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IG Farben

L'abrĂ©viation IG Farben (oĂč IG est l'abrĂ©viation du mot allemand InteressenGemeinschaft) dĂ©signe la sociĂ©tĂ© allemande fondĂ©e le sous le nom de IG-Farbenindustrie AG[note 1]. Une « petite IG », par opposition Ă  l’IG de 1925, a Ă©tĂ© fondĂ©e en 1905 par rapprochement concertĂ© des sociĂ©tĂ©s chimiques BASF, Bayer et Agfa. Un conseil de gestion commun fut crĂ©Ă©, mais chacune des sociĂ©tĂ©s conserva son identitĂ© propre.

I.G. Farbenindustrie AG
logo de IG Farben
illustration de IG Farben

Création 1925
Disparition 1952
Forme juridique Société anonyme
SiĂšge social Francfort-sur-le-Main
Activité Produits chimiques
Raffinage du pétrole
Filiales Hoechst ( - )
Guano Works (d)
DK Recycling und Roheisen GmbH (d)[1]
Deutsche Grube (d)[2]
Buna-Werke[3]
Gasolin (en)[4]
WASAG (d)[5]
American IG (en)[6]
Braunkohlenwerke Bruckdorf (d)[7]
Soja AG (d)
Wagenmann & Seybel (d)[8]
ACNA (en)[9]
WCM Beteiligungs- und Grundbesitz-Aktiengesellschaft (d)[10]
Deutsche LĂ€nderbank (d)[11]
Interhandel (en)
Deutsche Gesellschaft fĂŒr SchĂ€dlingsbekĂ€mpfung[12]
Agfa-Gevaert[13]
BASF
I.G. Bergwerke (d)
Donau Chemie (d)[14]
Behringwerke (d)[15]
Leuna works (en)[16]
Pulverfabrik Rottweil (d)[17]
Bayer
Société suivante BASF, Hoechst, Bayer et Agfa-Gevaert
Action de l'I. G. Farbenindustrie AG en date du décembre 1925.
Les dirigeants (Verwaltungsrat) de l'entreprise vers 1935, avec Ă  gauche au premier plan Carl Bosch et Ă  droite Carl Duisberg[18].
Unité de production BASF de colorant indigo, en 1880.
Usine chimique IG-Farbenwerke, construite prĂšs d'Auschwitz, ici en 1941.
IG Farbenwerke Ă  Auschwitz.
Ruine d'une unité de production d'essence synthétique de Hydrierwerke Pölitz AG à Pölitz (Pologne).

Jusqu'en 1945 au moins, le groupement d'intĂ©rĂȘt Ă©conomique IG Farben produisit de nombreux produits chimiques : ammoniac synthĂ©tique (duquel Ă©taient dĂ©rivĂ©s des engrais azotĂ©s, des explosifs) et des biocides ou gaz d'exterminations dont le Zyklon B, de l'essence synthĂ©tique, des mĂ©dicaments, des colorants, des plastiques, du caoutchouc synthĂ©tique, des pellicules photographiques et des textiles.

Cette société fut démantelée en 1952 dans le cadre de la politique de dénazification.

Historique

Entre-deux-guerres

Pendant la PremiÚre Guerre mondiale, la « petite IG Farben » a une position hégémonique et de monopole sur le territoire allemand. Ce sont donc eux qui ont fourni tous les gaz de combat invalidants qui ont détruit les poumons de centaines de milliers de tués et blessés de la guerre 1914-18.

Plus tard, durant la Seconde Guerre mondiale, la « grande IG Farben » prétendra avoir perdu 203 millions de marks en raison des dédommagements imposés par le Traité de Versailles et des discriminations commerciales qui ont suivi[19].

La dĂ©faite allemande en 1918 porte un coup relativement rude Ă  l’industrie chimique allemande, car les AlliĂ©s confisquent tous ses actifs Ă  l’étranger, mais aucune infrastructure sur le territoire allemand n'a Ă©tĂ© dĂ©truite. Afin de faciliter et d’accĂ©lĂ©rer le retour d'IG-Farben sur la scĂšne mondiale, six grandes sociĂ©tĂ©s chimiques dĂ©cident de fusionner :

  • les trois sociĂ©tĂ©s de la « petite IG » (BASF, Bayer et Agfa) ;
  • Meister Lucius et BrĂŒning/Höchst ;
  • Griesheim Elektron ;
  • Weiler ter Meer.

Juridiquement, il s’agit d’une « fusion-acquisition ».

BASF y joue le rĂŽle de la sociĂ©tĂ© acquĂ©rante en procĂ©dant Ă  une augmentation de capital. Le siĂšge de la nouvelle sociĂ©tĂ© est Ă©tabli Ă  Francfort-sur-le-Main. La marque Bayer dĂ©signait l’ensemble des mĂ©dicaments d’IG Farben et la marque Agfa les produits photographiques (pellicules, appareils photos, optique).

De 1925 à 1939, IG Farben devient un empire industriel de tout premier plan. Cet empire comporte un important groupe de recherche et noue de nombreux partenariats : en particulier avec la Standard Oil américaine[20] qui possÚde une part importante de son capital, ou encore avec la Montecatini en Italie[21]. IG Farben peut ainsi mettre au point plusieurs procédés industriels trÚs importants conduisant à de nouveaux produits :

AprĂšs la conversion monĂ©taire de 1924, l'activitĂ© boursiĂšre allemande est dominĂ©e Ă  partir de 1925 par les grands cartels comme Vereinigte Stahlwerke (acier et charbon) ou IG Farben, avec de nombreux achats de titres spĂ©culatifs basĂ©s sur des prĂȘts bancaires, qui s'achĂšve par le Krach du 13 mai 1927.

Le premier prĂ©sident du directoire d’IG Farben est Carl Bosch, jusqu’à sa mort en 1940. Hermann Schmitz (en), le directeur financier, lui succĂšde jusqu’en 1945.

Années 1930

Avant la guerre, dĂšs la campagne Ă©lectorale qui portera Hitler Ă  la chancellerie, IG Farben soutient financiĂšrement le parti nazi.

En 1938, prÚs de 54 % des ventes de colorants IG Farben sont faites à l'exportation pour 49,5 % des gains de Farben à l'étranger (202 millions de marks en 1939 et plus de 49 % de ses exportations[22]), finançaient les importations indispensables à la fois à la firme et au TroisiÚme Reich[23].

Seconde Guerre mondiale

En 1939, IG Farben profite de l’Anschluss pour acquĂ©rir Ă  bas coĂ»t la totalitĂ© de l'industrie chimique autrichienne. Dans le mĂȘme temps, l'entreprise veille Ă  ne pas entrer en concurrence avec des entreprises d’État (dont la Reichswerke Hermann Göring) ou des concurrents privĂ©s allemands (qui n'existaient pas dans le secteur des colorants)[24]. Elle fait de mĂȘme dans les pays occupĂ©s durant toute la Seconde Guerre mondiale, en particulier en France en zone occupĂ©e.

Ainsi, en France, IG Farben demande la crĂ©ation d’une sociĂ©tĂ© de portefeuille qui dĂ©tiendrait toutes les sociĂ©tĂ©s françaises de colorants. Cette sociĂ©tĂ© est crĂ©Ă©e sous le nom de Francolor, et IG Farben dĂ©tient 51 % de son capital, ce qui lui permet d’ĂȘtre l’actionnaire majoritaire[25] - [24].

DĂšs 1940, le gouvernement nazi veut associer IG Farben Ă  l’« Ordre Ă©conomique nouveau », en lui permettant de bĂ©nĂ©ficier d'une main d'Ɠuvre peu chĂšre (dĂ©but 1941, la sociĂ©tĂ© employait 12 360 Ă©trangers, dont 2 162 prisonniers de guerre[26]) et d'un « bloc Ă©conomique allant de Bordeaux Ă  Sofia »[27], tout en poursuivant une stratĂ©gie de cartel visant Ă  dominer le marchĂ© mondial de la chimie des colorants de l'aprĂšs-guerre[28].

En 1941, l’Omnium des Produits Azotiques (OPA) est crĂ©Ă©e en France, en rĂ©ponse Ă  la demande des autoritĂ©s d’occupation allemandes, pour que la France crĂ©e des poudres et explosifs pour l’Allemagne. Ainsi, l’OPA sert d’intermĂ©diaire entre le Service industriel des poudreries nationales (qui gĂšre les poudreries nationales d’AngoulĂȘme) de l’État français et la Kölner Rottweil Aktien Gesellschaft (KR), filiale d’IG Farben reprĂ©sentant le gouvernement allemand pour l’achat de poudres et d’explosifs[29].

La Degesch, filiale d’IG Farben produisant le gaz Zyklon B, initialement utilisĂ© comme insecticide et raticide, produit de grandes quantitĂ©s pour les nazis, qui les utilisent massivement dans les chambres Ă  gaz de certains centres d'extermination. Elle en fait produire 37 tonnes dans la SociĂ©tĂ© d’électrochimie, d'Ă©lectromĂ©tallurgie et des aciĂ©ries Ă©lectriques d'Ugine dans l’Oise[30]. Face Ă  la demande grandissante de main-d'Ɠuvre, la sociĂ©tĂ© exploite les travailleurs forcĂ©s de plusieurs camps de travail.

Au faĂźte de sa puissance, le conglomĂ©rat IG Farben emploie environ 190 000 personnes, dont 80 000 travailleurs forcĂ©s.

Cependant, la direction de l'entreprise n'adhÚre pas totalement à la stratégie nazie, qui envisageait notamment, une fois la guerre terminée, de délocaliser dans les pays périphériques la chimie allemande[31]. La victoire des Alliés sur l'Allemagne s'est aussi conclue par le déclin d'IG Farben[28].

En novembre 1940, Hermann Göring (chef du Plan économique de quatre ans) négocie avec la société IG Farben l'installation d'une usine en Silésie, dans le territoire du village de Dwory, sur une zone d'activité qui accueillera aussi des usines de Krupp, Siemens et d'autres, à 7 kilomÚtres environ au nord-est du camp d'Auschwitz, choisie car bien reliée à Berlin, Varsovie, Vienne ou Lemberg.

De 1939 Ă  fin 1941, IG Farben rĂ©clame peu de travailleurs Ă©trangers ou forcĂ©s, puis de 1942 Ă  fin 1944, il en demande de plus en plus (plus que la moyenne des autres industries allemandes), alors que le groupe concentre sa production en Allemagne centrale et de l’Est, moins peuplĂ©e. MĂȘme dans ses usines de Leverkusen et Hoechst, situĂ©es plus Ă  l'ouest et utilisant le plus de civils salariĂ©s.

IG Farben dĂ©passe la moyenne allemande de 7,1 % de travail forcĂ© avec des taux de 36,4 % Ă  29,3 %[32]. De plus, dĂšs 1942, le GIE IG-Farben fait transfĂ©rer des « groupes entiers (y compris chimistes et contremaĂźtres) » des usines Francolor (filiale du groupe) dans ses usines de Ludwigshafen et Oppau, pour ne pas avoir Ă  produire aussi Ă  l'ouest[33], semble-t-il aussi pour limiter les risques de voir son savoir-faire passer Ă  l'Ă©tranger, ce qu'il payera aprĂšs la libĂ©ration, car cet hĂ©gĂ©monisme a encouragĂ© les AlliĂ©s Ă  casser l'outil de production d’IG Farben en 1945.

Le , les SS du camp d'Auschwitz s'accordent avec les dirigeants d’IG Farben sur le fait que la journĂ©e de travail des dĂ©portĂ©s serait de 10-11 heures en Ă©tĂ© et de 9 heures en hiver, pour une location de 4 marks par jour pour des ouvriers qualifiĂ©s et de 1,5 mark par jour pour les ouvriers non qualifiĂ©s. Ce prix augmentera Ă  partir de : jusqu’à 6 marks par jour pour un ouvrier qualifiĂ© dĂ©portĂ© et 4 marks par jour pour un ouvrier non qualifiĂ©, soit deux fois moins qu'un salaire d'ouvrier libre (1 mark valait alors environ 2 euros). Ces ouvriers, maltraitĂ©s et dĂ©nutris, mouraient gĂ©nĂ©ralement d'Ă©puisement en 6 mois environ[34].

IG Farben finance le camp de Monowitz-Buna (ou Auschwitz III), qui est l'un des trois camps d'Auschwitz, construit en , comme un camp de travail (Arbeitslager), mais comprenant une forte composante d'extermination. Il contiendra environ 12 000 prisonniers, surtout Juifs, sans femmes, avec quelques prisonniers de droit commun et politiques. Les dĂ©tenus feront Ă  pied les 14 km/jour pour aller et revenir Ă  l'usine, avant qu'un train ne leur fasse faire la route. DĂšs mi-avril 1941, IG Farben construit son usine avec de nombreux prisonniers louĂ©s aux nazis (en provenance du camp de concentration d'Auschwitz, voisin).

L'usine sera dite « usine de la Buna », le mot « Buna », formĂ© des initiales de Butadien et Natrium, dĂ©signant un caoutchouc synthĂ©tique (produit Ă  partir de chaux, d'eau et de charbon). L'usine doit aussi produire de l'essence synthĂ©tique. Les Allemands avaient besoin de ce caoutchouc synthĂ©tique, car ils ne disposaient pas de colonie riche en hĂ©vĂ©as (comme les colonies britanniques ou françaises d’Asie). L'Allemagne avait entamĂ© une production de caoutchouc synthĂ©tique dĂšs la PremiĂšre Guerre mondiale, mais durant la Seconde Guerre mondiale, IG Farben, Ă  cause notamment des bombardements alliĂ©s, semble n'avoir pas pu produire de caoutchouc synthĂ©tique Ă  Auschwitz.

En , pour contourner la pénurie de caoutchouc, un Kommando extérieur de prisonniÚres (comprenant des agronomes) a été créé à Raïsko, ainsi qu'une station expérimentale devant cultiver des plantes à latex, dont un pissenlit (le « kok-saghyz »), mais sans pouvoir assurer une production industriellement satisfaisante. (Ce « kommando » a inclus des résistantes du convoi des 31000).

Comme toute l'industrie chimique allemande, IG Farben automatise les procĂ©dures lourdes de la production, ce qui lui permet d'augmenter de 67 % son taux de main-d'Ɠuvre fĂ©minine de 1938 Ă  1940, soit trois fois plus que l'industrie allemande qui en moyenne l'a augmentĂ© de 12,6 % (avec un chiffre rĂ©el des femmes au travail en Allemagne demeurant presque constant)[24].

IG Farben poursuit sa stratégie agressive de cartels internationaux pour à la fois stabiliser et se répartir le marché mondial, avec une politique de négociations commerciales, voire d'aide et orientation du développement des « jeunes pays » pour y créer une demande et des marchés[22]. C'est pourquoi le groupe se garde de rendre visible ses projets hégémoniques et déclare au Reich ne souhaiter dans le nouvel ordre industriel préparé par les nazis qu'« une position de leader » correspondant à ses compétences techniques, économique et scientifique.

Dans ce cadre, elle dira avoir cherchĂ© Ă  nĂ©gocier des accords de cartels avec ses concurrents Ă©trangers et dans les pays occupĂ©s, sans volontĂ© de pillage et en ayant limitĂ© ses exigences Ă  la propriĂ©tĂ© pour moitiĂ© des principales usines de colorants et en ne demandant que la fermeture immĂ©diate de quelques entreprises concurrentes[35]. Le groupe s'oppose ainsi au programme nettement plus dirigiste et bureaucratique de Claus Ungewitter (responsable du Groupement Ă©conomique pour l'industrie chimique[36]) qui visait un grand plan directeur construit par le ministĂšre nazi de l’Économie, destinĂ© Ă  dominer le marchĂ© de la chimie de toute l'Europe, mis en Ɠuvre par un cartel d'encadrement constituĂ© des cartels europĂ©ens et des syndicats dirigĂ©s par des directeurs de sociĂ©tĂ©s allemandes et supervisĂ©s par l’État nazi, qui ferait passer ses intĂ©rĂȘts avant ceux d’IG Farben[37].

AprĂšs la Seconde Guerre mondiale

Box des accusĂ©s, le 27 aoĂ»t 1947, au 1er jour des 11 mois du ProcĂšs IG Farben oĂč 24 hauts-responsables du groupe sont inculpĂ©s de crimes de guerre et de crime contre l'humanitĂ© sous deux chefs d'accusation applicables aux non-militaires :
1) planification, prĂ©paration et exĂ©cution de guerres d’agression ; exploitation, asservissement et extermination de travailleurs forcĂ©s (on a aussi parlĂ© d'esclavage lors du procĂšs) ;
2) participation Ă  une conspiration visant Ă  commettre des crimes contre la paix, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanitĂ©.

Joseph Borkin, conseiller Ă©conomique en chef de la division anti-trust du DĂ©partement de la Justice des États-Unis de 1938 Ă  1946, fut responsable de l'enquĂȘte sur les cartels, dominĂ©s par l'entreprise IG Farben durant la guerre[38].

Vingt-quatre dirigeants d’IG Farben sont jugĂ©s pour leur large contribution Ă  l'effort de guerre nazi, par un tribunal amĂ©ricain en 1947 Ă  Nuremberg ; certains sont reconnus coupables de crimes de guerre et condamnĂ©s Ă  des peines de prison[39].

Outre de nombreux documents et tĂ©moignages accablants, le tribunal dĂ©couvre que l'avocat en chef Von Knieriem a notamment fait en sorte de permettre la construction pour Hitler et ses ministres (dont l'un Ă©tait membre Ă©minent d’IG Farben) de trente-six « usines fantĂŽmes » (c'est-Ă -dire secrĂštes) subventionnĂ©es par la Wehrmacht mais dĂ©tenues, dirigĂ©es et exploitĂ©es par Farben via des hommes de paille ou des sociĂ©tĂ©s-Ă©crans[40].

Cette technique mise en Ɠuvre par les services juridiques d’IG Farben, non illĂ©gale selon les lois du commerce, a eu au moins un prĂ©cĂ©dent : en 1934, Von Knieriem avait en effet dĂ©jĂ  proposĂ© Ă  la Wehrmacht de secrĂštement stocker du nickel en tant que mĂ©tal stratĂ©gique. Ceci lui a donnĂ© l'idĂ©e de crĂ©er une une sociĂ©tĂ© dont le but serait de construire des entrepĂŽts capables de stocker de grandes quantitĂ© d'essence, de pyrite et « d’autres matĂ©riaux stratĂ©giques ». IG Farben est l’un des fondateurs de cette sociĂ©tĂ©, baptisĂ©e « WIFO »[40].

Par exemple, Ă  Ammendorf, dans une usine secrĂšte (souterraine) propriĂ©tĂ© d’IG Farben, des employĂ©s transformaient le thiodiglycol en sulfure de dichlordiĂ©thyle (l'ypĂ©rite, vendue Ă  la Wehrmacht comme gaz de combat). Von Knieriem, chargĂ© du contrat a prĂ©tendu au tribunal qu'il ignorait ce qu'Ă©tait le sulfure de dichlordiĂ©thyle. Il avait fait en sorte, pour se protĂ©ger, qu’IG Farben ne signe jamais directement d’accord de licence avec cette usine, mais les enquĂȘteurs du tribunal de Nuremberg montreront aprĂšs la guerre qu’IG Farben Ă©tait dans ce cas passĂ© par une sociĂ©tĂ© Ă©cran baptisĂ©e Orgacid (qu’elle dĂ©tenait)[40].

Devant l’abondance de preuves de leur implication dans la mort de millions de gens, le groupe chimique et ses 24 dirigeants sont reconnus coupables. Cependant, bien dĂ©fendus par des avocats allemands expĂ©rimentĂ©s, ils ne seront condamnĂ©s qu'Ă  des peine lĂ©gĂšres eu Ă©gard Ă  leur responsabilitĂ©. Ainsi le Dr Carl Krauch d’IG Farben, bien qu'il ait Ă©tĂ© ministre d'Hitler et qu'il ait, Ă  lui seul, construit la presque totalitĂ© du plan industriel de relance de l'industrie de guerre de stocks stratĂ©giques, ne sera condamnĂ© qu'Ă  six ans de prison Ă  la conclusion du procĂšs spĂ©cial contre le cartel chimique, dit procĂšs IG Farben, notamment instruit par Josiah E. DuBois Jr. (en) (l’un des procureurs en chef du procĂšs de Nuremberg, prĂ©sident du tribunal chargĂ© de ce dossier, juriste alors spĂ©cialiste des trusts, de la loi antitrust amĂ©ricaine et des lobbys et trafics d'influence)[40]. Les avocats d’IG Farben ont basĂ© la dĂ©fense de leurs clients sur le fait que la sociĂ©tĂ© n'a pas produit directement d'armes ou d'engins de guerre, mais simplement des produits chimiques qui ont servi Ă  faire des explosifs, des peintures, des pneus, etc. qui auraient tout aussi bien pu avoir des usages civils. Ils ont aussi profitĂ© du fait qu’IG Farben avait dĂ©truit ou falsifiĂ© ses archives.

Dans le cadre de la dénazification, la Haute commission alliée décide en de prendre les mesures nécessaires pour éclater le conglomérat.

Il est dĂ©cidĂ© de scinder les actifs en neuf sociĂ©tĂ©s : BASF, Bayer et Hoechst d’une part, et six autres sociĂ©tĂ©s plus petites (dont Agfa, Kalle, Cassella et Huels). Mais en , les actions de ces petites entreprises sont finalement cĂ©dĂ©es aux trois grosses ; seules Cassella et Huels restent indĂ©pendantes. Les actions des cinq sociĂ©tĂ©s devaient ĂȘtre donnĂ©es aux anciens actionnaires d’IG Farben[41].

Cependant, en raison de diverses rĂ©clamations (notamment celles des anciens esclaves de l’entreprise demandant une compensation financiĂšre) et de l’impossibilitĂ© d’accĂ©der aux actifs de l’Allemagne de l’Est, la liquidation ne peut pas encore avoir lieu[41]. Par ailleurs, l’entreprise verse 30 millions de marks aux anciens dĂ©tenus qui travaillaient pour elle[42].

Lorsque la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale d’Allemagne devient indĂ©pendante, en 1955, la rĂšgle qui interdisait aux anciens dirigeants condamnĂ©s par le tribunal de Nuremberg d’administrer Ă  nouveau une des entreprises issues d’IG Farben n’est plus respectĂ©e : Friedrich JĂ€hne (de) et Fritz ter Meer, pourtant condamnĂ©s pour crimes de guerre, deviennent respectivement prĂ©sident de Hoechst et de Bayer[41].

AprĂšs la rĂ©unification de l'Allemagne en 1990, la promesse de la liquidation d’IG Farben devient plus concrĂšte, ce qui fait augmenter la spĂ©culation sur l’entreprise qui est cotĂ©e Ă  la bourse de Francfort[42]. Finalement, la liquidation intervient en 2003[43] - [44].

Le siĂšge social d’IG Farben, construit Ă  Francfort-sur-le-Main par l'architecte Hans Poelzig et qui Ă©tait considĂ©rĂ©, en son temps, comme Ă©tant le plus moderne d'Europe, fut rĂ©cupĂ©rĂ© intact par les AmĂ©ricains en 1945. Il abrita jusqu’à la chute du mur de Berlin le quartier gĂ©nĂ©ral des forces amĂ©ricaines en Allemagne.

AprÚs leur départ, il a été entiÚrement rénové et transformé en un campus, celui de l'Université Johann Wolfgang Goethe.

Collusion d’IG Farben avec des entreprises de pays en guerre contre l'Allemagne

Une controverse sur les suites à donner aux relations troubles entre la direction de l'entreprise et des entreprises étrangÚres durant la période nazie perdure.

Les documents collectĂ©s lors du procĂšs de Nuremberg montrent en effet que plusieurs hommes d’affaires amĂ©ricains, dont Edsel Ford, Henry Ford, Walter Teagle, C.E. Mitchell (en), Paul Warburg et W.E. Weiss, jouent un rĂŽle essentiel dans le dĂ©veloppement d’IG Farben : ils connaissent ses objectifs de guerre et bĂ©nĂ©ficient financiĂšrement des commandes de l’Allemange et des relations d’IG Farben avec Hitler et le rĂ©gime de Vichy. Cette collusion permet, par exemple, que Ford France soit dĂ©dommagĂ© Ă  hauteur de 38 000 000 francs pour les dommages subis lors du bombardement de Poissy par la RAF et, qu’en Allemagne, Ford puisse continuer Ă  travailler, en contribuant donc Ă  l'effort de guerre nazi, sans mĂȘme ĂȘtre noyĂ© dans le conglomĂ©rat industriel automobile allemand[45].

AprÚs le procÚs de Nuremberg, le procureur en chef DuBois commentera ainsi rétrospectivement ces transactions : « Sauvée par l'influence de Carl Krauch, la Ford française devient l'une des entreprises les plus productives de France pendant la guerre »[40].

Galerie

Notes et références

Notes

  1. IG-Farbenindustrie AG s'Ă©crit au long Interessengemeinschaft Farbenindustrie Aktien Gesellschaft :
    • Interessengemeinschaft : « Groupement d'intĂ©rĂȘt Ă©conomique » ;
    • Farbenindustrie : « industrie des couleurs » ;
    • Aktien Gesellschaft : « sociĂ©tĂ© par actions ».

Références

  1. Pressearchiv 20. Jahrhundert, (organisation), consulté le
  2. Pressearchiv 20. Jahrhundert, (organisation), consulté le
  3. Pressearchiv 20. Jahrhundert, (organisation), consulté le
  4. Pressearchiv 20. Jahrhundert, (organisation), consulté le
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  11. Pressearchiv 20. Jahrhundert, (organisation), consulté le
  12. « https://www.loc.gov/rr/frd/Military_Law/pdf/Law-Reports_Vol-10.pdf »
  13. (en) « Flourishing in a dictatorship: Agfa's marketing and the Nazi regime », Journal of Historical Research in Marketing, Emerald Group Publishing (d),‎ (ISSN 1755-750X et 1755-7518, DOI 10.1108/17557501311293361, lire en ligne) :
    « The purpose of this paper is to understand how Agfa, a division of IG Farben and Germany's leading producer of photographic equipment, adapted its marketing strategy to the new political environment created by the Nazi regime. This was a time when many consumer goods manufacturers suffered from the state‐driven reallocation of resources favoring the armament industry. Agfa, however, expanded its production well into the war. »
  14. Pressearchiv 20. Jahrhundert, (organisation), consulté le
  15. Pressearchiv 20. Jahrhundert, (organisation), consulté le
  16. Pressearchiv 20. Jahrhundert, (organisation), consulté le
  17. Pressearchiv 20. Jahrhundert, (organisation), consulté le
  18. Norbert Wollheim Memorial.
  19. Pr Hayes, La StratĂ©gie industrielle de l’IG Farben en France occupĂ©e, p. 496.
  20. Peter Collier et David Horowitz, Une dynastie américaine : les Rockefeller, Paris, Seuil, 1976, p. 202.
  21. FrĂ©dĂ©ric F. Clairmont, « I.G Farben et le IIIe Reich », Le Monde diplomatique,‎ (lire en ligne AccĂšs libre, consultĂ© le ).
  22. P. Hayes, La stratĂ©gie industrielle de l’IG Farben en France occupĂ©e, p. 494.
  23. Calculs rapportĂ©s par Peter Hayes, professeur d'Histoire Ă  l'universitĂ© d'Evanston, Illinois, États-Unis (voir Bibliographie) Ă  partir des donnĂ©es des archives de Bayer (RĂ©f. 15/Da 1.2, « I.G.-Gesamt-UmsĂ tze 1937/41, RoherlĂŽse »), les chiffres pour les colorants comprenant aussi ceux des produits intermĂ©diaires.
  24. Peter Hayes, Industry and Ideology, p. 342.
  25. [PDF] Jean-Marie Michel, Contribution Ă  l’histoire industrielle des polymĂšres en France, « Kuhlmann », page 5.
  26. N1-7107, procĂšs-verbal du Unternehmensbeirat, 11. III. 41.
  27. Carl Duisberg cité par Peter Hayes, Industry and Ideology, p. 45-46, 268-269.
  28. Peter Hayes, La stratĂ©gie industrielle de l’IG Farben en France occupĂ©e [PDF], Histoire, Ă©conomie et sociĂ©tĂ©, 1992, vol. 11, no 11-3, p. 493-514, 23 p..
  29. Omnium des Produits Azotiques, France Archives.
  30. Gilles Smadja, « La France a produit pour les nazis des quantitĂ©s massives de Zyklon B », L'HumanitĂ©,‎ (lire en ligne).
  31. Pr Hayes : « IG ne devait pas ĂȘtre satisfaite de l'idĂ©e trĂšs rĂ©pandue parmi les experts Ă©conomiques en Allemagne selon laquelle un Ordre Nouveau aprĂšs la guerre pourrait relĂ©guer la production des biens de consommation courante aux États pĂ©riphĂ©riques » ; voir Erich Welter, Der Weg der deutschen Industrie, Francfort, 1943, p. 197-205.
  32. Voir Note 81 in P. Hayes, avec calculĂ© Ă  partir de NI-11412-A, DĂ©claration de Kurt Hauptman, 17.XI.47, qui est une reprise en tableau des donnĂ©es contenues dans NI-3762-A, un tableau en couleur prĂ©parĂ© par le ComitĂ© Technique de Farben en 1944. « Les archives encore disponibles concernant les besoins d’IG Farben en matiĂšre de travailleurs Ă©trangers, gĂ©nĂ©ralement forcĂ©s, sont quelque peu inconsistantes » prĂ©cise Hayes.
  33. Voir N1-1048, Schmitzler Ă  Schneider, 12.XI.42.
  34. Primo Levi, Rapport sur Auschwitz (Voir notamment le Rapport sur l’organisation hygiĂ©nico-sanitaire du camp de concentration de Monowitz pour Juifs), KimĂ©, 2005, 111 p..
  35. DĂ©claration de H. Walter ; N1-5193, DĂ©claration de Schnitzler, 7.III.47 ; N1-8077, procĂšs-verbal du Vorstand d'IG le 10. VII. 41 et Document de DĂ©fense Schnitzler 54, PiĂšce de dossier de Schnitzler, 16- 19. VI. 41.
  36. Hayes, La stratĂ©gie industrielle de l’IG Farben en France occupĂ©e, p. 498.
  37. Voir N1-6840, PiÚce de dossier de Terhaar, 7.VIII.4O ; C. Ungewitter, « Industrie Organisation in Europa », Europa-Kabel, no 19 (10.X.41), cité par Peter Hayes.
  38. (en) Joseph Borkin, « The Crime and Punishment of I.G. Farben », (consulté le ).
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Voir aussi

Bibliographie

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Articles connexes

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