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Limite de stabilité

En physique nuclĂ©aire, les frontiĂšres pour la stabilitĂ© des noyaux sont appelĂ©es limites de stabilitĂ© ou drip lines[alpha 1]. Les noyaux atomiques contiennent Ă  la fois des protons et des neutrons - le nombre de proton dĂ©finit l'identitĂ© d'un Ă©lĂ©ment (par exemple, le carbone a toujours 6 protons), mais le nombre de neutrons peut varier (le carbone 13 et le carbone 14 sont par exemple deux isotopes du carbone). Le nombre d'isotopes de chaque Ă©lĂ©ment peut ĂȘtre reprĂ©sentĂ© visuellement en traçant des boites, chacune d'elles reprĂ©sente un isotope unique, sur un graphique avec le nombre de neutrons sur l'axe des abscisses (axe X) et le nombre de protons sur l'axe des ordonnĂ©es (axe Y), ce que l'on dĂ©nomme habituellement la carte des nuclĂ©ides.

Une combinaison arbitraire de protons et de neutrons ne conduit pas nĂ©cessairement Ă  un noyau stable. On peut monter et/ou se diriger vers la droite de la carte des noyaux en ajoutant un type de nuclĂ©ons (c'est-Ă -dire un proton ou un neutron, tous les deux appelĂ©s nuclĂ©ons) Ă  un noyau donnĂ©. Cependant, l'ajout de nuclĂ©ons un Ă  un Ă  un noyau donnĂ© conduira Ă©ventuellement Ă  un noyau nouvellement formĂ© qui dĂ©croit immĂ©diatement en Ă©mettant un proton (ou un neutron). En parlant familiĂšrement, on dit que le nuclĂ©on a « coulĂ© » (« dripped » en anglais) en dehors du noyau, donnant ainsi le terme « drip line ».

Les limites de stabilitĂ© sont dĂ©finies pour les protons, les neutrons et les particules alpha et elles ont un rĂŽle important en physique nuclĂ©aire. Les limites de stabilitĂ© des nuclĂ©ons sont situĂ©es Ă  des rapports proton sur neutron extrĂȘmes : pour des rapports p:n au niveau ou au-delĂ  des limites de stabilitĂ©, aucun noyau stable ne peut exister. La position de la limite de stabilitĂ© neutron n'est pas bien connue pour la plupart de la carte des noyaux, alors que les limites de stabilitĂ© proton et alpha ont Ă©tĂ© mesurĂ©es sur une large plage d'Ă©lĂ©ments.

Description générale

Un noyau est composĂ© de protons, particules possĂ©dant une charge Ă©lectrique positive, et de neutrons, particules de charge Ă©lectrique nulle. Les protons et les neutrons interagissent entre eux par le biais de la force nuclĂ©aire, qui est une interaction rĂ©siduelle de l’interaction forte qui s'exerce entre les quarks qui composent les protons et les neutrons. La prĂ©sence de neutrons Ă  l'intĂ©rieur du noyau permet de compenser la rĂ©pulsion coulombienne qui s’exercent entre tous les protons prĂ©sents au sein du noyau. Si un noyau possĂšde trop peu de neutrons par rapport Ă  son nombre de protons, alors l’interaction nuclĂ©aire n’est plus suffisante pour lier les nuclĂ©ons entre eux dans le noyau ; l’ajout d’un proton supplĂ©mentaire dans ce noyau n’est alors pas possible car l’énergie nĂ©cessaire Ă  sa liaison n’est pas disponible ; il est Ă©jectĂ© du noyau dans un laps de temps de l’ordre de 10−21 seconde. Les noyaux auxquels il n’est pas possible d’ajouter un proton supplĂ©mentaire constituent alors la limite d’existence proton.

Un noyau avec un trop grand nombre de neutrons par rapport à son nombre de protons n’existent pas non plus principalement du fait du principe d’exclusion de Pauli.

Entre ces deux lignes, lorsqu’un noyau a un rapport favorable entre ses nombres de protons et de neutrons, la masse nuclĂ©aire totale est limitĂ©e par la dĂ©sintĂ©gration alpha, ou limite d’existence alpha, qui relie les limites d’existence proton et neutron. La limite d’existence alpha est quelque peu difficile Ă  visualiser puisqu’elle a des sections au centre de la carte. Ces limites existent du fait de la dĂ©sintĂ©gration de particule, par laquelle une transition nuclĂ©aire exothermique peut avoir lieu via l’émission d’un nuclĂ©on ou plus (Ă  ne pas confondre avec la dĂ©sintĂ©gration d’une particule en physique des particules). Ce concept peut se comprendre en appliquant uniquement le principe de conservation de l’énergie sur l’énergie de liaison nuclĂ©aire.

Transitions permises

En considĂ©rant si une transmutation, une rĂ©action ou une dĂ©croissance nuclĂ©aire spĂ©cifique, est autorisĂ©e Ă©nergĂ©tiquement, il est uniquement nĂ©cessaire d’additionner les masses du (des) noyau(x) initial(initiaux) et de soustraire de cette valeur la somme des masses des particules produites. Si le rĂ©sultat – ou la valeur Q – est positif, alors la transmutation est autorisĂ©e ou exothermique parce que de l’énergie est relĂąchĂ©e. À l’opposĂ©, si la valeur Q est nĂ©gative, alors la rĂ©action est endothermique Ă©tant donnĂ© qu’au moins cette quantitĂ© d’énergie doit ĂȘtre apportĂ©e au systĂšme pour que la transmutation puisse se produire. Par exemple, pour dĂ©terminer si 12C, l’isotope le plus courant du carbone, peut se transformer en 11B en Ă©mettant un proton, on trouve qu’environ 16 MeV doivent ĂȘtre ajoutĂ©s au systĂšme pour que ce processus soit autorisĂ©. Tandis que les valeurs Q peuvent ĂȘtre utilisĂ©es pour dĂ©crire une transmutation nuclĂ©aire, pour une dĂ©sintĂ©gration, l’énergie de sĂ©paration d’une particule S est Ă©galement utilisĂ©e ; elle est Ă©quivalent au nĂ©gatif de la valeur Q. Autrement dit, l’énergie de sĂ©paration proton Sp indique combien d’énergie doit ĂȘtre ajoutĂ©e Ă  un noyau donnĂ© pour lui retirer un seul proton. Ainsi les lignes de stabilitĂ© de particule dĂ©finissent-elles les limites oĂč l’énergie de sĂ©paration d’une particule est infĂ©rieure ou Ă©gale Ă  zĂ©ro, de sorte qu’une Ă©mission spontanĂ©e de cette particule est Ă©nergĂ©tiquement autorisĂ©e.

Terminologie

Le terme anglais « drip line » est majoritairement utilisĂ© dans le milieu scientifique francophone. Il signifie littĂ©ralement la « ligne de goutte Ă  goutte ». Cette appellation provient de l’analogie avec l’eau. Les nuclĂ©ons s’écoulent des noyaux trop riches en un type de nuclĂ©on pour la mĂȘme raison que l’eau goutte d’un robinet qui fuit : dans le cas de l’eau, il y a un potentiel plus bas qui est accessible et qui est assez grand pour surpasser la tension de surface produisant ainsi une gouttelette ; dans le cas d’un noyau, l’émission d’une particule par un noyau, en dĂ©pit de la force nuclĂ©aire forte, se traduit par un potentiel total du noyau et de la particule Ă©mise dans un Ă©tat d’énergie infĂ©rieure. Du fait que les nuclĂ©ons soient quantifiĂ©s, seules des valeurs entiĂšres sont tracĂ©es sur la carte des isotopes ; cela indique que la limite de stabilitĂ© n’est pas linĂ©aire mais ressemble plutĂŽt Ă  une fonction en escalier de plus prĂšs.

En français, on trouve parfois les expressions « limite de liaison »[2], « limite de liaison nuclĂ©aire en nombre de neutrons/protons »[3], « limite de stabilitĂ© en neutron/proton »[4], « limites thĂ©oriques d’existence de noyaux liĂ©s »[5], « limite d’existence neutron/proton »[6], « limite de cohĂ©sion nuclĂ©aire »[7] ou encore « limites de cohĂ©sion du noyau »[8].

L’expression « limite de stabilitĂ© » ne doit pas ĂȘtre confondue avec la vallĂ©e de stabilitĂ©. Elle n’oppose pas les noyaux stables aux noyaux radioactifs mais les noyaux liĂ©s (qui ont une Ă©nergie de liaison positive) — qu'ils soient radioactifs ou non — aux noyaux qui sont non-liĂ©s.

Les noyaux proches des limites de stabilité sont rares sur Terre

Des trois types de radioactivitĂ©s se produisant naturellement (α, ÎČ et Îł), seule la radioactivitĂ© alpha est un type de radioactivitĂ© rĂ©sultant de l'interaction nuclĂ©aire forte. Les autres radioactivitĂ©s proton et neutron ont lieu beaucoup plus tĂŽt dans la vie des espĂšces atomiques et avant que la Terre n'ait Ă©tĂ© formĂ©e. Ainsi la dĂ©sintĂ©gration alpha peut-elle ĂȘtre considĂ©rĂ©e soit comme une dĂ©croissance de particule ou, moins frĂ©quemment, comme un cas spĂ©cial de fission nuclĂ©aire. L'Ă©chelle de temps pour la force nuclĂ©aire forte est beaucoup plus rapide que l'interaction faible ou que la force Ă©lectromagnĂ©tique, ainsi le temps de vie des noyaux au-delĂ  de la limite de stabilitĂ© est gĂ©nĂ©ralement de l'ordre de la nanoseconde ou moins. Pour une dĂ©sintĂ©gration alpha, l'Ă©chelle de temps peut ĂȘtre beaucoup plus longue que l'Ă©mission d'un proton ou d'un neutron du fait de la hauteur de la barriĂšre de potentiel coulombienne vue par une particule alpha dans un noyau (la particule alpha doit passer par effet tunnel Ă  travers cette barriĂšre). En consĂ©quence, il n'existe aucun noyau naturel sur Terre qui se dĂ©sintĂšgre en Ă©mettant un proton ou un neutron ; en revanche, de tels noyaux peuvent ĂȘtre crĂ©Ă©s, par exemple, dans les laboratoires avec des accĂ©lĂ©rateurs ou naturellement dans les Ă©toiles.

De telles dĂ©sintĂ©grations de particule ne sont habituellement pas connues du fait que la dĂ©croissance par Ă©mission de particule est gouvernĂ©e par l'interaction forte, qui comme la force coulombienne dans le cas des particules chargĂ©es, peut agir trĂšs rapidement (de l'ordre de la femtoseconde ou moins). Au niveau de la physique nuclĂ©aire, les noyaux qui se situent au-delĂ  de la limite de stabilitĂ© dans des particules non-liĂ©es et ne sont pas considĂ©rĂ©es comme existantes, parce qu'elles ne peuvent uniquement exister que dans le continuum plutĂŽt que dans des Ă©tats quantifiĂ©s discrets.  Au niveau des limites de stabilitĂ© proton et neutron, une commoditĂ© nomenclaturale est de considĂ©rer les noyaux se dĂ©sintĂ©grant par radioactivitĂ© bĂȘta comme stables (strictement parlant ce sont des particules stables), du fait de la diffĂ©rence significative des Ă©chelles de temps entre ces deux modes de dĂ©croissance.

Ainsi, le seul type de noyaux qui ont un temps de demi-vie suffisamment long et qui se dĂ©croissent en Ă©mettant un proton ou un neutron sont de la classe des dĂ©croissances bĂȘta-retardĂ©e, oĂč d'abord l'isospin d'un nuclĂ©on est inversĂ© (proton en neutron ou vice-versa) via la dĂ©croissance bĂȘta, puis si l'Ă©nergie de sĂ©paration d'une particule est infĂ©rieure Ă  zĂ©ro, le noyau fils Ă©mettra une particule. La plupart des sources Îł sont techniquement des dĂ©croissances Îł ÎČ-retardĂ©es ; quelques sources Îł sont α-retardĂ©es mais elles sont gĂ©nĂ©ralement catĂ©gorisĂ©es avec les autres sources α.

Origine de la structure nucléaire des limites de stabilité

Il est possible de voir l'origine des limites de stabilitĂ© en considĂ©rant les niveaux d'Ă©nergie dans un noyau. L'Ă©nergie d'un nuclĂ©on dans un noyau correspond Ă  l'Ă©nergie de masse moins son Ă©nergie de liaison. Par ailleurs, il est nĂ©cessaire de prendre en compte une Ă©nergie provenant de la dĂ©gĂ©nĂ©rescence : par exemple un nuclĂ©on avec une Ă©nergie E1 sera obligĂ© d'avoir une Ă©nergie supĂ©rieure E2 si tous les Ă©tats d'Ă©nergie infĂ©rieurs sont remplis. Cela provient du fait que les nuclĂ©ons sont des fermions et qu'ils obĂ©issent Ă  la statistique de Fermi–Dirac. Le travail effectuĂ© pour porter ce nuclĂ©on Ă  un niveau d'Ă©nergie supĂ©rieur se traduit par une pression connue comme pression de dĂ©gĂ©nĂ©rescence.

L'Ă©nergie d'un nuclĂ©on dans un noyau peut donc ĂȘtre vue comme son Ă©nergie de masse moins son Ă©nergie de liaison effective qui dĂ©croit lorsque des niveaux d'Ă©nergie supĂ©rieurs sont peuplĂ©s. Éventuellement, cette Ă©nergie de liaison effective peut devenir nulle lorsque le niveau d'Ă©nergie occupĂ© le plus haut, l'Ă©nergie de Fermi, est Ă©gal Ă  l'Ă©nergie de masse d'un nuclĂ©on. À ce moment, ajouter un nuclĂ©on avec le mĂȘme isospin au noyau n'est pas possible, Ă©tant donnĂ© que le nouveau nuclĂ©on aura une Ă©nergie de liaison effective nĂ©gative, c'est-Ă -dire qu'il est Ă©nergĂ©tiquement plus favorable (le systĂšme aura une Ă©nergie totale plus basse) pour le nuclĂ©on d'ĂȘtre crĂ©Ă© en dehors du noyau. Il s'agit de la limite de stabilitĂ© pour cet Ă©lĂ©ment.

IntĂ©rĂȘt astrophysique

En astrophysique nuclĂ©aire, les limites de stabilitĂ© sont particuliĂšrement utiles pour dĂ©limiter les frontiĂšres d'une nuclĂ©osynthĂšse explosive ainsi que dans d'autres circonstances ce qui se passe dans des conditions de tempĂ©rature et de pression extrĂȘme que l'on rencontre dans des objets telles que des Ă©toiles Ă  neutrons.

NucléosynthÚse

Les environnements astrophysiques explosifs offrent souvent des trĂšs grands flux de particules de hautes Ă©nergies qui peuvent ĂȘtre capturĂ©es par des noyaux graine. Dans ces environnements, la capture neutronique radiative, que ce soit des protons ou des neutrons, sera beaucoup plus rapide que la dĂ©croissance bĂȘta, et comme les environnements astrophysiques avec de grands flux de neutrons et des protons de haute Ă©nergie ne sont pas connus jusqu'Ă  prĂ©sent, les rĂ©actions se produiront avant la dĂ©croissance bĂȘta et conduiront Ă  atteindre les limites de stabilitĂ© proton ou neutron suivant le cas. Cependant, une fois que le noyau a atteint une limite de stabilitĂ©, aucun nuclĂ©on supplĂ©mentaire ne peut rejoindre ce noyau et le noyau doit d'abord dĂ©croitre par radioactivitĂ© bĂȘta avant que la capture d'un nuclĂ©on supplĂ©mentaire ne puisse avoir lieu.

Photodésintégration

Alors que la limite de stabilitĂ© fixe les limites ultimes de la nuclĂ©osynthĂšse primordiale, dans des environnements de haute Ă©nergie, le chemin de la combustion peut ĂȘtre limitĂ© avant que la limite de stabilitĂ© ne soit atteinte par la photodĂ©sintĂ©gration, oĂč un rayon gamma de haute Ă©nergie Ă©jecte un nuclĂ©on hors d'un noyau. Le mĂȘme noyau est soumis en mĂȘme temps Ă  un flux de nuclĂ©ons et de photons, de sorte qu'un Ă©quilibre est atteint lorsque la masse augmente pour une espĂšce nuclĂ©aire donnĂ©e. En ce sens, on pourrait aussi imaginer une limite de stabilitĂ© qui s'applique Ă  la photodĂ©sintĂ©gration dans des environnements particuliers, mais du fait que les nuclĂ©ons sont Ă©nergiquement expulsĂ©s des noyaux et ne sont pas Ă©mis comme des « gouttes », dans un tel cas, la terminologie est trompeuse et n'est pas utilisĂ©e.

Comme le bain de photons est gĂ©nĂ©ralement dĂ©crit par une distribution de Planck, les photons de plus haute Ă©nergie seront moins abondants, et ainsi la photodĂ©sintĂ©gration ne deviendra pas significative jusqu'Ă  ce que le l'Ă©nergie de sĂ©paration d'un nuclĂ©on commence Ă  approcher de zĂ©ro Ă  mesure qu'on se rapproche de la limite de stabilitĂ©, oĂč la photodĂ©sintĂ©gration peut ĂȘtre induite par des rayons gamma de plus faible Ă©nergie. À 109 K, la distribution de photons est suffisamment Ă©nergĂ©tique pour expulser les nuclĂ©ons de n'importe quel noyau qui a une Ă©nergie de sĂ©paration infĂ©rieure Ă  3 MeV[9], mais pour savoir quels noyaux existent et dans quelle abondance, on doit tenir compte Ă©galement de la capture radiative.

Comme la capture neutronique peut avoir lieu dans n'importe quel rĂ©gime d'Ă©nergie, la photodĂ©sintĂ©gration de neutron n'est pas importante exceptĂ© aux hautes Ă©nergies. Cependant, comme les captures de proton sont empĂȘchĂ©es du fait de la barriĂšre coulombienne, la section efficace de ces rĂ©actions avec des particules chargĂ©es sont grandement limitĂ©es, et dans les rĂ©gimes de haute Ă©nergie, oĂč la capture de proton a une plus grande probabilitĂ© de se produire, il existe souvent une compĂ©tition entre la capture de proton et la photodĂ©sintĂ©gration qui a lieu dans la fusion explosive de l'hydrogĂšne ; mais du fait que la limite de stabilitĂ© proton est relativement beaucoup plus proche de la vallĂ©e de stabilitĂ© bĂȘta que de la limite de stabilitĂ© neutron, la nuclĂ©osynthĂšse peut dans certains environnement se dĂ©rouler aussi loin que la limite de stabilitĂ© des nuclĂ©ons.

Points d'attente et Ă©chelles de temps

Une fois que la capture radiative ne peut plus avoir lieu sur un noyau donnĂ©, soit du fait de la photodĂ©sintĂ©gration ou de la limite de stabilitĂ©, les rĂ©actions nuclĂ©aires futures, conduisant Ă  des masses supĂ©rieures, doivent soit passer par une rĂ©action avec un noyau plus lourd, tel que 4He, ou plus souvent attendre pour une dĂ©sintĂ©gration bĂȘta. Les espĂšces nuclĂ©aires oĂč une fraction significative de la masse s'accumule durant un Ă©pisode particulier de la nuclĂ©osynthĂšse sont appelĂ©es « points d'attente », puisque de futures rĂ©actions par captures radiatives rapides sont retardĂ©es. Il n'existe pas de dĂ©finition explicite de ce que constitue un point d'attente, et des critĂšres quantitatifs s'appuyant sur une faction de masse pour un noyau donnĂ© Ă  un temps donnĂ© en fonction de l'Ă©chelle de temps de la nuclĂ©osynthĂšse est souhaitable.

Comme cela a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© soulignĂ©, les dĂ©croissances bĂȘta sont les processus les plus lents qui ont lieu dans une nuclĂ©osynthĂšse explosive. Du point de vue de la physique nuclĂ©aire, les Ă©chelles de temps d'une nuclĂ©osynthĂšse explosive sont Ă©valuĂ©es simplement en sommant les temps de demi-vie de dĂ©croissance bĂȘta impliquĂ©s[10], puisque l'Ă©chelle de temps des autres processus nuclĂ©aire est nĂ©gligeable en comparaison, mĂȘme si en pratique, de maniĂšre rigoureuse, cette Ă©chelle de temps est dominĂ©e par la somme de quelque temps de demi-vie d'une poignĂ©e de points d'attente nuclĂ©aire.

Processus « r »

Le processus de capture rapide de neutrons a lieu probablement trĂšs prĂšs de la limite de stabilitĂ© neutron. Ainsi le flux de rĂ©action dans le processus « r » est-il gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme ayant lieu le long de la imite de stabilitĂ© neutron. Cependant, les sites astrophysiques du processus « r », bien que largement admis comme prenant place dans l'effondrement de cƓur des supernovĂŠ, sont inconnus. En outre, la limite de stabilitĂ© neutron est trĂšs mal dĂ©terminĂ©e expĂ©rimentalement, et les modĂšles de masse nuclĂ©aire donnent diverses prĂ©dictions pour l'emplacement prĂ©cis de la limite de stabilitĂ© neutron. En fait, la physique nuclĂ©aire de la matiĂšre trĂšs riche en neutrons est un sujet assez nouveau et a dĂ©jĂ  conduit Ă  la dĂ©couverte de l'Ăźle d'inversion et des noyaux Ă  halo tels que 11Li, qui en raison d'une peau de neutrons trĂšs diffuse, a un rayon total comparable Ă  celui de 208Pb. Bien que la limite de stabilitĂ© neutron et que le processus « r » soient liĂ©s de trĂšs prĂšs en recherche, il existe une frontiĂšre inconnue en attente de futurs rĂ©sultats de recherche, aussi bien au niveau thĂ©orique qu'expĂ©rimental.

Processus « rp »

Le processus de capture rapide de protons dans les sursauts X a lieu au niveau de la limite de stabilité proton à l'exception prÚs de quelques points d'attente liés à la photodésintégration. Cela comprend les noyaux 21Mg, 30S, 34Ar, 38Ca, 56Ni, 60Zn, 64Ge, 68Se, 72Kr, 76Sr et 80Zr[11] - [12].

Une tendance claire de la structure nuclĂ©aire qui se dĂ©gage est l'importance de l’appariement, comme on le remarque tous les points d'attente ci-dessus sont Ă  des noyaux avec un nombre pair de protons et tous, Ă  l'exception de 21Mg ont Ă©galement  un nombre pair de neutrons. Toutefois, les points d'attente dĂ©pendront des hypothĂšses du modĂšle de sursaut X, comme la mĂ©tallicitĂ©, le taux d'accrĂ©tion et l'hydrodynamique, avec bien sĂ»r les incertitudes nuclĂ©aires, et comme mentionnĂ© ci-dessus, la dĂ©finition exacte du point d'attente peut ne pas ĂȘtre la mĂȘme d'une Ă©tude Ă  l'autre. Bien qu'il y ait des incertitudes nuclĂ©aires, par rapport Ă  d'autres processus de nuclĂ©osynthĂšse explosif, le processus « rp » est assez bien contraint expĂ©rimentalement, comme tous les noyaux aux points d'attente ci-dessus ont au moins Ă©tĂ© observĂ©s en laboratoire. Donc comme les entrĂ©es de physique nuclĂ©aire peuvent ĂȘtre trouvĂ©es dans la littĂ©rature ou les compilations de donnĂ©es, l' infrastructure de calcul pour l'astrophysique nuclĂ©aire permet de faire du post-traitement des calculs sur les diffĂ©rents modĂšles de sursaut X, et de dĂ©finir soi-mĂȘme les critĂšres des points d'attente, ainsi que de modifier tout paramĂštre nuclĂ©aire.

Alors que le processus « rp » dans sursauts X peut rencontrer une difficultĂ© au passage du point d'attente de 64Ge[12], il est certain que dans les pulsars X oĂč le processus « rp » est stable, la limite de stabilitĂ© alpha situe une limite supĂ©rieure proche de A = 100 pour la masse, qui peut ĂȘtre atteinte par des rĂ©actions continues[13] ; l'emplacement exact de la limite de stabilitĂ© alpha est une question actuellement dĂ©battue, et 106Te est connu pour dĂ©croitre par Ă©mission de particule alpha tandis que 103Sb est liĂ©. Cependant, il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que s'il y a des Ă©pisodes de refroidissement ou de mĂ©lange de prĂ©cĂ©dents noyaux dans la zone de rĂ©action, des noyaux aussi lourds que 126Xe peuvent ĂȘtre crĂ©Ă©s[14].

Étoiles à neutrons

Dans les Ă©toiles Ă  neutrons, des noyaux lourds riches en neutrons existent puisque des Ă©lectrons relativistes pĂ©nĂštrent dans les noyaux et produisent des dĂ©sintĂ©grations bĂȘta inverses, dans lequel un Ă©lectron se combine avec un proton dans le noyau pour faire un neutron et neutrino Ă©lectronique :

Comme de plus en plus de neutrons sont crĂ©Ă©s dans les noyaux les niveaux d'Ă©nergie des neutrons se remplissent jusqu'Ă  un niveau d'Ă©nergie Ă©gal Ă  la masse au repos d'un neutron. À ce stade, tout d'Ă©lectrons pĂ©nĂ©trant un noyau permettra de crĂ©er un neutron, qui s'Ă©chappera hors du noyau. À ce stade, nous avons :

Et Ă  partir de ce point l'Ă©quation

s'applique, oĂč pFn est l'impulsion de Fermi du neutron. Alors que nous pĂ©nĂ©trons plus profondĂ©ment dans l'Ă©toile Ă  neutrons la densitĂ© de neutrons libres augmente, et comme l'impulsion de Fermi augmente avec l'augmentation de la densitĂ©, l'Ă©nergie de Fermi augmente, de sorte que les niveaux d'Ă©nergie plus bas que le niveau supĂ©rieur atteint l'Ă©nergie de sĂ©paration neutron et de plus en plus de neutrons s'Ă©coulent des noyaux de telle sorte que nous obtenons des noyaux dans un fluide de neutrons. Éventuellement, tous les neutrons s'Ă©coulent des noyaux et nous avons atteint le fluide de neutrons Ă  l'intĂ©rieur de l'Ă©toile Ă  neutrons.

Valeurs connues

Limite de stabilité neutron

Les valeurs de la limite de stabilité neutron sont connues uniquement pour les huit premiers éléments, de l'hydrogÚne à l'oxygÚne[15]. Pour Z = 8, le nombre maximal de neutrons est 16, donnant 24O comme l'isotope de l'oxygÚne le plus lourd possible.

Le magnésium 40 (Z = 12), observé pour la premiÚre fois en 2007, se situe aussi sur la drip line des neutrons. En fait son neutron le plus externe n'est pas confiné dans le noyau, et 40Mg ne doit son état de noyau lié qu'à l'existence de couplages neutron-neutron. Il présente aussi des transitions nucléaires inattendues[16] - [17].

Limite de stabilité proton

La position gĂ©nĂ©rale de la limite de stabilitĂ© proton est bien Ă©tablie. Pour tous les Ă©lĂ©ments apparaissant naturellement sur Terre et ayant un nombre impair de protons, au moins une espĂšce avec une Ă©nergie de sĂ©paration proton nĂ©gative a Ă©tĂ© observĂ©e expĂ©rimentalement. Jusqu'au germanium, la position de la limite de stabilitĂ© de plusieurs Ă©lĂ©ments avec un nombre pair de protons est connue, mais aucun au-delĂ  de ce point n'est listĂ© dans les donnĂ©es nuclĂ©aires Ă©valuĂ©es. Il existe quelques cas exceptionnels oĂč, du fait de l'appariement nuclĂ©aire, il y a quelques isotopes liĂ©s au-delĂ  de la limite de stabilitĂ© proton, tels que 8B et 178Au. On peut Ă©galement noter que proche des nombres magiques, la limite de stabilitĂ© est moins connue. Une compilation des premiers noyaux non-liĂ©s connus au-delĂ  de la limite de stabilitĂ© proton est donnĂ© ci-dessous, avec le nombre de protons Z et les isotopes correspondants, issus du National Nuclear Data Center[18].

Z Isotope
1 N/A
2 2He
3 5Li
4 5Be
5 7B, 9B
7 11N
8 12O
9 16F
11 19Na
12 19Mg
13 21Al
15 25P
17 30Cl
19 34K
21 39Sc
23 42V
25 45Mn
27 50Co
29 55Cu
31 59Ga
32 58Ge
33 65As
35 69Br
37 73Rb
39 77Y
41 81Nb
43 85Tc
45 89Rh
47 93Ag
49 97In
51 105Sb
53 110I
55 115Cs
57 119La
59 123Pr
61 128Pm
63 134Eu
65 139Tb
67 145Ho
69 149Tm
71 155Lu
73 159Ta
75 165Re
77 171Ir
79 175Au, 177Au
81 181Tl
83 189Bi
85 195At
87 201Fr
89 207Ac
91 214Pa

Calculs ab initio

En 2020, une Ă©tude ab initio partant des interactions chirales Ă  deux et trois nuclĂ©ons[19] a permis de calculer l'Ă©nergie de l'Ă©tat fondamental et les Ă©nergies de sĂ©paration (en) de tous les noyaux plausibles de l'hĂ©lium jusqu'au fer, presque 700 nuclĂ©ides au total. Les rĂ©sultats sont en accord avec les rĂ©sultats expĂ©rimentaux et constituent des prĂ©dictions pour les noyaux encore inconnus. Notamment, ils confirment l'existence du noyau 60Ca (40 neutrons) et prĂ©disent celle des isotopes du calcium Ă  48 et 50 neutrons, voire 56 ou plus[20] - [19].

Notes et références

Notes

  1. Dans la langue anglaise courante, l'expression drip line s'applique au pourtour d'un arbre à l'aplomb de la périphérie de sa ramure (la ligne au-delà de laquelle on reçoit les gouttes de pluie), ainsi qu'aux rails d'égouttage dans les abattoirs[1].

Références

  1. « Drip line », sur TERMIUM Plus (consulté le ).
  2. JĂ©rĂŽme Margueron, « L’intĂ©rieur des Ă©toiles Ă  neutrons sous surveillance », La Recherche, vol. 539,‎ , p. 58 (lire en ligne)
  3. « Exploitation des futurs faisceaux de SPIRAL2 », sur irfu.cea.fr (consulté le )
  4. Nicolas Prantzos, « NucléosynthÚse stellaire », dans Muriel Gargaud, Philippe Claeys et Hervé Martin, Des atomes aux planÚtes habitables, Presses Universitaires de Bordeaux, (ISBN 2867813646, lire en ligne), p. 52
  5. « Limites de stabilité théoriques », sur res-nlp.univ-lemans.fr (consulté le )
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