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Journées de Juin

Les journées de Juin sont une révolte d'ouvriers parisiens du 22 au pour protester contre la fermeture des ateliers nationaux.

Journées de Juin
Description de cette image, également commentée ci-après
Barricades de la rue du Faubourg-du-Temple durant les journées de Juin (daguerréotype de 1848).
Informations générales
Date -
(4 jours)
Lieu Paris
Casus belli Fermeture des ateliers nationaux.
Issue Victoire de la RĂ©publique
Forces en présence
70 000 hommes[1]25 000 Ă  50 000 hommes[2] - [3]
Pertes
1 000 Ă  1 800 morts[2] - [4] - [3]3 000 Ă  5 000 morts[5]
25 000 prisonniers[5]
dont 1 500 fusillĂ©s[5]
et 11 000 emprisonnĂ©s[5]

Batailles

Situation sociale et politique

Les ateliers nationaux au Champ-de-Mars.
Gravure de Bouton extraite de l'ouvrage Histoire de la RĂ©volution de 1848.

La crise Ă©conomique et sociale, qui avait causĂ© le fort mĂ©contentement populaire ayant dĂ©bouchĂ© sur la rĂ©volution de fĂ©vrier 1848, persiste. L'incertitude quant Ă  l'orientation plus ou moins sociale de la rĂ©publique proclamĂ©e solennellement le , incite les dĂ©tenteurs de capitaux Ă  retirer leurs fonds des banques qui manquent alors de liquiditĂ©s pour consentir des prĂŞts et soutenir l'escompte. Le nombre de chĂ´meurs augmente. Il y a près de 115 000 personnes inscrites dans les ateliers nationaux parisiens le . Cela entraĂ®ne une dĂ©pense de près de 200 000 francs par jour. Grâce Ă  la propagande de Falloux (faux rapports de la commission du travail de l'AssemblĂ©e constituante) et des partisans de l'ordre, les rentiers et les bourgeois s'exaspèrent de devoir entretenir un nombre croissant de chĂ´meurs. Les ateliers nationaux sont une infamie morale aux yeux des classes dominantes. Le coĂ»t des ateliers nationaux reprĂ©sente en rĂ©alitĂ© moins de 1 % du budget global du gouvernement. Certains fins esprits les surnomment : les « râteliers nationaux ». Ils consistent en fait en des activitĂ©s de terrassement. De fait si la RĂ©publique manque de moyens c'est qu'elle s'est engagĂ©e Ă  rembourser intĂ©gralement les aristocrates lĂ©sĂ©s par la mise en place de la RĂ©publique, allant mĂŞme jusqu'Ă  crĂ©er un nouvel impĂ´t dans ce but, tout en le justifiant, justement, par le coĂ»t prĂ©tendument exorbitant des ateliers nationaux.

Mécontents, les ouvriers des ateliers nationaux se tournent vers les démocrates socialistes ou bien les partisans de Louis-Napoléon Bonaparte. Certains ouvriers s'organisent et fondent le la Société des corporations réunies qui regroupe une bonne partie des ouvriers ayant participé aux travaux de la Commission du Luxembourg mise en place par le gouvernement provisoire dès le lendemain de la révolution de février. Le paraît le journal Le Travail et le Le Journal des travailleurs qui développent des idées républicaines et sociales. Les ouvriers des ateliers nationaux et ceux de la Commission du Luxembourg s'entendent pour présenter des listes communes aux élections complémentaires pour l'Assemblée nationale des 4 et . Le mouvement républicain progressiste, bien qu'amputé de ses chefs après l'échec de la manifestation du 15 mai 1848, progresse à Paris (Marc Caussidière, Pierre Leroux et Pierre-Joseph Proudhon sont élus).

Parallèlement, le « parti bonapartiste » prend de l'ampleur. Ses partisans mettent en avant les idées sociales du prétendant au trône Louis-Napoléon Bonaparte, auteur de De l'extinction du paupérisme, et jouent sur le souvenir encore frais du Premier Empire. Les ouvriers de La Villette pétitionnent pour que Louis-Napoléon Bonaparte soit nommé Consul. La 7e légion de la Garde nationale (celle des quartiers populaires du Panthéon, de Saint-Marcel et de Saint-Victor) envisage de le prendre comme colonel en remplacement du républicain Armand Barbès que la Commission exécutive, le gouvernement, vient de jeter en prison. Aux élections, Louis-Napoléon Bonaparte est triomphalement élu à Paris et dans quatre autres départements. Il renonce provisoirement à quitter son exil londonien pour venir siéger.

De ces élections, la majorité très conservatrice de l'Assemblée nationale (les républicains du lendemain, en fait des monarchistes camouflés) sort renforcée. Adolphe Thiers, battu le , est confortablement élu à Paris et dans trois départements. Accompagné de cinq nouveaux élus conservateurs parisiens (sur les onze sièges à pourvoir à Paris), il apporte son savoir-faire politique.

Fermeture des ateliers nationaux

Débarrassée des chefs républicains progressistes après l'échec de la manifestation du 15 mai 1848, la majorité conservatrice de l'Assemblée nationale s'emploie à faire disparaître les ateliers nationaux symbole de la politique sociale mise en place après la révolution de février 1848. Le , la Commission du Luxembourg est supprimée, les ateliers sociaux (différents des ateliers nationaux) créés sont progressivement détruits, son président Louis Blanc étant par ailleurs sous la menace d'une arrestation et d'une enquête de la part de l'Assemblée nationale. Dès le , Ulysse Trélat, ministre des Travaux publics, demande la suppression des ateliers nationaux. Il est secondé à l'Assemblée par les conservateurs comte de Falloux et comte de Montalembert. Le , l'Assemblée décide que les ouvriers domiciliés depuis moins de trois mois dans le département de la Seine doivent regagner la province. On tente ainsi de dégonfler les effectifs de chômeurs secourus et de réduire une possible résistance des ouvriers parisiens.

Mais le gouvernement — la Commission exécutive — composée de républicains modérés, répugne à mettre en cause un des acquis les plus sociaux de la nouvelle république. Le décret du 24 mai est suspendu. Pour gagner la sympathie populaire, la Commission exécutive projette la création d'un crédit foncier devant aider les paysans très touchés par la crise économique. La réduction du très impopulaire impôt sur le sel est envisagée.

Afin de fournir du travail aux ouvriers des ateliers nationaux, la Commission projette de nationaliser les compagnies de chemin de fer dont les chantiers ferroviaires seraient tenus par les chômeurs. Devant cette mise en cause de la propriété privée, la majorité conservatrice de l'Assemblée décide d'intensifier son action.

Les 14 et 15 juin, Falloux et Goudchaux sont élus respectivement rapporteur et président de la Commission spéciale sur les ateliers nationaux.

Les 19 et 20 juin, l'Assemblée vote la dissolution des ateliers nationaux. Le 21, la Commission exécutive cède et décrète la fermeture des ateliers nationaux : les ouvriers âgés de 18 à 25 ans doivent s'enrôler dans l'armée, les autres doivent se rendre en province, et notamment en Sologne pour y creuser le canal de la Sauldre. Le 21 juin Le Moniteur, le Journal Officiel de l'époque, publie le décret.

Le 22 juin l'agitation se propage. Friedrich Engels écrit : « La ville était divisée en deux camps. La ligne de partage partait de l'extrémité nord-est de la ville, de Montmartre, pour descendre jusqu'à la porte Saint-Denis, de là, descendait la rue Saint-Denis, traversait l'île de la Cité et longeait la rue Saint-Jacques, jusqu'à la barrière. Ce qui était à l'est était occupé et fortifié par les ouvriers ; c'est de la partie ouest qu'attaquait la bourgeoisie et qu'elle recevait ses renforts. »

Le 23 juin sont dressées les premières barricades. L'historien Samuel Hayat indique que le discours prononcé à l'aube, place de la Bastille, par Louis Pujol « marque symboliquement le début de l'insurrection, bien que la mobilisation se fasse progressivement »[6].

Chronologie des événements

Les causes de la révolte ouvrière

  • 26 fĂ©vrier : crĂ©ation des ateliers nationaux visant Ă  rĂ©sorber le chĂ´mage des ouvriers dans les grandes villes (la crise Ă©conomique sĂ©vit depuis 1847).
  • 15 mars : tentative de l'extrĂŞme gauche, qui sent la conjoncture dĂ©favorable, de faire repousser les Ă©lections.
  • 23 et : Ă©lection de l'AssemblĂ©e constituante ; unanimisme rĂ©publicain chez les candidats ; les vainqueurs sont ceux qui figuraient sur plusieurs listes (scrutin de liste dĂ©partemental jusqu'en 1852), donc modĂ©rĂ©s, qui se rĂ©vĂ©lèrent au fil du temps rĂ©publicains du lendemain. Les positions des uns et des autres se dĂ©cantèrent Ă  l'Ă©preuve des faits.
  • 21 juin : les ateliers nationaux sont supprimĂ©s en raison de leur coĂ»t, parce que le travail (essentiellement le repavage des rues) n'existe plus, laissant place Ă  l'agitation politique quotidienne. Le coĂ»t des ateliers nationaux ne reprĂ©sente en rĂ©alitĂ© que moins de 1 % du budget global du gouvernement.
  • 22 juin : agitation en divers points de la capitale.

Les journées insurrectionnelles

  • 23 juin : dĂ©but de la rĂ©volte populaire de Juin par l'Ă©tablissement des premières barricades, durement rĂ©primĂ©e par l'armĂ©e menĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Cavaignac. Le gĂ©nĂ©ral Hippolyte-Marie-Guillaume de Rosnyvinen de PirĂ© a fourni le tĂ©moignage suivant, inattendu, de l'attitude des insurgĂ©s de la barricade de la rue Nationale-Saint-Martin ce jour-lĂ  :
Tableau de Jean-Jacques Champin, Mgr Affre tentant de calmer les combattants de la barricade de l'entrĂ©e du faubourg Saint-Antoine.

« Citoyens représentants, entré le premier à la baïonnette, le 23 juin, dans la barricade de la rue Nationale-Saint-Martin, je me suis vu quelques instants seul au milieu des insurgés animés d'une exaspération indicible. Nous combattions à outrance de part et d'autre ; ils pouvaient me tuer, ils ne l'ont pas fait ! J'étais dans les rangs de la Garde nationale, en grande tenue d'officier général ; ils ont respecté le vétéran d'Austerlitz et de Waterloo ! Le souvenir de leur générosité ne s'effacera jamais de ma mémoire… Je les ai combattus à mort, je les ai vus braves Français qu'ils sont ; encore une fois, ils ont épargné ma vie ; ils sont vaincus, malheureux, je leur dois le partage de mon pain… Advienne que pourra[7] ! »

  • 24 juin : le PanthĂ©on de Paris est un des centres de l'insurrection. Plus de 1 500 insurgĂ©s s'y sont rĂ©fugiĂ©s. Ils sont dĂ©logĂ©s par le colonel Henri-Georges Boulay de la Meurthe Ă  la tĂŞte d'un rĂ©giment de la garde rĂ©publicaine[8]. Le gĂ©nĂ©ral Damesme sera mortellement blessĂ© lors de ces combats.
  • 25 juin : Monseigneur Affre, archevĂŞque de Paris, est mortellement blessĂ© sur les barricades. Le gĂ©nĂ©ral BrĂ©a est tuĂ© par les insurgĂ©s Ă  la barrière d'Italie.
  • 26 juin : fin de la rĂ©volte avec la chute de la dernière barricade, situĂ©e faubourg Saint-Antoine. Ces journĂ©es rĂ©volutionnaires ont fait environ 4 000 morts du cĂ´tĂ© des insurgĂ©s, et 4 000 prisonniers sont dĂ©portĂ©s en AlgĂ©rie. L'AssemblĂ©e dĂ©cide de poursuites Ă  l'Ă©gard de Louis Blanc.
  • 28 juin : l'AssemblĂ©e remercie le gĂ©nĂ©ral Cavaignac en le nommant chef du pouvoir exĂ©cutif.
  • 27 juillet : Ă  la suite de la rĂ©pression des journĂ©es de Juin, l’AssemblĂ©e restreint l'activitĂ© des Clubs et y interdit la participation des femmes et des enfants.
  • 28 juillet : Loi sur les clubs

RĂ©pression

Massacres de juin 1848.

Face aux Ă©meutiers, la police parisienne avec ses 3 000 membres est impuissante et ne peut qu'alerter les autoritĂ©s et grâce Ă  ses indicateurs, renseigner les forces gouvernementales qui furent dĂ©ployĂ©es sous les ordres du gĂ©nĂ©ral Louis-Eugène Cavaignac.

Celles-ci disposèrent de 25 000 militaires de l'armĂ©e française, en grande partie des fils de paysans, 17 000 gardes nationaux (boutiquiers et bourgeois de Paris et de province, essentiellement Amiens, Beaugency, Meung, OrlĂ©ans, Pithiviers, Rouen, et Versailles[9] - [10]), 15 000 gardes mobiles (recrutĂ©s dans les parties les plus pauvres du prolĂ©tariat parisien) et 2 500 gardes rĂ©publicains (ex-municipaux) de la police[1].

Les journĂ©es de juin 1848 font de nombreuses victimes. Les forces gouvernementales perdent environ 1 600 hommes[11] dont un millier de militaires et gardes nationaux.

La RĂ©publique rĂ©prime dans le sang la rĂ©volution parisienne[12]. Le nombre d'insurgĂ©s tuĂ©s pendant les combats fut estimĂ© entre 3 000 et 5 000 personnes auxquelles s'ajoutent environ 1 500 fusillĂ©s sans jugement. Il y a environ 25 000 arrestations et 11 000 condamnations Ă  la prison ou Ă  la dĂ©portation en AlgĂ©rie[5].

Selon le rapport du prĂ©fet de police François Joseph Ducoux du 8 octobre, du cĂ´tĂ© des forces gouvernementales, les combats ont fait 1 460 morts, dont les deux tiers pour l'armĂ©e et la garde nationale. Les pertes de la garde rĂ©publicaine sont de 92 morts, dont deux officiers supĂ©rieurs. Sept gĂ©nĂ©raux sont tuĂ©s et cinq autres blessĂ©s[2].

Le 3 juillet, le gĂ©nĂ©ral Cavaignac affirme que le nombre des insurgĂ©s Ă©taient au maximum de 50 000 et que les pertes de l'armĂ©e sont de 703 morts ou blessĂ©s[2].

Selon Ernest Lavisse et Philippe Sagnac, les pertes de l'armĂ©e sont de 800 morts et 1 500 blessĂ©s, celles des gardes mobiles de 100 morts et 600 blessĂ©s tandis que celles des gardes nationaux et des insurgĂ©s sont inconnues[4].

Pour Alain Bauer et Christophe Soullez, les pertes sont au total de 15 000 tuĂ©s ou blessĂ©s, dont 1 800 morts pour les forces de l'ordre et 4 000 tuĂ©s pour les insurgĂ©s sur 25 000 combattants[3].

Tombeau d'Edme-Pierre Dumée, fils d'Edme Dumée, membre de la garde nationale de Rouen, tué à Paris le , au cimetière monumental de Rouen.

Selon les statistiques des journaux de mĂ©decine, 2 529 blessĂ©s ont Ă©tĂ© recensĂ©s dans les hĂ´pitaux de Paris, cependant de nombreux blessĂ©s ont Ă©tĂ© soignĂ©s Ă  domicile[2].

Postérité

Marx et Engels analysent cette révolution comme l'acte de naissance de l'indépendance du mouvement ouvrier. Les acteurs de la Révolution de février 1848 se sont divisés en deux camps. Le premier, celui de la bourgeoisie, est satisfait de la mise en place de la République telle qu'elle est. Désormais, face à elle, les ouvriers n'ont pas oublié les mots d'ordre de « République sociale » et c'est logiquement qu'on les retrouve en juin pour les défendre encore. Karl Marx présente l'insurrection comme « l'événement le plus formidable dans l'histoire des guerres civiles en Europe »[13].

Alexis de Tocqueville présente quant à lui les journées de juin comme « la plus grande et la plus singulière [insurrection] qui ait eu lieu dans notre histoire et peut-être dans aucune autre »[14].

Ces événements renouvellent la méfiance ancienne des classes dirigeantes envers Paris. Rien d'étonnant donc à voir surgir dans les discours politiques bourgeois un certain culte de la province, de la classe moyenne paysanne comme pilier de la République[15]. L'image est réutilisée plus tard, lors de la IIIe République.

La conséquence juridique de cette insurrection est quasi-immédiate : la constitution en cours de discussion est amendée pour en retirer toute référence sociale utilisable. La république sociale disparaît et, dans le même temps, la peur des rouges augmente et conduit à des votes de plus en plus conservateurs, d'abord au sein de la Constituante elle-même, ensuite, au moment de la désignation des corps constitués[16]. Les élections présidentielles puis législatives amènent au pouvoir le neveu du premier empereur et une majorité monarchiste, étrange mélange pour une République.

Paris, saigné par les combats et la répression, perd la prééminence dans la vie politique. De plus, une grande partie du peuple parisien se détourne de cette République qui a fait tirer sur le peuple. Louis-Napoléon Bonaparte sait en tirer profit lorsqu'il décide de mettre fin à cette seconde expérience républicaine en France.

Une des conséquences des journées de Juin 1848 est, quelques années plus tard, la destruction symbolique des quartiers centraux parisiens par Haussmann, dont les percées urbaines (le boulevard de Sébastopol en particulier) ont coupé en leur cœur les lieux de l'insurrection, où étaient dressées de nombreuses barricades, mais aussi d'où venaient de nombreux insurgés, ouvriers et artisans de la fabrique parisienne.

Pour l'historien Samuel Hayat, « les journées du 23 au 26 juin 1848 constituent une rupture dans l'histoire de l'idée de République au XIXe siècle. Elles ne sont pas simplement l'occasion d'une victoire militaire d'un camp sur un autre, au cours d'une guerre civile qui ne serait finalement qu'un affrontement partisan continué par d'autres moyens. Elles marquent l'événement fondateur de la République comme règne de l'élection, et parallèlement le refoulement, voire la forclusion, d'une certaine interprétation de la République. Ces termes psychanalytiques sont à la mesure du traumatisme que constitue l'événement pour les uns et les autres. Les images de combats de rue, de guerre fratricide, de fusillades sans jugement marquent pour longtemps le vocabulaire politique, mais aussi les courants artistiques et littéraires qui essaient de rendre compte d'une réalité désormais brisée »[17].

Historiographie

Samuel Hayat relève que l'idée d'une « insurrection du désespoir » — selon les termes de Marc Caussidière —, « uniquement motivée par la faim », « est propagée après coup, tant par les historiographies marxistes — Karl Marx lui-même écrivant qu'au 22 juin « les ouvriers n'avaient plus le choix, il leur fallait mourir de faim ou engager le combat » — que républicaines — Maurice Agulhon décrivant l'insurrection comme « une bataille de classes à l'état pur », mettant en avant « la spontanéité de la révolte ouvrière », un « mobile social brut », les ouvriers étant « acculés au désespoir » par l'abolition de celle-ci ». Répondant à François Furet pour qui l'insurrection a « pour origine la misère et le chômage, et pour point d'appui la tradition révolutionnaire renouvelée, rajeunie par Février », Samuel Hayat estime que celle-ci « n'est pas simplement l'occasion de mobiliser une supposée tradition révolutionnaire au profit d'intérêts économiques, c'est là encore tenir pour acquise une séparation entre le social et le politique qui est étrangère au projet de République démocratique et sociale. Ce que cherchent à faire les ouvriers des ateliers nationaux (qui représentent environ la moitié des insurgés), et plus encore les milliers de Parisiens qui rejoignent l'insurrection — souvent selon des mécanismes mettant en jeu des sociabilités très locales —, c'est défendre la République, comme forme indissociablement sociale et politique, la République comme promesse d'émancipation ». Il rejoint en cela l'analyse de Sylvie Aprile, pour qui « Juin n'est assurément pas une révolution de la faim »[18].

Notes et références

  1. Général André Bach, L'armée de Dreyfus, Tallandier, Paris, 2004, p. 215, (ISBN 2-84734-039-4).
  2. Daniel Stern, Histoire de la révolution de 1848, 1853, tome III, p. 275.
  3. Alain Bauer, Christophe Soullez, Une histoire criminelle de la France, Odile Jacob, 2012.
  4. Ernest Lavisse, Philippe Sagnac, Histoire de France contemporaine depuis la révolution jusqu'à la paix de 1919, 1922, p. 104.
  5. Pierre Milza, Napoléon III, Éd. Perrin, collection Tempus, Paris, 2006, p. 177.
  6. Hayat 2014, p. 324
  7. L'Atelier : organe spécial de la classe laborieuse : 1840-1850, Gallica
  8. Nouvelle biographie générale des temps les plus reculés jusqu'à nos jours, sous la direction du docteur Hoeffer, tome 6, page 948, Paris 1855.
  9. « "Etat nominatif des gardes nationaux des départements qui ont mérité une mention honorable pour le courage et le dévouement dont ils ont donné des preuves pendant les journées de juin 1848" in Gazette des Tribunaux du 3 octobre 1848 ».
  10. Il est à noter que les villes d'Amiens et de Rouen ont décerné une médaille spécifique et nominative à chacun de leurs gardes nationaux respectifs.
  11. Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d'histoire, Paris, Bordas, 1978, t. G-J, p. 2479, art. Juin 1848.
  12. Sylvie Aprile, la IIe RĂ©publique et le Second Empire, Pygmalion, 2000.
  13. Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Éditions Gallimard, 2007 1852, p. 185. Cité dans Hayat 2014, p. 20.
  14. Alexis de Tocqueville, Souvenirs, Paris, Éditions Gallimard, 1999 1850-1851, p. 182. Cité dans Hayat 2014, p. 20.
  15. Philippe Vigier, La Seconde République, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2001.
  16. Arnaud Coutant, 1848, quand la république combattait la Démocratie, Mare et Martin, 2009.
  17. Hayat 2014, p. 335-336.
  18. Hayat 2014, p. 325-329

Voir aussi

Sources primaires imprimées

  • Maurice Agulhon, Quarante-Huitards, Paris, Gallimard-Julliard, collection « Archives », 1976.
  • Antoine Pagès-Duport, JournĂ©es de Juin. RĂ©cit complet des Ă©vĂ©nements des 23, 24, 25, 26 et des jours suivants. AccompagnĂ© d'un plan de Paris, des DĂ©crets rendus par l'AssemblĂ©e Nationale, des Actes officiels contenus au Moniteur, des diverses proclamations affichĂ©es dans Paris, et de Notices sur les gĂ©nĂ©raux tuĂ©s, Paris et Lyon, Th. Pitrat et Fils, 1848.
  • François Pardigon, Épisodes des journĂ©es de juin 1848, 1852, rĂ©Ă©dition 2008, Ă©ditions La Fabrique (ISBN 9782913372788).

Bibliographie

  • Maurice Agulhon, 1848 ou l'apprentissage de la RĂ©publique (1848-1852), Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points. Histoire / Nouvelle histoire de la France contemporaine, no 8 » (no 108), , 249 p. (prĂ©sentation en ligne). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
    Nouvelle édition révisée et complétée : Maurice Agulhon (postface Philippe Boutry), 1848 ou l'apprentissage de la République (1848-1852), Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points. Histoire / Nouvelle histoire de la France contemporaine, no 8 » (no 108), , 328 p. (ISBN 2-02-055873-4).
  • Sylvie Aprile, Histoire politique de la France, La IIe RĂ©publique et le Second Empire, 1848-1870 : du prince prĂ©sident Ă  NapolĂ©on III, Paris, Pygmalion, , 397 p. (ISBN 2-85704-680-4).
  • Arnaud Coutant, 1848, quand la rĂ©publique combattait la DĂ©mocratie, Mare et Martin, 2009.
  • Quentin Deluermoz, « Comparer les massacres ? La boucherie de et la Semaine sanglante de », dans Jean-Claude Caron (dir.), Paris, l'insurrection capitale, CeyzĂ©rieu, Champ Vallon, coll. « Époques », , 263 p. (ISBN 978-2-87673-997-0), p. 55-69.
  • Georges Duveau, 1848, Gallimard, collection IdĂ©es, 1965.
  • Jean-Claude Farcy, InculpĂ©s des insurrections de juin 1848. Base de donnĂ©es, Centre Georges Chevrier - (UniversitĂ© de Bourgogne/CNRS), [En ligne] : http://inculpes-juin-1848.fr/
  • Henri Guillemin, 1848 : la première rĂ©surrection de la RĂ©publique, Utovie, 2006.
  • Samuel Hayat, Quand la RĂ©publique Ă©tait rĂ©volutionnaire : citoyennetĂ© et reprĂ©sentation en 1848, Paris, Éditions du Seuil, , 404 p. (ISBN 978-2-02-113639-5, prĂ©sentation en ligne, lire en ligne), [prĂ©sentation en ligne], [prĂ©sentation en ligne].
  • Victor Marouck, Juin 1848, Paris, 1998, (ISBN 2-902963-37-8).
  • Louis MĂ©nard, Prologue d'une rĂ©volution, fĂ©vrier-juin 1848 (première Ă©dition : 1849), Paris, La Fabrique, 2007.
  • Dolf Oehler, Juin 1848, le spleen contre l'oubli : Baudelaire, Flaubert, Heine, Herzen, Marx, La Fabrique Ă©ditions, 2017.
  • Philippe Vigier, La Seconde RĂ©publique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? » (no 295), , 8e Ă©d. (1re Ă©d. 1967), 127 p. (ISBN 2-13-052359-5, prĂ©sentation en ligne).
  • Michel Winock, 1848 : tous en scène in Les voix de la libertĂ© : les Ă©crivains engagĂ©s au XIXe siècle, Éditions du Seuil, 2001, p. 315-345

Articles connexes

Liens externes

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