seraient des profiteurs, non de guerre, mais de la Shoah, et n’entretiendraient leur obsession mĂ©morielle que dans le but de couvrir leurs propres crimes »[14].

Exemples de faits historiques objets du négationnisme

La Shoah

Graffiti sur le mémorial de l'Holocauste du peuple juif à Montevideo (Uruguay) se voulant rétablir « la vérité » en précisant une utilisation du Zyklon B comme désinfectant pour éradiquer le typhus et réduisant le nombre des Juifs « seulement morts du typhus » à 300 000 (photographie de 2017)

La nĂ©gation de la Shoah est Ă  l'origine du terme mĂȘme de nĂ©gationnisme.

Déjà responsable d'une oppression violente et mortifÚre, le régime nazi a procédé entre août 1941 et début 1945 à une extermination devenue systématique des Juifs européens, en commençant par des tueries en masse dans les territoires soviétiques envahis, d'abord par fusillades ou encore déportations dans des camps de concentration, puis diverses actions de gazage : camions de gazage, puis envoi dans des camps pourvus de chambres à gaz. En 1942, s'ajoutent les déportations de l'Europe occidentale. TrÚs peu de temps avant la libération du camp d'Auschwitz par l'Armée rouge, les déportés en étaient évacués par des marches de la mort, comme l'avaient été et le seront de multiples camps. Les historiens s'accordent pour dire qu'entre 5 et 6 millions de Juifs européens sont morts dans le génocide, en comptant les morts dans les ghettos, les camps, les exécutions directes.

Le dĂ©ni de la rĂ©alitĂ© matĂ©rielle de cette extermination est apparu aprĂšs la guerre en Europe et aux États-Unis, portĂ© par des personnes et des groupes marginaux dĂ©sorganisĂ©s, puis s'est dĂ©ployĂ© dans des partis politiques et des publications principalement d'extrĂȘme droite dans diverses parties du monde, en particulier au Moyen-Orient oĂč il intĂšgre parfois la doctrine de forces politiques et religieuses de premier plan. Cette entreprise d'apparence et de prĂ©tention scientifique est intrinsĂšquement antisĂ©mite et conspirationniste puisqu'elle prĂ©sente les Juifs non comme des victimes mais comme des gĂ©nies criminels, inventeurs d'une odieuse rumeur de gĂ©nocide qui leur aurait permis d'exercer, au dĂ©triment de plusieurs nations, un chantage pour percevoir des compensations financiĂšres et lĂ©gitimer la crĂ©ation de l'État d'IsraĂ«l[15]. En particulier, la nĂ©gation de l'existence des chambres Ă  gaz, devenues un symbole du crime nazi et de son caractĂšre massif et industriel, est un aspect et un moyen d'une tentative de rĂ©habilitation du nazisme. Afin de faire passer pour la conclusion d'une Ă©tude ce qui est en rĂ©alitĂ© un prĂ©supposĂ© dĂ©lirant, l'abondante anti-histoire des nĂ©gationnistes (tels Robert Faurisson, David Irving ou encore Ernst ZĂŒndel) use de tous les subterfuges : fabulation, hypercritique, ergotage, dissimulation des preuves, sĂ©lection et falsification de tĂ©moignages, etc.[16].

Génocide arménien

Entre avril 1915 et juillet 1916 ont Ă©tĂ© mĂ©thodiquement massacrĂ©s les deux tiers de la population armĂ©nienne de l'Empire ottoman par le gouvernement Jeune-Turc. Ce gĂ©nocide a fait prĂšs de 1 500 000 morts.

L'État turc admet l'existence d'un « dĂ©placement » des ArmĂ©niens et la mort d'une partie d'entre eux, mais rĂ©duit beaucoup le nombre des victimes, conteste voire condamne l'utilisation du terme « gĂ©nocide » et tait le caractĂšre gĂ©nocidaire des Ă©vĂšnements. Officiellement, les responsables Jeunes-Turcs ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© jugĂ©s par les Cours martiales turques de 1919-1920 et ce dĂ©sastre appartient Ă  la longue liste des « massacres » qui Ă©maillent l'histoire de l'humanitĂ©. La diplomatie turque mĂšne un important travail de lobbying pour faire valoir sa vision des faits.

Guerre de Sécession américaine et Lost Cause

La « Cause Perdue » est une théorie négationniste américaine qui tente de minimiser voire de nier le rÎle central de l'esclavagisme dans le déclenchement et l'issue de la guerre de sécession (1861-1865), pour dédouaner le Sud et ses principaux chefs de motivations principalement esclavagistes.

Crimes communistes

Pendant toute la Guerre froide, l'existence mĂȘme du Goulag et de l'Holodomor ainsi que le fait que l'URSS soit l'auteur du massacre de KatyƄ ont Ă©tĂ© niĂ©s par les gouvernements des pays du bloc de l'Est et par la presse communiste internationale, y compris des historiens universitaires reconnus et par des journalistes et polĂ©mistes comme Louis Aragon, Jean Bruhat, Jean Bruller, Pierre Courtade, Pierre Daix, Roger Garaudy, Fernand Grenier, Jacques Jurquet, Louis Martin-Chauffier, Claude Morgan, ou AndrĂ© Wurmser ; le mĂȘme phĂ©nomĂšne a existĂ© dans le mouvement maoĂŻste concernant le Laogai (« Goulag chinois »). De mĂȘme pour la DĂ©cosaquisation. Quant aux tĂ©moins, tels Margarete Buber-Neumann, (auteur et survivante aux camps du Goulag en Union soviĂ©tique et aux camps de concentration nazis), Jacques Rossi, David Rousset, Boris Souvarine, Alexandre Soljenitsyne ou Jean Pasqualini (auteur de Prisonnier de Mao. Sept ans dans un camp de travail en Chine), ils Ă©taient considĂ©rĂ©s par les nĂ©gationnistes comme des affabulateurs mus par un « anticommunisme viscĂ©ral » ou des agents d'influence de la CIA. Pendant les annĂ©es 1930, Walter Duranty, correspondant du New York Times Ă  Moscou et prix Pulitzer en 1932, nie l'existence de la famine ukrainienne de 1932-1933 et contredit avec vĂ©hĂ©mence les tĂ©moignages d'autres journalistes comme Malcolm Muggeridge ou Gareth Jones[17]. Jacques Jurquet nie en outre le gĂ©nocide des Khmers rouges[18].

Ce n'est qu'à partir de la Glasnost (1989) que les archives ont commencé à s'ouvrir, que les gouvernements concernés ont reconnu ces crimes, et que journalistes et historiens « sympathisants » ont cessé de les nier (tout en continuant, pour certains, à les relativiser)[19]. En 1990, un éditorial de Karl E. Meyer (en) dans le New York Times reconnaßt que Walter Duranty fut l'auteur de « quelques-uns des pires reportages jamais parus dans ce journal »[20].

Crimes de guerre japonais

La Chine, la Corée du Sud et les Philippines dénoncent réguliÚrement les tentatives de la droite nationaliste japonaise de nier les crimes de guerre perpétrés sur le continent asiatique par l'armée impériale japonaise au cours de l'expansion de l'empire japonais.

Le massacre perpĂ©trĂ© par l'armĂ©e impĂ©riale japonaise Ă  Nankin lors de l'invasion de la Chine, l'esclavage sexuel imposĂ© Ă  des civiles et les expĂ©rimentations menĂ©es sur des humains par des unitĂ©s de recherche bactĂ©riologiques constituent notamment des Ă©pisodes de cette histoire longtemps occultĂ©e pour des raisons politiques. Dans le cadre de la Guerre froide, le gouvernement des États-Unis, par exemple, n'a pas voulu s'aliĂ©ner son alliĂ© japonais et nombre de criminels ont Ă©tĂ© exonĂ©rĂ©s de poursuites devant le Tribunal de Tokyo.

La visite annuelle de l'ancien premier ministre japonais, Jun'ichirƍ Koizumi, au sanctuaire de Yasukuni-jinja, oĂč sont honorĂ©s certains criminels de guerre, a fait l'objet de protestations rĂ©guliĂšres, de mĂȘme que les dĂ©clarations de Shinzƍ Abe sur l'implication du rĂ©gime shĂŽwa dans l'enlĂšvement des femmes de rĂ©confort.

En 1990, le maire de Nagasaki, Motoshima Hitoshi, a été victime d'une tentative d'assassinat pour avoir soulevé la question de la responsabilité de l'empereur Hirohito dans la Seconde Guerre mondiale.

Massacre de Srebrenica

Pour nier le massacre, des cercles ultranationalistes serbes et leurs relais dans l'extrĂȘme droite europĂ©enne minimisent le nombre des victimes, contestent la lĂ©gitimitĂ© du Tribunal pĂ©nal international pour l'ex-Yougoslavie et rejettent les responsabilitĂ©s sur de supposĂ©s « impĂ©rialistes occidentaux », voire sur les victimes elles-mĂȘmes[21] - [22].

Le massacre de Srebrenica possÚde les caractéristiques des procédés génocidaires, il est souvent simplement qualifié de génocide par les médias et des associations des droits de l'homme depuis que le Tribunal pénal international et la Cour internationale de justice le conçoivent juridiquement comme tel[23] - [24]. Certains historiens ou humanitaires, tels Yves Ternon ou Rony Brauman, contestent cette qualification, mais leurs arguments ne sont pas négationnistes[25].

GĂ©nocide des Tutsi au Rwanda

La théorie du « double génocide » a pour but de transformer le génocide des Tutsi en un massacre « inter-ethnique » pour disculper le gouvernement intérimaire rwandais de 1994, dont les deux tiers des membres ont été poursuivis par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Elle a aussi pour objectif de « disculper » les autorités occidentales accusées de l'avoir soutenu passivement ou activement. Ce négationnisme, trÚs répandu dans la francophonie, est souvent exprimé par le pluriel : les génocides au Rwanda. Cette expression a été utilisée notamment en France par François Mitterrand dans la version écrite de son discours à Biarritz du 8 novembre 1994[26] - [27].

Le mythe du complot hamite repose sur des documents de mĂȘme nature que Les Protocoles des Sages de Sion. Il servit de justificatif au gĂ©nocide des Tutsi au Rwanda. Il s'agit de la systĂ©matisation des spĂ©culations des premiers colonisateurs de la rĂ©gion qui voyaient chez les Tutsi du Rwanda et du Burundi des descendants des hamites ayant Ă©migrĂ© au Rwanda plusieurs siĂšcles auparavant[28].

Démarches et méthodes du négationnisme

Il existe une méthodologie générale de la négation, qui emprunte tantÎt à une démarche historique (révisionnisme historique) dévoyée, mais aussi à des procédés rhétoriques.

Argument de la rétro-analyse

Les Ă©vĂ©nements les plus susceptibles de remise en cause nĂ©gationniste semblent ĂȘtre des Ă©vĂ©nements au fort contenu Ă©motionnel. Cela permet au nĂ©gationnisme d'arguer que l'affectivitĂ© serait Ă  l'origine des diffĂ©rents tĂ©moignages sur les Ă©vĂ©nements.

On pourra ainsi prĂ©tendre, sans aucune dĂ©monstration, que les chambres Ă  gaz ne sont que des constructions postĂ©rieures Ă  la guerre Ă©rigĂ©es pour accrĂ©diter la thĂšse de la Shoah et diaboliser l’Allemagne nazie. Les diffĂ©rents tĂ©moins seront de fait, prĂ©sentĂ©s comme autant d’agents manipulateurs (stipendiĂ©s par le KGB, la CIA, la DGSE, par exemple).

Cette inversion de la charge de la preuve implique de gonfler un Ă©vĂ©nement rĂ©el ou de crĂ©er un Ă©vĂ©nement imaginaire (thĂ©orie d'un « complot juif international », thĂ©orie du complot prĂ©mĂ©ditĂ©, de la part de la victime ou d’une tierce partie ayant intĂ©rĂȘt au dĂ©clenchement des hostilitĂ©s).

Neutralisation des témoins

Le silence sur les événements par tous les moyens, la neutralisation (de la ridiculisation à l'élimination) des personnes qui affirment l'existence de génocides sont des constantes de ce type de démarche.

Utilisation des médias

Les négationnistes, selon Pierre Vidal-Naquet, exploitent l'ignorance des journalistes. Vidal-Naquet cite la description que fait Marshall Sahlins (New York Review of Books du ) de cette manipulation :

« Le livre d'Arens suit un modĂšle traditionnel des entreprises journalistico-scientifiques en AmĂ©rique : le professeur X Ă©met quelque thĂ©orie monstrueuse - par exemple : les nazis n'ont pas vĂ©ritablement tuĂ© les Juifs ; ou encore : la civilisation humaine vient d'une autre planĂšte ; ou enfin : le cannibalisme n'existe pas. Comme les faits plaident contre lui, l'argument principal de X consiste Ă  exprimer, sur le ton le plus Ă©levĂ© qui soit, son propre mĂ©pris pour toutes les preuves qui parlent contre lui [
]. Tout cela provoque Y ou Z Ă  publier une mise au point telle que celle-ci. X devient dĂ©sormais le trĂšs discutĂ© professeur X et son livre reçoit des comptes rendus respectueux Ă©crits par des non-spĂ©cialistes dans Time, Newsweek et le New Yorker. Puis s'ouvrent la radio, la tĂ©lĂ©vision et les colonnes de la presse quotidienne. »

Paul Rateau

Dans La vĂ©ritĂ©, le mensonge et la loi[29], Paul Rateau a montrĂ© les dangers que reprĂ©sente l’admission — au nom de la libertĂ© d’expression — du nĂ©gationnisme dans l’espace public. D’une part, parce que le nĂ©gationnisme ne procĂšde pas de l’ignorance ou d’une mĂ©prise de celui qui le dĂ©fend, mais d’une intention dĂ©libĂ©rĂ©e de falsifier les faits. Il n’est donc pas une erreur, mais une tromperie. D’autre part, parce que admettre la diffusion d’idĂ©es nĂ©gationnistes tend Ă  prĂ©senter celles-ci comme des « opinions » recevables et respectables comme n’importe quelles autres, au nom de la libertĂ© d’opinion et d’expression. Le « nĂ©gationniste » y gagne en respectabilitĂ© et parvient ainsi Ă  se placer au mĂȘme niveau que l’historien et le savant, au prĂ©judice de la vĂ©ritĂ© ramenĂ©e elle-mĂȘme Ă  une simple opinion. Pour P. Rateau, la falsification historique ne peut pas avoir sa place dans le dĂ©bat public, car, Ă©crit-il, le mensonge qu’elle dĂ©fend « n’est tout simplement pas une opinion, ni une interprĂ©tation sur laquelle on serait amenĂ© Ă  donner son avis, mais une fraude dont le but est de transformer le monde ». Le mensonge devient « dĂ©lictuel lorsqu’il offense, diffame, voire menace l’ordre public en incitant Ă  la haine. C’est Ă  ce titre qu’une loi doit le sanctionner, et non parce qu’il s’agirait d’une opinion fausse ou d’une erreur (ce que, encore une fois, il n’est pas) ». La loi dite loi Gayssot du 13 juillet 1990 visant Ă  interdire le nĂ©gationnisme ne fixe, selon P. Rateau, aucune vĂ©ritĂ© « officielle » ou « d’État ». Par cette loi, l’État ne se prononce pas sur l’histoire, sur le fait lui-mĂȘme. Il ne dit pas ce qu’il faut en penser ni comment l’interprĂ©ter. C’est la contestation publique de sa rĂ©alitĂ© qu’il condamne. Ainsi, conclut P. Rateau, « la loi ne soumet pas la politique Ă  la vĂ©ritĂ©, ni la vĂ©ritĂ© Ă  la politique ». Elle empĂȘche simplement la confusion entre les vĂ©ritĂ©s factuelles Ă©tablies par la recherche historique (c’est-Ă -dire par une instance indĂ©pendante de l’État), les mensonges visant Ă  manipuler et Ă  tromper, et les opinions, objet seul de dĂ©bats et de discussions dans l’espace public.

Incrimination pénale

La négation du génocide perpétré par l'Allemagne nazie et par ses satellites (y compris le régime de Vichy) contre les Juifs est réprimée pénalement dans les pays suivants :

Aux États-Unis, le premier amendement Ă  la Constitution, qui interdit de lĂ©gifĂ©rer sur le droit de s'exprimer, empĂȘche le vote d'une loi pĂ©nale punissant le nĂ©gationnisme. En Europe, l'article 10 de la Convention europĂ©enne des droits de l'homme garantit la libertĂ© d'expression, alors que l'article 17 interdit d'abuser du droit[31]. La Cour europĂ©enne des droits de l'homme, s'appuyant sur ces deux articles, a confortĂ© l'utilisation de la loi française du 13 juillet 1990 dite loi Gayssot pour poursuivre et condamner des auteurs de publications nĂ©gationnistes[32]. En France, la Cour de cassation et la Cour d'appel de Paris ont jugĂ© que la libertĂ© d'expression pouvait lĂ©gitimement ĂȘtre restreinte pour des motifs de protection de l'ordre public, de la morale et des intĂ©rĂȘts des victimes du nazisme[33].

Annexes

En français

En anglais

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  • (en) Richard J. Evans « Lying about Hitler: History, Holocaust and the David Irving Trial ». Basic Books, New York 2001
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  • (en) Patrick Finney “Ethics, Historical Relativism and Holocaust Denial.” Rethinking History 2 (1998): 359-369. * Ă©lĂ©ment B
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  • (en) Michael Shermer, « Why People Believe Weird Things: Pseudoscience, Superstition, and Other Confusions of our Time », Freeman, New York, 1997.
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En allemand

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En italien

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  • (it) Valentina Pisanty « L’irritante questione delle camere a gas. Logica del negazionismo ». Bompiani, Milano 1998.
  • (it) Francesco Rotondi « Luna di miele ad Auschwitz. Riflessioni sul negazionismo della Shoah », ESI, Napoli, 2005.

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Richard G. Hovannisian, « L'Hydre Ă  quatre tĂȘtes du nĂ©gationnisme : NĂ©gation, rationalisation, relativisation, banalisation », in CDCA, ActualitĂ© du gĂ©nocide des ArmĂ©niens, prĂ©face de Jack Lang, Paris, Edipol, 1999. Disponible en ligne sur le site imprescriptible.org.
  2. François Bédarida, Histoire, critique et responsabilité, Complexe, 2003, 357 p. (ISBN 9782870279823), p. 291 et Jean-Christophe Prochasson, « Témoignages et expériences. Les usages du vrai et du faux de Jean-Norton Cru à Paul Rassinier », dans Christophe Prochasson, Anne Rasmussen, Vrai et faux dans la Grande guerre, La Découverte, 2010 (ISBN 9782707155597), p. 302-326.
  3. Voir par exemple dans le cas de Robert Faurisson, Barbara Lefebvre, Sophie Ferhadjian, Comprendre les génocides du 20e siÚcle : comparer-enseigner, Bréal, 2007, 319 p. (ISBN 9782749521411), p. 157.
  4. Enzo Traverso, Le passé, modes d'emploi, La Fabrique, 2005, page de conclusion.
  5. (fr) L’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale rĂ©itĂšre sa condamnation de tout dĂ©ni de l’holocauste dans un texte qui compte 103 coauteurs sur 192 États membres, communiquĂ© de presse n° AG/10569, Nations Unies, 26 janvier 2007
  6. Henri Rousso, Le syndrome de Vichy, ed. du seuil, 1987, 2e Ă©dition 1990, p. 176-183
  7. Propos reproduits dans Bernard Jouanneau, La Justice et l'Histoire face au nĂ©gationnisme. Au cƓur d'un procĂšs : dossier composĂ© par Bernard Jouanneau, avant-propos de Robert Badinter, Paris, Fayard, , 396 p. (ISBN 978-2-213-63558-3), p. 118.
  8. Ainsi, en rĂ©ponse Ă  la demande du militant trotskiste David Rousset d'une commission d'enquĂȘte sur l'existence de camps de concentration en URSS, Pierre Daix rĂ©dige un article: « Pierre Daix, matricule 59 807 Ă  Mauthausen », paru dans les Lettres françaises, niant l'existence du Goulag. Plus tard, Pierre Daix a reconnu avoir eu tort - voir Ă  ce sujet l'ouvrage de Tzvetan Todorov, « MĂ©moire du mal, tentation du bien. EnquĂȘte sur le siĂšcle », Robert Laffont, 2000 et aussi FrĂ©dĂ©ric Verger, « Les LumiĂšres et le goulag » dans la Revue des deux Mondes, no 1, janvier 2011, p. 133.
  9. Cf. Valérie Igounet, op. cit., p. 23
  10. DĂ©rive dĂ©noncĂ©e par François Cerruti, ancien de la Vieille Taupe, adressĂ©e Ă  Jacques Baynac, oĂč il Ă©voque « la dĂ©rive vers l'extrĂȘme-droite d'une tendance comme celle de Pierre Guillaume », citĂ© par ValĂ©rie Igounet, op. cit., p. 604
  11. AndrĂ© Jacob, En quĂȘte d'une philosophie pratique: De la morale Ă  l'Ă©thico-politique, L'Harmattan, 2007, 395 p. (ISBN 9782296036819) p. 357.
  12. Pierre-André Taguieff, Court traité de complotologie, Fayard, 2013, 440 p. (ISBN 9782755505344) [EPUB] emplacements 4334 et suiv. sur 9455.
  13. Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 1999, (ISBN 2-7381-0681-1), p. 141
  14. Bernard-Henri LĂ©vy, L'Esprit du judaĂŻsme, Grasset, 2016.
  15. Jean-Yves Camus, « Le nĂ©gationnisme dans le monde occidental : un paravent pseudo-scientifique de l'antisĂ©mitisme », sur le site PHDN, 2008-2012.
  16. Bernard Comte, « Le génocide nazi et les négationnistes », Historiens et Géographes, no 339, 1990, p. 141-150. Lire en ligne sur le site PHDN.
  17. Nicolas Werth, « Le journaliste face Ă  la famine ukrainienne », L'Histoire,‎ , p. 95 (lire en ligne)
  18. La fin du PCF : vers un néo-communisme?, L'AGE D'HOMME, , 276 p. (ISBN 2-8251-1799-4, lire en ligne)
  19. Boris Souvarine, Staline, Plon, Paris, 1935 et Stéphane Courtois (dir.), Du passé faisons table rase, Robert Laffont, (ISBN 978-2221095003).
  20. (en) Jacques Steinberg, « Times Should Lose Pulitzer From 30’s, Consultant to Paper Says », The New York Times,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  21. Conspiracy Watch Le procÚs Karadzic et la théorie du complot sur Srebrenica, 10 mars 2012.
  22. MRAP Fédération de Seine Saint Denis - Commémoration du génocide de Srebrenica
  23. Theodor Meron, « Address by ICTY President Theodor Meron, at Potocari Memorial Cemetery », (consultĂ© le ) : « By seeking to eliminate a part of the Bosnian Muslims [Bosniaks], the Bosnian Serb forces committed genocide. They targeted for extinction the forty thousand Bosnian Muslims living in Srebrenica, a group which was emblematic of the Bosnian Muslims in general. They stripped all the male Muslim prisoners, military and civilian, elderly and young, of their personal belongings and identification, and deliberately and methodically killed them solely on the basis of their identity »
  24. « The Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), case 91 », (consultĂ© le ) : « The Court concludes that the acts committed at Srebrenica falling within Article II (a) and (b) of the Convention were committed with the specific intent to destroy in part the group of the Muslims of Bosnia and Herzegovina as such; and accordingly that these were acts of genocide, committed by members of the VRS in and around Srebrenica from about 13 July 1995 », page 108, paragraphe 297
  25. Bastié, Eugénie Le massacre de Srebrenica est-il un «génocide» ? Le Figaro, 11 juillet 2015.
  26. Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la démocratisation de l'Afrique, la proposition de créer une force d'intervention interafricaine pour la prévention des conflits et l'organisation du développement et de la croissance du continent, Biarritz le 8 novembre 1994.
  27. La France a fait obstacle Ă  la reconnaissance du gĂ©nocide. Des dirigeants français ont tentĂ© d’accrĂ©diter la thĂšse du « double gĂ©nocide »
    Dans son livre l'inavouable, la France au Rwanda Patrick de Saint Exupéry, envoyé spécial du Figaro au Rwanda en 1994, prend prétexte de l'usage de cette expression par Dominique de Villepin pour l'emmener sur les traces de ce qu'il a vu au Rwanda, ce qui constitue la trame de son livre
    Voir également « Le Rwanda s'interroge sur le rÎle de Paris dans le génocide» Le Figaro
  28. Alison Des Forges - Aucun témoin ne doit survivre, le génocide au Rwanda - Karthala.
    Pierre Péan a repris à son compte cette théorie dans son livre Noires Fureurs, blancs menteurs - Mille et une nuits
  29. Paul Rateau, « La vĂ©ritĂ©, le mensonge et la loi », Les Temps modernes, nos 645-646,‎ , p. 26-58 (lire en ligne [PDF])
  30. La Presse. 8 avril 2022. La nĂ©gation de la Shoah en voie d'ĂȘtre une infraction criminelle. En ligne. Page consultĂ©e le 2022-04-09
  31. Texte de la convention révisé en 2003
  32. Revue trimestrielle des droits de l'homme 2004. Article de Michel Levinet au sujet du recours Garaudy vs France, décision du 24 juin 2003
  33. Cf. Cour de cassation 23 février 1993 et 9 octobre 1995, Cour d'appel de Paris 21 mai 1992.
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