Point de fusion
Le point de fusion (ou la tempĂ©rature de fusion) d'un corps pur ou d'un eutectique est, Ă une pression donnĂ©e, la tempĂ©rature Ă laquelle les Ă©tats liquide et solide de cette substance peuvent coexister Ă l'Ă©quilibre. Si l'on chauffe la substance (initialement solide), elle fond Ă cette tempĂ©rature et la tempĂ©rature ne peut pas augmenter tant que tout le solide n'a pas disparu. RĂ©ciproquement, si l'on refroidit la substance (initialement liquide), elle se solidifie Ă cette mĂȘme tempĂ©rature, qu'on peut donc aussi appeler point de solidification (ou tempĂ©rature de solidification). Pour certaines substances dont l'eau, la solidification est souvent dĂ©nommĂ©e congĂ©lation : le point de congĂ©lation de l'eau Ă 1 atm est 0,002 519 ± 0,000 002 °C[1].
Les substances autres que les corps purs et les eutectiques n'ont pas de point de fusion car leur fusion (ou leur solidification) se produit sur une plage de températures. Il y a donc une température de début de fusion (appelée température du solidus ou simplement solidus) et une température de fin de fusion (température du liquidus ou simplement liquidus).
Théorie
La plupart des substances se liquĂ©fient et se solidifient approximativement Ă la mĂȘme tempĂ©rature. Par exemple, pour le mercure, le point de fusion et de congĂ©lation sont 234,32 K (â38,82 °C). Cependant, plusieurs substances ont la caractĂ©ristique de pouvoir ĂȘtre en surfusion et peuvent donc geler Ă une tempĂ©rature infĂ©rieure Ă leur point de congĂ©lation thĂ©orique. L'eau en est un exemple car la pression de surface des molĂ©cules d'eau pure est difficile Ă Ă©liminer et on peut retrouver des gouttelettes d'eau jusqu'Ă â42 °C dans les nuages si elles ne contiennent pas un noyau de congĂ©lation[1].
Thermodynamique
Lorsqu'un corps pur solide est chauffé, la température augmente jusqu'à atteindre le point de fusion. A ce point, la température reste constante tant que le corps n'est pas entiÚrement passé sous phase liquide. La différence d'énergie pour entrainer la fusion complÚte de ce corps pur n'est donc pas seulement due a celle qu'on doit ajouter pour atteindre la température critique, mais il faut également y ajouter la chaleur latente () pour passer de l'état solide à l'état liquide.
Du point de vue de la thermodynamique, lâenthalpie () et lâentropie () du matĂ©riau augmentent donc () Ă la tempĂ©rature de fusion de telle façon quâon peut les exprimer lors du changement dâun corps de masse m ainsi :
- et ce qui donne
avec :
- Chaleur latente massique exprimée en J/kg ;
- Variation d'enthalpie en J ;
- Variation d'entropie en J/K ;
- masse en kg ;
- Température en K.
Caractéristiques
Contrairement à la température de vaporisation (point d'ébullition), la température de fusion est assez indépendante des changements de pression, car les volumes molaires de la phase solide et de la phase liquide sont assez proches[2] - [3].
GĂ©nĂ©ralement, lorsque l'on reste dans la mĂȘme famille de composĂ©s chimiques, le point de fusion augmente avec la masse molaire.
L'élément du tableau périodique ayant la plus haute température de fusion est le tungstÚne, 3 410 °C, ce qui en a fait un excellent choix pour les lampes à incandescence par exemple. Toutefois, le carbone (graphite) reste solide jusqu'à 3 825 °C (point de sublimation). Le carbure de tantale-hafnium Ta4HfC5 est un des matériaux réfractaires qui ont le point de fusion le plus élevé : 4 215 °C[4].
Ă l'autre bout du spectre, lâhĂ©lium ne se congĂšle qu'Ă une tempĂ©rature proche du zĂ©ro absolu et sous une pression de 20 atmosphĂšres.
Le point de fusion est donc un moyen de vérifier la pureté d'une substance : toute impureté fera varier le point de fusion de la substance testée.
Cas particuliers
La transition entre solide et liquide se produit cependant sur une certaine plage de tempĂ©rature pour certaines substances. Par exemple, lâagar-agar fond Ă 85 °C mais se solidifie entre 31 °C et 40 °C par un processus dâhystĂ©rĂ©sis. D'autre part, les substances amorphes, comme le verre ou certains polymĂšres, n'ont en gĂ©nĂ©ral pas de point de fusion, car elles ne subissent pas de fusion proprement dite mais une transition vitreuse.
Il existe Ă©galement dâautres exceptions :
- deux formes polymorphes ont souvent deux points de fusion différents ;
- certaines substances n'ont pas de point de fusion observable. Ceci peut ĂȘtre dĂ» Ă plusieurs phĂ©nomĂšnes :
- la sublimation, c'est-Ă -dire le passage direct Ă l'Ă©tat gazeux (par exemple l'iode ou le carbone),
- une décomposition à l'état solide (exemple des sels de diazonium).
Le cas des polymÚres semi-cristallins réticulés est intermédiaire :
- comme la rĂ©ticulation empĂȘche le glissement Ă grande Ă©chelle des chaĂźnes les unes par rapport aux autres, il nÊŒy a pas de « vraie » fusion dans le sens de la formation dÊŒun liquide ; formellement, le « bloc de polymĂšres » n'est qu'une seule et unique molĂ©cule, et la stabilitĂ© thermique est donc limitĂ©e par la dĂ©composition ;
- par contre, les autres manifestations de la fusion des cristallites restent observables dans les polymĂšres semi-cristallins rĂ©ticulĂ©s (chaleur latente, changement de masse volumique et de microstructure) : un tel polymĂšre possĂšde donc malgrĂ© tout un « point de fusion » analogue Ă sa variante non rĂ©ticulĂ©e, mĂȘme si cette tempĂ©rature et le taux de cristallinitĂ© peuvent ĂȘtre influencĂ©s par la rĂ©ticulation[5] ;
- au-delà de ce « point de fusion » (fusion des cristallites), au lieu du liquide, on a un gel[5] - [6] (dû aux ponts) conservant la forme macroscopique, ce qui est avantageux en termes de stabilité pour les applications utilisant cette « fusion », comme les fusibles réarmables PTC[7].
Appareils de mesure
Il existe diffĂ©rents appareils de mesure de point de fusion reposant tous sur la restitution d'un gradient de tempĂ©rature. Ils peuvent ĂȘtre constituĂ©s soit d'une plaque mĂ©tallique chauffante telle le Banc Kofler ou le bloc Maquenne, soit d'un bain d'huile tel le tube de Thiele.
Dans le travail pratique de laboratoire on utilise des appareils de mesure de point de fusion automatique. Ils sont faciles à manier, fonctionnent plus vite, fournissent des résultats reproductibles et sont plus précis[8].
Point de fusion des corps simples sous pression atmosphérique
Le tableau ci-dessous donne la température de fusion, en degrés Celsius (°C), des éléments chimiques (corps simples) dans leur état standard[9].
H â259 |
He â272 | |||||||||||||||||
Li 181 |
Be 1 287 |
B 2 075 |
C 3 500 |
N â210 |
O â219 |
F â219 |
Ne â249 | |||||||||||
Na 98 |
Mg 650 |
Al 660 |
Si 1 414 |
P 44 |
S 115 |
Cl â102 |
Ar â189 | |||||||||||
K 64 |
Ca 842 |
Sc 1 541 |
Ti 1 668 |
V 1 910 |
Cr 1 907 |
Mn 1 246 |
Fe 1 538 |
Co 1 495 |
Ni 1 455 |
Cu 1 085 |
Zn 420 |
Ga 30 |
Ge 938 |
As 817 |
Se 221 |
Br â7 |
Kr â157 | |
Rb 39 |
Sr 777 |
Y 1 522 |
Zr 1 855 |
Nb 2 477 |
Mo 2 623 |
Tc 2 157 |
Ru 2 333 |
Rh 1 964 |
Pd 1 555 |
Ag 962 |
Cd 321 |
In 157 |
Sn 232 |
Sb 631 |
Te 450 |
I 114 |
Xe â112 | |
Cs 29 |
Ba 727 |
* |
Lu 1 663 |
Hf 2 233 |
Ta 3 017 |
W 3 422 |
Re 3 185 |
Os 3 033 |
Ir 2 446 |
Pt 1 768 |
Au 1 064 |
Hg â39 |
Tl 304 |
Pb 327 |
Bi 271 |
Po 254 |
At 302 |
Rn â71 |
Fr 27 |
Ra 696 |
** |
Lr 1 627 |
Rf | Db | Sg | Bh | Hs | Mt | Ds | Rg | Cn | Nh | Fl | Mc | Lv | Ts | Og |
â | ||||||||||||||||||
* |
La 920 |
Ce 799 |
Pr 931 |
Nd 1 016 |
Pm 1 042 |
Sm 1 072 |
Eu 822 |
Gd 1 313 |
Tb 1 359 |
Dy 1 412 |
Ho 1 472 |
Er 1 529 |
Tm 1 545 |
Yb 824 | ||||
** |
Ac 1 050 |
Th 1 750 |
Pa 1 572 |
U 1 135 |
Np 644 |
Pu 640 |
Am 1 176 |
Cm 1 345 |
Bk 986 |
Cf 900 |
Es 860 |
Fm 1 527 |
Md 827 |
No 827 |
On remarque notamment que, Ă pression ambiante :
- onze Ă©lĂ©ments (peut-ĂȘtre douze), gazeux Ă la tempĂ©rature ambiante, ont un point de fusion nettement infĂ©rieur, de â71 °C (Rn) Ă â272 °C (He) : les gaz nobles (He, Ne, Ar, Kr, Xe et Rn, plus peut-ĂȘtre Og) ; les halogĂšnes F et Cl ; le chalcogĂšne O ; le pnictogĂšne N ; l'hydrogĂšne (H) ;
- sept Ă©lĂ©ments, liquides ou solides Ă tempĂ©rature ambiante, ont un point de fusion proche de cette tempĂ©rature ambiante : l'halogĂšne Br (â7 °C) ; les mĂ©taux[10] Hg (â39 °C), Fr (27 °C), Cs (29 °C), Ga (30 °C) et Rb (39 °C) ; le pnictogĂšne P (44 °C) ;
- tous les autres éléments, solides à température ambiante, ont un point de fusion nettement supérieur : de 64 °C (K) à 3 500 °C (C).
Notes et références
- (en) R. Feistel et W. Wagner, « A New Equation of State for H2O Ice Ih », Journal of Physical and Chemical Reference Data, vol. 35,â , p. 1021-1047 (DOI 10.1063/1.2183324).
- La relation exacte est exprimée dans la formule de Clapeyron
- (en) « J10 Heat: Change of aggregate state of substances through change of heat content: Change of aggregate state of substances and the equation of Clapeyron-Clausius » (consulté le )
- (en) C. Agte et H. Alterthum, « Researches on Systems with Carbides at High Melting Point and Contributions to the Problem of Carbon Fusion », Zeitschrift fĂŒr technische Physik, vol. 11,â , p. 182-191
- (en) H.A. Khonakdar, S.H. Jafari, U. Wagenknecht et D. Jehnichen, « Effect of electron-irradiation on cross-link density and crystalline structure of low- and high-density polyethylene », Radiation Physics and Chemistry, vol. 75,â , p. 78â86 (DOI 10.1016/j.radphyschem.2005.05.014)
- De mĂȘme, la rĂ©ticulation dÊŒun polymĂšre amorphe ne supprime pas sa transition vitreuse, mais, comme dans le cas semi-cristallin, on a un gel au lieu dÊŒun liquide au-dessus de cette tempĂ©rature.
- (en) Hao Tang, Jianhui Piao, Xinfang Chen, Yunxia Luo et Shuhua Li, « The positive temperature coefficient phenomenon of vinyl polymer/ CB composites », Journal of Applied Polymer Science, vol. 48,â , p. 1795-1800 (DOI 10.1002/app.1993.070481013)
- Appareils de mesure de point de fusion, sur le site kruess.com, consulté le
- (en) David R. Lide, CRC Handbook of Chemistry and Physics, CRC Press Inc, , 90e éd., 2804 p., Relié (ISBN 978-1-4200-9084-0).
- (en) Christine Middleton, « The many faces of liquid gallium », Physics Today,â (DOI 10.1063/PT.6.1.20210420a).