Section efficace
En physique nucléaire ou en physique des particules, la section efficace est une grandeur physique reliée à la probabilité d'interaction d'une particule pour une réaction donnée.
La section efficace étant homogÚne à une surface, l'unité de section efficace du SystÚme international est le mÚtre carré. En pratique on utilise souvent le barn, de symbole b :
- 1 b = 10â24 cm2 = 10â28 m2,
soit la surface d'un carrĂ© de dix femtomĂštres de cĂŽtĂ© (du mĂȘme ordre de grandeur que le diamĂštre d'un noyau atomique).
Historique
L'idée d'utiliser une surface pour exprimer une telle probabilité d'interaction remonte probablement à la découverte du noyau atomique et de sa petitesse par Ernest Rutherford en 1911[1] : en bombardant une mince feuille d'or avec des rayons alpha, on constate peu de déviations de ces particules, comme si la surface utile de l'atome (en fait celle de son noyau) était toute petite, comme si la feuille d'or était composée essentiellement de vide.
Principe
Section efficace microscopique
Statistiquement, les centres d'atomes disposĂ©s sur une mince surface peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des points rĂ©partis uniformĂ©ment sur ce plan.
Le centre d'un projectile atomique heurtant ce plan a une probabilité géométriquement définie de passer à une certaine distance r d'un de ces points.
En fait, s'il y a n atomes dans une surface S de ce plan, cette probabilité est de , ce qui est simplement le rapport entre la surface totale occupée par des cercles de rayon r et la surface S du plan.
Si nous considĂ©rons les atomes comme des disques d'acier impĂ©nĂ©trables et la particule comme une bille de diamĂštre nĂ©gligeable, ce rapport est la probabilitĂ© que la bille heurte un des disques, c'est-Ă -dire que le projectile soit arrĂȘtĂ© par la surface.
En d'autres termes, la section efficace est la surface fictive que devrait avoir une particule cible pour reproduire la probabilité observée de collision ou de réaction avec une autre particule en supposant que ces collisions se produisent entre objets matériels impénétrables.
Cette notion peut ĂȘtre Ă©tendue Ă n'importe quelle interaction entre collision de particules telle que : rĂ©action nuclĂ©aire, diffusion de particules, diffusion de la lumiĂšre.
Par exemple, la probabilitĂ© qu'une particule alpha heurtant une cible de bĂ©ryllium produise un neutron peut ĂȘtre exprimĂ©e par la surface fictive qu'aurait le bĂ©ryllium dans ce type de rĂ©action pour obtenir la probabilitĂ© de cette rĂ©action selon ce scĂ©nario.
La section efficace est peu dépendante de la taille réelle de la particule en question et varie surtout en fonction de la nature exacte de la collision ou de la réaction, et des interactions existantes entre les particules concernées.
Ceci explique l'emploi de l'expression section efficace au lieu de section plus simplement.
Section efficace macroscopique
En général, une particule est confrontée à des matériaux d'épaisseur supérieure à un seul rang d'atomes.
Ce qui caractĂ©rise la probabilitĂ©, pour une particule, d'interagir dans un milieu (ici supposĂ© homogĂšne) sur la longueur de son trajet, est sa section efficace ÎŁ en (cmâ1).
Si on suppose que le milieu est un ensemble de plans d'Ă©paisseur monoatomique, on peut relier la section efficace microscopique Ă la section efficace macroscopique par la relation ÎŁ = N â Ï, oĂč N est la densitĂ© volumique d'atomes (en atomes.cmâ3) et Ï la section efficace microscopique (en cm2).
La section efficace macroscopique d'une réaction dans un milieu est donc probabilité qu'une particule interagisse par unité de longueur de la traversée de ce milieu.
Le libre parcours moyen, 1/Σ, représente la distance moyenne parcourue par une particule entre deux interactions[2].
Exemple d'application
Notations :
- Flux neutronique = Ί en (neutrons cmâ2 sâ1)
- Vitesse des neutrons = v en (cm/s)
- Concentration volumique des neutrons = n en (neutrons cmâ3)
- Concentration volumique des cibles = N en (atomes cmâ3)
- Taux de rĂ©action (ou nombre d'interactions) par unitĂ© de volume et par unitĂ© de temps = Ï en (interaction cmâ3 sâ1)
- Section efficace microscopique = Ï en (cm2)
- Section efficace macroscopique = ÎŁ en (cmâ1)
On isole par la pensée un élément de volume cylindrique à axe normal au plan P de surface S = 1 cm2 et de volume 1 cm3
On considĂšre l'ombre projetĂ©e sur le plan des N noyaux supposĂ© trĂšs Ă©loignĂ©s les uns des autres (la matiĂšre est trĂšs lacunaire et les noyaux sont trĂšs petits). Chaque noyau projette une ombre de surface Ï.
Supposons qu'un faisceau de neutrons, parallĂšle au cylindre Ă©lĂ©mentaire, de densitĂ© n et de vitesse v, le nombre de neutrons pĂ©nĂ©trant dans le cylindre par unitĂ© de temps est Ă©gal Ă n â v.
Chacun d'entre eux ayant une probabilitĂ© de choc durant la traversĂ©e valant ÎŁ. D'oĂč le fait que le nombre de chocs par unitĂ©s de temps et de volume vaut Ï = n â v â ÎŁ.
En notant Ί = n â v la grandeur appelĂ©e flux neutronique on obtient :
Ï = (N â Ï) â (n â v) = ÎŁ â Ί La section efficace macroscopique ÎŁ est dĂ©finie comme la probabilitĂ© pour un neutron dâinteragir avec une cible par unitĂ© de longueur. Elle a la dimension de l'inverse d'une longueur.
Unité
Le rayon typique des particules nuclĂ©aires est de l'ordre de 10â14 m. Nous pourrions donc nous attendre Ă des sections efficaces pour des rĂ©actions nuclĂ©aires de l'ordre de Ï r2, soit environ 10â28 m2 (= 10â24 cm2), ce qui explique l'emploi d'une unitĂ©, le barn, ayant cette valeur.
Les sections efficaces varient considĂ©rablement d'un nuclĂ©ide Ă l'autre, depuis des valeurs de l'ordre de 10â4 barn (deutĂ©rium) jusqu'au maximum connu de 2,65 ĂâŻ106 barn pour le xĂ©non 135.
ParamĂštres influents sur les sections efficaces
Généralités
Les sections efficaces observées varient de façon importante, en fonction de la nature et de la vitesse des particules. Ainsi pour la réaction (n, γ) d'absorption de neutrons lents (ou « thermiques »), la section efficace peut dépasser 1 000 barns, tandis que les sections efficaces des transmutations par absorption de rayons γ sont plutÎt de l'ordre de 0,001 barn. Les sections efficaces des processus observés ou recherchés dans les accélérateurs de particules sont quant à elles de l'ordre du femtobarn. La section géométrique d'un noyau d'uranium vaut 1,5 barn.
En rĂ©acteur, les principales rĂ©actions sont la capture radiative (n,Îł) et la fission (n,f), la somme des deux Ă©tant lâabsorption. Mais il y a aussi des rĂ©actions de type (n,2n), (n,α), (n,p), etc.
Vitesse - Ănergie
GĂ©nĂ©ralement, les sections efficaces diminuent lorsque lâĂ©nergie (la vitesse) du neutron augmente.
Une loi empirique en 1/v rend assez correctement compte de la variation des sections efficaces aux basses énergie. Cette loi, assez bien vérifiée si on excepte la zone des résonances, se traduit par des droites de pente -1/2 dans les coordonnées log log en énergie fréquemment utilisées pour la représentation comme dans les figures ci-aprÚs. Aux fortes énergies les valeurs convergent souvent vers des valeurs de quelques barns représentatives des dimensions des noyaux des atomes.
Des modÚles ont été proposés rendant compte notamment des phénomÚnes de résonance, le plus connu est celui basé sur la relation de Louis de Broglie :
RĂ©sonances
Il y a des résonances (soit des pics de section efficace pour une énergie donnée), surtout pour les noyaux lourds (il peut y en avoir plus d'une centaine pour un noyau donné), généralement aux énergies intermédiaires. La section efficace des neutrons peut devenir trÚs grande si le neutron entre en résonance avec le noyau : c'est-à -dire s'il apporte exactement l'énergie nécessaire à la formation d'un état excité du noyau composé.
Dans le cas des neutrons en réacteur, on distingue généralement trois domaines :
- le domaine thermique et basses Ă©nergies oĂč la loi en 1/v est assez bien vĂ©rifiĂ©e ;
- le domaine Ă©pithermique qui peut aller de 0,1 Ă 500 eV oĂč se trouvent les captures rĂ©sonnantes et qui requiert une description trĂšs fine ;
- le domaine rapide oĂč la loi en 1/v reprend avec assez souvent aux trĂšs fortes Ă©nergies une convergence vers une valeur asymptotique de l'ordre de la dimension des noyaux.
Pour les noyaux fissiles, la proportion de fissions/absorptions augmente gĂ©nĂ©ralement avec lâĂ©nergie (elle est nulle pour les neutrons thermiques, pour les noyaux fertiles tels que l'uranium 238).
La loi de Breit et Wigner à un niveau permet de décrire les sections efficaces résonnantes dans les aspects qualitatifs[4].
Température
Les sections efficaces varient avec la température des noyaux cibles,
oĂč Ï est la section efficace Ă la tempĂ©rature T et Ï0 la section efficace Ă la tempĂ©rature T0 (T et T0 en kelvins)
Elles sont usuellement données à 20 °C ; une correction avec la température est nécessaire[5].
Valeurs typiques de sections efficaces
On peut constater sur les graphes ci-contre que la loi en 1/v est assez correctement vérifiée aux basses énergies dans des exemples trÚs divers.
Dans la plage oĂč cette loi s'applique on peut sâintĂ©resser Ă l'Ă©volution du taux de rĂ©action (Ï):
- Ï = ÎŁ â
Ί = (N â
Ï) â
(n â
v) , avec Ï = s/v ; s = constante
Ï = N â s â n - dans la plage oĂč la loi en 1/v s'applique le taux de rĂ©action ne dĂ©pend plus que de la concentration des neutrons
On donne dans le tableau ci-aprÚs les valeurs de quelques sections efficaces de corps importants dans le fonctionnement neutronique des réacteurs à eau. Les sections efficaces du domaine thermique sont moyennées suivant le spectre de Maxwell correspondant et les sections efficaces du domaine rapide sont moyennées suivant le spectre des neutrons de fission de l'uranium 235. Les sections efficaces sont principalement tirées de Jeff-3.1.1 library using Janis software[6]. Les valeurs entre parenthÚses sont issues du Handbook of Chemistry and Physics, elles sont dans l'ensemble plus fiables que les autres. Les valeurs pour les corps chimiques sont les moyennes pondérées sur les isotopes naturels. Pour les corps fissiles, la capture est la capture définitive avec absorption = capture + fission.
La section efficace des neutrons peut devenir trÚs grande si le neutron entre en résonance avec le noyau : c'est-à -dire s'il apporte exactement l'énergie nécessaire à la formation d'un état excité du noyau composé.
Section efficace thermique (barn) |
Section efficace rapide (barn) | ||||||
Diffusion | Capture | Fission | Diffusion | Capture | Fission | ||
Modérateur et réfrigérant |
H | 20 | 0,2 (0,332) |
- | 4 | 4 ĂâŻ10â5 | - |
D | 4 | 3 ĂâŻ10â4 (0,51 ĂâŻ10â3) |
- | 3 | 7 ĂâŻ10â6 | - | |
C | 5 | 2 ĂâŻ10â3 (3,4 ĂâŻ10â3) |
- | 2 | 10â5 | - | |
Na | 0,515 | - | |||||
Structures et divers |
Zr | (0,182) | |||||
90Zr | 5 | 6 ĂâŻ10â3 (0,1) |
- | 5 | 6 ĂâŻ10â3 | - | |
Fe | (2,56) | ||||||
56Fe | 10 | 2 (2,5) |
- | 20 | 3 ĂâŻ10â3 | - | |
Cr | (3,1) | ||||||
52Cr | 3 | 0,5 (0,76) |
- | 3 | 2 ĂâŻ10â3 | - | |
Ni | (4,54) | ||||||
58Ni | 20 | 3 (4,4) |
- | 3 | 8 ĂâŻ10â3 | - | |
O | (0,267 ĂâŻ10â3) | - | |||||
16O | 4 | 1 ĂâŻ10â4 (0,178 ĂâŻ10â3) |
- | 3 | 3 ĂâŻ10â8 | - | |
Poison neutronique |
B | (763,4) | - | - | |||
10B | 2 | 2 ĂâŻ103 (3 836) |
- | 2 | 0,4 | - | |
Hf | (103) | ||||||
Cd | (2,45 ĂâŻ103) | ||||||
113Cd | 100 | 3 ĂâŻ104 (2 ĂâŻ104) |
- | 4 | 0,05 | - | |
135Xe | 4 ĂâŻ105 | 2 ĂâŻ106 (2,65 ĂâŻ106) |
- | 5 | 8 ĂâŻ10â4 | - | |
88Zr | (8,61 ± 0,69) ĂâŻ105[7] | - | - | ||||
115In | 2 | 100 (85) |
- | 4 | 0,2 | - | |
Gd | (49 ĂâŻ103) | ||||||
155Gd | (61 ĂâŻ103) | ||||||
157Gd | 200 ĂâŻ103 (2,54 ĂâŻ103) |
||||||
149Sm | 74,5 ĂâŻ103 (41 ĂâŻ103) |
||||||
Combustible | 233U | (52,8) | (588,9) | ||||
235U | 10 | 60 (100,5) |
300 (579,5) |
4 | 0,09 | 1 | |
238U | 9 (8,9) | 2 (2,720) |
2 ĂâŻ10â5 | 5 | 0,07 | 0,331 | |
239Pu | 8 | 0,04 (265,7) |
700 (742,4) |
5 | 0,05 | 2 | |
240Pu | 1 299,4 | 0,0 | |||||
241Pu | 494,1 | 1 806,5 | |||||
242Pu | 141,05 | 0,0 |
Voir aussi
Articles connexes
- Diffusion Thomson
- Diffusion Compton
- Diffusion de Rayleigh
- Borne de Froissart, propriété des sections efficaces les limitant au carré du logarithme de l'énergie de la collision
Liens externes
- (en) Base de données de sections efficaces nucléaires couramment utilisées
- (en) Nuclear Data Services - IAEA
- (en) Neutron scattering lengths and cross-sections
- (en) Periodic Table of Elements: Sorted by Cross Section (Thermal Neutron Capture)
- (en) Atlas of Neutron Resonances Thermal Cross Sections & Resonance Integrals
Sources
- (en) « Rutherford : a biography » (consulté le )
- Paul Reuss, Précis de neutronique, EDP Sciences, (ISBN 2-7598-0162-4, OCLC 173240735, lire en ligne).
- (en) R. W. Bauer, J. D. Anderson, S. M. Grimes, V. A. Madsen, Application of Simple Ramsauer Model to Neutron Total Cross Sections (lire en ligne [PDF]).
- Paul REUSS, Précis de neutronique, Les Ulis, EDP Sciences, , 533 p. (ISBN 2-86883-637-2), p. 80.
- (en) DOE Fundamentals Handbook, Nuclear Physics and Reactor Theory, DOE-HDBK-1019/1-93 Lire en ligne[PDF].
- Janis 3.3, http://www.oecd-nea.org/janis/
- .(en) Jennifer A. Shusterman, Nicholas D. Scielzo, Keenan J. Thomas, Eric B. Norman, Suzanne E. Lapi et al., « The surprisingly large neutron capture cross-section of 88Zr », Nature, vol. 565,â , p. 328-330 (DOI 10.1038/s41586-018-0838-z)