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Projet Manhattan

Projet Manhattan est le nom de code du projet de recherche qui produisit la première bombe atomique durant la Seconde Guerre mondiale. Il fut mené par les États-Unis avec la participation du Royaume-Uni et du Canada. De 1942 à 1946, il fut dirigé par le major-général Leslie Richard Groves du corps du génie de l'armée des États-Unis. Sa composante militaire fut appelée « Manhattan District » et le terme « Manhattan » remplaça graduellement le nom de code officiel, Development of Substitute Materials, pour désigner l'ensemble du projet. Au cours de son développement, le projet absorba son équivalent britannique, Tube Alloys, à la suite de l'accord de Québec en .

Explosion au niveau du sol et début de la formation d'un champignon atomique. Les nuages et le sol sont illuminés par la couleur orange de l’explosion.
Photographie en couleur de la première explosion nucléaire lors de l'essai Trinity le à Alamogordo au Nouveau-Mexique.

Le projet Manhattan commença modestement en 1939 mais il finit par employer plus de 130 000 personnes et coĂ»ta près de 2 milliards de dollars amĂ©ricains en 1945, soit environ 32 milliards de dollars en 2023. Plus de 90 % des frais furent consacrĂ©s Ă  la construction des usines et Ă  la production des matĂ©riaux fissiles et moins de 10 % au dĂ©veloppement et Ă  la fabrication des armes. Les travaux de recherche et de production se dĂ©roulèrent sur plus de trente sites, certains Ă©tant secrets, aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada. Ă€ la suite de ceux-ci, deux modèles d'armes furent dĂ©veloppĂ©s durant la guerre. Dans le premier modèle, dit de type canon, un bloc d'uranium Ă©tait projetĂ© sur un autre pour dĂ©clencher une rĂ©action en chaĂ®ne. Les blocs Ă©taient composĂ©s d'uranium 235, un isotope comptant pour 0,7 % de l'uranium naturel. Comme il Ă©tait chimiquement similaire Ă  l'isotope le plus abondant, l'uranium 238, et avait presque la mĂŞme masse, leur sĂ©paration fut difficile. Trois mĂ©thodes furent employĂ©es pour enrichir l'uranium : la sĂ©paration Ă©lectromagnĂ©tique, la diffusion gazeuse et la diffusion thermique. L'essentiel de ces opĂ©rations fut rĂ©alisĂ© au Laboratoire national d'Oak Ridge dans le Tennessee.

En parallèle des travaux sur l'uranium, des recherches furent menées pour produire du plutonium. Des réacteurs furent construits au laboratoire national de Hanford dans l'État de Washington pour irradier l'uranium et le transmuter en plutonium. Ce dernier était ensuite séparé chimiquement de l'uranium. Le principe du canon employé pour le premier modèle d'arme ne pouvait pas être utilisé avec le plutonium et un modèle plus complexe fut développé dans lequel la réaction en chaîne était déclenchée par l'implosion du cœur de l'arme. Les travaux de conception et de fabrication des composants furent menés au Laboratoire national de Los Alamos dans le Nouveau-Mexique. L'arme au plutonium fut testée pour la première fois lors de l'essai Trinity réalisé le à Alamogordo au Nouveau-Mexique. Les bombes Little Boy à l'uranium et Fat Man au plutonium furent respectivement utilisées lors des bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki.

Le projet Manhattan était étroitement contrôlé et hautement secret mais des espions soviétiques parvinrent à s'infiltrer dans le programme. Il fut également chargé de rassembler des informations sur les recherches atomiques allemandes et, dans le cadre de l'opération Alsos, des personnels du projet Manhattan servirent en Europe, parfois derrière les lignes ennemies, pour rassembler des matériels de recherche et des scientifiques allemands. Dans l'immédiate après-guerre, le projet réalisa des essais sur l'atoll de Bikini dans le cadre de l'opération Crossroads, développa de nouvelles armes, promut le réseau des laboratoires nationaux du département de l'Énergie des États-Unis, soutint la recherche médicale dans le domaine de la radiologie et posa les bases de la propulsion nucléaire navale. Il conserva le contrôle de la recherche et de la production des armes nucléaires américaines jusqu'à la formation de la Commission de l'énergie atomique des États-Unis en .

Badge d'épaule ovale avec un fond bleu foncé. Au sommet se trouve une étoile bleue entourée d'un cercle rouge qui correspond à l'écusson de l'Army Service Forces. Ce dernier est entouré d'un ovale blanc représentant un nuage en champignon. Un éclair blanc sort du nuage et frappe un cercle jaune fissuré représentant un atome.
Écusson d'épaule qui fut adopté par le Manhattan District en 1945.
Emblème circulaire portant l'inscription « Manhattan Project » au sommet qui entoure un large « A » au centre avec le mot « bomb » écrit en dessous. L'ensemble surmonte un château qui est l'emblème du corps du génie de l'armée des États-Unis.
Emblème non officiel du projet Manhattan.

Origines

En , les physiciens LeĂł Szilárd et Eugene Wigner rĂ©digèrent la lettre Einstein-Szilárd adressĂ©e au prĂ©sident amĂ©ricain Franklin Delano Roosevelt pour l'avertir que des travaux scientifiques rĂ©cents permettaient d'envisager la rĂ©alisation de « bombes d'un nouveau type et extrĂŞmement puissantes » en dĂ©clenchant une rĂ©action en chaĂ®ne avec de grandes quantitĂ©s d'uranium. Certains indices laissaient penser que l'Allemagne pouvait ĂŞtre parvenue aux mĂŞmes conclusions. Les rĂ©dacteurs de la lettre suggĂ©raient que les États-Unis acquièrent des stocks de minerai d'uranium dans le but d'accĂ©lĂ©rer les travaux de recherche sur la rĂ©action en chaĂ®ne menĂ©s jusque-lĂ , entre autres par Enrico Fermi. Pour lui donner plus de poids, la lettre avait Ă©tĂ© finalisĂ©e et signĂ©e par Albert Einstein[1]. Roosevelt demanda Ă  Lyman James Briggs du National Institute of Standards and Technology de diriger un comitĂ© consultatif pour l'uranium chargĂ© d'Ă©tudier les questions soulevĂ©es par la lettre[2]. Briggs organisa une rĂ©union le Ă  laquelle participèrent Szilárd, Wigner et le physicien Edward Teller. En novembre, le comitĂ© informa Roosevelt que l'uranium « pourrait ĂŞtre la source possible de bombes avec une puissance de destruction largement supĂ©rieure Ă  tout ce que nous connaissons[3] ». Briggs propose alors que le National Defense Research Committee (NDRC, « Commission nationale de recherche pour la dĂ©fense ») dĂ©pense 167 000 $ dans des recherches sur l'uranium, en particulier sur l'uranium 235 et sur le plutonium (dĂ©couvert en 1940)[4]. Le , Roosevelt signa l'ordre exĂ©cutif 8807 crĂ©ant l'Office of Scientific Research and Development (OSRD, « Bureau de recherches et de dĂ©veloppement scientifiques »)[5] avec Vannevar Bush Ă  sa tĂŞte. Le bureau Ă©tait autorisĂ© Ă  mener des projets d'ingĂ©nierie de grande taille en plus de ses travaux de recherches[4]. Le comitĂ© du NDRC sur l'uranium devint le comitĂ© S-1 de l'uranium de l'OSRD mais le terme « uranium » fut rapidement supprimĂ© pour des raisons de sĂ©curitĂ©[6].

En Grande-Bretagne, Otto Frisch et Rudolf Peierls de l'universitĂ© de Birmingham avaient rĂ©alisĂ© une grande avancĂ©e en dĂ©terminant la masse critique de l'uranium 235 en [7] - [note 1]. Leurs calculs indiquaient qu'elle se trouvait dans un ordre de grandeur de 10 kg, ce qui Ă©tait suffisamment lĂ©ger pour rĂ©aliser une bombe pouvant ĂŞtre transportĂ©e par un bombardier de l'Ă©poque[8]. Leur mĂ©morandum de mars 1940 fut le point de dĂ©part du projet de recherche nuclĂ©aire britannique et de sa commission MAUD[9] qui recommanda Ă  l'unanimitĂ© la poursuite du dĂ©veloppement d'une bombe atomique[8]. L'un de ses membres, le physicien australien Marcus Oliphant, fut envoyĂ© en mission aux États-Unis Ă  la fin du mois d'aoĂ»t 1941 dans le but de connaĂ®tre l'Ă©tat de la recherche[10]. Il dĂ©couvrit que les informations concernant la faisabilitĂ© d'une bombe atomique, pourtant transmises au gouvernement amĂ©ricain en , n'Ă©taient pas parvenues jusqu'aux physiciens amĂ©ricains les plus importants. Briggs avait reçu le rapport, mais n'avait transmis aucune information aux autres membres du comitĂ©, ne croyant qu'aux possibilitĂ©s d'utilisation civile de l'uranium[11]. Oliphant rencontra le comitĂ© S-1 et visita le laboratoire de Berkeley oĂą il exposa les dĂ©couvertes des scientifiques anglais Ă  Ernest Orlando Lawrence. Très impressionnĂ©, ce dernier commença immĂ©diatement Ă  mener ses propres recherches sur l'uranium. Oliphant en parla ensuite au chimiste James Bryant Conant, au physicien Arthur Compton et au physicien George Braxton Pegram. Ces scientifiques amĂ©ricains Ă©taient Ă  prĂ©sents conscients du potentiel de la bombe atomique[12] - [13].

Le , au cours d'une réunion à laquelle participaient Vannevar Bush, le vice-président Henry Wallace et le président Roosevelt, ce dernier approuva le lancement du programme atomique. Pour le contrôler, il créa un comité stratégique composé de lui-même — même s'il n'assista à aucune réunion —, de Wallace, de Bush, de Conant, du secrétaire à la Guerre Henry Lewis Stimson et du chef d'état-major de l'armée, le général George Marshall. Roosevelt confia le projet à l'armée de terre plutôt qu'à la marine car la première avait une plus grande expérience dans la gestion de programmes importants. Il donna également son accord pour que les efforts de recherche soient coordonnés avec ceux des Britanniques et, le , il envoya un message au premier ministre Winston Churchill, suggérant qu'ils s'informent mutuellement des questions atomiques[14].

Faisabilité

Propositions

Six hommes debout et souriants.
Réunion du comité S-1 en . De gauche à droite, Harold Clayton Urey, Ernest Orlando Lawrence, James Bryant Conant, Lyman James Briggs, Eger Murphree et Arthur Compton.

Le comité S-1 organisa sa première réunion le dans une « atmosphère pleine d'enthousiasme et d'urgence[15] » à la suite de l'attaque de Pearl Harbor et de la déclaration de guerre des États-Unis au Japon et de l'Allemagne aux États-Unis. Trois techniques différentes de séparation isotopique de l'uranium 235 et l'uranium 238 allaient être étudiées. Lawrence et son équipe de l'université de Californie à Berkeley travaillaient sur la séparation électromagnétique tandis que l'équipe d'Eger Murphree et de Jesse Beams développaient la diffusion gazeuse à l'université Columbia et que Philip Abelson dirigeait des recherches sur la diffusion thermique à la Carnegie Institution puis au Naval Research Laboratory[16]. Murphee supervisait également un projet de séparation avec des centrifugeuses[17].

Parallèlement deux filières pour la technologie des réacteurs nucléaires était étudiées : Harold Clayton Urey poursuivait ses travaux sur l'eau lourde à l'université Columbia tandis qu'Arthur Compton avec son équipe de chercheurs de l'université Columbia et de l'université de Princeton s'installa à l'université de Chicago, où il fonda le Metallurgical Laboratory début 1942 pour étudier le plutonium et les réacteurs utilisant le graphite en tant que modérateur[18]. Briggs, Compton, Lawrence, Murphree et Urey se rencontrèrent le pour finaliser les recommandations du comité S-1 qui demandaient la poursuite des recherches sur les cinq technologies. Cette décision fut approuvée par Bush, Conant et le brigadier-général Wilhelm D. Styer, le chef d'état-major du major-général Brehon Burke Somervell qui avait été désigné par les représentants de l'armée pour superviser les questions atomiques[16]. Bush et Conant présentèrent alors ces recommandations au Comité Stratégique avec une demande budgétaire de 54 millions de dollars pour les constructions devant être réalisées par le Corps du génie de l'armée des États-Unis, de 31 millions pour les recherches menées par l'OSRD et de 5 millions pour les frais imprévus de l'année fiscale 1943. Le Comité Stratégique présenta le rapport au président qui l'approuva le en écrivant « OK FDR » sur le document[16].

Conception de la bombe

Une série de gribouillis.
Différents assemblages pour une bombe à fission explorés lors de la conférence de juillet 1942.

Compton demanda au physicien Robert Oppenheimer de l'université de Californie à Berkeley de prendre en charge les recherches sur les neutrons rapides, déterminantes pour calculer la masse critique et la puissance de la bombe, en remplacement de Gregory Breit qui avait quitté le projet du fait de ses inquiétudes sur le manque de secret du programme[19]. John H. Manley, un physicien du Metallurgical Laboratory, fut nommé pour assister Oppenheimer en coordonnant les travaux de recherche expérimentale menés par différents groupes dans tout le pays[20]. De très nombreux savants participèrent à ce projet mais Einstein ne fut pas mis à contribution, en raison de ses convictions pacifistes. Oppenheimer et Robert Serber, de l'université de l'Illinois, examinèrent les problèmes liés à la diffusion des neutrons, la façon dont les neutrons se déplacent lors de la réaction en chaîne, la dynamique des fluides et le comportement de l'explosion provoquée par la réaction en chaîne. Pour évaluer ces recherches et la théorie générale de la fission nucléaire, Oppenheimer organisa des réunions à l'université de Chicago en juin et à l'université de Californie à Berkeley en avec les physiciens théoriciens Hans Bethe, John Hasbrouck van Vleck, Edward Teller, Emil Konopinski, Robert Serber, Stan Frankel et Eldred C. Nelson (les trois derniers étaient des anciens élèves d'Oppenheimer) et les physiciens expérimentaux Félix Bloch, Emilio Gino Segrè, John Manley et Edwin McMillan. Ils confirmèrent prudemment qu'une bombe à fission était théoriquement possible[21].

Il restait encore de nombreux facteurs inconnus. Les propriétés de l'uranium 235 pur et du plutonium, un élément découvert en 1940 par Glenn Theodore Seaborg et son équipe, étaient encore relativement inconnues. Les scientifiques de la réunion à Berkeley envisagèrent de créer du plutonium dans des réacteurs nucléaires où l'uranium 238 absorberait des neutrons émis par la fission des noyaux d'uranium 235. À ce moment, aucun réacteur n'avait été construit et le plutonium n'avait été produit qu'en quantités très limitées par les cyclotrons[22]. Même en , seul deux milligrammes avaient été produits[23]. Il existait de nombreuses manières de disposer la matière fissile pour obtenir une masse critique. La plus simple était de projeter un « bloc cylindrique » dans une sphère de « matière active » avec un matériau dense qui concentrerait les neutrons vers l'intérieur pour maintenir la cohésion de la masse active et accroître son efficacité[24]. Richard Tolman suggéra d'utiliser des sphéroïdes pour déclencher une forme primitive d'« implosion » et on envisagea la possibilité d'une réaction autocatalytique qui accroîtrait l'efficacité de la bombe alors qu'elle explosait[25].

Considérant que le concept d'une bombe à fission était théoriquement validé, du moins jusqu'à avoir obtenu plus de données expérimentales, la conférence de Berkeley se tourna alors dans une direction nouvelle. Edward Teller lança la discussion sur une bombe encore plus puissante, la « super », aujourd'hui appelée « bombe à hydrogène », qui utiliserait la puissance explosive d'une bombe à fission pour déclencher une réaction de fusion nucléaire avec du deutérium et du tritium[26]. Teller présenta de nombreux schémas mais Bethe les rejeta tous. L'idée de la fusion fut mise de côté pour se concentrer sur la production de bombes à fission[27]. Teller mentionna également la possibilité qu'une bombe atomique n'« enflamme » l'atmosphère du fait d'une réaction de fusion hypothétique des noyaux d'azote[note 2]. Bethe calcula que cela n'était pas possible[29] et un rapport coécrit par Teller montra qu'« aucune chaine incontrôlée de réactions nucléaires n'était susceptible de démarrer[30] ». Dans le récit de Serber, Oppenheimer mentionna l'idée à Arthur Compton qui « n'eut pas assez de bon sens pour la fermer à ce sujet. Cela fut d'une manière ou d'une autre écrit dans un document qui fut envoyé à Washington » et qui « ne fut jamais enterré[note 3] ».

Organisation

Manhattan District

Le chef des ingénieurs, le major-général Eugene Reybold, nomma le colonel James C. Marshall pour superviser la partie militaire du projet en . Marshall créa un bureau de liaison à Washington, D.C. mais il installa son quartier-général temporaire au 18e étage du 270 Broadway à New York d'où il pourrait recevoir le soutien administratif de la division Nord-Atlantique du corps du génie. Il était à proximité du bureau de Manhattan de la firme de génie Stone & Webster[note 4], le principal maître d'œuvre du projet, et de l'université Columbia. Il eut la permission de recruter au sein de son ancien commandement, le Syracuse District, et il engagea le lieutenant-colonel Kenneth Nichols qui devint son adjoint[32] - [33].

Organigramme du projet Manhattan, 1er mai 1946.

Comme la plupart de ses missions impliquaient des travaux de construction, Marshall travailla en coopération avec le directeur de la division construction du corps des ingénieurs, le major-général Thomas M. Robbins et son adjoint, le colonel Leslie Richard Groves. Reybold, Somervell et Styer décidèrent de nommer le projet « Development of Substitute Materials » (« Développement de matériaux de substitution ») mais Groves jugea que cela attirerait l'attention. Comme les districts des ingénieurs portaient habituellement le nom de la ville où ils se trouvaient, Marshall et Groves acceptèrent de nommer la partie militaire du projet le « Manhattan District ». Cela devint le nom officiel le lorsque Reynold délivra l'ordre créant le nouveau district. À la différence des autres entités du corps des ingénieurs, il n'avait aucune limite géographique et Marshall avait l'autorité d'un ingénieur de division. Le nom de Development of Substitute Materials resta le nom de code officiel de l'ensemble du projet mais il fut progressivement supplanté par « Manhattan[33] ».

Marshall concéda plus tard qu'« il n'avait jamais entendu parler de la fission atomique mais qu'il savait que l'on ne pouvait pas construire une usine, et encore moins quatre, avec 90 millions de dollars[34] ». Une seule usine de TNT que Nichols avait récemment construite en Pennsylvanie avait coûté 128 millions de dollars[35]. Ils furent également décontenancés par les estimations d'ordre de grandeur du projet que Groves compara à demander à un traiteur de préparer un banquet pour entre dix et mille convives[36]. Une équipe de la firme Stone & Webster avait déjà exploré un site pouvant accueillir les usines de production. Le War Production Board recommanda des sites autour de Knoxville dans le Tennessee, une zone isolée où la Tennessee Valley Authority pouvait fournir d'importantes quantités d'électricité et où l'eau des rivières pouvait permettre de refroidir les réacteurs. Après avoir examiné plusieurs sites, l'équipe d'étude sélectionna un site près d'Elza dans le Tennessee. Conant conseilla de l'acquérir immédiatement et Styer accepta mais Marshall temporisa en attendant les résultats des expériences de Conant sur les réacteurs[37]. Parmi les pistes de recherche, seule la technique de séparation électromagnétique de Lawrence semblait suffisamment avancée pour justifier la construction[38].

Marshall et Nichols commencèrent à rassembler les ressources nécessaires. La première étape était d'obtenir une haute priorité pour le projet. Les rangs allaient de AA-1 à AA-4 en ordre décroissant de priorité ; il existait également un rang AAA réservé aux urgences. Les rangs AA-1 et AA-2 étaient appliqués aux armements et aux équipements essentiels. Le colonel Lucius D. Clay, l'adjoint du chef d'état-major du Service of Supply (« Service du ravitaillement ») pour les ressources et les équipements, estima que le plus haut rang qu'il pouvait assigner était AA-3. Il était néanmoins disposé, en cas de besoin, à accorder la priorité AAA aux demandes concernant des matériaux critiques[39]. Nichols et Marshall étaient déçus car l'usine de production de TNT de Nichols en Pennsylvanie avait également le rang AA-3[40].

Comité militaire

Un homme souriant en costume et un autre en uniforme autour d'une pile de métal tordu.
Robert Oppenheimer et Leslie Richard Groves sur le site de l'essai Trinity en . Les sur-chaussures blanches empĂŞchaient les particules radioactives de s'accrocher aux semelles de leurs chaussures[41].

Vannevar Bush fut déçu par l'incapacité du colonel James C. Marshall (en) à faire avancer efficacement le programme, en particulier la non-acquisition du site du Tennessee, la faible priorité accordée au projet par l'armée et l'emplacement de son quartier-général à New York[42]. Bush sentit qu'une direction plus énergique était nécessaire et il évoqua ses inquiétudes à Harvey Bundy et aux généraux Marshall, Somervell et Styer. Il voulait placer le projet sous la direction d'un comité expérimenté avec un officier prestigieux à sa tête[40].

Somervell et Styer choisirent Groves pour le poste et l'informèrent le de la décision. Groves détenait en effet l'expérience et les compétences qui cadraient avec la mission. Il venait de superviser la construction du Pentagone, « le plus important immeuble de bureaux au monde », et bien qu'il ait des défauts importants, « imbu de lui-même, brusque à l'extrême dans ses manières et dans ses propos », il savait se montrer à la hauteur des tâches difficiles, était tenace, intelligent et capable de travailler de façon autonome[43]. Le général Marshall ordonna qu'il soit promu au grade de général de brigade[44] car on considérait que le titre de « général » lui accorderait une plus grande autorité sur les scientifiques du projet Manhattan[45]. Les ordres de Groves le plaçaient directement sous l'autorité de Somervell plutôt que sous celle de Reybold et le colonel Marshall était maintenant directement responsable devant Groves[46]. Groves installa son quartier-général à Washington, D.C. au 5e étage du New War Department Building où le colonel Marshall avait installé son bureau de liaison[47]. Il prit ses fonctions de commandant du projet Manhattan le . Plus tard dans la journée, il participa à une réunion organisée par Stimson, qui établit un comité militaire, responsable devant le Comité Stratégique, composé de Bush (avec Conant en alternance), Styer et le rear amiral William R. Purnell[44]. Tolman et Conant furent ensuite nommés en tant que conseillers scientifiques de Groves[48].

Le , Groves rencontra Donald M. Nelson, le président du War Production Board, pour pouvoir disposer d'une plus large autonomie dans la décision d'accorder un rang AAA à chaque fois que cela était nécessaire. Nelson était initialement réticent mais céda après que Groves eut menacé de faire appel au président des États-Unis[49]. Groves promit de n'utiliser le rang AAA qu'en cas de nécessité. Il apparut par la suite que AAA était trop élevé pour les besoins routiniers du projet et que AA-3 était trop faible. Après avoir exercé régulièrement des pressions, Groves reçut l'autorisation d'utiliser AA-1 le [50].

L'un des premiers problèmes de Groves était de trouver un directeur pour le projet Y, le groupe chargé de concevoir et de construire la bombe. Les directeurs des trois laboratoires, Urey, Lawrence ou Compton étaient des candidats parfaitement adaptés mais ils ne pouvaient pas être détachés de leur poste actuel. Compton recommanda Oppenheimer, qui maitrisait déjà bien les principes de conception de la bombe. Cependant, Oppenheimer avait peu d'expérience administrative et, à la différence d'Urey, de Lawrence et de Compton, il n'avait pas reçu de prix Nobel, ce que de nombreux scientifiques considéraient comme indispensable pour le responsable d'un laboratoire aussi important. On s'inquiétait également des relations d'Oppenheimer car beaucoup de ses associés étaient communistes de même que son frère, Frank Oppenheimer, son épouse, Kitty et sa petite amie, Jean Tatlock. Une longue conversation durant un déplacement en train en convainquit Groves et Nichols qu'Oppenheimer avait complètement compris les problèmes liés à la création d'un laboratoire dans une région isolée et qu'il devait être placé à sa tête. Groves décida de passer outre les exigences de sécurité et autorisa la nomination d'Oppenheimer le [51] - [52].

Sous Groves, le colonel Kennet Nichols a été nommé « Manhattan Engineer District Engineer » et le major Charles Vanden Bulck a continué en tant que directeur administratif et d'approvisionnement[53].

Collaboration avec le Royaume-Uni

Les Britanniques et les Américains échangèrent des informations sur le nucléaire mais ne mirent initialement pas en commun leurs efforts. Le Royaume-Uni refusa les propositions de Bush et de Conant en 1941 visant à renforcer la coopération avec son propre projet, Tube Alloys[54]. Cependant, il ne disposait pas des ressources et de la main d'œuvre des États-Unis et, malgré son avance initiale, le projet Tube Alloys prit du retard sur son homologue américain. Le , Sir John Anderson, le ministre responsable du projet, confia à Winston Churchill que « Nous devons faire face au fait que… [nos] travaux pionniers… sont un atout éphémère et, si nous ne capitalisions pas rapidement, nous serons dépassés. Aujourd'hui, nous pouvons apporter une contribution à un projet commun. Bientôt nous aurons peu ou pas de choses à offrir[55] ». À ce moment, la position britannique s'était détériorée. Bush et Conant avaient décidé que les États-Unis n'avaient plus besoin d'aide extérieure ; d'autres membres du comité sur la bombe voulaient empêcher que le Royaume-Uni dispose de la capacité de fabriquer une bombe atomique dans l'après-guerre. Le comité proposa de réduire les échanges d'informations avec le Royaume-Uni, même si cela devait ralentir le projet américain, et le président Roosevelt accepta l'idée. Le transfert d'information diminua ; Bush et Conant indiquèrent aux Britanniques que l'ordre venait « d'en haut ». Début 1943, constatant que les membres du projet américain ne fournissaient plus de données, les Britanniques arrêtèrent d'envoyer des scientifiques et d'envoyer les résultats de leurs recherches aux États-Unis. Les Britanniques envisagèrent de mettre un terme à la fourniture d'eau lourde et d'uranium canadien pour pousser les Américains à reprendre les échanges mais le Canada avait besoin de l'aide américaine pour les produire[56]. Ils envisagèrent également de lancer un programme nucléaire indépendant mais ce dernier ne pourrait pas être terminé à temps pour infléchir le cours de la guerre en Europe[57].

En , Conant estima que l'aide britannique profiterait à certains aspects du projet. L'équipe chargée de la conception de la bombe à Los Alamos indiqua qu'elle aurait besoin de James Chadwick et de quelques autres scientifiques britanniques importants malgré le risque de dévoiler les plans secrets de la bombe[58]. En , Churchill et Roosevelt se rencontrèrent lors de la conférence de Québec et relancèrent la coopération[59]. Le Royaume-Uni accepta néanmoins que certaines informations concernant la construction des grandes usines nécessaires à la fabrication de la bombe ne lui soit pas communiquées[60]. L'accord suivant, conclu à Hyde Park dans l'État de New York en , prolongea cette coopération dans l'après-guerre[61]. L'accord de Québec mit en place un comité — le Combined Policy Committee — pour coordonner les efforts des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada. Les États-Unis y étaient représentés par Stimson, Bush et Conant, le Royaume-Uni par le maréchal britannique John Dill et le colonel John Llewellin et le Canada par Clarence Decatur Howe[62]. Llewellin rentra au Royaume-Uni à la fin de l'année 1943 et fut remplacé dans le comité par Sir Ronald Ian Campbell qui, à son tour, fut remplacé par l'ambassadeur britannique aux États-Unis, Lord Halifax au début de l'année 1945. Sir John Dill mourut à Washington D.C. en et fut remplacé en tant que chef de la mission britannique et comme membre du Combined Policy Committee par le maréchal Sir Henry Maitland Wilson[63].

Après la reprise des Ă©changes d'informations qui suivit l'accord de QuĂ©bec, les Britanniques eurent accès Ă  l'Ă©tat d'avancement et furent très impressionnĂ©s par les dĂ©penses engagĂ©es et les progrès rĂ©alisĂ©s par les AmĂ©ricains. Les États-Unis avaient Ă  l'Ă©poque dĂ©jĂ  dĂ©pensĂ© plus d'un milliard de dollars (13 400 000 000 $ de 2012) alors qu'en 1943 le Royaume-Uni n'avait dĂ©pensĂ© que 500 000 ÂŁ (environ 2 500 000 $[note 5]). Chadwick recommanda que, compte tenu de l'avance du projet amĂ©ricain, le Royaume-Uni accroisse au maximum sa participation dans le projet Manhattan et renonce Ă  mener son propre projet tant que la guerre durait[57]. Avec l'appui de Churchill, il s'assura que toutes les demandes d'assistance de Groves soient satisfaites[65]. La mission britannique qui arriva aux États-Unis en incluait Niels Bohr, Otto Frisch, Klaus Fuchs, Rudolf Peierls et Ernest Titterton[66]. De nouveaux scientifiques arrivèrent au dĂ©but de l'annĂ©e 1944. Ceux assignĂ©s Ă  la diffusion gazeuse quittèrent le projet Ă  l'automne 1944 et les 35 chercheurs assignĂ©s au laboratoire de Lawrence Ă  Berkeley furent redĂ©ployĂ©s dans d'autres groupes de recherche et restèrent aux États-Unis jusqu'Ă  la fin de la guerre. Les 19 scientifiques envoyĂ©s Ă  Los Alamos rejoignirent Ă©galement des groupes existants, en particulier ceux chargĂ©s de l'implosion et de l'assemblage de la bombe mais pas ceux responsables de l'Ă©tude et de l'emploi du plutonium[57]. Une clause de l'accord de QuĂ©bec spĂ©cifiait que les armes nuclĂ©aires ne devraient pas ĂŞtre utilisĂ©es sans l'accord du Royaume-Uni. En , Wilson accepta que l'emploi d'armes nuclĂ©aires contre le Japon soit enregistrĂ© comme dĂ©cision du Combined Policy Committee[67].

Le Combined Policy Committee crĂ©a en le Combined Development Trust dirigĂ© par Groves et chargĂ© d'acquĂ©rir du minerai d'uranium et de thorium sur les marchĂ©s internationaux. Le Congo belge et le Canada dĂ©tenaient les plus grandes rĂ©serves d'uranium en dehors d'Europe et le gouvernement belge en exil Ă©tait Ă  Londres. Le Royaume-Uni accepta de cĂ©der l'essentiel du minerai belge aux États-Unis car il ne pouvait pas utiliser la plus grande partie de ce stock compte tenu de leur accès limitĂ©s aux rĂ©sultats des recherches amĂ©ricaines[68]. En 1944, le Trust acheta 1 560 t de minerai d'uranium auprès de sociĂ©tĂ©s gĂ©rant des mines dans le Congo belge. Pour que le secrĂ©taire au TrĂ©sor Henry Morgenthau ne dĂ©couvre pas le projet, un compte spĂ©cial non soumis aux contrĂ´les habituels fut mis en place pour gĂ©rer les fonds du Trust. Entre 1944 et 1947, quand il quitta le Trust, Groves dĂ©posa un total de 37,5 millions de dollars sur le compte du Trust[69].

Groves apprécia l'apport initial des recherches britanniques et la contribution des scientifiques britanniques au projet Manhattan mais il affirma que les États-Unis auraient réussi sans l'aide britannique. Que cette appréciation soit vraie ou fausse, la participation britannique au projet Manhattan joua un rôle crucial dans la réussite du programme nucléaire britannique mené après la guerre lorsque l’Atomic Energy Act de 1946 mit temporairement fin à la coopération nucléaire entre les deux pays[57].

Même si des scientifiques français collaboraient au projet Manhattan à la suite d'une entente avec les Britanniques, les responsables du projet refusèrent d'informer les autorités françaises des travaux en cours et exigeaient le secret des scientifiques. Pourtant, lors d'une visite du général Charles de Gaulle à Ottawa au Canada en 1944, les scientifiques français Pierre Auger, Bertrand Goldschmidt et Jules Guéron, craignant de voir les Américains s'approprier le monopole d'une telle arme, informèrent le général « des conséquences révolutionnaires de ce nouvel élément de la politique mondiale »[70].

Sites

Carte des États-Unis et du sud du Canada où est indiquée l'emplacement des principaux centres du projet.
Quelques sites américains et canadiens ayant joué un rôle important dans le projet Manhattan. Cliquez sur les emplacements pour plus d'informations.

Oak Ridge

Travailleurs, essentiellement féminins, quittant un ensemble de bâtiments.
Changement d'Ă©quipe au Y-12 National Security Complex Ă  Oak Ridge. En mai 1945, 82 000 personnes Ă©taient employĂ©es par le Clinton Engineer Works[71].

Le lendemain de sa prise de fonction, Groves se rendit en train avec le colonel Marshall dans le Tennessee pour inspecter le site proposĂ©[72] - [73]. Groves fut impressionnĂ© par le lieu et, le , le sous-secrĂ©taire Ă  la Guerre, Robert P. Paterson, autorisa le corps du gĂ©nie Ă  acquĂ©rir 23 000 ha de terres pour 3 millions de dollars. 1 200 ha supplĂ©mentaires furent par la suite achetĂ©s. Environ 1 000 familles furent expropriĂ©es de la zone[74]. Les protestations, les actions en justice et une enquĂŞte du Congrès des États-Unis en 1943 n'eurent pas d'effets[75] et, Ă  la mi-novembre, les policiers fĂ©dĂ©raux clouèrent des avis d'expulsions sur les portes des maisons et les ouvriers de construction arrivèrent sur place[76]. Certaines familles reçurent un prĂ©avis de deux semaines pour quitter les maisons qu'elles occupaient depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations[77] ; d'autres s'Ă©taient installĂ©s dans la rĂ©gion après avoir Ă©tĂ© expulsĂ©s pour laisser la place au parc national des Great Smoky Mountains dans les annĂ©es 1920 et pour permettre la construction du barrage Norris dans les annĂ©es 1930[75]. Le coĂ»t total des acquisitions dans la rĂ©gion, qui ne furent pas terminĂ©es avant , coĂ»ta 2,6 millions de dollars soit environ 116 $ l'hectare[78]. Lorsqu'on lui prĂ©senta la proclamation publique no 2, qui dĂ©crĂ©tait qu'Oak Ridge Ă©tait une zone d'exclusion totale oĂą personne ne pouvait entrer sans permission de l'armĂ©e, le gouverneur du Tennessee, Prentice Cooper, la dĂ©chira de rage[79].

Initialement connu comme le Kingston Demolition Range, le site fut officiellement renommĂ© « Clinton Engineer Works » (CEW) au dĂ©but de l'annĂ©e 1943[80]. Pour permettre Ă  la firme de gĂ©nie Stone & Webster de se concentrer sur les installations de production, une zone rĂ©sidentielle pour 13 000 personnes fut conçue et construite par la firme d'architecture Skidmore, Owings and Merrill. Cette zone se trouvait sur les flancs de la Black Oak Ridge et la ville nouvelle fut appelĂ©e Oak Ridge[81]. Au total, les habitants d'Oak Ridge vivaient dans 10 000 maisons (dont 2 500 Cemestos, modèle de maison prĂ©fabriquĂ©e approuvĂ© par la DĂ©fense), 90 dortoirs, 5 000 roulottes et des casernes et cabanes pour 16 000 personnes. Les maisons Ă©taient attribuĂ©es aux travailleurs blancs avec familles, de rang relativement Ă©levĂ© dans la hiĂ©rarchie, tandis que les hommes et les femmes cĂ©libataires Ă©taient affectĂ©s aux dortoirs[82]. Les casernes et les cabanes ont Ă©tĂ© attribuĂ©es aux personnes de couleur ainsi qu'Ă  des personnes occupant des postes gĂ©nĂ©ralement subalternes. Ă€ Oak Ridge, situĂ©e dans le Sud des États-Unis, la sĂ©grĂ©gation raciale Ă©tait omniprĂ©sente[83].

La prĂ©sence militaire Ă  Oak Ridge s'accrut en aoĂ»t 1943 lorsque Nichols remplaça Marshall Ă  la direction du Manhattan District. L'une de ses premières missions Ă©tait de dĂ©placer le quartier-gĂ©nĂ©ral du district Ă  Oak Ridge mĂŞme si le nom du district ne changea pas[84]. En , l'administration des zones rĂ©sidentielles fut externalisĂ©e Ă  la sociĂ©tĂ© Turner Construction par l'intermĂ©diaire d'une filiale appelĂ©e Roane-Anderson Company d'après les comtĂ©s de Roane et d'Anderson oĂą se trouvait Oak Ridge[85]. La population d'Oak Ridge dĂ©passa rapidement les estimations initiales et atteignit un maximum de 75 000 personnes en et Ă  ce moment, 82 000 personnes Ă©taient employĂ©es par le CEW[71] et 10 000 par Roane-Anderson[85].

Los Alamos

Un groupe d'hommes assis dans des chaises pliantes.
Colloque organisé par le projet Manhattan à Los Alamos en 1946. De gauche à droite au premier rang : les physiciens Norris Bradbury, John H. Manley, Enrico Fermi et J. M. B. Kellogg. Derrière Manley se trouve Robert Oppenheimer, avec Richard Feynman à sa gauche[86].

La possibilité d'implanter le projet Y à Oak Ridge fut envisagée mais il fut décidé de l'installer dans un lieu reculé. Sur recommandation d'Oppenheimer, qui y possédait un ranch, la recherche d'une zone acceptable fut limitée aux alentours d'Albuquerque dans le Nouveau-Mexique. En , le major John H. Dudley du projet Manhattan fut envoyé pour étudier la zone et il recommanda un site près de Jemez Springs[87]. Le , Oppenheimer, Groves, Dudley et d'autres personnes visitèrent le site. Oppenheimer craignait que les hautes falaises autour de la zone ne rendent les gens claustrophobes et les ingénieurs étaient inquiets des conséquences d'une inondation. Le groupe se rendit ensuite à proximité de la Los Alamos Ranch School. Oppenheimer fut convaincu et il exprima sa forte préférence pour ce second endroit en citant sa beauté naturelle et la vue sur la chaîne Sangre de Cristo qui, il espérait, inspirerait ceux qui travailleraient sur le projet[88] - [89]. Les ingénieurs s'inquiétaient des difficultés d'accès par la route et de l'approvisionnement en eau mais ils trouvaient néanmoins que le site était idéal[90].

Patterson approuva l'acquisition du site le et accorda 440 000 $ pour l'achat de 22 000 ha de terres dont 3 600 ha appartenaient dĂ©jĂ  au gouvernement fĂ©dĂ©ral amĂ©ricain[91]. Le secrĂ©taire Ă  l'Agriculture Claude R. Wickard cĂ©da 18 300 ha du service des forĂŞts des États-Unis au DĂ©partement de la Guerre « pour aussi longtemps que les nĂ©cessitĂ©s militaires continueront[92] ». Les besoins fonciers pour la construction d'une nouvelle route puis pour un droit de passage d'une ligne Ă©lectrique de 40 km accrurent la superficie des achats de terrain Ă  18 509 ha mais seulement 414 971 $ furent dĂ©pensĂ©s[91]. Les travaux de construction furent attribuĂ©s Ă  la M. M. Sundt Company de Tucson dans l'Arizona avec la Willard C. Kruger and Associates de Santa Fe dans le Nouveau-Mexique en tant qu'architecte et ingĂ©nieur. Les travaux commencèrent en . Groves avait initialement allouĂ© 300 000 $ pour la construction, trois fois l'estimation d'Oppenheimer, avec une date d'achèvement placĂ©e au . Il devint rapidement clair que l'ampleur du projet Y Ă©tait bien plus importante que prĂ©vu et lorsque les travaux furent terminĂ©s le , plus de 7 millions de dollars avaient Ă©tĂ© dĂ©pensĂ©s[93].

Pour des raisons de secret, Los Alamos était appelé « Site Y » ou « the Hill » (la colline)[94]. Les certificats de naissance des bébés nés à Los Alamos durant la guerre indiquaient le lieu de naissance comme étant la boîte postale 1663 à Santa Fe[95]. Initialement, Los Alamos devait être un laboratoire militaire et Oppenheimer et les autres scientifiques devaient être incorporés dans l'armée. Oppenheimer alla jusqu'à commander un uniforme de lieutenant-colonel mais deux autres physiciens importants, Robert Bacher et Isidor Rabi rechignaient à cette idée. Conant, Groves et Oppenheimer proposèrent alors un compromis dans lequel le laboratoire était géré par l'université de Californie sous contrat avec le Département de la Guerre[96].

Argonne

Dessin d'une structure carrée composée d'un empilement de briques.
Dessin de la pile atomique de Chicago

Un conseil militaire de l'OSRD décida le de construire une usine pilote pour la production de plutonium dans la forêt d'Argonne du comté de DuPage au sud-ouest de Chicago. En juillet, Nichols organisa le prêt de 400 ha du comté de Cook dans l'Illinois et le capitaine James F. Grafton fut nommé ingénieur de la zone de Chicago. Il devint rapidement clair que l'ampleur des opérations était trop importante pour l'Argonne et il fut décidé de construire l'usine à Oak Ridge[97].

Les retards dans la création du centre d'Argonne menèrent Arthur Compton à autoriser la construction du premier réacteur nucléaire sous les gradins du Stagg Field (en) de l'université de Chicago. Le , une équipe menée par Enrico Fermi déclencha la première réaction en chaîne nucléaire artificielle[98] - [note 6] dans un réacteur expérimental appelé « Chicago Pile-1 ». Compton rapporta le succès à Conant à Washington D.C. dans un message téléphonique codé en déclarant, « le navigateur italien [Fermi] vient d'atteindre un nouveau monde[100] - [note 7] - [note 8] ». En , le successeur de Grafton, le major Arthur V. Peterson, ordonna le démantèlement de la pile de Chicago pour la réassembler à Argonne car il considérait que les opérations sur un réacteur étaient trop dangereuses pour une zone densément peuplée[101].

Hanford

En , on commença Ă  s'inquiĂ©ter que mĂŞme Oak Ridge Ă©tait trop près d'un grand centre urbain (Knoxville) dans le cas improbable d'un accident nuclĂ©aire majeur. Groves mit sous contrat la sociĂ©tĂ© DuPont en pour ĂŞtre le premier entrepreneur pour la construction d'un complexe de production de plutonium. DuPont reçut un contrat Ă  prix coĂ»tant majorĂ© mais le prĂ©sident de la compagnie, Walter S. Carpenter, Jr., ne voulait aucun profit d'aucune sorte et demanda que le contrat proposĂ© soit explicitement amendĂ© pour empĂŞcher la compagnie d'obtenir des droits sur la propriĂ©tĂ© industrielle. Cela fut acceptĂ© mais pour des raisons lĂ©gales, un frais d'un dollar fut adoptĂ©. Après la guerre, DuPont demanda Ă  ĂŞtre dĂ©chargĂ© du contrat en avance et il dut payer 33 cents[102].

DuPont recommanda que le site soit situĂ© aussi loin que possible de l'usine existante de production d'uranium Ă  Oak Ridge[103]. En , Groves dĂ©tacha le colonel Franklin Matthias pour accompagner les ingĂ©nieurs de DuPont qui commencèrent Ă  Ă©tudier les sites potentiels. Matthias rapporta que le site de Hanford près de Richland dans l'État de Washington Ă©tait « idĂ©al sur presque tous les plans ». Le lieu Ă©tait isolĂ© et se trouvait Ă  proximitĂ© du fleuve Columbia qui pouvait fournir suffisamment d'eau pour refroidir les rĂ©acteurs devant produire le plutonium. Groves visita le site en janvier et crĂ©a le Hanford Engineer Works (HEW), de nom de code « Site W[104] ». Le sous-secrĂ©taire Patterson donna son accord le et accorda 5 millions de dollars pour l'acquisition de 16 000 ha de terrains dans la zone. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral relogea environ 1 500 rĂ©sidents de White Bluffs, de Hanford et d'autres emplacements ainsi que les tribus Wanapum de la rĂ©gion. Les fermiers se plaignirent des indemnisations pour les cultures qui Ă©taient dĂ©jĂ  plantĂ©es avant l'acquisition des terres. Lorsque le calendrier le permettait, l'armĂ©e autorisait la moisson mais cela ne fut pas toujours possible[104]. Le processus d'acquisition des terrains traĂ®na en longueur et ne fut pas achevĂ© avant la fin du projet Manhattan en [105].

Nombreux ouvriers devant un comptoir à l'intérieur d'un bâtiment.
Employés du site de Hanford attendant leur salaire.

La guerre qui faisait rage ne retarda pas les travaux. MĂŞme si les recherches sur la conception des rĂ©acteurs au Metallurgical Laboratory n'Ă©taient pas suffisamment avancĂ©es pour prĂ©dire l'ampleur du projet, les travaux commencèrent en pour construire les installations devant accueillir 25 000 ouvriers, dont la moitiĂ© devait vivre sur le site. En , quelque 1 200 bâtiments avaient Ă©tĂ© construits et près de 51 000 personnes habitaient dans le camp de construction. En tant qu'ingĂ©nieur topographe, Matthias exerçait un contrĂ´le sur l'ensemble du site[106]. Ă€ son maximum, le camp de construction Ă©tait la troisième ville la plus peuplĂ©e de l'État de Washington[107]. Hanford exploitait une flotte de plus de 900 bus pour transporter les ouvriers, plus que la ville de Chicago[108]. Comme Los Alamos et Oak Ridge, Richland Ă©tait une ville fermĂ©e mais elle ressemblait plus Ă  la ville champignon amĂ©ricaine typique de la guerre : le nombre de militaires Ă©tait limitĂ© et les Ă©lĂ©ments de sĂ©curitĂ© physique comme les clĂ´tures, les tours et les chiens de garde Ă©taient moins Ă©vidents[109].

Sites canadiens

La sociĂ©tĂ© canadienne Cominco produisait de l'hydrogène Ă©lectrolytique Ă  Trail en Colombie-Britannique depuis 1930 et Urey suggĂ©ra en 1941 qu'elle pourrait produire de l'eau lourde. L'usine existante coĂ»tait 10 millions de dollars et Ă©tait composĂ©e de 3 215 cellules consommant 75 MW d'Ă©lectricitĂ© et on y ajouta des cellules d'Ă©lectrolyse pour faire passer la concentration de deutĂ©rium de 2,3 Ă  99,8 %. Pour rĂ©aliser ce processus, Hugh Taylor de l'universitĂ© de Princeton dĂ©veloppa un catalyseur platine sur carbone pour les trois premières Ă©tapes, tandis qu'Urey dĂ©veloppa un catalyseur nickel-chrome pour la dernière Ă©tape. Le coĂ»t final fut de 2,8 millions de dollars. Le gouvernement canadien n'apprit pas officiellement l'existence du projet avant . La production d'eau lourde Ă  Trail commença en et continua jusqu'en 1956. L'eau lourde de Trail Ă©tait utilisĂ©e pour le rĂ©acteur Argonne, le premier Ă  utiliser de l'eau lourde et de l'uranium, qui devint critique le [110].

Le site de Chalk River en Ontario fut Ă©tabli pour reloger les travaux du laboratoire de MontrĂ©al de l'universitĂ© de MontrĂ©al Ă  l'Ă©cart d'une zone urbaine. Une nouvelle communautĂ© fut construite Ă  Deep River en Ontario pour accueillir des rĂ©sidences et des installations pour les membres de l'Ă©quipe. Le site fut choisi pour sa proximitĂ© avec les zones industrielles de l'Ontario et du QuĂ©bec et pour l'existence d'un chemin de fer menant vers une grande base militaire Ă  Petawawa. SituĂ© sur la rivière des Outaouais, le site avait accès Ă  une grande quantitĂ© d'eau. Le premier directeur du nouveau laboratoire fut le physicien britannique John Cockcroft, qui fut ensuite remplacĂ© par Bennett Lewis. Un rĂ©acteur expĂ©rimental appelĂ© ZEEP (Zero Energy Experimental Pile) devint le premier rĂ©acteur canadien et le premier Ă  ĂŞtre construit en dehors des États-Unis lorsqu'il devint critique en . Un rĂ©acteur plus important de 10 MW, appelĂ© « NRX », fut conçu durant la guerre et devint critique en [110].

Sites de production d'eau lourde

Bien que le modèle prĂ©fĂ©rĂ© de DuPont pour le rĂ©acteur nuclĂ©aire soit refroidi Ă  l'hĂ©lium et modĂ©rĂ© avec du graphite, la sociĂ©tĂ© continuait d'envisager l'eau lourde en remplacement si le rĂ©acteur au graphite se rĂ©vĂ©lait impossible Ă  construire pour une raison ou une autre. On estima donc que t d'eau lourde par mois Ă©taient nĂ©cessaires. Comme l'usine de Trail, en cours de modifications, ne produisait que 0,5 t d'eau lourde par mois, des capacitĂ©s de production supplĂ©mentaires Ă©taient nĂ©cessaires. Groves autorisa donc DuPont Ă  Ă©tablir des installations de production d'eau lourde Ă  Morgantown en Virginie-Occidentale, Ă  Dana et Newport dans l'Indiana et Ă  Childersburg et Sylacauga dans l'Alabama. Les usines amĂ©ricaines employaient un processus diffĂ©rent de celui utilisĂ© Ă  Trail ; l'eau lourde Ă©tait extraite par distillation en exploitant le point d'Ă©bullition infĂ©rieur de l'eau lourde[111] - [112].

Uranium

Minerai

La principale matière première du projet Ă©tait l'uranium qui Ă©tait d'une part utilisĂ© comme combustible dans des rĂ©acteurs pour ĂŞtre transformĂ© en plutonium et qui d'autre part constituait, sous forme enrichie, le cĹ“ur de la bombe atomique. En 1940, on connaissait quatre gisements importants d'uranium : dans le Colorado, dans le nord du Canada, Ă  Jáchymov en TchĂ©coslovaquie et au Congo belge[113]. Seul Jáchymov n'Ă©tait pas entre les mains des AlliĂ©s. Une Ă©tude de avait conclu qu'on disposait de quantitĂ©s suffisantes d'uranium pour satisfaire les besoins du projet[114]. Nichols demanda au DĂ©partement d'État de mettre en place des contrĂ´les sur l'exportation du dioxyde d'uranium et nĂ©gocia auprès du Congo belge l'achat de 1 200 t de minerai d'uranium qui furent stockĂ©es dans un entrepĂ´t de Staten Island Ă  New York. Il acheta Ă©galement Ă  la sociĂ©tĂ© Eldorado Gold Mines de l'uranium de sa mine de Port Hope en Ontario et se le fit livrer par chargement de 100 tonnes. Le gouvernement canadien acheta par la suite des parts de cette sociĂ©tĂ© dont il devint actionnaire majoritaire[115].

Le gisement le plus riche se trouvait dans la mine de Shinkolobwe au sud de la province du Katanga, Congo belge mais celle-ci Ă©tait inondĂ©e et fermĂ©e. Nichols tenta sans succès de nĂ©gocier sa rĂ©ouverture avec Edgar Sengier, le directeur de l'Union minière du Haut Katanga propriĂ©taire de la mine[116]. Ce point de blocage fut abordĂ© au Combined Policy Committee et les Britanniques qui dĂ©tenaient 30 % des actions de l'Union minière se chargèrent de nĂ©gocier la rĂ©ouverture de la mine. Sir John Anderson et l'ambassadeur John Gilbert Winant firent pression sur Sengier et le gouvernement belge en pour faire rouvrir la mine et fournir 1 750 t de minerai[117]. Pour Ă©viter d'ĂŞtre dĂ©pendant du minerai canadien et britannique, Groves nĂ©gocia par ailleurs l'achat du stock de l'US Vanadium Corporation Ă  Uravan dans le Colorado. 810 tonnes de minerai furent fournis par le Colorado[118].

La sociĂ©tĂ© Mallinckrodt Incorporated implantĂ©e Ă  Saint-Louis dans le Missouri Ă©tait chargĂ© de traiter le minerai en le dissolvant dans de l'acide nitrique afin de produire du nitrate d'uranyle. De l'Ă©ther Ă©tait ensuite ajoutĂ© pour rĂ©aliser une extraction liquide-liquide et retirer les impuretĂ©s du nitrate d'uranyle. Le rĂ©sultat Ă©tait ensuite chauffĂ© pour former du trioxyde d'uranium qui Ă©tait finalement rĂ©duit pour obtenir du dioxyde d'uranium[119]. Ă€ partir de , Mallinckrodt produisit une tonne d'oxyde pur par jour mais transformer cet oxyde en mĂ©tal se rĂ©vĂ©la plus difficile que prĂ©vu pour les industriels Westinghouse Electric et Metal Hydrides[120]. La production Ă©tait trop lente et la qualitĂ© Ă©tait beaucoup trop basse. Une branche spĂ©ciale du Metallurgical Laboratory fut implantĂ©e Ă  l'universitĂ© d'État de l'Iowa Ă  Ames sous la direction du chimiste canadien Frank Spedding pour Ă©tudier des alternatives au procĂ©dĂ© utilisĂ©[121]. DĂ©but 1943, le laboratoire avait mis au point le procĂ©dĂ© Ames permettant d'accroĂ®tre la production et de satisfaire les contraintes de qualitĂ©. De la poudre de tĂ©trafluorure d'uranium et de magnĂ©sium Ă©taient placĂ©es dans un tube en acier qui Ă©tait clos puis introduit dans un four chauffĂ© Ă  1 500 °C. Le mĂ©lange rĂ©agissait violemment, fondait et la grande diffĂ©rence de densitĂ© permettait de sĂ©parer le mĂ©tal et le laitier.

SĂ©paration isotopique

L'uranium naturel est composé de 99,3 % d'uranium 238 et de 0,7 % d'uranium 235 mais seul ce dernier est fissile. L'uranium 235 devait être séparé de l'autre isotope et de nombreuses méthodes furent envisagées pour enrichir l'uranium et la plupart furent mises en place à Oak Ridge[122] - [123].

La technologie la plus évidente, la centrifugation, échoua mais la séparation électromagnétique et les diffusions gazeuse et thermique fonctionnaient et contribuèrent au projet. En , Groves proposa d'utiliser les produits de certaines usines comme produits d'entrée des autres[124].

Carte du site d'Oak Ridge. Il y a une rivière au sud et une ville au nord.
Oak Ridge accueillit plusieurs technologies de séparation de l'uranium. Les installations les plus importantes pour la fabrication d'uranium enrichi sont en rouge. Le Y-12 National Security Complex effectuant la séparation électromagnétique se trouve en haut à droite. Les installations K-25 et K-27 de diffusion gazeuse se trouvent en bas à gauche près de l'usine S-50 de diffusion thermique. L'installation X-10 était consacrée à la production du plutonium

Centrifugation

Le procédé de centrifugation était considéré comme une méthode de séparation prometteuse en [125]. Le physicien américain Jesse Beams avait développé un tel procédé à l'université de Virginie durant les années 1930 mais avait rencontré des difficultés techniques car la séparation demandait de très grandes vitesses de rotation qui entraînaient des vibrations susceptibles de détruire la machine. En 1941, il commença à travailler sur l'hexafluorure d'uranium, le seul composé gazeux connu de l'uranium et fut capable de séparer l'uranium 235. À l'université Columbia, Harold Urey et le physicien américain Karl P. Cohen[note 9] avaient étudié le procédé et ils développèrent une théorie mathématique qui permit à Westinghouse de commencer la construction d'une installation de séparation[127].

Passer Ă  une taille industrielle reprĂ©sentait un formidable dĂ©fi technologique. Urey et Cohen estimèrent que produire un kilogramme d'uranium 235 par jour demanderait 50 000 centrifugeuses avec des rotors de un mètre ou 10 000 avec des rotors de quatre mètres, en supposant que ces dernières soient rĂ©alisables. La perspective de faire tourner continuellement autant de rotors Ă  grande vitesse apparaissait dĂ©courageante[128] et quand Beams testa ses Ă©quipements expĂ©rimentaux, il obtint seulement 60 % du rendement prĂ©vu, ce qui indiquait que de nouvelles centrifugeuses Ă©taient nĂ©cessaires. Beams, Urey et Cohen commencèrent ensuite Ă  travailler sur une sĂ©rie d'amĂ©liorations qui permettrait d'accroĂ®tre l'efficacitĂ© de processus. Cependant, les frĂ©quentes pannes des moteurs, ainsi que les bris des arbres de transmission et des supports ralentirent les travaux sur l'usine pilote[129]. En , le procĂ©dĂ© de centrifugation fut abandonnĂ© par le comitĂ© militaire Ă  la suite des recommandations de Conant, Nichols et August C. Klein de la Stone & Webster[130].

Séparation électromagnétique

La séparation électromagnétique fut développée par Lawrence à l'université de Californie. Cette méthode employait des systèmes appelés « calutrons », un hybride entre un spectromètre de masse et un cyclotron. Le nom dérivait des mots « Californie », « université » et « cyclotron[131]». Dans le processus électromagnétique, un champ magnétique déviait les particules chargées en fonction de leur masse[132]. Le procédé n'était ni scientifiquement élégant, ni industriellement efficace[133]. Comparé à la diffusion gazeuse ou à un réacteur nucléaire, la séparation électromagnétique demandait des matériaux plus rares, plus de personnel et était plus coûteuse. Néanmoins, il s'agissait d'une technologie éprouvée qui représentait moins de risques et elle fut donc adoptée. De plus, l'installation pouvait être construite par étapes et atteindre rapidement sa capacité maximale[131].

Une grande structure en forme d'ovale.
Le champ de course Alpha I du Y-12 National Security Complex.

Le gĂ©nĂ©ral Marshall et le lieutenant-colonel Nichols apprirent que la sĂ©paration Ă©lectromagnĂ©tique demanderait 5 000 t de cuivre dont les stocks Ă©taient très limitĂ©s. Cependant, l'argent pouvait ĂŞtre substituĂ© dans un ratio de 11 pour 10. Le , Nichols rencontra le sous-secrĂ©taire au TrĂ©sor Daniel W. Bell et lui demanda de transfĂ©rer 6 000 t d'argent du West Point Bullion Depository dans l'État de New York[note 10] - [134]. Finalement 14 700 t furent utilisĂ©es[135].

Les lingots de 31 kg furent fondus et envoyĂ©s Ă  l'usine de Phelps Dodge dans le New Jersey oĂą ils furent extrudĂ©s sous forme de lames de 15,9 mm d'Ă©paisseur, 76 mm de largeur et 12 m de long. Ces dernières furent enroulĂ©es par l'entreprise Allis-Chalmers dans le Wisconsin pour former des bobines magnĂ©tiques. Après la guerre, toutes les machines furent dĂ©montĂ©es et nettoyĂ©es et le plancher fut enlevĂ© et brĂ»lĂ© pour rĂ©cupĂ©rer les particules d'argent. Finalement, seul 0,003 % de l'argent fut perdu[135] - [136]. Le dernier lingot d'argent fut rĂ©trocĂ©dĂ© au TrĂ©sor amĂ©ricain en [137].

La responsabilité pour la conception et la construction de l'installation de séparation électromagnétique au sein du laboratoire national d'Oak Ridge, qui fut appelée Y-12 National Security Complex, fut attribuée à la société Stone & Webster par le comité S-1 en . Le plan prévoyait la construction de cinq unités de première étape appelées « Alpha racetrack » (« champ de course Alpha ») et deux unités de traitement final appelés « Beta racetrack ». En , Groves autorisa la construction de quatre autres unités, appelées « Alpha II », qui commença en [138].

Lorsque l'installation fut testĂ©e en octobre, les rĂ©servoirs Ă  vide de 14 t sortirent de l'alignement du fait de la puissance des aimants et ils furent attachĂ©s de manière plus sĂ©curisĂ©e. NĂ©anmoins, un problème plus grave apparut lorsque les bobines magnĂ©tiques commencèrent Ă  prĂ©senter des courts-circuits qui dĂ©clenchaient des Ă©tincelles. En dĂ©cembre, Groves demanda d'ouvrir un aimant et on dĂ©couvrit des quantitĂ©s importantes de rouille. Groves ordonna alors le dĂ©montage des aimants qui furent renvoyĂ©s Ă  l'usine pour y ĂŞtre nettoyĂ©s. Une unitĂ© de dĂ©capage fut implantĂ©e sur le site pour nettoyer les canalisations et les raccords[133]. La seconde unitĂ© Alpha I ne fut pas opĂ©rationnelle avant la fin du mois de ; la première Beta et les première et troisième Alpha I commencèrent Ă  fonctionner en mars ; la quatrième Alpha I fut achevĂ©e en avril. Les quatre champs de course Alpha II furent terminĂ©s entre juillet et [139].

Un long couloir dans lesquelles des femmes assises sur des tabourets hauts surveillent des consoles avec des cadrans et des interrupteurs.
Opératrices devant leurs panneaux de contrôle au Y-12 National Security Complex. Gladys Owens, la femme assise au premier plan, ne savait pas à quoi servait ce qu'elle faisait jusqu'à ce qu'elle ne voie cette photographie lors d'une visite du site cinquante ans plus tard[140].

L'entreprise Tennessee Eastman fut engagĂ©e pour gĂ©rer le Y-12 National Security Complex avec une indemnitĂ© de 22 500 $ par mois plus 7 500 $ par champ de course pour les sept premiers et 4 000 $ par champ de course supplĂ©mentaire[141]. Les calutrons Ă©taient initialement opĂ©rĂ©s par des scientifiques de Berkeley pour rĂ©gler les problèmes et obtenir un rythme de production raisonnable. Ils furent ensuite remplacĂ©s par des opĂ©rateurs de Tennessee Eastman dont l'Ă©ducation s'Ă©tait arrĂŞtĂ©e au niveau Ă©quivalent du collège en France. Nichols compara les rapports de production et indiqua Ă  Lawrence que les jeunes opĂ©ratrices « pĂ©quenaudes » Ă©taient meilleures que ses doctorants. Ils acceptèrent de lancer une compĂ©tition et Lawrence perdit, ce qui augmenta le moral des techniciens de Tennessee Eastman. Les jeunes femmes « Ă©taient entraĂ®nĂ©s comme des soldats et ne posaient pas de questions » tandis que les « scientifiques ne pouvaient s'empĂŞcher de mener des enquĂŞtes chronophages sur les fluctuations les plus infimes des cadrans[142] ».

Le Y-12 National Security Complex enrichissait l'uranium jusqu'à atteindre une teneur de 13 à 15 % d'uranium 235 et il envoya ses premières centaines de grammes à Los Alamos en . Seul 0,017 % de l'uranium entrant ressortait en produit final. L'essentiel était dispersé dans les machineries du processus. Des efforts de récupération éprouvants permirent d'augmenter le rendement à 10 % en . En février, les unités Alpha commencèrent à recevoir de l'uranium légèrement enrichi à hauteur de 1,4 % produit dans la nouvelle installation S-50 de diffusion thermique. Le mois suivant, elles reçurent de l'uranium enrichi à 5 % de la part de l'unité K-25 de diffusion gazeuse et en avril, l'usine K-25 produisait de l'uranium suffisamment enrichi pour que ce dernier soit introduit directement dans les champs de course Beta[143].

Diffusion gazeuse

La méthode la plus prometteuse mais également la plus difficile à mettre en œuvre était la diffusion gazeuse. La loi de Graham indique que la vitesse d'effusion d'un gaz est inversement proportionnelle à la racine carrée de sa masse moléculaire. Par conséquent, dans une boite contenant une membrane semi-perméable et un mélange de deux gaz, les molécules les plus légères sortiront du réservoir plus rapidement que les plus lourdes. Le gaz sortant est quelque peu enrichi en molécules légères tandis que le gaz résiduel est quelque peu épuisé. L'idée était de mettre ces réservoirs en série avec une cascade de pompes et de membranes pour obtenir progressivement un mélange enrichi. Les recherches sur ce procédé furent menées à l'université Columbia par un groupe dont Urey, Karl P. Cohen et John R. Dunning faisaient partie[144].

Vue aérienne d'un énorme bâtiment en forme de U.
L'usine K-25 d'Oak Ridge. Photo prise par Ed Westcott, Ă  qui l'on doit la plupart des photos du projet Manhattan[145].

En , le comité militaire approuva la construction d'une usine de diffusion gazeuse avec 600 unités en série[146]. Le , la société M. W. Kellogg accepta un contrat de construction de l'installation dont le nom de code était K-25. Un contrat à prix coûtant majoré fixe de 2,5 millions de dollars fut signé. Une entité séparée appelée Kellex fut créée pour le projet et était dirigée par Percival C. Keith, l'un des vice-présidents de Kellogg[147]. Le procédé était extrêmement complexe. L'usage de l'hexafluorure d'uranium était obligatoire car il n'existait aucun substitut mais ce gaz était fortement corrosif et les moteurs et les pompes devaient être étanches au vide et placés dans un gaz inerte. Le plus gros problème était néanmoins la conception de la membrane qui devait être à la fois solide, poreuse et résistante à la corrosion par l'hexafluorure d'uranium. Le meilleur choix était le nickel ; Edward Adler et Edward Norris développèrent un grillage à base de nickel galvanisé. Une usine pilote avec 6 unités en série fut construite à Columbia pour tester le procédé mais le prototype de Norris-Adler se révéla trop fragile. Une autre membrane fut développée par Kellex, les laboratoires Bell et Bakelite Corporation à base de nickel fritté et celle-ci fut approuvée par Groves et entra en production en [148] - [149].

Le plan de Kellex pour l'installation K-25 prĂ©voyait la construction d'une structure de quatre Ă©tages de 800 m de long repliĂ© en forme de U comprenant 54 bâtiments contigus. Ces derniers Ă©taient divisĂ©s en neuf sections qui accueillaient chacune une unitĂ© de production sur six Ă©tapes. Les unitĂ©s pouvaient ĂŞtre utilisĂ©es indĂ©pendamment ou ĂŞtre installĂ©es en sĂ©rie. Une Ă©tude topographique commença par dĂ©limiter le site de km2 en . Les travaux sur le bâtiment principal commencèrent en et l'usine pilote fut achevĂ©e le . En 1945, Groves annula la construction des dernières unitĂ©s de l'usine et demanda Ă  Kellex de concevoir et de construire une installation annexe qui fut appelĂ©e K-27. Kellex transfĂ©ra la dernière unitĂ© au contractant chargĂ© de l'exploitation, Union Carbide and Carbon, le . Le coĂ»t total, incluant celui de l'usine K-27 achevĂ©e après la guerre, se monta Ă  480 millions de dollars[150].

La production commença en et la qualité du produit augmentait à chaque étape du processus. En , l'installation K-25 atteignit un enrichissement de 1,1 % et les produits de l'usine S-50 de diffusion thermique commencèrent à être utilisés pour alimenter l'usine. Certains produits réalisés les mois suivant atteignirent une teneur de 7 %. Les usines K-25 et K-27 atteignirent leur potentiel maximal dans l'immédiat après-guerre lorsqu'elles éclipsèrent les autres centres de production et devinrent les prototypes d'une nouvelle génération d'usines[151].

Diffusion thermique

La méthode de diffusion thermique était basée sur la théorie de Sydney Chapman et de David Enskog selon laquelle dans un mélange gazeux soumis à un gradient de température, les particules les plus lourdes se concentrent dans la partie froide et les plus légères dans la partie chaude. Comme les gaz chauds ont tendance à s'élever et que les gaz froids descendent, cela pouvait être utilisé pour séparer les isotopes de l'uranium. La viabilité du procédé fut démontrée pour la première fois par H. Clusius et G. Dickel en Allemagne en 1938[152]. La diffusion thermique fut développée par des scientifiques de la Marine américaine mais elle ne fut pas sélectionnée pour être utilisée dans le cadre du projet Manhattan. Cela fut essentiellement attribué aux doutes sur la faisabilité technique mais la rivalité entre l'armée de terre et la marine a sans doute joué un rôle[153].

Vue aérienne d'une usine avec trois cheminées au bord d'une rivière.
L'installation S-50 est le bâtiment noir situé derrière la centrale thermique d'Oak Ridge (avec les cheminées).

Le Naval Research Laboratory continua ses recherches sous la direction de Philip Abelson mais sans contacts avec le projet Manhattan jusqu'en avril 1944 lorsque le capitaine William Sterling Parsons, l'officier naval responsable de l'armement Ă  Los Alamos, informa Oppenheimer des progrès encourageants des expĂ©riences de la marine. Oppenheimer Ă©crivit Ă  Groves pour lui indiquer que les produits de l'usine de diffusion gazeuse pourraient ĂŞtre utilisĂ©s dans le Y-12 National Security Complex. Groves forma un comitĂ© formĂ© de Warren K. Lewis, Eger Murphree et Richard Tolman pour Ă©tudier l'idĂ©e et ils estimèrent qu'une installation de diffusion thermique de 3,5 millions de dollars pourrait enrichir 50 kg d'uranium par semaine jusqu'Ă  une teneur de 0,9 %. Groves approuva sa construction le [154].

Le contrat de construction fut accordĂ© Ă  la H. K. Ferguson Company de Cleveland dans l'Ohio et l'usine fut appelĂ©e S-50. Les conseillers de Groves, Karl P. Cohen et W. I. Thompson de Standard Oil[155] estimèrent qu'il faudrait six mois pour la construire mais Groves ne donna que quatre mois. Les plans prĂ©voyaient 2 142 colonnes de diffusion de 15 m composĂ©es de trois tubes concentriques et disposĂ©es en 21 compartiments. La centrale thermique de l'usine K-25 fournirait de la vapeur Ă  640 bars et Ă  285 °C qui descendrait dans le tube central en nickel de 32 mm de diamètre tandis que de l'eau Ă  68 °C remonterait dans le tube en cuivre extĂ©rieur. La sĂ©paration isotopique s'effectuerait dans l'espace occupĂ© par l'hexafluorure d'uranium entre les tubes de cuivre et de nickel[156].

Les travaux commencèrent le et l’installation S-50 commença Ă  fonctionner en septembre. Ferguson exploitait l'usine par l'intermĂ©diaire d'une filiale appelĂ©e Fercleve. L'usine ne produisit que 4,8 kg d'uranium enrichi Ă  0,852 % en octobre. Les fuites entraĂ®naient des arrĂŞts qui limitaient la production mais la production atteignit 5 770 kg en [157]. En , les 21 compartiments commencèrent Ă  opĂ©rer et si la production de l'usine S-50 alimentait initialement le Y-12 National Security Complex, les trois processus d'enrichissement furent ensuite mis en sĂ©rie. L'usine S-50 enrichissait l'uranium de 0,71 Ă  0,89 % puis ce rĂ©sultat alimentait le processus de diffusion gazeuse de la centrale K-25 qui produisait de l'uranium enrichi Ă  23 %. Ce dernier Ă©tait Ă  son tour utilisĂ© au Y-12[158] d'oĂą il ressortait avec une teneur de 89 % suffisante pour les armes nuclĂ©aires[159].

Construction de la bombe Ă  insertion

Schéma de la bombe à insertion. 1. Explosion produite par de la cordite pour lancer la balle en uranium - 2. Canon - 3. Balle creuse en uranium - 4. Cible en uranium

Environ 50 kg d'uranium enrichi Ă  89 % furent livrĂ©es Ă  Los Alamos en [159]. Cet uranium fut utilisĂ© pour construire une bombe Ă  fission Ă  insertion. L'explosion survenait Ă  la suite du tir d'un bloc d'uranium 235 sur un autre bloc afin d'atteindre la masse critique permettant de dĂ©marrer la fission[160]. La configuration de la masse critique dĂ©terminait l'importance de la rĂ©action de la matière fissile durant la collision et donc la puissance explosive de la bombe. MĂŞme si 1 % de l'uranium entrait en fission, la bombe serait opĂ©rationnelle et aurait une puissance Ă©gale Ă  des milliers de tonnes d'explosifs puissants. Une mauvaise configuration ou un mauvais assemblage disperserait nĂ©anmoins rapidement la masse critique et la puissance serait fortement rĂ©duite Ă  quelques tonnes d'explosifs[161]. Le mĂ©canisme de la bombe basĂ© sur le principe du canon Ă©tait simple mais la puissance obtenue Ă©tait limitĂ©e et le risque d'accident Ă©tait très Ă©levĂ©[162].

La conception de la bombe fut réalisée par la division 0 de Los Alamos. Le groupe du lieutenant commander A. Francis Birch termina la conception de la bombe qui fut appelée « Little Boy » en [163]. Il n'y avait pas d'uranium enrichi disponible pour un test car Little Boy utilisa tout l'uranium enrichi à 89 % qui fut mélangé à de l'uranium enrichi à 50 % pour une moyenne d'environ 85 %[159]. Le principe du canon était considéré si sûr qu'aucun test ne fut envisagé même si d'importants travaux de laboratoire furent nécessaires pour s'assurer que les bases fondamentales étaient correctes[164].

Plutonium

La production de plutonium était le second objectif du projet Manhattan. Cet élément chimique est en effet 1,7 fois plus fissile que l'uranium 235[165]. On trouve des traces de plutonium dans la nature mais le meilleur moyen d'en obtenir des quantités importantes est d'utiliser un réacteur nucléaire dans lequel l'uranium naturel est bombardé par des neutrons. L'uranium 238 est transmuté en uranium 239 qui se désintègre rapidement en neptunium 239 puis en plutonium 239[166]. Seule une petite partie de l'uranium 238 est transformée et le plutonium doit être chimiquement séparé de l'uranium, des impuretés initiales et des produits de fission[166].

RĂ©acteur X-10

Deux ouvriers sur une plateforme mobile semblable à celle utilisée par les laveurs de vitres, poussent une tige dans l'un des nombreux petits orifices du mur en face d'eux.
Ouvriers chargeant les cylindres d'uranium dans le réacteur X-10.

En , la sociĂ©tĂ© DuPont commença la construction d'une usine de production de plutonium sur un site de 0,5 km2 Ă  Oak Ridge. DestinĂ©e Ă  ĂŞtre une usine pilote pour les installations plus importantes Ă  Hanford, elle abritait le rĂ©acteur X-10 au graphite et refroidi Ă  l'air, une usine de sĂ©paration chimique et des installations de soutien. Comme il fut dĂ©cidĂ© que les rĂ©acteurs de Hanford seraient refroidis Ă  l'eau, seule l'usine de sĂ©paration chimique fonctionna comme une vĂ©ritable usine pilote[167]. Le rĂ©acteur X-10 Ă©tait formĂ© d'un immense cube de graphite mesurant 7,3 m de cĂ´tĂ© et pesant environ 1 500 t qui Ă©tait entourĂ© de 2,1 m de bĂ©ton Ă  haute densitĂ© jouant le rĂ´le de protection contre les radiations[167].

Le bloc Ă©tait percĂ© de 1 248 orifices horizontaux en forme de losange dans lesquels on introduisait des cylindres d'uranium pour former de longues tiges. L'air circulait autour des cylindres pour les refroidir. Une fois que l'uranium avait Ă©tĂ© suffisamment irradiĂ©, les opĂ©rateurs poussaient des cylindres « frais » depuis le devant du rĂ©acteur et les cylindres irradiĂ©s tombaient dans une piscine Ă  l'arrière du bloc de graphite. Après quelques semaines, le temps que la radioactivitĂ© diminue suffisamment, ces derniers Ă©taient emmenĂ©s dans l'usine de sĂ©paration chimique.

La difficulté principale était de produire ces cylindres d'uranium qui devaient être enrobés d'aluminium pour limiter la corrosion et éviter la fuite des produits de fission. La Grasselli Chemical Company tenta sans succès de développer un procédé de trempe à chaud. Dans le même temps, l'entreprise Alcoa essaya un étamage. Un nouveau procédé de soudure fut développé et 97 % des conteneurs passèrent les tests d'étanchéité mais les tests de températures n'étaient réussis que par 50 % d'entre eux. La production commença néanmoins en et le Metallurgical Laboratory améliora par la suite la procédure de soudage avec l'aide de la General Electric et cette technique fut introduite dans le processus de production en [168].

Le rĂ©acteur X-10 devint critique le alors qu'il contenait environ 30 t d'uranium. Une semaine plus tard, le chargement fut augmentĂ© Ă  36 t, ce qui fit passer sa puissance Ă  500 kW et Ă  la fin du mois, 500 mg de plutonium avaient Ă©tĂ© produits[169]. Des modifications ultĂ©rieures accrurent la puissance Ă  4 000 kW en . Le rĂ©acteur X-10 continua de produire jusqu'en janvier 1945 lorsqu'il fut converti pour des activitĂ©s de recherche[170].

RĂ©acteurs de Hanford

Si le refroidissement à l'air fut choisi pour le réacteur d'Oak Ridge afin de faciliter sa construction, il devint clair que cela ne serait pas possible pour des réacteurs plus grands. Les plans initiaux du Metallurgical Laboratory et de DuPont prévoyaient un refroidissement à l'hélium mais ils proposèrent ensuite un refroidissement à l'eau qui serait plus simple, moins coûteux et plus facile à réaliser[171]. La conception se prolongea jusqu'au et pendant ce temps, Matthias préparait le site de Hanford en supervisant la construction des logements, une voie ferrée, en améliorant les routes, les lignes téléphoniques et l'approvisionnement en eau et en électricité[172].

Vue aérienne du réacteur B en juin 1944. Le bâtiment du réacteur se trouve au centre et deux grands châteaux d'eau l'encadrent.
Vue aérienne du réacteur B en juin 1944.

Comme à Oak Ridge, la principale difficulté concernait l'emballage des balles d'uranium qui commença à Hanford en . Elles étaient décapées à l'acide pour retirer les impuretés, trempées dans des bains de bronze, d'étain et d'un alliage aluminium-silicium, mises en conserve par des presses hydrauliques et finalement scellées avec un soudage dans une atmosphère d'argon. Les cylindres obtenus étaient ensuite testés pour détecter les défauts. Les débuts furent difficiles car la majorité des cylindres étaient défectueux et la production se limitait à quelques cylindres par jour. Des progrès importants furent réalisés et à partir de , la production fut suffisante pour pouvoir commencer à alimenter le réacteur B en [173].

Les opĂ©rations sur le rĂ©acteur B, le premier de six rĂ©acteurs de 250 MW, commencèrent le [174]. Les rĂ©acteurs furent dĂ©signĂ©s par les lettres de A Ă  F et les complexes B, D et F furent construits en premier pour maximiser la distance entre les rĂ©acteurs ; ils furent les seuls Ă  ĂŞtre construits par le projet Manhattan[175]. Le rĂ©acteur B fonctionnait sur le mĂŞme principe que le rĂ©acteur X-10 d'Oak Ridge mais il Ă©tait plus grand. Il Ă©tait constituĂ© d'un pavĂ© en graphite de 8,5 m sur 11 et long de 11 m pesant 1 200 t. Ce dernier Ă©tait traversĂ© horizontalement par 2 004 tubes en aluminium[176]. Le rĂ©acteur contenait 180 tonnes d'uranium et le refroidissement nĂ©cessitait 110 000 litres d'eau par minute[176]. La construction du bâtiment de 37 m de haut abritant le rĂ©acteur nĂ©cessita 400 t d'acier, 13 300 m3 de bĂ©ton, 50 000 parpaings de bĂ©ton et 71 000 briques de bĂ©ton. La construction du rĂ©acteur en lui-mĂŞme commença en [177].

Le rĂ©acteur fut mis en marche le en prĂ©sence du physicien Arthur Compton, du colonel Franklin Matthias, du prĂ©sident de DuPont Crawford Greenewalt, de la physicienne Leona Woods et du physicien Enrico Fermi, qui insĂ©ra le premier cylindre. Les jours suivants, 838 tubes furent chargĂ©s et le rĂ©acteur devint critique. Peu après minuit le , les opĂ©rateurs commencèrent Ă  retirer les barres de contrĂ´le pour dĂ©clencher la production. Tout fonctionna bien mais la puissance commença Ă  chuter Ă  partir de 3 h et le rĂ©acteur s'Ă©tait complètement arrĂŞtĂ© Ă  6 h 30. On Ă©tudia le système de refroidissement pour repĂ©rer une Ă©ventuelle fuite ou une contamination. Le lendemain le rĂ©acteur recommença Ă  fonctionner mais il s'arrĂŞta de nouveau peu après[178] - [179].

Fermi contacta la physicienne Chien-Shiung Wu qui identifia un empoisonnement au xĂ©non 135 ayant une demi-vie de 9,2 heures[180]. Fermi, Woods, Donald J. Hughes et John Wheeler calculèrent alors la section efficace du xĂ©non 135 qui se rĂ©vĂ©la ĂŞtre 30 000 fois supĂ©rieure Ă  celle de l'uranium ; le xĂ©non absorbait donc rapidement les neutrons et empĂŞchait le maintien de la rĂ©action en chaĂ®ne[181]. Heureusement pour le projet, l'ingĂ©nieur George Graves avait dĂ©viĂ© par rapport aux plans initiaux du Metallurgical Laboratory, qui prĂ©voyaient uniquement 1 500 tubes disposĂ©s en cercle, et avait ajoutĂ© 504 autres tubes dans les coins du rĂ©acteur. Les scientifiques avaient considĂ©rĂ© cela comme un gaspillage de temps et d'argent mais Fermi rĂ©alisa qu'en chargeant les 2 004 tubes, il Ă©tait possible de neutraliser l'influence nĂ©gative du xĂ©non et de maintenir la rĂ©action en chaĂ®ne nĂ©cessaire Ă  la production de plutonium[182]. Le rĂ©acteur D fut lancĂ© le et le rĂ©acteur F le [183].

Procédé de séparation

Carte du site de Hanford. Les voies ferrées jouxtent les usines au nord et au sud. Les réacteurs sont les trois carrés les plus au nord le long de la rivière Columbia. Les installations de séparation se trouvent dans les deux carrés rouges les plus au sud du groupe des réacteurs. Le carré rouge au sud-est indique la zone 300.

Dans le même temps, les chimistes cherchaient un moyen de séparer le plutonium de l'uranium alors que ses propriétés chimiques étaient encore inconnues. En travaillant avec les infimes quantités de plutonium disponibles au Metallurgical Laboratory en 1942, une équipe menée par Charles M. Cooper, de la société DuPont, développa un procédé à base de fluorure de lanthane qui fut adopté pour l'usine pilote de séparation. Un second procédé avec du phosphate de bismuth fut ensuite développé par Glenn Seaborg et Stanley G. Thomson[184]. Le procédé faisait passer le nombre d'oxydation du plutonium de +4 à +6 dans une solution de phosphate de bismuth. Dans le premier cas, le plutonium précipite et dans le deuxième, il reste en solution tandis que les autres produits précipitent[185].

Crawford Greenewalt privilégiait le procédé à base de phosphate de bismuth car le fluorure de lanthane était corrosif et il fut sélectionné pour l'usine de séparation de Hanford[186]. Une fois que le réacteur X-10 eut commencé à produire du plutonium, l'usine pilote de séparation commença à être testée. L'efficacité passa de 40 % à 90 % en quelques mois[170].

À Hanford, la priorité maximale était accordée aux installations de la zone 300 (voir carte ci-contre). Celle-ci accueillait les bâtiments pour les essais, la préparation de l'uranium et la calibration des équipements. L'un des bâtiments accueillait les machines pour mettre en conserve les balles d'uranium tandis qu'un autre abritait un petit réacteur de test. En dépit de la haute priorité, les travaux dans la zone 300 prirent du retard du fait de la nature unique des installations et des pénuries de main d'œuvre et de matériaux liées à la guerre[187].

Les plans de dĂ©part prĂ©voyaient la construction de deux usines de sĂ©paration dans chacune des zones appelĂ©es « 200-West » et « 200-East ». Cela fut ensuite rĂ©duit Ă  deux installations, l'usine T dans la zone 200-West et l'usine B dans la zone 200-East[188]. Chaque usine de sĂ©paration Ă©tait composĂ©e de quatre bâtiments, une usine de sĂ©paration ou « canyon » (appelĂ©e 221), une centrale de concentration (224), une installation de purification (231) et un magasin de stockage (213). Les canyons mesuraient 240 m de long et 20 de large. Chacun d'entre eux Ă©tait constituĂ© de 40 cellules de 5,4 m par 4 et par 6,1 qui abritaient les Ă©quipements de sĂ©paration[189].

Les travaux commencèrent sur les usines 221-T et 221-U en et furent terminĂ©s respectivement en septembre et en dĂ©cembre ; le bâtiment 221-B fut achevĂ© en . Du fait des forts niveaux de radiations, toutes les opĂ©rations dans les installations de sĂ©paration devaient ĂŞtre effectuĂ©es par des manipulateurs contrĂ´lĂ©s Ă  distance grâce Ă  des camĂ©ras, une technologie rĂ©volutionnaire pour l'Ă©poque. La maintenance Ă©tait rĂ©alisĂ©e avec l'aide d'un portique et d'outils spĂ©cifiques. Les bâtiments 224 Ă©taient plus petits car il y avait moins de matière Ă  purifier et elle Ă©tait moins radioactive. Les bâtiments 224-T et 224-U furent achevĂ©s le et l'usine 224-B le fut le . Les mĂ©thodes de purification qui furent finalement employĂ©es dans le bâtiment 231-W Ă©taient encore inconnues lorsque la construction commença le [190]. Le , Matthias remit en mains propres le premier chargement de 80 g de plutonium pur Ă  95 % Ă  un reprĂ©sentant du laboratoire de Los Alamos[183].

Construction de la bombe Ă  implosion

Enveloppes longues en forme de cylindres. À l'arrière plan, on peut voir plusieurs enveloppes ovoïdes et une dépanneuse.
Une série d'enveloppes pour les bombes à insertion Thin Man. Des enveloppes pour Fat Man sont visibles à l'arrière plan.

En 1943, les efforts de développement se concentrèrent sur une arme atomique à insertion avec du plutonium appelée « Thin Man ». Les recherches initiales sur les propriétés du plutonium furent effectuées en utilisant du plutonium 239 produit par un cyclotron. Ce plutonium avait la particularité d'être extrêmement pur mais ne pouvait être produit qu'en quantités infimes. Los Alamos reçut le premier échantillon issu du réacteur X-10 en et Emilio Segrè observa que cet échantillon avait une proportion en plutonium 240 supérieure, ce qui multipliait par cinq le rythme de désintégration de ce plutonium par rapport à celui fabriqué par le cyclotron[191]. Seaborg avait correctement prédit en qu'une partie du plutonium 239 absorberait un neutron et deviendrait du plutonium 240[192].

Cela rendait le plutonium du réacteur impropre pour une utilisation dans une bombe à insertion. Le plutonium 240 déclencherait la réaction en chaîne trop rapidement et cela entraînerait une pré-détonation qui ferait exploser l'assemblage avant qu'il n'ait atteint son état optimal. Un canon plus rapide fut proposé mais il se révéla irréalisable. La possibilité de séparer les isotopes fut envisagée mais rejetée car le plutonium 240 est encore plus difficile à séparer du plutonium 239 que l'uranium 235 de l'uranium 238[193].

Des travaux sur un autre type de bombe, appelé à implosion, avaient commencé auparavant à l'instigation du physicien Seth Neddermeyer. L'implosion utilise des explosifs pour comprimer une sphère sous-critique de matière fissile sous une forme plus compacte et plus dense. Lorsque les atomes sont plus proches les uns des autres, le taux d'absorption des neutrons augmente et la masse devient critique. Le passage à la masse critique est beaucoup plus rapide qu'avec le canon et cela évite une pré-détonation[194]. Les études de Neddermeyer de 1943 et 1944 sur l'implosion étaient prometteuses mais il était clair que la conception serait bien plus complexe que pour la bombe à insertion[195]. En , John von Neumann, qui avait l'expérience des charges creuses dans le domaine des munitions anti-blindage, avança que l'implosion réduirait le risque de pré-détonation mais augmenterait également le rendement de la fission[196]. Il proposa d'utiliser une configuration sphérique plutôt que cylindrique, forme sur laquelle Neddermayer travaillait[197].

Diagramme montrant les explosifs rapides, les explosifs lents, la couche d'uranium, le cœur de plutonium et la source de neutrons.
Diagramme d'une bombe Ă  implosion.

En , Oppenheimer avait conclu que le plutonium ne pouvait pas être utilisé dans une bombe à insertion et choisit l'implosion. Les travaux sur une bombe à implosion, de nom de code « Fat Man », commencèrent en août 1944 lorsqu'Oppenheimer réorganisa le laboratoire de Los Alamos[198]. Deux nouveaux groupes furent créés pour développer la bombe, les divisions X (pour explosif) dirigée par George Kistiakowsky et G (pour gadget) menée par Robert Bacher[199] - [200]. Le nouveau dessin présenté par von Neumann et la division T (pour théorie), avec notamment Rudolf Peierls, comprenait des lentilles explosives pour focaliser l'explosion sur une forme sphérique en utilisant une combinaison d'explosifs lents et rapides[201].

La conception des lentilles qui devaient dĂ©toner Ă  la bonne vitesse et dans la bonne direction se rĂ©vĂ©la lente et pĂ©nible[201]. De nombreux explosifs furent testĂ©s avant que la composition B et le baratol ne soient choisis respectivement comme explosifs rapide et lent[202]. Le rĂ©sultat final ressemblait Ă  un ballon de football avec 20 lentilles hexagonales et 12 pentagonales pesant chacune 36 kg. Obtenir une dĂ©tonation parfaite demandait des dĂ©tonateurs Ă©lectriques rapides et fiables et il y en avait deux par lentille pour augmenter la fiabilitĂ©[203]. Le choix final se porta sur des dĂ©tonateurs fabriquĂ©s par Raytheon[204]. Pour Ă©tudier le comportement des ondes de choc convergentes, Serber mit en place l'expĂ©rience RaLa qui utilisait du lanthane 140, un radioisotope Ă  courte durĂ©e de vie et un puissant Ă©metteur de rayons gamma, dans une chambre d'ionisation[205].

Le cĹ“ur de la bombe Ă©tait constituĂ© d'une sphère d'aluminium Ă©paisse de 110 mm situĂ©e sous les explosifs pour permettre une transition homogène entre les explosifs dont la densitĂ© Ă©tait basse et la couche interne Ă©paisse de 76 mm composĂ©e d'uranium naturel. Son rĂ´le principal Ă©tait de maintenir la masse critique cohĂ©rente le plus longtemps possible et de rĂ©flĂ©chir les neutrons vers le cĹ“ur ; une partie pouvait Ă©galement entrer en fission. Pour Ă©viter une prĂ©-dĂ©tonation initiĂ©e par un neutron externe, la sphère d'uranium Ă©tait recouverte d'une fine couche de bore[203]. La sphère de plutonium Ă©tait insĂ©rĂ©e dans la sphère d'uranium et elle possĂ©dait, en son centre, une source de neutrons formĂ©e d'un mĂ©lange de polonium et de bĂ©ryllium et surnommĂ©e l'oursin du fait de sa forme[206]. Celle-ci fut dĂ©veloppĂ©e par l'entreprise Monsanto pour dĂ©clencher la rĂ©action en chaĂ®ne au moment exact[207]. Ce travail avec la chimie et la mĂ©tallurgie du polonium radioactif fut dirigĂ© par Charles Allen Thomas dans le cadre de ce qui fut appelĂ© le « projet Dayton »[208]. L'assemblage complet Ă©tait enveloppĂ© par un blindage de bombe en duralumin pour le protĂ©ger des balles et des obus de la dĂ©fense antiaĂ©rienne[203] - [note 11].

Une cabane entourée par des pins. Il y a de la neige sur le sol. Un homme et une femme en blouses blanches de laboratoire tirent sur une corde reliée à un petit chariot sur une plateforme en bois. Un large objet cylindrique est situé sur le chariot.
Manipulation à distance d'une source radioactive dans le cadre de l'expérience RaLa à Los Alamos.

La tâche finale des métallurgistes fut de mouler le plutonium sous la forme d'une sphère. Les difficultés s'accentuèrent lorsque les mesures de densité donnèrent des résultats différents. On pensait initialement qu'il y avait eu contamination mais on découvrit que les allotropes du plutonium étaient en cause[209]. La phase α fragile qui existait à température ambiante se transformait en phase β plastique à des températures supérieures. La phase δ existante entre 300 et 450 °C était encore plus facile à usiner et on découvrit qu'elle était stable à température ambiante si elle était alliée avec de l'aluminium. Néanmoins l'aluminium émet des neutrons lorsqu'il est bombardé avec des particules α et cela posait le problème de la pré-détonation. Les métallurgistes découvrirent ensuite un alliage plutonium-gallium qui stabilisait la phase δ et permettait un pressage à chaud sous la forme sphérique désirée. Comme le plutonium se révéla sensible à la corrosion, la sphère fut recouverte de nickel[210].

Le travail se révéla particulièrement dangereux et à la fin de la guerre, la moitié des chimistes et des métallurgistes durent être écartés du travail sur le plutonium après que des niveaux élevés de l'élément soient apparus dans leur urine[211]. Un petit incendie à Los Alamos en janvier 1945 laissa craindre que le feu du plutonium du laboratoire ne contamine toute la ville et Groves autorisa la construction d'une nouvelle installation pour la métallurgie du plutonium qui fut appelée « site DP »[212]. Les deux hémisphères du premier cœur de plutonium furent produits et livrés le . Trois autres hémisphères furent fabriqués le et livrés trois jours plus tard[213].

Trinity

Du fait de la complexité d'une bombe à implosion, il fut décidé, en dépit du gaspillage de matières fissiles, de réaliser un essai. Groves approuva le test à condition que la matière active soit récupérée. On envisagea de réaliser un test avec une bombe « bridée » mais Oppenheimer privilégia un essai nucléaire à grande échelle de nom de code « Trinity[214]».

Hommes rassemblés autout d'une large structure en forme de derrick, un large objet rond est en train d'être soulevé.
Préparation de « Gadget » avant qu'il ne soit hissé au sommet de la tour.

En , la planification de l'essai fut confiée à Kenneth Bainbridge, un professeur de physique à Harvard travaillant sous la direction de Kistiakowsky. Bainbridge sélectionna le champ de tir de la base aérienne d'Alamogordo pour réaliser l'essai[215]. Bainbridge travailla avec le capitaine Samuel P. Davalos sur la construction du camp de Trinity qui possédait des baraquements, des entrepôts, des ateliers, un magasin d'explosifs et une cantine[216].

Groves Ă©tait peu enthousiaste Ă  l'idĂ©e d'expliquer la perte d'un milliard de dollars en plutonium Ă  une commission d'enquĂŞte et il demanda la fabrication d'un conteneur cylindrique appelĂ© « Jumbo » destinĂ© Ă  envelopper la bombe pour rĂ©cupĂ©rer la matière active si la rĂ©action de fission Ă©chouait. Mesurant 7,6 m de long et 3,7 de diamètre, il fut fabriquĂ© Ă  grands frais par la sociĂ©tĂ© Babcock & Wilcox de Barberton dans l'Ohio Ă  partir de 217 t d'acier. Un wagon spĂ©cial l'emmena jusqu'Ă  une voie de garage Ă  Pope dans le Nouveau-Mexique avant d'ĂŞtre transportĂ© par une remorque chenillĂ©e tirĂ©e par deux tracteurs sur les derniers 40 km jusqu'au site[217]. Ă€ son arrivĂ©e, cependant, la confiance dans le fonctionnement de la mĂ©thode Ă  implosion Ă©tait Ă©levĂ©e et la disponibilitĂ© de plutonium Ă©tait suffisante pour qu'Oppenheimer dĂ©cide de ne pas l'utiliser. Le conteneur fut nĂ©anmoins placĂ© sur une tour d'acier Ă  environ 730 m du point zĂ©ro pour Ă©valuer grossièrement la puissance de l'explosion. Finalement, Jumbo survĂ©cut, Ă  la diffĂ©rence de sa tour, et cela renforça la croyance selon laquelle il aurait contenu avec succès l'explosion d'un essai ratĂ©[218] - [219].

Un essai fut organisĂ© le pour calibrer les instruments et mesurer l'Ă©tendue des retombĂ©es radioactives. Une plateforme en bois fut Ă©rigĂ©e Ă  730 m du point zĂ©ro et recouverte de 108 t de TNT et de produits de fission sous la forme d'une balle d'uranium de Hanford qui fut dissoute et versĂ©e dans des tubes dans les explosifs. Oppenheimer et le nouveau commandant adjoint de Groves, Thomas Farrel, assistèrent au test dont les donnĂ©es furent essentielles pour l'essai Trinity[219] - [220].

Pour le vĂ©ritable test, l'arme, surnommĂ©e « Gadget », fut hissĂ©e au sommet d'une tour en acier de 30 m de hauteur pour avoir une meilleure indication sur son comportement lorsqu'elle serait larguĂ©e par un bombardier. Gadget fut assemblĂ© sous la supervision de Norris Bradbury le et hissĂ©e avec prĂ©caution au sommet de la tour le lendemain[221]. Bush, Chadwick, Conant, Farrell, Fermi, Groves, Lawrence, Oppenheimer et Tolman figuraient parmi les observateurs. Ă€ 5 h 30 le , Gadget explosa avec une puissance Ă©quivalente Ă  environ 20 kt de TNT et laissa un cratère de 76 m de diamètre. L'onde de choc fut ressentie jusqu'Ă  160 km et le nuage en champignon s'Ă©leva jusqu'Ă  l'altitude de 12,1 km. Le bruit de l'explosion fut entendu jusqu'Ă  El Paso au Texas et Groves annonça qu'un dĂ©pĂ´t de munitions avait explosĂ© sur le champ de tir d'Alamogordo pour couvrir l'Ă©vĂ©nement[222] - [223] - [224].

Personnel

En , le projet Manhattan employait quelque 129 000 personnes sur lesquels 84 500 Ă©taient des ouvriers du bâtiment, 40 500 Ă©taient des opĂ©rateurs dans les usines et 1 800 Ă©taient des militaires. Avec la baisse des constructions, le nombre d'employĂ©s passa Ă  100 000 l'annĂ©e suivante mais le nombre de militaires passa Ă  5 600. Obtenir le nombre dĂ©sirĂ© d'ouvriers, particulièrement les plus expĂ©rimentĂ©s, se rĂ©vĂ©la difficile car la concurrence des autres programmes militaires Ă©tait intense[225]. En 1943, Groves obtint une prioritĂ© temporaire pour les ouvriers de la part de la War Manpower Commission. En , cette dernière et le War Production Board accordèrent la prioritĂ© maximale au projet[226].

Un groupe de femmes en uniforme défile. Elles portent un petit étendard avec le symbole du corps des ingénieurs ; un château surmonté de la lettre D.
Un détachement du Women's Army Corps défilant à Oak Ridge.

Tolman et Conant, en leur fonction de conseillers scientifiques, rédigèrent une liste de scientifiques susceptibles d'être embauchés et les firent évaluer par des scientifiques travaillant déjà sur le projet. Groves envoya alors une lettre au directeur de leur université ou de leur entreprise pour demander leur libération pour participer à un effort de guerre essentiel[227]. À l'université du Wisconsin à Madison, Stanislaw Ulam anticipa l'examen de l'une de ses étudiantes, Joan Hinton, pour qu'elle puisse commencer à travailler sur le projet Manhattan. Quelques semaines plus tard, Ulam reçut une lettre de Hans Bethe, qui l'invitait à rejoindre le projet[228]. De même, Conant convainquit l'expert en explosifs George Kistiakowsky de participer aux recherches[229].

L'une des sources de personnels expĂ©rimentĂ©s Ă©tait l'armĂ©e, en particulier l'Army Specialized Training Program formant les officiers Ă  des missions techniques. En 1943, le Manhattan District crĂ©a le Special Engineer Detachment (SED) avec un effectif de 675 personnes. Les techniciens et les ouvriers qualifiĂ©s enrĂ´lĂ©s dans l'armĂ©e Ă©taient assignĂ©s au SED. Une autre source importante Ă©tait le Women's Army Corps (WAC), la branche fĂ©minine de l'armĂ©e amĂ©ricaine. S'il Ă©tait initialement cantonnĂ© Ă  des travaux administratifs comme la gestion des documents classifiĂ©s, le WAC fournit Ă©galement des personnels pour des tâches techniques et scientifiques[230]. Le , tous les personnels militaires assignĂ©s au MED, dont tous les dĂ©tachements du SED, furent assignĂ©s Ă  la 9812e unitĂ© technique sauf Ă  Los Alamos, oĂą les personnes militaires n'appartenant pas au SED comme le WAC et la police militaire furent intĂ©grĂ©s au sein de la 4817e unitĂ© de commandement[231].

Un professeur associĂ© de radiologie Ă  l'universitĂ© de Rochester, Stafford L. Warren, devint colonel dans le corps sanitaire de l'armĂ©e et fut nommĂ© chef de la section mĂ©dicale du MED et conseiller de Groves. La première tâche de Warren fut de recruter des personnels pour les hĂ´pitaux d'Oak Ridge, de Hanford et de Los Alamos[232]. La section mĂ©dicale Ă©tait responsable de la recherche mĂ©dicale mais Ă©galement de la santĂ© et des programmes de sĂ©curitĂ© du MED. Cela Ă©tait une mission Ă©norme car les ouvriers manipulaient un grand nombre de produits toxiques, utilisaient des gaz et des liquides dangereux sous pression, travaillaient en prĂ©sence de voltages importants et rĂ©alisaient des expĂ©riences avec des explosifs sans mentionner les dangers encore largement inconnus prĂ©sentĂ©s par la radioactivitĂ© et la manipulation des matières fissiles[233]. En , le National Safety Council rĂ©compensa le projet Manhattan avec le prix d'honneur pour service distinguĂ© rendu Ă  la sĂ©curitĂ© en reconnaissance de ses actions en faveur de la sĂ©curitĂ© de ses employĂ©s. Entre et , il y eut 62 morts et 3 879 blessĂ©s, ce qui Ă©tait 62 % au-dessous du niveau de l'industrie privĂ©e[234].

Nettoyage

Durant tout le projet, la toxicité de l'uranium présentait un problème : de l'oxyde d'uranium ou des poussières toxiques de l'uranium appauvri restaient attachés aux vêtements des travailleurs malgré les lavages aux divers savons ou détergents existants. Il s'est avéré que seul le lavage avec du bicarbonate de sodium permettait un nettoyage efficace des vêtements contaminés ou même en guise de prévention[235]. C'est par ailleurs ce même produit, le bicarbonate de sodium, qui sera adopté comme traitement de choix contre l'intoxication rénale qui résulte de dommages chimiques à la suite de l'exposition à l'uranium[236] - [237].

Mortalité précoce des travailleurs par cancer

Dans les années 1970, l'épidémiologiste Thomas Mancuso met en évidence des liens entre l’exposition à faible dose des travailleurs du complexe nucléaire de Hanford et la mortalité précoce par cancer chez ces travailleurs[238].

Confidentialité

Oncle Sam a posé son chapeau et remonte ses manches. Sur le panneau situé en dessous de lui se trouvent les trois singes de la sagesse et le slogan : What you see here / What you do here / What you hear here / When you leave here / Let it stay here.
Panneau encourageant les ouvriers à maintenir le secret à Oak Ridge. « Ce que vous voyez, faites et entendez ici reste ici. »

Le projet Manhattan fonctionnait dans le secret absolu pour qu'il ne puisse pas être découvert par les puissances de l'Axe, en particulier par l'Allemagne, ce qui aurait pu conduire celle-ci à accélérer son propre programme de recherche nucléaire et afin d'éviter que l'ennemi ne mène des opérations de sabotage[239]. La censure des informations portant sur le nucléaire commença néanmoins avant le début du projet. Après le déclenchement de la guerre en 1939, les scientifiques américains commencèrent à éviter de publier leurs travaux dans ce domaine et en 1940, les journaux scientifiques demandèrent à l'Académie nationale des sciences de purger certains articles. Le journaliste William L. Laurence du New York Times qui avait écrit un article sur la fission nucléaire en septembre 1940 dans le Saturday Evening Post apprit par la suite que des agents du gouvernement avaient demandé en 1943 aux bibliothèques de tout le pays de retirer leurs exemplaires du périodique[240]. Au début de l'année 1943, les journaux commencèrent à évoquer la construction d'immenses installations dans le Tennessee et dans l'État de Washington en s'appuyant sur des documents officiels. En juin, le Bureau de la Censure demanda à la presse écrite et radiophonique d'éviter les discussions sur « la collision des atomes, l'énergie atomique, la fission atomique, la désintégration atomique et leurs équivalents. L'emploi à des fins militaires de radium ou de matériaux radioactifs, d'eau lourde, d'équipements de décharge à forte tension, de cyclotrons [...] de polonium, d'uranium, d'ytterbium, d'hafnium, de protactinium, de radium, de rhénium, de thorium, de deutérium » ; seul l'uranium était l'élément important de cette liste mais il fut ajouté pour dissimuler son importance[241].

La perspective d'un sabotage était toujours présente et parfois suspectée lors de la panne d'un équipement. Si certains incidents étaient probablement le résultat d'actions d'ouvriers négligents ou mécontents, il n'y a aucun exemple de sabotage organisé par l'Axe[242]. Cependant le , un ballon japonais du projet Fugo toucha une ligne électrique et la coupure de courant entraîna l'arrêt temporaire des réacteurs de Hanford[243]. Avec un si grand nombre de personnes impliquées, la sécurité était une tâche difficile. Un détachement spécial du Counter Intelligence Corps fut formé pour maintenir la sécurité[244]. En 1943, il devint clair que l'Union soviétique tentait de pénétrer le projet. Le lieutenant-colonel Boris Pash à la tête des services de renseignements du Western Defense Command enquêta sur un possible espionnage soviétique dans le Radiation Laboratory de Berkeley. Oppenheimer informa Pash qu'il avait été approché par un professeur de Berkeley, Haakon Chevalier, pour transmettre des informations aux Soviétiques[245].

La plus grande affaire d'espionnage concerna Klaus Fuchs, un espion soviétique qui faisait partie de la mission britannique à Los Alamos[246]. La révélation de ses activités en 1950 compromit la coopération nucléaire entre les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada[247]. Par la suite, d'autres affaires furent découvertes et menèrent à l'arrestation de Harry Gold, de David Greenglass et d'Ethel et Julius Rosenberg[248]. D'autres espions comme George Koval et Theodore Hall ne furent démasqués que plusieurs décennies plus tard[249]. La valeur de l'espionnage est difficile à quantifier car la principale contrainte du projet nucléaire soviétique était le manque de minerai d'uranium. Le consensus est que l'espionnage évita une ou deux années d'efforts aux Soviétiques[250].

Renseignements Ă  l'Ă©tranger

En plus du développement de la bombe atomique, le projet Manhattan avait pour mission de rassembler des renseignements sur le programme nucléaire allemand. Les experts américains considéraient que le programme nucléaire japonais était très peu avancé du fait du manque d'accès à l'uranium mais ils craignaient que l'Allemagne soit très proche de développer ses propres armes. À l'instigation des responsables du projet Manhattan, des opérations de sabotage furent organisées contre les usines de production d'eau lourde dans la Norvège occupée[251]. Un petit groupe dont les membres étaient issus de l'Office of Naval Intelligence, de l'OSRD, du projet Manhattan et des services de renseignement de l'armée fut formé pour enquêter sur les développements scientifiques ennemis[252]. Le chef des services de renseignement de l'armée, le major-général George V. Strong, nomma Boris Pash à la tête de l'unité[253] qui reçut le nom de code « Alsos », un mot grec signifiant « bosquet[254]».

Ensemble de cubes montés sur chaînes ; l'ensemble est suspendu au-dessus de ce qui ressemble à un bouche d'égout géante.
Réplique du réacteur nucléaire expérimental allemand au musée d'Haigerloch.

La mission se rendit en Italie pour questionner les membres du laboratoire de physique de l'université de Rome après la prise de la ville en [255]. Dans le même temps, Pash forma une mission anglo-britannique à Londres sous le commandement du capitaine Horace K. Calvert pour participer à la bataille de Normandie[256]. Groves considérait que le risque que les Allemands perturbent le débarquement de Normandie avec des matières radioactives était suffisant pour avertir le général Dwight D. Eisenhower et envoyer un officier pour informer son chef d'état-major, le lieutenant-général Walter B. Smith[257]. Dans le cadre de l'opération Peppermint, des équipements spéciaux furent préparés et des équipes du Chemical Warfare Service (« Service de la guerre chimique ») furent entraînées à leur utilisation[258].

Les membres de l'opĂ©ration Alsos suivirent l'avancĂ©e des armĂ©es alliĂ©es ; Pash et Calvert interrogèrent FrĂ©dĂ©ric Joliot-Curie sur les activitĂ©s des scientifiques allemands. Ils discutèrent Ă©galement avec des reprĂ©sentants de l'Union minière du Haut Katanga sur des transports d'uranium en Allemagne. Ils retrouvèrent 68 t de minerai d'uranium en Belgique et 30 t en France. L'interrogatoire de prisonniers allemands indiqua que l'uranium et le thorium Ă©taient transformĂ©s Ă  Oranienbourg et Groves ordonna le bombardement des installations le [259].

Une Ă©quipe d'Alsos se rendit Ă  StaĂźfurt dans la zone d'occupation soviĂ©tique et rĂ©cupĂ©ra 11 t de minerai[260]. En , Pash, Ă  la tĂŞte d'un groupe composite appelĂ© la « Force-T », organisa l'opĂ©ration Harborage derrière les lignes ennemies pour s'emparer des villes d'Hechingen, Bisingen et Haigerloch qui Ă©taient au cĹ“ur des recherches nuclĂ©aires allemandes. La Force-T prit le contrĂ´le des laboratoires, s'empara des documents, des Ă©quipements, de l'eau lourde et d'1,5 t d'uranium[261] - [262].

Les équipes d'Alsos arrêtèrent les scientifiques allemands, dont Kurt Diebner, Otto Hahn, Walther Gerlach, Werner Heisenberg et Carl Friedrich von Weizsäcker, qui furent emmenés en Angleterre et internés à Fram Hall, une résidence mise sur écoute à Godmanchester. En définitive, le projet allemand était bien moins avancé que le projet Manhattan, ce qui poussa le physicien Samuel Goudsmit de l'opération Alsos à se « demander si les États-Unis n'avaient pas dépensé plus d'argent dans la mission de renseignement que les Allemands ne l'avaient fait pour l'ensemble de leur projet[262] ».

Bombardement d'Hiroshima et Nagasaki

Préparatifs

Dès , l'Air Force Materiel Command Ă  Wright Field dans l'Ohio commença l'opĂ©ration Silverplate, le nom de code de la modification des B-29 pour qu'ils puissent transporter les bombes. Des essais de largage furent rĂ©alisĂ©s sur la base aĂ©rienne de Muroc et sur la base navale d'Inyokern, les deux en Californie[263]. Groves rencontra le chef de l'United States Army Air Forces (USAAF), le gĂ©nĂ©ral Henry Harley Arnold, en pour discuter du largage des bombes sur leur cible[264]. Le seul appareil alliĂ© capable de transporter la bombe Thin Man de 5,2 m de long ou Fat Man d'1,5 m de diamètre Ă©tait l'Avro Lancaster mais l'emploi d'un appareil britannique aurait entraĂ®nĂ© des problèmes avec la maintenance. Groves espĂ©rait que le B-29 pourrait ĂŞtre modifiĂ© pour pouvoir transporter Thin Man en rassemblant les deux soutes Ă  bombes[265]. Arnold promit de tout faire pour que le B-29 puisse rĂ©aliser la mission et il dĂ©signa le major-gĂ©nĂ©ral Oliver P. Echols pour assurer la liaison entre l'USAAF et le projet Manhattan. Echols nomma Roscoe Charles Wilson pour le seconder et ce dernier devint le principal contact du projet avec l'USAAF[264]. Le prĂ©sident Roosevelt informa Groves que si les bombes Ă©taient prĂŞtes avant la fin de la guerre avec l'Allemagne, il devrait ĂŞtre prĂŞt Ă  les larguer sur ce pays[266]. La guerre avec l'Allemagne prit officiellement fin au dĂ©but de [267] - [268].

Un quadrimoteur étincelant se trouve sur la piste de décollage et son équipage prend la pose devant lui.
Le B-29 Straight Flush qui participa au bombardement d'Hiroshima. Le numéro de queue du 444e escadron de bombardement est repeint pour des raisons de sécurité.

Le 509e escadron de bombardement fut créé le à la base de Wendover dans l'Utah sous le commandement du colonel Paul Tibbets. Cette base, proche de la frontière avec le Nevada, reçut le nom de code « Kingman » ou « W-47 ». Les entraînements étaient réalisés à Kingman et à la base aérienne de Batista à Cuba où le 393e escadron de bombardement réalisait des vols prolongés au-dessus de la mer et s'entraînait au largage de bombes atomiques factices. Une unité spéciale appelée « Alberta » fut formée à Los Alamos sous le commandement du capitaine William S. Parsons pour préparer le largage des bombes[269]. Le commandant Frederick Ashworth du groupe Alberta rencontra l'amiral Chester Nimitz sur l'île de Guam en pour l'informer du projet. Alors qu'il était sur place, Ashworth choisit le site de North Field sur l'île de Tinian pour installer la base du 509e escadron et réserver des emplacements pour le groupe et ses bâtiments. Le groupe s'y déploya en [270] et Farrel arriva sur l'île le en tant que représentant du projet Manhattan[271].

La plupart des composants pour Little Boy quittèrent San Francisco à bord du croiseur USS Indianapolis le et arrivèrent à Tinian le ; le navire fut coulé quatre jours plus tard par un sous-marin japonais. Les derniers composants dont six anneaux d'uranium 235 furent livrés par trois C-54 Skymaster[272]. Deux Fat Man assemblées furent transportés jusqu'à Tinian par les B-29 modifiés du 509e escadron. Le premier cœur de plutonium arriva par un C-54 spécial[273]. Une réunion du projet Manhattan et de l'USAAF fut organisée pour déterminer les cibles au Japon et elle recommanda Kokura, Hiroshima, Niigata et Kyoto. À ce moment, le secrétaire à la Guerre, Henry L. Stimson, intervint et annonça qu'il prendrait la décision et qu'il n'autoriserait pas le bombardement de Kyoto du fait de sa signification historique et religieuse. Groves demanda alors à Arnold de retirer Kyoto de la liste des cibles du bombardement atomique mais également de celle des bombardements conventionnels[274]. Kyoto fut remplacée par Nagasaki[275].

Bombardements

En , le comité d'intérim fut créé pour conseiller sur l'usage du nucléaire dans l'après-guerre. Le comité était présidé par Henry L. Stimson et James F. Byrnes, un ancien sénateur et futur secrétaire d'État, en tant que représentant personnel du président Harry S. Truman (son prédécesseur Roosevelt était mort le ), Ralph A. Bard, le sous-secrétaire à la marine, William L. Clayton, l'adjoint du secrétaire d'État, Vannevar Bush, Karl T. Compton, James B. Conant et George L. Harrison, un assistant de Stimson, et le président de la New York Life Insurance Company. Le comité établit ensuite une commission scientifique composée de Compton, Fermi, Lawrence et Oppenheimer pour le conseiller sur les questions scientifiques. Dans sa présentation au comité, la commission donna son opinion sur les effets physiques probables de la bombe atomique mais également sur son possible impact militaire et politique[276].

Lors de la conférence de Potsdam en Allemagne en , Truman apprit que l'essai Trinity avait été couronné de succès. Il dit à Joseph Staline, le dirigeant de l'Union soviétique, que les États-Unis disposaient d'une arme d'un nouveau type extrêmement puissante sans donner plus de détails. Il s'agissait de la première communication avec les Soviétiques au sujet de la bombe mais Staline avait été informé de son existence par ses espions[277]. Lorsque les Japonais refusèrent l'ultimatum de Potsdam, plus rien ne s'opposait à l'utilisation de la bombe atomique[278] - [279].

Deux nuages en champignons s'élèvent verticalement.
Little Boy explose au-dessus de Hiroshima le (gauche) ;
Fat Man explose au-dessus de Nagasaki le 9 août 1945 (droite).

Le , le B-29 Enola Gay du 393e escadron de bombardement, pilotĂ© et commandĂ© par Paul Tibbets, dĂ©colla de Tinian avec Little Boy et le capitaine Parsons qui Ă©tait chargĂ© de son armement. Hiroshima, une importante base logistique, Ă©tait la cible principale avec Kokura et Nagasaki en cibles secondaires. Avec la permission du brigadier gĂ©nĂ©ral Farrell, le capitaine Parsons termina l'assemblage de la bombe durant le vol pour rĂ©duire les risques lors du dĂ©collage[280]. La bombe explosa Ă  une altitude de 530 m avec une puissance estimĂ©e Ă  13 kt de TNT[281]. Une zone d'environ 12 km2 fut dĂ©vastĂ©e et les Japonais estimèrent que 69 % des bâtiments de la ville avaient Ă©tĂ© dĂ©truits. De 70 000 Ă  80 000 personnes, soit environ 30 % de la population de Hiroshima, furent tuĂ©s immĂ©diatement et 70 000 autres furent blessĂ©s[282].

Le matin du , le B-29 Bockscar du 393e escadron de bombardement et pilotĂ© par le major Charles Sweeney dĂ©colla de Tinian avec Fat Man Ă  son bord. Le commandant Ashworth Ă©tait chargĂ© de l'armement et Kokura Ă©tait la cible principale. Lors du dĂ©collage, la bombe Ă©tait armĂ©e mais les fusibles de sĂ©curitĂ© Ă©taient enclenchĂ©s. Lorsqu'ils atteignirent Kokura, la couverture nuageuse empĂŞcha le bombardement et ils se dirigèrent vers leur cible secondaire, Nagasaki. La ville Ă©tait Ă©galement dissimulĂ©e par des nuages mais une Ă©claircie permit de larguer la bombe au-dessus de la zone industrielle. L'explosion dĂ©gagea une puissance de 21 kt de TNT mais celle-ci fut confinĂ©e dans la vallĂ©e d'Urakami et une grande partie de la ville fut protĂ©gĂ©e par les collines environnantes. Environ 44 % de la ville furent dĂ©truits et il y eut 35 000 morts et 60 000 blessĂ©s[283] - [284].

Une nouvelle bombe atomique était en préparation pour le avec trois autres en septembre et encore trois autres en octobre[285]. Deux autres assemblages de Fat Man étaient prêts et un troisième cœur de plutonium devait quitter Los Alamos pour Tinian le [284]. Cependant, Groves suspendit les transports lorsque les Japonais capitulèrent et le , il téléphona à Warren pour lui demander d'organiser une étude des dégâts et de la radioactivité à Hiroshima et Nagasaki. Un groupe équipé d'un compteur Geiger et mené par Farrel et Warren, accompagné du contre-amiral japonais Masao Tsuzuki, qui servit d'interprète, arriva à Hiroshima le . Il y resta jusqu'au puis se rendit à Nagasaki du au [286]. Cette mission et celles qui suivirent fournirent des données scientifiques et historiques précieuses[287].

Après-guerre

Hommes en costumes et uniformes debout sur une estrade décorée en train de saluer.
Remise de décorations à Los Alamos le . Debout de gauche à droite : Robert Oppenheimer, non identifié, non identifié, Kenneth Nichols, Leslie Groves, Robert Gordon Sproul, William Sterling Parsons et non identifié.

Durant la guerre, l'expression « projet Manhattan » donnait la prioritĂ© maximale aux demandes d'ouvriers ou de matĂ©riaux stratĂ©giques. Cependant, un rapport de 1945 estima que « probablement pas plus d'une douzaine de personnes dans le pays connaissaient complètement les objectifs du projet Manhattan et peut-ĂŞtre moins d'un millier savait que l'on rĂ©alisait des recherches sur l'atome ». L'Ă©crasante majoritĂ© des ouvriers rĂ©alisait sa mission sans en connaĂ®tre les tenants et les aboutissants. Sachant que rĂ©vĂ©ler les secrets du projet Ă©tait passible de 10 ans de prison ou 10 000 $ d'amende (129 000 $ de 2012), ils voyaient entrer d'Ă©normes quantitĂ©s de matières premières dans des usines dont rien ne ressortait, surveillaient des « cadrans et des interrupteurs alors que de mystĂ©rieuses rĂ©actions prenaient place derrière d'Ă©pais murs de bĂ©ton » sans rien connaĂ®tre de l'objectif de leur travail. Le rĂ©sultat les Ă©tonna autant que le reste du monde et ils apprirent le bombardement d'Hiroshima par les journaux d'Oak Ridge[288] - [289].

En préparation des bombardements, Groves avait demandé à Henry DeWolf Smyth de préparer un document officiel pour l'information du public. L'Atomic Energy for Military Purposes (« L'Énergie atomique pour les besoins militaires »), mieux connu sous le nom de « Rapport Smyth », fut rendu public le [290]. Groves et Nichols présentèrent plusieurs contractants clés, dont l'implication était jusqu'à présent secrète, qui reçurent des distinctions de l'armée pour l'excellence de leur contribution à l'effort de guerre. Plus de 20 médailles présidentielles du mérite furent décernées à des entreprises et à des scientifiques dont Bush et Oppenheimer. Les officiers de l'armée reçurent la Legion of Merit comme le capitaine Arlene G. Scheidenhelm commandant le détachement du Women's Army Corps[291].

À Hanford, la production de plutonium chuta car les réacteurs B, D et F subissaient un « empoisonnement » par les produits de fission. De plus, le graphite jouant le rôle de modérateur gonflait à cause de l'effet Wigner et déformait les tubes où l'uranium était irradié, ce qui les rendait inutilisables. Afin de maintenir l'approvisionnement en polonium pour les sources de neutrons ultérieures, la production fut réduite et le réacteur B, le plus ancien, fut arrêté pour qu'au moins l'un des réacteurs soit disponible dans le futur. Les recherches se poursuivirent : la société DuPont et le Metallurgical Laboratory développèrent un processus d'extraction du plutonium avec un solvant réducteur pour remplacer la technique du phosphate de bismuth qui rendait difficile la récupération de l'uranium[292].

La conception de la bombe fut réalisée par la division Z, nommé d'après son directeur, Jerrold R. Zacharias. Elle se trouvait initialement sur la base de Wendover dans l'Utah mais fut transférée en à la base d'Oxnard au Nouveau-Mexique pour se rapprocher de Los Alamos. Cela marqua le début de la base Sandia qui devint l'un des principaux centres de recherche sur les armes nucléaires[293]. En octobre, tous les personnels de Wendover avaient été transférés à Sandia[294].

Nichols recommanda la fermeture de l'usine S-50 et des champs de course Alpha des installations Y-12 et cela fut rĂ©alisĂ© en septembre[295]. MĂŞme s'ils fonctionnaient mieux que jamais[296], les circuits Alpha ne pouvaient pas rivaliser avec l'usine K-25 et la nouvelle centrale K-27 qui entra en service en . En dĂ©cembre, l'usine Y-12 fut fermĂ©e, ce qui rĂ©duisit les effectifs de Tennessee Eastman de 8 600 Ă  1 500 et permit d'Ă©conomiser deux millions de dollars par mois[297].

Un homme en costume est assis et signe un document. Sept autres hommes en costumes sont rassemblés autour de lui.
Le président Harry S. Truman signe l’Atomic Energy Act de 1946 créant la Commission de l'énergie atomique des États-Unis.

C'est cependant Ă  Los Alamos que la dĂ©mobilisation posa le plus de problèmes. De nombreux scientifiques retournèrent dans leur universitĂ© et entreprise mais il restait encore beaucoup de travail pour fiabiliser et simplifier les bombes lancĂ©es sur Hiroshima et Nagasaki, qui n'Ă©taient que des prototypes de laboratoire. La mĂ©thode Ă  implosion devait ĂŞtre dĂ©veloppĂ©e pour l'uranium en remplacement de la bombe Ă  insertion et des cĹ“urs composites d'uranium et de plutonium Ă©taient nĂ©cessaires pour faire face Ă  la pĂ©nurie de plutonium liĂ©e aux problèmes sur les rĂ©acteurs de Hanford. NĂ©anmoins, des inquiĂ©tudes sur la pĂ©rennitĂ© du laboratoire rendaient difficile le maintien des effectifs. Oppenheimer retourna Ă  l'universitĂ© de Californie Ă  Berkeley et Groves nomma Norris Bradbury en remplacement temporaire ; Bradbury resta nĂ©anmoins Ă  son poste durant les 25 annĂ©es suivantes[294]. Groves tenta de combattre le mĂ©contentement liĂ© au manque de commoditĂ©s en lançant un programme de construction de 300 maisons, des lieux de dĂ©tentes et fit amĂ©liorer l'approvisionnement en eau[292].

Champignon nucléaire s'élevant au-dessus de l'océan. Des navires se trouvent à proximité.
Champignon nucléaire consécutif à l'essai Baker sur l'atoll de Bikini.

Le , en prĂ©vision de l'opĂ©ration Crossroads, le gouverneur des Ă®les Marshall, le commodore de l'US Navy Ben Wyatt, rencontra le chef des 167 habitants de l'atoll de Bikini dans l'ocĂ©an Pacifique. Pour obtenir leur collaboration, Wyatt mentionna quelques passages de la bible car les habitants avaient reçu des enseignements de missionnaires protestants. Il les compara aux enfants d'IsraĂ«l que leur crĂ©ateur avait sauvĂ© de leurs ennemis et menĂ© vers la Terre promise. Il ajouta que les tests seraient faits pour le bien de l'humanitĂ© et qu'ils mettraient fin Ă  toutes les guerres. Le chef acquiesça verbalement aux demandes de Wyatt, se disant fier de participer Ă  un telle entreprise[298]. Le , un navire embarqua les habitants et leurs effets ; ils furent emmenĂ©s sur l'atoll de Rongerik Ă  200 km de Bikini[299]. En , deux Fat Man explosèrent sur l'atoll de Bikini afin d'Ă©tudier les effets des armes nuclĂ©aires sur les navires de guerre[300]. Able explosa dans l'atmosphère le ; Baker explosa sous l'eau le et produisit un spectaculaire champignon nuclĂ©aire[301].

Face à la puissance de destruction de ces nouvelles armes et en prévision de la course aux armements nucléaires, plusieurs membres du projet Manhattan dont Bohr, Bush et Conant exprimèrent le besoin de réaliser un accord international sur la recherche nucléaire et les armes atomiques. Leó Szilárd (déjà auteur de la pétition qui porte son nom, signée par plusieurs dizaines de scientifiques du projet Manhattan, avertissant le président Truman de la lourde responsabilité qu'il aurait en utilisant ces armes sur le peuple japonais) et Albert Einstein créèrent en 1946 le Comité d'urgence des scientifiques atomistes, destiné à faire prendre conscience à l'opinion publique des dangers associés au développement des armes nucléaires et à promouvoir la paix. Le plan Baruch, dévoilé dans un discours de la récente United Nations Atomic Energy Commission (UNAEC) en , proposait l'établissement d'un organisme international de développement du nucléaire mais ses recommandations ne furent pas suivies[302]. À la suite de discussions internes sur le besoin d'un organisme permanent de gestion du programme nucléaire, la Commission de l'énergie atomique des États-Unis fut créée par l’Atomic Energy Act of 1946 pour reprendre les missions du projet Manhattan. Elle établissait un contrôle civil du développement atomique et retirait aux militaires la production et le contrôle des armes nucléaires. Les aspects militaires furent confiés à l'Armed Forces Special Weapons Project[303]. Si le projet Manhattan cessa d'exister le , le Manhattan District resta en fonction jusqu'au [304].

Coût

Coûts du projet Manhattan
au [305]
Site Coût en USD de 1945 Coût en USD de 2023
Oak Ridge 1 188 352 000 20 078 329 300
Hanford 390 124 000 6 591 513 430
MatĂ©riel spĂ©cial 103 369 000 1 746 516 880
Los Alamos 74 055 000 1 251 229 160
Recherche et dĂ©veloppement 69 681 000 1 177 326 300
Frais gĂ©nĂ©raux 37 255 000 629 458 410
Usines d'eau lourde 26 768 000 452 270 640
Total 1 889 604 000 31 926 644 200

Les dépenses du projet au étaient de 1,845 milliard de dollars, ce qui représentait neuf jours de dépenses militaires durant la guerre et elles atteignirent 2,191 milliards lorsque la Commission de l'énergie atomique prit son contrôle le . Plus de 90 % des frais furent consacrés à la construction des usines et à la production des matières fissiles tandis que le développement et la production des armes ne représenta que 10 % du total[306] - [307].

Au total, quatre armes (Gadget, Little Boy, Fat Man et une bombe inutilisée) furent fabriquées jusqu’à la fin de l'année 1945, pour un coût moyen d'environ 500 millions de dollars de 1945 par bombe. En comparaison, les dépenses totales du projet à la fin 1945 représentaient 90 % de toutes les dépenses de production des armes légères américaines (sans compter les munitions) et 34 % des dépenses engagées sur les chars durant la même période[305].

HĂ©ritage

Les implications politiques et culturelles du développement des armes nucléaires furent profondes et durables. L'expression « Âge atomique » fut inventée par le journaliste William L. Laurence du New York Times qui devint le correspondant officiel pour le projet Manhattan[308]. Il assista à l'essai Trinity et au bombardement de Nagasaki ; il rédigea une série d'articles louant les vertus de la nouvelle arme. Ses reportages avant et après les bombardements aidèrent à la prise de conscience du potentiel de la technologie nucléaire par le public et motivèrent son développement aux États-Unis et en Union soviétique[309].

Le projet Manhattan laissa un héritage sous la forme du réseau des laboratoires nationaux du département de l'Énergie des États-Unis regroupant ceux de Lawrence-Berkeley, de Los Alamos, d'Oak Ridge, d'Argonne et d'Ames. Deux autres furent créés par Groves peu après la guerre, le laboratoire national de Brookhaven à Upton dans l'État de New York et les laboratoires Sandia à Albuquerque au Nouveau-Mexique. Groves leur accorda 272 millions de dollars pour les recherches de l'année fiscale 1946-1947[310]. Ils furent à l'avant-garde des projets de recherche à grande échelle qu'Alvin Weinberg, le directeur du laboratoire national d'Oak Ridge, appela la « Big Science »[311].

Le Naval Research Laboratory de l'US Navy était depuis longtemps intéressé par la perspective d'utiliser l'énergie nucléaire pour propulser des navires de guerre et il envisagea de créer son propre projet de recherche dans le domaine. En , Chester Nimitz, le chef des opérations navales, décida que l'US Navy devrait travailler avec le projet Manhattan. Un groupe d'officiers de la marine fut envoyé à Oak Ridge et le plus expérimenté, Hyman Rickover, devint le directeur adjoint du site. Leurs recherches posèrent les bases de la propulsion nucléaire navale dont le premier représentant fut l'USS Nautilus (SSN-571) lancé en 1955[312]. Un groupe similaire de l'US Air Force arriva à Oak Ridge en avec l'objectif de propulser des avions avec l'énergie nucléaire[313]. Les ingénieurs rencontrèrent des difficultés insurmontables et le projet fut finalement annulé en 1961[314].

La capacité des nouveaux réacteurs à produire des isotopes radioactifs dans des quantités encore jamais vues entraîna une révolution dans la médecine nucléaire dans l'immédiat après-guerre. À partir du milieu de l'année 1946, Oak Ridge commença à fournir des radioisotopes à des hôpitaux et à des universités. L'essentiel des commandes concernait l'iode 131 et le phosphore 32 utilisés dans le traitement du cancer. En plus de l'usage médical, les isotopes furent utilisés dans la recherche industrielle, biologique et agricole[315].

Au moment de la prise de contrôle par la Commission de l'énergie atomique, Groves fit ses adieux aux personnes ayant travaillé sur le projet Manhattan :

« Il y a cinq ans, l'idée de l'énergie nucléaire n'était qu'un rêve. Vous avez fait de ce rêve une réalité. Vous avez saisi les idées les plus nébuleuses et les avez transformées en réalité. Vous avez bâti des villes là où il n'y en avait jamais eu. Vous avez construit des installations industrielles d'une taille et d'une précision jusqu'ici jugées impossibles. Vous avez créé l'arme qui a mis fin à la guerre et avez ainsi sauvé d'innombrables vies américaines. En ce qui concerne les applications en temps de paix, vous avez levé le voile sur un nouveau monde[316]. »

Dans la culture

Claude Rains, Cary Grant et Ingrid Bergman, les trois héros de Notorious (1946)

Pour le film d'espionnage de 1946, Les Enchaînés (Notorious) d'Alfred Hitchcock, le FBI informe le producteur David O. Selznick qu'il désapprouve particulièrement l'allusion au projet Manhattan à travers l'affaire des barres d'uranium dissimulé dans les bouteilles de la cave à vin de l'un des personnages nazis. Selznick conseille à Hitchcock de maintenir un flou maximum sur les aspects relatifs aux services secrets et à la bombe. Le cinéaste déclare alors que le FBI le ferait surveiller avant le tournage et lui imposerait des conditions étouffantes pendant le tournage, ce qui est improbable[317]. L'histoire des barres d'uranium décourage Selznick qui ne croit plus au film et préfère en revendre les droits à la RKO-Radio Pictures[318].

Au carrefour du siècle, un docudrama sorti en 1947, narre des moments forts du Projet Manhattan [319]. Le Grand Secret (1952) est un film de Melvin Frank et Norman Panama qui narre quelques moments de la vie de Tibbets, pilote qui a largué une bombe atomique sur Hiroshima[320].

La bande dessinée La Bombe narre « la mise au point de la première bombe atomique »[321].

Il est fait allusion au Projet Manhattan dans l'album Manhattan Project du groupe de rock canadien Rush[322], ainsi que dans la chanson Brighter Than a Thousand Suns du groupe de heavy metal américain Iron Maiden[323].

La série télévisée dramatique Manhattan, diffusée entre 2014 et 2015, relate l'avancée du projet en 1943, notamment à Los Alamos[324].

Le film Oppenheimer de Christopher Nolan narrera la vie de Robert Oppenheimer et ses travaux au sein du projet Manhattan[325].

Notes et références

Notes

  1. Selon Rival 1995, p. 101-102, c'est au début de 1940 qu'ils accomplirent cette avancée.
  2. La rĂ©action qui inquiĂ©tait le plus Teller Ă©tait : 714N + 714N → 1224Mg + 24He (particule α) + 17,7 MeV[28].
  3. Dans le récit de Bethe, la possibilité de cette catastrophe fut à nouveau soulevée en 1975 lorsqu'elle apparut dans un article de magazine de H. C. Dudley qui avait proposé une interview d'Arthur Compton réalisée par Pearl Buck en 1959. Les inquiétudes ne furent cependant pas apaisées dans l'esprit de quelques personnes jusqu'à l'essai Trinity[31].
  4. Stone & Webster offrait des services dans trois domaines du gĂ©nie : civil, mĂ©canique et Ă©lectrique. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle conçut et construisit (1) des usines fabriquant des douilles de balles, (2) une usine Ă  fabriquer des aciers, (3) une usine Ă  fabriquer des viseurs pour les bombes, (4) une usine pour des instruments servant Ă  la lutte aux incendies, (5) une usine fabriquant des compresseurs mĂ©caniques destinĂ©s aux avions et (6) des usines pour la fabrication de TNT. De plus, ses services furent retenus pour des infrastructures et des centrales d'Ă©nergie. Elle s'occupait aussi d'Ă©nergie Ă©lectrique. Stone & Webster construisit une ville Ă  Oak Ridge au Tennessee, qui accueillit jusqu'Ă  75 000 travailleurs.
  5. Dans les annĂ©es 1930, la livre sterling s'Ă©changeait Ă  un maximum de 5 dollars amĂ©ricains. Dans les annĂ©es 1940, elle s'Ă©changeait Ă  un maximum de 4 dollars[64]. Le taux de change retenu est le plus Ă©levĂ© des deux.
  6. Des réactions nucléaires auto-entretenues ont eu lieu dans la nature[99] comme dans le cas du Réacteur nucléaire naturel d'Oklo au Gabon.
  7. La phrase faisait référence au marin italien Christophe Colomb qui avait découvert la Caraïbe en 1492.
  8. Lovérini 1996, p. 18 traduit la phrase ainsi : « Le navigateur italien vient d'atterrir dans le nouveau monde. »
  9. Karl P. Cohen a commencé sa carrière de physicien sous la direction de Harold Urey pendant le projet Manhattan. Ses travaux ont mené à la mise au point d'une technique de séparation isotopique par centrifugation couramment utilisée au début du XXIe siècle. Par la suite, Cohen a travaillé pour le compte de la société General Electric à titre de conseiller pour l'énergie nucléaire[126].
  10. Aujourd'hui, cet emplacement est appelé « West Point Mint », que l'on peut traduire par « Hôtel de la monnaie de West Point ».
  11. Un schéma détaillé de l'intérieur de la bombe est présenté sur le site de Wikipédia en anglais.

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Voir aussi

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