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Le régime franquiste et la question juive

Le discours franquiste sur les Juifs se nourrissait Ă  plusieurs sources. La premiĂšre, de nature religieuse, Ă©tait l’antijudaĂŻsme catholique traditionnel et populaire, profondĂ©ment ancrĂ© dans les mentalitĂ©s ; ensuite, un antisĂ©mitisme de nature politique apparut dans la propagande franquiste, comme Ă©lĂ©ment d’un montage idĂ©ologique oĂč le judaĂŻsme figurait, aux cĂŽtĂ©s de la franc-maçonnerie et du communisme, comme l’un des piliers d’un ennemi tricĂ©phale. Pendant la Guerre civile, il y eut enfin la tentative, sous la pression d’agents nazis prĂ©sents Ă  Madrid, d’y greffer un antisĂ©mitisme racial et biologique, lequel cependant, en dĂ©pit de puissants moyens de propagande (presse, Ă©dition, cinĂ©ma), peina Ă  prendre pied en Espagne. Nonobstant que de nombreux Juifs aient combattu comme volontaires dans le camp rĂ©publicain, notoirement au sein des Brigades internationales, nul camp de concentration ne fut jamais bĂąti et aucune loi de discrimination raciale dirigĂ©e expressĂ©ment contre les Juifs, Ă  l’instar de celles de Nuremberg de 1935, ne fut jamais en vigueur en Espagne, ce qui du reste eĂ»t Ă©tĂ© largement sans objet, vu le faible effectif de la communautĂ© juive dans le pays (6 000 individus au dĂ©but de la Guerre civile). De plus, cet antisĂ©mitisme se trouvait mĂątinĂ© de philosĂ©faradisme, c’est-Ă -dire d’une affinitĂ© culturelle et affective (mais non exempte d’arriĂšre-pensĂ©es Ă©conomiques, gĂ©opolitiques etc.) pour les SĂ©farades, descendants des Juifs qui, chassĂ©s d’Espagne en 1492 et dispersĂ©s, avaient gardĂ© l’idiome castillan, des chants et plusieurs coutumes de leur ancienne patrie, et que la droite espagnole n’avait garde de confondre avec les AshkĂ©nazes, considĂ©rĂ©s vils. Par philosĂ©faradisme, que professait aussi Franco lui-mĂȘme, le dictateur Primo de Rivera avait offert en 1924 aux SĂ©farades la possibilitĂ© d’acquĂ©rir la nationalitĂ© espagnole, ce dont feront usage quelques milliers d’entre eux. De façon gĂ©nĂ©rale, l’antisĂ©mitisme apparaĂźt instrumentalisĂ©, et donne l’impression d’ĂȘtre plaquĂ©, Ă  des fins utilitaires, sur la propagande officielle, et de ne pas ĂȘtre de conviction ; gĂ©nĂ©ralement, le judaĂŻsme Ă©tait traitĂ© comme un phĂ©nomĂšne strictement religieux et comme un systĂšme de valeurs opposĂ© Ă  celui qu’incarnait le christianisme, c’est-Ă -dire comme une erreur susceptible de rĂ©paration par l’effet de la conversion. AprĂšs la guerre mondiale se produisit un glissement phobique vers l’État d’IsraĂ«l, d’une part parce que ce nouvel État (qui n’était pas dupe de la duplicitĂ© de Franco pendant la guerre) vota Ă  l’ONU en 1949 contre la levĂ©e de l’ostracisme contre l’Espagne, d’autre part pour complaire aux pays arabes.

Franco aux cĂŽtĂ©s de Heinrich Himmler dans le palais d'Orient Ă  Madrid lors de la visite du dirigeant nazi en Espagne en 1940. À droite, RamĂłn Serrano SĂșñer, alors ministre des Affaires Ă©trangĂšres.

L’attitude de l’Espagne franquiste vis-Ă -vis des Juifs persĂ©cutĂ©s pendant la Seconde Guerre mondiale varia au grĂ© des circonstances et du rapport de forces au sein la coalition franquiste au gouvernement. Le discours antisĂ©mite s’exacerba pendant la premiĂšre phase de la Guerre mondiale (coĂŻncidant avec la phase fasciste du franquisme), en maniĂšre de « tribut rhĂ©torique » aux puissances de l’Axe, envers lesquelles l’Espagne se reconnaissait une dette d’honneur et qui semblaient alors devoir sortir victorieuses du conflit, mais s’émoussa dans la deuxiĂšme phase de la guerre, quand il s’agissait au contraire de faire bon visage vis-Ă -vis des puissances alliĂ©es, dĂ©sormais probables vainqueurs, et quand le rĂ©gime se promettait la bienveillance du monde juif envers lui dans l’aprĂšs-guerre. Ces circonstances allaient se reflĂ©ter dans l’attitude du rĂ©gime face Ă  l’Holocauste et dans ses efforts — resp. rĂ©ticences — Ă  dĂ©fendre (en tant que pays neutre favorable Ă  l’Axe) les Juifs persĂ©cutĂ©s dans les pays occupĂ©s par l’Allemagne ; cela se traduisit dans un premier temps par des consignes de passivitĂ© donnĂ©es aux diplomates, par une protection consulaire parcimonieuse et intransigeante strictement limitĂ©e aux seuls SĂ©farades dĂ»ment titulaires de la citoyennetĂ© espagnole (moins de quatre milliers), par des tergiversations dans les rapatriements de ces ressortissants juifs vers la PĂ©ninsule etc., puis, vers la fin de 1942, aprĂšs le tournant de la guerre, par une plus grande libĂ©ralitĂ©. Il est vrai que, si le gouvernement franquiste enferma dans un camp de concentration les dizaines de milliers de rĂ©fugiĂ©s qui franchissaient clandestinement les PyrĂ©nĂ©es, il s’abstint (sauf cas rares) de les refouler vers la France. À partir de 1944, le rĂ©gime accorda une protection plus gĂ©nĂ©reuse et tolĂ©rait dĂ©sormais, s’il ne les suscitait pas, les initiatives de ses reprĂ©sentants consulaires visant Ă  protĂ©ger les juifs ; mais le sauvetage de victimes potentielles qui eut lieu en GrĂšce, Bulgarie, Hongrie et Roumanie Ă©tait tributaire surtout des efforts humanitaires spontanĂ©s des diplomates espagnols dans ces pays, dont en particulier Alberto Rolland Ă  Paris, GinĂ©s Vidal Ă  Berlin, Julio Palencia Ă  Sofia, JosĂ© Rojas Ă  Bucarest, SebastiĂĄn Romero en GrĂšce, et Sanz Briz Ă  Budapest, ce dernier dĂ©livrant des visas Ă  des Juifs hongrois bien au-delĂ  des critĂšres d’admission fixĂ©s par son ministĂšre de tutelle, octroyant gĂ©nĂ©reusement le statut de protĂ©gĂ© Ă  des Juifs de toute origine, et les recueillant dans des immeubles jouissant du statut d’extraterritorialitĂ©. Mais tout au long de la guerre ne cessĂšrent jamais de prĂ©valoir les mĂȘmes constantes — rapatriement des seuls ressortissants espagnols, admission de Juifs sur le territoire conditionnĂ©e au dĂ©part prĂ©alable du contingent prĂ©cĂ©dent etc. —, qui eurent pour effet que le nombre de Juifs ainsi secourus est restĂ© en deçà du potentiel de sauvetage de l’Espagne. En tout Ă©tat de cause, purent ainsi ĂȘtre sauvĂ©s : prĂšs de 30 000 Juifs dĂ©tenteurs d’un visa d’entrĂ©e au Portugal et auxquels Madrid octroya un visa de transit, dans la premiĂšre phase de la guerre ; 11 535 Juifs recueillis sur le sol espagnol, dont 7 500 entrĂ©s clandestinement, dans la seconde phase ; 3 235 qui jouirent de l’une ou l’autre forme de protection diplomatique sur place en zone occupĂ©e ; et 800 ressortissants rapatriĂ©s. AprĂšs la guerre, Franco exploita la conduite humanitaire de ces reprĂ©sentants diplomatiques pour se fabriquer une image de « sauveur de Juifs », dĂ©montĂ©e plus tard par les historiens.

Si aucune loi, ni pendant la phase fasciste du rĂ©gime, ni pendant le national-catholicisme qui lui fera suite, ne fut adoptĂ©e spĂ©cifiquement contre les Juifs, l’interdiction de tout culte autre que le catholicisme revenait dans les faits Ă  rendre impossible la pratique du judaĂŻsme. Cependant, dĂšs 1949, deux synagogues furent inaugurĂ©es dans des appartements privĂ©s Ă  Madrid et Barcelone. Plus tard, et malgrĂ© l’opposition des secteurs les plus intĂ©gristes et ultra du franquisme, des assouplissements furent consentis sous l’influence de Vatican II et sous l’égide de la dĂ©nommĂ©e Loi sur la libertĂ© religieuse adoptĂ©e en 1967 et d’un amendement Ă  la Charte des Espagnols approuvĂ© par rĂ©fĂ©rendum en , qui garantissait la libertĂ© religieuse, sans encore Ă©lever celle-ci au rang de droit fondamental. Les effectifs de la communautĂ© juive d’Espagne connurent dans les dĂ©cennies d’aprĂšs-guerre un accroissement considĂ©rable, passant de 2 500 en 1950 Ă  12 000 Ă  la fin de l’ùre franquiste.

Fondements idéologiques

Franco et les Juifs

Arrivée de Franco à la basilique Sainte-Marie de San Sebastiån en 1941.

Depuis ses annĂ©es de guerre au Maroc, Franco professait le philosĂ©faradisme, c’est-Ă -dire se sentait une affinitĂ© avec les Juifs sĂ©farades, avec qui il avait Ă©tĂ© amenĂ© Ă  traiter, et avec qui ensuite il avait nouĂ© une certaine amitiĂ©. En atteste son article Xauen la triste (Xauen=Chefchaouen) paru dans la Revista de Tropas Coloniales en 1926, alors qu’il Ă©tait ĂągĂ© de 33 ans et qu’il venait d’ĂȘtre promu gĂ©nĂ©ral de brigade. Dans ledit article, il mettait en exergue les vertus des SĂ©farades, qu’il mettait en regard de la « sauvagerie» (salvajismo) des « Maures ». Plusieurs de ces SĂ©farades lui apporteront d’ailleurs leur concours actif lors du soulĂšvement de 1936. Le scĂ©nario que Franco Ă©crivit pour le film Raza de 1942 comporte un Ă©pisode oĂč transparaĂźt ce mĂȘme philosĂ©faradisme ; le personnage principal, visitant avec sa famille la synagogue Santa MarĂ­a La Blanca Ă  TolĂšde, dĂ©clare : « Juifs, Maures et ChrĂ©tiens se sont trouvĂ©s en ce lieu, et, au contact de l’Espagne, se sont purifiĂ©s », ce qui dĂ©note, raisonne l’historien Gonzalo Álvarez Chillida, que pour Franco, la supĂ©rioritĂ© de la nation espagnole se manifeste en particulier par ceci qu’elle est capable de purifier y compris mĂȘme les Juifs, en les transformant en SĂ©farades, bien distincts de leurs autres coreligionnaires[1].

Que ce philosĂ©faradisme ait Ă©tĂ© rĂ©el ou non, on retient des discours et allocutions de Franco l’impression que celui-ci ne soulevait la question juive que de maniĂšre intĂ©ressĂ©e, jamais par conviction idĂ©ologique, Franco incluant en effet dans ses textes telle rĂ©fĂ©rence lorsqu’il la jugeait politiquement opportune et l’en Ă©cartant quand la situation du moment le lui conseillait. S’il est certain qu’il ne mit aucun frein Ă  la puissante propagande antisĂ©mite diffusĂ©e en Espagne par les Allemands, il ne se montra jamais, hormis Ă  quelques moments bien prĂ©cis, un antisĂ©mite ardent. Pour lui, l’Espagne avait rĂ©solu le problĂšme juif dĂšs le XVe siĂšcle, et, dans la mesure ou l’unitĂ© religieuse atteinte alors n’était pas remise en question, l’Espagne avait pu, dĂ©clara-t-il Ă  un journaliste, devenir un pays de tolĂ©rance Ă  l’égard de tous les cultes[2].

Franco envisageait le judaĂŻsme comme un problĂšme d’ordre spirituel, ainsi qu’il appert du discours qu’il prononça Ă  TolĂšde le Ă  l’occasion du troisiĂšme anniversaire de la prise de l’Alcazar et dans lequel Franco prĂ©fĂ©ra, au lieu de se rĂ©fĂ©rer explicitement aux Juifs, user de l’habituelle pĂ©riphrase « race maudite », dĂ©signant par lĂ  le peuple damnĂ© pour avoir trahi la confiance que Dieu avait mise en lui et s’ĂȘtre adonnĂ© Ă  la violence et aux assassinats collectifs contre ses frĂšres chrĂ©tiens[3]. Cependant, Franco invoquait non pas les postulats racistes en vogue dans ces annĂ©es-lĂ , provenant principalement d’Allemagne et de France, mais le principe de la puretĂ© de sang en vigueur sous le rĂšgne des Rois catholiques, principe qui fut Ă  la base d’une politique axĂ©e non sur une eugĂ©nĂ©sie raciale et sur la puretĂ© biologique opposĂ©e au mĂ©tissage, mais sur l’unitĂ© religieuse de la nation. Des interventions publiques de Franco, il n’apparaĂźt pas que la question juive ait tenu un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant dans ses discours et allocutions de propagande, pas plus qu’elle ne se soit traduite par une participation active au gĂ©nocide juif en cours en Europe, dont l’Espagne avait certes eu dĂ»ment connaissance[4].

D’aucuns se sont Ă©vertuĂ©s Ă  expliquer le philosĂ©faradisme de Franco par ses supposĂ©es ascendances judĂ©oconverses, en prenant notamment pour preuve sa dĂ©votion pour sainte ThĂ©rĂšse de JĂ©sus, qui Ă©tait issue d’une famille de juifs convertis. Certains en effet ont postulĂ© une ascendance juive de Franco ; aprĂšs sa mort en particulier, des rumeurs insistantes ont circulĂ© Ă  propos de supposĂ©es origines juives de la famille Franco, bien qu’aucune preuve concrĂšte ne soit venue corroborer cette thĂšse. Il est vrai que le nom Franco est couramment portĂ© par des SĂ©farades que l’on retrouve Ă©parpillĂ©s en Hollande, en Italie, en Tunisie, en Turquie, en Asie mineure, en CrĂšte et aux États-Unis, cependant plusieurs onomasticiens posent que Franco peut aussi ĂȘtre la traduction du mot franc, l’immigrĂ© du Nord au Moyen Âge, pendant la ReconquĂȘte notamment, ou dĂ©signer celui qui Ă  la mĂȘme Ă©poque Ă©tait exemptĂ© du droit de capitation et de certains tributs. Par contre, le nom de sa mĂšre, Bahamonde y Pardo de Andrade, ne prĂȘtait pas Ă  controverse[5] - [note 1]. L’enquĂȘte de puretĂ© de sang de 1794, allĂ©guĂ©e par l’historien Luis SuĂĄrez FernĂĄndez, qui fut conduite au bĂ©nĂ©fice de NicolĂĄs Franco SĂĄnchez de Viñas y Freyre de Andrade, ancĂȘtre du Caudillo, et faisait Ă©tat de six tĂ©moignages, n’est pas dĂ©terminante, car Ă  cette Ă©poque, les enquĂȘtes Ă©taient devenues complaisantes. Franco du reste ne manifesta jamais le moindre souci Ă  l’égard de ses origines[6] - [7] et aucun document ne laisse entrevoir de la part de Franco une quelconque prĂ©occupation au sujet de ses origines. Pour lui comme pour beaucoup d’Espagnols, la question de la puretĂ© biologique ne se posait plus depuis longtemps[8]. Les historiens Payne et Palacios font observer par ailleurs que la majoritĂ© de la population juive d’Espagne s’est convertie au catholicisme au fil des gĂ©nĂ©rations pendant les XIVe et XVe siĂšcles, avec le rĂ©sultat que la sociĂ©tĂ© espagnole a absorbĂ© plus de gĂšnes juifs que tout autre pays europĂ©en. Une Ă©tude gĂ©nĂ©tique publiĂ©e en 2008 a conclu qu’approximativement 20 % de la population espagnole possĂšde une ascendance juive. Cela est si commun, que quand mĂȘme tel eĂ»t Ă©tĂ© le cas de Franco, cela serait une caractĂ©ristique partagĂ©e par plus de huit millions de citoyens de l’Espagne du XXIe siĂšcle et ne reprĂ©senterait nullement un trait exceptionnel[9]. C’est du reste aussi sans aucun rĂ©sultat probant que le nazi Reinhard Heydrich diligenta, une quarantaine d’annĂ©es aprĂšs la naissance de Franco, une enquĂȘte sur les supposĂ©es origines juives de Franco. Quoi qu’il en soit, le philosĂ©faradisme du Caudillo n’entama en rien sa politique visant Ă  garder l’Espagne exempte de Juifs, sauf dans ses territoires en Afrique du Nord[5] - [1]. Pour Franco, comme pour tant d’autres reprĂ©sentants du rĂ©gime, la force de la culture espagnole, profondĂ©ment catholique, avait rĂ©ussi Ă  unir sous une mĂȘme identitĂ© et religion tous les habitants de la PĂ©ninsule. Le judaĂŻsme est traitĂ© par Franco comme un phĂ©nomĂšne religieux, c’est-Ă -dire comme une erreur susceptible de rĂ©paration par l’effet de la conversion, et non comme une donnĂ©e raciale et biologique. Il est Ă  noter que la scĂšne concernĂ©e du film Raza ne fut jamais tournĂ©e, ou du moins ne fut jamais incorporĂ©e dans le montage dĂ©finitif, ni dans la version originale sortie en salle en 1942, ni dans la nouvelle version sortie sous le titre EspĂ­ritu de una Raza (littĂ©r. Esprit d’une race) dans les annĂ©es 1950. Les invectives anti-maçonniques en revanche ne font dĂ©faut dans aucune de ces deux versions[10].

Franco intervint une fois publiquement pour stopper une flambĂ©e d’antisĂ©mitisme dans le Protectorat du Maroc pendant la Guerre civile. Dans ses troupes, les Espagnols juifs servaient dans les mĂȘmes conditions que les autres soldats, et il n’y eut aucun rĂšglement pris par son gouvernement tendant Ă  imposer des restrictions ou des discriminations Ă  l’encontre des Juifs[11]. Álvarez Chillida relĂšve :

Portrait de ThĂ©rĂšse de JĂ©sus (1614), pour qui le gĂ©nĂ©ral Franco avait une grande dĂ©votion. L’on ignore si Franco savait qu’elle Ă©tait d’origine conversa.

« Franco Ă©tait beaucoup moins antisĂ©mite que nombre de ses compagnons d’armes, tels que Mola, Queipo de Llano ou Carrero Blanco, et cela se rĂ©percuta sans aucun doute sur la politique de son rĂ©gime Ă  l’égard des Juifs[12]. Dans ses discours et dĂ©clarations pendant la Guerre civile, il n’usa jamais d’aucune expression antisĂ©mite. Pour lui, les ennemis sont la Russie, le communisme et la franc-maçonnerie, qui [d’aprĂšs lui] dominent le camp rĂ©publicain. Ces idĂ©es provenaient des bulletins de l’Entente internationale anticommuniste, avec siĂšge Ă  GenĂšve (Suisse), auxquels le gĂ©nĂ©ral Franco Ă©tait abonnĂ© depuis l’époque de la dictature de Primo de Rivera[13]. »

Ce n’est qu’à la fin de la Guerre civile, aprĂšs la victoire nationaliste, que la collusion « judĂ©o-maçonnique bolchĂ©vique » commença Ă  ĂȘtre dĂ©signĂ©e de façon rĂ©currente comme l’ennemi diabolique Ă  l’origine des maux du pays[14] - [15]. Les premiĂšres manifestations antisĂ©mites de Franco apparurent dans le discours qu'il prononça le lors du dĂ©filĂ© de la Victoire Ă  Madrid[16] :

« Le judaĂŻsme, la maçonnerie et le marxisme Ă©taient des griffes plantĂ©es dans le corps national par les dirigeants du Front populaire qui obĂ©issaient aux consignes du Komintern russe. [
] Ne nous faisons pas d’illusions : l’esprit judaĂŻque, qui a permis la grande alliance du grand capital avec le marxisme, qui en sait long sur les pactes avec la rĂ©volution anti-espagnole, ne s’extirpe pas en un seul jour et palpite dans le fond de beaucoup de consciences »[17]. »

Dans son traditionnel message de fin d’annĂ©e du , alors que Hitler venait d’envahir la Pologne et entreprenait de confiner les Juifs polonais dans des ghettos, Franco alla jusqu’à justifier la politique raciale de l’Axe, en se rĂ©fĂ©rant Ă  l’Expulsion des Juifs d'Espagne dĂ©crĂ©tĂ©e en 1492, et dĂ©clara comprendre

« les motifs qui ont portĂ© diffĂ©rentes nations Ă  combattre et Ă  Ă©carter de leurs activitĂ©s ces races oĂč la convoitise et l’intĂ©rĂȘt sont les stigmates qui les caractĂ©risent, car leur prĂ©pondĂ©rance dans la sociĂ©tĂ© est cause de perturbation et de danger pour l’accomplissement de leur destin historique. Nous autres qui, par la grĂące de Dieu et par la lucide vision des Rois catholiques, nous sommes dĂ©livrĂ©s il y a plusieurs siĂšcles dĂ©jĂ  d’un fardeau si pesant, ne pouvons pas rester indiffĂ©rents face Ă  cette nouvelle floraison d’esprits cupides et Ă©goĂŻstes, si attachĂ©s aux biens terrestres qu’ils sont prĂȘts Ă  sacrifier leurs enfants Ă  leurs intĂ©rĂȘts douteux. »

— Francisco Franco, [12] - [15].

Si donc en Espagne, il n’était plus guĂšre question d’un « problĂšme juif », c’était d’aprĂšs Franco grĂące Ă  la politique d’unification religieuse accomplie par les Rois catholiques, laquelle politique avait tendu Ă  expulser toute personne rĂ©tive Ă  se convertir au christianisme et Ă  « effacer » par lĂ  son « stigmate » juif. De nouveau, Franco insiste sur la dimension spirituelle qu’il attache Ă  la question juive, mais lui donne ici en plus une dimension Ă©conomique, quand il identifiait aux Juifs les petits commerçants qui tiraient profit de la pĂ©nurie de produits de base dont souffrait la population espagnole pendant les annĂ©es de l’aprĂšs-guerre civile, Franco rĂ©habilitant ainsi le prototype du Juif avaricieux et Ă©goĂŻste, en accord avec les stĂ©rĂ©otypes mĂ©diĂ©vaux. Dans la mĂȘme allocution surgit Ă©galement un autre des topos habituels de la propagande du rĂ©gime : Ă©numĂ©rant les ennemis « de toujours » de l’Espagne, il mentionna « la franc-maçonnerie Ă  cheval sur l’EncyclopĂ©die », ceux qui « avec Riego portĂšrent le coup de grĂące Ă  notre Empire d’outremer », et ceux qui « entouraient la Reine rĂ©gente lorsqu’elle dĂ©crĂ©tait l’extinction des ordres religieux et l’expropriation de leurs biens, sous l’inspiration du Juif MendizĂĄbal »[18]. Pour sa part et dans le mĂȘme temps, RamĂłn Serrano SĂșñer, alors puissant beau-frĂšre du Caudillo, accusait (notamment dans une dĂ©claration du ) le judaĂŻsme d’ĂȘtre « l’ennemi de la nouvelle Espagne », tandis que l’amiral Carrero Blanco, future Ă©minence grise du dictateur, affichait lui aussi de vigoureuses convictions judĂ©ophobes[19].

Le , dans un discours devant la Section fĂ©minine de la Phalange, il fait de nouveau l’éloge de l’expulsion des Juifs de 1492[20], Ă©tablissant un parallĂšle entre la politique mise en Ɠuvre dans ce domaine par Isabelle la Catholique et la sienne propre, et dĂ©finissant pour la premiĂšre fois son rĂ©gime comme un rĂ©gime raciste :

« Mais ces siĂšcles de grandeur [ceux d’Isabelle la Catholique, de Charles Quint, de Cisneros, et de Philippe II] eurent aussi leur premiĂšre pierre ; ils eurent leur Ă©poque fondatrice, celle de la reine Catholique, qui crĂ©e une politique rĂ©volutionnaire, une politique totalitaire et, au bout du compte, raciste, en raison de ce qu’elle est catholique ; une doctrine et une idĂ©ologie qui tombent dĂ©jĂ  en dĂ©suĂ©tude, encore que nous autres les ayons fait resplendir avec l’esprit juvĂ©nile de nos Jeunesses[21]. »

Franco maintint ses positions antisĂ©mites mĂȘme aprĂšs les premiers revers des nazis dans la guerre. Ainsi, en , aprĂšs la dĂ©faite allemande de Stalingrad, le GĂ©nĂ©ralissime Ă©crivait au pape Pie XII[22] - [23] :

« DerriĂšre les coulisses se meuvent la franc-maçonnerie internationale et le judaĂŻsme imposant Ă  leurs affiliĂ©s l’exĂ©cution d’un programme de haine contre notre civilisation catholique, dont l’Europe constitue la cible principale car considĂ©rĂ©e comme le bastion de notre foi. »

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’attitude personnelle de Franco envers les juifs est Ă  mettre en comparaison avec celle de Serrano Suñer, qui face aux mesures anti-juives prises dans les pays sous occupation allemande recommanda une attitude passive aux diplomates espagnols Ă  l’étranger, de façon Ă  ne pas gĂȘner la politique allemande, ou avec celle de son successeur aux Affaires Ă©trangĂšres, GĂłmez-Jordana, qui ne fit preuve d’aucune complaisance envers les SĂ©farades menacĂ©s[24]. Jusqu’à l’étĂ© 1942, quelques milliers de juifs fuyant le nazisme, probablement au nombre de quelque 30 000, purent transiter par l’Espagne au cours de leur fuite, et rien n’indique qu’un seul d’entre eux ait Ă©tĂ© livrĂ© aux Allemands par l'effet d'une consigne officielle[11]. Cependant, si par la suite l’Espagne joua un rĂŽle plus positif, ce ne fut pas tellement sous l’impulsion de Franco, mais bien plus, indique BartolomĂ© Bennassar,

« grĂące Ă  l’action de son frĂšre NicolĂĄs, qui, approchĂ© par des reprĂ©sentants du CongrĂšs juif mondial, tança Jordana au cours d’une conversation tĂ©lĂ©phonique et l’obligea Ă  intervenir en faveur des SĂ©farades grecs. Surtout, l’honneur de l’Espagne franquiste fut sauvĂ© par plusieurs de ses diplomates en poste Ă  Paris, Berlin, AthĂšnes, en Bulgarie, en Hongrie etc., qui sauvĂšrent quelques milliers de Juifs, soit en obtenant leur entrĂ©e en Espagne, soit en les faisant placer sur des listes d’attente Ă  l’émigration. [
] Franco ne refusa pas systĂ©matiquement d’accorder asile aux Juifs, il intervint personnellement en leur faveur dans quelques cas exceptionnels et n’offrit jamais, Ă  l’inverse du rĂ©gime de Vichy, de livrer des Juifs. On ne saurait affirmer, en revanche, qu’il ait donnĂ© des instructions pour sauver le plus grand nombre de Juifs possible ; ce sont des diplomates qui, en dĂ©pit de l’inertie ou de la mauvaise volontĂ© de leur administration, ont rĂ©ussi quelques miracles[25]. »

Le quotidien phalangiste Arriba, oĂč Franco faisait paraĂźtre, sous pseudonyme, ses Ă©crits antisĂ©mites les plus virulents.

Les Ă©crits les plus violemment antisĂ©mites de Franco sont les articles que, sous le pseudonyme de Jakin (ou Jakim) Boor — nom de plume par lequel il signait depuis 1946 ses contributions au journal phalangiste Arriba —, il rĂ©digea pour le compte de ce journal en 1949 et 1950. Les rares rĂ©fĂ©rences judĂ©ophobes qu’on y voit surgir (sans qu’elles en constituent le thĂšme principal) ressortissent tant Ă  l’antisĂ©mitisme classique d’inspiration catholique, qu’à une forme nouvelle axĂ©e contre l’État d’IsraĂ«l. Sous cette signature, Franco publia les attaques les plus virulentes contre les Juifs jamais sorties de su plume ; il est vrai qu'elles sont datĂ©es entre 1949 et 1951, annĂ©es oĂč, aprĂšs le vote d’IsraĂ«l Ă  l’ONU en contraire Ă  la levĂ©e des sanctions contre l’Espagne, avait Ă©tĂ© rompu le respect mutuel qui s’était instaurĂ© entre le nouvel État juif et le rĂ©gime franquiste et qui Ă©tait le rĂ©sultat d’un accord secret conclu Ă  Lisbonne en 1944 entre le ministre Jordana et des reprĂ©sentants juifs[26]. Dans ces articles, Franco amalgamait les Juifs Ă  la franc-maçonnerie et les qualifie de « fanatiques dĂ©icides », de « peuple enkystĂ© dans la sociĂ©tĂ© oĂč il vit » et d’« armĂ©e de spĂ©culateurs accoutumĂ©s Ă  enfreindre ou Ă  contourner la loi »[27]. Dans l’article intitulĂ© Acciones asesinas (littĂ©r. Actions assassines) paru le , tissu d’incongruitĂ©s Ă©tabli Ă  partir du libelle antisĂ©mite Protocoles des sages de Sion, auquel Franco ajoutait pleine crĂ©ance et grĂące auquel, d’aprĂšs lui, on avait pu avoir connaissance de la conspiration du judaĂŻsme « visant Ă  s’emparer des leviers de la sociĂ©tĂ© »[16], Franco relate les crimes juifs dans l’Espagne du XVe siĂšcle, meurtres rituels d’enfants etc., rĂ©sultat sans doute d’influences contradictoires qu’il avait subies de Primo de Rivera, de phalangistes proches du nazisme, ou de quelques prĂȘtres vĂ©hĂ©ments[28]. Selon Álvarez Chillida, cet article est le plus antisĂ©mite de ceux qu’il Ă©crivit pour le compte d’Arriba sous le pseudonyme de Jakim Boor, attendu que de surcroĂźt, il souscrit Ă  la politique antisĂ©mite des Rois catholiques avec l’argument que les Juifs du Xe siĂšcle Ă©taient devenus des « sectes dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©es, secrĂštes, conspiratrices et criminelles », qui, entre autres mĂ©faits, commettaient « le meurtre d’enfants et d’adultes lors de rĂ©unions secrĂštes »[29]. D’autre part, il justifie l’expulsion des Juifs au XVe siĂšcle par le fait que les Juifs vĂ©ritables s’étaient dĂ©jĂ  convertis et que seuls furent chassĂ©s les irrĂ©dentistes qui agissaient contre l’unitĂ© religieuse poursuivie par les Rois catholiques[30]. L’attaque atteignit son point culminant avec un autre article, Maniobras masĂłnicas (littĂ©r. ManƓuvres maçonniques), en date du , oĂč la virulence antisĂ©mite s’exacerba encore, et oĂč la ligne argumentaire dĂ©jĂ  adoptĂ©e consistant Ă  centrer l’offensive sur le nouvel État juif Ă©tait renforcĂ©e[31]. Aussi peut-on voir, commente Álvarez Chillida, que « le philosĂ©faradisme de Franco avait ses limites, lesquelles devinrent patentes dĂšs que le nouvel État d’IsraĂ«l contraria ses projets internationaux »[29]. Toujours d’aprĂšs Álvarez Chillida, ces articles peuvent s’interprĂ©ter comme une rĂ©action au refus de l’État d’IsraĂ«l d’entretenir des relations diplomatiques avec le rĂ©gime franquiste et au fait que ce pays avait votĂ© Ă  l’ONU contre la levĂ©e des sanctions internationales dĂ©cidĂ©es en 1946 contre l’Espagne[32]. L’ire de Franco n’allait donc plus seulement aux Juifs, mais aussi Ă  l’État hĂ©breu rĂ©cemment fondĂ©, investi de toutes les tares de « ceux de sa race », de sorte que dĂ©sormais l’attaque contre l’État d’IsraĂ«l devint l’élĂ©ment central de ses textes antisĂ©mites. Du reste, dĂšs le , Ă  la fin d’un article intitulĂ© Los que no perdonan (littĂ©r. Ceux qui ne pardonnent pas), Franco s’en Ă©tait dĂ©jĂ  pris durement Ă  l’État d’IsraĂ«l, dans une premiĂšre occurrence de ce glissement phobique vers l'État d'IsraĂ«l qui trouvera sa pleine expression aprĂšs la crĂ©ation de l’État juif[33]. Selon Isidro GonzĂĄlez GarcĂ­a, durant les annĂ©es 1949 et 1950, l’éloignement entre l’Espagne et IsraĂ«l Ă©tait devenu absolu[34].

Au vu de ces Ă©crits, il est raisonnable d’admettre que la protection des Juifs qu’il laissa s’organiser pendant la guerre lui avait Ă©tĂ© insufflĂ©e par son antipathie pour Hitler, ou par son frĂšre NicolĂĄs. À partir de la fin de 1942, on peut y discerner aussi la pression du pape Pie XII qui dĂ©nonçait « l’horreur des persĂ©cutions raciales » et accordait « un soutien sĂ»r Ă  des prĂȘtres ou Ă  des institutions » agissant en faveur des Juifs[28].

Nature et fonction de l’antisĂ©mitisme dans l’idĂ©ologie franquiste

L’antisĂ©mitisme comme Ă©lĂ©ment d’un montage idĂ©ologique

Les Ă©lĂ©ments intellectuels, argumentations et mythes qui composent le discours antisĂ©mite franquiste avaient pour finalitĂ© non pas la rĂ©pression contre les Juifs, du reste fort peu nombreux en Espagne — sur la foi d’un recensement de 1933, la communautĂ© juive d’Espagne ne comprenait pas plus de 6 000 personnes, dont un bon nombre dĂ©cida d’émigrer Ă  l’éclatement de la Guerre civile[35] —, mais au premier chef le renforcement de l’identitĂ© nationale et, dans la premiĂšre phase de la Seconde Guerre mondiale, l’allĂ©geance idĂ©ologique du nouvel État franquiste aux puissances de l’Axe, qui avaient bien, quant Ă  elles, et contrairement Ă  l’Espagne franquiste, fait de l’antisĂ©mitisme une politique Ă©liminationniste d’État[36].

Dans la propagande franquiste, le Juif n’était que l’une des parties constituantes d’un ennemi composite, oĂč il se trouvait en association avec le franc-maçon et le communiste[37]. D’aucuns interprĂštent l’idĂ©ologie du rĂ©gime franquiste fondamentalement comme une construction factice destinĂ©e Ă  faire accroire que le rĂ©gime serait davantage que la simple rĂ©incarnation du traditionnel casticisme (puretĂ©) catholique ou que le produit des prĂ©tentions caudillistes d’une institution militaire Ă  longue tradition autoritaire, c’est-Ă -dire destinĂ©e Ă  confĂ©rer un vernis de modernitĂ© europĂ©enne Ă  un rĂ©gime politique sous-tendu par des valeurs traditionnelles archaĂŻques imposĂ©es depuis des siĂšcles au pays par l’Église et par l’armĂ©e. Cependant, les thĂšses nationales-socialistes, plus particuliĂšrement en matiĂšre de doctrine raciale, n’eurent qu’une faible incidence sur l’identitĂ© nationale que l’on se proposait de façonner. Il est vrai cependant que dans la triade propagandiste par laquelle judaĂŻsme, franc-maçonnerie et communisme Ă©taient identifiĂ©s comme un mĂȘme ennemi tricĂ©phale, l’antisĂ©mitisme pouvait en Espagne s’appuyer sur une longue tradition littĂ©raire, mĂȘme si celle-ci restait circonscrite Ă  la sphĂšre religieuse et se prĂ©sentait en alliance avec un philosĂ©faradisme qui, dĂ©guisĂ© parfois en philojudaĂŻsme, n’était qu’un faux-semblant visant Ă  mettre en relief les valeurs de l’HispanitĂ© et Ă  se rĂ©approprier le passĂ© culturel de la supposĂ©e Espagne des trois cultures, c’est-Ă -dire les annĂ©es du « glorieux Empire ». Il y a lieu cependant, si l’on veut cerner la vĂ©ritable nature de l’antisĂ©mitisme espagnol de cette Ă©poque, de l’isoler de ladite triade, compte tenu qu’au-delĂ  de son exploitation propagandiste, un discours judĂ©ophobe avait cours durant ces annĂ©es en Espagne qui prĂ©sentait une spĂ©cificitĂ© suffisamment forte pour qu’on s’attarde Ă  en fixer les particularitĂ©s. Bien qu’utilisĂ© comme arme de propagande politique dont les manifestations fluctuaient au grĂ© de la conjoncture, le discours antisĂ©mite comportait quelques constantes argumentaires restĂ©es inchangĂ©es tout au long de la pĂ©riode. Ainsi, s’il est vrai que l’antisĂ©mitisme en Espagne remplit p. ex. une fonction politique en rapport avec les impĂ©ratifs des alliances internationales que le rĂ©gime dut nouer (avec l’Axe d’abord, avec les puissances alliĂ©es ensuite) pour survivre, il existait aussi et surtout, au-delĂ  de ces nĂ©cessitĂ©s circonstancielles, comme discours articulĂ© et avait Ă©tĂ© intĂ©grĂ© dans la configuration de l’identitĂ© nationale espagnole[38].

DĂšs l’époque de la Seconde rĂ©publique et pendant la Guerre civile, le discours judĂ©ophobe fut exploitĂ© par les organisations intĂ©gristes Ă  tendance nationaliste et catholique, sous la houlette directe des agents nazis qui opĂ©raient en Espagne. Dans cette optique, l’antisĂ©mitisme Ă  caractĂšre racial et biologique qu’on rencontre non seulement dans la presse, mais aussi dans les livres de propagande et dans les ouvrages de certains auteurs qui Ɠuvraient Ă  doter d’un corps doctrinal le nouvel État franquiste, remplit une fonction idĂ©ologique et servit Ă  opĂ©rer un alignement sur la puissance Ă©trangĂšre alors dominante[36]. En Espagne, l’orgueil de la race, la dĂ©fense de l’HispanitĂ© comme valeur en soi, et le christianisme comme seule philosophie cohĂ©rente, Ă©taient les valeurs premiĂšres immuables, celles qui conditionnĂšrent sur toute la pĂ©riode concernĂ©e les Ă©lĂ©ments secondaires du discours, dont notamment l’antisĂ©mitisme[39].

Il y eut en Espagne fondamentalement deux variĂ©tĂ©s d’antisĂ©mitisme, l’une de caractĂšre religieux, liĂ©e Ă  une composante fondatrice de l’identitĂ© nationale et dĂ©coulant historiquement du pouvoir de l’Église sur l’éducation et sur les moyens de communication, et l’autre de caractĂšre racial, importĂ© du national-socialisme, qui exerçait une forte influence sur les organes de presse du Mouvement national et sur un milieu intellectuel avide d’« espagnoliser » une idĂ©ologie clairement de provenance allemande et sous-tendue par des rĂ©fĂ©rences culturelles et mythologiques d’origine germanique. Le discours antisĂ©mite remplit des fonctions diffĂ©rentes, au grĂ© de la situation internationale de l’Espagne, bien que toujours sur un plan secondaire, Ă©tant donnĂ© que l’absence de Juifs sur le sol espagnol donnait une allure par trop impalpable Ă  leur dĂ©monisation[40].

Si donc le discours antisĂ©mite Ă  base raciale ne reçut qu’un mĂ©diocre accueil auprĂšs du public espagnol de l’époque, le discours antisĂ©mite de tradition catholique apparaĂźt au contraire d’une plus grande efficacitĂ©, bĂ©nĂ©ficiant en effet chez les lecteurs espagnols d’une identification affective et religieuse de loin supĂ©rieure. Tout au long de la pĂ©riode considĂ©rĂ©e, et en dĂ©pit de l’alignement du gouvernement de Franco sur le TroisiĂšme Reich, l’Église catholique d’Espagne afficha rĂ©solument son rejet des thĂ©ories racistes d’origine nationale-socialiste, sans pour autant que cela ait impliquĂ© de sa part une critique gĂ©nĂ©rale de l’Allemagne nazie, l’Église n’ayant Ă  aucun moment contestĂ© la prĂ©pondĂ©rance politique du Reich en Europe[41] - [42]. Le discours antisĂ©mite de l’Église se dĂ©ploya toujours sur un plan strictement religieux et soutenait que le judaĂŻsme reprĂ©sentait un systĂšme de valeurs opposĂ© Ă  celui qu’incarnait le christianisme. Les Juifs, affirmait la propagande judĂ©ophobe de l’Église, Ă©tait un peuple dĂ©icide, dont il y avait lieu de se dĂ©fier, en raison de leurs intĂ©rĂȘts partagĂ©s avec la franc-maçonnerie et avec le communisme. Elle avait alors coutume de ranger sous l’appellation gĂ©nĂ©rique de « les Internationales » Ă  la fois judaĂŻsme, communisme et franc-maçonnerie[43]. Le discours de rejet de tout ce qui est juif perdura au-delĂ  de la propagande politique, Ă  la faveur d’un substrat idĂ©ologique, religieux et sentimental qui faisait partie dĂ©jĂ  de l’identitĂ© nationale espagnole et s’appuyait sur les principes de l’HispanitĂ©, sur l’orgueil de la race, et sur le catholicisme[44] - [45].

Les Ă©ditoriaux de la revue Ecclesia forment une excellente synthĂšse du message que l’Église espagnole s’efforçait de transmettre Ă  ses ouailles. La premiĂšre des citations ci-dessous, extraite du premier Ă©ditorial de la revue, date du , la seconde du [46] (laquelle atteste que l’un des Ă©lĂ©ments clef de la propagande du rĂ©gime Ă©tait l’affirmation que l’Espagne avait devancĂ© les puissances europĂ©ennes en matiĂšre de solution du « problĂšme juif », de sorte que l’antisĂ©mitisme n’aura jamais Ă  dĂ©border de la sphĂšre religieuse vers la sphĂšre politique)[47] :

« Le peuple juif fut Ă©lu pour que de lui naisse le RĂ©dempteur. [...] La main de Dieu le dirigea durant des gĂ©nĂ©rations, mais Ă  partir de Salomon, son histoire n’est rien autre qu’une histoire de crimes et d’impiĂ©tĂ©s. [...] La crucifixion vint couronner cette histoire d’infidĂ©litĂ©. [...] L’affaissement du peuple juif, d’aprĂšs la doctrine de saint Paul et de saint Augustin, fut la consĂ©quence de son ingratitude envers le Seigneur. [...] Nous pouvons Ă©mettre quelques rĂ©serves Ă  propos de ce qui a poussĂ© aujourd’hui les États Ă  se prĂ©munir contre les influences perturbatrices des IsraĂ©lites. En revanche, l’attitude de l’Espagne Ă  travers les Rois catholiques n’appelle aucune rĂ©serve, car elle sut fonder sa rĂ©pulsion des Juifs sur des motifs non de nature physique, mais spirituelle et religieuse.
L’Espagne rĂ©solut le problĂšme juif dans sa propre maison, [...] devançant de plusieurs siĂšcles et avec discernement les mesures prophylactiques que tant de nations ont prises aujourd’hui pour se libĂ©rer de l’élĂ©ment judaĂŻque, tant de fois ferment de dĂ©composition nationale. »

Le prĂȘtre et fervent phalangiste FermĂ­n Yzurdiaga, dĂ©lĂ©guĂ© national Ă  la Presse et Ă  la Propagande du parti unique FET y de las JONS durant la Guerre civile, directeur du journal navarrais Arriba España, et fondateur de la revue JerarquĂ­a, s’attacha Ă  fixer la maniĂšre dont l’antisĂ©mitisme devait s’entendre dans le cadre du discours phalangiste, afin de se dĂ©marquer du fascisme italien et du national-socialisme allemand. De par la double qualitĂ© de leur auteur — Ă  la fois ecclĂ©siastique et responsable de la propagande du parti unique —, les textes de Yzurdiaga sont particuliĂšrement propres Ă  faire saisir la façon dont les postulats racistes, si rĂ©pandus en Europe, ont Ă©tĂ© absorbĂ©s par le nouvel État dans son idĂ©ologie chrĂ©tienne. Tout en exaltant la figure de JosĂ© Antonio Primo de Rivera, fondateur de la Phalange, et en invoquant la cĂ©lĂšbre sentence de celui-ci — « Pour l’Espagne, le problĂšme juif ne sera jamais un problĂšme de Race, mais un Article de Foi » —, Yzurdiaga allait rĂ©pĂ©tant que « l’essence du catholicisme est anti-raciste » et expliquait qu’au regard de cette question le « national-syndicalisme » se diffĂ©renciait du « fascisme et du national-socialisme », et que c’était lĂ  l’une des « distinctions essentielles » qui sĂ©parent les trois doctrines prĂ©citĂ©es :

« La Phalange n’est pas, ni ne peut ĂȘtre, “raciste”, Ă  moins de d’abord trahir sa Doctrine et de vider de son sens sa conception de l’homme, de la Patrie, de l’Empire. [...] C’est prĂ©cisĂ©ment le judaĂŻsme qui en Allemagne et en Italie a suscitĂ© la postulation des thĂ©ories raciales, en maniĂšre de dĂ©fense nationale. La Phalange a bien vu le panorama. Et elle a su distinguer entre JudaĂŻsme et AntisĂ©mitisme. Si, dans la conscience universelle moderne, on a fait un trinĂŽme irrĂ©futable et inĂ©branlable du “JudaĂŻsme-Franc-maçonnerie-Communisme”, compte tenu que ces trois apparaissent liguĂ©s et opĂšrent contre toute civilisation chrĂ©tienne, alors oui, pour nous le problĂšme est un Article de Foi. [...] L’Histoire sĂšche et dĂ©pouillĂ©e atteste que, abstraction faite de l’hĂ©gĂ©monie Ă©conomique par laquelle [les Juifs] tyrannisaient cupidement les terres et les domaines de Castille, il y avait, au centre de tout, l’Article de Foi, ce pĂ©ril profond et rĂ©el d’une apostasie du Catholicisme, nĂ©e dans le commerce insinuant et insensible des ennemis du Christ. [...] Supposer chez nos Rois catholiques une revendication du “droit du sang” est la calomnie et l’injure les plus fortes qu’on puisse jeter sur leur nom immortel et pur[48]. »

Cette construction idĂ©ologique qu’était l’antisĂ©mitisme ou la judĂ©ophobie en Espagne ne prit jamais une dimension programmatique ni juridique, dans la mesure ou le rĂ©gime avait dĂ©jĂ  choisi ses ennemis aussi bien externes (l’URSS et les dĂ©mocraties europĂ©ennes) qu’internes (la franc-maçonnerie et le communisme). Le discours judĂ©ophobe s’articulait d’une façon trĂšs dĂ©cousue, sans parvenir Ă  constituer un corpus unifiĂ© et cohĂ©rent, et avec guĂšre d’arguments intelligibles pour le public espagnol. L’antisĂ©mitisme fut mobilisĂ© en Espagne comme Ă©lĂ©ment surajoutĂ© Ă  un corps de doctrine idĂ©ologico-politique et Ă  un discours politique dĂ©magogique, comme pur artifice. En outre, on ne peut sans contresens admettre qu’en Espagne sĂ©vissait une forme d’antisĂ©mitisme au sens contemporain, c’est-Ă -dire une forme oĂč le Juif se voyait dĂ©nier la condition d’ĂȘtre humain. En Espagne en effet, la judaĂŻtĂ© Ă©tait rĂ©prouvĂ©e pour deux raisons qui plongent leurs racines dans le Moyen Âge espagnol : premiĂšrement, parce que l’identitĂ© espagnole et chrĂ©tienne (qui sont une et mĂȘme chose, selon JosĂ© JimĂ©nez Lozano) s’est construite sur le rejet du Juif et sur l’affirmation du catholicisme, et deuxiĂšmement, sur le plan moral, parce que le comportement juif, jugĂ© digne de rĂ©probation et brandi comme insulte, correspondait Ă  un mode de vie contraire Ă  celui des chrĂ©tiens. Ce qui est juif Ă©tait synonyme d’élĂ©ment Ă©tranger aux façons de « penser, sentir et de se comporter » et Ă  l’« anthropologie du chrĂ©tien ancien et espagnol Ă  part entiĂšre »[49] - [50].

Aussi la propagande antisĂ©mite n’était qu’artifice et piĂšce rapportĂ©e, et fut impuissante Ă  obtenir une intĂ©riorisation de la haine du Juif ; ce qu'elle rĂ©ussit Ă  installer dans les esprits n'alla guĂšre au-delĂ  de l’indiffĂ©rence, vu que l’Espagne n’hĂ©bergeait pas en son sein de Juifs dĂ©clarĂ©s ni reconnus. Il en rĂ©sulta que l’antisĂ©mitisme espagnol en fut un de type utilitaire, devant servir Ă  Ă©difier une thĂ©ologie politique sur un soubassement chrĂ©tien et Ă  charpenter sur le plan thĂ©orique le nouvel État franquiste. Si les thĂ©oriciens du franquisme — VĂ­ctor Pradera, Luis del Valle, JosĂ© PemartĂ­n ou Juan Beneyto PĂ©rez — eurent recours aux arguments antisĂ©mites, c’est pour asseoir l’unitĂ© religieuse comme prĂ©misse nĂ©cessaire Ă  la construction de l’unitĂ© nationale ; chez aucun d’eux, l’antisĂ©mitisme ne constituait un Ă©lĂ©ment central, et de façon gĂ©nĂ©rale, ils ne postulaient pas la nĂ©cessitĂ© de mettre en place des institutions propres Ă  extirper une maladie provoquĂ©e par des races maudites ou dĂ©lĂ©tĂšres pour la sante de la sociĂ©tĂ©. Certes, il incombera aussi au nouvel État d’ĂȘtre un exemple de christianitĂ©, en l’espĂšce sur le modĂšle des Ă©poques mythiques de l’histoire espagnole, en particulier le rĂšgne des Rois catholiques et l’ùre impĂ©riale de Charles Quint et Philippe II[51].

L’antisĂ©mitisme comme outil de propagande et le mythe de la conspiration judĂ©o-maçonnique

Dans la zone rebelle, tout au long de la Guerre civile et dans la pĂ©riode de la dictature franquiste correspondant Ă  la Seconde Guerre mondiale, on assista Ă  une exacerbation de l’antisĂ©mitisme chez les droites anti-rĂ©publicaines, Ă  quoi la Phalange ne resta pas Ă©trangĂšre, tĂ©moin le premier numĂ©ro de son journal Arriba España paraissant Ă  Pampelune et datĂ© du , oĂč figurait la consigne : « Camarade ! Tu as l’obligation de persĂ©cuter le judaĂŻsme, la franc-maçonnerie, le marxisme et le sĂ©paratisme »[52].

Attendu qu’il n’y avait pas de Juifs en Espagne — exception faite de quelques milliers au Maroc —, cet « antisĂ©mitisme sans Juifs » remplissait une fonction essentiellement politique et idĂ©ologique : assimiler le camp rĂ©publicain aux Juifs, en recourant aux vieux stĂ©rĂ©otypes antijuifs toujours vivaces dans la mĂ©moire populaire ; ainsi, certains paysans de Castille croyaient-ils que les « rouges » avaient une queue, comme cela se disait aussi des Juifs. Dans cette reprĂ©sentation, le mythe du complot judĂ©o-maçonnique jouait un rĂŽle central, lequel mythe avait dĂ©jĂ  dans le passĂ© servi aux droites anti-rĂ©publicaines Ă  expliquer le renversement de la monarchie en 1931 et la chute du monde traditionnel et catholique qui s’ensuivit. AprĂšs le coup d’État de juillet 1936, point de dĂ©part de la Guerre civile, le mythe de la conspiration fut utilisĂ© pour confondre en un seul et mĂȘme ennemi les diffĂ©rentes forces qui combattaient pour la RĂ©publique, en les classant toutes sous l’étiquette de « rouges », manipulĂ©es par les Juifs afin de mener la rĂ©publique vers le communisme ; l’ensemble de ces forces serait aux ordres du judaĂŻsme, et le projet de celui-ci de soviĂ©tiser l’Espagne serait d’ores et dĂ©jĂ  en cours de rĂ©alisation dans le camp ennemi au moyen d’atroces tueries, de la persĂ©cution religieuse et de la rĂ©volution sociale qui avait Ă©clatĂ© au dĂ©but de la guerre[53]. Dans Poema de la Bestia y el Ángel (littĂ©r. PoĂšme de la bĂȘte et l’Ange, 1938) de JosĂ© MarĂ­a PemĂĄn, Dieu donne mission Ă  l’Église espagnole d’affronter l’« Orient rouge et sĂ©mitique », parce que l’agent de la BĂȘte (de Satan) sur terre est « le Sage de Sion », idĂ©e qui trouve manifestement son origine dans Les Protocoles des Sages de Sion[54]. Voici un extrait de ce poĂšme :

« La bĂȘte dĂ©guisĂ©e en agneau se met Ă  la tĂąche. La Loge et la Synagogue ! Ils dĂ©cident la bataille et lancent une double malĂ©diction. D’abord contre la terre, que le Juif hait et persĂ©cute de son amour exclusif pour l’or, pour la richesse fluide et nobiliaire comme sa vie errante. Ensuite, contre la Croix, haine sĂ©culaire de sa race, on entend les malĂ©dictions du Juif et en deux brefs tableaux l’on voit comment l’une et l’autre se fracassent contre la terre d’Espagne pleine de sainte tĂ©nacitĂ© traditionnelle [...] DĂšs les journĂ©es centrales, l’Espagne eut, dans la reine Isabelle, le geste vaillant de l’expulsion. De nos jours, il y eut aussi un homme, le premier au monde, qui s’enhardit Ă  lutter face Ă  face contre les grandes puissances internationales de la finance juive. Lui fut le protomartyr de la grande croisade espagnole. Le serpent de Sion et la sainte Isabelle d’Espagne se font face dans une bataille de siĂšcles[55]. »

En outre, le mythe de la conspiration judĂ©o-maçonnique servait, selon l’historien Álvarez Chillida, Ă  « justifier moralement la cause de la guerre. Ceux qui l’avaient dĂ©clenchĂ©e en se rebellant, et dĂ©veloppĂ© ensuite une rĂ©pression cruelle et prolongĂ©e, se lavaient de toute culpabilitĂ© en transmutant la conflagration en une croisade contre les ennemis de Dieu, une dĂ©fense in extremis contre le plan satanique de soviĂ©tiser la catholique Espagne, plan en passe d’atteindre son point culminant Ă  l’étĂ© 1936 ». Le cardinal Isidro GomĂĄ, primat d’Espagne, dĂ©clara au lendemain de la prise de TolĂšde par les insurgĂ©s en [56] :

« Au sein des tĂ©nĂ©breuses sociĂ©tĂ©s manƓuvrĂ©es par l’internationalisme sĂ©mite, Juifs et francs-maçons ont empoisonnĂ© l’ñme nationale avec des doctrines absurdes, des contes tartares et mongoles transformĂ©s en systĂšme politique et social. »

Peu de mois plus tard, dans une lettre pastorale, GomĂĄ accusait les rĂ©publicains de s’ĂȘtre « liguĂ© officiellement avec des Juifs et des francs-maçons, vĂ©ritables reprĂ©sentants de l’anti-Espagne », pour rappeler ensuite la prĂ©sence de Russes dans le camp rĂ©publicain : « C’est douleur de voir le territoire national maculĂ© par la prĂ©sence d’une race Ă©trangĂšre, Ă  la fois victime et instrument de cette autre race, qui porte en ses entrailles la haine immortelle Ă  notre Seigneur JĂ©sus-Christ »[56]. Dans une pastorale de , l’évĂȘque de LeĂłn Carmelo Ballester affirmait que la Guerre civile Ă©tait une guerre « du judaĂŻsme contre l’Église catholique », ajoutant : « En cette heure critique de l’histoire, le judaĂŻsme peut tirer parti de deux Ă©lĂ©ments redoutables : [
] la franc-maçonnerie ; [
] le communisme et toutes entitĂ©s semblables, qui sont des corps diffĂ©rents mais appartenant Ă  la mĂȘme armĂ©e : l’anarchisme, l’anarcho-syndicalisme, le socialisme [
] »[57].

Les invectives antisĂ©mites Ă©taient trĂšs courantes Ă©galement chez les hauts-gradĂ©s des troupes rebelles. Le gĂ©nĂ©ral Queipo de Llano, dans une de ses fameuses causeries radiophoniques diffusĂ©es de SĂ©ville, s’amusa Ă  dire que le sigle URSS signifiait Union Rabbinique des Sages de Sion. En 1941, Carrero Blanco avait de la Seconde Guerre mondiale et du rĂŽle qu’avait Ă  y jouer l’Espagne la vision suivante[58] :

« L’Espagne, paladin de la foi dans le Christ, est une nouvelle fois confrontĂ©e au vĂ©ritable ennemi : le JudaĂŻsme [
]. Parce que le monde, bien qu’il n’y paraisse pas [
], vit une guerre constante de type essentiellement religieux. C’est la lutte du Christianisme contre le JudaĂŻsme. Guerre Ă  mort, comme doit l’ĂȘtre la lutte du bien contre le mal. »

La politique juive sous la dictature franquiste

Selon l’historien Joseph PĂ©rez, « depuis une date trĂšs prĂ©coce, les actes du gouvernement de Franco ne s’ajustent plus ni Ă  l’antijudaĂŻsme, ni Ă  l’antisĂ©mitisme, mais apparaissent conformes au philosĂ©faradisme tel que le concevait Primo de Rivera. Nous voyons en effet que, en dĂ©pit des attaques verbales contre les Juifs [les dĂ©clarations idĂ©ologiques sur le complot judĂ©o-maçonnique et l’approbation rĂ©pĂ©tĂ©e du dĂ©cret d’expulsion signĂ© en 1492 par les Rois catholiques], c’est cette politique-lĂ , inaugurĂ©e en 1924, qui est poursuivie ». PĂ©rez en veut pour preuve la crĂ©ation emblĂ©matique en 1941 de l’École d’études hĂ©braĂŻques (l’institut Arias Montano) qui, rattachĂ©e au CSIC, publiait la revue Sefarad[39] - [59].

L’appareil rĂ©pressif mis en place par le rĂ©gime n’avait pas Ă©tĂ© conçu pour servir Ă  l’extermination des Juifs telle qu'elle Ă©tait alors en cours en Allemagne. Il n’y eut en Espagne aucune lĂ©gislation spĂ©cifiquement antisĂ©mite, nul camp de concentration ou de prison spĂ©ciale pour la rĂ©clusion des Juifs ne fut jamais crĂ©Ă©, et il n’y eut aucune rĂ©pression directe Ă  leur encontre pour le seul fait d’ĂȘtre Juif, parce que leur nombre en Espagne Ă©tait infime et que les foudres de la rĂ©pression frappaient uniquement les Espagnols vaincus[60]. TĂ©moin notamment le fait que le , l’ambassadeur d’Allemagne Ă  Madrid, le baron Eberhard von Stohrer, manifesta dans un rapport expĂ©diĂ© au ministre des Affaires Ă©trangĂšres de son pays sa frustration d’avoir Ă©chouĂ© Ă  imposer une idĂ©ologie antisĂ©mite en Espagne, ainsi que cela avait Ă©tĂ© fait ailleurs en Europe ; selon Stohrer, il n’existait pas en Espagne de « problĂšme juif » et seul Ă©tait « digne de mention ces derniĂšres annĂ©es le fait que, sous l’effet de la propagande allemande, il y a eu quelques dures manifestations antisĂ©mites dans la presse et dans la littĂ©rature, de mĂȘme qu’il y a un certain nombre de livres sur le sujet, mais, dans l’ensemble, l’attitude des Espagnols a peu changĂ© »[61] - [62].

Pour sa part au contraire, l’historien Álvarez Chillida considĂšre le rĂ©gime franquiste comme antisĂ©mite, lors mĂȘme qu’il s’agisse d’un antisĂ©mitisme « qui plonge ses racines dans l’antique antijudaĂŻsme chrĂ©tien et dans la reprĂ©sentation du Juif propre au casticisme [purisme ethnique espagnol], latente dans la mentalitĂ© et la culture populaires ». L’antisĂ©mitisme franquiste s’est traduit par « une sorte de retour au dĂ©cret d’expulsion de 1492, avec l’interdiction totale de leur culte et de leurs organisations, hormis dans les territoires d’Afrique du Nord, et avec l’effort incessant d’empĂȘcher que les Juifs qui fuyaient la persĂ©cution allemande n’entrent [en Espagne] pour y rester »[63].

On note du reste que derriĂšre ces affinitĂ©s culturelles philosĂ©farades se cachaient aussi des intĂ©rĂȘts bien sentis[note 2], comme cela transparaĂźt dans un rapport diplomatique sur la situation des SĂ©farades rĂ©digĂ© par l’écrivain et diplomate AgustĂ­n de FoxĂĄ :

« Cinq cent mille Juifs dans les Balkans et dans le bassin mĂ©diterranĂ©en conservent, au milieu de peuples Ă©trangers Ă  notre culture, le vieux castillan contemporain de Cervantes, la cuisine espagnole, nos cantiques, mĂ©lodies, proverbes et contes, voire nos coutumes, notre moralitĂ© dans la famille, et nos modes de vie. [
] Le fonctionnaire soussignĂ©, pendant ses annĂ©es de sĂ©jour dans les Balkans, a ressenti l’émotion de cet Ă©cho de l’Espagne, abstraction faite de la race qui le transmet. [
] DispersĂ©s Ă  travers l’Europe orientale et la MĂ©diterranĂ©e, ils constitueront en revanche toujours une force, qui par sa richesse, sa situation sociale, sa perspicacitĂ© dans les affaires, et son habilitĂ© dans le commerce, pourra servir l’Espagne, surtout si les directions que prend la guerre font que le vent finisse par tourner en Europe. D’un autre cĂŽtĂ©, Ă  cause de leur extraordinaire solidaritĂ© raciale, leur influence s’étend Ă  d’autres communautĂ©s d’AmĂ©rique, capables d’influer, par le moyen de la presse et de la finance, sur l’opinion publique amĂ©ricaine[64]. »

Antisémitisme et politique juive dans la zone rebelle pendant la Guerre civile

Les « antisĂ©mites de plume », du moins ceux qui avaient rĂ©ussi Ă  survivre aux massacres perpĂ©trĂ©s par les rĂ©volutionnaires dans les premiers mois de la Guerre civile, poursuivirent leur Ɠuvre propagandiste, Ă  prĂ©sent au service du camp rebelle. Comme dans les annĂ©es de la Seconde RĂ©publique, c’est encore le pĂšre Juan Tusquets qui se distingua sous ce rapport, devenant, aprĂšs s’ĂȘtre liĂ© d’amitiĂ© avec le Caudillo Ă  Burgos, l’un des Ă©troits collaborateurs de celui-ci en matiĂšre de presse et de propagande, et apportant son concours actif Ă  la rĂ©pression des francs-maçons. Aux Ediciones Antisectarias nouvellement fondĂ©es, il publia plusieurs ouvrages et follicules tels que La FrancmasonerĂ­a, crimen de lesa patria (littĂ©r. la Franc-maçonnerie, crime de lĂšse-patrie), dans lequel il impute la Guerre civile aux francs-maçons, qui auraient fait main basse sur la RĂ©publique pour rĂ©aliser la domination juive en Espagne, MasonerĂ­a y separatismo, et Masones y pacifistas, vĂ©ritable traitĂ© d’antisĂ©mitisme. De mĂȘme, l’officier de police Mauricio Carlavilla, Ă©troit collaborateur du gĂ©nĂ©ral antisĂ©mite Mola, poursuivit son travail, faisant paraĂźtre en 1937 TĂ©cnica del Komintern en España, dans lequel il dĂ©finit le Front populaire comme « l’alliance sinistre du communisme et de la franc-maçonnerie, sous le signe d’IsraĂ«l ». S’y ajoutaient : Nazario S. LĂłpez, dit « Nazarite », ancien collaborateur de la revue fĂ©minine antisĂ©mite Aspiraciones, auteur de Marxismo, judaĂ­smo y masonerĂ­a, oĂč il applaudissait Ă  la politique nazie contre « l’avalanche judaĂŻque » ; et le juriste et ancien dĂ©putĂ© intĂ©griste JosĂ© MarĂ­a GonzĂĄlez de EchĂĄvarri, qui publia Los JudĂ­os en España y el Decreto de su expulsiĂłn[65].

Parmi les nouveaux « antisĂ©mites de plume » se signala plus particuliĂšrement l’évĂȘque de TĂ©nĂ©rife, le frĂšre Albino GonzĂĄlez MenĂ©ndez-Reigada, connu sous le nom de frĂšre Albino, auteur d’un CatĂ©chisme patriotique espagnol, utilisĂ© dans les Ă©coles et plusieurs fois rĂ©Ă©ditĂ©, dans lequel il Ă©tait postulĂ© que « les ennemis de l’Espagne sont au nombre de sept : le libĂ©ralisme, la dĂ©mocratie, le judaĂŻsme, la franc-maçonnerie, le capitalisme, le marxisme et le sĂ©paratisme », thĂšse reprise dans le sien ouvrage Los enemigos de España (littĂ©r. les Ennemis de l’Espagne), oĂč il affirmait que le Talmud enseignait une « haine vĂ©ritablement satanique pour le Christ et le christianisme »[66]. Dans la presse du camp rebelle, y compris dans les revues culturelles des ordres religieux, surgissaient frĂ©quemment des articles qui dĂ©signaient le judaĂŻsme, la plupart du temps aux cĂŽtĂ©s de la franc-maçonnerie et du marxisme, comme l’un des ennemis Ă  abattre, articles dont quelques-uns provenaient d’anciens journalistes du journal pro-nazi Informaciones, tels que Federico de Urrutia ou Juan Pujol et participaient du mĂȘme esprit que les pastorales d’un bon nombre d’évĂȘques, y compris le primat de TolĂšde, l’intĂ©griste Isidro GomĂĄ, qui tenait que la guerre en cours n’était pas une guerre civile, mais la lutte de « l’Espagne contre l’anti-Espagne » et entre « le Christ et l’AntĂ©christ ». MĂ©ritent mention Ă©galement les dĂ©clarations et discours de personnalitĂ©s politiques franquistes de premier plan, comme Raimundo FernĂĄndez-Cuesta, RamĂłn Serrano SĂșñer ou le gĂ©nĂ©ral MillĂĄn-Astray, premier en date des chefs de propagande du gĂ©nĂ©ral Franco, qui dĂ©clara en : « Les Juifs moscovites veulent enchaĂźner l’Espagne pour nous transformer en esclaves, mais il nous faut combattre le communisme et le judaĂŻsme. Vive la mort ! »[67].

PĂ­o Baroja, prototype de l’écrivain antisĂ©mite[31].

Deux livres importants ont contribuĂ© Ă  diffuser le mythe antisĂ©mite pour les besoins du camp rebelle. Le premier Ă©tait El Poema de la Bestia y el Ángel (1938), de JosĂ© MarĂ­a PemĂĄn, oĂč la BĂȘte s’incarne sur terre dans le sage de Sion, lequel dĂ©crĂšte la destruction de la catholique Espagne ; et l’autre Comunistas, judĂ­os y demĂĄs ralea (littĂ©r. Communistes, Juifs et autres engeances), recueil d’articles antisĂ©mites et anticommunistes du romancier PĂ­o Baroja, prĂ©facĂ© par le fasciste Ernesto GimĂ©nez Caballero, qui en aurait choisi les textes et en favorisa la publication, et dont le titre Ă©tait du reste l’Ɠuvre de l’éditeur Ruiz Castillo-Basala[68]. Dans ce dernier ouvrage, qui connut jusqu’à trois Ă©ditions, Baroja explique que les SĂ©farades forment une communautĂ© composĂ©e de personnes belles et nobles, dont la vie est un parangon d’organisation, admirable et respectĂ©. À l’opposĂ©, les AshkĂ©nazes sont dĂ©peints comme une multitude indisciplinĂ©e, affamĂ©e de pouvoir, qui, alliĂ©e aux francs-maçons et aux communistes, n’aspirent qu’à dĂ©stabiliser les nations europĂ©ennes[69] - [62]. L’auteur Ă©crit :

« En nous limitant aux seuls Juifs qui se trouvent dans le monde ancien, il y a deux castes importantes, avec deux rites : les Juifs sĂ©farades ou sĂ©fardites (SĂ©phardim), Juifs espagnols ou ibĂ©riques, et les Askenazin ou Askenezita (Aschekenazim), habitants d’Europe centrale et orientale. [...] Presque tous les Juifs du monde considĂšrent comme une teinte d’aristocratie de descendre des SĂ©farades espagnols ou portugais. Contrairement Ă  ce type bien dĂ©fini, l’Askenazite est un produit hybride mĂ©langĂ©. Le SĂ©farade ressent peu de sympathie pour lui, il lui rĂ©pugne presque. L’Askenazim a passĂ© en Allemagne et en Pologne plus de cinq siĂšcles dans une attitude obscure de servilitĂ©, toujours humiliĂ©, dominĂ© par des superstitions purement mĂ©caniques et verbales. L’Askenazim allemand ou polonais est rude, grossier, de mauvais aspect, souvent en haillons et repoussant. [...] Les Askenazim sont aujourd’hui le poste avancĂ© du communisme. [...] Sera-t-il possible que les SĂ©fardites puissent arriver Ă  s’incorporer Ă  l’Espagne et Ă  collaborer avec elle ? Il semble que oui. Il est plus difficile que les Askenazim s’enrĂŽlent dans leurs patries adoptives. Eux sont fort rudes, trĂšs ambitieux, trĂšs grossiers, trĂšs envieux. Ils ont vu Ă  prĂ©sent les leurs dans des positions Ă©levĂ©es et veulent, en ralliant le communisme, se venger de leurs annĂ©es d’humiliation[70]. »

Le nouvel État s’abstint d’accoler le qualificatif d’« ennemi » aux Juifs, et leur persĂ©cution n’était pas envisagĂ©e de maniĂšre explicite dans la lĂ©gislation rĂ©pressive contre les vaincus de la Guerre civile, puisque ni aux termes de la Loi sur les responsabilitĂ©s politiques du , ni ensuite aux termes de la Loi sur la rĂ©pression de la franc-maçonnerie et du communisme du , il n’aurait Ă©tĂ© possible de faire passer en jugement un Juif pour le simple fait d’ĂȘtre Juif[71]. Il est vrai d’autre part que le nombre de Juifs enrĂŽlĂ©s dans les Brigades internationales pendant la Guerre civile se serait Ă©levĂ© Ă  prĂšs de 8 000[72] - [73]. Francisco Ferrari Billoch publia Ă  ce sujet un article minutieux et virulent, dans lequel il dĂ©crivait en dĂ©tail l’ampleur de la prĂ©sence juive dans les Brigades internationales et l’engagement de volontaires juifs aux cĂŽtĂ©s de la cause rĂ©publicaine, en fournissant noms et fiches complĂštes.

« Les Brigades internationales, dĂ©potoir misĂ©rable et assassin, fange de tous les bas-quartiers du monde, qu’on n’admet plus dans les domaines fĂ©odaux du tsar rouge Staline. L’on sait que le Juif a toujours Ă©tĂ© un facteur principal des mouvements rĂ©volutionnaires sociaux des peuples europĂ©ens et amĂ©ricains. [...] Dans ces Brigades, il y avait dĂ©jĂ  de nombreux Juifs. »

— Francisco Ferrari Billoch[74]

Pourtant, d’aprĂšs Joseph PĂ©rez, l’on peut, quant Ă  la politique concrĂšte menĂ©e Ă  l’égard des Juifs pendant la Guerre civile, affirmer que les rebelles n’ont pas persĂ©cutĂ© systĂ©matiquement les Juifs, abstraction faite de quelques cas isolĂ©s. Les exĂ©cutĂ©s Ă  Ceuta, Ă  Melilla et dans le reste du protectorat du Maroc le furent parce qu’appartenant Ă  la gauche ou Ă  la franc-maçonnerie, non parce que Juifs. De fait, dans la circulaire du du « Directeur » du coup d’État, le gĂ©nĂ©ral Mola, les Juifs n’étaient pas citĂ©s parmi les « Ă©lĂ©ments de gauche » Ă  « Ă©liminer »[75]. Cependant, la communautĂ© juive de SĂ©ville s’était retrouvĂ©e dans la zone conquise par Queipo de Llano, l’un des gĂ©nĂ©raux les plus ouvertement antisĂ©mites du camp rebelle. Dans une de ses Ă©missions de radio, oĂč les diatribes anti-juives faisaient rarement dĂ©faut, Queipo de Llano avait proclamĂ© notamment que « notre lutte n’est pas une guerre civile espagnole, mais une guerre de la civilisation occidentale contre le judaĂŻsme mondial », et en , il infligea une amende dĂ©mesurĂ©e Ă  la petite communautĂ© juive de SĂ©ville. AprĂšs que ces excĂšs eurent Ă©tĂ© commentĂ©s dans la presse occidentale, le directeur de presse de Franco fit paraĂźtre une mise au point dĂ©mentant que le Mouvement national fĂ»t antisĂ©mite et affirmant que celui-ci ne visait que le « bolchevisme »[76]. Significativement, au lendemain du coup d’État de , aprĂšs que Queipo de Llano eut tenu de façon rĂ©pĂ©tĂ©e des propos antisĂ©mites sur Radio Sevilla, Franco avait pris contact avec le Conseil communal israĂ©lite de TĂ©touan pour le tranquilliser et le prier de n’en faire aucun cas. Le , Juan Beigbeder Ă©tait occupĂ© Ă  nĂ©gocier avec les communautĂ©s juives de TĂ©touan et de Tanger et avec quelques banquiers juifs (par le truchement de JosĂ© I. Toledano, ancien directeur de la Banca Hassan) l’aide financiĂšre au coup d’État en cours[77] - [78]. Dans le Protectorat du Maroc, les relations entre officiers espagnols et congrĂ©gations juives de la zone Ă©taient du reste historiquement cordiales, en reconnaissance notamment de ce que nombre de ces communautĂ©s avaient trouvĂ© dans l’armĂ©e espagnole un alliĂ© qui leur apportait protection. Comme le reconnut Beigbeder lui-mĂȘme le , la propagande antisĂ©mite Ă©tait le tribut « rhĂ©torique » que le nouvel État Ă©tait tenu de payer pour satisfaire ses nouveaux alliĂ©s nationaux-socialistes allemands, mais qu’en aucun cas l’étiquette d’« ennemi » n’était appliquĂ©e aux Juifs, qu’ils soient espagnols ou Ă©trangers[79]. BartolomĂ© Bennassar relĂšve qu’« il n’y avait pas dans la lĂ©gislation espagnole contemporaine de dispositions de discrimination raciale et qu’il n’y eut aucune instance comparable Ă  un Commissariat gĂ©nĂ©ral aux questions juives. Les quelque 14 000 Juifs du Maroc espagnol, dont la nationalitĂ© fut rĂ©affirmĂ©e, ne furent pas inquiĂ©tĂ©s »[80].

Dans la Loi sur les responsabilitĂ©s politiques, premiĂšre en date des lois de rĂ©pression, promulguĂ©e quelques semaines avant la fin de la Guerre civile, il n’est fait aucune mention des Juifs. La Loi se proposait de juger toute personne qui depuis le « s’est opposĂ©e ou qui s’oppose au Mouvement national par des actes concrets ou par une passivitĂ© grave », et toute personne qui entre le et le « a contribuĂ© Ă  crĂ©er ou Ă  aggraver la subversion de tout ordre dont a Ă©tĂ© victime l’Espagne ». Ensuite, 17 cas de figure sont Ă©numĂ©rĂ©s au titre desquels un individu pouvait ĂȘtre jugĂ© en vertu de cette loi. Nul Juif n’aurait pu, au regard de ces 17 cas de figure, ĂȘtre mis en accusation aux seuls motifs de race ou de religion. De fait, nonobstant que de nombreux Juifs aient combattu comme volontaires dans le camp rĂ©publicain et que la propagande les ait dĂ©signĂ©s comme ennemis de la cause nationale embusquĂ©s au sein des Brigades internationales, il ne fut pas lĂ©gifĂ©rĂ© contre eux spĂ©cifiquement, et quand ils furent jugĂ©s, ce fut non en tant que Juifs, mais pour avoir fait partie des troupes ennemies. Aucun des brigadistes dĂ©tenus, jugĂ©s et condamnĂ©s Ă  des peines de prison ou Ă  la rĂ©clusion dans des camps de concentration ou de travail ne le fut en raison de sa qualitĂ© de Juif, et celle-ci, bien qu’elle ait Ă©tĂ© spĂ©cifiĂ©e dans un certain nombre de cas, ne fut jamais retenue comme une circonstance aggravante[81].

Gonzalo Álvarez Chillida pour sa part affirme que certes « il n’y eut contre les Juifs de la PĂ©ninsule ou du Maroc espagnol rien d’équivalent [Ă  la rĂ©pression fĂ©roce qu’eurent Ă  subir les francs-maçons, dont plusieurs centaines en effet furent assassinĂ©s ou fusillĂ©s, et plus de deux mille se sont vu infliger de longues peines de prison de douze ans ou plus], mais cela ne signifie pas que la propagande antisĂ©mite du rĂ©gime n’ait eu aucun effet ». À Ceuta, quoique la synagogue n’ait pas Ă©tĂ© fermĂ©e, les Juifs subirent vexations et bastonnades, comme en tĂ©moigne l’agression dont fut victime, en dĂ©pit de son amitiĂ© personnelle avec Franco, celui qui Ă©tait alors maire supplĂ©ant de la ville, le primorivĂ©riste JosĂ© Alfon, qui succomba ensuite Ă  ses blessures. La mĂȘme situation prĂ©valait Ă  Melilla oĂč, de surcroĂźt, et Ă  la diffĂ©rence de ce qui s’était passĂ© Ă  Ceuta, la synagogue resta fermĂ©e pendant six mois et oĂč le lycĂ©e juif fut occupĂ© par la Phalange. Les Juifs furent expulsĂ©s du Casino militaire et la police les obligea Ă  dĂ©clarer leurs biens. Les jeunes Juifs appelĂ©s dans le rang furent traitĂ©s avec duretĂ©. D’autre part, les Juifs de Melilla, comme ceux de Ceuta et du reste du Protectorat — dont la prise en otage fut dĂ©noncĂ©e par la presse juive, notamment The Jewish Chronicle — furent contraints de payer d’énormes contributions « volontaires » Ă  la faction rebelle et au parti unique FET y de las JONS, nonobstant que quelques-uns d’entre eux eussent appuyĂ© financiĂšrement le gĂ©nĂ©ral Franco lors du coup d’État de . La mĂȘme chose advint Ă  la communautĂ© juive de SĂ©ville, dont la synagogue fut fermĂ©e, et que le gĂ©nĂ©ral Queipo de Llano obligea Ă  s’acquitter de la somme de 138 000 pesetas, montant Ă©norme Ă©tant donnĂ© les faibles effectifs de cette communautĂ© ; elle eut en outre Ă  subir quelques brimades dans ses activitĂ©s commerciales[82]. Quand les franquistes pĂ©nĂ©trĂšrent dans Barcelone en , la synagogue fut mise Ă  sac et fermĂ©e, au mĂȘme titre que celles de Madrid et de SĂ©ville. Les communautĂ©s furent dissoutes et les rites religieux juifs totalement interdits[83] - [84].

Pression de l’Allemagne

Selon l’historien Luis SuĂĄrez FernĂĄndez, l’ambassadeur d’Allemagne faisait dans ses rapports le constat que la culture catholique, profonde et enracinĂ©e, du peuple espagnol Ă©tait Ă  l’origine du rejet des thĂšses racistes du national-socialisme allemand :

« En Espagne, le nĂ©opaganisme et le racisme que vĂ©hiculait le parti allemand, apparaissaient absurdes, entre autres raisons parce que la population espagnole en est une de mĂ©tis, qui pendant des siĂšcles avait fait du mĂ©tissage un programme, et au sein de laquelle il serait fort difficile de trouver l’un ou l’autre groupe racial suffisamment pur pour l’exhiber sur une scĂšne. [...] Les rapports de l’ambassadeur Stohrer Ă©taient sans Ă©quivoque : le systĂšme espagnol, influencĂ© de façon dĂ©cisive par l’Église, n’irait jamais sur la voie du national-socialisme, mĂȘme si quelques groupes de phalangistes le souhaitent[85]. »

La diffusion des idĂ©es antisĂ©mites Ă©tait promue Ă  cette Ă©poque en Espagne par une propagande allemande trĂšs bien organisĂ©e opĂ©rant depuis Madrid. En effet, dĂšs le dĂ©but de la Guerre civile, l’ambassade du Reich dans la zone nationaliste Ă©tait dotĂ©e d’un dĂ©partement de presse ayant pour mission de resserrer les liens avec la Phalange, de la pourvoir de matĂ©riel de propagande, et mĂȘme d’organiser, Ă  l’usage des cadres espagnols, des stages de formation en Allemagne. À partir d’, le conseiller d’ambassade Josef Hans Lazar disposa de fonds rĂ©servĂ©s, destinĂ©s Ă  rallier les journalistes espagnols Ă  la cause allemande, Ă  constituer des rĂ©seaux de collaborateurs, et Ă  diffuser des tracts et brochures Ă  la gloire du FĂŒhrer[86]. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’ambassade d’Allemagne Ă  Madrid dĂ©ploya ainsi une vaste campagne de propagande qui bĂ©nĂ©ficia de l’appui des autoritĂ©s franquistes, en particulier du ministre des Affaires Ă©trangĂšres (et beau-frĂšre de Franco) RamĂłn Serrano SĂșñer, campagne qui incluait le contrĂŽle des informations sur l’Allemagne paraissant dans la presse et dans les actualitĂ©s cinĂ©matographiques et l’insertion de quelques « lettres de Berlin » rĂ©digĂ©es par l’ambassade (Ă  noter qu’en 1941, le cinĂ©ma allemand dĂ©passait le cinĂ©ma amĂ©ricain quant au nombre de films projetĂ©s dans les salles en Espagne)[87]. Une large part de cette propagande nazie traitait de la « Question juive » et s’employait Ă  « dĂ©noncer » la domination des Juifs sur les puissances alliĂ©es, plus particuliĂšrement sur la Grande-Bretagne, les États-Unis et la Russie[87] - [86].

Des subventions Ă©taient accordĂ©es par l'Allemagne aux maisons d’édition qui publiaient les classiques antisĂ©mites, des livres allemands en traduction, ou des auteurs pro-nazis espagnols, tels que Federico de Urrutia, journaliste au quotidien Informaciones (lequel continuait d’ĂȘtre l’organe de presse le plus dĂ©vouĂ© Ă  la cause nazie), ou Carmen Velacoracho[87]. Des Ɠuvres Ă  contenu antisĂ©mite, que l’Allemagne finançait afin d'Ă©tendre son influence culturelle vers l’Espagne, furent alors Ă©ditĂ©es en grand nombre. Non seulement les classiques de la production antisĂ©mite contemporaine, dont en particulier les Protocoles des Sages de Sion et le Juif international de Henry Ford, connurent de multiples rĂ©Ă©ditions, mais encore l’actualitĂ© suscita une sĂ©rie de publications Ă©manant des milieux phalangistes ou de la mouvance catholique. Il s’agit en particulier des livres de la maison d’édition Toledo, qui mit en circulation entre 1941 et 1943 plusieurs libelles antisĂ©mites anonymes, dont La garra del capitalismo judĂ­o (± Les griffes du capitalisme juif, 1943), Ă©crits pour la plupart d’entre eux par le journaliste Francisco Ferrari Billoch, et des Ediciones Antisectarias, que dirigeait Juan Tusquets sous la RĂ©publique et pendant la Guerre civile ; s’y ajoutaient quelques titres parus aux Ă©ditions Rubiños dans les premiĂšres annĂ©es de la dĂ©cennie 1940, quand cette maison d’édition bĂ©nĂ©ficiait d’une relation spĂ©ciale avec les organismes culturels nazis en Espagne[88] - [89] - [90], ainsi que les ouvrages de JosĂ© JoaquĂ­n Estrada, FĂ©lix Cuquerella, Juan Agero, et Alfonso Castro, qui illustrent les efforts de l’Allemagne Ă  exporter sa conception raciale de la question juive[91]. L’ambassade parvint aussi Ă  faire paraĂźtre (en traduction espagnole, sans indication d’éditeur, de date, ni de lieu) Juden beherrschen England (littĂ©r. les Juifs dominent l’Angleterre) de Peter Aldag (pseudonyme de Fritz Peter KrĂŒger), qui imputait aux AlliĂ©s d’avoir dĂ©clenchĂ© la guerre et interprĂ©tait celle-ci comme une lutte de « l’Europe » contre « l’anti-Europe », en plus de dĂ©peindre Hitler comme un hĂ©ros « chrĂ©tien »[87] - [92] - [93].

Pour ce qui est de la presse, il existait des diffĂ©rences significatives entre les presses traditionaliste, phalangiste, monarchiste ou religieuse. Quand des journaux tels que Arriba ou Informaciones dĂ©fendaient la convergence d’intĂ©rĂȘts entre l’Allemagne et l’Espagne, des revues comme RazĂłn y Fe, Ă©ditĂ©e par les jĂ©suites, ne faisaient pas mystĂšre de leur position antiraciste et antinazie, et faisaient montre, idĂ©ologiquement parlant, d’une large autonomie[94]. Il arrivait mĂȘme que se fassent entendre, au sein du mĂȘme groupe phalangiste, des voix dissonantes, les unes favorables aux actions violentes menĂ©es contre les Juifs en Europe, et les autres aux yeux de qui l’antisĂ©mitisme n’était guĂšre plus qu’un Ă©lĂ©ment secondaire et mineur de l’idĂ©ologie appelĂ©e Ă  configurer le nouvel État. Il existait en outre certain point de vue ambivalent qui s’évertuait Ă  distinguer entre Juifs bons et Juifs mauvais, ou, ainsi que l’exposait le journal Arriba, entre Juifs de la « hez » (de la fange) et ceux de la « prez » (de l’estime). Dans le journal Arriba parurent nombre d’articles, dont quelques-uns en premiĂšre page, qui, Ă  partir du distinguo entre SĂ©farades et AshkĂ©nazes, prĂ©sentaient comme admirables les premiers (les Juifs de la « prez ») et comme mĂ©prisables les seconds (les Juifs de la « fez ») ; c’était contre ces derniers qu’étaient dirigĂ©s les positionnements racistes, tandis que les SĂ©farades Ă©taient considĂ©rĂ©s au contraire comme participant du patrimoine culturel de l’Espagne et se voyaient intĂ©grĂ©s dans l’ample concept d’hispanitĂ©[95].

Les articles incendiaires antisĂ©mites Ă©taient peu frĂ©quents et attestent surtout de la tentative allemande de mainmise sur la presse du rĂ©gime franquiste et des efforts de l’Allemagne Ă  discerner en Espagne des points d’ancrage Ă  l’antisĂ©mitisme racial, si peu comprĂ©hensible pour le lecteur espagnol. Pourtant, selon certains auteurs, la pression exercĂ©e par l’ambassade d’Allemagne, Ă  travers son agent Josef Hans Lazar, sur la totalitĂ© de la presse du rĂ©gime, fut dĂ©terminante[96] ; ainsi la presse espagnole, plus particuliĂšrement le journal Arriba, adopta-t-elle d’emblĂ©e et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale une attitude ouverte de dĂ©fense du rĂ©gime national-socialiste allemand. Cependant, la question juive ne surgit dans aucun Ă©ditorial de maniĂšre exclusive et spĂ©cifique ; de plus, Ă  cĂŽtĂ© d’articles Ă  posture antijuive belligĂ©rante (mais restreinte aux AshkĂ©nazes), on en rencontre d’autres oĂč le peuple juif est dĂ©fendu avec ardeur, comme p. ex. le commentaire suivant, intitulĂ© Guerra Civil y Gran Guerra hacia JerusalĂ©n (littĂ©r. Guerre civile et Grande Guerre vers JĂ©rusalem), paru en premiĂšre page dudit journal[97] :

« Une fois dĂ©truit le Temple, les IsraĂ©lites se dispersĂšrent aux quatre vents de la planĂšte, Ă  sĂ©crĂ©ter de la nostalgie pour le bien perdu. La Sion qui, parmi les chants qu’IsraĂ«l suspendait aux saules, brĂ»le avec ses tours et ses jardins Ă  l’Orient, par oĂč maintenant passe la Guerre, n’est plus. Mais Rome interdit pendant des siĂšcles l’accĂšs Ă  JĂ©rusalem Ă  ces gens vagabonds, bannis de leurs lares et bannis mĂȘme du bannissement. Ce fut Theodor Herzl, Juif, ni de la prez ni de la hez, ni SĂ©farade ni AshkĂ©naze, mais Juif moyen, qui avec son livre l’État juif, fit revivre la nostalgie de Sion dans sa famille sans terre [...]. Sion Ă©tait lĂ  oĂč elle fut, en Palestine, avec ses terres, ses bĂ©tails, ses dĂ©serts, la lumiĂšre de l’Ancien Testament, et l’hier et le demain dans la mĂȘme Ă©nigme [...]. L’Europe prend son parti de ce retour des IsraĂ©lites au foyer millĂ©naire. Ceux qui n’en prirent pas leur parti Ă©taient les Arabes palestiniens, qui repoussĂšrent les Juifs et les repoussent encore et les repousseront, tout en projetant une ombre, la guerre d’extermination [...]. L’Angleterre continue de gĂ©rer la guerre civile entre Arabes et Juifs, jusqu’à ce que l’autre guerre, la grande, passe par la Palestine, comme elle passera inexorablement[98]. »

Cependant, la transposition vers la rĂ©alitĂ© espagnole de la rhĂ©torique judĂ©ophobe allemande apparut tellement factice qu’elle n’eut qu’une faible rĂ©sonance dans le public espagnol[61]. NĂ©anmoins, la campagne de l’ambassade d’Allemagne contribua Ă  ce que l’éclosion de l’antisĂ©mitisme, amorcĂ©e sous la RĂ©publique et pendant la Guerre civile, atteigne son point culminant dans les annĂ©es de la Seconde Guerre mondiale. Les phalangistes Ă©taient les principaux protagonistes de cette crue antisĂ©mite, dont en particulier le phalangiste JosĂ© Luis Arrese (avec son ouvrage La revoluciĂłn social del nacional-sindicalismo de 1940, oĂč il glorifiait « la lutte Ă©clatante de la Phalange contre le judaĂŻsme capitaliste de SEPU » — SEPU Ă©tant une chaĂźne de magasins, fondĂ©e par une famille juive immigrĂ©e et mise Ă  sac par des groupes armĂ©s phalangistes), Ángel AlcĂĄzar de Velasco (avec son Serrano SĂșñer en la Falange), Antonio Tovar (avec El Imperio de España), et AgustĂ­n de FoxĂĄ (avec l’Ɠuvre thĂ©Ăątrale Gente que pasa), chez qui le philosĂ©faradisme initial s’était converti en un antisĂ©mitisme radical, ainsi qu’il en avait fait la dĂ©monstration auparavant dĂ©jĂ  dans ses poĂšmes et articles de presse. S’y joignirent aussi des auteurs catholiques, tels qu’Enrique Herrera Oria ou Juan Segura Nieto, auteur de ÂĄAlerta!... FrancmasonerĂ­a y judaĂ­smo (1940), qui expliquait la Guerre civile comme le fruit de la conjuration judĂ©o-maçonnique-bolchĂ©vique, et plusieurs militaires, parmi lesquels Ă©merge en particulier Carrero Blanco, qui, en occupant en 1941 le sous-secrĂ©tariat Ă  la PrĂ©sidence Ă©tait devenu le conseiller direct de Franco[99] - [88] - [89], et qui affirma dans un rapport rĂ©digĂ© Ă  l’intention du Caudillo aprĂšs l’attaque japonaise contre Pearl Harbor le [100] :

« Le front soviĂ©tico-anglo-saxon, qui est parvenu Ă  se mettre en place par une action personnelle de Roosevelt, au service des Loges et des Juifs, est rĂ©ellement le front du Pouvoir judaĂŻque, oĂč hisse ses banniĂšres tout le complexe des dĂ©mocraties, de la franc-maçonnerie, du libĂ©ralisme, de la ploutocratie et du communisme, qui ont Ă©tĂ© les armes classiques auxquelles le judaĂŻsme a eu recours pour provoquer une situation de catastrophe, qui pourrait dĂ©boucher sur le renversement de la Civilisation chrĂ©tienne. »

De façon gĂ©nĂ©rale, la presse espagnole, s’associant Ă  ladite campagne, appuya la politique antisĂ©mite mise en Ɠuvre en Europe et n’épargna pas les Juifs, les proclamant responsables tout Ă  la fois de l’invention du communisme, du dĂ©clenchement de la guerre et du marchĂ© noir, et pressant la population d’engager une nouvelle « croisade »[88]. Journaux et revues catholiques n’étaient pas en reste, mĂȘme si quelques Ă©vĂȘques critiquĂšrent le racisme anti-chrĂ©tien nazi, cependant sans jamais condamner l’antisĂ©mitisme, Ă  telle enseigne que (comme le relĂšve Álvarez Chillida) dans tel texte dĂ©nonçant le racisme, le judaĂŻsme Ă©tait fustigĂ© concomitamment. La seule diffĂ©rence entre la presse catholique et celle phalangiste rĂ©side (selon Álvarez Chillida) en ceci que « pendant que les revues et journaux catholiques [dans leurs attaques contre les Juifs] insistaient sur les raisons religieuses (dĂ©icide, antichristianisme), les organes du parti [FET y de las JONS] Ă©taient pour leur part beaucoup plus influencĂ©s par la propagande allemande, et l’antisĂ©mitisme de leurs journaux Ă©tait d’une ĂąpretĂ© trĂšs supĂ©rieure, avec en tĂȘte l’inĂ©vitable GonzĂĄlez-Ruano. Le , celui-ci requĂ©rait l’expulsion d’Europe de tous les Juifs et s’en prenait Ă  toute forme de philosĂ©faradisme : “DĂ©masquez [...], appelez imbĂ©cile ce type qui parle de l’apport [...] des Juifs Ă  la culture espagnole” »[101].

Par ailleurs, le BoletĂ­n de InformaciĂłn Antimarxista (BIA), qui avait commencĂ© Ă  ĂȘtre Ă©ditĂ© secrĂštement vers la fin de la Guerre civile par la Direction gĂ©nĂ©rale de sĂ©curitĂ©, se mit Ă  s’occuper aussi du « judaĂŻsme international » Ă  partir de l’envoi de la Division Bleue vers le front russe en . Dans les articles consacrĂ©s Ă  ce thĂšme, qui comme tous ceux du BoletĂ­n ne portaient pas de signature — mais selon toute probabilitĂ©, ils Ă©taient Ă©crits par les policiers Mauricio Carlavilla et son ami Eduardo ComĂ­n Colomer —, on Ă©voquait l’existence du Kahal, ou « Super-Gouvernement secret » juif, en s’appuyant sur le Discours du rabbin contenu dans le chapitre intitulĂ© Dans le cimetiĂšre juif de Prague du roman antisĂ©mite Biarritz de Hermann Goedsche, et des Protocoles des Sages de Sion, Ă©crits auxquels une pleine crĂ©dibilitĂ© Ă©tait accordĂ©e[102].

Le discours antisĂ©mite faisait son apparition Ă©galement dans les manuels scolaires. P. ex., le livre SĂ­mbolos de España (1939), Ă©ditĂ© par la maison d’édition catholique Magisterio Español, assenait : « Nous voulons une Espagne maĂźtresse de ses destinĂ©es [...], qui ne soit pas asservie aux États capitalistes judaĂŻques ». Dans España es mi madre (littĂ©r. l’Espagne est ma mĂšre, de 1939), du jĂ©suite Enrique Herrera Oria, une description dĂ©taillĂ©e Ă©tait donnĂ©e du martyr du Saint Enfant de La Guardia, tandis que dans Yo soy español (littĂ©r. Moi je suis Espagnol, 1943), de Serrano de Haro, le martyre de saint Dominguito de Val Ă©tait exposĂ© Ă  grand renfort d’illustrations suggestives ; dans ce livre de lectures scolaires, qui en 1962 en Ă©tait dĂ©jĂ  Ă  sa 24e Ă©dition, il Ă©tait expliquĂ© aux enfants que « les Juifs haĂŻssaient les ChrĂ©tiens et s’enrageaient de voir les enfants aimer la Sainte Vierge et le Seigneur. C’est pourquoi ils tuĂšrent saint Dominguito del Val ». En 1939, le programme officiel en histoire obligeait Ă  « expliquer » comment la RĂ©publique avait « livrĂ© l’Espagne » (entregado España) Ă  la « conspiration maçonnico-judaĂŻque internationale, Ă  l’internationale socialiste et au Komintern »[103].

Mesures antijuives

Concernant la politique appliquĂ©e aux Juifs, il y a lieu de noter que les lois rĂ©pressives promulguĂ©es par Franco Ă  la fin de la Guerre civile ou aussitĂŽt aprĂšs ne font pas rĂ©fĂ©rence expresse aux HĂ©breux, mais Ă  la franc-maçonnerie et au communisme, en particulier dans la Loi de rĂ©pression de la franc-maçonnerie et du communisme adoptĂ©e en , laquelle Ă©tait en rĂ©alitĂ© dirigĂ©e contre tous ceux qui avaient fait allĂ©geance Ă  la RĂ©publique[104] ; cette omission s’explique par la circonstance que l’Espagne Ă©tait encore un pays sans Juifs et par l’absence de nĂ©cessitĂ© d’édicter des « lois spĂ©ciales contre les Juifs », vu que « l’unitĂ© catholique » avait Ă©tĂ© restaurĂ©e, ce qui, selon Álvarez Chillida, sous-entendait que « l’édit d’expulsion [de 1492] Ă©tait considĂ©rĂ© comme Ă©tant implicitement en vigueur »[83]. Par le moyen de cette loi, il s'agissait Ă  prĂ©sent pour l’État espagnol de fixer la nature idĂ©ologique de ses ennemis (et non plus de simplement chĂątier les vaincus de la Guerre civile), de les dĂ©finir en termes politiques, c’est-Ă -dire de leur appliquer une catĂ©gorisation ontologique Ă  caractĂšre universel. Ses ennemis seront donc dorĂ©navant la franc-maçonnerie, le communisme, et le judaĂŻsme, encore que ce dernier n’apparaisse pas expressĂ©ment, mais par le biais de circonlocutions — telles que « Forces internationales de nature clandestine », ou « les multiples organisations subversives en majoritĂ© assimilĂ©es et unifiĂ©es par le communisme » — qu’imposaient la rhĂ©torique du moment et la circonspection que le rĂ©gime s’appliquait Ă  observer en la matiĂšre. Le lĂ©gislateur semble se faire l’écho du discours propagandiste des Protocoles des sages de Sion et mettre en avant (comme il le fera dans les annĂ©es postĂ©rieures) l’idĂ©e d’une conspiration mondiale de forces occultes composĂ©es de Juifs se proposant de subvertir l’ordre Ă©tabli et dĂ©signĂ©es gĂ©nĂ©riquement par « judaĂŻsme international »[105]. La loi participe de l’idĂ©e que le communisme est le catalyseur de toutes les idĂ©es dissolvantes propres Ă  dĂ©stabiliser les États occidentaux, mais postule en mĂȘme temps que derriĂšre le bolchevisme se trouvent d’autres ressorts occultes qui, sous les formes de l’anarchisme ou du syndicalisme, procĂšdent clairement du judaĂŻsme international ; il apparaĂźt que, quoique le communisme et la franc-maçonnerie soient seuls nommĂ©s explicitement, l’idĂ©e implicite s’y logeait que c’est le judaĂŻsme international qui se dissimulait derriĂšre ces deux mouvements[106]. Si la loi est redevable aux thĂšses des Protocoles, elle l'est aussi, accessoirement, Ă  celles du livre d’Henry Ford, pour ce qui est l’une des obsessions de l’antisĂ©mitisme mondial, Ă  savoir le contrĂŽle de la presse et de l’ensemble des moyens de propagande par le judaĂŻsme international. Ford p. ex. cite dans son ouvrage nombre de passages des Protocoles oĂč sont dĂ©voilĂ©s les projets juifs visant Ă  piloter la presse du monde entier comme outil indispensable pour propager leurs idĂ©es « dissolvantes »[107]. Toutefois, des lois de discrimination raciale qui, Ă  l’instar de celles de Nuremberg de 1935, Ă©taient en vigueur dans beaucoup de pays d’Europe, ne furent jamais adoptĂ©es en Espagne. Si certaines dispositions lĂ©gales, principalement celles instituant les normes ecclĂ©siastiques, eurent pour effet pratique de rendre impossible le culte des religions autres que la catholique, jamais pourtant les Juifs n’étaient mentionnĂ©s expressĂ©ment, ni n’étaient poursuivis pour le seul fait de l’ĂȘtre[108].

Cependant, le , les rites hĂ©braĂŻques (circoncisions, mariages et obsĂšques) furent interdits, et en octobre de la mĂȘme annĂ©e, toutes les institutions juives dissoutes par dĂ©cret[109]. AprĂšs que tout culte autre que le culte catholique eut Ă©tĂ© officiellement interdit, l’Afrique du Nord faisant exception, les synagogues de SĂ©ville, Barcelone et Madrid restĂšrent dĂ©sormais fermĂ©es[110]. En 1940, il fut dĂ©crĂ©tĂ© que pour pouvoir faire enregistrer un nouveau-nĂ© Ă  l’État civil, il fallait qu’il ait Ă©tĂ© prĂ©alablement baptisĂ©, et obligation Ă©tait faite Ă  tous les enfants d’apprendre le catĂ©chisme catholique. Par suite de toutes ces mesures, la plupart des rares Juifs qu’il y avait encore dans la pĂ©ninsule IbĂ©rique — vingt-cinq familles Ă  Madrid, cinq cents personnes Ă  Barcelone — se voyaient contraints de se convertir. Redoutant une possible invasion nazie de l’Espagne, d’autres Juifs quittĂšrent la PĂ©ninsule pour Tanger ou pour la zone espagnole du Maroc[109] - [83] - [84].

Il n’y eut pas en Espagne d’incidents antisĂ©mites de grande ampleur, hormis les attaques contre les magasins SEPU de Madrid en 1940, principale action violente explicitement dirigĂ©e contre des intĂ©rĂȘts juifs, perpĂ©trĂ©e Ă  l’exemple de celles pratiquĂ©es en Allemagne depuis l’arrivĂ©e au pouvoir de Hitler, et lors desquelles les vitrines de cette chaĂźne de grandes surfaces furent brisĂ©es Ă  plusieurs reprises au long de cette annĂ©e. Francisco Bravo rendit compte de cet Ă©vĂ©nement dans son Historia de Falange Española de las JONS, publiĂ© par la maison d’édition Editora Nacional en 1940, en ces termes[111] - [89] :

« Le 16 [mars], une centaine de gamins fit une razzia dans les magasins du SEPU de Madrid, Ă©tablissement juif qui, en plus de ruiner le petit commerce par ses manƓuvres, exploitait ses employĂ©s, presque tous affiliĂ©s aux syndicats nationaux-syndicalistes[112]. »

Dans le deuxiĂšme numĂ©ro de Arriba, on se plaignait de l’« admirable zĂšle avec lequel est dĂ©fendu le capitalisme juif de SEPU » et on s’en prit sur plusieurs numĂ©ros non seulement aux propriĂ©taires du commerce en question, mais aussi au gouvernement, et en particulier Ă  Manuel Azaña, « qui aida Ă  la pĂ©nĂ©tration du capitalisme juif qui aujourd’hui est en train de porter des coups terribles au petit commerce »[113]. Au mois d’avril de la mĂȘme annĂ©e, l’hebdomadaire Ă©tendit sa campagne Ă  d’autres entreprises qu’il regardait comme Ă©tant Ă  capital juif ou « international ». Dans un article intitulĂ© InvasiĂłn financiera, il Ă©tait expliquĂ© qu’il ne s’agissait pas de cas isolĂ©s, mais que « nous sommes face Ă  une offensive en rĂšgle », devant laquelle il vaut mieux, dit le rĂ©dacteur, ĂȘtre « prĂ©venu »[114].

D’autre part, des mesures policiĂšres de contrĂŽle des Juifs furent adoptĂ©es. Une circulaire du de la Direction gĂ©nĂ©rale de sĂ©curitĂ© (DGS) donna ordre Ă  tous les gouverneurs civils d’établir pour chaque Juif rĂ©sidant dans sa province, qu’il soit ressortissant espagnol ou Ă©tranger, une fiche signalĂ©tique sur laquelle devait ĂȘtre consignĂ©e Ă©galement son allĂ©geance politique, ses moyens d’existence et son « degrĂ© de dangerositĂ© » (grado de peligrosidad). Il Ă©tait demandĂ© de porter une attention particuliĂšre aux SĂ©farades qui « de par leur adaptation Ă  l’environnement et leur tempĂ©rament proche du nĂŽtre, ont de plus grandes possibilitĂ©s de dissimuler leur origine et mĂȘme de passer inaperçus sans que l’on ait la moindre possibilitĂ© de limiter la portĂ©e de leurs manigances perturbatrices [manejos perturbadores] »[115] - [116] - [117] - [118]. De la sorte furent constituĂ©es les Archives juives (Archivo Judaico), dont les initiales AJ figuraient sur les dossiers administratifs ou judiciaires. L’un d’eux Ă©nonçait, aprĂšs constatation que la personne concernĂ©e n’avait aucune filliation politique connue, qu’« on lui prĂ©sumait la dangerositĂ© propre Ă  la race juive (sĂ©farade) ». En outre, les piĂšces d’identitĂ© ou les permis de sĂ©jour portaient Ă  l’encre rouge la mention « Juif »[115]. L’existence de ce fichier, rĂ©vĂ©lĂ©e seulement en 1997 par Jacobo Israel GarzĂłn, alors prĂ©sident de la CommunautĂ© israĂ©lite de Madrid, Ă  partir d’une recherche rĂ©alisĂ©e Ă  l’Archivo HistĂłrico Nacional, fut justifiĂ©e dans cette mĂȘme circulaire par la nĂ©cessitĂ© d’identifier avec prĂ©cision les lieux et les individus susceptibles Ă  quelque moment de s’opposer aux normes du nouvel État[116] - [118].

L'historien Bernd Rother, qui ne conteste pas l’existence de ce fichier, tient cependant que celui-ci « n’eut aucune rĂ©percussion pratique ; nous ne savons mĂȘme pas si l’initiative Ă©mana du gouvernement ou des autoritĂ©s policiĂšres, ni dans quelle mesure les gouverneurs civils suivirent les directives »[119]. Entre-temps, « les archives juives ont en tant que telles disparu », et nous ignorons par consĂ©quent si l’ordre de la DGS, Ă©dictĂ© Ă  un moment oĂč l’entrĂ©e en guerre de l’Espagne Ă©tait encore envisageable, fut exĂ©cutĂ© dans toutes les provinces espagnoles, ni avec quelle ponctualitĂ© et efficacitĂ©, ni sur combien d’annĂ©es, bien qu’Israel GarzĂłn affirme avoir dĂ©tectĂ© des rĂ©fĂ©rences policiĂšres Ă  ce fichier au moins jusqu’en 1957[120]. De plus, Rother affirme, sur la foi d’un article de Juan Velarde, que la Phalange avait nombre d’affiliĂ©s parmi les Chuetas de Majorque (descendants de Juifs convers, proscrits jusqu’au XIXe siĂšcle), en concordance avec leur statut socio-Ă©conomique de petits et moyens commerçants. Les Chuecas ne faisaient pas de rĂ©serves vis-Ă -vis de la Phalange, et pas davantage le Parti n’en faisait vis-Ă -vis de cette sous-population juive alors objet de discrimination[121] - [119] - [122]. Un autre auteur en revanche, Jorge M. Reverte, affirme que le fichier juif fut menĂ© Ă  bien par les gouverneurs civils, puis transmis aux autoritĂ©s allemandes[123]. Un dĂ©partement de JudaĂŻsme, annexe au dĂ©partement de Franc-maçonnerie, fut crĂ©Ă© et placĂ© sous la direction du policier Eduardo ComĂ­n Colomer, et tous deux prirent place au sein de la quatriĂšme section, Antimarxismo, de la Direction gĂ©nĂ©rale de sĂ©curitĂ©, que dirigeait JosĂ© Finat y EscrivĂĄ de RomanĂ­. Celui-ci appartenait Ă  la droite catholique fascisante, avait occupĂ© auparavant le poste de dĂ©lĂ©guĂ© national du Service d’information et d’investigation du parti unique FET y de las JONS, et Ă©tait fort proche du ministre de l’IntĂ©rieur (ministro de la GobernaciĂłn), Serrano SĂșñer[104]. En marge de cette structure fut mise sur pied une Brigade spĂ©ciale, Ă  la tĂȘte de laquelle Finat nomma l’antisĂ©mite rabique Mauricio Carlavilla. La mission principale de ladite brigade Ă©tait de contrĂŽler les Juifs rĂ©sidant en Espagne, afin d’honorer ainsi la demande expresse de Heinrich Himmler, chef de la SS et des services de sĂ©curitĂ© du TroisiĂšme Reich, lequel s’était entretenu avec Finat Ă  Berlin, puis, en 1940, avec Franco et Serrano Suñer lorsqu’il Ă©tait venu visiter l’Espagne. En contrepartie, les nazis s’étaient engagĂ©s Ă  remettre Ă  Franco tous les exilĂ©s rĂ©publicains qu’ils captureraient, promesse qui fut tenue. La Brigade spĂ©ciale reçut la charge des Archives juives, qui, gardĂ©es dans un secret absolu, rĂ©pertoriaient l’ensemble des Juifs sĂ©journant en Espagne, et qu’alimentaient les rapports envoyĂ©s par les gouverneurs civils sur « les activitĂ©s Ă  caractĂšre juif » qui avaient lieu dans leur province[110]. Selon JosĂ© Luis RodrĂ­guez JimĂ©nez, « la collaboration ne fut pas effective dans tous les cas requis par les Allemands, mais il est Ă©tabli que quelques personnes furent livrĂ©es aux autoritĂ©s de Berlin ». AprĂšs le tournant de la Seconde Guerre mondiale, cette collaboration fut interrompue[124].

Si quelques Juifs furent incarcĂ©rĂ©s et maltraitĂ©s, c’était en raison de leur allĂ©geance rĂ©publicaine ou maçonnique, comme ce fut le cas de JosĂ© Bleiberg, qui se suicida avant d’ĂȘtre dĂ©tenu, alors que ses deux fils, Alberto Bleiberg et GermĂĄn Bleiberg, passeront quatre ans en prison, ou du prĂ©sident de la communautĂ© juive de Barcelone, enfermĂ© dans un camp de concentration pour avoir Ă©tĂ© franc-maçon. D’autres Ă©galement furent inquiĂ©tĂ©s en raison de leurs liens avec des Juifs, comme il arriva au poĂšte Jorge GuillĂ©n, mariĂ© Ă  une Juive, ou Ă  l’écrivain philosĂ©farade Rafael Cansinos Assens, dans le dossier de qui se trouvait consignĂ© qu’il « est Juif, ayant Ă©crit plusieurs livres et brochures en dĂ©fense du judaĂŻsme. Il est liĂ© d’amitiĂ© avec l’aventurier JosĂ© Estrugo, directeur du Secours rouge international », ce qui motiva la rĂ©ponse nĂ©gative Ă  sa requĂȘte d’obtention de la carte de journaliste, indispensable Ă  l’exercice de la profession. Les Chuetas de Majorque, s’il n’y eut certes aucune action officielle Ă  leur encontre, firent en revanche l’objet de menaces anonymes, l’une d’elles leur lançant : « La Phalange saura expulser l’engeance juive » (La Falange sabrĂĄ expulsar a la ralea judĂ­a)[125].

Dans le mĂȘme temps que se dĂ©ployait cette politique antisĂ©mite, le rĂ©gime franquiste persistait dans le philosĂ©faradisme de droite amorcĂ© sous la dictature primorivĂ©riste. Ainsi, le CSIC crĂ©a-t-il en 1941 l’École d’études hĂ©braĂŻques, sous l’égide de laquelle Ă©tait Ă©ditĂ©e la revue scientifique Sefarad, qui publiait les contributions des grands hĂ©braĂŻstes MillĂĄs Vallicrosa et Cantera Burgos, en prenant toujours bien soin de distinguer les SĂ©farades d’avec les AshkĂ©nazes[126] - [127]. Ladite revue, dont paraissaient deux copieux numĂ©ros chaque annĂ©e, se donnait pour tĂąche de recueillir les tĂ©moignages de l’important hĂ©ritage culturel laissĂ© par les Juifs en Espagne jusqu’à leur expulsion en 1492, et plus tard par les communautĂ©s en Europe et en Afrique du Nord oĂč ils avaient fini par se fixer. L’école faisait partie de l’institut Benito Arias Montano, et ce n’est qu’à partir de 1944 que les Ă©tudes arabes furent sĂ©parĂ©es des Ă©tudes hĂ©braĂŻques. Dans le premier numĂ©ro de la publication, on pouvait lire[128] :

« Ce n’est pas en Espagne que le judaĂŻsme revĂȘtit le caractĂšre matĂ©rialiste manifestĂ© par telle ou telle fraction de ses communautĂ©s. C’était dans la Provence, prĂ©alablement dissolue et infestĂ©e par les Albigeois, dans l’Italie averroĂŻste et paganisante de la Renaissance ; ce fut finalement dans les marais bataves, gelĂ©s sous le vent glacĂ© du rationalisme, que commença cette calamitĂ©[129]. »

Ainsi ressurgit le distinguo dont se servira le rĂ©gime pour allĂ©guer un prĂ©tendu philosĂ©mitisme envers les SĂ©farades, tout en continuant, en accord avec les souhaits de son alliĂ©e nationale-socialiste, Ă  prĂȘcher l’antisĂ©mitisme, encore que limitĂ© aux Juifs d’Europe centrale et surtout de Russie, d’oĂč ils Ă©taient rĂ©putĂ©s Ɠuvrer Ă  propager le communisme[130].

Dans l’hebdomadaire Mundo, organe officieux du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, on pouvait lire notamment que « les Juifs sĂ©farades sont parvenus Ă  se libĂ©rer complĂštement des prĂ©jugĂ©s de race et des conditions psychologiques de leurs frĂšres et sƓurs » et qu’ils ont cessĂ© de « servir les buts du judaĂŻsme universel ». Aussi le culte judaĂŻque fut-il tolĂ©rĂ© Ă  Ceuta, Melilla et au Maroc (ainsi qu’à Tanger, occupĂ©e par l’Espagne le ), oĂč les synagogues demeurĂšrent ouvertes et ou les Juifs pouvaient vaquer Ă  leurs activitĂ©s habituelles, encore qu’ils eussent Ă  faire quelque « don » en faveur de la Division Bleue[126].

Attitude générale des autorités franquistes vis-à-vis des Juifs persécutés

Dans les premiĂšres annĂ©es de la Seconde Guerre mondiale, le rĂ©gime franquiste s’appliqua Ă  aligner ses positions sur celles des puissances de l’Axe, raison pour laquelle notamment le gĂ©nĂ©ral Franco dĂ©pĂȘcha en la Division Bleue en renfort de l’invasion allemande de l’Union soviĂ©tique. De mĂȘme, l’Église catholique espagnole, pourtant rĂ©ticente envers le nazisme aprĂšs l’invasion par Hitler de la catholique Pologne, cessa de critiquer les thĂ©ories nazies sur la supĂ©rioritĂ© raciale, pendant que la presse — celle sous la domination de l’Église et celle phalangiste — approuvait Ă  prĂ©sent la persĂ©cution des Juifs dans l’Europe occupĂ©e, n’hĂ©sitant pas Ă  Ă©tablir une analogie avec la politique antijuive des Rois catholiques. Dans le numĂ©ro du d’Ecclesia, organe de l’Action catholique, on pouvait lire : « l’Espagne a rĂ©solu le problĂšme juif, en devançant de plusieurs siĂšcles et avec perspicacitĂ© les mesures prophylactiques [sic] qu’ont prises aujourd’hui tant de nations pour se dĂ©livrer de l’élĂ©ment judaĂŻque, si souvent ferment de dĂ©composition nationale »[131].

Une mesure prise en pendant la dictature primorivĂ©riste sous l’influence du courant philosĂ©farade avait permis aux Juifs de lointaine origine hispanique d’acquĂ©rir entre 1924 et 1930 la nationalitĂ© espagnole. Le nombre de ceux ayant pu bĂ©nĂ©ficier de cette offre Ă©tant assez faible, il y avait dans l’ensemble fort peu de ressortissants juifs espagnols dont la vie et la sĂ©curitĂ© dĂ©pendaient de la bienveillance du gouvernement espagnol. Dans les Balkans, leur nombre peut avoir atteint le millier (640 en GrĂšce, 100 en Roumanie, environ 130 en Bulgarie, moins de 50 en Hongrie et environ 25 en Yougoslavie) ; en France, il y en avait quelque 3 000, pour la plupart immigrĂ©s dans ce pays au dĂ©part des Balkans, dont 2 000 dans la zone occupĂ©e et 1 000 dans la zone libre. En outre, quelques Juifs en Allemagne, en Belgique et en Hollande dĂ©tenaient un passeport espagnol et des documents espagnols, mais leur effectif ne dĂ©passait pas quelques douzaines. Il y avait enfin un nombre indĂ©terminĂ©, mais trĂšs certainement peu Ă©levĂ©, de ressortissants espagnols juifs au Maroc français. Le nombre total des Juifs sous protection espagnole ne dĂ©passait donc guĂšre les quatre milliers[note 3] - [132] - [76]. La seule tentative, faite dans les premiĂšres annĂ©es de la guerre, de rehausser ce nombre fut repoussĂ©e par Madrid avant mĂȘme que les autoritĂ©s françaises et allemandes aient eu l’occasion de se pencher sur la question[76].

Pendant la guerre, les autoritĂ©s franquistes faisaient un distinguo d’une part entre SĂ©farades ordinaires et ressortissants espagnols, le statut de « protĂ©gĂ© » n’étant octroyĂ© qu’à une petite minoritĂ© de JudĂ©o-Espagnols, et d’autre part entre les sympathisants de la cause franquiste et les autres, les desafectos[133]. La sollicitude du rĂ©gime allait aux Juifs sĂ©farades rĂ©sidant en Europe et en possession d’un passeport espagnol, quand mĂȘme ils n’aient pas tous Ă©tĂ© dĂ©tenteurs de la pleine nationalitĂ©. Cependant, l’attitude de l’Espagne franquiste face aux mesures vexatoires et d’expropriation prises dans les zones occupĂ©es par l’Allemagne apparaĂźt ambiguĂ« : d’une part, elle faisait remarquer aux autoritĂ©s d’occupation qu’il n’existait pas en Espagne de lĂ©gislation discriminatoire selon la race ou la religion, et exigeait en consĂ©quence que les accords bilatĂ©raux relatifs Ă  la sĂ©curitĂ© des personnes et des biens soient appliquĂ©s Ă  leurs ressortissants juifs, mais d’autre part, elle disposa que ces mĂȘmes ressortissants ne devaient pas ĂȘtre soustraits Ă  la lĂ©gislation antijuive locale, sauf si la souverainetĂ© espagnole s’en trouvait affectĂ©e ; ainsi p. ex., le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres communiqua aux consuls dĂ©tachĂ©s en France de ne pas s’opposer Ă  ce que les lois antisĂ©mites adoptĂ©es par le rĂ©gime de Vichy et par les nazis dans la France occupĂ©e soient appliquĂ©es aussi aux SĂ©farades, encore que les consuls soient nĂ©anmoins intervenus, avec un succĂšs inĂ©gal, quand des Juifs dotĂ©s d’un passeport espagnol Ă©taient mis en dĂ©tention ; quelques-uns parmi ceux-ci rĂ©ussirent Ă  se rapatrier en Espagne[132] - [134]. En outre, le gouvernement de Franco ne consentait Ă  protĂ©ger ses ressortissants juifs Ă  l’étranger que dans la mesure oĂč cela ne supposait pas un sĂ©jour permanent dans la PĂ©ninsule, et les passeports et visas autorisant un Ă©tablissement Ă  demeure en Espagne ont Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©s avec la plus grande parcimonie[135] - [136].

Quant aux rĂ©fugiĂ©s juifs, assez peu nombreux, arrivĂ©s illĂ©galement dans le pays ou ne remplissant pas les conditions de transit, ils furent pour la plupart durement traitĂ©s, et notamment internĂ©s jusqu’à clarification de leur situation et jusqu’à ce que se prĂ©sente la possibilitĂ© de les Ă©vacuer vers un pays tiers, Ă  dĂ©faut de quoi, et par l’effet combinĂ© de la pression allemande et de la mĂ©diocre coordination d’une administration espagnole souvent dominĂ©e par des phalangistes, ils furent dans quelques rares cas refoulĂ©s vers la France, voire dĂ©portĂ©s vers l’Allemagne, en particulier lorsqu’ils avaient Ă©tĂ© interceptĂ©s prĂšs de la frontiĂšre. L’historien Haim Avni dĂ©crit un cas survenu en 1941 d’une dĂ©cision arbitraire de reconduite Ă  la frontiĂšre française d’un couple de rĂ©fugiĂ©s, qui fut ainsi livrĂ© aux Allemands. Mais le cas le plus retentissant est celui du philosophe juif allemand Walter Benjamin, qui, devant la perspective de devoir rebrousser chemin, choisit en de se donner la mort sur le passage frontalier de CerbĂšre/Portbou. En tout Ă©tat de cause, les autoritĂ©s franquistes faisaient tout pour que les rĂ©fugiĂ©s juifs quittent le sol espagnol le plus tĂŽt possible[137] - [138] - [139].

Jordana, ministre des Affaires étrangÚres à partir de , favorable aux Alliés, se montra moins réticent que son prédécesseur Serrano Suner à autoriser ses représentants diplomatiques dans les zones occupées à délivrer des passeports aux Juifs persécutés.

AprĂšs la nomination Ă  la tĂȘte du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres dĂ©but du gĂ©nĂ©ral GĂłmez-Jordana, rĂ©putĂ© favorable aux AlliĂ©s, l’attitude Ă  l’égard des SĂ©farades fut rĂ©examinĂ©e. Le titulaire de la Direction de la politique europĂ©enne, Pelayo GarcĂ­a Olay, proposa de prendre une sĂ©rie de mesures, dont un recensement des ressortissants espagnols prĂ©sents dans chaque pays, et un examen, au cas par cas, du fondement juridique de la nationalitĂ©, et de prendre sur cette base une dĂ©cision propre Ă  ce que « les desseins qui inspirĂšrent le DĂ©cret royal du ne restent pas sans effet ». Les consuls seraient donc tenus de continuer Ă  dĂ©fendre les ressortissants juifs Ă  l’étranger et Ă  amĂ©liorer leur condition chaque fois que possible, mais en mĂȘme temps, il Ă©tait prĂ©conisĂ© de vĂ©rifier dĂ©sormais, pour chaque cas particulier, le fondement juridique sur lequel reposait le bĂ©nĂ©fice de la nationalitĂ© espagnole, consigne sous l’effet de laquelle les autoritĂ©s espagnoles furent amenĂ©es Ă  retrancher du contingent dĂ©jĂ  rĂ©duit des SĂ©farades recensĂ©s comme protĂ©gĂ©s espagnols Ă  l’étranger tous ceux qui n’étaient pas en possession de tous les documents en rĂšgle. Ainsi p. ex., si 3 000 personnes environ Ă©taient en 1942 officiellement enregistrĂ©es dans les consulats de France, en , elles n’étaient plus que quelque 500 Ă  pouvoir jouir de la protection espagnole[140] - [141] - [136]. Les reprĂ©sentants espagnols auraient Ă  informer Madrid des attaques contre les protĂ©gĂ©s juifs et Ă  agir dans leur intĂ©rĂȘt dans la mesure du possible, mais, une fois encore, sans aller jusqu’à interfĂ©rer dans l’application des lois gĂ©nĂ©rales en vigueur dans les pays respectifs contre les citoyens juifs. Il est probable que le rapport de GarcĂ­a Olay ne servit que de faux-semblant et de justificatif Ă  la passivitĂ© espagnole, au motif aussi qu’aux termes du dĂ©cret de 1924, la nationalitĂ© acquise avant cette date ou aprĂšs 1930 n’était pas valide. L’application stricte des conditions de nationalitĂ©, l’exigence de documents complets et parfaitement en rĂšgle, Ă©cartait ces SĂ©farades de la citoyennetĂ© espagnole et les transformait en ressortissants grecs, hongrois etc., ou pire, en apatrides, ce qui Ă©quivalait Ă  les remettre aux mains des Allemands[142].

Le problĂšme s’exacerba en , lorsque l’Allemagne adressa un ultimatum aux puissances neutres, dont l’Espagne, les sommant de rapatrier de France les Juifs dĂ©tenteurs d’un passeport espagnol avant le , sous peine de les voir expĂ©diĂ©s vers l’est, oĂč ils seraient contraints de rester jusqu’à la fin de la guerre, c’est-Ă -dire en rĂ©alitĂ© pour y ĂȘtre exterminĂ©s dans des camps en Pologne[143]. Le , l’Allemagne annonça que la mĂȘme mesure s’appliquait aussi Ă  la Pologne, aux pays baltes et Ă  l’Europe orientale, et le , Ă©galement Ă  la GrĂšce[144]. N’étaient concernĂ©s que les Juifs ayant acquis avant cette date la citoyennetĂ© d’un pays neutre, les autres ne pouvant se soustraire aux mesures prises par le Reich Ă  l’encontre des autres Juifs[145]. Le , Jordana adressa Ă  l’ambassadeur Bernardo Rolland un cĂąble lui communiquant qu’« un visa d’entrĂ©e en Espagne sera accordĂ© aux SĂ©farades espagnols moyennant qu’ils justifient, pour eux-mĂȘmes et pour chaque membre de leur famille les accompagnant, de leur nationalitĂ© (non de leur statut de protĂ©gĂ©) par des documents complets et satisfaisants, et qu’ils dĂ©montrent remplir les exigences d’inscription dans le Registre national, ainsi que dans le Registre de mariage si l’épouse les accompagne, et de naissance des enfants, si ceux-ci les accompagnent »[146] ; Ă©taient ainsi explicitement exclus d’un rapatriement en Espagne tous ceux ne rĂ©pondant pas Ă  ces exigences. De plus, ce que les Allemands dĂ©signaient par « rapatriement » ne serait autre pour les ressortissants juifs qu’un simple transit par l’Espagne, Ă  l’égal des autres rĂ©fugiĂ©s[147], ainsi qu’en tĂ©moigne le courrier, datĂ© du , de Jordana Ă  son confrĂšre Carlos Asensio, ministre des ArmĂ©es, d’oĂč ressort le mĂȘme principe de base de ne permettre en aucune façon aux SĂ©farades de demeurer en Espagne[148]. Le , le gouvernement espagnol sollicita un dĂ©lai dans le rapatriement pour pouvoir se prĂ©parer (et obtenir le soutien financier de l'organisation humanitaire juive amĂ©ricaine JDC), Ă  quoi les Allemands accĂ©dĂšrent en concĂ©dant un report jusqu’à la fin [76]. Pendant que l’Espagne diffĂ©rait sans cesse le rapatriement de ses ressortissants, le ministre allemand des Affaires Ă©trangĂšres faisait montre de flexibilitĂ© et de patience, accordant des sursis Ă  rĂ©pĂ©tition, et ce jusqu’en 1944. Cette souplesse s’explique sans doute par l’importance accrue que l’Espagne avait prise pour l’Allemagne entre 1943-1944[149].

À la diffĂ©rence de la Suisse, de la SuĂšde ou du Portugal, le gouvernement espagnol ne s’empressa pas de recueillir ses ressortissants juifs ; ce n’est qu’aprĂšs avoir soupesĂ© les diffĂ©rentes possibilitĂ©s, y compris celle de la dĂ©portation, que le gĂ©nĂ©ral Franco lui-mĂȘme rĂ©solut enfin de les faire rapatrier, mais sans donc qu’ils puissent d’aucune façon rester en Espagne, ce qui prĂ©supposait de considĂ©rer comme Ă©tant toujours en vigueur le dĂ©cret d’expulsion des Juifs de 1492. Au surplus, le gouvernement espagnol donna avis au gouvernement allemand qu’il n’accepterait d’accueillir que de petits groupes, l’un aprĂšs l’autre, un groupe n’étant autorisĂ© Ă  entrer en Espagne qu’aprĂšs que le prĂ©cĂ©dent eĂ»t quittĂ© le pays, ce au motif que l’Espagne ne pouvait affronter « le trĂšs grave problĂšme [gravĂ­simo problema] » de les avoir Ă  demeure en Espagne[150]. La politique de transit adoptĂ©e par le gouvernement de Franco supposait donc que les Juifs accueillis sur le sol espagnol puissent repartir sans dĂ©lai vers une destination dĂ©finitive. Cette position inflexible, qui fut maintenue jusqu’au bout par l’Espagne, se heurta cependant aux difficultĂ©s Ă  trouver des pays prĂȘts Ă  hĂ©berger des milliers de personnes dĂ©placĂ©es[151]. De plus, Madrid ne donnait de façon gĂ©nĂ©rale aucune suite aux diverses requĂȘtes de rapatriement collectives Ă©manant de SĂ©farades de France, de GrĂšce et d’autres pays balkaniques ; ce n’était qu’à titre individuel qu’un certain nombre de personnes avaient quelque chance d’obtenir un passeport pour gagner l’Espagne[152].

Il est Ă  souligner que le gouvernement espagnol Ă©tait d’ores et dĂ©jĂ  dĂ»ment informĂ© du sort qui attendait les Juifs dĂ©portĂ©s vers l’est. En effet, les premiers renseignements qui parvinrent au gouvernement franquiste et Ă  Franco lui-mĂȘme Ă  ce sujet provenaient d’un rapport Ă©laborĂ© en par un groupe de mĂ©decins qui avaient visitĂ© l’Autriche et la Pologne, rapport dans lequel Ă©taient Ă©voquĂ©es l’extermination des « dĂ©ments » et la rĂ©clusion des Juifs dans des ghettos oĂč ils pĂ©rissaient de faim et de maladie. Ces informations Ă©taient corroborĂ©es par les dĂ©pĂȘches envoyĂ©es en 1942 par la Division Bleue, lesquelles faisaient Ă©tat aussi de massacres de Russes et de Polonais[143]. La zone de l’Union soviĂ©tique oĂč la Division Bleue avait Ă©tĂ© affectĂ©e Ă©tait aussi celle oĂč opĂ©rait l’Einsatzgruppe A ; celle-ci, commandĂ©e par le gĂ©nĂ©ral de la SS Franz Walter Stahlecker, accompagnait les troupes allemandes du Nord et Ă©tait la plus nombreuse de toutes, avec un effectif total de 990 personnes, dont un tiers Ă©taient membres de la Waffen-SS. À la date du , ces hommes avaient assassinĂ© 125 000 Juifs et 5 000 personnes non juives, et l’extermination Ă©tait dĂ©jĂ  accomplie lorsque les combattants espagnols arrivĂšrent Ă  la fin de l’étĂ© 1941 dans la zone Ă  eux assignĂ©e. Le commandement allemand eut soin de mettre aux mains des volontaires espagnols des fascicules d’instructions sur la façon de se comporter face Ă  un ennemi qui pour eux avait Ă©tĂ© jusque-lĂ  plus imaginaire que rĂ©el : l’un des manuels fournis aux Espagnols, intitulĂ© Conduite Ă  tenir avec les Juifs, indiquait que la troupe eut Ă  agir « sans aucune considĂ©ration contre les Juifs » et expliquait que les Juifs Ă©taient les « principaux soutiens » du communisme, en raison de quoi il fallait Ă©viter toute collaboration avec eux[153] - [154] - [155].

À la fin de la mĂȘme annĂ©e 1942, ce fut au tour des gouvernements alliĂ©s de dĂ©noncer l’« extermination » des Juifs. En , les autoritĂ©s de Madrid furent explicitement informĂ©es par l’ambassade d’Espagne Ă  Berlin que les Juifs Ă©taient envoyĂ©s dans des camps en Pologne pour y ĂȘtre assassinĂ©s[143] : dans un alinĂ©a d’un rapport de l’ambassadeur Ă  Berlin, GinĂ©s Vidal, il est fait allusion Ă  l’activitĂ© exterminatrice du camp de Treblinka :

« La liquidation en masse de Juifs se poursuit, non seulement de ceux qui vivent encore sur les trois millions et demi qui rĂ©sidaient en Pologne, mais aussi de ceux amenĂ©s d’Autriche, de TchĂ©coslovaquie, de Belgique, de Hollande, de NorvĂšge, de France et de Yougoslavie ; un endroit, inconnu jusqu’ici, nommĂ© Tremblinka [sic], a acquis la lugubre rĂ©putation d’ĂȘtre celui choisi pour ces tueries terribles[156]. »

Un an aprĂšs, Ángel Sanz Briz, diplomate en poste Ă  Budapest, informa son gouvernement de façon dĂ©taillĂ©e sur les rumeurs qui circulaient Ă  propos d’Auschwitz. Sanz Briz fut par lĂ  probablement le premier diplomate Ă  renseigner le gouvernement franquiste sur les massacres d’Auschwitz. Il revint Ă  la charge le mois suivant, de façon plus circonstanciĂ©e encore, en faisant parvenir Ă  Madrid le dĂ©nommĂ© Rapport sur Auschwitz, prĂ©sumĂ©ment rĂ©digĂ© par deux prisonniers qui avaient rĂ©ussi Ă  s’en Ă©vader en , et qui circulait dans diffĂ©rentes capitales europĂ©ennes, et dont il Ă©crivit la lettre d’accompagnement[157]. Il incombait dĂ©sormais au gouvernement de Franco de se mobiliser pour rapatrier ses ressortissants juifs Ă  l’étranger ; pourtant l’enjeu essentiel pour les autoritĂ©s espagnoles Ă©tait alors derechef d'Ă©viter « la crĂ©ation d’une colonie et d’un problĂšme juif, dont [la patrie] est heureusement exempte »[158]. Ce souci et l’embarras des responsables franquistes se font jour dans une note que JosĂ© MarĂ­a Doussinague, directeur gĂ©nĂ©ral de la Politique Ă©trangĂšre, rĂ©digea en Ă  l’attention de son ministre de tutelle Jordana :

« Si l’Espagne abandonne les SĂ©farades et les fait tomber sous le coup des dispositions antisĂ©mites, nous courons le risque de voir s’aggraver l’hostilitĂ© qui existe Ă  notre Ă©gard, en particulier en AmĂ©rique oĂč on nous accusera [d’ĂȘtre des] bourreaux, de complicitĂ© d’assassinats, etc., comme cela s’est dĂ©jĂ  passĂ© Ă  plusieurs reprises. [
] On ne peut pas non plus accepter la solution consistant Ă  les acheminer en Espagne oĂč leur race, leur argent, leur anglophilie et leur franc-maçonnerie les convertiraient en agents de toutes sortes d’intrigues[159]. »

À partir de l’étĂ© 1943, la prĂ©visible victoire alliĂ©e incita le Caudillo, dĂ©sormais aux abois, Ă  un maximum de concessions aux Anglo-AmĂ©ricains. DĂšs aprĂšs le dĂ©barquement alliĂ© en Afrique du Nord de , des facilitĂ©s de passage sur le territoire espagnol furent accordĂ©es Ă  diverses catĂ©gories de population en transit, dont des rĂ©fugiĂ©s du nazisme, des militaires alliĂ©s, et des combattants des Forces françaises libres[160].

Si le gouvernement espagnol avait communiquĂ© l’ordre aux consuls d’Espagne en Allemagne et dans les pays occupĂ©s ou satellites de l’Axe de ne pas Ă©mettre de visas de transit aux Juifs qui en faisaient la demande, sauf s’ils pouvaient dĂ»ment justifier « de [leur] nationalitĂ© par une documentation complĂšte satisfaisante » espagnole[161], la plupart des diplomates espagnols, dĂ©daignant cet ordre, donnĂšrent satisfaction aux Juifs, en particulier aux SĂ©farades qui se prĂ©sentaient dans les consulats allĂ©guant de leur statut de protĂ©gĂ©, alors qu’il n’était plus valide et que le dĂ©lai d’obtention de la nationalitĂ© avait expirĂ© le . Les consuls savaient que les SĂ©farades, comme les autres Juifs, Ă©taient en danger de mort s’ils tombaient aux mains de la police allemande. Face Ă  cette situation dramatique, le corps diplomatique espagnol eut, dans toute l’Europe, un comportement exemplaire, faisant tout ce qui Ă©tait en son pouvoir pour soulager le sort des Juifs, fussent-ils ou non SĂ©farades, de nationalitĂ© espagnole ou non. Les noms de ces diplomates qui firent spontanĂ©ment, y compris mĂȘme au rebours des instructions qu’ils avaient reçues de leur gouvernement, tout ce qui Ă©tait Ă  leur portĂ©e pour sauver des individus et des familles en danger de mort, mĂ©ritent d’avoir une place dans l’Histoire. Ce sont, entre autres : Bernardo Rolland, consul gĂ©nĂ©ral Ă  Paris (1939-1943) ; Eduardo Gasset y DĂ­ez de Ulzurrun, consul et chargĂ© d'affaires Ă  AthĂšnes et Ă  Sofia (1941-1944) ; SebastiĂĄn Romero Radigales, consul gĂ©nĂ©ral en GrĂšce (1943), nommĂ© Juste parmi les nations par IsraĂ«l en 2014[162] ; Julio Palencia Tubau, chargĂ© d’affaires en Bulgarie ; Ángel Sanz Briz, chargĂ© d’affaires en Hongrie, aux cĂŽtĂ©s de Giorgio Perlasca, Italo-espagnol se faisant passer pour consul, tous deux nommĂ©s Juste parmi les nations, en 1966 et 1989, respectivement ; GinĂ©s Vidal y Saura, ambassadeur Ă  Berlin (1942-1945), et son secrĂ©taire Federico OlivĂĄn ; Alejandro Pons Bofill, vice-consul honoraire Ă  Nice (1939-1944) ; en plus des nombreux autres fonctionnaires de rang plus modeste qui les aidĂšrent dans cette tĂąche humanitaire[163] - [164].

L’Espagne comme lieu de refuge

Durant la Guerre civile, il Ă©tait exclu que l’Espagne fasse figure de lieu de refuge pour les Juifs, Ă©tat de fait qui persista pendant encore neuf mois aprĂšs le dĂ©but de la Seconde Guerre mondiale[165]. AprĂšs la dĂ©faite française de juin 1940, le rĂ©gime franquiste se montra d’abord gĂ©nĂ©reux, dĂ©livrant, Ă  travers ses reprĂ©sentants consulaires, des visas de transit Ă  toute personne en possession d’un visa de transit ou d’émigration Ă©mis par le Portugal, mais au bout de quelques semaines, l’Espagne ferma la frontiĂšre des PyrĂ©nĂ©es, pour se donner le temps de dĂ©finir sa politique, en attendant que la situation en France se soit stabilisĂ©e[166] - [167]. L’Espagne autorisa ainsi, dans un premier temps, entre 20 000 et 35 000 Juifs, ainsi que des milliers d’autres rĂ©fugiĂ©s, Ă  transiter par le territoire espagnol Ă  destination d’autres pays, la plupart du temps via le Portugal. En , la frontiĂšre fut Ă  nouveau ouverte, sur le point de passage de CerbĂšre/Portbou, mais cette fois sous un rĂ©gime de quotas sur le nombre d’entrĂ©es quotidiennes, en plus d’autres restrictions, notamment l’obligation d’un visa de sortie français, qui deviendra le problĂšme le plus difficile pour les rĂ©fugiĂ©s de la zone libre aprĂšs que le rĂ©gime de Vichy se fut solidement installĂ©. Celui-ci en effet mit de nombreuses entraves Ă  la concession de visas de sortie du territoire, et les autoritĂ©s espagnoles, par loyautĂ©, interdirent le passage Ă  toute personne dĂ©pourvue de visa de sortie. À partir du , les dispositions espagnoles de transit devinrent plus rigoureuses encore, et les autoritĂ©s espagnoles avaient soin en particulier de ne pas laisser entrer des hommes en Ăąge de service militaire, Ă  moins de pouvoir produire un certificat d’inaptitude en rĂšgle. En aucun cas, il ne fut octroyĂ© de visas collectifs, de sorte que p. ex. le permis de passage fut refusĂ© Ă  3 000 judĂ©oconvers qui avaient pourtant, sur les instances du Vatican, Ă©tĂ© admis Ă  entrer au BrĂ©sil. Cette politique de visas excluait certaines catĂ©gories de personnes et imposait de pĂ©nibles procĂ©dures Ă  d’autres, mais ne discriminait pas entre Juifs et non-Juifs, et il semble que nul n’ait Ă©tĂ© refoulĂ© en raison de sa seule religion. Dans l’intervalle de temps oĂč des permis Ă©taient accordĂ©s — dans un premier temps sans limitation, ensuite avec restrictions —, des milliers de Juifs rĂ©ussirent Ă  passer en Espagne ouvertement et lĂ©galement, et furent ainsi sauvĂ©s[137] - [168] - [169]. Selon Haim Avni, le nombre de ces Juifs ayant pu se sauver parce que l’Espagne ne leur avait pas refusĂ© le transit ne dĂ©passe pas les 7 500[170] ; Berndt Rother a cependant revu ce chiffre Ă  la hausse, Ă  un nombre qui se situerait entre 20 000 et 35 000 personnes[171].

DĂ©but , le sauvetage lĂ©gal de Juifs par le passage en Espagne prit fin, aprĂšs que le gouvernement de Vichy eut Ă©dictĂ© l’ordre d’annuler les visas de sortie pour les Juifs français et Ă©trangers et se fut engagĂ© Ă  extrader vers l’Allemagne les Juifs Ă©trangers. Pour contourner ces nouvelles restrictions, les Juifs eurent alors recours aux contrefaçons de documents, ou tentĂšrent de franchir la frontiĂšre pyrĂ©nĂ©enne clandestinement, entreprise encore aisĂ©e en 1940. DĂšs lors, le nombre de personnes en situation illĂ©gale en Espagne s’accrut fortement. Ces personnes Ă©taient mises en dĂ©tention sur-le-champ, et ensuite leur sort dĂ©pendait du caprice de l’administration espagnole, souvent dominĂ©e par des phalangistes extrĂ©mistes sous influence allemande ; des cas ont Ă©tĂ© recensĂ©s oĂč des illĂ©gaux furent reconduits Ă  la frontiĂšre et remis aux Allemands, et des tĂ©moignages existent allant dans ce sens ; toutefois, l’incarcĂ©ration en Espagne Ă©tait loin d’entraĂźner automatiquement un refoulement[172] - [173]. S’il n’y eut certes pas de discriminations Ă  l’encontre des Juifs apatrides, ceux-ci nĂ©anmoins souffraient davantage que les autres, car les autoritĂ©s espagnoles interdirent jusqu’en 1942 aux organisations de bienfaisance juives d’opĂ©rer en Espagne[174].

Les illĂ©gaux Ă©taient donc pour la plupart internĂ©s, les femmes dans des prisons provinciales et les hommes dans le camp de concentration de Miranda de Ebro, d’oĂč ils Ă©taient ensuite redirigĂ©s vers d’autres pays. Juifs, prisonniers de droit commun, rĂ©fugiĂ©s et militaires alliĂ©s capturĂ©s y souffraient des mĂȘmes exĂ©crables conditions de logement, de l’hygiĂšne dĂ©faillante et d’une mauvaise alimentation[175]. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, tous les rĂ©fugiĂ©s arrivĂ©s Ă  la frontiĂšre espagnole Ă©taient interpellĂ©s par des membres de la Garde civile et, une fois leur dĂ©claration consignĂ©e et leurs donnĂ©es enregistrĂ©es, se voyaient infliger le mĂȘme traitement dĂ©gradant, qu’ils fussent ou non Juifs. Ils Ă©taient alors tondus, menottĂ©s par deux, triĂ©s par nationalitĂ© et enfermĂ©s dans des cellules Ă  cĂŽtĂ© de prisonniers politiques et de dĂ©linquants, oĂč ils recevaient une nourriture parcimonieuse. Des prisons locales, ils passaient habituellement aux prisons provinciales, puis, de lĂ , la plupart de ceux qui n’étaient rĂ©clamĂ©s par aucun consulat — c’est-Ă -dire entre autres les apatrides, qui Ă©taient Juifs en majoritĂ© — Ă©taient transfĂ©rĂ©s au camp de concentration de Miranda[176] - [177].

Ledit camp, construit le sur ordre du gouvernement de Burgos (la dĂ©nommĂ©e Junte technique de l’État), avait une capacitĂ© d’accueil de 1 500 personnes, mais fin 1942, le nombre de ses internĂ©s dĂ©passait dĂ©jĂ  les 3 500. Cet Ă©tat de surpopulation (et les conditions de vie dans le camp) allait s’aggraver encore avec le flux de rĂ©fugiĂ©s qui dĂ©ferla sur l’Espagne Ă  partir de 1943. S’il y eut certes quelques cas d’antisĂ©mitisme Ă  l’intĂ©rieur du camp, provoquĂ©s par des rĂ©fugiĂ©s français, dont fut victime entre autres le jeune mĂ©decin Joseph Gabel, et mĂȘme une algarade antijuive dĂ©clenchĂ©e par un officier français contre ses compatriotes juifs[178], le gouvernement franquiste n’en vint jamais Ă  amĂ©nager ni prisons, ni centres de dĂ©tention, ni camps de concentration rĂ©servĂ©s exclusivement aux Juifs ; les Juifs arrivĂ©s en Espagne par la frontiĂšre pyrĂ©nĂ©enne Ă©taient traitĂ©s de la mĂȘme maniĂšre que le reste des rĂ©fugiĂ©s[176] - [179]. Les organisations de bienfaisance juives n’étant pas autorisĂ©es Ă  intervenir en Espagne, une assistance aux rĂ©fugiĂ©s dut se faire par des mĂ©diations discrĂštes ou encore Ă  travers les Croix-Rouge amĂ©ricaine et portugaise[137] - [168]. À partir de 1942, sous couvert d’une succursale de la Croix-Rouge portugaise mise sur pied par le Portugais Sam Levy et dirigĂ©e ensuite par son compatriote Samuel Sequerra, le Joint Distribution Committee (JDC), organisation judĂ©o-amĂ©ricaine, dont le gouvernement espagnol, pour accĂ©der aux exigences des puissances alliĂ©es, avait tolĂ©rĂ© qu’elle s’établisse Ă  Barcelone, assistait les nouveaux venus juifs dans la PĂ©ninsule, mais surtout s’efforçait, avec l’appui des ambassades de Grande-Bretagne et des États-Unis, d’organiser leur Ă©vacuation, via le Portugal, vers l’Afrique du Nord ou encore la Palestine[137] - [168] - [180]. Le , un groupe de 15 phalangistes armĂ©s, anciens combattants de la Division Bleue, prit d’assaut les locaux de la JDC, dont les activitĂ©s Ă©taient vues d’un mauvais Ɠil par les Ă©lĂ©ments les plus exaltĂ©s du rĂ©gime, et profĂ©ra des menaces Ă  l’adresse de Sequerra[181] - [182]. Toutefois, il est Ă  souligner que ce type d’actions n’eurent jamais lieu Ă  l’instigation du gouvernement, mais constituaient des actions isolĂ©es de groupes incontrĂŽlĂ©s[183].

À partir d’, Ă  la suite de l’occupation de l’Afrique du Nord par les AlliĂ©s, et de l’occupation de la zone libre dĂ©cidĂ©e par l’Allemagne dans la foulĂ©e, il y eut une recrudescence du flux de rĂ©fugiĂ©s civils, dont la majoritĂ© Ă©taient juifs. Les ambassades de Grande-Bretagne et des États-Unis ne lĂ©sinĂšrent pas sur les moyens de persuader les autoritĂ©s franquistes de ne pas refouler ces rĂ©fugiĂ©s, ce qui eut pour effet que Madrid s’abstint, ici encore, de prendre des mesures discriminatoires contre les Juifs. De jusqu’à la libĂ©ration de la France, l’Espagne accorda l’asile Ă  tous les Juifs arrivĂ©s dans le pays illĂ©galement. Leur nombre fut seulement dĂ©terminĂ© par les obstacles naturels (les PyrĂ©nĂ©es) et par les patrouilles frontaliĂšres allemandes. La lenteur avec laquelle les rĂ©fugiĂ©s Ă©taient ensuite Ă©vacuĂ©s hors d’Espagne ne leur fut pas dommageable, mais le fut Ă  l’inverse aux ressortissants juifs espagnols rĂ©sidant Ă  l’étranger et en attente de rapatriement[184].

Les AlliĂ©s pour leur part accordaient la prioritĂ© au sauvetage de leur personnel militaire ; l’ambassadeur des États-Unis en Espagne Carlton Hayes considĂ©rait son assistance aux soldats alliĂ©s comme l’une des missions les plus importantes de son ambassade, trĂšs au-dessus de ses activitĂ©s de secours aux rĂ©fugiĂ©s civils, estimant mĂȘme, selon ce que rapporte Joseph Schwartz, directeur du JDC, que tout effort pour extraire des rĂ©fugiĂ©s juifs de France Ă  travers l’Espagne Ă©tait susceptible de gĂȘner ses efforts Ă  faire libĂ©rer les prisonniers de guerre amĂ©ricains[185] - [186].

Le , le ministĂšre espagnol des Affaires Ă©trangĂšres annonça la fermeture des frontiĂšres aux rĂ©fugiĂ©s sans documents lĂ©gaux, que la police des frontiĂšres des provinces de Catalogne et de Navarre s’appliquait dĂ©sormais Ă  refouler vers la France. Le gouvernement espagnol renforça ses patrouilles et pria les Français d’en faire autant[187]. Mais en , Jordana informa Hayes que l’ordre d’expulsion des rĂ©fugiĂ©s clandestins avait Ă©tĂ© annulĂ© et qu’à partir de ce moment tous les rĂ©fugiĂ©s seraient autorisĂ©s Ă  rester en Espagne. Cependant, la nouvelle libĂ©ralitĂ© du gouvernement tarda Ă  se rĂ©percuter sur le personnel subalterne, qui continua pendant un temps encore Ă  restituer des rĂ©fugiĂ©s aux autoritĂ©s françaises. En tout Ă©tat de cause, si l’Espagne consentait Ă  accepter les rĂ©fugiĂ©s, il n’était accordĂ© Ă  ceux-ci qu’un permis de sĂ©jour transitoire, avec interdiction de s’établir Ă  demeure en Espagne[188].

Entre-temps, les AlliĂ©s tentaient de s’accorder sur l’implantation d’un camp de transit situĂ© hors d’Espagne ; en raison de dissensions et de rĂ©criminations mutuelles entre les AlliĂ©s, la crĂ©ation de ce camp d’évacuation fut retardĂ©e et ne verra finalement le jour, Ă  l’issue de longues tractations, qu’un an aprĂšs, en , Ă  FĂ©dala, non loin de Casablanca. Le , Roosevelt avait donnĂ© Ă  entendre qu’un plan d’évacuation devait ĂȘtre mis en Ɠuvre rapidement, pour inciter l’Espagne, en tant que pays neutre, Ă  s’engager plus activement dans le sauvetage de Juifs dans les pays sous occupation nazie[189]. Pour leur part, les pays d’accueil de Juifs (Chili, Argentine, Mexique, Canada, etc.) posaient des conditions trĂšs prĂ©cises et difficiles Ă  satisfaire. Face Ă  ces tergiversations et entraves, l’Espagne menait une politique en la matiĂšre qui changeait pĂ©riodiquement[190]. En , les apatrides internĂ©s Ă  Miranda furent autorisĂ©s, avant qu’ils ne quittent l’Espagne, Ă  s’installer vivre Ă  Madrid et Barcelone en libertĂ© surveillĂ©e, sans que cet assouplissement n’ait empĂȘchĂ© d’enfermer aprĂšs cette date de nouveaux rĂ©fugiĂ©s apatrides Ă  Miranda[191]. Du reste, tous les frais d’entretien de ces centaines de rĂ©fugiĂ©s restaient Ă  charge du JDC[192].

L’Agence juive calcula en que le nombre de juifs entrĂ©s illĂ©galement en Espagne ne dĂ©passait pas les 2 000 individus. C’est l’époque aussi oĂč l’évacuation hors d’Espagne de citoyens français atteignit son point culminant ; leur nombre oscillant entre 15 000 et 16 000, avec une proportion de Juifs situĂ©e entre seulement 10 et 12 %, le nombre de Juifs français ayant pu se sauver ne devait donc pas dĂ©passer les 2 000. Beaucoup d’entre eux, environ 1 200, se rendirent ensuite en Afrique du Nord française, soit parce qu’ils avaient acquis la nationalitĂ© française, soit parce qu’ils s’étaient engagĂ©s comme volontaires dans les unitĂ©s de combat de la France libre. Si l’on additionne ces chiffres, le nombre maximum de Juifs rĂ©fugiĂ©s qui transitĂšrent par l’Espagne ou qui y sĂ©journĂšrent entre l’étĂ© 1942 et la fin de 1943, s’établit Ă  5 300. D’autres estimations tendent Ă  recouper ce chiffre. Si l’on additionne tous les groupes, y compris ceux — TchĂšques, Belges, Hollandais etc. — arrivĂ©s en Espagne avant 1942, l’on arrive Ă  un total de prĂšs de 6 000 Juifs sauvĂ©s en Espagne. Jusqu’à , date Ă  laquelle la fuite depuis la France se tarit tout Ă  fait, ce chiffre s’accrut encore de quelques centaines de Juifs, sans doute entre 800 et 900. En y ajoutant les soldats juifs qui figuraient parmi les soldats amĂ©ricains et britanniques ayant franchi clandestinement les PyrĂ©nĂ©es, le nombre total pour l’annĂ©e 1944 atteindrait au plus 1 500 individus, soit un total, pour la pĂ©riode de l’étĂ© 1942 Ă  l’automne 1944, de 7 500 maximum[193].

Sauvetage de ressortissants juifs espagnols résidant en France

Il a Ă©tĂ© calculĂ© qu’au moment de la capitulation de la France en , environ 35 000 SĂ©farades vivaient dans ce pays, quelques-uns Ă©tablis dans des zones d’implantations anciennes sur le littoral du golfe de Biscaye, mais la majeure partie habitant Paris ou d’autres grandes villes. De ceux-ci, deux mille s’étaient fait enregistrer Ă  titre de ressortissants espagnols rĂ©guliers Ă  l’ambassade d’Espagne Ă  Paris et un millier d’autres dans les diffĂ©rentes dĂ©lĂ©gations consulaires du pays. Ces 3 000 SĂ©farades, dont beaucoup avaient entretenu des liens Ă©troits avec l’Espagne, rĂ©clamaient la protection du gouvernement de Madrid en invoquant le traitĂ© hispano-français de 1862 (stipulant que tout sujet espagnol habitant en France jouissait des mĂȘmes droits qu’un Espagnol rĂ©sidant en Espagne), ainsi que le dĂ©cret-loi de 1924 par lequel leur avait Ă©tĂ© octroyĂ©e la nationalitĂ© espagnole. Beaucoup de ces Juifs avaient une position Ă©conomique stable, et quelques-uns Ă©taient trĂšs riches[194] - [195]. Cependant, il avait Ă©tĂ© estimĂ© par la dĂ©lĂ©gation de ces SĂ©farades que le nombre de ceux qui, en possession de documents complets et parfaitement en rĂšgle au regard du dĂ©cret de , entraient en ligne de compte pour s’établir en Espagne ne s’élevait qu’à trois centaines de personnes, chiffre recoupĂ© par l’estimation faite par la Chambre de commerce espagnole de Paris[76]. Le ministre Jordana interdit que ce nombre soit rehaussĂ©, et donna ordre de « procĂ©der avec beaucoup d’attention et avec une extrĂȘme diligence en la matiĂšre »[196], et il semble mĂȘme qu’il y eut alors un resserrement des critĂšres d’admission, au lieu d’un assouplissement. S’y ajoutait une procĂ©dure administrative longue et compliquĂ©e, comprenant onze Ă©tapes et dĂ©pendant donc de la bonne volontĂ© d’autant d’autoritĂ©s[197].

Auparavant, le , face aux mesures anti-juives prises sur le territoire français, le ministre des Affaires Ă©trangĂšres, RamĂłn Serrano SĂșñer, prĂ©cisa comme suit la position espagnole officielle :

« S’il est vrai qu’il n’existe pas de loi raciale en Espagne, le gouvernement espagnol cependant ne peut pas, mĂȘme pour ses ressortissants d’origine juive, faire de difficultĂ©s en vue d’éviter qu’ils soient soumis aux dispositions gĂ©nĂ©rales ; il doit uniquement se considĂ©rer informĂ© de ces dispositions et, en dernier ressort, ne pas faire obstacle Ă  leur application et observer une attitude passive[198]. »

En pratique, et en accord avec cette attitude passive adoptĂ©e par le ministre des Affaires Ă©trangĂšres, le gouvernement espagnol n’entreprit rien pour dĂ©fendre les droits des nombreux ressortissants espagnols rĂ©sidant Ă  l’étranger et des SĂ©farades sous protection espagnole, en particulier quand on commença de les ficher dans les registres de Juifs en cours de crĂ©ation dans tous les pays occupĂ©s par les nazis, et ce nonobstant que l’Espagne ait Ă©tĂ© officiellement opposĂ©e Ă  ce que ses citoyens fassent l’objet de discrimination pour des raisons de race ou de religion. En France, par suite des protestations du consul-gĂ©nĂ©ral Ă  Paris, Bernardo Rolland, ces fichiers furent Ă©tablis dans le consulat espagnol, et non dans les prĂ©fectures de police, et les Juifs espagnols, tout comme ceux des pays alliĂ©s et des autres pays neutres, furent exemptĂ©s du port de l’étoile jaune, pourtant obligatoire dans tous les territoires occupĂ©s par l’Allemagne depuis le [199] - [200].

Le , l’ambassadeur d’Espagne auprĂšs du gouvernement de Vichy, JosĂ© FĂ©lix de Lequerica, reçut de Madrid des instructions formulĂ©es en des termes quasi identiques et portant que les reprĂ©sentants espagnols Ă  l’étranger Ă©taient tenus de communiquer Ă  leurs autoritĂ©s les attaques dont Ă©taient victimes leurs protĂ©gĂ©s espagnols et d’Ɠuvrer autant que possible dans l’intĂ©rĂȘt de ceux-ci, mais sans interfĂ©rer avec l’application des lois antisĂ©mites[201]. Pendant la premiĂšre phase de la Seconde Guerre mondiale, l’action du consul Bernardo Rolland en faveur des SĂ©farades allait largement outrepasser la consigne ministĂ©rielle. À diverses reprises et jusqu’à la fin de son mandat, il rappela aux autoritĂ©s françaises que « les ordonnances promulguĂ©es par l’Administration militaire allemande en France ne s’appliquent pas aux sujets espagnols d’extraction israĂ©lite », et porta Ă  la connaissance de Xavier Vallat, dĂ©lĂ©guĂ© Ă  la direction du Commissariat gĂ©nĂ©ral aux questions juives, que

« la loi espagnole ne fait aucune distinction entre ses ressortissants au regard de leur confession ; en consĂ©quence, elle considĂšre les SĂ©fardites espagnols, bien que de confession mosaĂŻque, comme des Espagnols. Je saurai grĂ© aux autoritĂ©s françaises et aux autoritĂ©s d’occupation, de vouloir bien, en raison de ce fait, que les lois dĂ©finissant le statut des Juifs ne leur soient pas appliquĂ©es[202]. »

D’autre part, en rĂ©action Ă  l’aryanisation des biens juifs, c’est-Ă -dire leur confiscation et mise sous administration judiciaire française ou allemande, Bernardo Rolland sut faire annuler les ventes illicites de biens appartenant Ă  ses protĂ©gĂ©s et obtint que des agents fiduciaires dĂ©signĂ©s par le consul gĂ©nĂ©ral sur proposition de la chambre de commerce espagnole Ă  Paris soient placĂ©s Ă  la tĂȘte de leurs entreprises et se chargent d’administrer leurs biens expropriĂ©s en collaboration avec la Banque d'Espagne en France[203] - [204] - [205] - [198]. L’on ignore ce qu’il advint finalement du patrimoine des Juifs espagnols Ă  l’étranger, mais il semble que les autoritĂ©s franquistes, informĂ©es du sort qui attendait les Juifs en Europe, aient eu en l’occurrence un comportement dictĂ© seulement par l’intĂ©rĂȘt Ă©conomique ; dans l’opinion du journaliste et essayiste Eduardo MartĂ­n de Pozuelo, l’Espagne fut, sous ce rapport du moins, complice de l’Holocauste[206].

À la suite de l’occupation de la zone libre en , des milliers de Juifs, principalement Ă©trangers ou apatrides, tentĂšrent, et souvent rĂ©ussirent, Ă  franchir la frontiĂšre franco-espagnole. Les interventions successives de Carlton Hayes et de François PiĂ©tri, respectivement ambassadeurs des États-Unis et de France, auprĂšs des autoritĂ©s madrilĂšnes dĂ©bouchĂšrent sur l’assurance que les rĂ©fugiĂ©s ne seront pas refoulĂ©s et que la frontiĂšre demeure ouverte Ă  tous ceux, soldats et civils, qui s’échappaient de la zone sous contrĂŽle allemand – ce qui sera dĂ©finitivement acquis en [207].

Au lendemain de l'ultimatum allemand de , sommant Madrid d'Ă©vacuer de France ses ressortissants juifs, consigne fut donnĂ©e aux consuls de n’accorder de visa de transit qu’aux Juifs en mesure de dĂ©montrer ĂȘtre en possession de la nationalitĂ© espagnole, et non Ă  ceux qui n’auraient que le statut de protĂ©gĂ© (ce qui impliquait de laisser hors jeu 2 000 des 2 500 Juifs qui se trouvaient en France et dĂ©tenaient un passeport espagnol). Le gouvernement franquiste sollicita un sursis aprĂšs l’autre, de sorte que (selon ce qu’affirme l’historien Álvarez Chillida), si beaucoup furent finalement sauvĂ©s, c’était autant voire plus par l’infinie patience manifestĂ©e par les autoritĂ©s de Berlin que par l’attitude du gouvernement espagnol[150]. Cependant, le consulat parisien, avec Ă  sa tĂȘte le consul Bernardo Rolland, se refusant Ă  appliquer au sens strict les instructions de son ministre de tutelle, dĂ©livra le des visas Ă  90 Juifs sĂ©farades dotĂ©s seulement du statut de protĂ©gĂ©, rĂ©ussissant ainsi Ă  inclure dans le contingent des rapatriables un groupe de SĂ©farades Ă©cartĂ©s par les nouvelles normes sur la nationalitĂ©. Dans les mois suivants, plusieurs dizaines de Juifs reçurent Ă©galement le visa sans remplir toutes les conditions telles que fixĂ©es par le gouvernement espagnol. La mission du consul s’acheva Ă  la fin , et son successeur Alfonso Fiscowich (ou Fiscovich) se chargea du convoi de rapatriement du , puis de la prĂ©paration de deux autres transports prĂ©vus pour le , lesquels toutefois ne prendront jamais le dĂ©part[208] - [209]. Le , une cinquantaine de personnes rapatriables furent arrĂȘtĂ©es par la Gestapo, mais, Ă  l’issue d’ñpres nĂ©gociations avec les autoritĂ©s allemandes, ces derniĂšres finirent par accepter le de libĂ©rer les SĂ©farades espagnols dĂ©tenus Ă  Drancy, moyennant la promesse de l’Espagne de les Ă©vacuer sans tarder. Six jours plus tard, Fiscowich soumit aux autoritĂ©s allemandes deux listes de protĂ©gĂ©s Ă  rapatrier, mais en dĂ©pit de la parole donnĂ©e par les Allemands et des dĂ©marches de Fiscovich, un grand nombre de ces internĂ©s espagnols fut dĂ©portĂ© sans notification[210] - [211]. Les Juifs restants ne furent libĂ©rĂ©s, sur les instances de Fiscovich, que cinq mois plus tard, le , un mois et demi avant la LibĂ©ration[212].

Concernant la zone Sud de la France, oĂč l’Espagne entretenait plusieurs consulats, la protection des Juifs Ă©tait tributaire de l’initiative et de l’engagement de chaque consul en particulier. Si l’ambassade Ă  Vichy interprĂ©tait littĂ©ralement les consignes relatives aux ressortissants juifs espagnols, le nombre de ressortissants reconnus comme tels fut pourtant en augmentation dans la zone libre. Les Juifs jouirent du soutien et de la dĂ©fense Ă©nergiques d’au moins quelques-uns des consuls. Devant l’incertitude qui rĂ©gnait Ă  Paris, beaucoup dĂ©cidĂšrent de s’enfuir de la zone occupĂ©e[213]. Pourtant, la plupart des demandes de rapatriement dĂ©posĂ©es dans les consulats espagnols furent rejetĂ©es pour non-conformitĂ© aux critĂšres trĂšs sĂ©lectifs fixĂ©s par Madrid, et seuls quelques rares SĂ©farades rĂ©sidant principalement Ă  Marseille, Lyon, Toulouse et Perpignan furent admis Ă  acquĂ©rir la nationalitĂ© espagnole et donc Ă  ĂȘtre accueillis en Espagne[214]. En , deux groupes de Juifs dotĂ©s de visas d’entrĂ©e en Espagne furent admis sans que l’arrivĂ©e du deuxiĂšme ait Ă©tĂ© conditionnĂ©e par l’évacuation du premier. Un troisiĂšme groupe fut retenu Ă  la frontiĂšre en , sans que l’on connaisse le sort qui lui a Ă©tĂ© rĂ©servĂ©[215].

Sauvetage de ressortissants juifs espagnols résidant en Bulgarie et en Roumanie

La Bulgarie avait rejoint les puissances de l’Axe et adoptĂ© en une ample lĂ©gislation antisĂ©mite visant Ă  Ă©carter de la vie publique les quelque 50 000 Juifs bulgares. Parmi eux se trouvaient 150 ressortissants espagnols, dont un bon nombre rĂ©ussit, dans les annĂ©es 1941 et 1942, Ă  obtenir un visa d’entrĂ©e et Ă  se rendre en Espagne. Le sort des autres, qui pour l’heure pouvaient continuer Ă  s’adonner Ă  leurs activitĂ©s commerciales, reposait entre les mains de l’ambassadeur d’Espagne Ă  Sofia, Julio Palencia[216] - [217]. Le plan d’extermination allemand commença Ă  ĂȘtre mis en Ɠuvre en , ce dont Palencia fut informĂ© par le premier ministre bulgare le , une semaine avant le dĂ©but des dĂ©portations. Palencia tĂ©lĂ©graphia Ă  Jordana, lui proposant que Madrid fasse comprendre Ă  la Bulgarie et Ă  l’Allemagne que l’Espagne ne pouvait accepter que ses ressortissants soient dĂ©portĂ©s en Pologne Ă©tant donnĂ© l’inexistence de lois raciales en Espagne. L’on sait du moins que parmi les dĂ©portĂ©s de Thrace et de MacĂ©doine ne figurent pas les rares ressortissants juifs espagnols vivant dans ces rĂ©gions. Il semble qu'en Bulgarie l’immunitĂ© diplomatique ait suffi Ă  sauver la poignĂ©e de ressortissants espagnols, sans qu’il y ait eu besoin de les rapatrier[218]. L’attitude de Julio Palencia, ouvertement philosĂ©mite, lui valut d’ĂȘtre qualifiĂ© par les Allemands de « fameux ami des Juifs ». Palencia fut finalement dĂ©clarĂ© persona non grata en Bulgarie en et rappelĂ© Ă  Madrid, pour avoir adoptĂ© les deux enfants d’un SĂ©farade exĂ©cutĂ© (pour une infraction mineure Ă  la rĂ©glementation des prix) afin de leur permettre de quitter le pays et de rejoindre ainsi leur mĂšre Ă  l’étranger[219] - [220].

En Roumanie, la lĂ©gislation anti-juive, dĂ©jĂ  passablement sĂ©vĂšre dans l’entre-deux-guerres, devint plus rigoureuse encore au dĂ©but de la Seconde Guerre mondiale, quand la situation juridique des Juifs fut soumise Ă  un ensemble de restrictions radicales. À cette Ă©poque rĂ©sidaient en Roumanie 107 Juifs de nationalitĂ© espagnole, qui avaient tous pris fait et cause pour le Mouvement national pendant la Guerre civile et avaient concouru Ă  la victoire nationaliste. La plupart des 27 familles concernĂ©es Ă©taient fortunĂ©es et dĂ©tenaient des entreprises industrielles et commerciales. Le , Bucarest s’enquit auprĂšs du gouvernement espagnol de sa lĂ©gislation antijuive afin de dĂ©terminer si celle-ci devait s’appliquer aux ressortissants espagnols rĂ©sidant sur le sol roumain, et le , RamĂłn Serrano SĂșñer envoya Ă  la lĂ©gation de Roumanie la rĂ©ponse suivante : « Il n’existe dans la lĂ©gislation espagnole aucune discrimination concernant les Juifs qui rĂ©sident en Espagne ». En , l’ambassadeur d’Espagne JosĂ© Rojas Moreno demanda au gouvernement d’Antonescu que les ressortissants juifs espagnols soient exemptĂ©s des dispositions relatives Ă  la confiscation des biens des juifs, en se rĂ©fĂ©rant Ă  l’accord bilatĂ©ral conclu entre l’Espagne et la Roumanie en 1930[221] - [222]. Le gouvernement promit alors de ne pas attenter aux biens des ressortissants espagnols, ni Ă  leur personne, et il semble que cette promesse ait Ă©tĂ© tenue, de sorte que la nĂ©cessitĂ© de rapatriement face Ă  la volontĂ© d’extermination allemande ne s’imposa pas en Bulgarie. Rojas Moreno obtint en effet la rĂ©vocation des dĂ©crets d’expulsion pris contre un groupe de SĂ©farades et la promesse formelle qu’aucun d’eux ne serait dĂ©portĂ©. En 1944, l’Espagne accorda la protection espagnole au domicile et aux biens de 200 Juifs roumains supplĂ©mentaires[222] - [223].

Sauvetage de ressortissants juifs espagnols résidant en GrÚce

La GrĂšce comptait prĂšs de 68 000 Juifs, dont environ 53 000 avaient pour langue maternelle le judĂ©o-espagnol. Seuls 640 de ces SĂ©farades, principalement concentrĂ©s Ă  Salonique (511 membres), Ă©taient rĂ©pertoriĂ©s comme protĂ©gĂ©s de l’ambassade d’Espagne[224] - [225]. Ces faibles effectifs s’expliquent en partie par le fait qu’au dĂ©but du XXe siĂšcle, des milliers de Juifs avaient Ă©migrĂ© pour chercher fortune en Europe occidentale[195]. La politique adoptĂ©e par Madrid apparaĂźt ici grosso modo identique Ă  celle pratiquĂ©e vis-Ă -vis des SĂ©farades de France, c’est-Ă -dire consistant d’abord en tergiversations et mesures dilatoires, afin d’éviter les rapatriements, en refus d’octroyer des visas collectifs, en acheminements conditionnĂ©s au dĂ©part des rĂ©fugiĂ©s dĂ©jĂ  accueillis sur le territoire espagnol, etc.[226]

À la suite des vexations que leur faisaient subir les Nazis[note 4], les SĂ©farades dĂ©tenteurs de la citoyennetĂ© espagnole firent parvenir au ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, par le truchement d’Eduardo Gasset, consul-gĂ©nĂ©ral Ă  AthĂšnes, une requĂȘte de rapatriement, Ă  laquelle il fut rĂ©pondu par Madrid le que le consulat d’AthĂšnes n’était pas habilitĂ© Ă  Ă©tablir des visas d’entrĂ©e en Espagne et que les permis spĂ©ciaux devaient ĂȘtre demandĂ©s au cas par cas, en indiquant en particulier le lieu en Espagne oĂč les requĂ©rants se proposaient d’élire domicile ; cette directive du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres ne pouvait avoir d’autre effet que d’entraver un Ă©ventuel plan de rapatriement des ressortissants juifs[227] - [note 5].

À Thessalonique, les dĂ©portations de Juifs commencĂšrent en , mais dans un premier temps, les citoyens des pays neutres ou favorables Ă  l’Axe tels que l’Espagne, ne furent pas inquiĂ©tĂ©s. DĂ©but , plus de 48 000 Juifs de Salonique et des environs furent dĂ©portĂ©s. Dans un ordre du , les Allemands avaient fait une distinction en faveur des « sujets Ă©trangers pouvant justifier de leur condition par un passeport valide », c’est-Ă -dire en l’espĂšce 860 personnes au total, dont 511 Juifs espagnols. Toutefois, les Allemands n’admettaient pas qu’ils demeurent sur place, et peu de temps aprĂšs portĂšrent Ă  la connaissance du consul-gĂ©nĂ©ral Eduardo Gasset, Ă  sa consternation, qu’ils s’apprĂȘtaient Ă  dĂ©porter aussi les ressortissants espagnols, attendu que l’Espagne les avait abandonnĂ©s. PrĂ©venues, les autoritĂ©s de Madrid ne firent pourtant parvenir aucune instruction concernant cette affaire. Le , l’Allemagne, par l’entremise de son ambassadeur Ă  Madrid Von Moltke, enjoignit Ă  l’Espagne d’évacuer au plus vite vers l’Espagne ses ressortissants, considĂ©rĂ©s comme « mettant en danger la sĂ©curitĂ© », avec comme date-butoir le , date au-delĂ  de laquelle ils allaient ĂȘtre eux aussi dĂ©portĂ©s[228].

Le successeur de Gasset, SebastiĂĄn Romero Radigales, mit tout en Ɠuvre pour protĂ©ger les Juifs sous sa protection et rĂ©ussit Ă  sauver quelque 500 SĂ©farades de Salonique de la dĂ©portation pour Auschwitz, en affirmant devant les autoritĂ©s allemandes qu’ils Ă©taient des ressortissants espagnols, alors qu’ils Ă©taient en rĂ©alitĂ© enregistrĂ©s seulement comme protĂ©gĂ©s[209] ; il demanda l’autorisation Ă  ses supĂ©rieurs de dĂ©livrer des visas d’entrĂ©e vers l’Espagne et le Maroc, et reçut la mĂȘme rĂ©ponse que celle envoyĂ©e le par Jordana, confirmant la bonne volontĂ© de l’Espagne. Une liste fut dressĂ©e de 510 personnes rapatriables, pour lesquels, une fois la liste approuvĂ©e par Madrid, une autorisation de sortie fut demandĂ©e aux Allemands le , assortie d’une demande de sursis, accordĂ© jusqu’au . Le Sonderkommando se montra Ă©galement disposĂ© Ă  organiser un train de transport jusqu’à la frontiĂšre espagnole, dont les frais seraient Ă  charge des personnes concernĂ©es elles-mĂȘmes[229]. Cependant, de nouvelles instructions parvinrent de Madrid le portant que « le rapatriement de SĂ©farades en masse ou en groupes » n’était pas acceptĂ©, que « seuls pouvaient ĂȘtre accordĂ©s des visas dans des cas exceptionnels », et que « les visas accordĂ©s ou Ă  accorder Ă  des Juifs rĂ©sidant dans des pays orientaux seraient valides qu’à la condition d’avoir Ă©tĂ© avalisĂ©s pour chaque cas particulier par l’ambassade de Berlin ». Entre-temps, avec l’aide de Salomon Ezraty, 150 ressortissants espagnols s’enfuirent de Salonique pour AthĂšnes Ă  bord d’un train militaire italien[230], aprĂšs quoi il ne restait plus dans Salonique que 367 Juifs sĂ©farades. Les Allemands finirent par se lasser d’attendre et entreprirent de capturer ces 367 Juifs restants en les piĂ©geant le dans une synagogue, puis de les dĂ©porter — ultime Ă©tape de la destruction des Juifs de Salonique — vers Berlin, oĂč l’ambassade d’Espagne les prit en charge[209] - [226] - [231].

Ainsi les rĂ©ticences et retards, dĂ©jĂ  observĂ©s en France, Ă  rapatrier les SĂ©farades de GrĂšce se transformaient-ils, selon Danielle Rozenberg, « en une politique dĂ©libĂ©rĂ©e d’obstruction au processus d’évacuation ». L’historienne relĂšve que « divers tĂ©lĂ©grammes diplomatiques Ă©changĂ©s durant l’étĂ© 1943 attestent d’une logique d’État indiffĂ©rente au sort des Juifs menacĂ©s. AprĂšs que Romero Radigales eut Ă©bauchĂ© dans l’urgence, avec l’aide de la Croix-Rouge internationale, un dĂ©part des ressortissants espagnols par bateau et que l’ambassadeur Vidal eut proposĂ© cette solution Ă  son supĂ©rieur Ă  Madrid, Jordana dans un tĂ©lĂ©gramme confidentiel rappela Ă  l’ambassadeur ses instructions antĂ©rieures quant Ă  l’absence dĂ©libĂ©rĂ©e de toute initiative, ajoutant encore cette consigne dĂ©pourvue d’ambiguĂŻtĂ© : “Il est indispensable de neutraliser l’excĂšs de zĂšle du consul gĂ©nĂ©ral Ă  AthĂšnes, en paralysant cette affaire qui pourrait crĂ©er de sĂ©rieuses difficultĂ©s en Espagne” »[232].

Dans une missive datĂ©e du que le secrĂ©taire d'ambassade Federico OlivĂĄn envoya de Berlin Ă  Madrid et par laquelle il sollicita que les Juifs grecs fussent rapatriĂ©s en Espagne afin de leur Ă©viter d’ĂȘtre enfermĂ©s dans le camp de Bergen-Belsen, il Ă©tait Ă©noncĂ© ce qui suit :

« Si l’Espagne [
] refuse d’accueillir cette partie-lĂ  de sa colonie Ă  l’étranger [
], elle la condamne automatiquement Ă  la mort, car telle est la triste rĂ©alitĂ© et tel est ce qu’il n’y a pas lieu de se dissimuler. [
] Je serai un piĂštre prophĂšte si le jour n’advenait pas oĂč il nous serait acerbement reprochĂ© de nous ĂȘtre lavĂ© les mains comme Pilate, alors que nous savions ce qui allait se passer, et d’avoir abandonnĂ© Ă  leur triste sort ceux qui, en fin de compte, sont nos compatriotes. [
] Je comprends parfaitement que la perspective de voir un si grand nombre de Juifs agir Ă  leur guise en Espagne ne nous sourit guĂšre [
], mais connaissant les sentiments qui nourrissent l’ñme espagnole, je rĂ©siste Ă  croire qu’il n’existe pas une possibilitĂ© de les sauver de l’horrible sort qui les attend, en les recueillant dans notre pays et en les faisant attendre dans un camp de concentration (qui en l’occurrence devra leur paraĂźtre un paradis) que la guerre se termine, pour les restituer Ă©ventuellement Ă  leur lieu d’origine, ou sinon dans n’importe quel pays disposĂ© Ă  les accueillir quand, avec la cessation des hostilitĂ©s, l’humanitĂ© aura recommencĂ© Ă  exister dans le monde[233] - [234]. »

Dans le mĂȘme temps, l’ambassadeur Ă  Berlin, GinĂ©s Vidal y Saura, Ă  qui les autoritĂ©s allemandes avaient notifiĂ© leur projet d’évacuer les SĂ©farades grecs vers un camp de travail puis, faute d’intervention rapide de l’Espagne, de les dĂ©porter en Pologne sans retour possible, fit suivre l’information au gĂ©nĂ©ral Jordana, assortie d’une priĂšre pressante : « On ne cachera pas Ă  Votre Excellence les consĂ©quences tragiques qu’aurait pour eux leur dĂ©portation en Pologne. »[235]

Le , avant que le groupe n’arrive Ă  Bergen-Belsen, l’Espagne annonça ĂȘtre disposĂ©e Ă  accepter ses ressortissants juifs et demanda qu’ils soient traitĂ©s sous tous rapports comme des Espagnols, mais tout en autorisant GinĂ©s Vidal Ă  ne dĂ©livrer de passeports collectifs Ă  Berlin qu’à un nombre de personnes ne dĂ©passant pas les 25, et d’attendre ensuite la confirmation de Madrid. Il ne fait de doute que tout cela ne servait qu’à retarder l’immigration et Ă  en limiter l’ampleur[236]. Le , les SĂ©farades thessaloniciens furent finalement transportĂ©s Ă  Bergen-Belsen oĂč ils allaient, dans des baraquements sĂ©parĂ©s du camp de concentration — sans donc qu’ils puissent jamais tĂ©moigner plus tard des horreurs du camp —, attendre six mois leur prise en charge par les autoritĂ©s espagnoles[237] - [238]. Ce mĂȘme , aprĂšs de nouvelles tractations avec l’Allemagne, l’Espagne se dĂ©clara prĂȘte Ă  Ă©vacuer ses ressortissants par groupes de 150. Mais Madrid montrait peu d’empressement, car les Juifs arrivĂ©s de Paris en se trouvaient toujours sur le sol espagnol[238]. Doussinague donna ordre de prendre contact avec la JDC afin de dĂ©terminer avec exactitude comment celle-ci se proposait de s’occuper des Juifs français arrivĂ©s le en Espagne. Si elle les faisait sortir immĂ©diatement d’Espagne, il ne verrait pas d’inconvĂ©nient Ă  ce que les ressortissants de Salonique s’en viennent directement de Bergen-Belsen ; au cas contraire, il communiquerait Ă  Vidal de ne pas les laisser venir. Le , la JDC reçut un courrier faisant part de ce que l’arrivĂ©e de Juifs de Salonique Ă©tait subordonnĂ©e Ă  l’évacuation prĂ©alable des Juifs français[239]. Au mĂȘme moment, aucun arrangement n’avait Ă©tĂ© fait encore pour l’évacuation des Juifs français vers un centre de transit hors d’Espagne, de sorte que le JDC ne put remplir sa promesse d’en accĂ©lĂ©rer l’évacuation. De plus, les SĂ©farades prĂ©sents sur le sol d’Espagne n’étaient pas dĂ©sireux de quitter l’Espagne et donc peu enclins Ă  collaborer Ă  la procĂ©dure de leur propre Ă©vacuation, ce dont il rĂ©sulta que les activitĂ©s d’évacuation restĂšrent paralysĂ©es pendant quatre mois[240]. Paradoxalement, dans le mĂȘme temps, ils Ă©taient considĂ©rĂ©s par les autoritĂ©s militaires espagnoles comme des citoyens espagnols sujets Ă  l’obligation de service militaire, et furent d’ailleurs mobilisĂ©s sur-le-champ dĂšs leur arrivĂ©e[note 6] - [211].

AprĂšs que les prĂ©paratifs pour l’évacuation des Juifs français eurent Ă©tĂ© terminĂ©s Ă  Malaga le [238], les autoritĂ©s espagnoles finirent, tardivement, le , par cĂ©der aux pressions de ses diplomates, et cela seulement aprĂšs s’ĂȘtre assurĂ© que la Croix-Rouge portugaise assumerait les frais de voyage des SĂ©farades grecs, en paraissant avoir perdu de vue que ceux-ci Ă©taient Ă  ce moment-lĂ  dĂ©jĂ  retenus captifs dans le camp de Bergen-Belsen. L’ambassade d’Espagne Ă  Berlin parvint Ă  extraire du camp les 365 survivants, qui atteignirent la frontiĂšre espagnole par deux convois[163] - [237], le premier le , aprĂšs avoir quittĂ© Bergen-Belsen le , et le deuxiĂšme groupe trois jours plus tard, six mois aprĂšs leur enfermement Ă  Bergen-Belsen[238]. Ensuite, il fallut attendre encore jusqu’en juin avant qu’un lieu d’accueil soit enfin trouvĂ© pour ces rĂ©fugiĂ©s, Ă  savoir jusqu’au moment oĂč fut ouvert le camp de transit de FĂ©dala, vers lequel la plupart des rĂ©fugiĂ©s de Salonique furent transfĂ©rĂ©s. Le , au bout de quatre mois d’attente dans ce camp, ils se dĂ©placĂšrent vers l’est, les uns en Palestine, les autres en GrĂšce[241].

À la suite de la reddition de l’Italie le , les Allemands occupĂšrent le sud de la GrĂšce et commencĂšrent les prĂ©paratifs de dĂ©portation des Juifs. Les ressortissants juifs espagnols habitant cette zone furent soumis aux mĂȘmes restrictions (couvre-feu etc.) que les autres Juifs. Le , l’ambassade d’Allemagne Ă  Madrid informa le gouvernement espagnol que les Juifs d’AthĂšnes allaient ĂȘtre dĂ©portĂ©s, Ă  quoi Madrid rĂ©pondit le ĂȘtre prĂȘt Ă  accueillir tous ses ressortissants. Cependant, les Allemands n’avaient pas l’intention de traiter Ă  part les ressortissants des pays neutres, et le , emmenĂšrent 1 300 Juifs grecs, italiens, espagnols et portugais par train jusqu’en Autriche, oĂč les wagons transportant les 155 ressortissants Juifs espagnols furent dĂ©crochĂ©s et dĂ©viĂ©s vers Bergen-Belsen, oĂč ils arrivĂšrent le [242]. Le gouvernement de Madrid promit aux Allemands de les rapatrier, mais dressa de multiples obstacles dans l’organisation de leur transport, faisant prĂ©valoir une fois de plus sa politique de ne laisser entrer un groupe sur le territoire qu’aprĂšs que le contingent prĂ©cĂ©dent ait Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©, en l’espĂšce aprĂšs que les Juifs de Salonique eurent Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©s Ă  FĂ©dala le , et les livrant de fait aux nazis[243]. Pendant qu’avaient lieu de longues tractations sur la libĂ©ration des Juifs d’AthĂšnes entre les autoritĂ©s allemandes et espagnoles, le dĂ©barquement de Normandie le avait rendu « impraticable » un rapatriement transitant par le territoire français. Le gouvernement suisse fut alors sollicitĂ©, qui donna son accord, mais lĂ  encore, le transport n’eut pas lieu. Les 155 Juifs espagnols s’attardĂšrent donc Ă  Bergen-Belsen, jusqu’à ce que, le , les Allemands les mettent dans un train, qui erra sans destination pendant une semaine sur le rĂ©seau ferrĂ© allemand avant d’ĂȘtre interceptĂ© par l’avant-garde de l’armĂ©e amĂ©ricaine[244] - [245]. Si les survivants ne sont jamais arrivĂ©s dans la PĂ©ninsule, souligne Danielle Rozenberg, « la protection espagnole a du moins rĂ©ussi Ă  les sauver de l’extermination »[244].

Sauvetage de Juifs résidant en Hongrie

Indubitablement, l’action de sauvetage de Juifs la plus importante fut celle accomplie par le secrĂ©taire de l’ambassade d’Espagne Ă  Budapest, Ángel Sanz Briz[246]. Environ 825 000 Juifs vivaient en Hongrie ou dans l’une des rĂ©gions qui avaient Ă©tĂ© annexĂ©es par ce pays avec l’aide de l’Allemagne Ă  la fin des annĂ©es 1930. Cette vaste communautĂ© juive connut jusqu’en une quiĂ©tude relative et faisait figure de lieu de refuge et de transit pour de nombreux Juifs de Pologne et de TchĂ©coslovaquie. Le 1944, les troupes allemandes envahirent la Hongrie et mirent en selle le gouvernement pro-nazi de Döme SztĂłjay, qui Ă©tait disposĂ© Ă  aider les Allemands Ă  dĂ©truire la communautĂ© juive hongroise[223]. En , le souverain MiklĂłs Horthy, voulant se dĂ©lier de l’Axe, Ă©choua cependant Ă  exĂ©cuter un coup d'État et fut dĂ©posĂ©. Ferenc SzĂĄlasi, chef des Croix flĂ©chĂ©es, s’empara alors du pouvoir, en consĂ©quence de quoi les Juifs de Budapest furent Ă  partir de d’ Ă  la merci de bandes armĂ©es d’un rĂ©gime sous totale domination allemande[247]. Le , le gouvernement publia un ordre interdisant aux Juifs de vivre hors des deux ghettos Ă  eux assignĂ©s[248]. Par la voie de tĂ©lĂ©grammes, Sanz Briz s’attachait Ă  rendre compte avec force dĂ©tails de la promulgation de nouvelles mesures antisĂ©mites, comme l’interdiction faite aux juifs de se parler d’une fenĂȘtre Ă  l’autre, l’obligation du port de l’étoile jaune, ou l’amĂ©nagement dans les abris anti-aĂ©riens les plus sĂ»rs d’une salle rĂ©servĂ©e aux habitants chrĂ©tiens des quartiers[249] - [248].

Plus tard, l’occupant allemand entreprit de dĂ©porter les Juifs hongrois Ă  destination des camps d’extermination, ce qui suscita les protestations du roi de SuĂšde et du pape Pie XI, mais auxquelles le gĂ©nĂ©ral Franco s’abstint de joindre les siennes, malgrĂ© les pressions que les gouvernements alliĂ©s exerçaient sur lui[246]. En quelques semaines, tous les Juifs, Ă  l’exception de ceux de la capitale, furent dĂ©portĂ©s Ă  Auschwitz. L’ambassadeur Miguel Angel de Muguiro d’abord, puis, Ă  partir de , son successeur Sanz Briz, informĂšrent Madrid de la destination des convois[250]. Le ministre hongrois des Affaires Ă©trangĂšres, en reprochant Ă  Muguiro de perturber les relations internationales, provoqua une petite crise qui se termina par la nomination de Sanz Briz au poste d’ambassadeur en juin[248].

Auparavant, en , Muguiro, et avec lui la communautĂ© juive de Tanger, ville marocaine internationale, mais occupĂ©e depuis 1940 par l’armĂ©e espagnole et oĂč vivaient plusieurs centaines de Juifs hongrois dĂšs avant la guerre, demanda, et obtint, du gouvernement de Madrid la concession de visas pour 500 enfants juifs de Hongrie afin qu’il puissent faire le voyage de Tanger — les frais seraient rĂ©glĂ©s par la Croix-Rouge internationale —, oĂč ils seraient recueillis par les familles juives de la ville[246] - [250] - [248]. « L’Espagne accepta la requĂȘte, dĂ©livra des visas d’entrĂ©e aux enfants, mais en insistant derechef sur l’interdĂ©pendance entre l’évacuation des rĂ©fugiĂ©s prĂ©cĂ©dents et l’entrĂ©e de nouveaux, et en ayant bien soin de porter son action humanitaire Ă  la connaissance des gouvernements et opinions publiques des puissances alliĂ©es, d’ores et dĂ©jĂ  clairement victorieuses du conflit mondial », indique Álvarez Chillida ; en effet, le gouvernement amĂ©ricain avait priĂ© l’Espagne de dĂ©livrer des visas au plus grand nombre de Juifs possible. L’occupant allemand ne les laissa pas quitter le pays, mais, sur intervention de Sanz Briz, les 500 enfants restĂšrent sous la protection de l’ambassade d’Espagne, et leurs frais d’entretien furent Ă  charge de la Croix-Rouge internationale[251] - [246].

En , Muguiro ayant quittĂ© Budapest, Sanz Briz assuma la direction de la lĂ©gation espagnole en Hongrie, avec le titre de « chargĂ© d'affaires ». AidĂ© de son assistant, l’Italien Giorgio Perlasca — Ă  qui le gouvernement israĂ©lien dĂ©cernera le titre de Juste parmi les nations —, Sanz Briz se mit immĂ©diatement en devoir d’octroyer visas et passeports espagnols Ă  des milliers de Juifs. Une des requĂȘtes de rapatriement introduites par Sanz Briz concernait 1 684 Juifs, dont la sortie de Hongrie fut nĂ©gociĂ©e avec Eichmann et obtenue. Cela nĂ©cessita l’établissement de visas d’entrĂ©e dans un pays neutre, Ă  quoi Madrid acquiesça avec diligence. Toutefois, le convoi de rĂ©fugiĂ©s n’arriva jamais en Espagne, mais fut dĂ©viĂ© vers Bergen-Belsen, puis de lĂ  vers la Suisse[252]. Les autres protĂ©gĂ©s furent hĂ©bergĂ©s par Sanz Briz et Perlasca (et toujours aux frais de la Croix-Rouge internationale) dans huit appartements de location « annexes Ă  la lĂ©gation d’Espagne », pour lesquels il obtint des autoritĂ©s hongroises, Ă  l’instar d’autres reprĂ©sentations de pays neutres comme la SuĂšde, une concession d’extraterritorialitĂ©, ainsi qu’il le faisait afficher Ă  la porte d’entrĂ©e de chacun de ces immeubles[253] - [250]. En , alors que son nouveau ministre de tutelle, JosĂ© FĂ©lix de Lequerica, n’était en fonction que depuis deux semaines, Sanz Briz lui demanda l’autorisation d’assister Ă  une rĂ©union, Ă  laquelle le nonce Angelo Rotta avait invitĂ© les pays neutres aux fins d’élever une note de protestation conjointe auprĂšs du gouvernement hongrois en raison de la lĂ©gislation antisĂ©mite et des dĂ©portations de Juifs, qui n’épargnaient pas mĂȘme les Juifs convertis. La note s’énonçait comme suit : « Nous nous sentons obligĂ©s d’élever une Ă©nergique protestation contre de pareils procĂ©dĂ©s, injustes dans leur fondement — car il est absolument inadmissible que les hommes soient persĂ©cutĂ©s et condamnĂ©s Ă  mort pour le simple fait de leur origine raciale — et brutaux dans leur exĂ©cution. » Cette demande de Sanz Briz suscita une rĂ©ponse prudente de Lequerica, alors toujours germanophile[254] - [255]. En outre, Sanz Briz ne manquait pas, comme l’avait fait l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente Federico OlivĂĄn depuis Berlin, d’informer le gouvernement de Madrid de l’extermination des Juifs dans des camps, en s’appuyant sur le tĂ©moignage de deux Juifs Ă©vadĂ©s d’Auschwitz[256].

Cependant, en , Lequerica reçut de son ambassadeur à Washington le télégramme suivant :

« Le reprĂ©sentant du CongrĂšs juif mondial m’a visitĂ© pour me demander s’il est possible que notre lĂ©gation Ă  Budapest Ă©tende sa protection Ă  un nombre plus grand de Juifs persĂ©cutĂ©s, de la mĂȘme maniĂšre que, assure-t-il, le fait la SuĂšde, qui a envoyĂ© un DĂ©lĂ©guĂ© spĂ©cial, M. Raoul Wallenberg, habilitĂ© par son gouvernement Ă  dĂ©livrer des documents de protection, en concentrant ses protĂ©gĂ©s dans des bĂątiments considĂ©rĂ©s comme des annexes Ă  la lĂ©gation de SuĂšde Ă  Budapest[257]. »

Lequerica envoya trois jours plus tard ses instructions Ă  Sanz Briz, lui demandant de lui faire savoir « de quelle façon on peut satisfaire cette requĂȘte du [CongrĂšs juif mondial] avec un plus grand esprit de bienveillance et d’humanitĂ© » et l’exhortant Ă  « chercher des solutions pratiques afin que l’activitĂ© de cette lĂ©gation soit la plus efficace possible et englobe en premier lieu les SĂ©farades de nationalitĂ© espagnole, en deuxiĂšme lieu ceux d’origine espagnole, et enfin, le plus grand nombre possible des autres israĂ©lites ». À ces instructions, qui prolongeaient la rhĂ©torique philosĂ©farade et le dĂ©cret de Primo de Rivera, Sanz Briz rĂ©pliqua qu’il n’y avait pas de SĂ©farades en Hongrie, et que l’unique formule de protection efficace des persĂ©cutĂ©s Ă©tait de les pourvoir de passeports espagnols. Le , le ministre donna son approbation aux projets de Sanz Briz[258]. Ainsi, sous la pression alliĂ©e et mĂ» par les rapports de Sanz Briz, le ministĂšre espagnol des Affaires Ă©trangĂšres autorisa son reprĂ©sentant Ă  procĂ©der comme les ambassades des autres pays neutres, sans restrictions formelles ni lĂ©gales[259].

La manƓuvre consistant Ă  hisser le pavillon espagnol Ă  la façade de tel immeuble en maniĂšre de proclamation d’extraterritorialitĂ© avait Ă©tĂ© inspirĂ©e Ă  Sanz Briz par le stratagĂšme mis en Ɠuvre par plusieurs pays lors de la persĂ©cution contre les partisans des insurgĂ©s Ă  Madrid au dĂ©but de la Guerre civile espagnole ; cette mĂȘme solution fut, selon les dires du diplomate et mĂ©morialiste Javier MartĂ­nez de Bedoya, proposĂ©e par celui-ci Ă  Franco dans le palais du Pardo, puis aussitĂŽt mis Ă  exĂ©cution, sous la condition expresse qu’en Ă©change, les SoviĂ©tiques, une fois la ville de Budapest conquise, garantiraient la vie, les biens et la dignitĂ© des membres de la lĂ©gation espagnole[260] - [261]. Ces immeubles abanderados (littĂ©r. pavoisĂ©s, c’est-Ă -dire sous pavillon espagnol et jouissant de l’extraterritorialitĂ©), qui faisaient partie de ce que l’on vint Ă  nommer le ghetto international, entrĂšrent en jeu en ce qui concerne les protĂ©gĂ©s espagnols Ă  la mi-, au mĂȘme moment oĂč les autoritĂ©s nazies hongroises eurent dĂ©cidĂ© de chasser les Juifs de leurs logis et de les rĂ©partir soit dans les convois de dĂ©portation, soit dans le ghetto de Budapest, soit dans le ghetto international, oĂč se retrouvĂšrent tous les Juifs bĂ©nĂ©ficiant de quelque protection diplomatique, mais oĂč ils restaient privĂ©s de toute libertĂ© de mouvement[262].

En , Sanz Briz conçut un artifice pour sauver davantage de Juifs : il rĂ©ussit Ă  obtenir que le gouvernement hongrois l’autorise Ă  dĂ©livrer deux cents passeports Ă  de supposĂ©s SĂ©farades d’origine espagnole, convertis ensuite par lui-mĂȘme en passeports familiaux, pour chacun desquels la titularisation s'Ă©tendait automatiquement Ă  une famille entiĂšre, et de plus Ă©tablit bien plus de passeports que les deux cents autorisĂ©s, simplement en les dotant chaque fois d’un numĂ©ro infĂ©rieur Ă  200[263]. Dans les derniers jours d’octobre, avec l’aide de son assistante Élisabeth TournĂ©, Sanz Briz se mit Ă  Ă©tablir ces passeports de sauvetage, et dĂ©but novembre, une premiĂšre centaine de Juifs avaient reçu leur passeport[264]. Pourtant, les communiquĂ©s envoyĂ©s par l’ambassade au ministre espagnol des Affaires Ă©trangĂšres dĂ©notent une vision dramatique et rĂ©aliste quant aux limites de la protection que pouvait assurer un pays neutre, ces communiquĂ©s faisant Ă©tat en effet de ce que beaucoup de dĂ©tenteurs d’un passeport espagnol avaient nĂ©anmoins, en dĂ©pit des promesses faites par le ministĂšre hongrois, Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s et leurs documents dĂ©truits, contre quoi l’ambassade d’Espagne ne manquait de protester Ă©nergiquement[265].

MalgrĂ© les difficultĂ©s croissantes, Sanz Briz avait Ă  la mi- Ă©mis des passeports provisoires Ă  300 Juifs ayant de la famille en Espagne, et environ 2 000 Â« lettres de protection » (Schutzbriefe) Ă  quiconque Ă©tait capable de se prĂ©valoir de quelque lien que ce soit avec l’Espagne[266]. Le , il parvint Ă  faire libĂ©rer 71 Juifs d’un camp de concentration non loin de Budapest, en transit vers les camps de la mort, ce dont il donna avis dans un tĂ©lĂ©gramme Ă  son ministĂšre de tutelle[267] - [261].

Au total, Sanz Briz rĂ©ussit ainsi Ă  accorder une protection espagnole Ă  2 295 personnes supplĂ©mentaires par l’octroi de passeports ou de « lettres de protection » attestant d’une Ă©migration prochaine en Espagne de leurs titulaires[250]. L’un de ces faux documents dĂ©livrĂ©s par Sanz Briz, datĂ© du Ă  Budapest, Ă©nonçait[268] :

« Je certifie que Mor Mannheim, nĂ© en 1907, rĂ©sident de Budapest, rue Katona Jozsef no 41, a sollicitĂ©, par l’intermĂ©diaire de membres de sa famille en Espagne, d’acquĂ©rir la nationalitĂ© espagnole. La lĂ©gation d’Espagne a Ă©tĂ© autorisĂ©e Ă  lui Ă©tablir un visa d’entrĂ©e en Espagne dĂšs avant la clĂŽture des procĂ©dures que ladite requĂȘte est tenue de parcourir. »

Le , Ă  l’approche des troupes soviĂ©tiques, Sanz Briz reçut l’ordre de son ministre Lequerica de quitter l’ambassade et de se transporter en Suisse, cependant que Giorgio Perlasca, muni d’un passeport espagnol par les soins du consul (alors qu’il Ă©tait un citoyen italien rĂ©fugiĂ© Ă  Budapest), et en accord avec le gouvernement de Madrid, se faisait passer pour un diplomate espagnol et restait sur place. Sous la responsabilitĂ© de l’ambassade de SuĂšde, pays Ă©galement neutre, et en compagnie d’Élisabeth TournĂ© et de l’avocat ZoltĂĄn Farkas, assesseur juridique de l’ambassade d'Espagne depuis prĂšs de vingt ans, Perlasca poursuivit l’Ɠuvre humanitaire de Sanz Briz jusqu’au , date Ă  laquelle les troupes soviĂ©tiques entrĂšrent dans Budapest[269] - [253] - [250]. Les raisons de ce dĂ©part de Sanz Briz apparaissent Ă©videntes : aux yeux des SoviĂ©tiques, l’Espagne Ă©tait le moins neutre des pays neutres, caractĂ©ristique qui explique aussi la relative comprĂ©hension dont bĂ©nĂ©ficia l’Ɠuvre humanitaire espagnole chez les nazis hongrois et le fait que les maisons protĂ©gĂ©es espagnoles aient Ă©tĂ© de façon gĂ©nĂ©rale mieux respectĂ©es que celles des autres pays neutres. La correspondance entre l’ambassade de Budapest et Madrid indique que le gouvernement espagnol autorisa son dĂ©part, au motif des circonstances, dont en particulier la sĂ©curitĂ© personnelle du jeune diplomate, mĂȘme si le gouvernement l’eĂ»t sans doute autorisĂ© Ă  rester si tel avait Ă©tĂ© son dĂ©sir[270]. Sanz Briz s’éloigna avec le grave souci du sort qui serait rĂ©servĂ© Ă  ses protĂ©gĂ©s, comme il s’en confiera en dans un entretien avec le journal Heraldo de AragĂłn[271]. Dans cet entretien, il dĂ©clara que son engagement moral Ă  l’égard des Juifs prenait fin avec l’arrivĂ©e des troupes alliĂ©es (c’est-Ă -dire en l’espĂšce : soviĂ©tiques) Ă  Budapest, rappelant que si auprĂšs des nazis, l’Espagne pouvait se prĂ©valoir de sa condition de pays neutre, il n’en Ă©tait pas de mĂȘme auprĂšs des Bolcheviks, aux yeux desquels elle Ă©tait un État fasciste et ennemi. Avant de partir, il s’efforça de rĂ©unir un maximum de garanties et tĂącha de rĂ©duire autant que possible le risque pour ses protĂ©gĂ©s, notamment en subornant le Gauleiter de Budapest et en laissant sa lĂ©gation, son personnel et ses protĂ©gĂ©s aux mains de l’ambassade de SuĂšde. Cependant, l’ArmĂ©e rouge tarda encore 22 jours Ă  arriver, mais malgrĂ© ce contretemps, tous ses protĂ©gĂ©s eurent la vie sauve[272].

Plaque commĂ©morative en hommage Ă  Ángel Sanz Briz, apposĂ©e au mur de l’ambassade d’Espagne Ă  Budapest.

Dans les derniers mois, l’activitĂ© diplomatique de Sanz Briz avait donc Ă©tĂ© tout entiĂšre vouĂ©e au sauvetage de Juifs, conformĂ©ment aux ordres de son gouvernement et au mode d’action des ambassades des autres États neutres. Il rĂ©ussit Ă  installer des centaines de rĂ©fugiĂ©s dans quelques appartements du ghetto dit international amĂ©nagĂ© par les nazis et les Hongrois. Il donna aussi, cette fois sans l’autorisation et Ă  l’insu de son gouvernement, l’asile Ă  des persĂ©cutĂ©s dans les locaux mĂȘmes de la lĂ©gation espagnole[273]. D’aprĂšs les estimations de l’historien Joseph PĂ©rez, quelque 5 500 Juifs eurent la vie sauve grĂące Ă  l’action de Sanz Briz et de Perlasca, encore qu’Álvarez Chillida ait rabaissĂ© ce chiffre Ă  3 500[253]. En 1991, Sanz Briz, dĂ©cĂ©dĂ© en 1980, fut nommĂ© Ă  titre posthume Juste parmi les nations par le gouvernement israĂ©lien[274].

Au contraire des autres actions humanitaires de diplomates espagnols, celle de Sanz Briz reçut l’approbation du gouvernement franquiste. Selon Joseph PĂ©rez, cela s’explique par le moment des faits, Ă  savoir la fin de l’annĂ©e 1944, quand il n’était plus guĂšre difficile de prĂ©dire la dĂ©faite de Hitler ; l’auteur indique :

« L’attitude de Sanz Briz servait d’alibi au rĂ©gime de Franco dans ses efforts Ă  convaincre les AlliĂ©s qu’il n’avait plus rien de commun avec le TroisiĂšme Reich. De surcroĂźt, Ă  cette date, il Ă©tait trop tard pour que les Juifs hongrois puissent ĂȘtre transfĂ©rĂ©s en Espagne. Pour le cas oĂč il viendrait Ă  l’idĂ©e de quelqu’un de le tenter une fois la guerre terminĂ©e, en faisant usage de ses documents de protection, le nouveau ministre des affaires Ă©trangĂšres, Alberto MartĂ­n-Artajo, adressa deux circulaires aux consuls, le et le , leur enjoignant d’en annuler la validitĂ© Ă  toutes fins[275]. »

Autrement dit, si une telle initiative fut autorisĂ©e par Franco, c’est qu’elle rĂ©pondait, souligne Danielle Rozenberg, aux desiderata des AlliĂ©s en passe de gagner la guerre, et que le Caudillo avait la certitude que les milliers de Juifs protĂ©gĂ©s n’auraient pas Ă  ĂȘtre accueillis en Espagne[250]. Ce point de vue est partagĂ© par Álvarez Chillida, qui fait remarquer en outre que « le coĂ»t de l’opĂ©ration Ă©tait minime : le papier, l’encre et le temps employĂ© Ă  rĂ©diger les documents de protection. Le gouvernement savait qu’ils ne pouvaient pas entrer en Espagne et les frais d’entretien Ă©taient pour le compte d’autrui. Et les bĂ©nĂ©fices en matiĂšre de propagande auprĂšs des AlliĂ©s Ă©taient volumineux »[253].

La propagande franquiste cĂ©lĂ©bra Sanz Briz pendant un certain temps, aussi longtemps que Franco croyait qu’IsraĂ«l pouvait concourir Ă  maintenir son rĂ©gime en place dans la pĂ©riode d’ostracisme de l’aprĂšs-guerre mondiale ; aprĂšs qu’IsraĂ«l se fut distanciĂ© de Franco, celui-ci dĂ©daigna Sanz Briz et le laissa retomber dans l’oubli, afin que sa geste n’entrave pas le rapprochement entre l’Espagne et les pays arabes[276].

Bilan des sauvetages et Ă©valuation finale

Le noble et idĂ©aliste Don Quichotte a-t-il rĂ©ellement existĂ© face Ă  Hitler ? Dans l’affaire du sauvetage de Juifs, le gouvernement espagnol Ă©tait-il un chevalier altruiste et innocent luttant chevaleresquement contre le mal ? La prĂ©sente Ă©tude a montrĂ© que cela ne fut pas le cas. AssurĂ©ment, les autoritĂ©s espagnoles ne faisaient pas de discrimination contre les Juifs quand ceux-ci faisaient partie d’un grand groupe de rĂ©fugiĂ©s français, polonais, hollandais ou autres qui traversaient illĂ©galement la frontiĂšre espagnole, mais l’attitude vĂ©ritable de l’Espagne se rĂ©vĂ©la lorsqu’était en jeu le sauvetage de Juifs seuls.
Compte tenu de la position de l’Espagne pendant la guerre, le gouvernement espagnol aurait pu sauver plusieurs groupes de Juifs, mais s’abstint de profiter pleinement de ces occasions. Le rĂ©gime de Franco ne voulait pas qu’une communautĂ© juive s’installe dans la Manche ou dans toute autre partie de l’Espagne, et de la sorte ne pouvait jamais ĂȘtre le moderne Don Quichotte qu’il se donnait les gants d’ĂȘtre. MĂȘme quand il savait que l’abandon de ses ressortissants juifs et sĂ©farades Ă©quivalait Ă  l’extermination, le gouvernement espagnol limita ses interventions Ă  ce qui lui paraissait le plus opportun Ă  chaque moment donnĂ©.

Haim Avni[277]

Quand les Allemands offrirent aux pays neutres la possibilitĂ© d’évacuer leurs ressortissants des zones d’occupation, ils y attachĂšrent la condition que ces pays n’accordent pas la citoyennetĂ© Ă  d’autres Juifs que ceux dĂ©jĂ  inscrits dans leurs registres. Si l’on examine p. ex. le cas de la France, il apparaĂźt qu’en accord avec cette politique allemande le nombre de Juifs rapatriables — qu’on aurait donc pu sauver — se chiffrait Ă  2 000 dans la zone occupĂ©e et Ă  un millier dans la zone libre. Si le nombre de rescapĂ©s n'a pas dĂ©passĂ© quelques centaines, cela ne tient donc pas aux restrictions allemandes, mais Ă  la politique adoptĂ©e par le gouvernement espagnol de ne reconnaĂźtre que ceux parmi ses ressortissants juifs dont il Ă©tait impossible de contester et de retirer la nationalitĂ©. Fin , l’ambassade d’Espagne Ă  Paris communiqua que le nombre de ses ressortissants pouvant prĂ©tendre Ă  l'obtention d'un visa d’entrĂ©e n’était que de 250 ; autrement dit, le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres avait disqualifiĂ© 1 750 Juifs en France occupĂ©e[278]. Pendant toute la durĂ©e de la guerre, pas plus de 800 personnes juives au total n’ont Ă©tĂ© rapatriĂ©es en Espagne, c’est-Ă -dire un effectif infĂ©rieur mĂȘme au nombre de ceux dont la citoyennetĂ© espagnole Ă©tait indiscutable[150] - [279].

Pour diffĂ©rentes raisons, et bien que les communautĂ©s juives du monde entier aient plutĂŽt sympathisĂ© avec les rĂ©publicains, 150 Juifs de Bulgarie et 107 de Roumanie avaient pris le parti de se ranger du cĂŽtĂ© de Franco et avaient contribuĂ© de leur propre volontĂ©, par le versement d’importantes sommes d’argent, Ă  financer les ambassades franquistes. Le gouvernement de Franco se sentait donc une dette d’honneur envers eux, de qui beaucoup toutefois ne jouissaient pas ou plus de la protection offerte par l’Espagne Ă  ses ressortissants. En Hongrie, Ă  la diffĂ©rence de la Roumanie et de la Bulgarie oĂč la protection espagnole ne s’appliqua qu’aux seuls ressortissants, la protection allait s’étendre Ă  un grand nombre de Juifs, dont la majoritĂ© n’était pas mĂȘme d’origine espagnole. Cette spĂ©cificitĂ© s’explique par plusieurs facteurs : d’abord, le sauvetage eut lieu en Ă©tĂ© et Ă  l’automne 1944, c’est-Ă -dire Ă  un moment oĂč la dĂ©faite allemande se dessinait clairement et oĂč l’Espagne Ă©tait donc plus encline Ă  se plier aux exigences des AlliĂ©s ; ensuite, la faiblesse du rĂ©gime hongrois l’empĂȘchait de surveiller de prĂšs les opĂ©rations de secours des pays neutres ; enfin, il s’agissait dans le cas des Juifs de Hongrie non de rapatriements, mais seulement de protection diplomatique, ce qui ne comportait pas le risque, fort redoutĂ© par les autoritĂ©s franquistes, de voir s’accroĂźtre la prĂ©sence juive en Espagne. Ces circonstances portĂšrent le gouvernement espagnol Ă  Ă©tendre sa protection Ă  2 795 Juifs hongrois[280].

En , le ministĂšre espagnol des Affaires Ă©trangĂšres dĂ©cida de restreindre sa protection Ă  ceux qui dĂ©tenaient tous les documents propres Ă  Ă©tablir leur nationalitĂ© espagnole, privant par lĂ  de protection un grand nombre d’autres Juifs, en particulier en France, et ce parfois bien avant que les intĂ©ressĂ©s en aient Ă©tĂ© informĂ©s. Hormis le cas de la Hongrie, l’Espagne non seulement n’apporta sa protection qu’à ses seuls ressortissants, mais encore elle ne demanda jamais aux nazis que ces ressortissants soient affranchis des mesures antisĂ©mites prises dans les zones occupĂ©es[281].

Un courrier de Jordana, en date du , se rapportant Ă  la dispense de service militaire pour les ressortissants juifs venus de France, laisse entrevoir la position rĂ©elle de Madrid quant au rapatriement de ses ressortissants juifs sous la pression de l’ultimatum allemand de :

« [Le problĂšme] consiste en ceci que les SĂ©farades de nationalitĂ© espagnole sont plusieurs centaines en Europe, soit dans des camps de concentration, soit sur le point de quitter ceux-ci, et nous, nous ne pouvons pas les amener en Espagne pour qu’ils s’installent dans notre pays, car cela ne nous convient d’aucune maniĂšre, et le Caudillo ne l’autorise pas ; nous ne pouvons pas non plus les laisser dans leur situation actuelle, en feignant d’ignorer leur condition de citoyens espagnols, car cela pourrait donner lieu Ă  de graves campagnes de presse Ă  l’étranger et principalement en AmĂ©rique, et nous occasionner de sĂ©rieuses difficultĂ©s sur le plan international.
Eu Ă©gard Ă  quoi, il a Ă©tĂ© imaginĂ© d’aller les amener par groupes d’une centaine, plus ou moins, puis, lorsqu’un groupe aura dĂ©jĂ  quittĂ© l’Espagne, en passant par notre pays comme la lumiĂšre Ă  travers une vitre, sans laisser de trace, amener un deuxiĂšme groupe, puis les laisser partir pour accorder l’entrĂ©e aux suivants etc. Ceci Ă©tant le mĂ©canisme, il est clair que la base de celui-ci consiste Ă  ce que nous ne permettions d’aucune façon que les SĂ©farades restent en Espagne, et dĂšs lors, il n’y a pas lieu pour nous de chercher des motifs Ă  les garder ici, vu que cela implique d’annuler la solution proposĂ©e et de nous charger de tout le problĂšme en suspens et sans issue possible [
][282]. »

Il apparaĂźt donc que les autoritĂ©s espagnoles ne s’étaient rĂ©signĂ©es Ă  sauver des Juifs que pour Ă©viter des rĂ©percussions nĂ©gatives en Occident. Jordana Ă©tayait son argumentation par de la realpolitik plus que par des motifs humanitaires, et par le risque d’une perte de prestige et de souverainetĂ© en cas d’arrestation et de dĂ©portation de ressortissants espagnols par les Allemands. La dĂ©termination espagnole Ă  empĂȘcher que des Juifs s’installent Ă  demeure en Espagne eut pour effet de limiter considĂ©rablement le nombre de ceux qui finalement purent ĂȘtre sauvĂ©s[283].

Quand, Ă  l’étĂ© 1942, le nombre de fuites au dĂ©part de la France tendit Ă  augmenter, les autoritĂ©s franquistes montrĂšrent plus de sĂ©vĂ©ritĂ© et se proposaient de renvoyer en France ceux qui avaient franchi les PyrĂ©nĂ©es illĂ©galement. Il est heureux cependant qu’à partir de l’entrĂ©e clandestine depuis la France acquit une importance stratĂ©gique pour les AlliĂ©s. Madrid se rĂ©signa alors Ă  modifier son attitude sous la constante pression alliĂ©e et en considĂ©ration de sa nouvelle position gĂ©opolitique par suite de l’invasion de l’Afrique du Nord. DĂ©sormais, la frontiĂšre demeura ouverte Ă  ceux qui s’échappaient de la zone occupĂ©e et l’Espagne accorda de plus amples concessions Ă  ses reprĂ©sentations diplomatiques et aux organisations de secours aux rĂ©fugiĂ©s Ɠuvrant sur son sol, sans faire de distinction entre rĂ©fugiĂ©s juifs et non-juifs, par quoi l’Espagne faisait figure de lieu de refuge sĂ»r dans la seconde moitiĂ© de la guerre[284].

Quant aux biens des Juifs nantis — rappelons que la mainmise sur ces biens Ă©tait la premiĂšre Ă©tape du processus d’extermination —, il apparaĂźt que la premiĂšre prĂ©occupation des diplomates franquistes Ă©tait de dĂ©fendre les possessions de leurs protĂ©gĂ©s, et dans quelques cas ils rĂ©ussirent Ă  placer ces biens sous tutelle d’agents espagnols non juifs, en dĂ©rogation des dĂ©crets nazis. Lorsqu’il s’agissait des biens de Juifs abandonnĂ©s par l’Espagne et envoyĂ©s « travailler dans les territoires de l’Est » (c’est-Ă -dire vers les camps de la mort), la consigne officielle portait que :

« Les biens des citoyens espagnols Ă  l’étranger font partie des biens nationaux de l’Espagne, de la mĂȘme façon qu’en cas de dĂ©cĂšs d’un citoyen espagnol, l’État peut, dans certaines circonstances, en devenir l’hĂ©ritier. Aussi, lorsque se produit une absence, comme dans la prĂ©sente situation, Ă  la suite de ce que les Juifs ont Ă©tĂ© envoyĂ©s travailler dans les territoires de l’Est, nul plus que l’État espagnol n’est habilitĂ© lĂ©galement Ă  administrer ces biens au nom de l’absent pendant la durĂ©e de son absence[285]. »

L’historien israĂ©lien Haim Avni observe :

« Toutes les dĂ©cisions de l’Espagne sur la maniĂšre de traiter ses ressortissants juifs furent prises unilatĂ©ralement. Les diffĂ©rents critĂšres retenus reflĂštent le rapport des forces qui agissaient au sein du gouvernement de Franco sur le chapitre des Juifs. Les forces hostiles n’étaient pas suffisamment puissantes pour obtenir qu’un refus total soit opposĂ© Ă  ces ressortissants ; ils n’avaient pas assez de pouvoir pour discriminer au dĂ©triment des Juifs de façon lĂ©gale ou par la voie de dispositions policiĂšres. Pas davantage les forces favorables n’étaient-elles suffisamment fortes pour promouvoir une politique gĂ©nĂ©reuse, telle que celle que l’Espagne tenta plus tard de s’attribuer. Dans les faits, ces deux forces se sont associĂ©es pour s’opposer Ă  la formation d’une communautĂ© juive visible en Espagne. Pour cette raison, l’Espagne n’épuisa pas toutes les ressources Ă  sa portĂ©e pour sauver des Juifs durant l’Holocauste[286]. »

Il convient de distinguer deux phases dans l’Ɠuvre de sauvetage de l’Espagne : une premiĂšre, correspondant Ă  la premiĂšre moitiĂ© de la guerre, oĂč l’Espagne fut sollicitĂ©e de faciliter l’émigration de Juifs en dĂ©livrant des visas de transit par son territoire, requĂȘte qu’elle honora avec gĂ©nĂ©rositĂ©, permettant ainsi le sauvetage de prĂšs de 30 000 Juifs dĂ©tenteurs d’un visa d’entrĂ©e au Portugal ; au cas contraire, l’Espagne se serait montrĂ©e plus hostile que l’Allemagne ou que le rĂ©gime de Vichy, qui Ă  ce moment-lĂ  ne faisaient pas obstacle au dĂ©part des Juifs. Dans une seconde phase, l’Espagne participa au sauvetage de 11 535 Juifs : dont 7500 qui franchirent ses frontiĂšres et furent recueillis au titre de programmes nationaux ; 3235 qui jouirent de l’une ou l’autre forme de protection diplomatique ; et 800 ressortissants rapatriĂ©s. Ce sont lĂ  des maximums, et en tout Ă©tat de cause infĂ©rieurs Ă  la capacitĂ© totale de sauvetage de Juifs qu’avait l’Espagne[287]. À la diffĂ©rence des autres pays neutres en Ă©tat d’offrir refuge aux Juifs, plus particuliĂšrement la Suisse et la Turquie, il n’y avait pas en Espagne de reprĂ©sentation au plus haut niveau d’aucun groupe d’influence juif[288]. Le fait de subordonner chaque nouvel arrivage Ă  l’évacuation prĂ©alable du groupe de rĂ©fugiĂ©s prĂ©cĂ©dent servait aussi de subterfuge pour rejeter la responsabilitĂ© du faible rythme de rapatriement sur les organisations de secours juives[289], lesquelles pourtant n’étaient souvent mĂȘme pas informĂ©es des conditions posĂ©es par Madrid au sauvetage des ressortissants juifs espagnols[290]. On obtint Ă  cet Ă©gard de vĂ©ritables rĂ©sultats qu’aprĂšs que les AlliĂ©s eurent, dans le cadre de leurs intĂ©rĂȘts globaux, mis la pression sur l’Espagne ; il fallut en effet que les requĂȘtes des organisations juives adressĂ©es principalement aux gouvernements britannique et amĂ©ricain aient d’abord motivĂ© les AlliĂ©s Ă  venir en aide aux Juifs pour que lesdites organisations aient enfin la facultĂ© de faire bĂ©nĂ©ficier les rĂ©fugiĂ©s juifs de leur aide et de leurs efforts de sauvetage en Espagne. L’opinion publique occidentale en gĂ©nĂ©ral et celle juive en particulier furent impuissantes Ă  faire bouger les choses lors de la confĂ©rence des Bermudes d’, mais en 1944, au lendemain de la crĂ©ation par Roosevelt du ComitĂ© des rĂ©fugiĂ©s de guerre, la situation commença Ă  s’amĂ©liorer[291]. Haim Avni conclut que « ce n’est que dans la derniĂšre Ă©tape du massacre, lorsque les Juifs hongrois marchaient vers la mort, que les AlliĂ©s dĂ©cidĂšrent d’user de leur influence et qu’ils insistĂšrent auprĂšs de l’Espagne pour qu’elle vienne en aide Ă  des groupes plus larges de Juifs persĂ©cutĂ©s. Si l’Espagne avait Ă©tĂ© exposĂ©e Ă  cette pression plus tĂŽt, elle aurait contribuĂ© Ă  sauver beaucoup plus de Juifs »[292].

La construction du mythe « Franco, sauveur des Juifs »

Selon plusieurs auteurs, c’est en 1949, quand le rĂ©gime franquiste Ă©tait frappĂ© d’un ostracisme international, que la propagande du rĂ©gime fabriqua le mythe d’un « Franco sauveur des Juifs », plus spĂ©cialement des Juifs sĂ©farades. Cela permit d’accuser d’ingratitude l’État d’IsraĂ«l rĂ©cemment crĂ©Ă©, qui venait de rejeter l’ouverture de relations diplomatiques avec l’Espagne et s’était par son vote Ă  l’ONU opposĂ© Ă  la levĂ©e des sanctions contre l'Espagne, IsraĂ«l se cramponnant en effet Ă  son point de vue que le gĂ©nĂ©ral Franco avait Ă©tĂ© un alliĂ© d’Adolf Hitler[293] - [294]. L’intĂ©rĂȘt qu’avait le gouvernement de Franco de voir le nouvel État juif voter pour la levĂ©e des sanctions imposĂ©es par les Nations unies avait portĂ© la diplomatie espagnole Ă  fabriquer un passĂ© inexistant d’aide aux Juifs fuyant l’Holocauste et Ă  remettre en honneur le philosĂ©faradisme comme un Ă©lĂ©ment essentiel de l’identitĂ© nationale espagnole[295].

La participation de l’Espagne au projet politique allemand d’extermination des Juifs europĂ©ens n'avait Ă©tĂ© que tangentielle. Aussi l’ambassadeur d’IsraĂ«l auprĂšs des Nations unies, Abba Eban, avait-il sans doute raison quand, prenant la parole le devant l'ONU pour expliquer pourquoi l’État d’IsraĂ«l n’accepterait pas que le rĂ©gime de Franco soit admis dans la communautĂ© internationale, il reconnut tout d’abord que l’Espagne n’avait certes pas pris part « directement » Ă  la politique d’extermination menĂ©e par l’Allemagne avec la collaboration d’autres États d’Europe, mais souligna ensuite que l’alignement idĂ©ologique de l’Espagne sur le TroisiĂšme Reich « contribua Ă  l’efficacitĂ© » des actions au service du projet de faire de l’Europe un espace « exempt de Juifs »[296] - [297] - [298] - [299].

En rĂ©action aux accusations israĂ©liennes et en quĂȘte de lĂ©gitimitĂ© internationale, le rĂ©gime franquiste mit sur pied une campagne de propagande pour accrĂ©diter le mythe « Franco, sauveur des Juifs », en magnifiant dĂ©mesurĂ©ment l’action salvatrice du gouvernement de Franco durant la Seconde Guerre mondiale. À cette fin, le Bureau d’information diplomatique Ă©labora en 1949, puis traduisit en français et en anglais, une brochure intitulĂ©e España y los JudĂ­os, que les reprĂ©sentations espagnoles en Occident eurent pour mission de diffuser[293] - [300] - [301]. D’aprĂšs Álvarez Chillida, « le succĂšs de cette campagne fut telle que ses sĂ©quelles perdurent jusqu’à aujourd’hui — en particulier dans le monde juif »[302].

Toujours d’aprĂšs Álvarez Chillida, la campagne Ă©tait axĂ©e uniquement sur l’étranger, « car Ă  l’intĂ©rieur, c’est Ă  peine si l’on comprenait de quel sauvetage il s’agissait. En effet, l’Holocauste, et surtout les images de celui-ci, Ă©tait un sujet tabou, soumis Ă  la censure jusqu’à la mort du dictateur »[303]. Mais Ă©tant donnĂ© que l’existence des atrocitĂ©s nazies Ă©tait impossible Ă  dissimuler, et que mĂȘme la presse avait informĂ© sur les procĂšs de Nuremberg — quoique sans dĂ©crire in extenso les « crimes contre l’humanitĂ© » et la « persĂ©cution des Juifs » —, il Ă©tait devenu impossible d’occulter totalement les crimes du TroisiĂšme Reich ; toutefois la presse n’était autorisĂ©e Ă  aborder ce thĂšme qu’incidemment, en Ă©vitant toute rĂ©fĂ©rence Ă  l’appui moral de l’Espagne aux Lois raciales ou Ă  l’ampleur de l’Holocauste juif, et en Ă©ludant toute discussion ouverte sur ces Ă©vĂ©nements.

Depuis lors, cette vision apologĂ©tique de l’intervention franquiste a Ă©tĂ© dĂ»ment dĂ©montĂ©e, d’abord par les recherches minutieuses et bien documentĂ©es du professeur israĂ©lien Haim Avni, qui ont fait l’objet d’une publication intitulĂ©e España, Franco y los judĂ­os (Ă©dition espagnole de 1982), puis par les Espagnols Antonio Marquina et Gloria InĂ©s Ospina, auteurs de España y los judĂ­os en el siglo XX. La acciĂłn exterior (de 1987), et plus rĂ©cemment, par l’Allemand Bernd Rother (Spanien und der Holocaust, 2001, traduction espagnole en 2005, sous le titre Franco y el Holocausto). Pourtant le mythe persiste et s’est transformĂ© en une sorte de lieu commun[304] - [305]. Du reste, le rĂ©gime franquiste lui-mĂȘme reconnaissait en interne les limites de la politique de « sauvetage des Juifs », comme le dĂ©montre un rapport secret Ă©laborĂ© en 1961 Ă  l’attention du ministre des Affaires Ă©trangĂšres Fernando MarĂ­a Castiella[306] - [307] :

« Durant la guerre, pour des raisons sans nulle doute impĂ©rieuses, l’État espagnol, mĂȘme quand il prĂȘta une aide efficace aux SĂ©farades, pĂ©cha dans tel ou tel cas par excĂšs de prudence, et il est Ă©vident qu’une action plus rapide et plus rĂ©solue eĂ»t sauvĂ© plus de vies, mĂȘme si l’on est fondĂ© Ă  chiffrer Ă  environ 5 000 celles qui apparaissent dans la colonne ‘Actif’ de notre bilan avec les Juifs[308]. »

NĂ©anmoins, le mythe perdura, et Ă  une date aussi tardive que l’annĂ©e 1970, cinq ans avant la mort de Franco, le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres mit Ă  la disposition de l’Espagnol Federico Ysart et du rabbin amĂ©ricain Chaim Lipschitz une documentation choisie afin de permettre Ă  chacun de ces deux auteurs de produire un ouvrage allant dans le sens d’une apologie de l’Ɠuvre de « sauvetage des Juifs » accomplie par le rĂ©gime[304].

La dĂ©cision des autoritĂ©s espagnoles de porter secours aux Juifs remonte, selon le phalangiste, auteur et futur mĂ©morialiste Javier MartĂ­nez de Bedoya, au . Celui-ci relate dans ses mĂ©moires que le ministre des Affaires Ă©trangĂšres Jordana le convoqua Ă  la tombĂ©e de la nuit Ă  son domicile pour le prier de rĂ©diger une Ă©tude Ă©tablissant que le programme de la Phalange ne comportait aucun Ă©lĂ©ment antisĂ©mite. Le motif de cette dĂ©marche Ă©tait que depuis le printemps de 1943, Jordana avait maille Ă  partir avec l’aile phalangiste du gouvernement, que dirigeait alors le ministre de l’IntĂ©rieur Blas PĂ©rez et qui s’opposait aux premiĂšres mesures de rapatriement de Juifs sĂ©farades prises par Jordana. Celui-ci rappela Bedoya quelque temps aprĂšs, loua son travail et lui expliqua son programme de politique extĂ©rieure dans le cadre de l’hypothĂšse, la seule qu’il admĂźt comme probable, d’une victoire des AlliĂ©s. Ledit programme incluait la tentative de susciter la solidaritĂ© avec le rĂ©gime de Franco de la part des Juifs du monde. Jordana dĂ©clara Ă  Bedoya : « J’aimerais compter sur vous pour ce qui concerne les Juifs. Il me plairait que vous veniez vous installer Ă  Lisbonne jusqu’à la fin de la guerre, afin d’établir les contacts pertinents, avec autorisation d’effectuer tout dĂ©placement opportun au dĂ©part d’ici : Ă  New York agit le CongrĂšs juif mondial, Ă  Londres la Commission sioniste, en Palestine l’Agence juive »[309]. Le , grĂące Ă  l’entremise de Bedoya, alors attachĂ© Ă  l’ambassade d’Espagne Ă  Lisbonne au titre de directeur de presse, mais en rĂ©alitĂ© chargĂ© d’une mission par Jordana, une rencontre officielle put ĂȘtre arrangĂ©e Ă  Lisbonne entre l’ambassadeur d’Espagne au Portugal, NicolĂĄs Franco, frĂšre du Caudillo, et deux dirigeants juifs importants[249]. L’on se mit Ă  l’Ɠuvre aussitĂŽt aprĂšs cette rencontre, et la premiĂšre mission que s’assignĂšrent les protagonistes Ă©tait le sauvetage des 400 Juifs de GrĂšce. Bedoya Ă©crit : « Nos ambassades Ă  Berlin et AthĂšnes s’étaient dĂ©jĂ  mobilisĂ©es auparavant, demandant un sursis dans la dĂ©portation afin d’examiner s’il Ă©tait possible que nous nous chargions d’eux en allĂ©guant de leurs ascendances sĂ©farades
 »[310]. Selon Bedoya, c’est de ces reprĂ©sentants juifs, et non des autoritĂ©s franquistes, qu’émanait l’idĂ©e d’une contrepartie diplomatique, Ă  savoir « la neutralitĂ© bienveillante des Juifs du monde envers l’Espagne nationale »[311]. Les MĂ©moires de Bedoya confirment l’existence d’un plan plus ou moins improvisĂ© du gouvernement de Franco tendant Ă  faciliter le sauvetage des Juifs europĂ©ens, qui allait se dĂ©ployer au rythme des Ă©vĂ©nements dans la derniĂšre annĂ©e et demie de la Seconde Guerre mondiale, quand la dĂ©faite nazie apparaissait plus que probable[312]. L’attitude de l’Espagne face aux problĂšmes consulaires des Juifs devait changer au grĂ© des probabilitĂ©s qu’avaient les nazis de gagner la guerre[311].

Le dĂ©bat reste ouvert quant Ă  l’apprĂ©ciation de la politique franquiste vis-Ă -vis des Juifs qui fuyaient l’Holocauste. L’hispaniste français Joseph PĂ©rez, Ă  la question qu’il s’est formulĂ©e Ă  lui-mĂȘme, Ă  savoir : « Aurait-on pu sauver davantage de Juifs si le gouvernement espagnol s’était montrĂ© plus gĂ©nĂ©reux et avait acceptĂ© les propositions de ses consuls dans l’Europe occupĂ©e par les nazis ? », a rĂ©pondu « bien Ă©videmment », ajoutant : « Jusqu’en 1943 [
], Madrid ne voulait pas de complications avec l’Allemagne et mĂȘme aprĂšs cette date, s’offrait Ă  collaborer avec des agents nazis ». Ce nonobstant, PĂ©rez conclut : « malgrĂ© tout, le bilan global est plutĂŽt favorable au rĂ©gime : il ne sauva pas tous les Juifs qui demandaient de l’aide, mais en sauva beaucoup. Dans l’ensemble, il est cependant fort exagĂ©rĂ© de parler, comme le font certains auteurs, de la judĂ©ophilie de Franco »[313].

Cette Ă©valuation de Joseph PĂ©rez n’est pas partagĂ©e par Gonzalo Álvarez Chillida. Selon ce dernier, si les Juifs furent autorisĂ©s Ă  traverser l’Espagne, c’est « prĂ©cisĂ©ment parce que qu’il ne s’agissait que de transit, qui plus est, soutenu Ă©conomiquement par les AlliĂ©s et par diffĂ©rentes organisations humanitaires » ; en mĂȘme temps, « il fallait empĂȘcher par tous les moyens qu’ils demeurent dans le pays, comme il fut ordonnĂ© de façon rĂ©pĂ©tĂ©e depuis El Pardo. Pour cette raison, les quatre milliers de Juifs espagnols que les Allemands Ă©taient disposĂ©s Ă  respecter pourvu qu’ils soient rapatriĂ©s par l’Espagne, occasionnĂšrent les plus grandes difficultĂ©s. Bien qu’il eĂ»t dĂ©jĂ  quelque connaissance de l’extermination des Juifs, Franco maintint inaltĂ©rĂ© son principe que ces citoyens espagnols, quoique Juifs, ne pouvaient pas demeurer dans leur propre pays. [
] il y eut nombre d’atermoiements, que les Allemands acceptĂšrent, et, au bout du compte, le rĂ©gime sauva moins du quart. [
] Mais il n’y a pas que cela. L’Allemagne une fois battue [
] [le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres] ordonna que les documents de protection octroyĂ©s pendant la guerre soient considĂ©rĂ©s tous comme nuls et non avenus. Seuls les Juifs capables de dĂ©montrer qu’ils possĂ©daient la citoyennetĂ© espagnole la plus rĂ©guliĂšre selon tous critĂšres seraient aidĂ©s Ă  revenir dans leurs anciens foyers, mais sous aucun prĂ©texte ne pourraient entrer en Espagne. [
] Beaucoup de Juifs qui furent sauvĂ©s par l’entremise de l’Espagne gardent logiquement un souvenir de gratitude envers Franco. Quant Ă  ceux qui furent refoulĂ©s vers la France ou qui furent abandonnĂ©s parce que leur nationalitĂ© n’avait pas Ă©tĂ© reconnue, ils n’ont pas pu, dans leur immense majoritĂ©, garder quelque souvenir que ce soit »[314]. On observe donc ici une obsession d’éviter l’introduction d’une population juive permanente en Espagne, de peur de faire renaĂźtre un problĂšme juif 450 ans aprĂšs l’expulsion de 1492[315].

La politique vis-Ă -vis des Juifs fixĂ©e par les autoritĂ©s franquistes, en partie mise en Ɠuvre par la voie d’instructions confidentielles, visait tout Ă  la fois Ă  limiter numĂ©riquement la prĂ©sence juive en Espagne, Ă  Ă©carter le risque d’un sĂ©jour permanent, et enfin Ă  servir les intĂ©rĂȘts Ă©conomiques espagnols. À cette fin, les diffĂ©rentes reprĂ©sentations diplomatiques Ă  l’étranger reçurent entre autres consignes de vĂ©rifier mĂ©ticuleusement l’identitĂ© des rapatriĂ©s potentiels, de ne pas dĂ©livrer de passeports collectifs, voire de diffĂ©rer un dĂ©part groupĂ© tant que le contingent de rĂ©fugiĂ©s prĂ©cĂ©demment admis en Espagne n’avait pas encore Ă©tĂ© redirigĂ© vers un autre lieu d’accueil[316]. Danielle Rozenberg argue qu’« en privant plusieurs milliers de SĂ©farades de la nationalitĂ© espagnole Ă  laquelle ils pouvaient prĂ©tendre et en retardant dĂ©libĂ©rĂ©ment le rapatriement de certains collectifs en attente, des Juifs rapatriables selon les critĂšres du Reich, l’Espagne porte aussi la responsabilitĂ© d’avoir abandonnĂ© Ă  un sort tragique nombre de JudĂ©o-Espagnols qui auraient pu ĂȘtre Ă©pargnĂ©s »[307].

Dans l’intervention espagnole, il convient au premier chef de mettre en Ă©vidence le rĂŽle essentiel des diplomates espagnols en poste dans les diffĂ©rents pays sous domination allemande qui, mobilisĂ©s sans relĂąche, tentĂšrent de convaincre leur ministre de tutelle autant que leurs interlocuteurs sur le terrain d’épargner leurs protĂ©gĂ©s, et qui pour certains n’hĂ©siteront pas Ă  enfreindre dans ce but les consignes ministĂ©rielles. Ce sont en particulier : Ă  Paris, le consul gĂ©nĂ©ral d’Espagne, Bernardo Rolland, qui dĂ©ploya une intense activitĂ© en faveur des SĂ©farades de France, les recevant avec bienveillance, transmettant leurs dolĂ©ances Ă  Madrid et parvenant mĂȘme Ă  Ă©tendre la protection espagnole Ă  plusieurs dizaines de personnes que le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres avait Ă©cartĂ©es du bĂ©nĂ©fice de la nationalitĂ© ; Ă  AthĂšnes, le reprĂ©sentant espagnol Sebastian Romero Radigales, qui mit tout en Ɠuvre pour dĂ©fendre les biens et la sĂ©curitĂ© des ressortissants juifs placĂ©s sous sa protection, et qui, informĂ© en de la dĂ©portation imminente des Juifs de Salonique, rĂ©ussit, avec la complicitĂ© du consul Ă  Salonique, Salomon Ezraty – qui n’hĂ©sitera pas par la suite Ă  risquer sa vie pour sauver celle de ses protĂ©gĂ©s –, Ă  organiser la fuite d’un groupe de cent cinquante JudĂ©o-Espagnols Ă  destination de la capitale grecque, alors occupĂ©e par les forces italiennes ; et Ă  Budapest, Ángel Sanz Briz et Giorgio Perlasca[317].

Álvarez Chillida pour sa part conclut :

« La maniĂšre dont les juifs furent traitĂ©s par le rĂ©gime pendant la Seconde Guerre mondiale n’était pas gĂ©nĂ©reuse. Franco ne figure pas parmi les plus antisĂ©mites de son rĂ©gime, mais considĂ©rait le dĂ©cret de 1492 comme Ă©tant toujours en vigueur dans la PĂ©ninsule. Il ne s’opposa pas Ă  ce que les Juifs soient sauvĂ©s par l’Espagne, pourvu qu’ils ne soient que de passage. Et, bien sĂ»r, il ne s’efforça pas davantage Ă  les sauver. L’initiative de les protĂ©ger vint bien plutĂŽt de quelques diplomates, comme Sanz Briz [Ă  Budapest], Romero Radigales en GrĂšce, et Julio Palencia Ă  Sofia. Eurent un impact Ă©galement les pressions des AlliĂ©s et des organisations juives, et y compris mĂȘme du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres allemand, qui avait hĂąte de rapatrier les Juifs espagnols[306]. »

La politique Juive entre 1945 et 1960

À la suite de la dĂ©faite des puissances de l’Axe dans la Seconde Guerre mondiale, le rĂ©gime franquiste se retrouva isolĂ© internationalement. Pour charpenter sa propagande Ă  l’intĂ©rieur, le rĂ©gime eut alors recours au mythe de la conspiration anti-espagnole, de laquelle les Juifs feraient partie intĂ©grante. Il n’est pas fortuit que les Ă©crits le plus clairement antisĂ©mites du gĂ©nĂ©ral Franco et de Carrero Blanco datent prĂ©cisĂ©ment de cette Ă©poque[318]. En effet, Ă  cĂŽtĂ© du gĂ©nĂ©ral Franco, qui faisait paraĂźtre sous le pseudonyme de Jakim Boor des articles dans le journal Arriba, le principal conseiller du Caudillo, l’officier de marine Carrero Blanco, publia sous divers pseudonymes (Nauticus, Orion, Juan de la Cosa, GinĂ©s de Buitrago) plusieurs contributions sur le sujet, de quelques-unes desquelles il fut donnĂ© lecture sur Radio Nacional de España. Carrero Blanco se pencha notamment sur la condamnation du rĂ©gime franquiste par les Nations unies en 1946, sous la forme de ce qui apparaĂźt comme une allusion voilĂ©e au judaĂŻsme et Ă  la franc-maçonnerie : « Quels mystĂ©rieuses puissances agissent dans le sein des Nations unies et inspirent des rĂ©actions aussi Ă©tranges ? »[319].

Entre 1939 et 1945 au moins, la pratique de tout type de culte autre que le culte catholique Ă©tait interdit. Dans les dĂ©buts du Mouvement national, il Ă©tait nĂ©cessaire de poser des limites Ă  la libertĂ© religieuse, et de fermer les chapelles de groupes non catholiques sur le territoire national espagnol, cela en partie parce que plusieurs pasteurs de ces Ă©glises avaient adoptĂ© une position hostile, et dans le but Ă©galement d’assurer la fondamentale unitĂ© religieuse du peuple espagnol[320]. À l’issue de la Guerre civile, les rares synagogues restĂ©es ouvertes, principalement Ă  Barcelone et Madrid, furent fermĂ©es, et quelques cimetiĂšres juifs, comme notamment celui de Barcelone, furent profanĂ©s[321].

Depuis sa mise en place, le rĂ©gime s’était dĂ©fini comme un État catholique oĂč Ă©tait interdite toute autre confession religieuse. DĂšs , le nouvel État s’était empressĂ© d’abroger la loi qui depuis le rĂ©gulait les mariages civils, ce qui rendit nulles et non avenues toutes les unions matrimoniales conclues en vertu de cette loi rĂ©publicaine, lors mĂȘme qu’elles aient Ă©tĂ© dĂ»ment enregistrĂ©es Ă  l’état civil. Jusqu’en 1941, il n’existait pas de procĂ©dure permettant Ă  ceux qui, comme les Juifs, opteraient pour le mariage civil, moyennant qu’ils puissent produire les documents requis prouvant qu’ils n’étaient pas catholiques ou qu’ils n’avaient pas Ă©tĂ© baptisĂ©s. Bien que la loi ait Ă©tĂ© conçue davantage pour les membres de confessions chrĂ©tiennes non catholiques, essentiellement les cultes protestants Ă©trangers, les Juifs tombaient Ă©galement sous le coup de cette loi et se trouvaient donc dans l’impossibilitĂ© de contracter mariage selon leurs rites et traditions[322] - [323] - [84]. De mĂȘme, la loi du par laquelle les cimetiĂšres avaient Ă©tĂ© transformĂ©s en cimetiĂšres civils et municipaux fut abrogĂ©e, et la titularitĂ© de ceux-ci restituĂ©e Ă  l’« Église et aux paroisses respectives »[324] ; Ă  l’article 6 de la loi, il Ă©tait fait obligation aux propriĂ©taires, mandataires ou administrateurs des mausolĂ©es, sĂ©pultures ou niches funĂ©raires d’en faire disparaĂźtre les inscriptions et symboles de sectes maçonniques ou tout autre qui serait de quelque façon hostile Ă  la religion catholique ou Ă  la morale chrĂ©tienne. Rien n’est prĂ©cisĂ© Ă  propos de la symbolique juive ; en effet, pour la lĂ©gislation du nouvel État, le Juif n’existait pas, et les restrictions Ă  la pratique de leur culte se trouvaient englobĂ©es dans celles Ă  caractĂšre gĂ©nĂ©ral, ce qui rendait superfĂ©tatoire, aux yeux des lĂ©gislateurs franquistes, d’édicter des lois plus spĂ©cifiques qui auraient visĂ© Ă  rĂ©guler des pratiques juives, d'ailleurs quasi inexistantes. Cependant, dans la mesure oĂč le judaĂŻsme pouvait ĂȘtre entendu comme une religion hostile Ă  la religion catholique, il pouvait ĂȘtre sous-entendu que toute rĂ©fĂ©rence Ă  la religion juive devait Ă©galement ĂȘtre Ă©liminĂ©e des plaques funĂ©raires[325]. Le , un concordat fut signĂ© avec le Saint-SiĂšge, par lequel l’infĂ©rioritĂ© lĂ©gale des non-catholiques en Espagne Ă©tait rĂ©affirmĂ©e et dont le premier alinĂ©a Ă©nonçait :

« La Religion catholique, apostolique et romaine continue d’ĂȘtre la religion unique de la Nation espagnole et jouira des droits et prĂ©rogatives qui lui reviennent conformĂ©ment Ă  la Loi divine et au Droit canonique[326]. »

AprĂšs qu’il eut Ă©tĂ© mis fin Ă  l’ostracisme du rĂ©gime, sous l’effet du revirement des États-Unis et des autres puissances occidentales induit par la guerre froide, le discours antisĂ©mite tendit Ă  s’inflĂ©chir, ce que reflĂ©taient les articles que Franco faisait alors paraĂźtre dans Arriba, toujours sous le pseudonyme de Jakin Boor. Dans un de ceux-ci, il vient Ă  dĂ©clarer que « judaĂŻsme, franc-maçonnerie et communisme sont trois choses diffĂ©rentes, qu’il faut se garder de confondre », mais en ajoutant dans la suite : « Souvent, nous les voyons Ɠuvrer dans le mĂȘme sens et les unes profiter des conspirations promues par les autres »[327].

L’émoussement du discours antisĂ©mite s’accompagna de mesures d’ouverture vis-Ă -vis des Juifs. En , la synagogue de Barcelone fut rouverte, dans un appartement de location, mais, ainsi que le prescrivait la nouvelle lĂ©gislation espagnole, sans aucun signe extĂ©rieur susceptible de le signaler aux passants ; en , deux synagogues furent inaugurĂ©es dans les mĂȘmes conditions dans des appartements Ă  Madrid et Barcelone, pour prix de l’engagement pris par le vieux dirigeant juif madrilĂšne Ignacio Bauer Ă  appuyer le rĂ©gime franquiste dans les forums internationaux, et en 1953, le Caudillo accorda une audience au prĂ©sident de la synagogue de Madrid, Daniel Barukh, autre grand dĂ©fenseur du rĂ©gime. En 1954, deux synagogues de plus furent ouvertes Ă  Barcelone, ainsi qu’un centre communautaire, encore que la lĂ©galisation des communautĂ©s juives pĂ©ninsulaires ne dĂ»t pas intervenir avant 1965[328] - [329] - [327] - [108].

Par l’adoption de la Charte des Espagnols en , le rĂ©gime escomptait effacer son passĂ© rĂ©cent d’alliĂ© des puissances de l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale et se prĂ©senter devant le monde comme un pays Ă©loignĂ© de toute forme de totalitarisme. De lĂ  vint que le rĂ©gime voulut se doter d’une « constitution », et reconnaĂźtre un ensemble de droits individuels, mĂȘme si en pratique ceux-ci n’étaient pas garantis. Aussi, le rĂ©gime continuait certes de se proclamer catholique, et la religion catholique d’ĂȘtre celle de l’État espagnol et Ă  ce titre de jouir de la protection officielle, mais il tolĂ©rait dĂ©sormais la pratique d’autres cultes, Ă  condition qu’ils s’exercent en privĂ© ; nul ne serait plus inquiĂ©tĂ© pour ses croyances religieuses ni en raison de la pratique en privĂ© de son culte, toutefois ne seraient autorisĂ©es les cĂ©rĂ©monies et manifestations extĂ©rieures que de la seule religion catholique[328] - [330] - [326]. D’autre part, la Loi sur l’enseignement primaire, approuvĂ©e le , accordait Ă©galement une certaine libertĂ© religieuse, puisque le prĂ©ambule posait que l’enseignement primaire, « en tant que mission fondamentalement sociale, incombe Ă  la Famille, Ă  l’Église et Ă  l’État », pour ensuite, en son article 5, Ă©tablir que « l’enseignement primaire, s’inspirant de l’esprit catholique consubstantiel Ă  la tradition scolaire espagnole, se conformera aux principes du Dogme et de la Morale catholique et aux dispositions du Droit canonique en vigueur ». Pourtant, la loi mĂ©nageait une brĂšche lĂ©gale, ici aussi Ă  l’intention des protestants, mais qui se prĂȘtait Ă  ĂȘtre utilisĂ© aussi par les Juifs. L’article 28 en effet rĂ©gulait la crĂ©ation et le fonctionnement des Ă©coles Ă©trangĂšres en Espagne, dans lesquelles Ă©taient prescrites la « formation religieuse » et l’enseignement de l’« esprit national » pour tous les Ă©lĂšves. Cependant, les enfants espagnols aussi bien qu’étrangers pouvant dĂ©montrer n’ĂȘtre pas catholiques auraient droit, au titre d'une formation complĂ©mentaire Ă  celle catholique, Ă  un enseignement religieux d’une autre confession[331]. Une autre loi fondamentale, la Loi sur les principes du Mouvement du , proclamait que « la doctrine de la Sainte Église catholique et romaine » Ă©tait la seule vĂ©ritable et que la foi catholique Ă©tait indissociable de la conscience nationale, par quoi les non-catholiques se trouvaient de fait exclus de la nation espagnole[326].

Dans le mĂȘme temps, un virage eut lieu dans la politique extĂ©rieure de l’Espagne, comme le rĂ©vĂšle le dĂ©cret-loi du octroyant, dans les consulats d’Espagne, la nationalitĂ© espagnole Ă  271 SĂ©farades vivant en Égypte et Ă  144 familles rĂ©sidant en GrĂšce, qui Ă©taient d’anciens protĂ©gĂ©s de l’Espagne[332] - [333]. D’autre part, dans le mĂȘme numĂ©ro du Bulletin officiel de l'État (BOE, Journal officiel), la nationalitĂ© espagnole Ă©tait accordĂ©e Ă  plusieurs autres Juifs d’origine sĂ©farade rĂ©sidant Ă  l’étranger[334]. Ensuite, la mise en place de relations diplomatiques fut proposĂ©e Ă  l’État d’IsraĂ«l nouvellement crĂ©Ă©, en vue de purger l’image du passĂ© et de se rapprocher du bloc occidental, nonobstant que quelques mois seulement auparavant, la presse franquiste eĂ»t dĂ©ployĂ© une campagne en faveur des Arabes dans le cadre du conflit palestinien et que dans les comptes rendus de la guerre israĂ©lo-arabe de 1948-1949 aient Ă©tĂ© grossies les prĂ©sumĂ©es atrocitĂ©s commises par les « sionistes », lesquels Ă©taient dĂ©peints comme de dangereux communistes et comme des profanateurs sacrilĂšges des temples chrĂ©tiens. IsraĂ«l refusa encore de reconnaĂźtre le rĂ©gime franquiste, au motif qu’il fut naguĂšre alliĂ© de Hitler, et vota Ă  l’ONU contre la levĂ©e des sanctions dĂ©cidĂ©es en 1946, ce qui dĂ©clencha une campagne antisĂ©mite dans la presse espagnole. Le prĂ©sident des Cortes franquistes, Esteban Bilbao, fit allusion devant la Chambre Ă  la « mentalitĂ© juive » (mente judĂ­a) de Karl Marx, « perturbĂ©e par la haine de sa race pour tous les progrĂšs et pour toutes les institutions portant le signe de la croix ». À l’ouverture de l’annĂ©e universitaire 1949-1950, le recteur de l’universitĂ© d'Oviedo prononça un discours vĂ©hĂ©ment contre les IsraĂ©liens, oĂč il mobilisa tous les stĂ©rĂ©otypes antisĂ©mites et vint mĂȘme Ă  citer Les Protocoles des Sages de Sion. C’est alors aussi que la propagande franquiste lança le mythe de « Franco, sauveur de Juifs », afin de mettre en lumiĂšre l’« ingratitude » d’IsraĂ«l. Selon Álvarez Chillida, « toute cette rĂ©action anti-israĂ©lienne mettait en Ă©vidence que l’antisĂ©mitisme n’était pas mort avec l’Holocauste, mais qu’il restait en Ă©tat de lĂ©thargie. Beaucoup d’idĂ©es perduraient. Ce qui avait changĂ© drastiquement depuis 1945 Ă©tait le contexte dans lequel elles s’exprimaient »[335].

Une fois acquise la reconnaissance internationale, concrĂ©tisĂ©e par l’adhĂ©sion Ă  l’ONU en 1955 (avec entre autres le vote favorable d'IsraĂ«l[336]), le rĂ©gime franquiste ne se souciait plus guĂšre d’établir des relations diplomatiques avec IsraĂ«l et chercha plutĂŽt Ă  maintenir de bons rapports avec les pays arabes, mĂȘme si parallĂšlement le rĂ©gime remit en honneur le philosĂ©faradisme, surtout pour s’attirer les grĂąces de l’opinion publique amĂ©ricaine. En 1959, l’ExposiciĂłn bibliogrĂĄfica sefardĂ­ organisĂ©e par la BibliothĂšque nationale ne manqua pas de susciter des rĂ©ticences dans certaines secteurs du rĂ©gime franquiste ; ainsi p. ex. le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres demanda-t-il que dans cette exposition ne soient pas glorifiĂ©es « ces aspects de la pensĂ©e sĂ©farade fondamentalement contraires au concept spirituel de l’Espagne authentique »[337] - [333].

À l’instar de l’antisĂ©mitisme, la thĂ©orie de la conspiration anti-espagnole fut elle aussi relĂ©guĂ©e au second plan, pour ĂȘtre remplacĂ©e dans la propagande franquiste par l’accent mis dĂ©sormais sur la croissance Ă©conomique et sur la « paix sociale ». Aussi les rĂ©fĂ©rences aux supposĂ©es activitĂ©s anti-espagnoles du judaĂŻsme eurent-elles tendance Ă  disparaĂźtre et les publications enfreignant cette nouvelle norme Ă  devenir rares. Dans ses ouvrages d’exaltation du rĂ©gime, l’officier de police ComĂ­n Colomer ne faisait plus guĂšre qu’effleurer la « judĂ©o-maçonnerie », le « judĂ©o-soviĂ©tisme » ou le « super-gouvernement de Sion ». NĂ©anmoins, Mauricio Carlavilla, auquel vint se joindre JoaquĂ­n PĂ©rez Madrigal, ancien dĂ©putĂ© du Parti rĂ©publicain radical, qui sitĂŽt commencĂ©e la Guerre civile avait collaborĂ© avec l’appareil de propagande franquiste et dirigĂ© dans l’aprĂšs-guerre civile l’hebdomadaire d’extrĂȘme droite ÂżQuĂ© pasa?, s’obstinaient encore sur la voie antisĂ©mite[338]. Carlavilla fonda en 1946 la maison d’édition Nos, qui fit traduire et publia plusieurs Ɠuvres antisĂ©mites, Ă©ditant mĂȘme un classique de l’antisĂ©mitisme jamais encore publiĂ© en Espagne jusque-lĂ  : La Franc-maçonnerie. Synagogue de Satan (1893) de l’évĂȘque jĂ©suite Leo Meurin. À cĂŽtĂ© de Nos, deux autres maisons d’édition avaient dans leur catalogue plusieurs livres antisĂ©mites, voire pro-nazis : celle du phalangiste catalan Luis de Caralt et la maison d’édition Mateu, toutes deux Ă©tablies Ă  Barcelone. La revue Cristiandad, fondĂ©e en 1944 par le prĂȘtre intĂ©griste RamĂłn Orlandis, publiait des articles sur le complot judĂ©o-maçonnique. En pie, le bulletin de l’organisation paramilitaire Guardia de Franco, Ă©tait plus Ă©loignĂ© encore des nouvelles consignes, puisqu’en plus de fustiger la franc-maçonnerie et le judaĂŻsme, il incluait des textes oĂč Hitler et Mussolini Ă©taient couverts d’éloges[339].

Ce qui en revanche ne s’évanouit aucunement Ă©taient les vieux thĂšmes de l’anti-judaĂŻsme chrĂ©tien. Dans nombre de publications et de livres, pour la plupart composĂ©s par des membres du clergĂ© ou par des catholiques intĂ©gristes, on continuait d’invoquer la « perfidie juive », en justifiant les violences antijuives et l’expulsion des Juifs d'Espagne de 1492 et en se fĂ©licitant de la rĂ©pression exercĂ©e par l’Inquisition espagnole Ă  l’encontre des judĂ©oconvers. Des manuels scolaires continuaient de paraĂźtre qui racontaient les « crimes des Juifs » aux enfants, et des films continuaient d’ĂȘtre projetĂ©s comportant des allusions anti-juives, tels que le film Faustina de JosĂ© Luis SĂĄenz de Heredia, sorti en 1957[340].

Antisémitisme et politique juive entre 1960 et 1975

Le pape Jean XXIII, qui souhaitait rĂ©viser la perception catholique du judaĂŻsme, Ă©limina en 1959 la rĂ©fĂ©rence Ă  la « perfidie juive » dans la liturgie du Vendredi saint, ce qui fut aussitĂŽt mis en application en Espagne. En 1961, l’hĂ©braĂŻste catholique JosĂ© MarĂ­a Lacalle publia un ouvrage dĂ©fendant les thĂšses de la confĂ©rence de Seelisberg, lesquelles jetaient les bases thĂ©ologiques devant permettre d’en finir avec l’anti-judaĂŻsme chrĂ©tien. Cette mĂȘme annĂ©e, l’association Amistad Judeo-Cristiana (littĂ©r. AmitiĂ© judĂ©o-chrĂ©tienne, autorisĂ©e en 1962) fut fondĂ©e Ă  l’initiative d’un groupe de prĂȘtres, qui reçurent l’appui des deux grands hĂ©braĂŻstes espagnols de l’époque, Cantera Burgos et MillĂ s Vallicrosa, ainsi que d’autres universitaires, de l’évĂȘque de Madrid, et de quelques personnalitĂ©s philosĂ©farades du rĂ©gime, dont Pedro LaĂ­n Entralgo et celui qui Ă©tait alors le prĂ©sident de l’Institut de la culture hispanique, Blas Piñar. Les deux membres les plus Ă©minents de la communautĂ© juive de Madrid, Max Mazin et Samuel Toledano, assistĂšrent Ă  la rĂ©union fondatrice d’. L’un des Ă©vĂ©nements les plus retentissants organisĂ©s par l’association Ă©tait l’AssemblĂ©e interconfessionnelle judĂ©o-chrĂ©tienne tenue dans la paroisse madrilĂšne de Santa Rita le , dont se feront l’écho deux des trĂšs grandes chaĂźnes de tĂ©lĂ©vision amĂ©ricaines, ainsi que d’autres organes de la presse Ă©crite internationale. Un an et demi auparavant, le Concile Vatican II avait approuvĂ© la dĂ©claration Nostra Ætate portant sur la relation des catholiques avec les religions non chrĂ©tiennes, qui mettait un terme Ă  l’antijudaĂŻsme chrĂ©tien et condamnait l’antisĂ©mitisme ainsi que toute autre forme de haine raciale ou religieuse[341] - [342]. Les activitĂ©s de l’association se heurtĂšrent Ă  l’opposition des secteurs les plus intĂ©gristes et ultra du franquisme et aux frĂ©quentes protestations des ambassades des pays arabes. Ses activitĂ©s se trouvaient sous la surveillance du gouvernement et il advint plus d’une fois qu’une confĂ©rence soit frappĂ©e d’interdiction. Elle recevait des menaces, comportant notamment l’invective « Hors d’Espagne, chiens juifs ! », assortie de « Vive le Christ roi ! ». ParallĂšlement, les synagogues de Madrid et de Barcelone faisaient l’objet d’attaques sous la forme de graffitis anti-juifs apposĂ©s sur leurs façades et de jets de bombes incendiaires contre leurs portails d’entrĂ©e[343].

En 1968, sous l’égide de la dĂ©nommĂ©e Loi sur la libertĂ© religieuse adoptĂ©e l’annĂ©e antĂ©rieure — par laquelle le rĂ©gime s’était efforcĂ© de se mettre au diapason de la rĂ©novation accomplie au sein de l’Église catholique dans le sillage de Vatican II, encore que des restrictions sĂ©vĂšres aient continuĂ© de prĂ©valoir Ă  l’encontre des confessions non catholiques —, la nouvelle synagogue avec son centre communautaire attenant furent inaugurĂ©s rue Balmes Ă  Madrid. Le rabbin GarzĂłn fut interrogĂ© par la tĂ©lĂ©vision Ă  cette occasion, tandis qu’un communiquĂ© du ministĂšre de la Justice annonçait explicitement le que le dĂ©cret d’expulsion de 1492 Ă©tait abrogĂ© depuis 1869[344] - [345].

Rouleau de la Torah, conservé au Musée séfarade (Museo Sefardí) de la Synagogue El Trånsito à TolÚde.

D’autre part, le philosĂ©faradisme connut un nouvel essor en 1964 avec l’amĂ©nagement du musĂ©e sĂ©farade dans la synagogue del TrĂĄnsito Ă  TolĂšde, projet qui remontait Ă  la Seconde RĂ©publique mais que celle-ci n’était pas parvenue Ă  mener Ă  bien[346] - [333]. Le prĂ©ambule du dĂ©cret du portant crĂ©ation du musĂ©e permet de constater, selon Joseph PĂ©rez, la continuitĂ© du « philosĂ©faradisme de droite » promu par la dictature de Primo de Rivera[59] :

« L’intĂ©rĂȘt qu’offre l’histoire des Juifs dans notre patrie est double, attendu que, d’une part, son Ă©tude est propice Ă  une bonne connaissance du caractĂšre espagnol, compte tenu de la prĂ©sence sĂ©culaire du peuple juif en Espagne, et que, d’autre part, apparaĂźt essentielle Ă©galement pour l’entitĂ© culturelle et historique de ce peuple l’assimilation qu’une partie de son lignage a faite du gĂ©nie et de la mentalitĂ© hispaniques par suite d’une longue vie commune. Sans la prise en compte de ce fait, l’on ne peut comprendre les aspects variĂ©s qu’offre la personnalitĂ© des SĂ©farades dans les diffĂ©rentes communautĂ©s qu’ils ont formĂ©es en se dispersant Ă  travers le monde. Au regard du dĂ©sir de prĂ©server et de resserrer les liens que les SĂ©farades ont depuis des siĂšcles tissĂ©s avec l’Espagne, la crĂ©ation d’un musĂ©e vouĂ© aux tĂ©moignages de la culture hĂ©braĂŻco-espagnole semble singuliĂšrement opportune
 »

À la mĂȘme Ă©poque, il n’était nullement envisagĂ© de renoncer au mythe « Franco, sauveur de Juifs », Ă  telle enseigne que le ministre des Affaires Ă©trangĂšres Fernando MarĂ­a Castiella obligea en 1963 Ángel Sanz Briz Ă  mentir Ă  un journaliste israĂ©lien et Ă  lui dĂ©clarer que le sauvetage de Budapest avait entiĂšrement eu lieu Ă  l’initiative directe et exclusive du gĂ©nĂ©ral Franco[347].

Les milieux catholiques intĂ©gristes, auxquels appartenait la majeure partie de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique, vivaient comme un traumatisme les grands changements induits par Vatican II. Pour contrecarrer cette Ă©volution, ils lancĂšrent une campagne oĂč ils convoquaient le vieil antisĂ©mitisme et, de fait, dĂ©savouaient ainsi la dĂ©claration Nostra Ætate du Concile qui rendait caduc l’antijudaĂŻsme chrĂ©tien. ClĂ©ricaux et laĂŻques intĂ©gristes n’avaient pour leur part jamais cessĂ© de considĂ©rer les Juifs comme le « peuple dĂ©icide », et certains parmi eux, comme le policier intĂ©griste Mauricio Carlavilla ou le monarchiste franquiste catalan Jorge Plantada y Aznar, marquis de Valdemolar, allĂšrent jusqu’à proclamer que ledit Concile Ă©tait l’Ɠuvre de la conspiration judĂ©o-maçonnique, le marquis de Valdemolar affirmant que « la judĂ©o-franc-maçonnerie Ă©tait parvenue Ă  pĂ©nĂ©trer dans cette enceinte sacrĂ©e » (dans le concile Vatican II) et fait en sorte que soit effacĂ©e « de la liturgie l’expression de Juifs perfides par laquelle depuis des siĂšcles Ă©tait dĂ©signĂ© le peuple dĂ©icide ». Leurs organes de diffusion Ă©taient les revues El Cruzado Español, Cristiandad, Cruz IbĂ©rica et Reconquista, cette derniĂšre Ă©ditĂ©e par la chapellenie militaire. À partir de 1970, l’Hermandad Sacerdotal Española, principale organisation du clergĂ© intĂ©griste, dirigĂ©e par le franciscain Miguel Oltra, s’opposait ouvertement Ă  la ConfĂ©rence Ă©piscopale espagnole que prĂ©sidait alors le cardinal TarancĂłn, et commença Ă  publier le bulletin Dios lo quiere (littĂ©r. Dieu le veut). Cependant, le plus antisĂ©mite de tous les organes intĂ©gristes catholiques Ă©tait l’hebdomadaire ÂżQuĂ© pasa?, fondĂ© en 1964 par JoaquĂ­n PĂ©rez Madrigal, intĂ©griste proche du carlisme ; dans l’un de ses articles, il Ă©tait arguĂ© que rejeter l’antisĂ©mitisme conduisait Ă  « paralyser le peuple chrĂ©tien et gentil, Ă  l’empĂȘcher de se dĂ©fendre contre l’impĂ©rialisme hĂ©breu et contre l’action destructrice des forces antichrĂ©tiennes »[348].

Outre par l’intĂ©grisme catholique, le discours antisĂ©mite Ă©tait exploitĂ© Ă©galement par les autres factions conservatrices du rĂ©gime franquiste, qui se dĂ©pitaient d’observer comment les transformations Ă©conomiques, sociales et culturelles des dĂ©cennies 1960 et 1970 Ă©loignaient de plus en plus la population espagnole des idĂ©aux de la « Croisade du 18-Juillet », et qui s’avisaient de la rĂ©surgence d’une opposition antifranquiste, laquelle trouvait un soutien inattendu dans les milieux catholiques ayant adhĂ©rĂ© au processus de rĂ©novation de l’Église catholique consĂ©cutif Ă  Vatican II. Ces groupes ultra, rĂ©tifs Ă  tout type de changement, mirent derechef Ă  contribution, comme explication de ce qui survenait, le mythe de la conspiration judĂ©o-maçonnique. En 1962, au lendemain du « Concubinage de Munich » (Contubernio de MĂșnich), les principaux dirigeants du phalangisme se tournĂšrent vers le Caudillo pour le conjurer de prendre des mesures, avec l’argument : « Ne mĂ©connaissons pas la conjuration internationale contre l’Espagne ; conjuration attisĂ©e par la franc-maçonnerie, le judaĂŻsme et aussi — c’est tristesse de le dire — par une partie des catholiques qui jouent le jeu »[349].

En 1965, la DĂ©lĂ©gation nationale des organisations du Mouvement national convoqua Ă  l’intention des futures cadres du rĂ©gime un sĂ©minaire de formation Ă  contenu raciste et antisĂ©mite. Un des exposĂ©s, qui portait le titre significatif de EvoluciĂłn histĂłrica del problema judĂ­o, affirmait que le Juif « se trouve toujours lĂ  oĂč se produit une rĂ©volution tendant Ă  dĂ©truire l’ordre Ă©tabli pour lui substituer un autre dans lequel les distances qui sĂ©parent les diffĂ©rents groupes sociaux ont Ă©tĂ© rĂ©duites, et ce du cĂŽtĂ© des rĂ©volutionnaires, quand il n’est pas, comme dans le cas de la Russie, le cerveau mĂȘme de la subversion ». Aussi peut-on comprendre, argumentait l’auteur, que « lĂ  oĂč il y a des Juifs » il y a des antisĂ©mites. Dans l’exposĂ© intitulĂ© Antisemitismo en la Ă©poca actual, il Ă©tait postulĂ© que « la race juive prĂ©sente certaines constantes historiques qui font d’elle le vĂ©ritable idĂ©al de tous les peuples ». L’exposĂ© El antisemitismo: realidad y justificaciĂłn justifiait la politique nazie Ă  l’égard des Juifs et plaidait pour le nĂ©gationnisme de la Shoah ; il y Ă©tait question de la « lĂ©gende des six millions de Juifs gazĂ©s » et les Juifs sionistes Ă©taient tenus pour responsables des crimes nazis, car, Ă©tait-il affirmĂ©, « plus cela se passait mal pour les Juifs europĂ©ens, plus fortes seraient ensuite les exigences sionistes concernant la Palestine »[350].

De nouvelles maisons d’édition d’extrĂȘme droite virent le jour, telles qu’Acervo, ainsi que des revues comme Juan PĂ©rez, et les classiques antisĂ©mites Ă©taient rĂ©Ă©ditĂ©s — les Protocoles, le Juif international de Ford —, auxquels s’ajoutaient les textes nĂ©gationnistes de l’Holocauste, nouveau thĂšme de la littĂ©rature antisĂ©mite, comme Derrota mundial (littĂ©r. DĂ©faite mondiale) de l’intĂ©griste mexicain Salvador Borrego. Le principal diffuseur du nĂ©gationnisme en Espagne Ă©tait l’organisation nĂ©onazie CEDADE, fondĂ©e en 1966 par un groupe de phalangistes et de Gardes de Franco, qui publiait des traductions d’ouvrages Ă©trangers ou des productions de son cru, comme les livres de JoaquĂ­n Bochaca, dont notamment El mito de los seis millones (littĂ©r. le Mythe des six millions) de 1979[351] - [352].

Le , en accord avec le rĂ©sultat d’un rĂ©fĂ©rendum, il fut procĂ©dĂ© Ă  une rĂ©vision de la Charte des Espagnols, plus particuliĂšrement de son article 6 relatif aux relations ĂȘtre l’Église et l’État. AmendĂ©, cet article s’énonçait dorĂ©navant comme suit :

« La profession et la pratique de la religion catholique, qui est celle de l’État espagnol, jouira de la protection officielle.
L’État se chargera de protĂ©ger la libertĂ© religieuse, qui sera garantie par une tutelle juridique efficace, apte dans le mĂȘme temps Ă  sauvegarder la morale et l’ordre public. »

Quoique cette nouvelle version de la loi ne reconnĂ»t toujours pas la libertĂ© religieuse comme droit fondamental, comme l’avait fait autrefois la constitution de 1869, l’amendement de l’article 6 suscita nĂ©anmoins l’opposition de la majoritĂ© conservatrice de l’Église et du gouvernement, et fut rejetĂ© en premiĂšre lecture le en Conseil des ministres. Ce ne sera que deux semaines plus tard, aprĂšs que les ministres se furent avisĂ©s que Franco avait l’intention de donner son approbation Ă  l’amendement, que les ministres l’approuvĂšrent Ă  leur tour[353].

En 1950, la communautĂ© juive d’Espagne Ă©tait estimĂ©e Ă  2 500 personnes. Les Ă©vĂ©nements politiques de la dĂ©cennie 1950 en Afrique du Nord incitĂšrent des milliers de Juifs Ă  quitter le Maroc et Ă  s’installer dans la PĂ©ninsule. La vigoureuse croissance Ă©conomique espagnole entre 1950 et 1970 attira d’autres Juifs encore, de sorte qu’en 1969, les effectifs de la communautĂ© juive s’élevaient Ă  prĂšs de 9000[354], voire (en fonction des auteurs) 10 000 individus, dont une moitiĂ© rĂ©partie entre Madrid et Barcelone et deux milliers Ă  Ceuta et Melilla[344]. D’autre part, la dĂ©tĂ©rioration de la situation politique dans quelques pays d’AmĂ©rique latine, comme le Chili, l’Uruguay et surtout l’Argentine, poussa de nombreux Juifs Ă  chercher fortune en Espagne, phĂ©nomĂšne qui s’accĂ©lĂ©ra aprĂšs la mort de Franco et au lendemain du coup d’État de 1976 en Argentine. Au dĂ©but de 1974, la taille de la communautĂ© juive d’Espagne Ă©tait Ă©valuĂ©e Ă  environ 12 000 membres[354].

Jugement de quelques personnalités juives

À l’occasion du troisiĂšme l’anniversaire de la mort du gĂ©nĂ©ral Franco, la revue juive amĂ©ricaine The American Sephardi Ă©crivit :

« Le GeneralĂ­simo Francisco Franco, chef de l’État espagnol, est dĂ©cĂ©dĂ© le . Quel que soit le jugement que l’Histoire porte sur lui, il est certain qu'il occupera une place spĂ©ciale dans l’histoire juive. À l’inverse de l’Angleterre, qui ferma les frontiĂšres de la Palestine aux Juifs qui fuyaient le nazisme et la destruction, et Ă  l’inverse de la dĂ©mocratique Suisse, qui refoula vers la terreur nazie les Juifs qui frappĂšrent Ă  ses portes en quĂȘte de secours, l’Espagne ouvrit sa frontiĂšre avec la France occupĂ©e, et admit tous les rĂ©fugiĂ©s, sans distinction de religion ou de race. Le professeur Haim Avni, de l’universitĂ© HĂ©braĂŻque, qui a vouĂ© des annĂ©es Ă  l’étude de cette question, est arrivĂ© Ă  la conclusion qu’un total d’au moins 40 000 Juifs a Ă©tĂ© sauvĂ© des chambres Ă  gaz allemandes, soit directement par les interventions d’ambassadeurs espagnols et de reprĂ©sentants consulaires, soit grĂące aux frontiĂšres ouvertes[355]. »

Chaim Lipschitz affirme dans son livre Franco, Spain, the Jews and the Holocaust :

« Je dĂ©tiens les preuves que le chef de l’État espagnol, Francisco Franco, a sauvĂ© plus de soixante mille Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Il commence Ă  ĂȘtre temps que quelqu’un en rende grĂąces Ă  Franco[356]. »

Shlomo Ben-Ami, ministre des Affaires Ă©trangĂšres d’IsraĂ«l et ambassadeur d’IsraĂ«l en Espagne :

« Le pouvoir juif n’a pas Ă©tĂ© en mesure de changer la politique de Roosevelt envers les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Le seul pays d’Europe qui donna pour de vrai un coup de main aux Juifs Ă©tait un pays oĂč il n’y avait aucune influence juive : l’Espagne, qui sauva plus de Juifs que toutes les dĂ©mocraties rĂ©unies[357]. »

Golda Meir, PremiĂšre ministre d’IsraĂ«l, dĂ©clara alors qu’elle Ă©tait ministre des Affaires Ă©trangĂšres :

« Le peuple juif et l’État d’IsraĂ«l se souviennent de l’attitude humanitaire adoptĂ©e par l’Espagne sous l’ùre hitlĂ©rienne, lorsqu’elle apporta secours et protection Ă  beaucoup de victimes du nazisme[358]. »

Israel Singer, président du CongrÚs juif mondial :

« L’Espagne de Franco fut un refuge important pour les Juifs qui s’enhardirent Ă  y venir, en Ă©chappant Ă  la France de la libertĂ©, de la fraternitĂ© et de l’égalitĂ©. Je ne veux pas dĂ©fendre Franco, mais dans la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de Juifs ont Ă©tĂ© sauvĂ©s en Espagne, et dĂ©daigner cela, c’est dĂ©daigner l’histoire[359] - [note 7]. »

Notes et références

Notes

  1. Javier MartĂ­nez de Bedoya raconte dans ses mĂ©moires que lors des nĂ©gociations dont il avait Ă©tĂ© chargĂ© par GĂłmez-Jordana et qu’il menait Ă  Lisbonne avec des reprĂ©sentants des principales organisations internationales juives, l’un de ses interlocuteurs considĂ©rait comme certaines les ascendances juives de Franco et de Roosevelt. Bedoya note : « J’ignorais que les Juifs tenaient Franco pour l’un des leurs, tant par la lignĂ©e des Franco que par celle des Bahamonde, selon ce qu’ils me prĂ©cisĂšrent. Le patronyme Franco avait toujours portĂ© l’estampille juive — me firent-ils observer — et Bahamonde Ă©tait littĂ©ralement Bar Amon, c’est-Ă -dire fils d’Amon, le fils de Lot (GenĂšse 19, 38) ». Cf. Javier MartĂ­nez de Bedoya, Memorias desde mi aldea, Valladolid, Ámbito, , 384 p. (ISBN 978-8481830286), p. 229.
    Samuel Hoare, dans Complacent Dictator, Ă©voque les ascendances juives de Franco comme si c’était un fait notoire et avĂ©rĂ©. Cf. Samuel Hoare, Complacent Dictator, New York, A.A. Knopf, (ASIN B0007F2ZVU, lire en ligne), p. 31.
  2. Le philosĂ©faradisme, pour affectif et sentimental qu’il fĂ»t, n’était pas exempt d’arriĂšre-pensĂ©es utilitaires et de considĂ©rations d’intĂ©rĂȘt de nature Ă©conomique ou gĂ©opolitique. Au XIXe siĂšcle, Juan Antonio de RascĂłn, s’il Ă©tait mĂ» sans doute par des motifs humanitaires quand il plaidait pour l’accueil en Espagne des SĂ©farades persĂ©cutĂ©s en Europe orientale, ne laissa pas de souligner les avantages matĂ©riels d’une immigration juive, grĂące Ă  laquelle des liens pourraient ĂȘtre tissĂ©s avec des milliers de Juifs espagnols Ă©pars dans l’Empire ottoman et pourrait ĂȘtre Ă©tablie par lĂ  une sorte de rĂ©seau permanent de voies maritimes. De plus, la prĂ©sence de SĂ©farades en GrĂšce p. ex. pourrait ĂȘtre l’occasion de crĂ©er des Ă©coles secondaires dans les villes, oĂč serait enseignĂ© l’espagnol moderne, par quoi « l’Espagne et le Moyen-Orient auront des moyens plus aisĂ©s et plus rapides d’amplifier leurs relations commerciales et d’étendre un jour leur influence » (cf. H. Avni (1982), p. 13-14). Isidoro LĂłpez Lapuya, autre apologiste de l’immigration juive en Espagne, escomptait lui aussi que l’arrivĂ©e de Juifs, connus pour leur opulence, leur assiduitĂ©, leur expĂ©rience et leur perspicacitĂ© en affaires, apporterait Ă  l’Espagne, alors en manque de telles qualitĂ©s, d’importants bĂ©nĂ©fices (H. Avni (1982), p. 16). Lapuya prĂ©conisait d’ailleurs de ne laisser entrer en Espagne que des Juifs Ă©conomiquement aisĂ©s ou experts dans l’un des mĂ©tiers recherchĂ©s en Espagne (H. Avni (1982), p. 18). Au XXe siĂšcle, le sĂ©nateur Ángel Pulido FernĂĄndez, promoteur de la libertĂ© religieuse et admirateur des SĂ©farades, avait d’autre part fait le calcul que les deux millions de SĂ©farades qu’il y avait de par le monde exerçaient une forte influence dans l’économie et la politique de leurs pays respectifs ; les reconnaĂźtre comme membres de la « race » hispanique garantirait Ă  l’Espagne de nouvelles ressources commerciales, propres Ă  compenser en partie la perte des derniers vestiges de son empire colonial. Les nĂ©gociants sĂ©farades stimuleraient les exportations espagnoles et feraient profiter l’Espagne de leur expĂ©rience pour amĂ©liorer la productivitĂ© (H. Avni (1982), p. 21). Pendant la Seconde Guerre mondiale, le consul-gĂ©nĂ©ral d’Espagne Ă  AthĂšnes, Eduardo Gasset, estimait bĂ©nĂ©fique pour l’Espagne d’accorder sa protection aux SĂ©farades de GrĂšce, afin de tirer parti ensuite de leurs sentiments positifs envers l’Espagne pour les amener Ă  embrasser les intĂ©rĂȘts culturels espagnols en GrĂšce, ce qui permettrait Ă  l’Espagne de rivaliser sous ce rapport avec des pays comme la France (H. Avni (1982), p. 81).
  3. Rappelons que le , Primo de Rivera dĂ©cida d’accorder la nationalitĂ© espagnole Ă  des individus d’origine espagnole, en considĂ©ration du constat « patriotique » que lesdits individus possĂ©daient en gĂ©nĂ©ral « notre idiome » et qu’il « serait propice d’en Ă©tendre le nombre au moyen de la naturalisation, au bĂ©nĂ©fice de nos relations culturelles dans des pays lointains, oĂč ils constituent des colonies susceptibles d’ĂȘtre d’une vĂ©ritable utilitĂ© pour l’Espagne ». Pour mettre en Ɠuvre cet ordre sans exiger des personnes concernĂ©es de se rendre en Espagne pour y prĂȘter serment de loyautĂ© et s’inscrire Ă  l’état civil, ainsi que le requĂ©rait la loi sur la naturalisation, le Directoire militaire les autorisa Ă  effectuer les formalitĂ©s nĂ©cessaires auprĂšs du reprĂ©sentant consulaire espagnol de leur lieu de rĂ©sidence. Cet accommodement particulier devait rester en vigueur pendant six ans, c’est-Ă -dire jusqu’au , date aprĂšs laquelle l’option d’acquisition de la citoyennetĂ© espagnole s’éteindrait, et avec elle tout type de tutelle de la part de l’État espagnol. Cet ordre, signĂ© par le gĂ©nĂ©ral Antonio Magaz y Pers, prĂ©sident par intĂ©rim du Directoire militaire, prĂ©ludait le dĂ©cret royal, ayant rang de loi, signĂ© par Alphonse XIII, dans lequel se trouvaient dĂ©finies les personnes admissibles Ă  la jouissance de la rĂ©glementation spĂ©ciale, savoir : « des individus d’origine espagnole qui viendront Ă  ĂȘtre protĂ©gĂ©s comme s’ils Ă©taient espagnols ». Pour appuyer sa demande, chacun d’eux devra prĂ©senter tous documents utiles, dĂ©montrer son origine et produire un certificat de bonne conduite. Cependant, au contraire de ce qui a pu ĂȘtre affirmĂ© plus tard, en particulier dans des publications officielles, le dĂ©cret royal Ă©tait loin d’octroyer indistinctement et en tout lieu la citoyennetĂ© espagnole aux Juifs sĂ©farades. Cf. H. Avni (1982), p. 29-30.
  4. Le , les troupes italiennes envahirent la GrĂšce, furent dans un premier temps repoussĂ©es, mais avec l’aide des allemands purent finalement, aprĂšs une brĂšve campagne, se rendre maĂźtres le de la GrĂšce entiĂšre. À partir de ce moment, le pays, et sa communautĂ© juive, se trouvait divisĂ© en trois secteurs : un, englobant les rĂ©gions de Thrace et de MacĂ©doine, fut rattachĂ©e Ă  la Bulgarie, par quoi le destin de ses 5 600 Juifs vint Ă  dĂ©pendre des luttes de pouvoir intĂ©rieures bulgares ; un deuxiĂšme, constituĂ© du sud du pays jusqu’à Larissa et de certaines parties de la MacĂ©doine occidentale, demeura sous la domination italienne, et le sort de ses quelque 15 000 Juifs sera le mĂȘme que celui des Juifs italiens ; le troisiĂšme, comprenant le reste de la Thrace et la MacĂ©doine orientale, tomba sous le joug allemand, et ses prĂšs de 60 000 Juifs eurent bientĂŽt Ă  subir l’oppression nazie. Cf. H. Avni (1982), p. 79.
  5. Dans un rapport expĂ©diĂ© par Gasset Ă  son ministĂšre de tutelle transparaissent aussi les motifs utilitaires sous ses efforts d’obtenir la protection des Juifs, Gasset indiquant qu’il serait alors possible de mettre Ă  profit leurs sentiments favorables envers l’Espagne et leur dĂ©sir de conserver leur citoyennetĂ© espagnole, pour obtenir d’eux d’importantes contributions Ă  la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts de l’Espagne en GrĂšce. Il considĂ©rait qu’avec de tels moyens, il devait ĂȘtre possible d’installer Ă  AthĂšnes un centre culturel espagnol et de recherche archĂ©ologique et historique, grĂące Ă  quoi l’Espagne pourrait sous ce rapport rivaliser notamment avec la France. Cf. H. Avni (1982), p. 81.
  6. DĂ©but 1938, le problĂšme du service militaire obligatoire se posa aux ressortissants sĂ©farades en Ăąge de servir, aprĂšs que le reprĂ©sentant de Franco Ă  Sofia eut insinuĂ© que les ressortissants juifs sĂ©farades n’étaient pas prĂȘts Ă  verser leur sang pour une religion qui n’était pas la leur. Le ministre des Affaires Ă©trangĂšres et celui de la DĂ©fense s’accordĂšrent alors, avec le consentement de Franco, « compte tenu de l’urgente nĂ©cessitĂ© que lesdits individus conservent la nationalitĂ© espagnole eu Ă©gard aux multiples bĂ©nĂ©fices qui en dĂ©coulent, et en mĂȘme temps Ă©viter de blesser leurs sentiments religieux », Ă  les en dispenser, en Ă©tendant Ă  eux la disposition qui exemptait de service militaire les ressortissants espagnols rĂ©sidant en AmĂ©rique latine ou aux Philippines. Les reprĂ©sentants en Turquie et dans les Balkans furent autorisĂ©s, moyennant acquittement de la cuota (taxe d’exemption) prĂ©vue par la loi de 1935, Ă  prolonger la validitĂ© des passeports pour les SĂ©farades ayant l’ñge rĂ©glementaire. Cf. H. Avni (1982), p. 77-78.
  7. Le sujet a aussi eu quelques prolongements dans la presse espagnole, entre autres :

Références

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