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Centrifugation gazeuse

La centrifugation gazeuse ou ultracentrifugation gazeuse est un procĂ©dĂ© de sĂ©paration isotopique oĂč la matiĂšre Ă  enrichir se trouve Ă  l'Ă©tat gazeux. Ce procĂ©dĂ© de centrifugation utilise la force centrifuge sur les molĂ©cules chimiquement identiques mais de masses diffĂ©rentes, pour crĂ©er un gradient radial de teneur isotopique.

Diagramme d'une centrifugeuse.

Le principal usage de ces centrifugeuses est l'enrichissement de l'uranium en uranium 235. L'ultracentrifugation gazeuse a été développée pour remplacer le procédé par diffusion gazeuse, beaucoup plus coûteux en énergie. De plus, le procédé est plus sûr : les quantités de matiÚre dans les centrifugeuses sont réduites, et en dépression par rapport à la pression atmosphérique.

Une centrifugeuse Ă©lĂ©mentaire ne permettant qu'un faible coefficient de sĂ©paration, les Ă©tapes de centrifugation doivent ĂȘtre multipliĂ©es dans une cascade d'enrichissement.

Historique

Centrifugeuses de contrebande produites par Abdul Qadeer Khan, saisies en Italie avant leur exportation prévue en Libye.

La premiĂšre application de l'ultracentrifugation aux molĂ©cules d’un mĂ©lange gazeux est due Ă  Georg Bredig en 1895[1]. Le procĂ©dĂ© appliquĂ© Ă  la sĂ©paration isotopique a Ă©tĂ© dĂ©crit dĂšs 1919 par Lindemann et Aston[2], et utilisĂ© avec succĂšs en 1934 par Jesse Beams et son Ă©quipe Ă  l'universitĂ© de Virginie pour la sĂ©paration des isotopes du chlore[3] - [4].

Le procĂ©dĂ© a Ă©tĂ© l'un des moyens de sĂ©paration isotopique initialement envisagĂ© par le projet Manhattan, mais les dĂ©veloppements du procĂ©dĂ© ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s en 1944, quand il est devenu clair qu'une industrialisation ne pouvait pas ĂȘtre atteinte avant la fin de la guerre et que d'autres moyens d'enrichissement (la diffusion gazeuse et la sĂ©paration Ă©lectromagnĂ©tique) avaient de meilleures chances d'aboutir Ă  court terme.

Pour l'enrichissement de l'uranium, le procĂ©dĂ© a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© Ă  partir des annĂ©es 1950 et finalement mis au point par l'Union soviĂ©tique[5], par une Ă©quipe dirigĂ©e par l'Allemand Max Steenbeck, avec la centrifugeuse de type Zippe (du nom de l'ingĂ©nieur allemand qui avait exportĂ© la technologie russe aux États-Unis[6] en 1958). Une usine pilote a Ă©tĂ© construite en 1957, ce qui a permis Ă  l'URSS de prendre la place de premier producteur mondial. Avec la mise au point de cette centrifugeuse, la centrifugation gazeuse est devenue un procĂ©dĂ© de sĂ©paration isotopique trĂšs Ă©conomique, employant nettement moins d'Ă©nergie que son prĂ©dĂ©cesseur industriel, la diffusion gazeuse, entre autres avantages.

Les éléments essentiels de la centrifugeuse ont été brevetés en occident en 1957, par deux anciens membres de l'équipe de Steenbeck, Max Steenbeck et Rudolf Scheffel[7] - [8]. Les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l'Allemagne se sont alors engagés par le traité d'Almelo dans un programme de coopération visant à développer l'ultracentrifugation gazeuse, à travers l'entreprise commune Urenco[9]. Cette technologie est à présent détenue par Enrichment Technology Company (ETC), filiale commune de Urenco et de Areva.

C'est par une filiale d'Urenco que le Pakistanais Abdul Qadeer Khan a obtenu des informations sur ces centrifugeuses et les a emportĂ©es au Pakistan en 1975. Ces informations ont conduit Ă  son utilisation pour produire de l'uranium hautement enrichi, tant pour les rĂ©acteurs pakistanais que pour ses armes atomiques[10]. L'Ă©quipe du docteur Khan a publiĂ© des articles dans les journaux scientifiques mondiaux sur des mĂ©thodes d'essai de centrifugeuse. En Occident, de telles publications auraient Ă©tĂ© classĂ©es secrĂštes, mais le docteur Khan se vante de vouloir percer « les nuages de ce soi-disant secret »[11]. Par la suite, le docteur Khan a engagĂ© des transactions pour exporter cette technologie vers au moins cinq États : l'Irak, l'Iran, la Syrie, la CorĂ©e du Nord et la Libye[12].

Cette solution tend Ă  remplacer les autres alternatives d'enrichissement (procĂ©dĂ© laser, sĂ©paration Ă©lectromagnĂ©tique ou diffusion thermique liquide et mĂȘme sĂ©paration par diffusion gazeuse, trĂšs consommatrice d'Ă©nergie)[13]). L'enrichissement accroĂźt le taux d'isotope 235 (de 0,7 %, il passe Ă  4 Ă  6 % selon la durĂ©e de centrifugation, et selon la commande du client).

Elles sont nĂ©cessaires pour la production de combustible nuclĂ©aire, mais aussi pour la production de matĂ©riel militaire, ce pourquoi les usines d'enrichissement et le nombre de centrifugeuses sont surveillĂ©s par l'Agence internationale de l'Ă©nergie atomique. À titre d'exemple, l'Iran, qui a dĂ©jĂ  une usine en activitĂ© Ă  Natanz (pouvant accueillir 54 000 centrifugeuses, au moins 8 582 mi-2010[14] prĂ©voit neuf autres usines et a annoncĂ© construire sa troisiĂšme usine en 2011[15]).

Fonctionnement théorique

La centrifugation gazeuse utilise une vitesse de rotation trĂšs rapide pour soumettre les molĂ©cules de composition chimique identique mais de masses diffĂ©rentes (donc, de densitĂ©s diffĂ©rentes) Ă  une force centrifuge trĂšs intense, ce qui crĂ©Ă© un gradient radial dans la teneur du mĂ©lange isotopique (outre le gradient de pression). Les molĂ©cules tendent alors Ă  se stratifier selon leur masse molĂ©culaire, les molĂ©cules les plus lourdes Ă©tant plaquĂ©es prĂ©fĂ©rentiellement contre la paroi, et les plus lĂ©gĂšres migrant vers le centre. Ce procĂ©dĂ© peut ĂȘtre appliquĂ© Ă  la plupart des fluides[16].

Dans un cylindre en rotation, la pression du gaz (ainsi que la pression partielle de chaque isotope) varie exponentiellement suivant le rayon[6] :

Le facteur de séparation, donné par la variation de la richesse Rr, s'en déduit en fonction de la distance r de l'axe. Si M1 et M2 sont les masses molaires des molécules centrifugées, le gradient de richesse est donné par[17] :

Dans cette formule R est la constante des gaz parfaits et T est la température absolue.

Cette formule montre l'importance de la vitesse pĂ©riphĂ©rique de rotation, l'enrichissement variant comme (ωr)2 toutes choses Ă©gales par ailleurs. Il est donc souhaitable a priori de construire des centrifugeuses prĂ©sentant un rayon important et une vitesse de rotation Ă©levĂ©e. Cependant, un ωr trop Ă©levĂ© conduirait Ă  l'Ă©clatement du cylindre ; ce facteur est donc limitĂ© par le rapport entre la densitĂ© ρ et la rĂ©sistance Ă  la rupture σ du matĂ©riau employĂ©[18]. La vitesse pĂ©riphĂ©rique ωr doit ĂȘtre infĂ©rieure Ă  la vitesse de rupture du matĂ©riau[19] :

De plus, un contre-courant est crĂ©Ă© entre la base chaude de la colonne et son sommet refroidi : par gradient thermique provoquant un mouvement de convection, ou mĂ©caniquement, par la forme des Ă©copes[19] - [6] - [20]. Les molĂ©cules lĂ©gĂšres centrales s'Ă©lĂšvent vers le haut, oĂč elles sont partiellement prĂ©levĂ©es au centre ; tandis que les plus lourdes, Ă  la pĂ©riphĂ©rie, vont vers le bas, oĂč elles sont partiellement prĂ©levĂ©es Ă  la pĂ©riphĂ©rie. Dans cette configuration, chaque segment vertical fonctionne comme un Ă©changeur Ă©lĂ©mentaire Ă  contre-courant, et l'ensemble du cylindre revient Ă  mettre la sĂ©paration prĂ©cĂ©dente en cascade sur toute sa longueur. Le facteur de sĂ©paration entre l'extrĂ©mitĂ© chaude L et l'extrĂ©mitĂ© froide O est alors dĂ©pendant du rapport de longueur L du cylindre Ă  son diamĂštre 2ra, et est donnĂ© par :

Le pouvoir séparateur maximal d'une machine est approximativement et théoriquement donné par l'expression[18] (formulée par Dirac[6]) :

D est la constante d'interdiffusion isotopique, inversement proportionnelle Ă  ρ (ce qui fait que le pouvoir sĂ©parateur d'une unitĂ© est indĂ©pendant de la pression de travail). On voit sur cette expression qu'il convient de rĂ©aliser des cylindres longs, et de les faire tourner aux limites que permet la rĂ©sistance de leur matĂ©riau constitutif. En rĂ©alitĂ©, le pouvoir sĂ©parateur n'est pas proportionnel Ă  la puissance quatriĂšme de ωr, mais se rapproche plutĂŽt de la puissance seconde.

Un autre facteur limitant apparaßt alors, celui des modes propres du cylindre, d'autant plus pénalisants que le cylindre sera long, et susceptibles d'entraßner des instabilités et des ruptures quand la fréquence de rotation atteint ces valeurs. Les fréquences critique sont celles d'un cylindre creux à paroi trÚs mince, dont la premiÚre est donnée par la formule[19] :

OĂč E// est le module de Young axial du matĂ©riau.

Description technique

Plan d'une centrifugeuse.

Contrairement aux opérations classiques de centrifugation, qui se font généralement par lot, la centrifugation gazeuse est un procédé continu, ce qui permet sa mise en cascade, les appareils s'alimentant successivement pour augmenter progressivement la teneur du mélange.

La centrifugeuse est constituée par un rotor tournant à trÚs haute fréquence. L'axe du rotor est creux, ce qui permet de faire passer le tuyau d'arrivée du gaz à séparer, ainsi que les tuyaux de sortie des gaz enrichi et appauvri. Les prélÚvements se font aux extrémités de la colonne[21]. L'ensemble est contenu dans un carter étanche[22], maintenu sous vide pendant les opérations pour minimiser les frottements.

Les centrifugeuses doivent ĂȘtre soigneusement rĂ©glĂ©es et Ă©quilibrĂ©es pour ne pas prĂ©senter de balourd[23].

Il y a une diffĂ©rence fondamentale entre les centrifugeuses courtes et celles de type longiligne. Les centrifugeuses courtes n'ont pas Ă  traverser de frĂ©quence critique, parce que celle-ci se trouve au-delĂ  de leur frĂ©quence de fonctionnement ; Ă  l'inverse, pour rejoindre leur frĂ©quence de fonctionnement, les tubes longilignes doivent passer rapidement Ă  travers toute une sĂ©rie de frĂ©quences critiques, oĂč la rĂ©sonance de la frĂ©quence de rotation sur les modes propres de la machine peut conduire Ă  des instabilitĂ©s et la destruction de l'assemblage. Pour cette raison, une centrifugeuse longiligne ne peut pas ĂȘtre fabriquĂ©e Ă  partir d'un tube unique, mais doit ĂȘtre constituĂ©e par des segments sĂ©parĂ©s par des joints plus Ă©lastiques. La fonction de ces joints est d'abaisser la valeur des frĂ©quences critiques, ce qui permet au rotor de les dĂ©passer plus rapidement lors de son accĂ©lĂ©ration[5]. Chaque segment est de longueur sous-critique, et les jonctions ont des frĂ©quences critiques diffĂ©rentes de celle des segments[19].

La conception détaillée et les travaux d'optimisation technique des centrifugeuses n'est généralement pas accessible, à cause de leur sensibilité en matiÚre de prolifération nucléaire[23].

Cascade

Cascade de centrifugeuses testées pour l'enrichissement d'uranium (U.S. gas centrifuge testbed, Piketon, Ohio, 1984). Chaque centrifugeuse fait ici prÚs de 12 mÚtres de haut. Les centrifugeuses modernes sont plus courtes, de l'ordre de 5 mÚtres.

En pratique, de nombreuses centrifugeuses identiques sont couplées dans un procédé en cascade. Chaque centrifugeuse reçoit une alimentation et produit deux sorties, un flux enrichi et un autre appauvri. Le flux enrichi alimente l'étage suivant, et le flux appauvri retourne comme alimentation à l'étage précédent[24].

Le coût technique d'une séparation isotopique donnée est évalué en unité de travail de séparation, ou UTS. La performance d'une centrifugeuse élémentaire ou celle d'une cascade d'enrichissement se mesure par la quantité d'UTS qu'elle est capable de produire annuellement.

Applications

La principale application de cette technique est l'enrichissement de l'uranium, oĂč l'uranium est enrichi sous forme d'hexafluorure d'uranium (UF6).

Pour éviter la formation d'isotopes radioactifs indésirables par activation neutronique, il est parfois nécessaire d'appauvrir le zinc de son isotope 64Zn, de sa concentration naturelle de 48,6 % à moins de 1 %. Cette séparation isotopique est réalisée sur le diéthylzinc ; le zinc appauvri résultant est employé par l'industrie nucléaire comme inhibiteur de corrosion[25].

Notes et références

  1. Bredig (G.). – Z. Phys. Chem., 17, p. 459-72 (1895).
  2. F.A. Lindemann et J.C. Aston – The possibility of separating isotopes. Philos. Mag. (GB), 37, p. 533-4 (1919) ; 38, p. 173 (1919).
  3. JW Poutres et FB Haynes, la séparation des isotopes par centrifugation, Phys. Rev., 1936, 50, pp. 491-492.
  4. BEAMS (J.W.). – Rev. Mod. Phys., 10, p. 245 (1938) ; rapport amĂ©ricain TID-5230 Washington (1951).
  5. « The problem of Uranium Isotope Separation by Means of Ultracentrifuge in the USSR », Central Intelligence Agency, (consulté le ).
  6. Gas Centrifuge Theory and Development, R. Scott Kemp, Science and Global Security, 17:1–19, 2009.
  7. Brevet US 3289925 A
  8. Le développement de la centrifugation gazeuse, interview du Dr Zippe, Institute for Science and International Security.
  9. History and wider governance issues, Urenco, 2015.
  10. The nuclear Walmart: Transcript, BBC, 15 novembre 2006
  11. (en) David E. Sanger, Institut Stanford pour les études Internationales - Conférence sur l'Asie du Sud et le futur nucléaire, « The Khan Network » [PDF], sur Université Stanford,
  12. « Dr Khan, un libéré détonant », sur L'Express, .
  13. Principe de la centrifugation gazeuse, par ETC (producteur)
  14. Rapport AIEA, mai 2010
  15. Enerpress no 10139, p. 2, .
  16. Basics of Centrifuge, Cole Parmer.
  17. Génie atomique tome 5, BibliothÚque des Sciences et Techniques Nucléaires, PUF, 1965.
  18. De la force centrifuge..., bulletin de l'union des physiciens.
  19. L'enrichissement de l'Uranium. Daniel Massignon, Techniques de l’IngĂ©nieur, traitĂ© GĂ©nie nuclĂ©aire, B 3600.
  20. Karl Cohen, The Theory of Isotope Separation as Applied to the Large-Scale Production of U235, (McGraw-Hill, 1951).
  21. Abdul Qadeer Khan et Atta, M. A.; Mirza, J. A., « Flow Induced Vibrations in Gas Tube Assembly of Centrifuge », Journal of Nuclear Science and Technology, vol. 23, no 9,‎ , p. 819–827 (DOI 10.1080/18811248.1986.9735059, lire en ligne, consultĂ© le )
  22. Gas Centrifuge Uranium Enrichment
  23. A.Q. Khan et Suleman, M.; Ashraf, M.; Khan, M. Zubair, « Some Practical Aspects of Balancing an Ultra-Centrifuge Rotor », Journal of Nuclear Science and Technology (JNS&T), vol. 24, no 11,‎ , p. 951–959 (DOI 10.1080/18811248.1987.9733526, lire en ligne, consultĂ© le ).
  24. What is a Gas Centrifuge?
  25. « Depleted Zinc for the Nuclear Industry », Nukem (consulté le )

Annexes

Bibliographie

  • Daniel Massignon, L'enrichissement de l'Uranium, Techniques de l’IngĂ©nieur, traitĂ© GĂ©nie nuclĂ©aire, B 3600.
  • (en) Characteristics of the Gas Centrifuge for Uranium Enrichment and Their Relevance for Nuclear Weapon Proliferation (corrected), Alexander Glaser, Science and Global Security, 16:1–25, 2008.
  • (en) Klaas van Ommen, Numerical modelling of a heavy gas in fast rotation [PDF], thĂšse de doctorat, University of Twente, Enschede, The Netherlands, juin 2010.

Articles connexes

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