Carbone 14
Le carbone 14, noté 14C, est l'isotope du carbone[2] - [3] - [4] dont le nombre de masse est égal à 14 (c'est un isobare de la forme la plus commune de l'azote) : son noyau atomique compte 6 protons et 8 neutrons avec un spin 0+ pour une masse atomique de 14,003 241 99 g/mol. Il est caractérisé par un excÚs de masse de 3 019,89 keV et une énergie de liaison nucléaire par nucléon de 7 520 keV[1]. Le carbone 14 a longtemps été le seul radioisotope du carbone à avoir des applications. Pour cette raison, il était appelé radiocarbone[5].
Présence naturelle | 1 ppt |
---|---|
Demi-vie | 5 730 ± 40 ans[1] |
Produit de désintégration | 14N |
Masse atomique | 14,003241989(4) u |
Spin | 0+[1] |
ExcÚs d'énergie | 3 019,893 ± 0,004 keV[1] |
Ănergie de liaison par nuclĂ©on | 7 520 keV[1] |
Un gramme de carbone 14 pur prĂ©sente une activitĂ© de 164,9 GBq. L'unique mode de dĂ©sintĂ©gration est l'Ă©mission d'une particule ÎČ avec une chaleur de rĂ©action de 156 keV en se transmutant en azote 14N ; avec une pĂ©riode radioactive de 5 730 ± 40 ans, selon la rĂ©action :
Sur Terre, le carbone 14 est formĂ© lors de l'absorption de neutrons par des atomes d'azote de la stratosphĂšre et des couches hautes de la troposphĂšre et lâexpulsion d'un proton :
que l'on résume en :
Les neutrons proviennent de la collision des rayons cosmiques avec les noyaux d'atomes de l'atmosphĂšre, principalement l'azote.
Applications
L'application la plus connue du carbone 14 est la datation mais il est aussi utilisé comme traceur biologique ou plus récemment pour reconstituer l'évolution au cours des derniers millénaires du climat, du champ magnétique ou de l'activité solaire[6].
DĂ©couverte
Le carbone 14 a été découvert le par Martin Kamen du Radiation Laboratory et Samuel Ruben du département de Chimie de l'université de Californie à Berkeley.
DÚs 1934, à Yale, Franz Kurie suggÚre l'existence du carbone 14. Il observe en effet que l'exposition d'azote à des neutrons rapides produit parfois dans une chambre à brouillard de Wilson une longue trace fine au lieu de la courte trace plus épaisse laissée par une particule alpha. DÚs 1936, il est établi que les neutrons rapides réagissent avec l'azote pour donner du bore tandis que les neutrons lents réagissent avec l'azote pour former du carbone 14. Ceci correspond à la « découverte au sens physique » du carbone 14 par opposition à sa « découverte au sens chimique », c'est-à -dire sa production en quantité suffisante pour pouvoir mesurer une activité.
Kamen et Ruben collaborent à des recherches interdisciplinaires sur les traceurs biologiques dans le but de déterminer le produit initial de la fixation du dioxyde de carbone lors de la photosynthÚse. L'utilisation du carbone 11 comme traceur est trÚs difficile en raison de sa courte période radioactive (21 minutes). Ruben essaye cependant de développer une technique d'étude de la photosynthÚse : il fait pousser une plante en présence de dioxyde de carbone contenant du carbone 11, la tue, puis sépare et analyse ses composants chimiques, avant que la radioactivité ne devienne indétectable, pour trouver quels composants contiennent le traceur. L'échec de cette technique stimule la recherche d'un autre isotope radioactif à plus longue période radioactive, le carbone 14.
Une des principales sources de financement du Radiation Laboratory est la fabrication dans ses cyclotrons de radioisotopes pour la recherche biomédicale. à la fin de l'année 1939, Ernest Orlando Lawrence, directeur du Radiation Laboratory, est inquiet de la concurrence d'isotopes stables rares comme le carbone 13, l'azote 15 ou l'oxygÚne 18 qui peuvent se substituer aux radioisotopes comme traceurs biologiques. Il offre à Kamen et Ruben un accÚs illimité aux cyclotrons de 37 et 60 pouces pour rechercher des radioisotopes de périodes radioactives plus élevées pour les principaux éléments présents dans les composés organiques : hydrogÚne, carbone, azote ou oxygÚne.
Cette campagne de recherche systématique commence par le carbone. Kamen et Ruben bombardent du graphite avec des deutons (noyaux de deutérium). La faible activité qu'ils mesurent le , d'environ quatre fois le bruit de fond, confirme l'existence du carbone 14 avec une période radioactive qui se révÚle bien supérieure (plusieurs milliers d'années) à ce que prévoyait la théorie. Cette période radioactive trÚs longue, et donc la faible activité du carbone 14, explique pourquoi celui-ci n'a pas été découvert auparavant.
Kamen et Ruben constatent par la suite que la réaction de neutrons lents avec de l'azote pour donner du carbone 14 est nettement plus productive que la réaction deuton-carbone 13.
L'application du carbone 14 comme traceur biologique reste toutefois limitée par son coût de production, le cyclotron étant la seule source de neutrons disponible.
AprÚs la Seconde Guerre mondiale, le développement des réacteurs nucléaires, qui utilisent le graphite comme modérateur, autorise la production massive de carbone 14, dont l'emploi se répand dans tous les domaines de recherche biomédicale.
Le carbone 14 comme polluant
Accidents industriels
En tant que radionuclĂ©ide artificiel, le carbone 14 peut aussi quand il a Ă©tĂ© accidentellement ou volontairement libĂ©rĂ© dans l'environnement ĂȘtre un polluant. Ainsi, Ă titre d'exemple, en France, prĂšs d'un ancien laboratoire de la sociĂ©tĂ© Isotopchim au lieu-dit « le BelvĂ©dĂšre de Ganagobie » (30 km au nord-ouest de Forcalquier, dans les Alpes-de-Haute-Provence), des arbres ont bioaccumulĂ© (de 1989 Ă 1997) des quantitĂ©s significatives de carbone 14 provenant de rejets atmosphĂ©riques du laboratoire voisin qui produisait des marqueurs molĂ©culaires radioactifs pour la chimie fine. L'IRSN a produit une fiche[7] sur le 14C et l'environnement, aprĂšs avoir Ă©valuĂ© les consĂ©quences radiologiques de deux hypothĂšses qui Ă©taient :
- le maintien du site en l'Ă©tat, en particulier en laissant sur place les arbres et en continuant lâentretien du site qui est fait actuellement ;
- lâenlĂšvement total ou partiel des arbres contaminĂ©s.
Les conclusions de l'IRSN sont que maintenir sur place des arbres conduit Ă un risque radiologique infime pour les riverains (moins dâun centiĂšme de dose annuelle due au carbone 14 prĂ©sent naturellement dans lâenvironnement qui est de 12 microsievert), les consĂ©quences pour les arbres ou l'Ă©cosystĂšme Ă©tant difficiles Ă Ă©valuer[8].
Des cas particuliers existent[9] dont le carbone 14 d'essais nuclĂ©aires ou d'accidents (la catastrophe de Tchernobyl en particulier) ayant Ă©tĂ© captĂ© et piĂ©gĂ© par des plantes annuelles prĂšs du lieu d'un accident (ex. : Artemisia absinthium aprĂšs l'accident de Tchernobyl)[9], et surtout par des arbres, qui dans leurs racines et dans leurs cernes peuvent piĂ©ger ce 14C pendant toute leur durĂ©e de vie. Dans la partie la plus biodisponible de l'arbre, il est principalement localisĂ© dans l'Ă©paisseur de quelques cernes de croissance correspondant Ă l'Ă©poque de la contamination (bois formĂ© durant quelques annĂ©es, avant que le 14C n'ait eu le temps d'ĂȘtre diluĂ© dans l'environnement) ; voir illustrations. Il peut ĂȘtre relarguĂ© lors d'incendies de forĂȘt. Des annĂ©es aprĂšs, il pourra aussi repasser dans l'Ă©cosystĂšme via les insectes xylophages et saproxylophages qui consommeront ces cernes « radiomarquĂ©s », ou les champignons qui le dĂ©graderont.
Centrales Ă©lectriques au charbon
Les centrales au charbon n'émettent, compte tenu de l'ùge de la houille, que du carbone 12 (et du carbone 13) et diminuent légÚrement la teneur en carbone 14 dans l'atmosphÚre, les océans et à la surface terrestre. La radioactivité du charbon se trouve dans les cendres et est constituée principalement par celle de l'uranium, du radium et du thorium.
Essais nucléaires
AprÚs la Seconde Guerre mondiale et le premier usage de la bombe atomique, les nombreux essais nucléaires atmosphériques des années 1960 ont libéré une grande quantité de divers radionucléides et radioisotopes (dont le carbone 14) dans l'air ; assez pour doubler le taux normal de 14C de l'atmosphÚre[10], et par suite pour le faire augmenter dans la biomasse[10] (et par suite dans la nécromasse).
L'Ă©cotoxicologie et la toxicologie nuclĂ©aire considĂšrent â hors quelques exceptions (voir plus bas) â que ce carbone 14 s'est largement diluĂ© dans l'air et les mers, et que la part du 14C artificiel n'est plus distinguable de celui circulant naturellement (dont dans la biomasse qui contient plus de cent fois plus de carbone que ce que contient tout l'air de la planĂšte[10]).
Le stock global de carbone 14 de la biomasse a presque partout retrouvĂ© son niveau dâactivitĂ© d'origine.
Les spécialistes (et l'IRSN en France) considÚrent que « Les scénarios catastrophiques de bioaccumulation rencontrés dans le cas de toxiques comme le mercure ou le DDT sont donc exclus dans le cas du carbone 14 »[10].
Incidence sur la radiodatation
Une conséquence de faibles rejets de carbone 14 dans l'environnement est de créer pour les chercheurs du futur des « anomalies » dans une datation par le carbone 14 faite sur les tissus ainsi marqués. Le carbone 14 ajouté artificiellement aura pour effet de fausser les résultats de la datation en donnant des ùges apparents plus bas que ce qu'ils sont réellement, pouvant aller jusqu'à afficher des ùges apparents négatifs si le marquage en carbone 14 est suffisamment important.
Inversement, la végétation le long des autoroutes et axes de grande circulation automobile présente un marquage négatif : le gaz carbonique métabolisé par cette végétation provenant majoritairement de combustibles fossiles, dont le carbone 14 a disparu aprÚs quelques dizaines de milliers d'années, l'équilibre isotopique qui y est relevé peut correspondre à des datations de plusieurs milliers d'années, pour des plantes pourtant encore sur pied.
Radioactivité naturelle
Avec le potassium 40, le carbone 14 constitue la deuxiÚme source de radioactivité du corps humain.
Notes et références
-
(en) « Live Chart of Nuclides: 14
6C
8 », sur https://www-nds.iaea.org/, AIEA, (consulté le ). - « Carbone », dans le Dictionnaire de l'Académie française, sur Centre national de ressources textuelles et lexicales (sens 1) [consulté le 30 mai 2016].
- Informations lexicographiques et étymologiques de « carbone » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales [consulté le 30 mai 2016].
- Entrée « carbone 14 », sur Dictionnaires de français (en ligne), Larousse (consulté le ).
- Informations lexicographiques et étymologiques de « radiocarbone » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales [consulté le 30 mai 2016].
- (en) T. J. Heaton, E. Bard, Bronk Ramsey, M. Butzin, P. Köhler, R. Muscheler, P. J. Reimer et L. Wacker, « Radiocarbon: A key tracer for studying Earthâs dynamo, climate system, carbon cycle, and Sun », Science, vol. 374, no 6568,â (DOI 10.1126/science.abd7096, lire en ligne).
- IRSN, Fiche pédagogique sur le 14C et l'environnement
- Bilan IRSN 2009 de la surveillance radiologique de lâenvironnement en France : vers une Ă©volution de la stratĂ©gie de surveillance, 3 fĂ©vrier 2011
- Grodzinsky, D. M. (1995c), Ecological and biological consequences of Chernobyl catastrophe. 4. In: Barâyakhtar, V. G. (Ă©d.), Chernobyl Catastrophe: History, Social, Economics, Geochemical, Medical and Biological Consequence (Naukova Dumka, Kiev), (ru) « lire en ligne »(Archive.org âą Wikiwix âą Archive.is âą Google âą Que faire ?).
- JeanâClaude Barescut (directeur du programme « Risques chroniques »), Institut de radioprotection et de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire, Note technique Risque chronique et radioactivitĂ© Le programme de recherche « ENVIRHOM » (lancĂ© en 2001 et mobilisant en 2004 prĂšs de 40 chercheurs), Environnement, Risques & SantĂ©, vol. 3, no 3, 173-7, mai-juin 2004
Voir aussi
Bibliographie
- (en) John F. Marra, Hot Carbon : Carbon-14 and a Revolution in Science, Columbia University Press, , 280 p. (ISBN 978-0-231-18670-4 et 0-231-18670-3)
Articles connexes
Liens externes
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