Ămission de proton
LâĂ©mission de proton (appelĂ©e aussi radioactivitĂ© de proton) est un type de dĂ©sintĂ©gration radioactive dans laquelle un proton est Ă©jectĂ© du noyau atomique. Cette expression regroupe deux phĂ©nomĂšnes diffĂ©rents :
- lâĂ©jection dâun proton du noyau depuis un Ă©tat dâĂ©nergie trĂšs excitĂ©, qui peut se produire pour nâimporte quel noyau ;
- un mode de décroissance radioactive, qui ne concerne que les nucléides trÚs déficients en neutrons, autrement dit proches de la limite de stabilité proton.
En 2009, 47 nuclĂ©ides Ă©metteurs de proton Ă©taient connus expĂ©rimentalement, rĂ©partis comme suit : 28 Ă©metteurs depuis lâĂ©tat fondamental et 19 depuis un Ă©tat isomĂšre[1]. En 2008, le plus lĂ©ger des noyaux Ă©metteurs de proton depuis leur Ă©tat fondamental est lâindium 109, tandis que le plus lourd est le thallium 177[alpha 1] - [2].
Description
LâĂ©mission de proton peut se produire dans deux principaux cas de figure. Soit elle a lieu Ă partir dâun Ă©tat excitĂ© dont lâĂ©nergie est supĂ©rieure Ă lâĂ©nergie de sĂ©paration proton (Ă©nergie de liaison dâun proton), soit elle a lieu depuis un Ă©tat excitĂ© avec une Ă©nergie infĂ©rieure Ă ce seuil ou depuis lâĂ©tat fondamental.
Dans le premier cas, il peut avoir lieu consĂ©cutivement Ă une dĂ©sintĂ©gration ÎČ+ et peut se produire pour des noyaux exotiques dĂ©ficients en neutrons ; ce processus est alors appelĂ© Ă©mission de proton ÎČ-retardĂ©e.
Dans le second cas, il sâagit d'un mode de dĂ©sintĂ©gration radioactive qui se produit uniquement dans les noyaux proches de la limite de stabilitĂ© proton, trĂšs dĂ©ficients en neutrons. Ce type de radioactivitĂ© se produit uniquement dans les noyaux avec un nombre impair de protons puisqu'un nombre pair de protons augmente lâĂ©nergie de liaison du noyau du fait de lâappariement nuclĂ©aire. Ce type de radioactivitĂ© peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© de maniĂšre trĂšs similaire Ă une dĂ©sintĂ©gration α, Ă la diffĂ©rence que la prĂ©formation de la particule α nâintervient pas[3].
Ămission retardĂ©e de proton
Plus un noyau est dĂ©ficient en neutrons, plus sa chaleur de rĂ©action augmente ce qui autorise Ă peupler des niveaux excitĂ©s du noyau fils. Par ailleurs, lâĂ©nergie de sĂ©paration proton diminue. Cela se traduit par lâĂ©mission d'un proton ou de plusieurs suivant la dĂ©sintĂ©gration bĂȘta dâun noyau pĂšre.
En 2008, 160 noyaux Ă©metteurs ÎČ-p Ă©taient connus, du bore-8 au mercure-163[2].
Les Ă©missions de deux ou trois protons suivant une dĂ©sintĂ©gration bĂȘta ont Ă©galement Ă©tĂ© observĂ©es. Ces Ă©missions peuvent soit ĂȘtre sĂ©quentielles, soit simultanĂ©es (dans le cas de lâĂ©mission de 2-protons)[4].
Historique
LâĂ©mission de proton a Ă©tĂ© observĂ©e dĂšs le dĂ©but de la physique nuclĂ©aire alors mĂȘme que les protons et les neutrons constituant le noyau atomique nâĂ©taient pas encore connus. Ainsi, Ernest Marsden et Walter Caleb Lantsberry dĂ©crivent-ils ce phĂ©nomĂšne en 1915 sous le nom de « rayons H » (« H » Ă©tant le symbole chimique de lâhydrogĂšne)[5]. En 1960, ce mode de dĂ©sintĂ©gration a Ă©tĂ© proposĂ© par les physiciens thĂ©oriciens soviĂ©tiques Vitalii Goldanskii (ru)[6] et Iakov Zeldovitch[7]. Des expĂ©riences visant Ă confirmer lâexistence de cette nouvelle forme de radioactivitĂ© ont suivi. Ainsi en 1963, R. Barton et ses collĂšgues annoncent-ils avoir observĂ© une Ă©mission de proton suivant la dĂ©croissance bĂȘta du silicium 25[8]. Cependant lâĂ©tat depuis lequel lâĂ©mission de proton a lieu est extrĂȘmement court ce qui empĂȘche son observation directe[9]. En 1970, J. Cerny et ses collĂšgues observent la premiĂšre Ă©mission de proton qui nâest pas prĂ©cĂ©dĂ©e dâune Ă©mission bĂȘta. Cette Ă©mission a lieu Ă partir dâun Ă©tat isomĂ©rique du cobalt 53[10]. La premiĂšre observation expĂ©rimentale de lâĂ©mission de proton depuis lâĂ©tat fondamental dâun noyau a eu lieu en 1982. Cela a Ă©tĂ© mis en Ă©vidence par le physicien nuclĂ©aire allemand Sigurd Hofmann (de) dans le noyau de lutĂ©cium 151 lors dâune expĂ©rience rĂ©alisĂ©e au centre de recherche sur les ions lourds en Allemagne[11].
Considérations énergétiques
Valeur Q
La valeur Q exprime la quantitĂ© dâĂ©nergie relĂąchĂ©e par une rĂ©action. Dans le cas de la radioactivitĂ© de proton, elle vaut[12] - [13]
oĂč et sont respectivement les Ă©nergies de masse du noyau pĂšre (avant la dĂ©sintĂ©gration) et du noyau fils (aprĂšs la dĂ©sintĂ©gration), lâĂ©nergie dâexcitation du noyau pĂšre (Ă©gale Ă 0 MeV sauf dans le cas dâisomĂšres), et sont respectivement les Ă©nergies de masse du proton et de lâĂ©lectron et correspond Ă la diffĂ©rence dâĂ©nergie entre les orbitales atomiques du noyau pĂšre () et du noyau fils ().
Dans le cas d'un atome entiÚrement ionisé, la valeur Q vaut simplement
Compte tenu du fait quâune rĂ©action ne peut avoir lieu que lorsque la valeur Q est positive (de lâĂ©nergie est relĂąchĂ©e par le systĂšme), lâĂ©mission de proton nâa lieu que lorsque
Partage de lâĂ©nergie disponible
LâĂ©nergie relĂąchĂ©e par la rĂ©action se partage entre deux corps : le proton et le noyau de recul. Cela se traduit par le fait que ces deux particules ont une Ă©nergie cinĂ©tique bien dĂ©finie contrairement au cas de la dĂ©sintĂ©gration bĂȘta oĂč le spectre en Ă©nergie est continu du fait de la prĂ©sence de trois particules (le noyau de recul, la particule bĂȘta et le neutrino/antineutrino). LâĂ©nergie du proton dĂ©pend donc uniquement de lâĂ©nergie disponible.
La conservation de la quantité de mouvement permet de démontrer que les énergies cinétiques du noyau de recul, , et du proton, , sont liées par la relation suivante[14]
oĂč et sont la masse du proton et du noyau fils Y (aprĂšs la dĂ©sintĂ©gration) et est le nombre de masse du noyau pĂšre.
Par ailleurs, lâĂ©nergie cinĂ©tique du proton est donnĂ©e par la relation :
tandis que lâĂ©nergie cinĂ©tique du noyau de recul s'exprime par la relation :
Cette relation sâobtient directement de la conservation de la quantitĂ© de mouvement en nĂ©gligeant les effets relativistes. Par ailleurs, lâĂ©nergie cinĂ©tique dâune particule massive sâexprime par la relation . Le noyau pĂšre Ă©tant au repos au moment de la dĂ©sintĂ©gration (sa quantitĂ© de mouvement est nulle), on peut Ă©crire
Par ailleurs, la conservation de lâĂ©nergie nous donne la relation suivante
De l'Ă©quation (2), on obtient ce qui, Ă partir de lâĂ©quation (1), donne
En reprenant l'Ă©quation (2), on en dĂ©duit l'expression de lâĂ©nergie cinĂ©tique du noyau de recul
Comme ordre de grandeur, dans la dĂ©sintĂ©gration du â”Âłá”Co par Ă©mission de proton, les Ă©nergies cinĂ©tiques du proton et du noyau de recul sont respectivement Ă©gales Ă 1560 et 30 keV pour une valeur Qâ Ă©gale Ă 1590 keV[15]. En comparaison, la dĂ©sintĂ©gration du lutĂ©cium 151 donne des Ă©nergies cinĂ©tiques de 1233 et 8 keV pour le proton et le noyau de recul respectivement avec Qâ Ă©gale Ă 1241 keV[16].
ProbabilitĂ© de lâĂ©mission de proton
La thĂ©orie permettant de dĂ©crire lâĂ©mission de proton est similaire Ă celui de la radioactivitĂ© α, Ă savoir que le proton doit traverser une barriĂšre de potentiel afin de sâĂ©chapper du noyau atomique. Cette barriĂšre est constituĂ©e de plusieurs composantes : la force nuclĂ©aire, lâinteraction coulombienne et la force centrifuge[12].
La probabilitĂ© de dĂ©croissance λ est, de maniĂšre simplifiĂ©e, fonction dâun facteur de frĂ©quence Îœ et dâun coefficient de transmission P. On Ă©crit ainsi[12]
avec Ï, la durĂ©e de vie moyenne du noyau avant Ă©mission du proton. Le facteur de frĂ©quence reprĂ©sente la frĂ©quence des tentatives de franchissement de la barriĂšre tandis que le coefficient de transmission, la probabilitĂ© de traverser la barriĂšre par effet tunnel.
Notes et références
Notes
- En incluant les noyaux se désintégrant depuis un état isomÚre, le noyau émetteur de protons le plus lourd est le bismuth 185.
Références
- Blank 2009, p. 170-171
- (en) Bertram Blank et M.J.G. Borge, « Nuclear structure at the proton drip line: Advances with nuclear decay studies », Progress in Particle and Nuclear Physics, vol. 60, no 2,â , p. 403â483 (DOI 10.1016/j.ppnp.2007.12.001)
- (en) Kerstin Geibe, Search for Proton Emission in â”âŽNi and Multi-Nucleon Transfer Reactions in the Actinide Region, thĂšse de doctorat, page 6, 2012
- Laurent Audirac, Ătude de la radioactivitĂ© 2-protons de 45Fe avec une Chambre Ă Projection Temporelle, thĂšse de doctorat, UniversitĂ© de Bordeaux, 2011, page 19
- (en) Marsden, E. et Lantsberry, W.C., « The passage of α particles through hydrogen.âII », Philosophical Magazine, Taylor Francis, 6e sĂ©rie, vol. 30, no 176,â , p. 240-243 (DOI 10.1080/14786440808635390)
- (en) Vitalii Goldanskii, « On neutron-deficient isotopes of light nuclei and the phenomena of proton and two-proton radioactivity », Nuclear Physics, vol. 19,â , p. 482â495 (DOI 10.1016/0029-5582(60)90258-3)
- (en) Zeldovitch, I., « The Existence of New Isotopes of Light Nuclei and the Equation of State of Neutrons », Soviet Physics JETP, vol. 11, no 4,â , p. 812-818 (lire en ligne [PDF], consultĂ© le )
- (en) R. Barton et al., « Observation of delayed proton radioactivity », Canadian Journal of Physics, vol. 41, no 12,â , p. 2007â2025 (DOI 10.1139/p63-201)
- Blank 2009, p. 155
- (en) J. Cerny et al., « Confirmed proton radioactivity of â”ÂłCoᔠ», Physics Letters B, vol. 33, no 4,â , p. 284â286 (DOI 10.1016/0370-2693(70)90270-4)
- (en) Sigurd Hofmann et al., « Proton radioactivity of Âčâ”ÂčLu », Zeitschrift fĂŒr Physik A Atoms and Nuclei, Springer-Verlag, vol. 305, no 2,â , p. 111â123 (DOI 10.1007/BF01415018)
- (en) Sigurd Hofmann, « Proton Radioactivity », Radiochimica Acta, vol. 70-71, no s1,â , p. 93â105 (ISSN 0033-8230, DOI 10.1524/ract.1995.7071.special-issue.93)
- Krzysztof P. Rykaczewski, Proton radioactivity, diapositive n° 20, 2008
- Krzysztof P. Rykaczewski, Proton radioactivity, diapositive n° 19, 2008
- Krzysztof P. Rykaczewski, Proton radioactivity, diapositive n° 2, 2008
- Krzysztof P. Rykaczewski, Proton radioactivity, diapositive n° 23, 2008
Bibliographie
(en) Bertram Blank, « One- and Two-Proton Radioactivity », dans The Euroschool Lectures on Physics with Exotic Beams, vol. III, J.S. Al-Khalili, E. Roeckl, , 311 p. (ISBN 978-3-540-85838-6, DOI 10.1007/978-3-540-85839-3, lire en ligne)