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Isotope

On appelle isotopes (d'un certain Ă©lĂ©ment chimique) les nuclĂ©ides partageant le mĂȘme nombre de protons (caractĂ©ristique de cet Ă©lĂ©ment), mais ayant un nombre de neutrons diffĂ©rent. Autrement dit, si l'on considĂšre deux nuclĂ©ides dont les nombres de protons sont Z et Z', et les nombres de neutrons N et N', ces nuclĂ©ides sont dits isotopes si Z = Z' et N ≠ N'.

Quelques isotopes de l'oxygĂšne, de l'azote et du carbone.

Par extension, on appelle souvent isotope un nucléide caractérisé par son nombre de protons Z et son nombre de neutrons N (ou son nombre de masse A = Z + N), mais sans distinction concernant son spin ou son état énergétique.

Contexte — En physique nuclĂ©aire et en chimie, chaque noyau d'atome ou nuclĂ©ide est dĂ©fini par son nombre de protons Z (appelĂ© aussi numĂ©ro atomique, qui dĂ©finit d'ailleurs le type d'Ă©lĂ©ment chimique), son nombre de neutrons N, son spin s et son niveau Ă©nergĂ©tique.

Les isotopes ne doivent pas ĂȘtre confondus avec :

  • les isotones, nuclĂ©ides ayant le mĂȘme nombre de neutrons mais un nombre de protons diffĂ©rent (Z ≠ Z' mais N = N') ;
  • les isobares, nuclĂ©ides ayant des nombres de protons diffĂ©rents, des nombres de neutrons diffĂ©rents, mais des nombres de masse identiques (Z ≠ Z', N ≠ N', mais Z + N = A = A' = Z' + N') ;
  • les isomĂšres, nuclĂ©ides ayant le mĂȘme nombre de protons Z et le mĂȘme nombre de neutrons N (donc aussi le mĂȘme nombre de masse A), mais pas le mĂȘme spin ni le mĂȘme niveau Ă©nergĂ©tique.

Notation

Chaque isotope est représenté par un symbole A
Z
M
composé de :

Le carbone 12 et le carbone 14, deux isotopes de l'élément carbone, sont ainsi notés 12
6
C
et 14
6
C
. Le numéro atomique est souvent omis, car redondant avec le symbole chimique[alpha 1] : 12C et 14C, par exemple.

On peut également représenter les isotopes par leur nom suivi de leur nombre de masse séparé par une espace (et non un tiret, contrairement à l'anglais) : carbone 14, oxygÚne 18, fer 56, etc.

Cas particulier de l'hydrogÚne : les isotopes les plus courants de l'hydrogÚne sont normalement notés 1H (protium), 2H (deutérium) et 3H (tritium), mais l'IUPAC admet aussi (sans toutefois le recommander) l'usage des symboles D et T pour le deutérium et le tritium[alpha 2], en raison de l'effet isotopique marqué de ces isotopes par rapport au protium.

Propriétés

Les propriĂ©tĂ©s des atomes Ă©tant essentiellement rĂ©gies par leurs cortĂšges Ă©lectroniques, les isotopes d'un mĂȘme Ă©lĂ©ment chimique ont essentiellement les mĂȘmes propriĂ©tĂ©s physiques et chimiques, qualitativement et quantitativement[alpha 3]. La diffĂ©rence de masse entre isotopes, parce qu'elle affecte l'Ă©nergie cinĂ©tique des atomes et des molĂ©cules, entraĂźne cependant de lĂ©gĂšres diffĂ©rences de propriĂ©tĂ©s, appelĂ©es effets isotopiques. Ces effets sont d'autant plus importants que la diffĂ©rence relative de masse est grande ; ils sont donc maximaux pour l'hydrogĂšne (la masse de 2H est le double de celle de 1H) et minimaux pour les Ă©lĂ©ments les plus lourds (la masse de 235U, par exemple, n'est supĂ©rieure Ă  celle de 234U que de 0,4 %).

  • Un premier effet concerne les propriĂ©tĂ©s Ă  l'Ă©quilibre. Quand dans un corps simple on remplace un atome par un isotope plus lourd, on augmente notamment, mais lĂ©gĂšrement, les tempĂ©ratures de fusion et d'Ă©bullition, ainsi que les chaleurs latentes correspondantes (de fusion et de vaporisation). Leurs valeurs sont ainsi de 3,81 °C, 101,42 °C, 6,132 kJ/mol et 41,521 kJ/mol pour l'eau lourde 2H216O, contre 0 °C, 100 °C, 6,007 kJ/mol et 40,657 kJ/mol pour l'eau lĂ©gĂšre 1H216O.
  • Un second effet concerne la vitesse des processus de retour Ă  l'Ă©quilibre (Ă©coulement, diffusion, rĂ©actions chimiques, etc.). Quand dans un corps simple on remplace un atome par un isotope plus lourd, toutes ces vitesses sont diminuĂ©es. La viscositĂ© de l'eau Ă  20 °C est ainsi de 1,246 7 Ă— 10−3 Pa s pour l'eau lourde, contre 1,001 6 Ă— 10−3 Pa s pour l'eau lĂ©gĂšre.

Ces effets sont mis à profit pour séparer les isotopes (pour la recherche, la médecine et l'industrie nucléaire, notamment). Les températures d'ébullition légÚrement différentes ont par exemple permis les premiers enrichissements isotopiques par distillation à l'aide d'une colonne de distillation à bande tournante[1]. L'enrichissement en 235U de l'uranium naturel se fait aujourd'hui par diffusion thermique, diffusion à l'état gazeux, centrifugation ou séparation électromagnétique.

Stabilité

Il existe 80 éléments chimiques ayant au moins un isotope stable, de l'hydrogÚne 1H au plomb 82Pb (81 éléments si l'on inclut le bismuth 83Bi[alpha 4]). Le technétium 43Tc, le prométhium 61Pm et tous les éléments de numéro atomique supérieur à 83 n'ont, quant à eux, aucun isotope stable.

Le noyau d'un atome est constituĂ© d'une part de protons qui se repoussent sous l'action de l'interaction Ă©lectromagnĂ©tique (les charges Ă©lectriques de mĂȘme nature se repoussent) mais qui s'attirent sous l'action de l'interaction forte. Dans un noyau, la stabilitĂ© est donc assurĂ©e par l'interaction forte, et par les neutrons qui, Ă©loignant les protons les uns des autres, diminuent l'intensitĂ© de la rĂ©pulsion Ă©lectromagnĂ©tique entre les protons, d'oĂč les propriĂ©tĂ©s suivantes :

Pour ces centaines d'isotopes naturels, les nombres respectifs de protons et de neutrons semblent respecter certaines rĂšgles :

  • le nombre de neutrons est Ă  peu prĂšs Ă©gal Ă  celui des protons pour les Ă©lĂ©ments lĂ©gers ; Ă  partir du 21Sc, le nombre de neutrons devient supĂ©rieur au nombre de protons, l'excĂ©dent dĂ©passant 50 % pour les Ă©lĂ©ments les plus lourds ;
  • certains noyaux particuliĂšrement stables contiennent des protons ou des neutrons (ou les deux) en nombre Ă©gal Ă  un des « nombres magiques » suivants : 2, 8, 20, 28, 50, 82, 126.Selon les thĂ©ories actuelles, ces valeurs correspondraient Ă  des noyaux possĂ©dant des couches complĂštes de neutrons ou de protons ;
  • les Ă©lĂ©ments de nombre Z impair possĂšdent moins d'isotopes stables que les Ă©lĂ©ments de nombre Z pair.

Il existe des milliers de noyaux instables, de durĂ©e de vie trĂšs courte (jusqu'Ă  10−23 seconde), qui ne peuvent ĂȘtre produits qu'en laboratoire. On les qualifie de noyaux exotiques, notamment en raison de leurs propriĂ©tĂ©s spĂ©cifiques (grandes dĂ©formations, halos de neutron, etc.).

Utilisations

Analyse isotopique

Un exemple trĂšs connu de couple d'isotopes est constituĂ© par le carbone : le carbone est prĂ©sent en grande majoritĂ© sous son isotope de masse atomique 12 (le « carbone 12 ») ; d'autre part, on peut trouver en faible quantitĂ© l'isotope de masse atomique 14 (le carbone 14), qui est chimiquement strictement Ă©quivalent au carbone 12, mais qui est radioactif. En effet, les neutrons supplĂ©mentaires du noyau rendent l'atome instable. Il se dĂ©sintĂšgre en donnant de l'azote 14 et en Ă©mettant un rayonnement bĂȘta.

  • Le rapport 18O/16O (par exemple dans les apatites des fossiles de vertĂ©brĂ©s) permet, dans une certaine mesure, de reconstituer certains palĂ©oclimats[2] ;
  • Dans le domaine mĂ©dical (mĂ©decine lĂ©gale, mĂ©decine du travail, toxicologie, etc.) l'analyse isotopique permet de diffĂ©rencier diverses sources de contamination, et souvent d'identifier ainsi la source d'une intoxication[3].
  • Dans le domaine de l'Ă©valuation environnementale, l'analyse isotopique d'un organisme, du sol ou de sĂ©diments permet de diffĂ©rencier la partie naturelle de la part anthropique d'une contamination par certains mĂ©taux, dont le plomb[4]. Sur la base de signatures isotopiques particuliĂšres, on peut distinguer le plomb de cĂ©ramiques, du plomb issu de la combustion du charbon et de l'essence[4]. On peut ainsi tracer l'origine d'une pollution actuelle ou passĂ©e (dĂ©posĂ©e dans les sĂ©diments). On a ainsi pu montrer que dans la Baie de San SimĂłn (partie intĂ©rieure de la RĂ­a de Vigo situĂ©e au nord-ouest de l'Espagne), selon les Ă©poques, l'homme a Ă©tĂ© responsable de 25 Ă  98 % des apports de plomb trouvĂ© dans les Ă©chantillons de la zone intertidale, et de 9 Ă  84 % dans les Ă©chantillons subtidaux. Les variations temporelles observĂ©es dans les carottes de sĂ©diments ont pu ĂȘtre reliĂ©es, d'abord aux retombĂ©es de fumĂ©es de combustion de charbon (60 Ă  70 % du plomb de la baie) avant la crĂ©ation d'une usine de cĂ©ramique dans la rĂ©gion (dans les annĂ©es 1970), qui est alors devenue la principale source de plomb (de 95 Ă  100 % des apports), avant qu'une nouvelle source soit dominante : l'essence plombĂ©e[4]. L'histoire des immiscions de plomb dans l'environnement de cette baie a pu ĂȘtre ainsi dĂ©terminĂ©e pour tout le XXe siĂšcle, et mĂȘme pour le XIXe siĂšcle pour la zone subtidale[4].
  • L'analyse isotopique est utilisĂ©e dans les Ă©tudes du rĂ©seau trophique. En effet, les consommateurs prĂ©sentent une signature isotopique directement reliĂ©e Ă  celle de leurs aliments (elle en diffĂšre peu, et suivant une loi connue). En analysant les rapports isotopiques d'un consommateur et de ses aliments potentiels, il est possible de reconstituer le rĂ©gime probable du consommateur[5].
  • La lutte contre les fraudes utilise la prĂ©cision de ces analyses pour Ă©lucider des responsabilitĂ©s criminelles (dĂ©termination de la marque d'une cartouche de chasse ou origine d'une balle Ă  partir d'un Ă©chantillon de plomb) ou de fraudes alimentaires[6] (par exemple l'analyse des rapports isotopiques stables (13C/12C et 15N/14N) d'Ă©chantillons de viande d'agneau (mesurĂ©e par spectromĂ©trie de masse isotopique) permet de confirmer ou infirmer une origine gĂ©ographique, ou mĂȘme de savoir si l'animal a uniquement tĂ©tĂ© le lait de sa mĂšre, ou reçu des supplĂ©mentations solides (maĂŻs, soja
) ou Ă©tĂ© nourri d'herbe naturelle[6]

    Ces analyses permettent aussi de différencier certains types d'agneau, mais aussi de vin, de jus de fruits, de miel[6] ou de produits laitiers et fromages (dont AOC par exemple[7]).
    Un simple échantillon haché solide suffit et permet d'acquérir l'information pour un grand nombre de métabolites (acides aminés, acides gras, sucres, etc.)[8].

SĂ©paration des isotopes par centrifugation

La proportion de l'isotope stable par rapport Ă  l'isotope instable est la mĂȘme dans l'atmosphĂšre et dans les tissus des ĂȘtres vivants, mais elle varie rĂ©guliĂšrement au cours du temps Ă  la mort de l'individu, puisque les Ă©changes sont stoppĂ©s. C'est sur cette variation que se base la plus connue des mĂ©thodes de datation radioactive par couple d'isotopes, qui est la mĂ©thode de datation par le carbone 14. C'est certainement l'application la plus importante du concept d'isotope. Les traceurs isotopiques sont une autre application de ce concept.

Une application majeure est la séparation des isotopes 235U et 238U de l'uranium, aussi appelé enrichissement ; cette séparation est obtenue par diffusion gazeuse ou par centrifugation d'hexafluorure d'uranium UF6.

La centrifugation se réalise dans une cascade de centrifugeuses qui élÚvent petit à petit le taux de 235U dans le mélange 235U-238U, pour des applications civiles (enrichissement de 5 %) ou militaires (90 %).

Les centrifugeuses sont des cylindres Ă©troits tournant Ă  vitesse Ă©levĂ©e. La force centrifuge est Ă©gale Ă  M.ω2.r oĂč M est la masse unitaire, ω la vitesse angulaire de rotation et r le rayon du cylindre. Pour Ă©viter une rupture mĂ©canique, on choisit r petit et, afin d'avoir une force apprĂ©ciable, on choisit ω trĂšs Ă©levĂ©e (la force est proportionnelle au carrĂ© de la vitesse de rotation). Le taux d'enrichissement recherchĂ© est obtenu en disposant une quantitĂ© importante de centrifugeuses en sĂ©rie (des milliers). Ce mode de sĂ©paration est utilisĂ© par des industriels canadiens, russes, europĂ©ens.

Manipulation et observation d'isotopes sous microscopie Ă©lectronique

Une expérience permettant la mesure de vibrations atomiques dans un microscope électronique a été décrite en 2022. Il devient possible d'identifier les isotopes chimiques à une échelle sub-nanométrique. Ceci devrait permettre, à cette résolution, de construire et suivre des domaines isotopiques[9].

Table des isotopes

Notes et références

Notes

  1. On indique le numéro atomique quand il aide à la compréhension, et notamment dans les réactions nucléaires et les réactions de désintégration pour comprendre le sort de chaque type de particule (proton ou neutron).
  2. Quand on utilise les symboles D et T, le symbole H désigne le protium au lieu de l'élément chimique. On écrit alors H2O, HDO et D2O les formules chimiques de l'eau légÚre, de l'eau semi-lourde et de l'eau lourde.
  3. Compte tenu du rapport des masses, pour ce qui concerne les grandeurs par unité de masse.
  4. On sait depuis 2003 que le bismuth 209 est radioactif, mais sa demi-vie est tellement grande (19 Ă— 1018 annĂ©es donc plus d'un milliard de fois l'Ăąge de l'univers !) que pour toute considĂ©ration pratique on peut le considĂ©rer comme stable.

Références

  1. Milton H. Wahl and Harold C. Urey (1935). J. Chem. Phys. 3, 411. The Vapor Pressures of the Isotopic Forms of Water. « http://jcp.aip.org/resource/1/jcpsa6/v3/i7/p411_s1 »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?).
  2. Ćœivilė ĆœigaitĂ©, Le rapport 18O/16O dans les apatites des vertĂ©brĂ©s du PalĂ©ozoĂŻque : possibilitĂ©s et limites des reconstitutions palĂ©oclimatiques ; Palaeoclimate and Stable Isotope Geochemistry
  3. S. C. Maisant, A. F. Villa, J. Poupon, J. Langrand et R. Garnier, « L’analyse isotopique du plomb: un outil utile en santĂ© au travail quand les sources d’exposition au plomb sont multiples », Archives des Maladies Professionnelles et de l'Environnement, vol. 77, no 3,‎ , p. 485 (rĂ©sumĂ©).
  4. (en) P. Álvarez-Iglesias, B. Rubio et J. Millos, « Isotopic identification of natural vs. anthropogenic lead sources in marine sediments from the inner RĂ­a de Vigo (NW Spain) », Science of The Total Environment, vol. 437,‎ , p. 22-35.
  5. N Hette-Tronquart, J Belliard, CaractĂ©risation des rĂ©seaux trophiques en cours d’eau, 2016 ()
  6. E. Piasentier, R. Valusso, F. Camin, G. Versini, Stable isotope ratio analysis for authentication of lamb meat ; Meat Science, Volume 64, Issue 3, July 2003, Pages 239–247 ([RĂ©sumĂ©])
  7. M.A Brescia, M Monfreda, A Buccolieri, C Carrino, Characterisation of the geographical origin of buffalo milk and mozzarella cheese by means of analytical and spectroscopic determinations ; Food Chemistry Volume 89, Issue 1, January 2005, Pages 139–147 (rĂ©sumĂ©)
  8. D. Sacco, M.A. Brescia, A. Buccolieri, A. Caputi Jambrenghi, Geographical origin and breed discrimination of Apulian lamb meat samples by means of analytical and spectroscopic determinations ; Meat Science Volume 71, Issue 3, November 2005, Pages 542–548 (RĂ©sumĂ©)
  9. (en) Jordan A. Hachtel, « Isotopes tracked on a sub-nanometre scale using electron spectroscopy », Nature, vol. 603, no 7899,‎ , p. 36–37 (DOI 10.1038/d41586-022-00545-1, lire en ligne, consultĂ© le ).

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes


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