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Joseph Joffre

Joseph Joffre, né le à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) et mort le à Paris, est un militaire français. Il s'illustre notamment comme généralissime et maréchal de France durant la Première Guerre mondiale.

Joseph Joffre
Joseph Joffre
Portrait du général Joffre en 1915.

Nom de naissance Joseph Jacques Césaire[1] Joffre
Naissance
Rivesaltes (Empire français)
Décès
Paris 7e (République française)
Origine Français
Allégeance Drapeau de la France France
Arme Armée française
Génie militaire
Grade Maréchal[alpha 1]
Années de service 18691916
Commandement Généralissime (1914-1916)
Conflits Première Guerre mondiale
Faits d'armes 1887 : prise de Ba-Dinh
1894 : prise de Tombouctou
1914 : bataille de la Marne
1916 : bataille de Verdun
Distinctions Grand-croix de la Légion d'honneur (1914)
Médaille militaire (1914)
Maréchal de France (1916)
Croix de guerre 1914-1918
Autres fonctions Élu à l'Académie française (fauteuil 35)
Signature de  Joseph Joffre

Après un début de carrière marqué par les expéditions coloniales (Tonkin, Soudan français et Madagascar), il est nommé en 1911 chef d'État-Major général de l'Armée, notamment parce qu'il est un spécialiste de la logistique ferroviaire. En 1914, en tant que commandant en chef des armées, il met en œuvre le plan de mobilisation et de concentration (le plan XVII), puis fait appliquer le principe de l'« offensive à outrance », alors enseigné à l'École de guerre, qui se révèle extrêmement coûteux en vies humaines, notamment lors de la bataille des Frontières. Il est ensuite l'artisan de la victoire alliée lors de la bataille de la Marne.

Confronté à l'impasse de la guerre de position sur le front de l'Ouest, ses offensives de l'hiver 1914-1915 (en Champagne), du printemps 1915 (en Artois), de l'automne 1915 (de nouveau en Artois et en Champagne) et de l'été 1916 (sur la Somme) échouent. Fin 1916, il est élevé à la dignité de maréchal de France et remplacé par le général Nivelle. En , il conduit avec Viviani la délégation française envoyée aux États-Unis et convainc le président Wilson de hâter la formation et l'envoi de l'armée américaine sur le front. En 1918, il est élu à l'Académie française.

Carrière militaire au service du génie

Jeune officier venu du Roussillon

Photographie noir et blanc d'un jeune homme en uniforme de polytechnique.
Le polytechnicien Joseph Joffre à l'âge de dix-sept ans.

Joseph Joffre naît à Rivesaltes, le , à 8 heures du matin. La famille, d'origine catalane, est aisée et nombreuse : le père, Gilles Joffre (1823-1899), est tonnelier et la mère, Catherine Plas (1822-1899), mère au foyer[2] - [1]. Élève brillant, il fait d'abord ses études secondaires au lycée François-Arago de Perpignan, puis en 1868 au lycée Charlemagne à Paris en classe préparatoire aux grandes écoles[3]. Classé 14e sur 132 au concours d’entrée à l'École polytechnique[1] - [alpha 2] de , il est le benjamin de sa promotion car il n'a que dix-sept ans. Un de ses amis dira de lui : « Il avait vraiment bon air, sous le frac, avec ses galons d'or tout neufs »[4].

Il suit l'instruction militaire depuis quelques mois quand la guerre franco-prussienne éclate durant l’été 1870. Il est aussitôt affecté au bastion 39, près de La Villette. Il est déçu par la médiocrité de la défense française. Joseph Joffre participe à la guerre comme sous-lieutenant des 8e, 4e et enfin 21e régiments d'artillerie. En seulement, il retrouve l'École polytechnique avec ses camarades[5]. Durant la semaine sanglante, Joffre se montre hostile à la Commune de Paris[6].

En , il retrouve une nouvelle fois l'École. À sa sortie de Polytechnique, il choisit le génie militaire[1] et est affecté au 2e régiment à Montpellier en . Promu lieutenant en 1872, il est détaché à l'École d'application de l'artillerie et du génie à Fontainebleau. Il fait la connaissance d'une jeune veuve, Marie-Amélie Pourcheiroux[1] de six ans son aînée, qu'il épouse le mais qui meurt en couches quelques mois après, le à Montpellier. Il demande sa mutation[7].

Joffre est affecté au 1er régiment à Versailles au cours du printemps 1874. Il participe à la reconstruction de l'enceinte fortifiée de Paris puis il dirige la construction du fort de Montlignon (Seine-et-Oise, 1874). Initié franc-maçon en 1875, il fait partie de la loge Alsace-Lorraine. Nommé capitaine, le jeune officier part pour Pontarlier travailler aux fortifications du Jura en 1876, puis à celles de Mont-Louis et Villefranche-de-Conflent dans les Pyrénées-Orientales de 1883 à 1884.

Sa demande de partir pour l'Extrême-Orient est acceptée quelques mois après son dépôt, à la fin de l'année 1884[6].

Les campagnes coloniales

Photographie noir et blanc d'un homme debout en uniforme, le coude sur un meuble.
Joseph Joffre, chef de bataillon (1889).

Expédition du Tonkin

De retour à Paris, le capitaine Joffre reçoit sa mutation en Extrême-Orient, où la France cherche depuis plusieurs années à accroître son emprise économique et militaire. En , il embarque à Marseille et arrive sur l'île de Formose un mois et demi plus tard. Là-bas, il est nommé chef du génie sous les ordres de l'amiral Courbet. Chargé de fortifier la base de Chilung (organiser la communication, fortifier et loger), Joffre suit l'objectif de remporter la mainmise sur le Tonkin dans la guerre franco-chinoise[8].

Deux ans plus tôt, en , l'Annam avait accordé un protectorat français sur le Tonkin contre l'avis de la Chine. Nommé chef du génie à Hanoï, Joseph Joffre organise les postes de défense du Tonkin septentrional en . Il tente d'améliorer les hôpitaux, d'ouvrir de nouvelles routes, des digues et des bureaux pour l'armée française. Son supérieur écrit :

« Officier très intelligent et instruit. Capable, zélé, tout dévoué à son service. A déjà eu l'occasion de faire de grands travaux de fortification […]. Par son mérite, par sa manière de servir, cet officier est digne d'arriver aux grades élevés de l'armée du génie. »

Colonel Mensier, été 1885[9]

Au mois de suivant, la Chine abandonne toute prétention sur le Tonkin. Très satisfait de son subalterne, Courbet fait décorer l'officier du génie de la Légion d'honneur le [10].

En , le capitaine Joffre obtient sa première citation pour sa participation, au sein de la colonne Brissaud, aux opérations contre la position retranchée de Ba Dinh. Il y dirige les travaux de sape contre la citadelle assiégée et joue un rôle dans la victoire : il est cité à l'ordre de la division du Tonkin (). En , il quitte le Tonkin pour faire le tour du monde (Chine, Japon et États-Unis)[11].

De retour en France en , il est attaché au cabinet du directeur du génie et promu au grade de commandant l'année suivante. Chef de bataillon, il est affecté au 5e régiment du génie à Versailles où il se spécialise dans la logistique ferroviaire. En 1891, on le retrouve chargé de cours à l'École d'application de l'artillerie et du génie à Fontainebleau. En , le commandant Joffre est envoyé en Afrique dans la région du Soudan français (aujourd'hui le Mali) réclamé par le colonel Louis Archinard. Là, son objectif est de diriger la construction d'une ligne de chemin de fer entre Kayes, la capitale de la région depuis 1892, et Bamako[12].

Conquête de Tombouctou

Photographie noir et blanc de divers hommes blancs inspectant des troupes coloniales.
Le fort Bonnier construit par le lieutenant-colonel Joffre.

En , Louis Albert Grodet succède au général Archinard comme gouverneur du Soudan français. Paris lui demande d'étendre la conquête française, mais de manière pacifique à la différence de son prédécesseur. En déplacement à Tombouctou avec son secrétaire le lieutenant Boiteux en , Grodet est irrité par les officiers français[13].

Prétextant un danger réel et malgré le refus du gouverneur, le lieutenant-colonel Eugène Bonnier envoie deux colonnes de troupes, terrestre et navale, pour les protéger. La colonne terrestre est confiée au commandant Joffre alors mêlé à « la campagne de 1894 ». Bonnier ayant péri au cours d'une bataille contre les Touaregs, ce sont les hommes de Joffre qui prennent avec succès Tombouctou le [12].

Le commandant des Forces françaises du Soudan français déclare : « D'un esprit élevé, d'un caractère conciliant et très droit, Joseph Joffre a su mettre de côté toutes les questions de peu d'importance qui auraient pu soulever quelques difficultés et compromettre la bonne entente avec les chefs de service […][14]. »

Après la prise et la pacification de Tombouctou, Joffre est promu commandant de la région de Kayes-Tombouctou avec le grade de lieutenant-colonel en . À son départ, la région semble pacifiée. En , il est affecté à l'état-major du génie et devient secrétaire de la commission d'examen des inventions pour l'Armée. Il revoit une ancienne connaissance, Henriette Penon, mariée, avec qui il a une liaison. Un enfant, Germaine, nait le [15] : nul ne saura jamais si l'enfant est bien de Joffre ou du mari de sa maîtresse.

Expédition de Madagascar

Nommé colonel deux ans plus tard, il participe sous les ordres du général Joseph Gallieni, gouverneur général de Madagascar, à la campagne de colonisation de l'île lancée depuis les années 1895 et 1896. Joffre est alors chargé de la fortification du port de Diego-Suarez pour lutter contre la poche de résistance malgache qui irrite beaucoup Gallieni[16].

À cause d'intrigues politiques, il est contraint de repartir en métropole en [alpha 3]. Entre-temps, il est promu général de brigade et rappelé par Gallieni. Joffre est de retour à Madagascar pour achever sa mission en [17].

Son travail exécuté, il retourne en France au cours du printemps 1903 ; il est fait commandeur de la Légion d'honneur[18].

À la tête de l'armée française

Après un bref passage comme commandant de la 19e brigade de cavalerie à Vincennes, il est nommé directeur du génie au ministère de la Guerre en . Le , âgé de cinquante-trois ans, il épouse civilement Henriette Penon[1]. La même année, il obtient sa troisième étoile de général de division et devient en 1906 le nouveau chef de la 6e division d'infanterie à Paris, puis il est nommé inspecteur permanent des écoles militaires en [6]. En , le divisionnaire prend en charge le commandement d'un corps d'armée : le 2e corps d'armée à Amiens. C'est de ce poste qu'il est chargé par le gouvernement Clemenceau de réprimer, à la tête de 50 pelotons de cavalerie, en 1909, la grève des boutonniers de l'Oise, notamment dans le canton de Méru[19].

Le général Joffre devient membre du Conseil supérieur de la guerre en . Il prend une part active dans l'élaboration des plans de mobilisation, qui induisent les opérations militaires à mener contre l'Allemagne[20].

Photographie noir et blanc de 4 hommes debout, deux en uniforme et deux en civil.
Grandes manœuvres de 1911, au premier plan de gauche à droite : Joffre, le ministre Adolphe Messimy, le général Chomer (la personne en civil à droite n'est pas identifiée).

Le , le général Michel, chef d'état-major et président du Conseil supérieur de la Guerre, présente son plan XVI. Celui-ci propose une attente défensive et un élargissement du front jusqu'à la Belgique en mobilisant tous les réservistes. Ce plan est rejeté à l'unanimité par les membres du Conseil. Le , qualifié d'« incapable » par le ministre de la Guerre Adolphe Messimy, Michel est destitué de ses fonctions en Conseil des ministres[21].

Messimy réforme alors le haut commandement militaire français. Les fonctions de chef d'état-major général et de généralissime ne font plus qu'une. Dans un premier temps, le général Gallieni, 62 ans, est consulté pour prendre la tête de l'Armée ; mais il refuse en faisant état de la limite d'âge (64 ans) et de sa santé fragile. Deux autres généraux sont proposés : Paul Pau et Joseph Joffre. Le général Pau refuse pour deux raisons : son âge également de 62 ans et le fait que le gouvernement aura son mot à dire sur la nomination de ses officiers généraux. Par défaut, c'est Joffre qui est nommé le [22]. Le passé de franc-maçon de Joffre lui a sans doute valu d’être « préféré pour ce poste au général Pau dont la tendance « cléricale » était notoire »[23].

À 59 ans, c'est un des plus jeunes généraux de division de l'époque, également un des rares officiers de haut rang à avoir une expérience internationale (Formose en 1885 et Japon en 1888) et enfin il a été un des brillants artisans de l'enracinement de la France dans tous les territoires d'outre-mer (Tonkin, Soudan français et Madagascar). Le , le généralissime exige la nomination du remuant général Édouard de Castelnau pour le seconder à la tête de l'état-major[24].

En , éclate le coup d'Agadir : il y a danger de guerre. Le président du Conseil Joseph Caillaux se renseigne auprès de Joffre :

« – Général, on dit que Napoléon ne livrait bataille que lorsqu'il pensait avoir au moins 70 % de chances de succès. Avons-nous 70 % de chances de victoire si la situation nous accule à la guerre ? – Non, je ne considère pas que nous les ayons, répond Joffre. – C'est bien, alors nous négocierons… décide Caillaux[25]. »

Conscient des risques de conflit avec l'Allemagne, Joffre réorganise l'Armée. Il obtient des financements importants, met en place les aspects logistiques, les infrastructures indispensables et enfin il mise sur de nouvelles unités : l'artillerie lourde et l'aviation. En dernier lieu, le généralissime consolide durant l’année 1913 les rapports avec l'Empire russe et le Royaume-Uni, avec qui la France s'est engagée militairement au sein de la Triple-Entente depuis [6]. Au cours de l’été 1914, l'Armée française achève de combler une partie de son handicap face au puissant voisin grâce à l'organisation du généralissime Joffre. Le , le généralissime est fait grand-croix de la Légion d'honneur[26].

L’offensive à outrance

La coopération franco-britannique

En , à la suite de la crise d'Agadir occasionnée par l'envoi d'une canonnière allemande, le général Henry Hughes Wilson, directeur des opérations au ministère britannique de la Guerre, se rend à Paris pour suivre les manœuvres françaises. Le Royaume-Uni coopère avec la France mais pousse Caillaux à réagir fermement vis-à-vis de l'Allemagne. Joffre témoigne :

« C'est […] du début de cette période que datent les premières conversations entre l'État-Major français et l'État-Major britannique. Le général Wilson vint en France travailler avec nous et préparer le débarquement éventuel d'un corps expéditionnaire britannique. Il fut le premier et bon ouvrier de cette collaboration[27]. »

Au fil des mois, le rapprochement des Français et des Britanniques se précise. On décide du volume de soldats britanniques disponibles, qui seraient prêts à intervenir en cas de conflit et à quel moment :

« Nous souhaiterions savoir si les relations établies entre états-majors sont la conséquence d'un traité ou d'un accord verbal entre les deux gouvernements, ou bien s'ils résultent d'un consentement tacite entre ceux-ci. En outre, peut-on admettre que, selon toutes probabilités, l'Angleterre serait à nos côtés dans un conflit contre l'Allemagne[28] ? »

Le chef d'État-Major exige que l'Armée soit profondément réformée (la doctrine militaire, les règlements, le matériel, le haut commandement et la mobilisation), alors qu'elle est divisée par l'affaire des fiches et les influences politiques. D'ailleurs, le une loi instituant le service militaire à trois ans est votée[alpha 4]. Le nouveau haut commandement élabore divers plans d'offensive dont le fameux plan XVII. Ce dernier est l'œuvre d'un des stratèges de l'État-Major qui donne des conférences au centre des hautes études militaires, le colonel Louis de Grandmaison pour qui comme pour beaucoup d'officiers français l'objectif primordial est la récupération de l'Alsace-Lorraine perdue en 1871[29]. Joffre fait également établir des thèmes de travail et des règlements qu'on expérimente lors des manœuvres sur le terrain.

Le a lieu une réunion secrète au Quai d'Orsay à Paris, à laquelle le général Joffre est présent : l'objectif est la mise en commun des différentes mesures des États-Majors russe, britannique et français. Rapidement la question de la neutralité belge arrive dans les débats. En à ce sujet, le président du Conseil Raymond Poincaré conseille à Joffre de se montrer prudent afin de ménager l'opinion britannique :

« En tout état de cause, il faudrait assurer qu'un plan de pénétration française en Belgique ne déterminerait pas le gouvernement britannique à nous retirer son concours[30]. »

Joffre prévoit dans son plan XVII une pénétration préventive en Belgique mais le gouvernement l'en dissuade. En effet, en , la Belgique est toujours neutre en vertu des traités de 1831 et 1839. Ceux-ci lui font un devoir de se défendre contre toute intrusion militaire et d'appeler immédiatement ses garants qui sont la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Dans le cas d'une initiative militaire française, la Belgique se trouverait ipso facto obligée d'appeler le Royaume-Uni à son secours, mais aussi l'Allemagne[31]. Donc si la France violait la première la neutralité belge, il en résulterait un embarras diplomatique avec l'Angleterre et cela donnerait un avantage numérique consolidé à la Triplice[31].

Mise en place du plan XVII

Carte de la région franco-belge avec diverses flèches (rouges et bleus).
Les axes d'attaque prévus par le plan Schlieffen (de 1905, en rouge) et par le plan XVII (en bleu).

Durant l'année 1913, l'État-Major prépare le nouveau plan de mobilisation et de concentration de l'Armée de terre française. Les différents documents donnant les ordres à appliquer en cas de mobilisation sont envoyés aux unités pendant l'hiver 1913-1914, le plan devenant applicable[32] à partir du sous le nom de plan XVII. Il prévoit la mobilisation des réservistes, permettant d'augmenter massivement le nombre d'unités, puis leur transport ferroviaire jusqu'aux zones de concentration dans le Nord-Est de la France, ainsi qu'un déploiement de couverture pendant toute la période, d'une durée de 17 jours. Le déploiement planifié, avec de multiples variantes, induit les opérations projetées : deux offensives françaises sont prévues, l'une sur le plateau lorrain entre Vosges et Metz (par les 1re et 2e armées), l'autre dans le Thionvillois entre Luxembourg et Diedenhofen, ou dans le Luxembourg belge en cas d'invasion allemande de la Belgique (par les 4e et 5e armées). Entre les deux, les fortifications mosellanes doivent être encerclées (par la 3e armée)[33].

Le plan est complété par le règlement d'infanterie en vigueur à ce moment : selon lui, la victoire dépend de la supériorité des forces morales, en s'appuyant sur l'esprit combatif et à la volonté des soldats : c'est le principe de l'offensive à outrance. Stratégiquement, pour Joffre, la clé de la victoire c'est de « rompre le front adverse pour déboucher sur les vastes espaces où la « vraie » guerre pourrait avoir lieu[34] ». Pourtant certains se montrèrent dans leurs écrits ultérieurs plutôt hostiles aux idées du généralissime : c'est le cas du capitaine Bellanger, du général Estienne, du général Lanrezac et du colonel Pétain. Ces derniers préconisent plutôt la puissance matérielle de l'artillerie, la manœuvre et l'initiative. D'autant que l'État-Major général sous-estime la puissance militaire allemande. Helmuth von Moltke dirige une armée rapide, facilement manœuvrable et appliquant une double tactique à la fois offensive (par prise de flanc) et défensive (appui des mitrailleuses). Joffre est à la base un officier du génie qui n'a pas reçu les enseignements de l'École de guerre. Il n'a qu'une maigre expérience de la direction d'une armée et il fait confiance aveuglément au plan XVII en minimisant le rôle de l'artillerie lourde[35].

Depuis 1905, l'État-Major français est en possession des grandes lignes de l'ancien plan Schlieffen, fourni par un officier allemand félon, qui prévoit un vaste enveloppement par la Belgique et la prise de Paris[36]. Le général Joffre, qui doit diriger les opérations en cas de guerre, est persuadé que les Allemands ne vont pas utiliser toutes leurs réserves comme le prétendait le général Michel et qu'ils ne pourront pas à la fois mener une grande offensive en Belgique, comme leur plan le prévoit, et repousser les assauts du plan XVII en Lorraine. Ce que le généralissime n'a pas prévu, c'est qu'en Lorraine l'ennemi a rassemblé des forces importantes et qu'il a la supériorité du feu (mitrailleuses et artillerie lourde). La plupart des officiers français, eux, ne veulent pas entendre parler de ces armes modernes ; ils les jugent superflues… Excepté le canon de 75, l'artillerie française est très inférieure à l'allemande. Début 1914, l'artillerie lourde française est constituée de 280 pièces pour 848 à l'artillerie allemande[37].

Échec du plan XVII : « Surtout, pas d'affolement ! »

Photographie noir et blanc de trois hommes en uniforme, un lisant un document et un autre tenant un dossier dans la main.
Les généraux Castelnau (à gauche) et Joffre (centre), vers -.

Le , le Royaume-Uni demande à la France et à l'Allemagne si elles s'engagent à respecter la neutralité belge en cas de guerre : la France accepte. Le lendemain, Joffre obtient l'autorisation du ministre de la Guerre de replier les troupes de couverture à dix kilomètres de la frontière afin d'éviter toute provocation. Grâce à cette tactique, si les armées allemandes veulent entrer au contact des armées françaises, elles devront franchir la frontière, assumant le rôle d'agresseur. La France pourra alors condamner l'Allemagne et s'assurer la faveur de l'opinion publique britannique et l'aide militaire future de la Grande-Bretagne. Ceci d'autant plus que celle-ci est tenue, par son engagement de garante de la neutralité belge, d'intervenir contre l'Allemagne qui avait elle-même garanti la neutralité belge. En attendant, le Royaume-Uni reste réservé, attendant l'initiative allemande[38].

Le , l'Allemagne et la France décrètent la mobilisation générale. Le , l'ambassadeur d'Allemagne Wilhelm von Schoen se présente au président du Conseil René Viviani pour lui remettre la déclaration par laquelle l’Allemagne déclare la guerre à la France. Le , l'Allemagne lance un ultimatum à la Belgique d'avoir à laisser passer ses troupes (qui vont attaquer la France suivant le plan Schlieffen). Le , le roi des Belges Albert Ier et le gouvernement belge soutenus par le Parlement, rejettent l'ultimatum et annoncent que la Belgique se défendra. Le Royaume-Uni annonce le lendemain son intention de se battre aux côtés de la Belgique pour honorer sa garantie de la neutralité belge. Dans la nuit du 5 au , six brigades allemandes tentent un coup de main sur Liège, prennent le fort de la Chartreuse, puis la ville et sa citadelle mais échouent face aux autres forts[39]. Le , Joffre, qui ne vole pas au secours des Belges, mis à part en envoyant le corps de cavalerie Sordet tenter la liaison, laisse les Allemands dérouler leur stratégie et ordonne aux 1re et 2e armées françaises de passer à l'offensive en Lorraine et en Alsace pour attaquer de front les troupes allemandes : c'est la bataille des Frontières[40]. Quant aux Britanniques, ils entrent en Belgique et placent à Mons leur armée limitée à quatre divisions car ils ne sont pas en force pour s'aventurer plus à l'est et au nord pour aider les Belges.

Le Grand Quartier général (GQG) de Joffre (au )
Poste Titulaire du poste Période
Commandant en chef des opérations Gal Joffre -
Major général Gal Belin -
1er aide major général Gal Berthelot -
2e aide major général Gal Deprez -
Directeur de l'arrière Gal de Ladebat -
L'organisation sur le terrain du général Joffre (au )
Armée Général commandant
cette armée
Secteur Période
1re armée Augustin Dubail Vosges -
2e armée Édouard de Castelnau Lorraine orientale -
3e armée Emmanuel Ruffey Lorraine occidentale -
4e armée Fernand de Langle de Cary Aisne-Ardennes -
5e armée Charles Lanrezac Ardennes-Belgique -
armée des Alpes Albert d'Amade Alpes -
armée d'Alsace Paul Pau Alsace -

Alsace

Joffre confie le commandement de l'armée d'Alsace à l'un de ses proches collaborateurs, le général Pau, dont l'objectif est de libérer en quelques semaines la province perdue. Une partie de la 1re armée dirigée par le général Augustin Dubail entre en Alsace par Belfort puis s'établit sur le bord du Rhin le . Le VIIe corps d'armée entre à Thann le et à Mulhouse le [alpha 5]. À Paris on félicite Joffre :

« Mon général, l'entrée des troupes françaises à Mulhouse, aux acclamations des Alsaciens, a fait tressaillir d'enthousiasme toute la France. La suite de la campagne nous apportera, j'en ai la ferme conviction, des succès dont la portée militaire dépassera celle de la journée d'aujourd'hui. Mais, au début de la guerre, l'énergique et brillante offensive que vous avez prise en Alsace nous apporte un précieux réconfort. Je suis profondément heureux, au nom du Gouvernement, de vous exprimer toute ma gratitude. »

— M. Messimy, ministre de la Guerre, au général Joffre, [41].

Cependant, la contre-offensive allemande est terrible et rapide, le général Pau est contraint d'évacuer l'ensemble de l'armée d'Alsace le . Seules Thann et sa région restent françaises jusqu'à la fin de la guerre. Cette nouvelle provoque un vent d'inquiétude dans toute la France.

Photographie noir et blanc d'un défilé ou des cavaliers en armure parade et acclamé par la foule. Une femme au premier plan tend la main vers un cavalier.
La cavalerie lourde, en armure, paradant à travers Paris avant de rejoindre le front, .

Lorraine

La Lorraine française est quadrillée d'un réseau de places fortifiées conçu par le général Séré de Rivières au lendemain de la guerre de 1870 (places de Verdun, de Toul, d'Épinal et de Belfort)[42]. Joffre ordonne à la 3e armée d'avancer jusqu'à Sarrebruck puis de lancer une offensive sur le Luxembourg. La 2e armée dirigée par Castelnau s'engage sur le secteur de Morhange le . C'est un véritable « carnage » : l'infanterie française perd 8 000 hommes en deux jours (bataille de Morhange)[43]. Le , Castelnau ordonne le repli sur Lunéville.

L'autre partie de la 1re armée de Dubail est impliquée dans la bataille de Sarrebourg, où le commandant parvient à maintenir ses positions ; mais faute de renfort à l'ouest par la 2e armée, il doit se replier également. Forts de leurs contre-offensives, les Allemands se lancent sur Nancy, où ils sont repoussés par le 20e corps d'armée dirigé par le général Foch[43].

Ardennes

Lorsque Joffre apprend que les troupes allemandes pénètrent en Belgique, il réoriente la 5e armée du général Lanrezac vers le nord pour couvrir les autres armées du mouvement tournant sud-sud-ouest prévu par le plan Schlieffen[alpha 6]. Joffre ordonne à la 5e armée d'attendre devant Mézières et d'affronter la IIe armée de Bülow à son arrivée. Plus à l'ouest, le corps expéditionnaire britannique affronte la Ire armée allemande de Kluck à Mons. Cependant manquant d'hommes, Lanrezac fait appel à une division de réserve, qui arrive trop tard. Le , Lanrezac rencontre Joffre en personne et lui expose une seconde fois sa crainte d'une grosse offensive allemande sur l'ouest[43].

Les Belges, quant à eux, qui ne peuvent compter, à ce stade de la guerre, sur l'arrivée des Britanniques et des Français, se replient sur Anvers le après des combats d'arrière-garde sur la Gette (bataille de Haelen). Quant aux Britanniques, n'étant pas en nombre suffisant pour participer offensivement à la bataille commune avec quatre divisions, ils tentent d'affronter l'armée allemande à Mons le . C'est au soir de ce même jour que Lanrezac ordonne, de son propre chef, la retraite de son armée vers Maubeuge pour éviter un « nouveau Sedan », c'est-à-dire un enveloppement complet de son armée par l'ennemi. Joffre est furieux[44].

Le bilan à la fin du mois d’ est lourd pour l'État-Major français. Ses différentes attaques se sont révélées inutiles et surtout désastreuses : on estime les victimes à plus de 100 000 morts côté français, des soldats en capote bleue et au pantalon rouge qui attaquent de front face aux mitrailleuses allemandes. Quasiment toutes les armées françaises battent en retraite et sont dans l'ensemble désordonnées. Joffre ordonne qu'on pourchasse et qu'on exécute non seulement les fuyards mais également tout officier faisant preuve « d'insuffisance et de faiblesse, mais encore d'incapacité ou de lâcheté manifeste devant l'ennemi »[45]. Depuis le , le gouvernement autorise le commandement militaire à faire exécuter les sentences de mort[46]. Devant ce qui peut laisser augurer une défaite française, l'État-Major allemand décide de se diriger sans tarder sur Paris, pensant que la prise de la capitale pourrait entraîner l'effondrement de la France.

« Nos troupes si visibles avec leurs culottes rouges, nos officiers plus visibles encore avec leur tenue différente de celle de la troupe et l'obligation que leur faisait le Règlement de se tenir nettement hors du rang, s'étaient aventurées sur des polygones parfaitement repérés, où artillerie et infanterie tiraient à coup sûr. »

— Capitaine Georges Kimpflin, Le Premier Souffle[47].

« L'erreur de nos états-majors dirigeants a été de ne croire qu'à la guerre de mouvement et de nier la guerre de siège, de la nier non seulement avant, mais pendant la guerre elle-même. »

— Général Rouquerol[34].


« Je ne sais qui l’a gagnée, mais je sais qui l'aurait perdue »

La bataille de Guise

Joffre ordonne à la 5e armée de Lanrezac le lancement d'une offensive de flanc contre la IIe armée allemande autour de Guise afin de soulager d'une part le corps expéditionnaire anglais épuisé et d'autre part pour reprendre Saint-Quentin. Le , le général Douglas Haig fait savoir que son corps ne pourra pas renforcer Lanrezac à Saint-Quentin[48].

À l'est, les hommes du général Langle de Cary (4e armée) se battent héroïquement face aux Allemands. Le commandant en chef vient en personne au QG de Lanrezac ; il est très optimiste et il espère une belle offensive sur Saint-Quentin :

« Pousser l'attaque à fond, sans s'inquiéter de l'Armée anglaise. »

— J. Joffre, 28 août 1914

Le , Bülow lance une grande offensive sur Guise. Le 10e corps d'armée et la 51e division de réserve sont contraints de reculer. L'attaque sur Saint-Quentin est désormais impossible, sinon la 5e armée risque d'être prise en écharpe. Joffre revient au QG de Lanrezac qui doit modifier l'avancée. Au lieu d'attaquer Saint-Quentin, le 3e corps d'armée oblique sur la droite pour attaquer Guise par l'ouest. Ce dernier est aidé par le retour du 10e corps qui attaque par le sud. La supériorité numérique allemande est écrasante, et Bülow est maître de l'Oise[49].

Le 1er corps du général Franchet d'Esperey est dépêché sur place. Il dirige l'assaut contre les troupes et les ponts : le Xe corps allemand est arrêté puis l'ensemble de l'armée allemande bat en retraite vers le nord. Le 18e corps français s'arrête aux portes de Saint-Quentin. Le commandant allemand appelle alors son homologue von Klück afin qu'il vienne en renfort à la tête de sa Ire armée. Cette dernière, qui se dirigeait sur Paris, change sa direction et bifurque vers le sud-est[49], offrant son flanc aux armées françaises. C'est à ce moment que manquent les 150 000 hommes retenus en Belgique par le siège de la place forte d'Anvers, la plus grande du genre en Europe avec ses trois ceintures de forteresses, depuis laquelle les Belges lancent trois sorties successives entre la fin et la mi , empêchant le commandement allemand de renforcer ses armées qui marchent sur Paris et dans l'Est de la France.

Stratégie de Joffre

Organisation sur le terrain du général Joffre (au )
Armée Général commandant
cette armée
Secteur Période
1re armée Augustin Dubail Vosges -
2e armée Édouard de Castelnau Lorraine orientale -
3e armée Maurice Sarrail Lorraine occidentale -
4e armée Fernand de Langle de Cary Aisne-Ardennes -
5e armée Louis Franchet d'Espèrey Ardennes-Belgique -
6e armée Michel Maunoury[alpha 7] Paris -
9e armée Ferdinand Foch Autour de Paris -
Illustrant montrant un homme en uniforme de général, des jumelles en main et le drapeau français derrière lui.
Représentation du général Joffre (1914-1915).

Le , Joffre esquisse la nouvelle situation stratégique. Il a la bonne idée de déplacer l'aile gauche de la 5e armée sur Paris, puisque les Allemands ont pour objectif la capitale française et l'enveloppement des armées. Le commandant en chef en profite pour rencontrer Lanrezac au QG de la 5e armée à Sézanne. Accompagné du commandant Maurice Gamelin, il lui annonce qu'il est obligé de lui enlever le commandement de l'armée, où il sera remplacé par Franchet d'Esperey :

« Vous faites des observations à tous les ordres qu'on vous donne ! »

— J. Joffre, 3 septembre 1914[50]

Lanrezac dira à la suite de cette entrevue :

« À la place du général Joffre, j'aurais agi comme lui ; nous n'avions pas la même manière de voir les choses, ni au point de vue tactique ni au point de vue stratégique ; nous ne pouvions pas nous entendre. »

— C. Lanrezac, 1920[51]

Pourtant, dès le début de la guerre Joffre avait observé :

« Si je venais à manquer, c'est Lanrezac qui devrait me remplacer »

— J. Joffre, été 1914[52]

Le généralissime prépare un piège à l'ennemi :

  • Si les Allemands attaquent Paris et Verdun, ils affaiblissent leur centre.
  • S'ils négligent au contraire ces forteresses et qu'ils attaquent les lignes françaises, ils exposent leurs flancs à une double manœuvre enveloppante préparée entre Paris et Verdun.

Joffre met son plan en marche :

  • Verdun est renforcé et prêt à soutenir un siège.
  • la 6e armée est créée des suites de l'armée d'Alsace () ; l'objectif de son commandant, le général Maunoury est double : couvrir Paris et envelopper par la gauche les armées ennemies ;
  • la 9e armée est créée avec des éléments des 3e et 4e armées () ; l'objectif de son commandant, le général Foch, est de lancer des offensives centrales, appuyées par la 4e armée de Langle de Cary ;
  • la 3e armée confiée au général Maurice Sarrail a également un double objectif : envelopper par la droite les armées ennemies et gérer la défense des forts de la Meuse (Verdun) ;
  • Joffre prend personnellement le commandement du camp de Paris.

Le , Franchet d'Esperey arrive à proximité de la Marne avec sa 5e armée. Le général Maunoury dirige la protection de la capitale extra muros pendant que la protection intérieure est organisée par le général Gallieni, gouverneur militaire de Paris. Sarrail s'apprête à enrayer la Ve armée du Kronprinz. Quant à Joffre, qui transfère son Quartier général de Vitry-le-François à Bar-sur-Aube, il organise l'ensemble avec un calme imperturbable[53].

Face à la menace, le gouvernement a quitté Paris pour Bordeaux. Durant la journée, un avion d'observation de la 6e armée décèle un changement important dans la marche des armées allemandes : une colonne ennemie se détourne de Paris pour se rabattre sur Meaux. Gallieni, qui vient de comprendre la manœuvre d'enroulement allemande en informe le GQG et demande l'autorisation de lancer la 6e armée dans le flanc de cette armée ennemie[54].

Le , après plusieurs heures de réflexion et un problème de coordination avec Gallieni, le général Joffre est décidé : il va attaquer. Le au matin, il lance toutes les armées à l'attaque.

« Gallieni me demandait au téléphone. Il venait de rentrer de son quartier général. Il avait trouvé mon télégramme lui prescrivant de porter la 6e armée sur la rive gauche de la Marne, au sud de Lagny. Cette prescription venait modifier les ordres que Gallieni lui-même avait donnés à Maunoury pour le lendemain après-midi. Je le rassurai en lui faisant connaître que, depuis l'envoi de mon télégramme de treize heures, j'avais pris la résolution d'engager une offensive générale à laquelle la 6e armée devait participer […][55] »

Bataille de la Marne

La tactique de Joffre est claire : les ailes gauche (6e armée, appuyée par la 5e armée et l'armée anglaise) et droite (3e armée) ont pour mission d'envelopper les armées allemandes et le centre (9e et 4e armées) de les déstabiliser par des offensives frontales. Le , dans l'après-midi, le général Maunoury lance ses hommes dans une attaque enveloppante entre l'Ourcq et Château-Thierry. Les hommes de French, de Franchet d'Esperey et de Foch appuient cette attaque. Le commandant en chef prend le soin d'envoyer un message aux troupes :

« Au moment où s'engage une bataille d'où dépend le salut du Pays, il importe de rappeler à tous que le moment n'est plus de regarder en arrière. Une troupe qui ne peut plus avancer devra coûte que coûte garder le terrain conquis, et se faire tuer sur place, plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée »

— J. Joffre, [56]

L'ensemble des armées lance l'offensive le lendemain à l'aube. Sur l'aile gauche, von Klück, occupé avec le mouvement enveloppant de Maunoury, n'arrive pas à venir à bout de l'armée de Foch pourtant épuisée mais qui tient bon. Sur l'aile droite, Sarrail est en mauvaise posture entre Paris et Verdun, ses corps sont durement touchés, le chef de la 10e division est mort au combat[54]. Le , les Allemands arrivent même à ouvrir une brèche entre la 3e et la 4e armée. La situation est critique pour Sarrail. Le lendemain, le 15e corps de la 2e armée lui arrive en renfort. Au soir du , les armées sont épuisées et le bilan est un statu quo :

  • à gauche, von Klück enraye le mouvement de Maunoury ;
  • au centre, Foch et Langle de Cary contiennent à peine les affrontements frontaux ;
  • à droite, Sarrail se maintient à grand peine et est menacé de dos.

La clé de la victoire vient de l'arrière français : l'armée de French et la 5e armée de Franchet d'Esperey sont encore fraîches alors que les Allemands n'ont plus de réserves pour le moment. Le , von Klück lance des assauts désespérés contre Maunoury, qui est mis à mal mais qui obtient des renforts en hommes et en matériels de Gallieni par le biais des fameux taxis de la Marne. De son côté, Foch est appuyé par le 10e corps de la 5e armée et par la division marocaine du général Humbert. Les Allemands entament leur retraite. Le , Franchet d'Esperey envoie alors l'ensemble de ses lignes à la poursuite de l'ennemi et libère Château-Thierry et Montmirail[57].

Le , Joffre annonce la victoire au gouvernement :

« Notre victoire s'affirme de plus en plus complète. Partout l'ennemi est en retraite. À notre gauche, nous avons franchi l'Aisne en aval de Soissons, gagnant ainsi plus de cent kilomètres en six jours de lutte. Nos armées au centre sont déjà au niveau de la Marne et nos armées de Lorraine et des Vosges arrivent à la frontière. »

— J. Joffre, [57]

À la base la victoire a été permise grâce au général Lanrezac, un officier de génie non reconnu par Joffre qui, par sa victoire à Guise, a neutralisé en partie l'armée de von Bülow qui devait rejoindre von Klück sur Paris. Bien entendu, elle a découlé des conceptions de l'État-Major général, à la base de la création des 6e et 9e armées qui ont eu un rôle majeur, mais elle n'a pas suivi la tactique d'enveloppement de départ préparée par Joffre. Les généraux Gallieni et Maunoury, véritables artisans sur le terrain de la victoire, ont obligé l'ennemi à découvrir son centre droit, où une brèche s'est ouverte pour les hommes de French et de Franchet d'Esperey[58].

Stabilisation du front

Carte de l'est de la France avec des annotations bleues et rouge pour indiquer les positions françaises et allemandes et le front.
Le front occidental durant l'automne-hiver 1914.

Première gloire

La bataille de la Marne couvre de gloire le général Joffre qui, aux yeux de tous, est le véritable vainqueur. Face aux quelques polémiques, le général Pétain dit : « Que cela plaise ou non, Joffre est à jamais le vainqueur de la Marne[59]. » Le commandant en chef a permis de sauver Paris et d'éviter à l'armée française l'anéantissement. Dans tout le pays ainsi que chez les Alliés, Joffre jouit d'une très grande popularité. Le « vainqueur de la Marne » fait l'objet d'un véritable culte qui va se maintenir jusqu'à sa mort. Une certaine « joffrolâtrie » s'installe en France. De nombreuses images d'Épinal montrent le chef comme le vainqueur ayant écarté le danger. Des poèmes, des assiettes, des statuettes à son effigie mettent en avant sa gloire. Entre 1915 et 1918, 398 garçons sont prénommés « Joffre » et 700 filles « Joffrette » en France[60]. Il incarne le « père » tranquille et protecteur qui tient dans ses bras la République (allégorie du journal Le Rire rouge, automne 1914)[61].

Pourtant, l'ennemi renaît rapidement de ses cendres sur l'Aisne. L’État-Major français comprend alors que la guerre, qu'on pensait conclure en quelques semaines, risque d'être plus longue que prévu.

Une seconde responsabilité incombe à Joffre : préparer la France à une guerre longue et éprouvante[57]. Il commence par envoyer à Limoges et à assigner à résidence cent trente-quatre généraux qui lui semblent incompétents (de là naîtra le verbe « limoger » et le mot « limogeage »[62] - [63]), il multiplie les inspections sur le terrain, il renforce les contacts avec les forces alliées pour constituer différents fronts d'attaque et enfin il tente de résoudre des problèmes proprement militaires.

L'historien militaire Rémy Porte explique que le ministre Adolphe Messimy renoue avec les accents de la Révolution et le thème de la « patrie en danger » pour inviter fermement le généralissime Joffre à l'intransigeance dans le limogeage des généraux, comme dans son télégramme du 24 août[64] :

« Il n'y a pas d'autre peine que la mise à mort immédiate : les premiers frappés doivent être les officiers coupables s'il en est. La seule loi de la France, à l'heure actuelle, est de « vaincre ou mourir ». […] Éliminez les vieillards sans pitié ».

Le télégramme fut suivi le même jour par sa célèbre lettre[64] :

Mon général,

Vous remettez à ma disposition les généraux Brochin et Gillain. Remettre à ma disposition n'est pas assez, quand il y a eu lâcheté, comme dans le cas du général Gillain.

Vous voudrez bien, à l'avenir, faire venir les officiers relevés de leur commandement au GQC, par automobile, les faire passer en conseil de guerre. J'estime qu'il n'est pas, comme en 1793, d'autres peines que la destitution ou la mort.

Vous voulez la Victoire: prenez en les moyens, rapides, brutaux, énergiques et décisifs.

En tout cas, ne renvoyez pas à l'intérieur des gens qui clabaudent contre vous et nous : mettez les sous clefs, en attendant leur jugement.

S'il le faut, je chargerai le général Gallieni de présider le conseil de guerre permanent qui ne doit pas siéger à Paris, mais aux armées.

Messimy

Joffre continue de veiller aux progrès de l'aéronautique, qui a une place à part entière dans le conflit. Le , il affirme :

« Ces résultats montrent que l'aviation est à même de rendre les plus grands services et de justifier la confiance que le commandement place en elle. »

— J. Joffre, note du [65]

Il doit aussi faire face à une crise des munitions, à un manque de canons lourds, à l'absence de l'artillerie qui se font sentir au cours de la bataille de l'Aisne.

De la course à la mer aux batailles du Nord

Photographie noir et blanc de deux hommes en uniformisant discutant.
Le général Joffre et Albert Ier, roi des Belges, automne 1914.

La bataille de l’Aisne (13 septembre - 24 septembre 1914)

Après leur défaite sur la Marne, les divisions allemandes se replient vers le nord, sur l'Aisne, entre le et le . Quant à Joffre, il veut profiter de sa posture de vainqueur et ordonne aux armées françaises et britanniques d'attaquer les armées ennemies le 13. Encore une fois, il préconise la tactique d'enveloppement du flanc droit allemand. Sur le Chemin des Dames, déjà en 1914, le corps expéditionnaire et la 6e armée ne parviennent pas à venir à bout d'un ennemi équipé d'une puissante artillerie lourde[66].

Le 17, la manœuvre de Joffre est un échec, les Allemands renforcent leur droite avec la VIIe armée de von Heeringen venue en renfort. Mais décidé à en finir en enveloppant par le nord-ouest, il appelle une partie des troupes de Castelnau, stationnées en Lorraine. Le 20, une énergique offensive française est lancée entre Noyon et Péronne. En vain. Les lignes françaises manquent de matériel pour lancer des offensives efficaces (munitions, stocks divers, nourriture, artillerie lourde). Le commandant des forces allemandes, von Bülow, a imaginé un efficace retranchement de ses troupes et lance à son tour des contre-manœuvres qui obligent l'armée française à s'allonger sans cesse vers le nord. Cet étalement du front jusqu'à Dunkerque, c'est le début de la Course à la mer qui réunit les Belges du roi Albert aux Français de Ronarc'h. Le roi accepte de placer son armée sous le commandement de Joffre qui dirige, dès lors, une stratégie globale réunissant les franco-anglo-belges[67].

À partir du , les combats continuent autour du massif de l'Aisne ; l'armée anglaise essuie de lourdes pertes. Trois jours après, le général Castelnau fait son entrée à Noyon, mais il ne peut s'y maintenir longtemps. Cependant, les lignes allemandes sont contenues. Le 22, il faut désormais déloger l'ennemi de ses positions : la 4e brigade du Maroc (tirailleurs sénégalais et algériens) se lance avec beaucoup de courage dans les bois et permet de gagner du terrain. Les prochaines attaques se révèlent infructueuses[67].

De Noyon à Dunkerque (24 septembre - 4 novembre 1914)

La 2e armée subit un ralentissement de son avancée de jour en jour. Joffre rappelle Castelnau à l'ordre :

« Rectifiez la marche de vos deux corps de gauche orientée trop à l'est, et redressez-la franchement vers le nord ! »

— J. Joffre, septembre 1914[67]

En effet, c'est toujours plus vers le nord que tout se joue. Là-bas, la cavalerie allemande du général von Marwitz harcèle les lignes françaises dans le secteur de Ham. Le , Joffre prend connaissance du fait que les Allemands ont amené toutes les forces qu'ils avaient en Belgique après avoir échoué à écraser l'armée belge. Il écrit au ministre de la Guerre Alexandre Millerand, qui est l'un de ses plus fidèles soutiens au sein de la classe politique[68] - [69] :

« Le moment est venu pour l'armée belge d'agir sur les communications de l'ennemi. »

— J. Joffre, 24 septembre 1914[70].

Mais c'est ce que les Belges faisaient depuis le mois d' en adoptant la tactique de l'avant-garde générale, chère à Napoléon, qui consiste à manœuvrer sur les flancs et les arrières ennemis en les attaquant pour gêner ses communications et, surtout, pour l'empêcher de réunir ses forces en un seul corps. C'est cela qui a fait que 150 000 hommes, ainsi que de l'artillerie lourde, manquèrent aux Allemands lors de la bataille de la Marne.

À partir du , l'ensemble des divisions françaises se heurtent à des forces ennemies considérables. Il faut des renforts autour d'Amiens. Joffre organise efficacement la venue de nouvelles divisions par camions et par trains en provenance de Compiègne. Le général Castelnau se maintient péniblement dans le Sud. Il organise plutôt efficacement la situation sur le long terme, mais il n'a pas assez de moyens matériels et d'hommes pour lutter contre von Bülow. Le , les combats font rage au nord d'Arras vers Lens et Béthune. L'objectif du commandement allemand est d'empêcher la remontée des troupes françaises vers le nord avec l'arrivée de nouveaux renforts[67].

Le et le , le 10e corps d'armée de Castelnau subit plusieurs échecs en Artois. Il prévoit de reporter ses troupes en arrière. Mais Joffre lui ordonne d'aller de l'avant, car sinon cela « donnerait l'impression d'une défaite ». Le corps est bombardé dans les faubourgs d'Arras. Joffre préconise aux commandants français qu'ils doivent veiller à ce que l'inviolabilité du front soit maintenue. Il télégraphie aux généraux d'armée :

« Fortifiez-vous le plus possible sur tout votre front. Agissez avec le maximum d'énergie. Nous étudions les moyens de vous amener des renforts. »

— J. Joffre, octobre 1914[70]

Le commandant en chef envoie des renforts, surtout des troupes anglaises et belges dans les Flandres. Les Belges ont pu quitter Anvers après un mois de siège en évitant l'encerclement, rejoignant la côte avec le concours d'une unité française, les fusiliers marins de l'amiral Ronarc'h. Le roi Albert Ier déclare même qu'il est prêt à recevoir les instructions de Joffre. L'objectif est d'aider les Belges à se maintenir sur l'Yser afin d'empêcher toute offensive allemande contre Dunkerque et Calais. Au début du mois de , la sécurité de l'armée française dans le Nord est consolidée surtout avec l'arrivée de la 42e division puis du 9e corps d'armée.

La bataille des Flandres (mi-octobre – mi-novembre 1914)

L'État-Major allemand ordonne la prise de Calais. Les alliés Français, Anglais et Belges mettent tout en œuvre pour défendre la région. C'est le début de la guerre de tranchées. Les Belges tendent des inondations en ouvrant les vannes qui protégeaient la plaine de Flandre de la mer. Les premières lignes d'assaut allemandes s'enlisent et reculent en catastrophe, on se bat pour des îlots de boue, des positions sont disputées pendant des jours et des jours, des villages sont ravagés et, à Ypres, les Anglais prennent, perdent et reprennent plusieurs fois la ville qui est ravagée. C'est le général d'Urbal qui commande les troupes françaises et son armée devient l'armée de Belgique. Au GQG, les généraux Belin et Berthelot, adjoints de Joffre, organisent admirablement les mouvements de troupes entre les divers points du front.

Finalement, l'Allemagne est vaincue dans les Flandres. La seule bataille d'Ypres lui coûte plus de 150 000 hommes. Dunkerque et Calais ne sont plus menacés. Après la victoire de la Marne, celle des Flandres popularise davantage le général Joffre[70]. Mais la guerre n'est pas finie.

Nouvelles offensives : Artois et Champagne

Affiche montrant un homme (Joffre) appuyé sur ses coudes, un aigle noir attaqué par un coq au dessus de sa tête.
« Le silencieux : Joffre
Il ne dit rien mais chacun l'entend. »
Dessin de Charles Léandre paru dans
Le Rire Rouge du .

La stratégie du général Joffre

À partir de l'hiver 1914-1915, le front occidental se stabilise de la mer du Nord à Belfort sur près de 750 km. Le conflit a déjà occasionné la perte de 850 000 hommes aux différents belligérants, que ce soit en morts, disparus, blessés ou prisonniers. Depuis l'épisode de la Marne, Erich von Falkenhayn remplace Moltke à la tête de l’État-Major allemand et en , les lignes allemandes sont en difficulté sur le front russe. Falkenhayn ordonne l'envoi de renforts sur le front oriental[71]. Joffre, qui a connaissance de ce transfert, veut une percée sur le front ouest pour déstabiliser l'ennemi. Le , il met au point deux offensives principales : en Artois et en Champagne ; les opérations seront exécutées par la 4e armée de Langle de Cary et la 10e armée de Maud'huy. En prévision, le généralissime garde à sa disposition deux divisions à Compiègne, une à Soissons, une autre à Bar-le-Duc et enfin les divisions du Gouvernement militaire de Paris. Pour Joffre, il « les grignote » et encore une fois l'année 1915 est marquée par la volonté d'obtenir la « rupture »[72].

Il prévoit également des offensives secondaires en Flandres, en Argonne et en Meuse. Le but est de détourner l'adversaire des zones principales d'attaque d'Artois et de Champagne. Il s'agit principalement des Flandres et de La Boisselle, respectivement confiées à la 8e armée du général d'Urbal et à la 2e armée du général Castelnau. Enfin, le dernier dispositif de Joffre réside dans la présence de deux armées défensives : la 6e armée de Maunoury et la 5e armée de Franchet d'Esperey dans l'Aisne et à Reims[72].

L'opération en Artois (17 décembre 1914 - 15 janvier 1915)

L'offensive artésienne a pour but de « libérer définitivement le territoire national envahi »[34].

Le général Maud'huy, qui est installé à Cambligneul, lance l'attaque le . Ses objectifs sont Vimy et la route Arras-Souchez. Pour désorienter l'ennemi, on commence l'offensive sur La Bassée. Le général Foch, le commandant du groupe du Nord, arrive le 17 pour prendre les opérations en main. Le 21, il lance une attaque sur Carency, mais le terrain se révèle très difficile, les tranchées sont inondées, les hommes épuisés et les fusils enrayés : les pertes françaises sont lourdes. Finalement, l'artillerie française tient tête aux attaques allemandes. Après de nouvelles attaques meurtrières et inutiles, le général Joffre décide de limiter l'action de la 10e armée à des entreprises ponctuelles et de mettre au repos les troupes le [73].

Il est à noter que cette opération artésienne n'est mentionnée ni dans les Mémoires de Joffre ni ceux de son adjoint Foch. Pour le général Fayolle : « Ce projet me paraît stupide, insensé[34]. »

Les opérations en Champagne (20 décembre 1914 - 9 janvier 1915)

Portrait d'un homme moustachu et un képi rouge.
Joseph-Félix Bouchor, Le général Joseph Joffre en 1915, musée Carnavalet.

D'après le dispositif de Joffre, la 4e armée du général de Langle de Cary est couverte à droite par celle du général Sarrail entre l'Argonne et la Meuse. Le Ier corps colonial est le premier à s'élancer le . Il repousse une contre-attaque ennemie, mais les pertes sont lourdes.

Dès le , on se contente d'organiser le terrain conquis et de repousser les contre-attaques allemandes. Le suivant, la 33e division prend des positions importantes de la région. Pourtant, le , le commandant des opérations modifie son plan et ordonne une poussée vers l'est (Perthes-Massiges). Le , il n'y a plus de progression possible, le temps est exécrable et le GQG n'envoie pas assez de munitions. Au total 5 256 soldats ont été tués et la ligne est remontée de deux kilomètres vers le nord[74].

Les offensives secondaires (Flandres et La Boisselle)

En Flandre, Joffre préconise l'attaque à d'Urbal lorsque l'artillerie sera prête. Néanmoins, les Anglais sont tellement impatients que l'attaque est lancée le . Les résultats se révèlent rapidement insuffisants. Le 17, le 20e corps s'empare de 500 m2 de tranchées mais, ailleurs, l'ennemi semble invincible. Le terrain est tellement impraticable que Joffre propose au commandant d'adopter la défensive lorsque c'est nécessaire.

Plus au sud, à La Boisselle, Castelnau ordonne l'attaque le sans même lancer l'artillerie. La contre-attaque allemande est meurtrière, les pertes sont lourdes et les gains faibles. Castelnau suspend l'offensive jusqu'au 24. Ce jour, le 118e régiment prend en partie La Boisselle malgré une violente attaque allemande et garde ses positions[74].

En Argonne, le général Dubail dirige la 1re et la 3e armée. Du 7 au , l'offensive ne rencontre aucun obstacle et s'empare des tranchées ennemies. Mais une contre-attaque provoque 250 morts. Le 13, le terrain est également impraticable dans la Woëvre ; comme ailleurs aucune offensive n'est possible. Le 20, l'infanterie prend avec beaucoup de difficultés Boureuilles, mais menacée d'enveloppement, elle doit se retirer. Globalement, les opérations sont un échec[74].

Enfin, les armées défensives subissent elles aussi de graves revers. Dans l'Aisne, la 6e armée de Maunoury attaque le plateau de Loges, mais elle subit de lourdes pertes (1 600 morts). À Reims, les hommes de Franchet d'Esperey doivent maintenir les forces allemandes pour soulager la 4e armée française mais aucune offensive ne réussit[74].

En Artois comme en Champagne, les offensives sont stériles, aucune avancée marquante en cet hiver 1914-1915. Joffre persiste, le plan est maintenu pour le printemps 1915.

Joffre et l’opinion publique

Le Grand Quartier général (GQG) de Joffre (au )
Poste Titulaire du poste Période
Commandant en chef des opérations Gal Joseph Joffre -
Commandant en chef adjoint des opérations Gal Ferdinand Foch -
Major général Gal Maurice Pellé -
1er aide major général Gal Alphonse-Pierre Nudant -
2e aide major général Gal Frédéric Hellot -
3e aide major général et responsable de l’arrière Cel Camille Ragueneau -

L’organisation sur le terrain du général Joffre (au 22 mars 1915)

Armée Général commandant
cette armée
Secteur Période
1re armée Pierre Auguste Roques Vosges -
2e armée Édouard de Castelnau Lorraine orientale -
3e armée Maurice Sarrail Lorraine occidentale -
4e armée Fernand de Langle de Cary Aisne-Ardennes -
5e armée Louis Franchet d'Espèrey Ardennes-Belgique -
6e armée Pierre Dubois Autour de Paris -
7e armée Gabriel Putz ? -
Détachement « armée de Lorraine » Georges Humbert Lorraine occidentale -
10e armée Louis de Maud'huy Artois -
armée de Paris Joseph Gallieni Paris -

Au , Joffre a, de nouveau, limogé de nombreux généraux. Depuis le début de la guerre on en est à 162 dans la zone des armées (dont 3 commandants d'armée, 24 de corps d'armée, 71 de division, etc.). Les raisons sont multiples : soit le commandant a échoué dans sa mission, soit il est incapable d'assumer ses fonctions, soit encore il fait partie des nombreux officiers généraux républicains placés par le général Louis André lorsqu'il était ministre de la Guerre (1900-1902: affaire des fiches), au cours d'une époque très anticléricale[40].

En ce début d'année 1915, la situation militaire est nouvelle : les deux armées sont bloquées face-à-face ; aucune manœuvre n'est possible. Les généraux sont formés à l'attaque mobile, aux manœuvres, mais pas à une guerre de tranchées. Joffre qui dispose désormais de 2 250 000 hommes, de 286 000 Britanniques et de 110 000 Belges ordonne la reprise de l'offensive pour percer le front allemand et revenir à une guerre mobile comme au début du conflit[75]. Certains de ses subordonnés, tel le général Gallieni, proposent plutôt la défensive, plus appropriée à ce type de conflit. Le lieutenant-colonel Messimy, ancien ministre de la Guerre (1911-1912) devenu chef de corps sur le front, écrit :

« Ces offensives prises partout au hasard, sans idée d'ensemble, sans plan stratégique ! »

— A.-M. Messimy, janvier 1915

Joffre n'en démord pas. Il est hanté à l'idée d'une défaite russe sur le front oriental. Pourtant, malgré des moyens énormes en Champagne, la 4e armée essuie échec sur échec. La percée est ratée en , de nouveau en , de nouveau en . Les pertes françaises sont au total de 92 000 morts. En , Foch conduit en vain la deuxième offensive artésienne avec sept corps d'armée, appuyés par 780 pièces d'artillerie légère, 213 d'artillerie lourde et plusieurs escadrilles aériennes.

La troisième offensive de Champagne (24-29 septembre 1915)

Photographie noir et blanc d'hommes en uniforme militaire qui discutent.
Les généraux Joffre et Bazelaire.

En Artois, une nouvelle offensive est lancée le entre Loos-en-Gohelle et Arras contre la VIe armée du prince Rupprecht. Malgré l'aide des Anglais, les violentes offensives françaises restent stériles : deux semaines plus tard, à peine 600 mètres de terrain sont conquis. Le , une dernière offensive généralisée est lancée, mais les soldats sont épuisés et les pertes sont une nouvelle fois énormes : au total, 2 260 officiers et 100 300 soldats y laissent la vie. Joffre ordonne la suspension de l'offensive[76].

Après l'échec en Artois, zone trop « étroite », Joffre veut concentrer ses attaques sur la Champagne qui semblerait être le secteur de prédilection de l'armée française. On se bat également en Argonne, où la 3e armée de Sarrail prête main-forte sur l'aile droite de la 4e armée. Ici aussi, une seconde fois, les combats sont sanglants. Le , Joffre donne à lire une déclaration à tous les soldats :

« Soldats de la République ! Après des mois d'attente qui nous ont permis d'augmenter nos forces et nos ressources, tandis que l'adversaire usait les siennes, l'heure est venue d'attaquer pour vaincre et pour ajouter de nouvelles pages de gloire à celles de la Marne et des Flandres, des Vosges et d'Arras. Derrière l'ouragan de fer et de feu déchaîné grâce au labeur des usines de France, où vos frères ont nuit et jour travaillé pour vous, vous irez à l'assaut tous ensemble, sur tout le front, en étroite union avec les armées des Alliés. Votre élan sera irrésistible. Il vous portera d'un premier effort jusqu'aux batteries de l'adversaire au-delà des lignes fortifiées qu'il nous oppose. Vous ne lui laisserez ni trêve ni repos jusqu'à l'achèvement de la victoire. Allez-y de plein cœur pour la délivrance du sol de la patrie, pour le triomphe du droit et de la liberté. Joffre. »

— J. Joffre, 24 septembre 1915[77]

L'attaque est lancée le 24 à 9 h 45. Les soldats portent le nouvel uniforme bleu horizon et un casque. Joffre a nommé le général Castelnau responsable de la manœuvre. Ce dernier dirige la 2e armée du général Pétain et la 4e de Langle de Cary. Pétain commence par lancer le corps colonial, mais les réserves arrivent avec du retard. Les pertes sont lourdes. Langle de Cary attaque à gauche, mais la situation est encore pire. Le 27, la situation n'a progressé que de quelques mètres. Pétain suspend l'attaque. Castelnau la relance le 28 mais l'élan est brisé par les gaz asphyxiants. Pris d'urgence, Castelnau doit abandonner l'offensive le 29. Les munitions manquent toujours terriblement :

« En définitive, la lutte sur le front franco-anglo-belge pendant l'année 1915 apparaît comme une course entre notre matériel offensif chaque jour grandissant, et les organisations défensives allemandes de jour en jour plus solides[78]. »

Les opérations en Orient (mars - octobre 1915)

En , le président de la République Raymond Poincaré, déçu des échecs à répétition, propose une percée ailleurs qu'en France, en Serbie par exemple. Joffre y est catégoriquement opposé et menace de démissionner. Poincaré cède. Pourtant l'aventure des Dardanelles revient sur le tapis et c'est Winston Churchill qui en est l'artisan. Il prévoit de rétablir la liaison avec la Russie, de porter un coup contre l'Autriche-Hongrie, d'influencer les Balkans et l'Italie et enfin d'installer l'Angleterre sur les détroits. Joffre ainsi que French et Wilson ne sont pas du même avis. La mission a néanmoins lieu le . C'est un échec sanglant pour les Alliés et l'Angleterre : 20 000 tués sur les 28 000 soldats britanniques partis au front[79].

À la suite de nombreux échecs en Argonne et aux rapports houleux entre les deux hommes, Joffre retire à Sarrail le commandement de la 3e armée. Il est accusé de dissimuler ses erreurs de manœuvre et de ne pas avoir fortifié suffisamment les forteresses dont il avait la charge ; il est remplacé par le général Humbert. Sarrail traite Joffre de « dictateur en puissance »[80]. Cependant, l'ancien commandant a de nombreuses relations au Parlement : on lui propose l'armée de Lorraine ; mais Joffre refuse. Commence une furieuse campagne contre le commandant en chef : Clemenceau, Viviani, Lyautey, Doumer, Painlevé lui sont hostiles. En , Sarrail accepte de prendre le commandement de l'armée d'Orient dont l'objectif est d'entrer à Salonique. L'opération échoue dès . Le , Joffre est contraint de confier à Sarrail le commandement des troupes interalliées de Macédoine.

Le généralissime reste optimiste et rassure le ministre :

« Nous devons avoir la conviction que, en augmentant nos ressources en munitions, en perfectionnant notre organisation matérielle, en donnant plus d'ampleur encore à nos attaques, nous parviendrons à briser les lignes allemandes que nos dernières opérations ont réussi à entamer si largement. Contraints de lutter sur deux fronts, nos adversaires ne pourront pas se constituer des disponibilités aussi fortes que les nôtres, tant que nous n'aurons de notre côté qu'un front à alimenter. »

— J. Joffre, 3 octobre 1915[81]

Verdun et la Somme : l’épuisement du chef

Photographie noir et blanc d'hommes en uniforme marchant sur un terrain boueux.
Le général français Joffre et les généraux britanniques Haig et French sur le front occidental, 1914-1915.

Les conférences de Calais et de Chantilly (décembre 1915)

Les principaux chefs alliés se réunissent d'abord à Calais sous la direction du président du Conseil Aristide Briand. La France prévoit l'envoi de renforts à l'armée d'Orient à Salonique, mais la Grande-Bretagne déclare qu'elle retire ses troupes, avant de revenir sur ses positions. Il est aussi décidé d'évacuer la zone des Dardanelles où au total, 225 000 Britanniques et 40 000 Français ont péri pour rien. Enfin le général Joffre souligne qu'à son goût, la coopération interalliée est nettement insuffisante et il réclame une aide majeure dans la guerre économique[82].

Les jours suivants, ces mêmes chefs se retrouvent à Chantilly pour superviser les plans militaires de l'année à venir. Joffre défend le projet d'une nouvelle offensive — décisive — sur la Somme. Depuis quelques jours, il a une autorité plus importante. Il dirige désormais l'opération de Salonique, il a été nommé commandant de tous les fronts français et il se proclame chef interallié[82].

La tactique de Joffre

Une nouvelle fois, le président Poincaré met en garde Joffre sur les offensives à venir. Il serait selon lui plus sage de lancer des attaques sûres et non plus au hasard. Car au , les pertes françaises depuis le début de la guerre sont de 600 000 hommes. L'opinion continue de gronder. Le général Joffre se défend : sans offensive, Falkenhayn en aurait déjà fini avec les Russes ; on ne peut laisser la France immobile et être envahie ; durant l'offensive de Champagne, les Allemands étaient prêts à lâcher. Foch a la responsabilité de préparer une vaste offensive dans la Somme au moyen de trois armées durant l'été 1916[83].

Sur les conseils des généraux Pétain, Fayolle et Maud'huy, le généralissime tire les leçons des échecs de 1915 et présente une nouvelle tactique d'attaque. Il faut profiter de la guerre immobile pour reprendre son souffle, dit-il. Désormais on va chercher « l'usure de l'ennemi » ; une attaque frontale le déstabilisera, l'artillerie lourde attaquera ses points faibles. D'autre part, on établit également « la décision » : l'effort n'interviendra que si l'usure semble suffisante. Ces nouveautés entraînent une réorganisation totale de l'artillerie à l'échelle de la France. Trois centres de formation pour officiers ouvrent même leurs portes à Châlons, Amiens et Toul. En un an, la production de canons lourds est passée de 740 à plus de 2 000 et celle d'obus de 4 000 à 11 000 par jour. Joffre reconnaît ses erreurs et ne souhaite plus les réitérer[83].

La bataille de Verdun : le début de la fin pour Joffre

Le Grand Quartier général (GQG) de Joffre (au )
Poste Titulaire du poste Période
Commandant en chef des opérations Gal Joseph Joffre -
Major général Gal Maurice Pellé -
1er aide major général Cel Alfred Poindron -
2e aide major général Cel Henri Édouard Claudel -
3e aide major général et responsable de l'arrière Cel Camille Ragueneau -

L’organisation sur le terrain du général Joffre (au 1er février 1916)

Armée Général commandant
cette armée
Période
1re armée Pierre Auguste Roques -
2e armée Philippe Pétain -
3e armée Georges Humbert -
4e armée Henri Gouraud -
5e armée Louis Franchet d'Espèrey -
6e armée Pierre Dubois -
7e armée Étienne de Villaret -
Détachement « armée de Lorraine » Céleste Deprez -
10e armée Victor d'Urbal -
armée de Paris Michel Maunoury -
armée d'Orient Maurice Sarrail -

Le , le général Gallieni met en garde Joffre :

« Toute rupture du fait de l'ennemi survenant dans ces conditions engagerait non seulement votre responsabilité mais celle du gouvernement ! »

— J. Gallieni, 15 décembre 1915

Le généralissime trouve scandaleux que de telles craintes circulent sans son consentement[84]. Le , le GQG avait trouvé nécessaire de désarmer en partie les forts de la Meuse pour en transférer les canons sur la Somme. Il ne manque pas de rappeler à Gallieni qu'il a, lui seul, la conduite des opérations. À ceux qui trouvent cela risqué il répond : « Mais non ! Les Allemands n'attaqueront pas dans ce secteur ! ». Le lieutenant-colonel Émile Driant, député et commandant des 56e et 59e bataillons de chasseurs à pied, est l'un de ceux qui sont réputés alarmistes : Joffre menace de le déférer en Cour martiale[85].

De son côté, Falkenhayn se rend compte que la situation est critique pour l'Allemagne, dans les domaines militaire comme économique : il faut « saigner » l'ennemi à tout prix. Dans un premier temps, il choisit Belfort, puis redoutant la réaction helvétique, il se concentre sur Verdun. C'est une place forte stratégique française mais qui manque de communications : il sait qu'une partie du chemin de fer est de l'autre côté du front, les renforts français n'arriveront que par une petite voie au compte-gouttes. En parallèle, la 2e armée s'engagera en Champagne et la 3e sur la Somme. L'attaque est lancée le [85].

Joffre et Foch, très occupés à la préparation de l'offensive sur la Somme, sont totalement pris au dépourvu. Les Allemands bombardent Verdun sans arrêt pendant trois semaines. Le fort de Douaumont est pris le et en quelques jours, les pertes françaises sont hallucinantes : 25 000 soldats hors de combat, 150 pièces d'artillerie détruites, une bande de km perdue. Pourtant les Poilus tiennent le coup. À son tour, le fort de Brabant est pris le 24 et le général Herr, responsable de la région fortifiée, est débordé. Le général Langle de Cary, qui commande le groupe d'armées du Centre, ordonne le repli sur la rive gauche de la Meuse. Le généralissime reste calme et ordonne fermement de ne pas abandonner la rive droite de la rivière[85].

Joffre nomme le général Pétain commandant de la défense de Verdun et il envoie Castelnau sur place pour diriger les opérations. Dès le , Pétain organise ses forces afin de prendre en tenaille l'avance allemande ; le lendemain, la 3e armée du général Humbert est même placée sous son commandement direct. Le général en chef télégraphie à Pétain :

« Tout chef qui dans les circonstances actuelles donnera un ordre de retraite sera traduit devant un Conseil de guerre ! »

— J. Joffre, février 1916[86]

Enfin il ordonne à Pétain une contre-offensive et à Dubail une attaque par le flanc sud. Le , Pétain frappe avec 660 pièces d'artillerie lourde. La Voie sacrée permet l'acheminement de 23 000 tonnes de munitions et de 190 000 soldats. Le 6, nouvel assaut de Falkenhayn qui provoque de grosses pertes côté français. Joffre est critiqué au Parlement. Gallieni, ministre de la Guerre entre en conflit avec le généralissime et évoque publiquement les erreurs commises à Verdun. Pourtant Briand ne le suit pas et il doit démissionner. Le général Roques, un ami personnel de Joffre, le remplace. Le haut commandement allemand échoue, ses attaques sur la rive droite de la Meuse sont endiguées et ne donnent pas de meilleurs résultats sur la gauche. Pétain s'exclame : « Courage, on les aura ! » Le Joffre écrit à ses soldats :

« Soldats de l'armée de Verdun ! Depuis trois semaines, vous subissez le plus formidable assaut que l'ennemi ait tenté contre vous. L'Allemagne escomptait le succès de cet effort qu'elle croyait irrésistible et auquel elle avait consacré ses meilleures troupes et sa plus puissante artillerie. Elle espérait que la prise de Verdun raffermirait le courage de ses alliés et convaincrait les pays neutres de la supériorité allemande. Elle avait compté sans vous ! Nuit et jour, malgré un bombardement sans précédent, vous avez résisté à toutes les attaques et maintenu vos positions. La lutte n'est pas encore terminée, car les Allemands ont besoin d'une victoire. Vous saurez la leur arracher. Nous avons des munitions en abondance et de nombreuses réserves. Mais vous avez surtout un indomptable courage et votre foi dans les destinées de la République. Le pays a les yeux sur vous. Vous serez de ceux dont on dira : « Ils ont barré aux Allemands la route de Verdun ». J. Joffre »

— J. Joffre, 11 mars 1916[87]

Joffre, qui trouve Pétain finalement trop défensif, décide de le remplacer à compter du par le général Robert Nivelle. Le suivant, le général Mangin lance sa 37e division et approche de Douaumont. Globalement chacun reste sur ses positions. Le , le généralissime se rend à Verdun pour planifier avec Nivelle et Mangin une nouvelle attaque. L'assaut est donné le , tout se passe comme prévu. On progresse de trois kilomètres et le , le général Mangin parvient à reprendre le forts de Vaux et Douaumont. Joffre est ébloui : « Magnifique, incomparable Mangin ! » Le , huit divisions reprennent le haut de la Meuse et 25 000 Allemands sont mis hors de combat. La bataille de Verdun est terminée[88].

L’offensive sur la Somme

Photographie noir et blanc d'un homme moustachu en uniforme militaire (de nombreuses médailles sont visibles sur son torse) et sa signature sous la photo.
Le général et sa signature, 1917.

Les plans ont été mis au point par les généraux Foch, Joffre et Haig. Il faut attaquer sur les deux rives. Joffre est irrité par les renforts toujours croissants demandés par Pétain à Verdun. Foch qui voulait 42 divisions et 1 700 pièces d'artillerie lourde aura finalement 22 divisions et 540 pièces. Bien entendu, en terrain découvert, la préparation n'échappe pas au haut commandement allemand. Foch envisage deux attaques : une « à cheval » sur la Somme pour appuyer une offensive britannique. Le général Fayolle rappelle qu'il faut mener un assaut organisé et conduit d'objectif en objectif, précédé d'une préparation de l'artillerie lourde. Le généralissime abandonne définitivement l'offensive à outrance[89].

Le , l'attaque est lancée à l'aube. La 6e armée de Foch avance de dix kilomètres et fait 8 000 prisonniers, en revanche les Britanniques peinent à franchir les premières positions allemandes. Le général Haig ordonne leur repli ce qui rend Joffre furieux : « Vous attaquerez ! Je le veux ! » crie-t-il[90]. Finalement, les Anglais sont renvoyés sur le front et Falkenhayn doit transférer des batteries de Verdun à la Somme. Le , les chars blindés sont utilisés. En , Joffre écrit à ses soldats :

« Le moment approche où sous la poussée commune s'effondrera la puissance militaire allemande. Soldats de France, vous pouvez être fiers de l'œuvre que vous avez accomplie déjà. Vous êtes décidés à l'accomplir jusqu'au bout ; la victoire est certaine. »

— J. Joffre, août 1916[90]

Rapidement un conflit naît entre les commandements français et britannique. Haig se décharge des ordres de Joffre. Le généralissime lui demande de se reprendre, en vain. La grande bataille prévue n'aura pas lieu. Dès le mois de , les combats baissent en intensité et le mois suivant, la bataille est quasiment terminée. Joffre et Foch sont déçus, ils ont aéré Verdun, ils ont saigné les Allemands (Falkenhayn est remplacé par Paul von Hindenburg), mais ils n'ont pas brisé l'énergie ennemie. Les Britanniques estiment que le coût est encore une fois lourd pour de faibles résultats : 140 000 morts et 210 000 blessés. Durant le mois d', les armées françaises combattent seules, mais sans Londres rien n'est possible[91].

Bien qu'en certains endroits le front ait progressé d'une dizaine de kilomètres à l'avantage des Alliés, l'enlisement de la Somme reste globalement un échec, tout comme Verdun, une victoire « amère ». À l'est, les Roumains déclarent la guerre aux Empires centraux et Joffre leur envoie le général Berthelot. Cependant, la Roumanie est rapidement écrasée. À Salonique, l'armée de Sarrail ne donne aucun résultat. À Verdun, les Allemands recadenassent la ville. On estime le bilan des batailles : au moins 170 000 Français morts à Verdun, 216 000 blessés et autant sur la Somme. Joffre est sérieusement critiqué[84].

De la disgrâce à la fin de la guerre

Maréchal de France

L'historien militaire Rémy Porte explique que les nombreuses critiques envers le général sont le fait des hommes politiques plus que des militaires. Le député Gustave Pédoya, député radical socialiste, est un des principaux artisans de la véritable guérilla menée par les élus de la gauche contre Joffre. Dès 1915, Pédoya met en place six sous-commissions qui permettront aux députés de traiter tout l'environnement des opérations, d'obtenir une carte de circulation dans la zone des armées et surtout d'entraver les actions de Joffre[92].

Joffre impute à Pétain le défaitisme ambiant qui règne à Paris à la suite des résultats des batailles de 1916. Selon lui, ce ne serait pas Pétain le « sauveur de Verdun » ; pour lui, c'est Nivelle le véritable génie.

Dans tous les cas, les politiciens deviennent hostiles contre le généralissime. Le 6 juin, les adversaires de Joffre à la chambre, parmi lesquels Abel Ferry (Gauche radicale), André Tardieu (Union républicain socialiste), Maurice Viollette (républicain socialiste), Alexandre Varenne (Parti Socialiste) et Alphonse Accambray (Radical socialiste, reconnu coupable de haute trahison) exigent une réunion à l'Assemblée générale en comité secret[93]. Le Parlement se réunit secrètement afin d'envisager la réorganisation du haut commandement français. Joffre répond :

« Je ne me laisserai pas tirer dans les pattes. Soit ! Ces messieurs iront où ils voudront, mais flanqués d'officiers de mon état-major. Je ne puis admettre qu'ils aillent se fournir d'arguments contre mon commandement auprès de certains de mes subordonnés[94]. »

L'organisateur de la Somme, le général Foch, est l’objet d’une vive polémique. Le ministre de la Guerre, le général Roques, dit de lui qu'il est trop vieux et le député Augagneur affirme qu'il sacrifie ses troupes. Enfin, le Parlement fait remarquer à Joffre qu'il n'a pas donné tous les moyens nécessaires à l'armée d'Orient de Sarrail[94].

Le président du Conseil, Aristide Briand, propose de confier au général Nivelle, politiquement compatible car proche de Poincaré, le commandement en chef des armées et de conférer à Joffre le titre honorifique de général en chef des armées françaises, comme conseiller technique du gouvernement. Le généralissime comprend qu'on veuille le mettre dans l'ombre, mais pour lui seul Foch peut lui succéder.

Le , Briand annonce à la Chambre (Assemblée nationale) que le GQG va être réorganisé prochainement. Joffre et Foch sont remplacés. Une véritable intrigue se met en place, orchestrée par Poincaré et Briand[94].

Au même moment, le président du Conseil contacte le général Lyautey (gouverneur du Maroc) pour lui proposer le ministère de la Guerre. Véritable ennemi de Joffre, Lyautey n'accepte pas que ce dernier soit nommé conseiller au sein du ministère de la Guerre. Le , Briand informe Joffre qu'il doit renoncer à toute fonction au gouvernement. L'ancien généralissime est contraint de s'incliner. En échange, il est fait maréchal de France. Ce titre honorifique lui est conféré pour éviter tout scandale politique[95].

Mission aux États-Unis

Photographie noir et blanc d'un groupe d’hommes, la plupart en civil, certains portant un manteau militaire.
Le maréchal Joffre et René Viviani accueilli par le secrétaire d’État de la Marine américaine : Franklin Delano Roosevelt.

À la suite de la déclaration de guerre du Congrès américain à l'Allemagne, le ministre de la Guerre Alexandre Ribot propose à Joffre de prêter « son inégalable prestige » et d'accompagner Viviani aux États-Unis[96]. Joffre accepte et participe à la mission Viviani-Joffre. En effet, n'ayant pas d'ennemis et n'étant plus en guerre depuis la fin de la guerre de Sécession, les Américains n'ont qu'une armée balbutiante de 120 000 hommes.

L'objectif donné à Joffre est de convaincre le président Woodrow Wilson de préparer son armée à la guerre. La mission embarque à bord du Lorraine II le à Brest[97]. Au bout de neuf jours de mer, la mission arrive à New York le . L'amiral Mayo, chef de la flotte américaine de l'Atlantique s'exclame : « Sir, votre présence ici est le plus grand honneur qui puisse être rendu à mon pays ! » Dans les rues, la foule crie « Joffre ! Joffre ! » L'homme est accueilli en héros national. Tous les journaux américains rendent hommage au « vainqueur de la Marne » et on va jusqu'à le comparer à La Fayette. Joffre donne une conférence à l'École de guerre sur la situation militaire de l'Europe : il demande les moyens les plus rapides pour une intervention américaine. À Mount Vernon, il dépose sur la tombe de George Washington la palme offerte aux soldats morts pour la patrie[94].

Photographie noir et blanc de deux hommes en habit militaire souriant.
Joffre et Pershing.

Enfin, il désire convaincre le président Wilson qu'il rencontre longuement. Avec lui, il passe en revue chaque détail du conflit : les effectifs français et allemands, l'organisation de l'armée américaine, le transport et le débarquement, l'organisation du commandement… Au ministère de la Guerre, on lui présente le commandant des forces américaines, le général John Pershing. Au total, dans un premier temps, une division composée de quatre régiments d'infanterie, de douze batteries de campagne et de six batteries lourdes s'embarque début . Le , le maréchal Joffre est de retour en France ; il est nommé inspecteur général des troupes américaines. Une nouvelle polémique émerge : contrairement à ce qui était prévu, c'est-à-dire que les Américains servent dans leur armée, le gouvernement Painlevé veut placer des paquets de soldats américains dans les armées franco-britanniques. Joffre refuse et énonce que la parole de la France aux États-Unis est en jeu. Le , Pershing est accueilli par Joffre à Paris ; les deux officiers sont reçus triomphalement par les Parisiens[94].

Foch à la tête des Alliés

Cependant, il y a toujours énormément de tensions entre les commandements français et anglais. Beaucoup regrettent le départ de Joffre et souhaitent son retour. Ailleurs en Europe, les Russes se décomposent définitivement et cherchent à signer la paix avec les Allemands, l'armée d'Orient est figée à Salonique et les Italiens sont écrasés à Caporetto (). Face à une situation politique intérieure et extérieure délicate, Poincaré décide de nommer, malgré lui, son rival Georges Clemenceau à la tête du Conseil des ministres[98].

Le maréchal n'a plus de rôle dans le commandement militaire français, mais on lui demande son avis sur le nom du futur commandant en chef : choisir entre Pétain le défensif et Foch l'offensif. Admirant les deux généraux, Joffre choisit Foch, car il estime que la France ne peut pas rester les bras croisés. Autre point important : le commandement unique. Depuis le départ de Joffre à la tête du commandement français, les Alliés franco-anglais ne parviennent pas à se mettre d'accord sur le sort de l'Europe ennemie : les empires allemand, austro-hongrois et ottoman, ainsi que d'autres nations telles que la Bulgarie et la future Pologne. Le , le président Wilson présente ses quatorze points[98].

En , la situation devient préoccupante avec la signature d'un traité de paix entre la Russie et l'Allemagne. Hindenburg peut désormais déplacer toutes ses troupes sur le front occidental : 192 divisions d'infanterie contre 172 chez des Alliés (France, Grande-Bretagne, Belgique, Portugal et États-Unis) sans commandement uni. Le , Hindenburg et Ludendorff lancent une série d'offensives ; ils sont rapidement à Ham et Péronne. À Amiens, les Britanniques sont en déroute et Clemenceau pense quitter Paris. De son côté, Joffre supplie la présidence de faire nommer Foch généralissime[99]. Trois conférences se tiennent au cours de la fin : les Alliés ne se mettent pas d'accord mais enfin, lors d'une quatrième à Beauvais le , le général Foch est nommé généralissime de toutes les armées alliées. Joffre lui écrit :

« Mon cher ami, j'ai appris avec satisfaction que l'on s'était enfin décidé à vous donner les pouvoirs de commandant en chef des armées alliées. Vous avez une tâche très lourde […]. Quelles que soient les difficultés de votre tâche, je suis persuadé que vous la mènerez à la bonne fin. Ce que vous avez fait sur l'Yser et dans les Flandres répond du succès de vos opérations actuelles. Tous mes vœux sont avec vous. Joffre »

— J. Joffre, 16 avril 1918[100]

L’après-guerre : la seconde gloire du maréchal Joffre

Photographie d'une statue d'une homme en uniforme militaire sur un piédestal en pierre. Le nom de Joffre est inscrit sur le piédestal en lettres dorées.
La statue du maréchal Joffre à Chantilly, lieu de son QG pendant la Grande Guerre (inaugurée en ).

Hommage de la France

Clemenceau ne souhaite pas inviter Joffre parmi les personnalités présentes lors de l'entrée officielle des troupes françaises à Metz et Strasbourg. Mais Pétain et Foch parviennent à le faire venir. Quelques mois plus tôt, le maréchal Joffre avait été élu à l’Académie française le au fauteuil de Jules Claretie[101]. Cependant il est reçu, en uniforme, à la Coupole le et les présidents Wilson et Poincaré sont présents pour l'occasion. Dans son discours, il commence par faire l'éloge de l'Armée, de ses chefs, de Foch, des soldats français, des Alliés, des soldats britanniques, des soldats russes[102]… Voici son discours :

« Pour louer de tels soldats, les mots sont impuissants et seul mon cœur s'il pouvait laisser déborder l'admiration dont il est pénétré pour eux, traduirait l'émotion que j'éprouve… Je les ai vus, couverts de poussière et de boue, par tous les temps et par tous les secteurs […] toujours égaux à eux-mêmes, bons et accueillants, affectueux et gais, supportant les privations et les fatigues avec bonne humeur, faisant sans hésitation et toujours simplement, le sacrifice de leur vie […]. »

— J. Joffre, 19 décembre 1918[103]

En , il retourne en cure dans le Roussillon à Amélie-les-Bains, puis à Rivesaltes, où le maire le reçoit officiellement. Il se recueille devant sa maison natale, puis sur la tombe de ses parents[104].

À Paris, le dans l'après-midi, à l'Hôtel de Ville, sont d'abord remises aux trois maréchaux (Joffre, Foch et Pétain) des épées d'honneur offertes par le Conseil municipal de Paris, puis les drapeaux des 22 régiments qui ont conquis le droit de porter la fourragère rouge sont décorés de fourragères de soie écarlate[105].

Le , la foule le réclame afin qu'il défile aux côtés du maréchal Foch à cheval, lors du défilé de la Victoire. Les deux militaires sont accueillis triomphalement. En , c'est la ville de Perpignan qui lui rend hommage, il défile en voiture, la foule est là encore une fois. Le poète catalan Janicot lui écrit même un poème. Dans les autres villes de France, il préside des centaines de banquets d'anciens combattants, des meetings de veuves de guerre, des réunions de grands invalides de guerre, il inaugure des monuments aux morts[106].

Immense popularité internationale

Photographie noir et blanc de trois hommes en uniforme paradant devant des troupes au garde à vous.
Le maréchal Joffre en Roumanie.

De retour à Paris en , il doit partir en Roumanie remettre la médaille militaire au roi Ferdinand Ier et la croix de guerre à la ville de Bucarest[106]. À cette occasion, un pâtissier roumain nomme « Joffre » un gâteau au chocolat qu'il a créé, en l'honneur du maréchal[107]. Le maréchal représente aussi la France à Belgrade et à Lisbonne, où il inaugure le monument du Soldat inconnu portugais[106].

Puis il se rend à Madrid où est remise la médaille militaire au roi Alphonse XIII. Il termine son périple par Barcelone, où il est pris en porte-à-faux lors de manifestations catalanes et anti-espagnoles : il doit écourter son séjour et part le [108].

C’est au printemps 1920 que le principe d’une mission française officielle en Extrême-Orient est admis par le Gouvernement : il convenait en effet de rendre au Japon la visite que le prince héritier Hirohito venait de faire à la France et de resserrer les liens d’amitié avec tous les pays d’Asie qui avaient participé à la victoire. On demande au vainqueur de la Marne d’accepter cette mission : l’autorité exceptionnelle qui s’attache à son nom, l’éclat des services qu’il a rendus à la cause de la liberté, le souvenir de ses campagnes coloniales en Extrême-Orient, le désignent plus qu’un autre pour une telle ambassade. Joffre accepte très vite de reprendre son bâton de pèlerin pour mettre une nouvelle fois le prestige de sa gloire au service de la France[109].

Le 9 , il accoste à Saïgon, où il reçoit un émouvant accueil : Maurice Long, le gouverneur général, monte à bord pour le saluer. Une foule considérable acclame le Maréchal qui se rend au palais du Gouvernement à travers les rues pavoisées : les Marseillaise retentissent aux carrefours, les cloches sonnent, les rues sont noires de monde[109].

Le , il part pour Phnom-Penh où il va saluer le vieux roi Sisowath, le fidèle ami de la France. Le maréchal et sa délégation visitent les ruines d'Angkor où le roi Sisiwath lui donne un spectacle grandiose : la reconstitution des cortèges des rois khmers (plus de 60 éléphants et 5 000 figurants participent au cortège)[109].

Le , Joffre fait une escale à Bangkok où l'attend le prince de Nakhon Sawan, chef d’état-major général de l’armée et cousin du roi. Une compagnie de la garde royale lui rend les honneurs. Le maréchal Joffre est accueilli par le roi Rama VI qui organise une soirée de gala en son honneur.

Joffre poursuit sa mission à la ville impériale de Hué, le . La ville fête joyeusement le maréchal et l’empereur Kai Dinh multiplie à son égard les marques d’honneur et de respect, en le recevant magnifiquement dans son palais rouge et or, et en venant lui rendre visite chez le Résident supérieur, M. Pasquier[109].

Il revient à Ba-Dinh, là-même où il avait participé à un siège en 1887, lorsqu'il était officier du génie en Extrême-Orient. Quelques jours plus tard, le maréchal arrive à Hanoï, le , par la gare monumentale somptueusement décorée. Une foule énorme l’attendait pour l’acclamer sur son passage jusqu’au Gouvernement général ; il est clair qu’Hanoï n’a pas voulu être distancée dans l’enthousiasme par sa rivale Saïgon. Joffre remet la croix de grand officier de la Légion d'honneur au général Puypéroux.

Il termine son tour du monde par le Japon à Yokohama puis Tokyo, où il rencontre le prince impérial Hirohito et enfin la Chine à Pékin et Shanghai. Selon l'historien Joy, partout où il passe, il est accueilli triomphalement par la foule[110] - [111].

Fin de vie

Photographie noir et blanc d'un homme moustachu, âgé, en uniforme militaire. De nombreuses décorations sont visibles sur son torse.
Le maréchal Joffre, vers la fin de sa vie.

Il rentre en France au début de l'année 1922 pour terminer tranquillement une vie bien chargée, âgé de 70 ans. Joffre achète avec sa femme et sa fille une châtaigneraie à Louveciennes (à l'ouest de Paris), où il fait bâtir un bungalow — de type colonial — précédé d'une façade aux colonnades blanches à la manière du Mount Vernon de Washington. En 1928, il termine ses Mémoires entamés huit ans auparavant, où il raconte ses responsabilités de 1910 à 1917 en deux tomes qui seront édités post mortem selon sa volonté. C'est à cette époque qu'il perd deux de ses amis : le maréchal Fayolle le et le maréchal Foch le [112].

Il vit pendant 10 ans au 115 rue de la Pompe (16e arrondissement de Paris). Une plaque lui rend hommage.

En 1926, il est à l'initiative du salon du Franc, une exposition-vente d'oeuvres d'une centaine d'artistes étrangers vivant en France et qui offrent chacun une peinture ou une sculpture pour défendre le franc alors en pleine dévaluation[113].

Le , le maréchal Joffre fait sa dernière apparition publique à l'occasion de l'inauguration de sa statue à Chantilly, où il a tenu son QG pendant la Grande Guerre. Il est très affaibli, car depuis plusieurs mois il a une artérite des membres inférieurs et peine à se déplacer. Le , d'atroces douleurs aux jambes l'emmènent à l'hôpital : les médecins, René Leriche et René Fontaine, doivent l'amputer de la jambe droite. Quelques jours plus tard il tombe dans le coma. Le à 8 h 0, il aurait prononcé ces derniers mots : « J'ai beaucoup aimé ma femme » et « je n'ai jamais fait de mal à personne »[112], puis il meurt à 8 h 23 à 78 ans à la clinique des frères de Saint-Jean-de-Dieu au 19 rue Oudinot dans le 7e arrondissement de Paris[114].

Des obsèques nationales lui sont organisées le et la foule pleure son héros de la bataille de la Marne. Le service religieux est célébré en l'église Saint-Louis-des-Invalides à Paris, ainsi qu'en l'église Saint-Louis-des-Français de Rome et en l'église Saint-Polycarpe de Smyrne[115]. Quelques jours plus tard, le , le Parlement vote une loi déclarant que « Joseph Joffre, maréchal de France, a bien mérité de la Patrie. » Il repose dans un mausolée situé dans sa propriété de La Châtaigneraie à Louveciennes (Yvelines). Henriette Joffre meurt en 1956 à 92 ans[116].

Un personnage dénigré

Photographie noir et blanc d'un homme en civil, grand, et d'un homme en uniforme militaire, plus petit, lui parlant.
Le maréchal Joffre et André Maginot.

Vénéré, adulé de son vivant, plusieurs objets iconographiques ont été créés à son effigie à la demande du peuple français. L'action de Joffre, vu comme « le vainqueur de la Marne », est reconnue par tous les généraux Foch, Pétain, Fayolle, Franchet d'Espèrey, Gamelin et Weygand[117].

L'historien militaire Rémy Porte explique que le maréchal Joffre (et les autres généraux) fait l'objet, dès les années 1920 (arrivée du cartel des gauches), d'une campagne de décrédibilisation, à la fois pour des raisons politiques d'avant-guerre (la loi des Trois ans, la révocation d'officiers dits incompétents), et pour ses choix de commandement (limogeage des généraux, notamment en août-septembre 1914) :

« Lorsque le danger est passé, classiquement, ceux qui n’ont pas eu à prendre les décisions les plus sévères se découvrent de nouvelles compétences et n’hésitent pas, dans le calme retrouvé, à manier l’éloge ou la critique. Les exemples sont nombreux et chacun se sent capable de commenter les décisions de tel ou tel responsable. Le phénomène n’est pas propre à l’histoire militaire, mais il atteignit là des sommets.

Curieusement, dès la guerre terminée, les critiques se multiplièrent à l’égard du haut commandement vainqueur et l’« incompétence » supposée des généraux s’imposa bientôt dans la plupart des ouvrages, à l’initiative de militaires ou d’anciens militaires comme de responsables politiques. Dans ce cadre, rares sont les officiers généraux qui ont été haïs ou admirés autant que Joffre. Ses adversaires, civils et militaires à l’époque des événements, historiens ultérieurement, s’en sont donné à cœur joie dans le dénigrement, tandis que ses biographes faisaient le plus souvent œuvre d’hagiographie jusqu’à l’indigestion. Or, Joffre parlait peu, et sans doute écrivait-il encore moins, ce qui rend non pas sa défense, mais tout simplement la recherche d’une analyse plus équilibrée, difficile. Il est, par exemple, parfaitement acquis qu’il n’a pas lui-même écrit ses propres Mémoires, comme ce fut d’ailleurs le cas pour plusieurs de ses pairs, et ces deux volumes tardivement publiés ne rendent pas compte de ce que fut l’ensemble de sa vie. On sait qu’il donnait quelques directives générales à ses officiers d’état-major qui rédigeaient puis lui soumettaient le manuscrit[118]… »

Au début des années 1920, le maréchal Joffre est progressivement exclu des représentations publiques et politiques françaises. Malgré sa disgrâce, il continue à honorer les invitations de la part des pays alliés : l'inauguration du monument des morts américain à Cheppy[119] en 1922, l'inauguration du monument de morts à Metz en compagnie de Raymond Poincaré en 1922[120], à l'inauguration de la tombe du soldat inconnu, invitation au 10e anniversaire de la bataille de Meaux en 1924[121], au monument aux morts de Noyon en 1925[122]... Malade et affaibli, le maréchal Joffre revient en grâce avec l'inauguration de la statue Joffre à Chantilly en 1930 ; c'est sa dernière représentation publique avant son décès[123].

Au début du XXIe siècle, la Grande Guerre est remise à l'honneur dans l'historiographie internationale. Le maréchal, un peu oublié, reçoit, le , à l'occasion du 90e anniversaire de la victoire de la Marne, un hommage devant son tombeau à Louveciennes de la part du ministre délégué aux Anciens combattants, Hamlaoui Mekachera, citant le général de Gaulle :

« Si la guerre sanctionne impitoyablement les déficiences et les défaillances, elle ne ménage pas le succès à la valeur et à la vertu. Ce fut la fortune de la France que son armée, demeurée solide en dépit du revers initial, eût alors à sa tête un chef qui ne perdit point l'équilibre[124]. »

Joffre est avant tout un bâtisseur. Il exerce sa spécialité, le génie militaire, en particulier durant ses missions coloniales (Formose, Tonkin, Soudan français et Madagascar). En 1911, il accède aux plus hautes fonctions de l'Armée, principalement parce que personne ne souhaite obtenir cette haute responsabilité. En trois ans, il limite le retard de l'armée à l'entrée en guerre, mais il s'avère qu'il n'est pas un stratège visionnaire.

Publications de Joffre

  • Sur les types de caserne à adopter pour le Tonkin, Paris, Berger-Levrault, 1889.
  • Mémoires du maréchal Joffre (1910-1917), Paris, éd. de l'Officine, (1re éd. 1932), 2 volumes (ISBN 978-2-35551-010-6).
  • Charleroi et la Marne, Paris, Flammarion, .
  • La préparation de la guerre et la conduite des opérations, Paris, Chiron, 1920.
  • Avec Foch, le Kronprinz et Lundendorf, Les deux batailles de la Marne, Paris, Payot, 1929.

Honneurs

Armoiries en tant que chevalier de l’ordre de Charles III d'Espagne.

Distinctions françaises

(Nota : la médaille militaire se porte en avant la LH pour les officiers généraux ayant commandé au front, attention selon La Grande Chancellerie aucun texte officiel n'existe et il s'agit d'une simple habitude) ;

Distinctions étrangères

Hommages politiques

Le général de Gaulle rend hommage au maréchal et à plusieurs reprises: Extrait du discours prononcé à Reims le 6 septembre 1964 par le général de Gaulle pour le 50e anniversaire de la bataille de la Marne.

« ...si la guerre sanctionne impitoyablement les déficiences et les défaillances, elle ne ménage pas le succès à la valeur et à la vertu. Ce fut la fortune de la France que son armée... eut alors à sa tête un chef qui ne perdit point l'équilibre. Joffre avait vu se succéder les mauvais coups qui le frappait...mais sa maîtrise de soi, la lucidité, l'obstination qui marquaient essentiellement sa puissante personnalité, préservèrent le général Joffre de ce renoncement du chef par où passe toujours le désastre....La France et son armée avaient vaincu sur la Marne et dès lors que la victoire eut fait passer dans l'âme du peuple et des soldats son frisson incomparable, le salut de la France dans cette guerre était assuré, quelles que pussent être les crises qu'il lui faudrait traverser avant le terme. Et quand, après un quart de siècle, d'immenses malheurs fondirent sur la Patrie, c'est la confiance de son destin, enflammée sur la Marne en septembre 1914 qui m'assura la foi et l'espérance de ceux qui ne renoncent pas. Tant il est vrai que dans la vie d'un peuple chaque action du passé entre en compte pour l'avenir. Il n'y a qu'une Histoire de France »

Chaque année, à l'anniversaire de la naissance de Joffre, les hommes politiques déposent une gerbe et rendent hommage devant la statue équestre du maréchal de Rivesaltes et devant la tombe du maréchal à Louveciennes[125].

Hommages, reconnaissance, popularité, et postérité

De très nombreux hommages ont été rendus au maréchal Joffre, sous des formes parfois inattendues…

  • Le prénom de Joffrette a été utilisé, particulièrement entre 1915 et 1918, en l'honneur du vainqueur de la Marne.
  • En 1918, il est élu à l'Académie française, au fauteuil 35 ; cet hommage donne ensuite naissance à l'expression une élection de maréchal, c'est-à-dire une élection non justifiée par les talents littéraires du postulant[alpha 8].
  • Eugène Kuhlmann lui rend hommage en créant vers 1911 un cépage qui porte son nom : le Maréchal Joffre[126].
  • Son nom a été donné à un gâteau roumain en à l'occasion de sa venue dans le pays.
  • Une variété de mimosa porte son nom, l'Acacia baileyana "Maréchal Joffre"[127].
  • Une statue équestre à son effigie est inaugurée dans sa ville natale, Rivesaltes, dès le , en présence d'André Maginot, alors ministre de la Guerre[128].
  • Avec Foch et Gallieni, sa statue du « monument des trois maréchaux », sur l'esplanade de la Légion-d'honneur à Saint-Gaudens (Haute-Garonne), a été décapitée dans la nuit du 21 au [129].
  • Son nom est donné à deux établissements d'enseignement se trouvant en Languedoc-Roussillon, sa région d’origine :
  • En 1931, quelques mois après sa mort, son nom est donné à un paquebot des Messageries maritimes, le Maréchal Joffre ; ce navire fut exploité par l'US Navy pendant la Seconde Guerre mondiale sous le nom d'USS Rochambeau.
Photographie d'une plaque commémorative avec l'inscription : Ici vécut Le Maréchal JOFFRE de 1909 à 1919.
Plaque au 6 rue Michel-Ange, à Paris.

Notes et références

Notes

  1. Le plus haut grade à l'époque.
  2. Durant la même période, d'autres futurs maréchaux de France entrent à Polytechnique pour y être formés : Maunoury en 1867, Foch en 1871, ou encore Fayolle en 1873.
  3. À Paris, certains membres du haut commandement et des parlementaires sont hostiles à la promotion de Joffre à Madagascar pour des raisons encore inconnues.
  4. Entre 1872 et 1913, le service militaire était de deux années pour chaque homme. L'objectif est de pallier la supériorité numérique des Allemands.
  5. Une fois pour toutes et afin d'éviter d'alourdir le texte, les références précises à l'expérience combattante de Joffre font référence à Conte.
  6. Lanrezac, dès qu'il a appris la pénétration des Allemands en Belgique, le , a compris qu'il allait avoir affaire à une armée ennemie plus puissante et plus rapide que prévu. Il en informe le GQG, mais en vain.
  7. Maunoury est sous les ordres du général Gallieni, gouverneur militaire de Paris.
  8. Il n'avait alors écrit aucun ouvrage ; en fait, de son vivant il en publie deux, en 1920 et 1929, puis un posthume en 1932.
  9. Le musée est ouvert en juillet et en août, ou sur demande auprès de l'office de tourisme de Rivesaltes le reste de l'année.

Références

  1. Ouvrir la « Page d’accueil », sur le site de la bibliothèque de l’École polytechnique, Palaiseau (consulté le ), sélectionner l’onglet « Catalogues de la BCX → Famille polytechnicienne », effectuer la recherche sur « Joseph Joffre », résultat obtenu : « Joffre, Joseph Jacques Césaire (X 1869 ; 1852-1931) ».
  2. Dossier personnel de Joseph Jacques Césaire Joffre au château de Vincennes. Légion d'Honneur, no 1368/55. Acte de naissance : Ville de Rivesaltes, extrait des registres de l'état-civil.
  3. Conte, p. 15.
  4. Mayer 1928.
  5. Conte, p. 28-29.
  6. Biographie de Joseph Joffre[PDF] sur le site du ministère de la Défense français.
  7. Conte, p. 31-33.
  8. Conte, p. 53.
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  15. Conte, p. 62.
  16. Remi Porte, Joffre, Perrin, , p. 76
  17. Remi Porte, Joffre, Perrin, , p. 84
  18. A., op. cit., p. 68.
  19. Olt, Début de la grève des boutonniers de l'Oise le , La Brique no 15, 2009.
  20. Conte, p. 98.
  21. Conte, p. 102.
  22. Conte, p. 104.
  23. Note biographique de l'Académie française
  24. Joffre doit imposer son charisme de chef militaire pour que les politiques acceptent l'entrée du général de Castelnau qui connaît depuis quelques années de nombreuses hostilités dans le milieu politico-militaire pour ses tendances cléricale et nationaliste. Castelnau a notamment été écarté du commandement de l'Armée par le général André, ministre de la Guerre de à (Gouvernement Pierre Waldeck-Rousseau).
  25. Conte, p. 105.
  26. Remi Porte, Joffre, Perrin, , p 173, p. 173
  27. Joffre 1932, p. 16.
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  96. Cf. anonyme, (sous-lieutenant François de Tessan, aide de camp de Joffre), Notes d'un témoin, Les Grands Jours de France en Amérique, Mission Viviani-Joffre (Avril-), Paris, Plon, 1917.
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Voir aussi

Bibliographie

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

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  • Collectif, 14-18 – Mourir pour la patrie, Paris, Éditions du Seuil, (1re éd. 1992) (ISBN 978-2757806227).
  • Arthur Conte, Joffre, Olivier Orban, (ISBN 978-2262014414). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
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