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Semaine sanglante

La semaine sanglante, du dimanche au dimanche suivant, , désigne la période la plus meurtrière de la guerre civile de 1871 et l'épisode final de la Commune de Paris, au cours de laquelle l'insurrection est écrasée et ses membres exécutés en masse. Elle s'inscrit dans le cadre de la campagne de 1871 à l'intérieur menée par le gouvernement de Versailles contre les communes insurrectionnelles établies ou en projet que connaissent plusieurs grandes villes françaises. Celles-là refusent la capitulation française face à Bismarck et prônent alors une république française basée sur la démocratie directe plutôt que sur la démocratie représentative.

Semaine sanglante
Description de cette image, également commentée ci-après
Henri Félix Emmanuel Philippoteaux, Bataille du cimetière du Père-Lachaise (1871), Bordeaux, musée d'Aquitaine.
Informations générales
Date -
(7 jours)
Lieu Paris
Issue Victoire du gouvernement de Versailles
Forces en présence
120 000 Ă  130 000 hommes[1] - [2]20 000 Ă  170 000 hommes[3] - [4]
Pertes
400 morts[4]
3 000 blessĂ©s[4]
~ 50 Ă  100 otages fusillĂ©s[5] - [6]
5 700 Ă  10 000 morts[7] - [8]
(dont 2 000 Ă  4 000 au combat[9] - [7] et 1 400 Ă  plusieurs milliers de prisonniers fusillĂ©s[10] - [7])
43 522 prisonniers[11]

Campagne de 1871 à l'intérieur

Batailles

La semaine sanglante constitue un des épisodes de guerre civile majeurs de l'histoire de France dont le souvenir est encore vivace un siècle et demi plus tard et s'inscrit dans la culture du mouvement ouvrier international, de la gauche française, du mouvement anarchiste et plus largement chez les partisans de la démocratie directe.

Origines

Forces en présence

Du cĂ´tĂ© du gouvernement, 120 000[1] Ă  130 000[2] hommes de l'armĂ©e de Versailles prennent part Ă  l'offensive.

CĂ´tĂ© communard, la Garde nationale estime disposer de 170 000 hommes en armes, dont 80 000 dans les compagnies de combat, 10 500 en garnison dans les forts au sud et plusieurs milliers de rĂ©servistes dans les casernes[3]. Cependant pour l'historien Robert Tombs : « la totalitĂ© des forces ne furent jamais disponibles simultanĂ©ment »[3]. Si la garde nationale compte dans ses rangs des soldats compĂ©tents, expĂ©rimentĂ©s et dĂ©terminĂ©s, d'autres font preuve de tiĂ©deur, n'Ă©tant « pas profondĂ©ment convaincus par une idĂ©ologie rĂ©volutionnaire »[3]. Elle souffre Ă©galement d'indiscipline, avec notamment quelques cas spectaculaires d'ivrognerie[3]. L'Ă©tat-major se rend aussi compte que de nombreux bataillons exagèrent leurs effectifs, parfois pour percevoir des soldes, des Ă©quipements ou des rations supplĂ©mentaires, dont les surplus sont revendus[3]. D'après le communard Gaston Da Costa, la Commune ne pouvait compter que sur 20 000 combattants actifs, ce qui semble assez crĂ©dible pour Robert Tombs : « mais il faut rappeler que le niveau d'implication variait beaucoup : certains se contentèrent de poser quelques pavĂ©s sur les barricades tandis que d'autres combattaient jour après jour »[4].

DĂ©roulement

Dimanche

Ce dimanche après-midi, les troupes versaillaises du général Douay pilonnent et assiègent le saillant que forme le rempart du Point-du-Jour. C'est alors qu'un piqueur des Ponts et Chaussées, Jules Ducatel, monte sur le bastion 64, entre la porte d'Auteuil barricadée et la porte de Saint-Cloud, pour les avertir que ce point n'est plus gardé et que la voie est libre.

Les Versaillais occupent les fortifications d'où ils échangent quelques coups de feu, puis le terrain jusqu'à la ligne de chemin de fer de petite ceinture. Le Conseil de la Commune, qui est en train de juger Cluseret, n'envoie aucun renfort, malgré la demande qu'avait formulée Dombrowski qui commande le secteur.

Selon Émile Zola, alors chroniqueur parlementaire, des groupes se forment sur les grandes voies et une partie de la population salue les libérateurs, notamment sur les grands boulevards où de nombreux Parisiens hostiles à la Commune laissent éclater leur joie[13].

Le Comité de salut public dépêche un observateur qui est fait prisonnier par les Versaillais, qui occupent Auteuil et Passy. Ils fouillent systématiquement les maisons[14], procèdent sur dénonciation[15] à des arrestations et commencent à fusiller les Gardes nationaux du secteur[16] conduits au cimetière de Longchamp, à la lisière du bois de Boulogne dominant l'hippodrome. Femmes, enfants, malades, vieillards sont assassinés dans les hôpitaux[17].

Au même moment se déroule la dernière réunion du Conseil de la Commune. En fin de soirée, un concert a lieu au Louvre au bénéfice des « veuves et orphelins ».

Lundi

Au matin, les Versaillais occupent les 15e et 16e arrondissements, les portes d'Auteuil, de Passy, de Sèvres et de Versailles.

Ils installent de l'artillerie sur la colline de Chaillot et à l'Étoile. Le reste de Paris apprend enfin la nouvelle par une affiche signée de Charles Delescluze, délégué à La Guerre. À la suite de cette proclamation, une grande partie des combattants de la Commune se replient alors dans leur quartier pour le défendre, abandonnant toute lutte coordonnée. Des barricades sont édifiées au square Saint-Jacques, dans les rues Auber, de Châteaudun, du Faubourg Montmartre, de Notre-Dame de Lorette, à la Trinité, à La Chapelle, à la Bastille, aux Buttes Chaumont, au boulevard Saint-Michel, au Panthéon…

Des combats ont lieu place de Clichy et aux Batignolles. Les Allemands autorisent les Versaillais Ă  traverser la zone neutre au nord de Paris, ce qui leur permet de prendre les Batignolles Ă  revers.

En fin de journée, les Versaillais occupent l'Élysée, la gare Saint-Lazare, l'École militaire, où sont stationnés les canons de la Commune.

Leur progression est lente, dans ces quartiers qui leur sont acquis, car il semble que les officiers freinent leurs soldats pour faire monter la tension et pour procéder à des exécutions sommaires, en particulier dans la caserne de la rue de Babylone.

Mardi

Le Comité de salut public et le Comité central de la Garde nationale font placarder, à l'intention des soldats versaillais, des appels à la fraternisation. En vain. Les hostilités cessent aux Batignolles malgré les efforts des troupes commandées par Benoît Malon et la butte Montmartre tombe pratiquement sans combat du fait de la désorganisation. Selon Lissagaray, quarante-deux hommes, trois femmes et quatre enfants ramassés au hasard sont conduits au no 6 de la rue des Rosiers, contraints de fléchir les genoux, tête nue, devant le mur au pied duquel les généraux ont été exécutés le 18 mars, puis ils sont fusillés. Dombrowski est tué rue Myrha. La résistance persiste à la Butte-aux-Cailles (avec Walery Wroblewski), au Panthéon (avec Lisbonne), dans les rues de l'Université, Saint-Dominique, Vavin, de Rennes et à la gare de l'Est. Les Versaillais occupent l'Opéra, le faubourg Montmartre et la Concorde, ils atteignent l'Observatoire et procèdent à des exécutions massives à Montmartre, au parc Monceau et à la Madeleine. C’est le début des grands incendies qui vont ravager de nombreux monuments parisiens.

Mercredi

Les incendies du 23 se poursuivent, y compris des immeubles d'habitation rue de Lille, Saint-Sulpice et du Bac. Les dirigeants communards Ă©vacuent et font incendier volontairement l'hĂ´tel de ville, la prĂ©fecture de police et le palais de justice. Les Versaillais occupent la Banque de France, le Palais-Royal, le Louvre, la rue d'Assas et Notre-Dame des Champs. Le Quartier latin est attaquĂ© ; il est occupĂ© le soir et ses dĂ©fenseurs (près de 700) sont exĂ©cutĂ©s rue Saint-Jacques. La poudrière du Luxembourg saute. Ă€ 12 h 30, le docteur Faneau, Ă  la tĂŞte de l'ambulance Ă©tablie au sĂ©minaire Saint-Sulpice, est passĂ© par les armes avec 80 fĂ©dĂ©rĂ©s blessĂ©s.

À la prison de la Roquette, les communards exécutent l'archevêque de Paris Georges Darboy et cinq autres otages (dont le président Bonjean qui s'était illustré lors de la répression anti-populaire de ). La mort de l'archevêque, qui avait tenté de faciliter l'échange d'Auguste Blanqui contre des prisonniers fédérés, ôte le dernier espoir d'arrêter l'effusion de sang. Les communards ne tiennent plus que les 9e, 12e, 19e et 20e arrondissements, plus quelques îlots dans les 3e, 5e et 13e (bataille de la Butte-aux-Cailles).

Jeudi

Combats acharnés à la Butte-aux-Cailles, où résiste Wroblewski, et place du Château d'Eau, où Charles Delescluze, délégué à la Guerre de la Commune, est tué.

Les cinq dominicains d'Arcueil et neuf de leurs employés sont soupçonnés de travailler pour « Versailles » et d'avoir mis le feu au siège de l'état-major du 101e bataillon proche de leur école. Le , ils sont arrêtés, incarcérés au fort de Bicêtre, puis transférés le lors de l'évacuation vers Paris et abattus le même jour après une certaine confusion dans la prison du secteur, 38 avenue d'Italie.

Vendredi

Exécution des otages, prison de la Roquette. Photomontage d'Eugène Appert, Crimes de la Commune.

Épisode de la « villa des Otages », rue Haxo : cinquante personnes détenues à la prison de la Roquette (onze prêtres — parmi lesquels Pierre Olivaint —, trente-six gardes ou gendarmes versaillais et quatre civils travaillant ou manipulés par la police) ont été transférées de la prison de la Roquette à la limite des fortifications, au 85 rue Haxo[18]. À cet endroit, ces personnes ont été fusillées par un peloton d'exécution, avec l'approbation de la population présente. D'après le livre de souvenirs de Maxime Vuillaume, Mes Cahiers Rouges au temps de la Commune, une autre personne est décédée à cet endroit (la plaque commémorative mentionne d'ailleurs cinquante-deux victimes). Ultérieurement, l'église Notre-Dame-des-Otages a été construite à cet emplacement au 85 de la rue Haxo.

Le député de la Seine Jean-Baptiste Millière, homonyme d'un colonel de la garde nationale de Paris, est arrêté par les Versaillais et exécuté sommairement sur les marches du Panthéon.

Le faubourg Saint-Antoine est contrôlé par les Versaillais.

Les émigrés polonais Adolf Rozwadowski et Michał Szweycer sont exécutés pour avoir hébergé des communards ; l'exécution est qualifiée de « l'une des plus horribles » par Ladislas Mickiewicz.

Les communards ne tiennent plus qu'un « quadrilatère » : canal de l'Ourcq, bassin de la Villette, canal Saint-Martin, boulevard Richard-Lenoir, rue du Faubourg-Saint-Antoine et porte de Vincennes.

Samedi

Au cimetière du Père-Lachaise, on combat Ă  l'arme blanche entre les tombes. 147 communards sont fusillĂ©s au mur des FĂ©dĂ©rĂ©s.

C'est le lieu habituel de la commémoration de la Commune. Pendant la nuit, les artilleurs versaillais tirent pour tenter d'incendier Belleville.

Dimanche

Les combats se poursuivent dans Belleville.

En début d'après-midi, les Versaillais prennent la dernière barricade des communards, dont l'emplacement reste incertain. Elle est commémorée par une plaque rue de la Fontaine-au-Roi dans le 11e arrondissement mais, dans ses mémoires, Gaston Da Costa précise que la dernière barricade à tomber est, non loin de là, celle du faubourg du Temple, à la limite entre le 10e et le 11e[19].

Une plaque commémorative des derniers combats a été posée le sur l'immeuble du 17, rue de la Fontaine-au-Roi, dans le 11e arrondissement.

  • Plaque commĂ©morative de la rue de la Fontaine-au-Roi

Un bas-relief et une autre plaque commémorative des derniers combats de la Commune se trouvent également à la jonction des rues de la Ferme-de-Savy et Jouye-Rouve, dans une entrée du parc de Belleville.

  • Bas-relief et plaque commĂ©morative du parc de Belleville

Une plaque, visible au 1 bis rue de la Solidarité dans le 19e arrondissement et signalée par L'Aurore du , rend hommage à celles et ceux qui sont morts au combat dans le quartier des Carrières d'Amérique ou qui y ont ensuite été exécutés sommairement, ainsi qu'à celles et ceux dont les corps y ont plus tard été jetés.

Mort d'Eugène Varlin, membre de l'Internationale, fusillé à Montmartre, au même endroit que les généraux Lecomte et Thomas fusillés le .

Lundi

Le fort de Vincennes encerclé par les Allemands se rend. Les neuf officiers de la garnison sont fusillés dans les fossés près de l'endroit où fut exécuté le duc d'Enghien, prince de Bourbon, capturé outre-Rhin (affaire du duc d'Enghien).

L'un d'eux, le colonel Delorme, se tourna vers le Versaillais qui commandait et lui dit : « Tâtez mon pouls, voyez si j'ai peur ».

Bilan humain

Bilans de la fin du XIXe siècle

La rĂ©pression de l'insurrection parisienne du a Ă©tĂ© particulièrement bien organisĂ©e par le gouvernement de Thiers. L'Ă©tat de siège a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ© et Paris divisĂ© en quatre secteurs militaires. Si les soldats de première ligne sont chargĂ©s de faire le coup de feu contre les communards, les soldats de la deuxième ligne sont chargĂ©s de traquer ceux qui ne se rendent pas. Ils peuvent perquisitionner dans les maisons, les parcs et mĂŞme les catacombes. Les « brassardiers », Parisiens partisans du gouvernement de Versailles munis d'un brassard, qui connaissent bien leurs quartiers, les aident. On assiste alors Ă  de nombreuses dĂ©nonciations, près de 400 000, dont seulement cinq pour cent sont signĂ©es.

Cadavres de communards, photographie attribuée à Disdéri.

Des cours prévôtales, qui sont chargées de donner un semblant de légitimité aux exécutions sommaires, sont installées à l'École polytechnique, à la gare du Nord, à la gare de l'Est, au Châtelet et au Luxembourg. Des pelotons d'exécution fonctionnent, avec le système des « fournées », square Montholon, au parc Monceau, à l'École militaire, au cimetière du Montparnasse et en particulier à la caserne Lobau. En 1897, un charnier de huit cents communards est découvert dans le quartier de Charonne. Pour gagner du temps, on se servait de mitrailleuses[20].

La plupart des prisonniers sont acheminĂ©s vers Versailles pour ĂŞtre internĂ©s au camp de Satory. Durant le voyage, il y a des exĂ©cutions : le , le journaliste du Times raconte que, devant lui, le gĂ©nĂ©ral de Galliffet fait abattre 83 hommes et 12 femmes. Selon Lissagaray, durant le trajet, les prisonniers sont injuriĂ©s et battus par des habitants des environs, sans que les soldats escorteurs n'interviennent[21].

Le bilan officiel, rapportĂ© par le gĂ©nĂ©ral Appert devant l'AssemblĂ©e nationale en 1875, fait Ă©tat de 43 522 arrestations, dont 819 femmes et 538 enfants, on en relâche près de 7 700 qui avaient Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©s par erreur. Au camp de Satory, le calvaire continue : aucune hygiène, peu de soins pour les blessĂ©s, les Ă©pidĂ©mies se dĂ©veloppent. On abat 300 prisonniers pour tentative de fuite dans la nuit du au .

Des prisonniers fĂ©dĂ©rĂ©s furent transfĂ©rĂ©s dans les pontons et ports de l'ouest de la France ; Ă  Brest, Lorient, Cherbourg et Rochefort. Ces transferts eurent lieu dans des wagons Ă  bestiaux dans des conditions sanitaires volontairement dĂ©plorables. Environ 20 000 y furent dĂ©tenus pendant plusieurs mois, au moins 1 000 y moururent[22].

En face, l'armĂ©e versaillaise dĂ©nombre officiellement 877 tuĂ©s, 6 454 blessĂ©s et 183 disparus pour l'ensemble des combats livrĂ©s contre les communards[23] - [24]. Selon Robert Tombs, pour la pĂ©riode spĂ©cifique de la semaine sanglante, le bilan est d'environ quatre cents soldats et officiers tuĂ©s et trois mille blessĂ©s, dont mille sĂ©rieusement, soit environ cinq cents morts ou blessĂ©s par jour[4]. Neuf cents barricades ont Ă©tĂ© emportĂ©es mais seules une centaine Ă©taient sĂ©rieusement dĂ©fendues[4].

Environ 50 Ă  100 otages[5] - [6] ont Ă©galement Ă©tĂ© fusillĂ©s par les communards, principalement le [5].

Le bilan humain des victimes communardes fait quant Ă  lui l'objet de dĂ©bats et de controverses[25]. En 1876, le journaliste socialiste Prosper-Olivier Lissagaray, ancien communard, rapporte que le conseil municipal de la ville de Paris paye l'inhumation de 17 000 cadavres. En prenant en compte les tuĂ©s hors de Paris, il estime Ă  probablement vingt mille le nombre des fusillĂ©s de la semaine sanglante[26], sans compter trois mille fĂ©dĂ©rĂ©s tuĂ©s ou blessĂ©s au combat[27] - [25]. En 1880, le journaliste et homme politique Camille Pelletan, membre du Parti radical-socialiste, Ă©lève le nombre des victimes Ă  trente mille[28] - [25]. Ce nombre est ensuite abondamment repris par les diffĂ©rents auteurs du XIXe et du XXe siècle[25]. En 2021, l'historien Éric Fournier indique cependant que ce bilan a un double niveau de lecture, car Camille Pelletan cherche ainsi Ă  prĂ©senter la semaine sanglante comme plus meurtrière encore que la Terreur de 1792-1794 et ainsi rĂ©habiliter les dĂ©buts de la Première RĂ©publique[25].

Bilans début XXIe siècle

En 2009, l'historien Jacques Rougerie estime que probablement trois à quatre mille fédérés sont morts au combat[23]. Le nombre total des victimes de la semaine sanglante ne peut être connu avec précision, mais il est d'« au minimum dix mille, probablement vingt mille, davantage peut-être »[29]. Les principaux généraux versaillais responsables des tueries sont Ernest Courtot de Cissey, Joseph Vinoy et Gaston de Galliffet, couverts, « bon gré mal gré » par Adolphe Thiers et Patrice de Mac Mahon[22] - [30]. En revanche les opérations conduites par le général Justin Clinchant se font presque sans massacres[11].

Le bilan est cependant progressivement revu Ă  la baisse par l'historien britannique Robert Tombs. En 1994, il estime le nombre de victimes de la semaine sanglante Ă  dix mille[31]. Tout en insistant sur la difficultĂ© de dĂ©terminer un tel bilan, il souligne alors que ce nombre plus faible que des estimations « habituelles » invalide la thèse selon laquelle les exĂ©cutions auraient Ă©tĂ© dues au dĂ©chainement spontanĂ©e et indistinct de soldats versaillais hors de contrĂ´le[31]. Un chiffre de cet ordre serait plus cohĂ©rent au contraire avec la thèse qu'il dĂ©veloppe selon laquelle la semaine sanglante aurait eu le caractère d'une « purge organisĂ©e et calculĂ©e »[31]. Les exĂ©cutions auraient ainsi Ă©tĂ© conduites selon des critères issus de la reprĂ©sentation qu'avaient les chefs militaires versaillais de la figure de la « racaille » qu'ils considĂ©raient comme constituant la Commune[31]. Auraient ainsi Ă©tĂ© ciblĂ©s les prisonniers porteurs des traits caractĂ©ristiques des classes populaires en tant que perçues comme des « classes dangereuses » sauvages, du monde criminel ou encore des Ă©trangers[31]. Il conclut ainsi « qu'une très importante proportion des morts de la semaine sanglante, voire la majoritĂ© des exĂ©cutĂ©s », ont Ă©tĂ© « les victimes de tueries organisĂ©es et quasi-lĂ©gales »[31]. En 2012, Robert Tombs revoit son estimation Ă  la baisse et donne comme fourchette 2 000 Ă  3 000 tuĂ©s au combat ou exĂ©cutĂ©s sommairement, 1 200 Ă  3 000 exĂ©cutĂ©s après les combats et 1 700 Ă  2 800 morts des suites de leurs blessures[9]. En 2014, Robert Tombs Ă©crit alors que : « des estimations très Ă©levĂ©es du nombre des victimes apparaissent très tĂ´t. Ces premières estimations ont Ă©tĂ© souvent rĂ©pĂ©tĂ©es depuis les annĂ©es 1870 sans examen critique, et les preuves supposĂ©es de leur exactitude s'avèrent faibles, invĂ©rifiables ou inexistantes. La plus notoire, et Ă  première vue convaincante, est l'« aveu », de dix-sept mille fusillĂ©s fait par un gĂ©nĂ©ral de l'armĂ©e citĂ© par Prosper-Olivier Lissagaray, mais qui se trouve ĂŞtre tout au plus une estimation du nombre possible des tuĂ©s et blessĂ©s insurgĂ©s pendant les deux mois de guerre civile. Il reste nĂ©anmoins que l'effusion de sang frappant les communards Ă©tait effroyable »[7]. En effectuant de nouvelles recherches et en se fondant notamment sur les rapports des services de voirie sur le nombre de corps trouvĂ©s et enterrĂ©s Ă  Paris, Robert Tombs arrive Ă  la conclusion que probablement 5 700 Ă  7 400 personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es lors de la semaine sanglante[7] - [9] - [32], dont environ 1 400 fusillĂ©es après les combats[10].

Selon l'historien Quentin Deluermoz, qui cite en exemple la Terreur, la guerre de Vendée, la bataille de Montréjeau, la Révolution de Juillet et les Journées de Juin, « la révision à la baisse » des victimes de la semaine sanglante « s'inscrit en fait dans une tendance historiographique concernant les grands massacres du XIXe siècle »[25].

En 2021, l'Ă©crivaine et mathĂ©maticienne Michèle Audin publie La Semaine sanglante : Mai 1871 lĂ©gendes et comptes dans lequel elle prĂ©sente et analyse les documents qu'elle a pu consulter pour Ă©tablir un bilan de la semaine sanglante dont un certain nombre n'a jamais Ă©tĂ© pris en compte dans les Ă©valuations prĂ©cĂ©dentes : les registres des cimetières, les dĂ©pĂ´ts d'archives (dont les comptes d'une entreprise de pompes funèbres), la presse, les correspondances privĂ©es, les rapports officiels. Elle compare les chiffres avancĂ©s par ses prĂ©dĂ©cesseurs (Lissagaray, Pelletan, Du Camp et, plus rĂ©cemment, Tombs, qu'elle remet en cause)[33]. Elle estime qu'arrĂŞter le dĂ©compte des morts de la semaine sanglante au ne prend pas en compte les exĂ©cutions qui se poursuivent jusqu'Ă  mi-juin[33]. Elle soulève Ă©galement les difficultĂ©s liĂ©es aux nombreuses exhumations-rĂ©inhumations des mois qui suivent la Commune, aux dĂ©nombrements parfois très vagues qui peuvent dans certains cas donner un ordre de grandeur plus qu'un chiffre rĂ©el[33]. Elle interroge les silences des documents administratifs : le registre du Père-Lachaise est interrompu pendant plus de 15 jours, passant sous silence la pĂ©riode la plus trouble, certains actes de dĂ©cès comportent des incohĂ©rences manifestes (dates, causes)[33]. Elle tente d'Ă©viter les doubles comptages. Elle ajoute Ă©galement au dĂ©compte les morts enterrĂ©s Ă  la va-vite sous les pavĂ©s et qui ne seront exhumĂ©s qu'au fur-et-Ă -mesure des travaux de voirie jusqu'en 1920[33]. Avec beaucoup de prĂ©cautions, elle arrive au total de « certainement 15 000 morts »[33].

En 2021, l'historien Jacques Rougerie rĂ©vise son bilan. Il considère que Robert Tombs nĂ©glige les inhumations sauvages, mais que le bilan de près de 30 000 morts donnĂ© par Camille Pelletan est « incontestablement une estimation excessive »[8]. Jacques Rougerie conclut qu'un bilan de 10 000 victimes semble le plus plausible et « reste Ă©norme pour l'Ă©poque »[8].

Notes et références

  1. Tombs 2014, p. 295.
  2. Rougerie 2021, p. 113.
  3. Tombs 2014, p. 280-281.
  4. Tombs 2014, p. 303.
  5. Tombs 2014, p. 316.
  6. Rougerie 2009, p. 108.
  7. Tombs 2014, p. 317-318.
  8. Rougerie 2021, p. 116.
  9. H-France Salon, How bloody was la "Semaine Sanglante"? A revision. Robert Tombs, St John’s College, Cambridge.
  10. Tombs 2014, p. 314.
  11. Rougerie 2021, p. 117.
  12. « La Barricade », notice sur le site de la Galerie nationale d'Écosse.
  13. Zola 2018, p. 248.
  14. Pierre Cabanne, Paris vous regarde, Paris, P. Bordas, , 627 p. (ISBN 978-2-86311-150-5, lire en ligne), p. 588.
  15. Roger Pérennès et Frank Chantepie, Déportés et forçats de la Commune : de Belleville à Nouméa, Paris, Ouest Éditions, , 580 p. (ISBN 978-2-908261-80-6, lire en ligne), p. 40.
  16. Maxime Vuillaume, La Semaine sanglante, Paris, La Palatine, , 174 p. (lire en ligne), p. 271.
  17. Alain Bauer et Christophe Soullez, Une histoire criminelle de la France, Paris, Éditions Odile Jacob, , 368 p. (ISBN 978-2-7381-8008-7, lire en ligne), p. 94.
  18. Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, Éditions de Minuit, 1963 et rééd.
  19. Gaston Da Costa, MĂ©moires d'un Communard, p. 278.
  20. La Semaine littéraire, vol. 17, Paris, (lire en ligne), p. 263.
  21. Lissagaray 2004 : « Les prisonniers amenés à Versailles furent assaillis par cette tourbe qui accourait à tous les convois couvrir de coups et de crachats les défenseurs de Paris »
  22. Rougerie 2009, p. 114.
  23. Rougerie 2009, p. 107.
  24. 900 morts selon MichaĂ«l Bourlet, « L’ArmĂ©e de Versailles pendant la semaine sanglante et les combats de rues (-) », Revue historique des armĂ©es, no 238,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  25. Chloé Leprince, « La Commune de Paris, plus grand martyre de civils d'Europe ? Idée reçue n°3 », sur France Culture, .
  26. Lissagaray 2004, p. 391-394.
  27. Lissagaray 2004, p. 381.
  28. Camille Pelletan, La Semaine de Mai, Paris, Maurice Dreyfous, , 412 p. (lire en ligne), p. 396.
  29. Rougerie 2009, p. 113.
  30. Rougerie 2021, p. 116-117.
  31. Robert Tombs, « Victimes et bourreaux de la semaine sanglante », Revue d'histoire du XIXe siècle, no 10,‎ (ISSN 1265-1354 et 1777-5329, DOI 10.4000/rh19.78, lire en ligne, consulté le )
  32. H-France Salon, Commentaire de Quentin Deluermoz, Université Paris 13/Nord.
  33. Jean-Luc Porquet, « Halte-là, citoyen ; on ne passe pas », Le Canard enchaîné,‎ .

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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