Capture Ă©lectronique
La capture Ă©lectronique (plus prĂ©cisĂ©ment capture Ă©lectronique orbitale, cf. section « Notations »), ou dĂ©sintĂ©gration Δ, ou parfois dĂ©sintĂ©gration bĂȘta inverse, est un processus de physique nuclĂ©aire au cours duquel un noyau atomique dĂ©ficient en neutrons absorbe un Ă©lectron situĂ© sur une couche Ă©lectronique de lâatome. Variante de la dĂ©sintĂ©gration ÎČ+, sa description thĂ©orique est formulĂ©e par la thĂ©orie publiĂ©e par Enrico Fermi en 1933. La consĂ©quence de la capture, selon la loi de conservation de la charge Ă©lectrique, est quâil y a une transmutation de lâatome puisquâun proton, en absorbant lâĂ©lectron intrus devient un neutron, et Ă©mission dâun neutrino Ă©lectronique pour conserver le nombre leptonique ; lâatome qui avait Z protons et N neutrons devient un atome avec (Z-1) protons et (N+1) neutrons :
oĂč X et Y dĂ©signent respectivement le noyau pĂšre et le noyau fils. A est le nombre de masse.
Ce processus nuclĂ©aire est suivi de plusieurs Ă©missions de photons pour que lâatome atteigne son Ă©tat fondamental. Dâune part, le noyau nouvellement formĂ© peut se dĂ©sexciter en Ă©mettant des photons Îł sâil avait Ă©tĂ© formĂ© dans un Ă©tat excitĂ©. Dâautre part, le cortĂšge Ă©lectronique se rĂ©organise afin de combler la lacune laissĂ©e dans les couches internes par lâĂ©lectron capturĂ©. Cette rĂ©organisation est accompagnĂ©e dâĂ©missions de rayons X et/ou dâĂ©lectrons Auger.
Historique
IrĂšne et FrĂ©dĂ©ric Joliot-Curie sont les premiers, en , Ă proposer la possibilitĂ© pour un noyau de dĂ©croitre aprĂšs absorption dâun Ă©lectron. Ils Ă©crivent ainsi dans le Journal de Physique et Le Radium « On peut encore supposer que lâisotope inconnu Na22 nâest pas stable et se transforme spontanĂ©ment en Ne22 par captation dâun Ă©lectron extranuclĂ©aire[1]. » Il a par la suite Ă©tĂ© montrĂ© que le sodium 22 dĂ©croit effectivement par capture Ă©lectronique Ă hauteur dâenviron 10 %[2].
La capture Ă©lectronique a Ă©tĂ© thĂ©orisĂ©e pour la premiĂšre fois par Gian-Carlo Wick dans un papier publiĂ© en italien le [3] - [4]. Dans ce papier, Wick applique la rĂ©cente thĂ©orie de la dĂ©sintĂ©gration bĂȘta proposĂ©e par Enrico Fermi et prĂ©sente une autre dĂ©sintĂ©gration possible en plus de la radioactivitĂ© ÎČ+ dont la dĂ©couverte avait Ă©tĂ© annoncĂ©e six semaines auparavant, le , par IrĂšne Curie et FrĂ©dĂ©ric Joliot devant lâAcadĂ©mie des Sciences[5]. Il calcule la probabilitĂ© de se dĂ©sintĂ©grer par Ă©mission de positron et par capture Ă©lectronique. Du fait de la dĂ©couverte de la radioactivitĂ© ÎČ+ par le couple Joliot-Curie, Emilio SegrĂš Ă©crit quâil existe un petit doute concernant le fait de savoir si Wick a vraiment Ă©tĂ© le premier Ă mentionner la capture dâĂ©lectrons K et Ă calculer sa probabilitĂ©[4] mĂȘme si les Joliot-Curie ne font pas rĂ©fĂ©rence Ă la capture Ă©lectronique dans leur rapport de 1934. La possibilitĂ© de la capture Ă©lectronique a aussi Ă©tĂ© envisagĂ©e par Hans Bethe et Rudolf Peierls deux mois aprĂšs le papier de Wick[6]. Par la suite, le calcul de Wick a Ă©tĂ© repris et amĂ©liorĂ© par Hideki Yukawa et ShĆichi Sakata[7].
La capture Ă©lectronique dâĂ©lectron K a Ă©tĂ© observĂ©e pour la premiĂšre fois par Luis Alvarez dans la dĂ©croissance du vanadium 48. Il a dĂ©crit son expĂ©rience dans un papier de Physical Review publiĂ© en 1937[4] - [8] - [9]. Le vanadium 48 a Ă©tĂ© produit par bombardement de titane par des deutĂ©rons, tandis que la dĂ©tection des photons X caractĂ©ristiques du titane a Ă©tĂ© faite Ă lâaide dâune feuille dâaluminium. La pĂ©riode de trois ans sĂ©parant la prĂ©diction thĂ©orique de lâobservation expĂ©rimentale sâexplique du fait de la difficultĂ© de mesurer le photon X ou lâĂ©lectron Auger qui rĂ©sulte du rĂ©arrangement atomique qui suit la capture Ă©lectronique. Par la suite, Alvarez a continuĂ© Ă Ă©tudier la capture Ă©lectronique dans le gallium 67[10] ainsi que dâautres nuclĂ©ides[4] - [11]. Quelques annĂ©es plus tard, D. H. W. Kirkwood, Bruno Pontecorvo et Geoffrey Chalmers Hanna en 1948[12], puis en 1949[13] ont observĂ© la capture Ă©lectronique dâĂ©lectron L dans la dĂ©croissance de lâargon 37. Puis, P. W. Dougan a mesurĂ©, au cours de sa thĂšse de doctorat, la capture dâĂ©lectron M en 1961 dans la dĂ©croissance du germanium 71[14].
Point de vue fondamental
Le proton et le neutron nâĂ©tant pas des particules Ă©lĂ©mentaires, le processus de la capture Ă©lectronique implique, au niveau fondamental, les quarks up et down qui composent les protons et les neutrons. La thĂ©orie Ă©lectrofaible prĂ©voit quâun boson W+ soit Ă©changĂ© entre le quark up et lâĂ©lectron transformant le quark up en quark down et lâĂ©lectron en neutrino Ă©lectronique.
Aspects énergétiques
Valeur Q
La valeur Q exprime la quantitĂ© dâĂ©nergie relĂąchĂ©e par une rĂ©action. Dans le cas dâune rĂ©action de capture Ă©lectronique, elle vaut
oĂč et sont respectivement les Ă©nergies de masse du noyau pĂšre (avant la dĂ©sintĂ©gration) et du noyau fils (aprĂšs la dĂ©sintĂ©gration), lâĂ©nergie dâexcitation du noyau pĂšre (Ă©gale Ă 0 MeV sauf dans le cas dâisomĂšres), est lâĂ©nergie de liaison de lâĂ©lectron qui a participĂ© au processus et correspond Ă la diffĂ©rence dâĂ©nergie entre les orbitales atomiques du noyau pĂšre () et du noyau fils (). Ce dernier terme est gĂ©nĂ©ralement nĂ©gligĂ© sauf dans le cas dâatomes lourds (avec un grand numĂ©ro atomique Z) oĂč cette valeur peut atteindre environ 10 keV[15]. En revanche, peut atteindre la centaine de keV dans les noyaux les plus lourds, comme dans le bismuth 208[16], et nâest gĂ©nĂ©ralement pas nĂ©gligĂ©[17].
Compte tenu du fait quâune rĂ©action ne peut avoir lieu que lorsque la valeur Q est positive (de lâĂ©nergie est relĂąchĂ©e par le systĂšme), la capture Ă©lectronique nâa lieu que lorsque
En pratique, et sont souvent nĂ©gligeables par rapport Ă la diffĂ©rence de masses des noyaux pĂšre et fils (dâautant plus si on considĂšre les Ă©lectrons des couches L, M, N, âŠ) ce qui revient Ă dire que la capture Ă©lectronique se produit dĂšs que le noyau fils est moins massif que le noyau pĂšre. NĂ©anmoins, la prĂ©sence de ce seuil permet, par exemple, dâexpliquer pourquoi la dĂ©croissance par capture Ă©lectronique de lâamĂ©ricium 244 dans son Ă©tat fondamental nâa pas Ă©tĂ© observĂ©e tandis que ce mode de dĂ©sintĂ©gration a Ă©tĂ© observĂ©e, bien quâavec une faible probabilitĂ©, dans son isomĂšre Ă 86,1 keV. En effet, la diffĂ©rence de masse entre lâÂČâŽâŽAm et le ÂČâŽâŽPu est dâenviron 75 keV/c2 tandis que lâĂ©nergie de liaison des Ă©lectrons de la couche K est de lâordre de 140 keV. Ainsi la dĂ©sintĂ©gration par capture Ă©lectronique de lâÂČâŽâŽAm nâest-elle possible que par capture dâun Ă©lectron de couches supĂ©rieures (L, M, N, âŠ) ce qui est beaucoup moins probable[Note 1] que la capture dâun Ă©lectron de la couche K. En revanche, dans lâisomĂšre ÂČâŽâŽá”Am, la capture dâĂ©lectron de la couche K est possible puisquâil faut prendre en compte lâĂ©nergie du niveau excitĂ©. On a ainsi une Ă©nergie « disponible » de 164 ± 9 keV[19] ce qui est supĂ©rieure aux 140 keV correspondant Ă lâĂ©nergie de liaison dâun Ă©lectron de la couche K. La probabilitĂ© Ă©tant plus importante, ce mode de dĂ©croissance a pu ĂȘtre observĂ© Ă hauteur de 0,036 ± 0,001 %[19].
Neutrino
AprĂšs une capture Ă©lectronique, deux corps peuvent se partager lâĂ©nergie : le noyau de recul et le neutrino Ă©lectronique. Cela se traduit par le fait que ces deux particules ont une Ă©nergie cinĂ©tique bien dĂ©finie contrairement au cas de la dĂ©sintĂ©gration bĂȘta oĂč le spectre en Ă©nergie est continu du fait de la prĂ©sence dâune troisiĂšme particule (la particule bĂȘta). LâĂ©nergie du neutrino dĂ©pend donc uniquement de lâĂ©nergie disponible. Comme indiquĂ© dans la section prĂ©cĂ©dente, cette Ă©nergie dĂ©pend principalement de la masse des noyaux pĂšre et fils et de lâĂ©nergie de liaison de la couche Ă©lectronique sur laquelle se trouve lâĂ©lectron participant Ă la capture Ă©lectronique. Ainsi, pour un noyau pĂšre donnĂ©, le neutrino peut-il prendre plusieurs Ă©nergies diffĂ©rentes suivant les diffĂ©rentes couches Ă©lectroniques impliquĂ©es (K, L, M, âŠ).
En tenant compte de la conservation de lâĂ©nergie et de la quantitĂ© de mouvement, en nĂ©gligeant les effets relativistes et en considĂ©rant le neutrino sans masse, on dĂ©montre que lâĂ©nergie cinĂ©tique du neutrino sâexprime Ă lâaide de la relation suivante
DâaprĂšs la conservation de lâĂ©nergie, on peut Ă©crire
oĂč est la valeur Q donnĂ©e dans la section prĂ©cĂ©dente, et sont respectivement les Ă©nergies cinĂ©tiques du neutrino et du noyau de recul. Le noyau pĂšre Ă©tant au repos au moment de la dĂ©sintĂ©gration (sa quantitĂ© de mouvement est nulle), on peut Ă©crire , dâaprĂšs la conservation de la quantitĂ© de mouvement.
En exprimant lâĂ©nergie cinĂ©tique du noyau de recul sous sa forme classique puis en remplaçant par , on obtient
Par ailleurs, le neutrino Ă©tant considĂ©rĂ© comme sans masse, sa quantitĂ© de mouvement sâexprime par la relation . Ainsi, en ajoutant au numĂ©rateur et au dĂ©nominateur, obtient-on
Il sâagit alors de rĂ©soudre cette Ă©quation du second degrĂ©. On rĂ©Ă©crit lâĂ©quation sous la forme
avec , et . Le discriminant est Ă©gal Ă
Les deux solutions sont alors
Parmi les deux solutions mathĂ©matiquement exactes, seule la solution avec le signe « + » est correcte physiquement Ă©tant donnĂ© que celle avec le signe « - » donne une Ă©nergie cinĂ©tique nĂ©gative. Finalement, lâĂ©nergie cinĂ©tique du neutrino est donc Ă©gale Ă
De ce rĂ©sultat, il est possible de voir que le neutrino emporte quasiment lâensemble de lâĂ©nergie disponible. En effet, le rapport est proche de 0 (la valeur Q est de lâordre du MeV tandis que lâĂ©nergie de masse vaut plusieurs dizaines voire centaines de MeV). Il est alors possible dâappliquer un dĂ©veloppement limitĂ© Ă lâordre 1 ce qui conduit Ă la relation .
Noyau de recul
La conservation de la quantitĂ© de mouvement permet de dĂ©montrer que lâĂ©nergie cinĂ©tique du noyau de recul, , sâexprime habituellement Ă lâaide de la relation suivante[20]
oĂč est lâĂ©nergie du neutrino associĂ©e Ă une couche Ă©lectronique donnĂ©e, est la masse du noyau fils Y (aprĂšs la dĂ©sintĂ©gration) et est la vitesse de la lumiĂšre dans le vide.
Cette relation sâobtient directement de la conservation de la quantitĂ© de mouvement en supposant un neutrino sans masse et en nĂ©gligeant les effets relativistes. Le noyau pĂšre Ă©tant au repos au moment de la dĂ©sintĂ©gration (sa quantitĂ© de mouvement est nulle), on peut Ă©crire . Par ailleurs, lâĂ©nergie cinĂ©tique du noyau de recul sâexprime par la relation suivante : . Les quantitĂ©s de mouvement des deux corps en jeu (le neutrino et le noyau de recul) Ă©tant Ă©gales, on obtient . Enfin, le neutrino Ă©tant considĂ©rĂ© comme sans masse, sa quantitĂ© de mouvement sâexprime par la relation . On obtient ainsi la relation
Cette quantitĂ© est gĂ©nĂ©ralement nĂ©gligeable sauf dans le cas du â·Be oĂč lâĂ©nergie de recul du â·Li vaut 57 eV dans le cas dâune capture dâun Ă©lectron de la couche K. Cette Ă©nergie de recul a Ă©tĂ© mesurĂ©e pour la premiĂšre fois en 1997 par Massimiliano Galeazzi et ses collaborateurs[21].
RĂ©arrangement du cortĂšge Ă©lectronique
Un proton libre ne peut se dĂ©sintĂ©grer en neutron par capture Ă©lectronique ; les protons et les neutrons doivent faire partie dâun noyau. Lors de la capture Ă©lectronique, un Ă©lectron situĂ© sur une orbitale atomique, habituellement les couches K ou L, est capturĂ© par le proton conduisant Ă la dĂ©croissance du noyau. La capture de lâĂ©lectron crĂ©e un trou sur lâorbitale oĂč il se trouvait. Les Ă©lectrons se rĂ©arrangent alors sur les couches afin de remplir Ă nouveau les orbitales de plus basses Ă©nergies. DiffĂ©rentes transitions Ă©lectroniques ont alors lieu jusquâĂ ce que lâensemble des couches soient pleines. Chaque transition (passage dâun Ă©lectron dâune couche donnĂ©e Ă une couche dâĂ©nergie infĂ©rieure) est accompagnĂ©e par lâĂ©mission dâun photon X ou dâun Ă©lectron Auger.
LâĂ©nergie du photon X ou de lâĂ©lectron Auger correspond exactement Ă la diffĂ©rence dâĂ©nergie entre les deux niveaux Ă©lectroniques. En supposant la capture dâun Ă©lectron de la couche K par le proton et la transition dâun Ă©lectron de la couche L vers la couche K pour combler la lacune, alors lâĂ©nergie du photon X Ă©mis, EX, est donnĂ©e par la relation :
- EX = EK - EL
oĂč EK et EL sont respectivement lâĂ©nergie des couches K et L. Au lieu dâĂ©mettre un photon X, il est Ă©galement possible de transfĂ©rer ce surplus dâĂ©nergie Ă un autre Ă©lectron du cortĂšge Ă©lectronique qui sera alors expulsĂ© de lâatome ; il sâagit de lâeffet Auger. LâĂ©nergie de cet Ă©lectron, Ee, est alors donnĂ©e par (en supposant quâil se trouve sur la couche M) :
- Ee = EK - EL - EM
oĂč EM est lâĂ©nergie de la couche M.
Le rĂ©arrangement atomique complet peut donc ĂȘtre accompagnĂ© de plusieurs Ă©missions dâĂ©lectrons Auger et/ou de photons X. Il est par ailleurs possible que la lacune initiale soit comblĂ©e par un Ă©lectron libre. Un unique photon X (ou un unique Ă©lectron Auger) est alors Ă©mis avec une Ă©nergie Ă©gale Ă lâĂ©nergie du niveau sur lequel a Ă©tĂ© faite la lacune.
Temps de demi-vie
Les temps de demi-vie relativement longs observĂ©s dans le cadre de la capture Ă©lectronique sâexpliquent par le fait que ce processus est gouvernĂ© par lâinteraction faible. Ainsi, les temps de demi-vie les plus courts sont de lâordre de la milliseconde (10â3 s), Ă comparer aux temps de demi-vie des Ă©tats excitĂ©s dâun noyau, gouvernĂ©s par lâinteraction forte, de lâordre de 10â21 s pour les plus courts. Deux facteurs influent particuliĂšrement sur le temps de demi-vie[22] :
- la valeur Q : plus elle est grande, plus le temps de demi-vie est court ;
- la structure nuclĂ©aire des noyaux pĂšre et fils : plus la diffĂ©rence de spin[Note 2] entre les Ă©tats initial et final est faible, plus le temps de demi-vie est court. Cela permet ainsi dâexpliquer le temps de demi-vie du âŽÂčCa qui est dâenviron 100 000 ans. En effet, lâĂ©tat fondamental du âŽÂčCa a un spin de 7/2 ħ et une paritĂ© nĂ©gative tandis que son noyau fils, le âŽÂčK, a un Ă©tat fondamental avec un spin de 3/2 ħ et une paritĂ© positive. La diffĂ©rence de spin de 2ħ ainsi que le changement de paritĂ© explique la dĂ©sintĂ©gration relativement lente de ce noyau.
En plus de ces deux facteurs, il faut en ajouter un troisiĂšme qui correspond Ă la probabilitĂ© de trouver un Ă©lectron dans le noyau atomique. En gĂ©nĂ©ral, cette probabilitĂ© est la plus importante pour les Ă©lectrons se trouvant sur les couches Ă©lectroniques les plus internes (couches K, L, M, ⊠par ordre dâimportance)[Note 1]. Ainsi, plus le nombre quantique principal dâun Ă©lectron est grand, plus sa probabilitĂ© de prĂ©sence Ă lâintĂ©rieur du noyau est faible. Il est en de mĂȘme pour le nombre quantique secondaire ; plus celui-ci est grand, plus la fonction d'onde de lâĂ©lectron sera diffuse rĂ©duisant de ce fait la probabilitĂ© de prĂ©sence dans le noyau[23].
Les électrons des couches les plus internes sont globalement plus prÚs du noyau dans les noyaux les plus lourds (ceux avec un grand numéro atomique) ce qui explique pourquoi le temps de demi-vie des noyaux lourds décroissant par capture électronique est globalement plus court que ceux des noyaux plus légers.
Milieu compressé
La premiĂšre Ă©tude concluante de lâinfluence de la compression des atomes sur le taux de capture Ă©lectronique a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e par R. F Leininger, E. SegrĂš et C. Wiegand en 1949[24]. Dans cette Ă©tude, la dĂ©croissance du â·Be a Ă©tĂ© mesurĂ©e lorsque des atomes de ce dernier Ă©taient prĂ©sents sous la forme dâoxyde de bĂ©ryllium, BeO, et sous forme de fluorure de bĂ©ryllium, BeFâ. LâĂ©tude a montrĂ© que la constante de dĂ©sintĂ©gration du bĂ©ryllium 7 Ă©tait diffĂ©rente lorsquâil Ă©tait prĂ©sent Ă lâintĂ©rieur dâune matrice cristalline (le fluorure de bĂ©ryllium) et lorsquâil Ă©tait seul ; la constante de dĂ©croissance du â·Be prĂ©sent dans le fluorure de bĂ©ryllium est 0,16 % plus petite que celle du â·Be libre. Dâautres Ă©tudes sur le bĂ©ryllium ont montrĂ© que lâĂ©cart entre les constantes de dĂ©croissance pouvait attendre 1 % dans dâautres matĂ©riaux[25]. Cette diminution de la constante de dĂ©croissance vient du fait que la capture Ă©lectronique devient plus probable lorsque lâatome est compressĂ©, les Ă©lectrons Ă©tant plus proches du noyau.
En gĂ©ochimie, il a Ă©tĂ© supposĂ© que de fortes pressions pourraient augmenter le taux de dĂ©croissance du potassium 40 (qui se dĂ©sintĂšgre en argon 40), faussant ainsi la datation par le potassium-argon. Il est cependant admis que des pressions moins importantes auraient un effet sur la rĂ©tention de lâargon bien avant de pouvoir influencer le taux de dĂ©croissance du potassium[26].
Atome ionisé
Tout comme la conversion interne, ce processus ne peut avoir lieu si lâatome est entiĂšrement ionisĂ©, Ă©tant donnĂ© quâaucun Ă©lectron ne pourra ĂȘtre capturĂ© par le noyau. Cela permet d'expliquer pourquoi le 7Be est stable dans le rayonnement cosmique[27]. En revanche, plusieurs Ă©tudes ont montrĂ© que le temps de demi-vie dâun noyau dĂ©croissant uniquement par capture Ă©lectronique augmentait lorsquâil est pratiquement ionisĂ©[28] - [29]. Ces Ă©tudes ont montrĂ© quâun atome hydrogĂ©noĂŻde, câest-Ă -dire un atome nâayant plus quâun seul Ă©lectron, a une constante de dĂ©croissance environ deux fois plus grande que celle dâun atome hĂ©liumoĂŻde (un atome nâayant que 2 Ă©lectrons) ; lâhĂ©liumoĂŻde dĂ©croit donc deux fois moins vite que lâhydrogĂ©noĂŻde. Ce rĂ©sultat est en contradiction avec le sens commun qui voudrait que la probabilitĂ© de dĂ©croitre soit deux fois plus importante lorsquâil y a deux Ă©lectrons plutĂŽt quâun seul. Des travaux thĂ©oriques permettent de reproduire ces rĂ©sultats, essentiellement en tenant compte de la conservation du moment angulaire dans le systĂšme noyau plus Ă©lectron[30] - [31].
Il a par ailleurs Ă©tĂ© montrĂ© dans ces deux expĂ©riences que lâatome neutre dĂ©croĂźt Ă©galement moins vite que lâatome hydrogĂ©noĂŻde. Lâexplication est la mĂȘme que dans le cas de lâhĂ©liumoĂŻde[28] - [29].
CompĂ©tition entre la capture Ă©lectronique et lâĂ©mission de positron
Seuil pour lâĂ©mission de positron
Tout comme la capture Ă©lectronique, lâĂ©mission de positron peut avoir lieu dans les noyaux dĂ©ficients en neutrons. Dâun point de vue Ă©nergĂ©tique, cette derniĂšre ne peut avoir lieu que si la masse du noyau pĂšre est supĂ©rieure dâau moins 1,022 MeV/c2 Ă la masse du noyau fils. La raison est la suivante. Dans la rĂ©action :
le noyau X possĂšde Z Ă©lectrons tout comme le produit de dĂ©croissance primaire Y, qui a un proton de moins dans son noyau atomique que X. Le noyau fils Y est donc ionisĂ© nĂ©gativement juste aprĂšs la dĂ©croissance par Ă©mission de positron. LâĂ©lectron supplĂ©mentaire sera donc relĂąchĂ© et doit ĂȘtre pris en compte dans le bilan Ă©nergĂ©tique de la rĂ©action. LâĂ©nergie de la dĂ©croissance, la valeur Q, qui correspond Ă la diffĂ©rence dâĂ©nergie entre le systĂšme final et le systĂšme initial, sâĂ©crit :
Seules les rĂ©actions exothermiques se produisent spontanĂ©ment puisquâelles ne nĂ©cessitent pas lâapport dâĂ©nergie extĂ©rieure. Ainsi, pour que lâĂ©mission de positron soit possible, faut-il que Q soit nĂ©gatif. Câest le cas si :
En nĂ©gligeant la masse du neutrino Ă©lectronique, infĂ©rieure Ă 1,1 eV/c2 dâaprĂšs la derniĂšre Ă©valuation du Particle Data Group[32], on en dĂ©duit que lâĂ©mission de positron nâest possible que lorsque la diffĂ©rence de masse entre le noyau pĂšre et noyau fils est supĂ©rieure Ă deux fois la masse de lâĂ©lectron (lâĂ©lectron et le positron ont la mĂȘme masse, 511 keV/c2), soit 1,022 MeV/c2.
Compétition
Ainsi la capture Ă©lectronique est-elle le seul mode de dĂ©croissance Ă la disposition des noyaux dĂ©ficients en neutrons pour lesquels lâĂ©mission de positron est impossible. Au-delĂ de ce seuil, il existe une compĂ©tition entre la capture Ă©lectronique et lâĂ©mission de positron. Dans les grandes lignes, le rapport entre la probabilitĂ© de dĂ©croitre par capture Ă©lectronique, PΔ, et celle de dĂ©croitre par radioactivitĂ© ÎČ+, PÎČ+, est[22] :
Cela se comprend par le fait que dâune part la probabilitĂ© de prĂ©sence dans le noyau dâun Ă©lectron 1s augmente avec le numĂ©ro atomique et que dâautre part, la crĂ©ation du positron, qui est une particule chargĂ©e positivement, nâest pas favorable du fait de la rĂ©pulsion coulombienne avec les protons du noyau, dâautant plus importante que le nombre de protons est Ă©levĂ©.
Plus précisément, le rapport entre les deux probabilités est donné par[33] :
pour une transition permise, et :
pour une transition interdite unique, oĂč :
- qK est lâĂ©nergie du neutrino associĂ© Ă lâĂ©lectron de la couche K ;
- f et g sont des composantes des fonctions dâonde radiale de lâĂ©lectron ;
- B est un facteur dâĂ©change ;
- ÎJ est la diffĂ©rence entre le moment angulaire initial et final ;
- PK, PL, PM, ⊠sont respectivement les probabilitĂ©s de capturer un Ă©lectron de la couche Ă©lectronique K, L, M, âŠ
Utilisation de la capture Ă©lectronique
Scintigraphie au gallium
Le gallium 67 a un temps de demi-vie dâenviron 3 jours[34] et dĂ©croit uniquement par capture Ă©lectronique vers des Ă©tats excitĂ©s du zinc 67 qui Ă©met alors des photons gamma afin dâatteindre son Ă©tat fondamental. Ces photons sont utilisĂ©s dans la scintigraphie au gallium . Cette technique dâimagerie mĂ©dicale est utilisĂ©e lorsquâune technique concurrente, la tomographie par Ă©mission de positons, nâest pas disponible[35]. Le gallium 67 est ainsi utilisĂ© du fait de ces propriĂ©tĂ©s chimiques, de son temps de demi-vie relativement adĂ©quat et de sa dĂ©croissance qui conduit Ă lâĂ©mission de rayons gamma.
Datation par le potassium-argon
Le potassium 40 dĂ©croit par capture Ă©lectronique en argon 40. Ce mode de dĂ©croissance est utilisĂ©e pour dater la formation de certaines roches contenant du potassium, en supposant nulle la quantitĂ© initiale dâargon 40 dans ces roches et que lâargon 40 y reste piĂ©gĂ© une fois formĂ©.
Notations et désignation
Ce processus est parfois appelĂ© dĂ©sintĂ©gration bĂȘta inverse[36] - [37], bien que ce terme puisse aussi rĂ©fĂ©rer Ă lâinteraction entre un antineutrino Ă©lectronique et un proton[38] - [39].
Concernant la notation, celle qui est la plus couramment utilisée est celle qui suit :
LâĂ©lectron qui est capturĂ© est lâun des Ă©lectrons prĂ©sents dans le cortĂšge Ă©lectronique de lâatome ; il ne sâagit donc pas dâune collision entre le noyau et un Ă©lectron qui arriverait de lâextĂ©rieur, comme pourrait le suggĂ©rer la notation de la rĂ©action ci-dessus. La notation est en effet ambigĂŒe car elle est identique Ă un autre phĂ©nomĂšne, nommĂ© ionisation par impact Ă©lectronique[40]. Ce phĂ©nomĂšne correspond Ă la capture dâun Ă©lectron, provenant de lâextĂ©rieur de lâatome, par un atome ou une molĂ©cule. Ce phĂ©nomĂšne a principalement lieu dans les plasmas. Pour distinguer les deux phĂ©nomĂšnes, on rencontre parfois[41] - [42] lâĂ©criture suivante pour reprĂ©senter la capture Ă©lectronique orbitale :
oĂč lâindication quâil sâagit du processus nuclĂ©aire de la capture Ă©lectronique est donnĂ©e par le « CE » au-dessus de la flĂšche.
Exemples courants
En 1977, Walter Bambynek avait relevĂ© lâexistence dâenviron 500 noyaux qui dĂ©croissent partiellement ou uniquement par capture Ă©lectronique[43]. Parmi ceux-ci, voici une liste des principaux radioisotopes qui dĂ©croissent uniquement par capture Ă©lectronique et qui ont un temps de demi-vie supĂ©rieur Ă 1 an :
Radioisotope | Temps de demi-vie |
---|---|
26Al | (7,17 ± 0,24) à 10┠années[44] |
41Ca | (1,002 ± 0,017) à 10┠années[45] |
44Ti | 60,0 ± 1,1 années[46] |
53Mn | (3,74 ± 0,04) à 10ⶠannées[47] |
55Fe | 2,747 ± 0,008 années[48] |
59Ni | (76 ± 5) à 10³ années[49] |
81Kr | (2,29 ± 0,11) à 10┠années[47] |
91Nb (nl) | (6,8 ± 1,3) Ă 10ÂČ annĂ©es[47] |
93Mo (ia) | (4,0 ± 0,8) à 10³ années[47] |
97Tc | (4,21 ± 0,16) à 10ⶠannées[47] |
101Rh (nl) | 3,3 ± 0,3 années[47] |
109Cd (nl) | 461,9 ± 0,4 jours[50] |
133Ba (ia) | 10,540 ± 0,006 années[51] |
137La (nl) | (6 ± 2) à 10⎠années[47] |
145Pm (nl) | 17,7 ± 0,4 années[47] |
146Pm (nl) | 5,53 ± 0,5 années[47] |
150Eu (nl) | 36,9 ± 0,9 années[47] |
157Tb (ia) | 71 ± 7 années[47] |
163Ho | 4570 ± 25 années[47] |
173Lu (ia) | 1,37 ± 0,01 années[47] |
174Lu (ia) | 3,31 ± 0,05 années[47] |
172Hf (ia) | 1,87 ± 0,03 années[47] |
179Ta | 1,82 ± 0,03 années[47] |
193Pt (ia) | 50 ± 6 années[47] |
194Hg | 444 ± 77 années[47] |
202Pb | (52,5 ± 2,8) à 10³ années[47] |
205Pb | (1,73 ± 0,07) à 10ⷠannées[47] |
208Bi | (3,68 ± 0,04) à 10┠années[47] |
Autres processus liés
Capture Ă©lectronique radiative
Comme câest le cas pour lâensemble des processus de dĂ©sintĂ©gration bĂȘta, il peut arriver que la capture Ă©lectronique soit accompagnĂ©e de lâĂ©mission dâun photon gamma en plus du neutrino. LâĂ©nergie du neutrino ne prend alors plus une valeur unique mais suit une distribution, puisque lâĂ©nergie disponible est partagĂ©e entre trois corps. Ce rayon gamma peut ĂȘtre compris comme une sorte de « bremsstrahlung interne » qui a lieu lorsque lâĂ©lectron capturĂ© interagit Ă©lectromagnĂ©tiquement avec le noyau. La prĂ©sence de photons accompagnant les dĂ©sintĂ©grations bĂȘta Ă©tait connue depuis G. H. Aston en 1927[52]. Dix ans plus tard, Christian MĂžller indique que ce phĂ©nomĂšne devrait Ă©galement avoir lieu dans la capture Ă©lectronique[53]. La premiĂšre observation expĂ©rimentale de la capture Ă©lectronique radiative a Ă©tĂ© publiĂ©e par H. Bradt et al. en 1946[54].
La premiÚre description théorique du phénomÚne a été donnée par Philip Morrison et Leonard I. Schiff (en) dans un papier publié en 1940[55].
Double capture Ă©lectronique
La double capture Ă©lectronique est un processus de dĂ©sintĂ©gration au cours duquel deux captures Ă©lectroniques orbitales ont lieu simultanĂ©ment. La rĂ©action sâĂ©crit :
Ce mode de dĂ©croissance ne peut se produire que si la masse du nuclĂ©ide fils est infĂ©rieure Ă celle du nuclĂ©ide pĂšre. En pratique, ce mode de dĂ©croissance, tout comme la double dĂ©sintĂ©gration bĂȘta, est trĂšs lent ; son observation nâest ainsi possible que lorsque les autres modes de dĂ©croissance, beaucoup plus probables, ne peuvent avoir lieu. Les temps de demi-vie sont ainsi trĂšs grands avec des valeurs de lâordre de 1020 annĂ©es. En 2014, seule la dĂ©croissance du baryum 130 par double capture Ă©lectronique avait pu ĂȘtre mise en Ă©vidence sur la base dâarguments gĂ©ochimiques[56] - [57] - [58]. En 2019, la dĂ©croissance du xĂ©non 124 est observĂ©e avec une demi-vie, la plus longue jamais mesurĂ©e, de (1,8 ± 0,6) ĂâŻ1022 ans[59] - [60] (1 300 milliards de fois l'Ăąge de l'Univers).
Capture muonique
Le muon est un lepton â tout comme lâĂ©lectron â appartenant Ă la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration (tandis que lâĂ©lectron appartient Ă la premiĂšre). En remplaçant des Ă©lectrons appartenant au cortĂšge Ă©lectronique de lâatome par des muons, la capture dâun muon par le noyau conduit Ă la rĂ©action suivante :
oĂč ” dĂ©signe le muon, X le noyau pĂšre, Y le noyau fils et ΜΌ le neutrino muonique. Le noyau fils est crĂ©Ă© dans un Ă©tat excitĂ©. Pour atteindre son Ă©tat fondamental, il Ă©met des photons et/ou des particules tels que des protons, des neutrons, des particules alphaâŠ
Article connexe
Notes et références
Notes
- Il existe cependant des exceptions comme le 40K dont la probabilité de capturer un électron L est plus grande que celle de capturer un électron K[18].
- Comme souvent, on dĂ©signe ici par spin le moment angulaire total, câest-Ă -dire la somme du moment angulaire orbital et du spin du ou des nuclĂ©ons qui peuplent lâĂ©tat.
Références
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