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Polonium

Le polonium est l'élément chimique de numéro atomique 84 et de symbole Po. C'est un « métal pauvre » radioactif. Seul l'isotope 210Po est présent naturellement, à l'état de traces dans les minerais d'uranium (produit de la désintégration radioactive du radon, et l'un des principaux facteurs d'induction des cancers du poumon dits radio-induits par le radon).

Histoire

Marie et Pierre Curie en 1900.

C'est le premier Ă©lĂ©ment dĂ©couvert par Pierre et Marie SkƂodowska-Curie, en , au cours de leurs recherches sur la radioactivitĂ© de la pechblende[Note 1] menĂ©es Ă  l'École municipale de physique et de chimie industrielles (aujourd'hui ESPCI Paris). Ce n'est que plus tard qu'ils dĂ©couvrirent le radium. Le mot polonium a Ă©tĂ© ainsi choisi en hommage aux origines polonaises de Marie Curie, nĂ©e Maria SkƂodowska.

Isotopes

Le polonium possĂšde 33 radioisotopes, d'une masse atomique variant entre 188 et 220 u. L'isotope Ă  la durĂ©e de vie la plus longue est le polonium 209 (209Po) avec une demi-vie de 125,2 ans[3], et l’isotope naturellement prĂ©sent Ă  la durĂ©e de vie la plus courte est le polonium 210 (210Po) avec une demi-vie de 138,376 jours.

Propriétés

Le polonium est un mĂ©tal pauvre de faible point de fusion (254 °C). Il est aussi trĂšs volatil et finirait par se sublimer entiĂšrement mĂȘme Ă  tempĂ©rature ambiante. Il perd 50 % de sa masse en 45 heures en n'Ă©tant chauffĂ© qu'Ă  55 °C, peut-ĂȘtre par dĂ©sagrĂ©gation Ă  l'Ă©chelle atomique induite par sa trĂšs forte activitĂ© α, laquelle a d'ailleurs pour effet de le maintenir Ă  tempĂ©rature Ă©levĂ©e.

Le polonium est assimilĂ© par les organismes vivants en raison de sa chimie similaire Ă  celles du tellure et du bismuth : on a montrĂ© que certains micro-organismes sont capables de mĂ©thyler le polonium Ă  l'aide de mĂ©thylcobalamine, de la mĂȘme façon qu'elles peuvent mĂ©thyler le mercure, le sĂ©lĂ©nium et le tellure.

C’est un Ă©metteur de rayonnement alpha. Le 210Po a une pĂ©riode radioactive de 138 jours et 9 heures.

Il est généré par la suite de désintégrations qui, partant de l'uranium 238 et passant, entre autres, par le radium 226, le radon 222 et le plomb 210, aboutissent au polonium 210 puis se terminent par le plomb 206, stable.

Chaßne (principale) de désintégration :
238U α→ 234Th ÎČ→ 234Pa ÎČ→ 234U α→ 230Th α→ 226Ra α→ 222Rn α→ 218Po α→ 214Pb ÎČ→ 214Bi ÎČ→ 214Po α→ 210Pb ÎČ→ 210Bi ÎČ→ 210Po α→ 206Pb (stable)

Il se dĂ©sintĂšgre en Ă©mettant des particules alpha dont l’énergie typique est de 5,3 MeV. Pour comparaison, l’énergie transportĂ©e par les rayons du soleil (domaine visible) n’est que de l’ordre de quelques Ă©lectrons volts (eV). Ces particules alpha sont des rayonnements ionisants de forte Ă©nergie capables de gĂ©nĂ©rer des dĂ©gĂąts importants lors de leurs interactions avec la matiĂšre vivante (cellules, ADN). L’exposition aux rayonnements ionisants augmente les risques de cancer, d’anomalies gĂ©nĂ©tiques, et pourrait avoir de nombreuses consĂ©quences sanitaires autres que les cancers. Le polonium 210 prĂ©sente une trĂšs forte activitĂ© spĂ©cifique, de 166 TBq/g[5]. Un seul gramme de 210Po pur est donc le siĂšge de 1,66×1014 dĂ©sintĂ©grations par seconde, et Ă©met donc des particules α au mĂȘme rythme que 4,5 kg de radium 226 ou 13,5 tonnes d’uranium 238.

ÉlĂ©ment radioactif naturellement prĂ©sent dans l’environnement et la chaĂźne alimentaire, le polonium 210 est prĂ©sent en quantitĂ© infinitĂ©simale (en masse) dans l’écorce terrestre. Mais compte tenu de sa trĂšs forte radioactivitĂ©, les rĂ©sultats exprimĂ©s en becquerels par kilogramme de sol ne sont pas nĂ©gligeables.

La radioactivitĂ© du polonium 210 est tellement Ă©levĂ©e qu’il dĂ©gage une importante chaleur (140 watts par gramme). Ainsi, selon l'Argonne National Laboratory aux États-Unis, la tempĂ©rature d’une capsule contenant environ un demi-gramme de polonium 210 peut dĂ©passer 500 °C. Cette propriĂ©tĂ© a Ă©tĂ© utilisĂ©e pour dĂ©velopper des gĂ©nĂ©rateurs thermo-Ă©lectriques lĂ©gers utilisĂ©s par exemple dans le domaine spatial comme source d’énergie pour les satellites.

Production

Dix grammes d'uranium ne peuvent produire qu'un milliardiÚme de gramme de polonium. Sa production nécessite un réacteur nucléaire d'un type particulier, capable d'irradier du bismuth avec des neutrons. Seuls les pays nucléaires disposent du savoir-faire et des équipements nécessaires à sa fabrication[6].

La production annuelle est estimĂ©e Ă  un maximum de 100 grammes, en Russie pour la plus grande part[7].

Utilisations

Un générateur thermoélectrique utilisant les radioisotopes de Polonium 210 (RTG). Réalisé par le laboratoire de Mound en 1958.
  • Source alpha.
  • Source de neutrons, en mĂ©lange avec le bĂ©ryllium : ce dernier Ă©met un neutron lors de l'absorption d'une particule alpha, produite par le 210Po. Ce systĂšme est utilisĂ© comme source primaire au dĂ©marrage des rĂ©acteurs nuclĂ©aires, comme dĂ©tonateur dans les premiĂšres bombes nuclĂ©aires[8] ou dans le domaine spatial comme source d’énergie pour les satellites.
  • Le polonium 210 est Ă©galement utilisĂ© dans les applications antistatiques, telles que les certaines brosses pour matĂ©riels sensibles Ă  l'Ă©lectricitĂ© statique, bien que les sources ÎČ soient gĂ©nĂ©ralement prĂ©fĂ©rĂ©es car nettement moins dangereuses.
  • Source de chaleur. Le polonium 210 dĂ©gage 140 watts par gramme. Ainsi, selon l'Argonne National Laboratory aux États-Unis, la tempĂ©rature d’une capsule contenant environ un demi-gramme de polonium 210 peut dĂ©passer 500 °C. Cette propriĂ©tĂ© a Ă©tĂ© utilisĂ©e pour dĂ©velopper des gĂ©nĂ©rateurs thermoĂ©lectriques lĂ©gers utilisĂ©s par exemple dans le domaine spatial comme source d’énergie pour les satellites et de robots d'exploration planĂ©taires, tels que les Lunokhod soviĂ©tiques.

Intoxication au polonium

Le polonium est un Ă©lĂ©ment hautement radioactif et toxique. MĂȘme pour de faibles quantitĂ©s (quelques microgrammes), la manipulation de 210Po est trĂšs dangereuse et nĂ©cessite un Ă©quipement spĂ©cial et des procĂ©dures strictes. AbsorbĂ© dans les tissus, il provoque des dommages directs par Ă©mission de particules alpha. L'absorption de 1 Ă  10 microgrammes est suffisante pour provoquer la mort.

L’activitĂ© maximale admissible pour du polonium ingĂ©rĂ© est seulement de 1 100 becquerel, soit l’équivalent Ă  6,6×10-12 gramme. À masse identique, le polonium est environ 106 fois plus toxique que le cyanure de sodium ou le cyanure de potassium.

L'intoxication au polonium a Ă©tĂ© suspectĂ©e comme cause du dĂ©cĂšs de Yasser Arafat, Ă  la suite d'analyses rĂ©alisĂ©es par des experts suisses[9]. Leurs rĂ©sultats montraient une concentration plus Ă©levĂ©e qu'attendue de cette substance dans les restes de l'homme d'État, tout en atteignant des seuils qui ne permettent pas de conclure dĂ©finitivement. En revanche des analyses rĂ©alisĂ©es Ă  la demande de la justice française ont Ă©cartĂ© l'hypothĂšse d'un empoisonnement[10].

L'espion russe Alexandre Litvinenko a Ă©tĂ© assassinĂ© par empoisonnement avec cette substance en 2006[11]. La quantitĂ© de polonium 210 qui lui aurait Ă©tĂ© « administrĂ©e » Ă©tait probablement trĂšs Ă©levĂ©e, puisqu’elle a conduit Ă  son dĂ©cĂšs en trois semaines. En utilisant des donnĂ©es toxicologiques sur les animaux de laboratoire, on peut imaginer qu’il s’agissait de quelques microgrammes de polonium 210. Le coĂ»t de la dose de polonium 210 qui aurait tuĂ© ce dernier est estimĂ© Ă  25 millions de dollars US par le Berliner Zeitung.

Présence dans le tabac

Du fait de l’utilisation d’engrais Ă  base d'apatites, le tabac contient du 210Po. La fumĂ©e inhalĂ©e ou exhalĂ©e par les fumeurs contient une proportion infime mais dĂ©jĂ  potentiellement dangereuse de polonium[12], de l'ordre de 5 Ă  10 Â”Sv (micro Sv) par cigarette[13].

On estime qu'un pour cent des cancers du poumon aux États-Unis est causĂ© par le polonium 210[14], du fait de l'effet des faibles doses d'irradiation cumulĂ©es par les fumeurs. Cette estimation repose cependant sur une extrapolation aux faibles doses, dont l'impact rĂ©el est trĂšs mal connu, de l'effet des fortes doses par une modĂ©lisation linĂ©aire sans seuil.

À la suite de la dĂ©couverte du polonium dans la fumĂ©e de cigarettes au dĂ©but des annĂ©es 1960[15] - [16], les grands fabricants amĂ©ricains se sont penchĂ©s sur des mĂ©thodes susceptibles de rĂ©duire les quantitĂ©s prĂ©sentes, allant dans le cas de Philip Morris jusqu'Ă  dĂ©velopper le premier laboratoire capable de mesurer de façon fiable les doses libĂ©rĂ©es. En dĂ©pit de rĂ©sultats internes favorables indiquant que la prĂ©sence de polonium Ă©tait deux Ă  trois fois infĂ©rieure aux premiĂšres estimations[17], la dĂ©cision fut prise par les avocats de la compagnie de ne pas publier cette information, le risque en termes de relations publiques et de procĂšs Ă©tant perçu comme trĂšs supĂ©rieur aux bĂ©nĂ©fices d'une telle annonce[18]. En outre, les diverses tentatives menĂ©es par les compagnies pour diminuer la prĂ©sence du polonium dans les plants se rĂ©vĂ©laient insatisfaisantes[19] - [20] - [21]. Communiquer sur ce sujet risquait, selon ces responsables, de « rĂ©veiller un gĂ©ant endormi » en gĂ©nĂ©rant une nouvelle controverse[22] - [21].

Notes et références

Notes

  1. Cet Ă©lĂ©ment, une fois isolĂ©, s'est rĂ©vĂ©lĂ© 300 fois plus radioactif que la pechblende.

Références

  1. (en) Beatriz Cordero, VerĂłnica GĂłmez, Ana E. Platero-Prats, Marc RevĂ©s, Jorge EcheverrĂ­a, Eduard Cremades, Flavia BarragĂĄn et Santiago Alvarez, « Covalent radii revisited », Dalton Transactions,‎ , p. 2832 - 2838 (DOI 10.1039/b801115j)
  2. (en) David R. Lide, CRC Handbook of Chemistry and Physics, CRC, , 89e Ă©d., p. 10-203
  3. (en) CollĂ© R., « A new determination of the 209Po half-life », Journal of Physics G: Nuclear and Particle Physics, vol. 41, no 10,‎ , p. 105103 (DOI 10.1088/0954-3899/41/10/105103)
  4. (en) David R. Lide, CRC Handbook of Chemistry and Physics, CRC Press Inc, , 90e éd., 2804 p., Relié (ISBN 978-1-420-09084-0)
  5. CEA — Direction des sciences du vivant Polonium.
  6. La Croix du 07/11/2013|.
  7. L'Express du 07/11/2013|.
  8. « Affaire Litvinenko : l’hypothĂšse du terrorisme nuclĂ©aire », article de Claude Rainaudi sur le site maniprop.com dont il est coresponsable avec Jean-LĂ©on Beauvois.
  9. Froidevaux P, Baechler S, Bailat CJ et al. Improving forensic investigation for polonium poisoning, Lancet, 2013;382:1308.
  10. Le Monde du 16.03.2015 - Mort d'Arafat : les experts français écartent à nouveau la thÚse de l'empoisonnement.
  11. Harrison J, Leggett R, Lloyd D, Phipps A, Scot B, Polonium-210 as a poison, J Radiol Prot, 2007;27:17-40.
  12. (en) J. Marmonstein, « Lung cancer: is the increasing incidence due to radioactive polonium in cigarettes? », .
  13. Voir par exemple Polonium-210 budget in cigarettes, Ashraf E.M. Khater, Journal of Environmental Radioactivity 71 (2004) 33–41.
  14. Radford E., "Radioactivity in cigarette smoke [letter to the editor]", N Engl J Med (1982), 307(23):1449–1450.
  15. Radford EP Jr, Hunt VR, "Polonium 210: a volatile radioelement in cigarettes", Science (1964) Jan 17;143:247-9".
  16. Kelley TF, "Polonium 210 content of mainstream cigarette smoke", Science (1965) Jul 30;149:537-8.
  17. Martell E., "Radioactivity of tobacco trichomes and insoluble cigarette smoke particles", Nature (1974) 249:215–217 .
  18. Seligman R., Philip Morris. January 18, 1990. Bates no. 100372 5602. R. Seligman, « America’s electric energy companies’ad. » (consultĂ© le ) citĂ© par Monique E. Muggli, Jon O. Ebbert, Channing Robertson, et Richard D. Hurt, « Waking a Sleeping Giant: The Tobacco Industry’s Response to the Polonium-210 Issue », American Journal of Public Health 98(9):1643-1650. (consultĂ© le ) .
  19. Philip Morris, « Radiochemistry polonium », (consulté le ).
  20. W. Gannon, « 210Po Manuscript », (consulté le ).
  21. Monique E. Muggli, Jon O. Ebbert, Channing Robertson, et Richard D. Hurt, « Waking a Sleeping Giant: The Tobacco Industry’s Response to the Polonium-210 Issue », American Journal of Public Health 98(9):1643-1650. (consultĂ© le ).
  22. P. Eichorn, « note manuscrite », (consulté le ).

Sources

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes



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