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Projet Fugo

Le projet Fugo, signifiant projet « sĂ©rie 2 » ou « type B », est une campagne de bombardement des cĂŽtes nord-amĂ©ricaines lancĂ©e par le Japon durant la Seconde Guerre mondiale[1]. Des ballons Ă  gaz sans Ă©quipage, nommĂ©s fĆ«sen bakudan (éąšèˆčçˆ†ćŒŸ, mot Ă  mot « ballon-bombes ») ou Fu-gƍ heiki (ă”ć·ć…”ć™š), ont Ă©tĂ© lĂąchĂ©s des plages de Honshu. Ils Ă©taient faits de papier de mĂ»rier (Washi) et de colle Ă  base de konnyaku. Pour atteindre leur cible Ă  plus de 10 000 km de distance et y lĂącher des bombes incendiaires et explosives, ils dĂ©rivaient dans les forts courants d'altitude, appelĂ© courants-jets. Ces derniers avaient Ă©tĂ© dĂ©couverts dans les annĂ©es 1920 par ƌishi Wasaburƍ.

Fƫsen bakudan, découvert et photographié par la US Navy
Un ballon japonais abattu en 1945, puis regonflé par les Américains en Californie.

De novembre 1944 Ă  avril 1945, sur 9 300 ballons lĂąchĂ©s par les Japonais, moins de 500 ont touchĂ© au but, la plupart sans exploser.

Description des ballons

Les ballons mesuraient 10 mĂštres de diamĂštre et contenaient 540 m3 d’hydrogĂšne[1]. Ils devaient transporter une nacelle, quatre bombes incendiaires, une bombe anti-personnel, 36 sacs de sable comme lest et tout l’équipement de contrĂŽle, soit au total 454 kg[2]. Ils Ă©taient confectionnĂ©s de papier de mĂ»rier que des jeunes filles produisaient dans leur Ă©cole transformĂ©e en usine pour l'occasion. Elles travaillaient 12 heures par jour contre leur grĂ©[3]. La prĂ©paration du projet fut assez longue Ă  cause des problĂšmes techniques rencontrĂ©s. L’hydrogĂšne dans les ballons prend de l’expansion en s’élevant Ă  cause de la plus faible pression. À cela s’ajoute l’expansion due au rĂ©chauffement diurne, la contraction due Ă  la tempĂ©rature plus froide la nuit et les pertes par des fuites dans le ballon[1].

Les ingĂ©nieurs durent donc inclure un systĂšme de contrĂŽle de l’altitude par altimĂštre. Ce dernier commandait un mĂ©canisme de relĂąche des sacs de sable, attachĂ©s Ă  une roue en aluminium, si le ballon descendait trop bas. Si le ballon montait au-dessus de 11,6 km d’altitude ou que la pression interne menaçait de faire exploser le ballon, une valve s’ouvrait et laissait un peu d’hydrogĂšne s’échapper du ballon[2].

Il y avait juste assez de lest et d’hydrogĂšne pour un cycle nuit/jour de trois jours, la durĂ©e de la traversĂ©e prĂ©vue. Le mĂ©canisme Ă©lectrique qui relĂąchait les sacs de sable, en allumant une petite quantitĂ© de poudre Ă  canon, Ă©tait alors utilisĂ© une derniĂšre fois pour allumer une mĂšche de 19 mĂštres au centre de la nacelle. AprĂšs avoir pris 84 minutes Ă  brĂ»ler, la mĂšche faisait exploser une petite charge prĂšs du ballon, ce qui le faisait Ă©clater[1].

Quelques ballons furent lancĂ©s par la Marine impĂ©riale, nommĂ©s « modĂšle A ». Ils Ă©taient faits de soie enrobĂ©e de caoutchouc, avaient une radio pour les suivre par tĂ©lĂ©mĂ©trie et ne transportaient aucun armement[4]. Par contre, l’ArmĂ©e impĂ©riale utilisa des ballons en washi, un papier aux longues fibres de mĂ»rier entrelacĂ©es connu pour sa lĂ©gĂšretĂ©, sa flexibilitĂ©, sa soliditĂ© et son impermĂ©abilitĂ©. Elle commanda 10 000 ballons faits de ce matĂ©riel qui devinrent le « ModĂšle B »[4]. Ce papier arrivait en feuilles de la taille d’une carte routiĂšre et devait ĂȘtre assemblĂ© grĂące Ă  une colle comestible appelĂ©e konnyaku dans des stades de sumo, des thĂ©Ăątres et autres grandes piĂšces. Un grand nombre des travailleurs Ă©taient des adolescentes aux doigts agiles qui devaient porter des gants afin d’empĂȘcher leurs ongles de couper le ballon.

DĂ©roulement de la campagne

Lancement

Photo des ballons du projet Fugo prises prÚs des Aléoutiennes.

Le fĆ«sen bakudan fut proposĂ© par le gĂ©nĂ©ral Sueyoshi Kusaba du laboratoire tactique de la neuviĂšme armĂ©e du Japon[1] - [5]. Il s’agissait de la quatriĂšme campagne d’attaques contre l’AmĂ©rique du Nord et visait Ă  venger les bombardements de 1942 du raid de Doolittle sur le Japon. Il planifiait le lancer des ballons en hiver pour utiliser le courant-jet qui, en cette saison, est Ă  son maximum d’intensitĂ© et orientĂ© le plus d’ouest en est. Il reçut l'aide du directeur de l'Observatoire mĂ©tĂ©orologique central, Sakuhei Fujiwhara, pour la planification des vols[5] - [6]. Ce courant Ă  environ km d’altitude peut faire traverser l’ocĂ©an Pacifique Ă  un aĂ©rostat en environ 3 jours Ă  cette pĂ©riode.

Les premiers tests furent effectuĂ©s en septembre 1944 et furent concluants[1] - [5]. Les premiers raids amĂ©ricains par des B-29 sur le sol japonais attisĂšrent la dĂ©termination du haut commandement japonais et le premier lĂącher fut effectuĂ© le 3 novembre 1944, Ă  partir de l’üle de HonshĆ«. Les lancements se succĂ©dĂšrent jusqu’en avril 1945. En tout, c’est un peu plus de 9 000 ballons qui furent lĂąchĂ©s par les hommes du gĂ©nĂ©ral Kusaba[1].

Des ballons furent retrouvĂ©s aux États-Unis de l’Alaska Ă  la Californie et aussi loin Ă  l’est que le Texas, le Kansas et l’Iowa[1]. On les a retrouvĂ©s Ă©galement au Mexique et au Canada, de la cĂŽte Ouest jusqu’au Manitoba. L’armĂ©e japonaise estimait qu’environ 10 % atteindraient la cĂŽte nord-amĂ©ricaine. Bien que seulement 300 fussent retrouvĂ©s, les chercheurs dans le domaine estiment que ce pourcentage Ă©tait rĂ©aliste et que 600 sont probablement tombĂ©s dans les rĂ©gions peu peuplĂ©es couvertes de forĂȘts, de dĂ©serts ou de lacs[1].

Initialement, les autoritĂ©s amĂ©ricaines et canadiennes ne crurent pas que les ballons pouvaient avoir Ă©tĂ© lĂąchĂ©s du Japon. L’hypothĂšse principale Ă©tait que des sous-marins avait dĂ©barquĂ© des troupes sur les plages de la cĂŽte Ouest pour y effectuer l’opĂ©ration. Certains pensĂšrent mĂȘme que c’était des prisonniers de guerre allemands ou des internĂ©s japonais qui avaient organisĂ© la chose. Cependant, en faisant analyser le contenu des sacs de sable servant de lest par l’unitĂ© militaire du United States Geological Survey, les chercheurs se rendirent compte que la composition de ces derniers et les dĂ©bris biologiques, comme les bacillariophytas, qu’ils contenaient ne pouvaient provenir que des plages de la rĂ©gion de Honshu. L’analyse finale ne vint qu’au printemps 1945 et ne fut qu’informative puisque le projet Fugo avait dĂ©jĂ  pris fin.

Effets

Des 300 ballons retrouvĂ©s, trĂšs peu causĂšrent des dommages. Quelques ballons provoquĂšrent des incendies de forĂȘt rapidement Ă©teints. En effet, durant l'hiver, la cĂŽte ouest du continent nord-amĂ©ricain est trĂšs pluvieuse et l'intĂ©rieur des terres est soumis Ă  un climat trĂšs froid et neigeux. Le risque d'incendie est donc trĂšs bas.

Le 10 mars 1945, un des derniers ballons s’écrasa prĂšs du laboratoire national de Hanford dans l’État de Washington, un des sites reliĂ©s au projet Manhattan. Ceci causa une panne sur la ligne Ă©lectrique alimentant le systĂšme de refroidissement du rĂ©acteur nuclĂ©aire mais l’alimentation d’urgence Ă©vita le pire[7].

Le 5 mai 1945, le pasteur Archie Mitchell et son Ă©pouse Elsie accompagnaient cinq enfants de leur Ă©cole du dimanche pour une excursion en forĂȘt prĂšs de Bly (Oregon). La petite Joan Patzke trouva un des ballons qu'elle essaya de tirer Ă  elle. La bombe associĂ©e au ballon dĂ©tona, tuant Elsie Mitchell et les cinq enfants : Dick Patzke (14 ans) et sa sƓur Joan (13 ans), Jay Gifford (13 ans), Edward Engen (13 ans), Sherman Shoemaker (11 ans)[8]. Le pasteur s'en tira car il Ă©tait un peu en retrait du groupe. Il s'agit des seuls morts attribuĂ©s au projet Fugo, et des seules victimes civiles de la Seconde Guerre mondiale sur le territoire continental des États-Unis[9].

Aux États-Unis, sept ballons furent retrouvĂ©s par des civils et remis Ă  l’armĂ©e amĂ©ricaine. Ils provenaient du Nevada, du Texas, du Nouveau-Mexique, du Michigan et mĂȘme de la banlieue de DĂ©troit[10]. Des avions de chasse furent envoyĂ©s pour les intercepter mais vu l’altitude et la vitesse de croisiĂšre des ballons, ils furent peu efficaces. Moins de vingt furent descendus. Un des chasseurs de l’armĂ©e amĂ©ricaine rĂ©ussit Ă  faire atterrir un ballon en le poussant. Comme aucune explosion ne s’ensuivit, les militaires purent examiner l’appareil.

Deux ballons rebroussĂšrent chemin vers le Japon sans y causer de dommages.

Censure

Au dĂ©but de 1945, le public commença Ă  avoir des soupçons alors que des ballons furent rapportĂ©s par plusieurs personnes et que des explosions furent entendues. Entre autres, des tĂ©moins dĂ©crivirent la chute de ce qui ressemblait Ă  un parachute Ă  Thermopolis au Wyoming. Cette chute avait Ă©tĂ© suivie d’une explosion crĂ©ant un cratĂšre et ils avaient retrouvĂ© du shrapnel aux alentours. Un article dans le Newsweek, intitulĂ© « Balloon Mystery », dĂ©crivit l'Ă©vĂ©nement et fut repris par quelques journaux les jours suivants.

Les autoritĂ©s demandĂšrent aux mĂ©dias de ne pas faire Ă©cho Ă  ces incidents pour deux raisons : on voulait laisser l'ennemi dans l'ignorance quant aux rĂ©sultats afin qu'il abandonne, croyant que la campagne n'avait aucun effet, et on ne voulait pas crĂ©er de panique dans la population. De plus, bien que les bombes retrouvĂ©es fussent incendiaires, on connaissait l'existence des recherches japonaises en guerre biologique faites par l'unitĂ© 731 Ă  Pingfan en Mandchourie. On craignait donc que des bombes biologiques soient utilisĂ©es si les rĂ©sultats de la campagne Ă©taient connus de l'ennemi[11]. Les journaux et postes de radio acquiescĂšrent Ă  cette demande et ne rapportĂšrent plus d’incidents liĂ©s aux ballons[12]. GrĂące Ă  cette mesure, les Japonais ne purent apprendre que ce qui Ă©tait arrivĂ© Ă  un de leurs ballons au Wyoming et abandonnĂšrent aprĂšs six mois, juste au moment oĂč la saison des feux de forĂȘts allait commencer.

Cette censure ne fut levĂ©e que lorsque six personnes furent tuĂ©es Ă  la suite de l'incident mortel du 5 mai. Les autoritĂ©s jugĂšrent qu’il Ă©tait plus important d’alerter la population, qui commençait Ă  se rendre en forĂȘt aprĂšs l’hiver, que de garder le secret[12]. À ce moment, deux des trois usines de production d’hydrogĂšne du Japon avaient Ă©tĂ© dĂ©truites par les bombardements amĂ©ricains, ce qui handicapait sĂ©rieusement la campagne de lancement.

Épilogue

En 1950, un monument fut Ă©rigĂ© Ă  110 kilomĂštres au nord-est de Klamath Falls (Oregon) Ă  la mĂ©moire des seules victimes des ballons : Elsie Mitchell, Edward Engen, Jay Gifford, Joan Patzke, Dick Patzke et Sherman Shoemaker. Ce monument fut dĂ©dicacĂ© Ă  nouveau en 1995 pour le cinquantiĂšme anniversaire de la tragĂ©die, et on a plantĂ© alors six cerisiers offerts en signe de compassion par des Japonais qui avaient participĂ© Ă  la confection des ballons[13]. Mme Mitchell est inhumĂ©e au cimetiĂšre d’Ocean View Ă  Port Angeles, Washington.

AprĂšs la guerre, des ballons furent retrouvĂ©s de temps Ă  autre : huit Ă  la fin des annĂ©es 1940, trois durant les annĂ©es 1950 et deux durant les annĂ©es 1960. En 1978, le support de sacs de lest, des mĂšches du mĂ©canisme de relĂąche et des baromĂštres furent trouvĂ©s prĂšs de Agness en Oregon et sont exposĂ©s au musĂ©e d’histoire de Coos County[14]. Le dernier ballon en Ă©tat de marche fut dĂ©couvert en AmĂ©rique du Nord en 1955, ses bombes encore armĂ©es aprĂšs 10 ans de corrosion.

Annexes

Bibliographie

  • « The Great Japanese Balloon Offensive », Air University Review, vol. 19, no 2,‎ , p. 68-83
  • Robert C. Mikesh, Balloon Bomb Attacks on North America : Japan’s World War II Assaults, Aero Publishers, coll. « Fallbrook »,
  • Bert Webber, Silent Siege : Japanese Attacks against North America in World War II, Fairfield, Ye Galleon Press,
  • USAFPOA Intelligence Bulletin No. 09, February 2, 1945lire en ligne

Articles connexes

Notes et références

  1. (en) Greg Goebel, « The Fusen Bakudan », Balloons In Peace & War 1900:1945, Vectorsite, (consulté le )
  2. (en) Marshall Stelzreide, « Japanese Fugo Bombing Balloons », Marshall Stelreide’s Wartime Story, Stelreide.com (consultĂ© le )
  3. (en) Peter Lang-Stanton et Nick Farago, « Radiolab- Fu-Go », sur Radiolab, (consulté le )
  4. (en) John Covington, « Fugos: Japanese Balloon Bombs of WWII », Seanet (consulté le )
  5. (en) Ross Cohen, The Curious History of Japan's Balloon Bomb Attack on America, , 296 p. (ISBN 978-0-8032-4966-0, présentation en ligne, lire en ligne [PDF]), p. 10-46.
  6. (en) Esther Inglis-Arkell, « The Fujiwhara Effect Makes Cyclones Dance Around Each Other », IO9,‎ (lire en ligne).
  7. (en) J. K. Keating et D. W. Harvey, Section 8 : Site security, Pacific Northwest National Laboratory, (lire en ligne [PDF])
  8. « Wayback Machine », sur www.transistor.org, (version du 16 juillet 2011 sur Internet Archive)
  9. (en) Journaliste, « Saw Wife and Five Children Killed by Jap Balloon Bomb », Seattle Times, Stelreide.com,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  10. (en) John McPhee, « Checkpoints », The New Yorker,‎ , p. 56-63
  11. (en) Journaliste, « Greatest Fear About Jap Balloons Was That They Might Bear Deadly Germs », Seattle Times, Stelreide.com,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  12. Jeffery Alan Smith, War & Press Freedom : The Problem of Prerogative Power, Language Arts & Disciplines,
  13. (en) USDA, « Mitchell Monument » (consulté le )
  14. (en) Curtis Peebles, The Moby Dick Project, Smithsonian Books, , 250 p. (ISBN 1-56098-025-7)
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