Charte des Espagnols
La Charte des Espagnols (en espagnol Fuero de los Españoles), promulguĂ©e en , est un texte ayant rang de constitution et dĂ©finissant un ensemble de libertĂ©s civiles, de droits fondamentaux et de devoirs civiques. La Charte traduisait le souci du rĂ©gime franquiste, au lendemain de la victoire des AlliĂ©s dans la Seconde Guerre mondiale et dans un contexte dâisolement international de l'Espagne, de se donner une façade plus dĂ©mocratique et dâobtenir le soutien du Vatican. En plus de servir ainsi dâarme de propagande, la Charte sâinscrivait aussi dans un ensemble cohĂ©rent de lois dites « fondamentales » destinĂ©es Ă doter le rĂ©gime dâune armature idĂ©ologique et juridique amalgamant les courants de pensĂ©e catholique, corporatiste et rĂ©actionnaire en vogue dans lâavant-guerre.
parue dans le Journal officiel du .
Titre |
Charte des Espagnols (en espagnol Fuero de los Españoles) |
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Pays | Espagne |
Langue(s) officielle(s) | Espagnol |
Type | Lois fondamentales |
Branche | Droit constitutionnel |
RĂšgne | Espagne franquiste |
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LĂ©gislature | Cortes franquistes |
Adoption | Juillet 1945 |
Promulgation | |
Abrogation | AprĂšs 1978 |
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Facsimilé de la Charte telle que publiée dans le Journal officiel (BOE)
La Charte comporte trois titres : un titre prĂ©liminaire, qui proclame comme principe de base « le respect de la dignitĂ©, de lâintĂ©gritĂ© et de la libertĂ© de la personne humaine » ; le titre 1, « Droits et Devoirs des Espagnols » ; et le titre 2, « De lâexercice et de la garantie des droits ». Sont ainsi en principe garantis en particulier : la libertĂ© d'expression, lâinviolabilitĂ© du domicile, le secret de la correspondance, la libertĂ© religieuse, lâĂ©galitĂ© homme-femme, la libertĂ© de rĂ©sidence, le droit d'association et de rĂ©union, le droit dâĂȘtre dĂ©fĂ©rĂ© devant un juge en cas de dĂ©tention, etc. Cependant, ces droits resteront largement lettre morte, en raison de ce que :
- la Charte renferme une sĂ©rie de restrictions, interdisant notamment que les droits puissent sâexercer aux dĂ©pens de lâ« unitĂ© sociale, spirituelle et nationale » de lâEspagne ou au prĂ©judice des principes fondamentaux de lâĂtat ;
- la possibilitĂ© Ă©tait offerte au gouvernement de suspendre temporairement ces droits en cas dâĂ©tat d'urgence et aprĂšs proclamation de lâĂ©tat d'exception, ce dont le gouvernement ne se privera pas en diverses occasions (au reste, lâexĂ©cutif Ă©tait habilitĂ© par la Charte Ă Ă©mettre un mandat d'arrĂȘt ou de perquisition, hors dĂ©cision d'un juge) ;
- enfin, parce que lesdits droits nâĂ©taient pas exigibles directement devant les tribunaux ordinaires, dont la compĂ©tence Ă©tait dĂ©jĂ notablement Ă©rodĂ©e par la juridiction militaire et les tribunaux spĂ©ciaux, et que la procĂ©dure de recours en violation de la Charte Ă©tait complexe et inapplicable dans les faits.
Ces limitations, ajoutĂ©es au fait que, sur le plan des droits politiques, le nouveau rĂ©gime nâadmettait dâautre parti que le parti unique FET y de las JONS, et que les libertĂ©s syndicales Ă©taient fortement encadrĂ©es, avaient pour effet que ces droits demeuraient largement fictifs et que la Charte ne changea pas fondamentalement la nature du rĂ©gime, ce qui a portĂ© un historien du droit Ă qualifier la Charte des Espagnols de « constitution postiche ».
IdĂ©ologiquement, la Charte des Espagnols Ă©tait tributaire des pensĂ©es organicistes et corporatistes des dĂ©cennies 1920 et 1930, qui outre le rejet du socialisme entendaient enserrer la sauvegarde des droits dans les strictes limites de lâordre social, politique et Ă©conomique en vigueur, dâoĂč la conception organiciste des droits de la personne, ceux-ci ne se rapportant pas Ă lâindividu mais Ă la sociĂ©tĂ©, et devant toujours sâexercer par la voie des structures dites « naturelles » de la sociĂ©tĂ© que sont, selon ce quâĂ©nonce la Charte, « la famille, la commune et le syndicat ». De plus, si la libertĂ© religieuse Ă©tait proclamĂ©e, la religion catholique Ă©tait Ă©levĂ©e au rang de religion d'Ătat et la Charte nâautorisait de manifestation publique dâaucune autre religion.
Contexte historique et genĂšse
En 1945, le rĂ©gime franquiste entendait rĂ©affirmer son autoritĂ© souveraine. NĂ© dâun coup dâĂtat et se retrouvant Ă lâissue de la Seconde Guerre mondiale dans une pĂ©riode oĂč fleurissait le libĂ©ralisme politique, le rĂ©gime non seulement souffrait de lâisolement diplomatique et Ă©conomique, mais peinait aussi Ă se faire reconnaĂźtre comme Ătat de droit. Câest ce contexte politique international qui va amener le rĂ©gime franquiste, soucieux de son image de marque Ă lâĂ©tranger, Ă accomplir un vĂ©ritable effort de lĂ©gitimation par la promulgation de lois garantissant un certain nombre de libertĂ©s civiles aux Espagnols, mais dĂ©finissant en mĂȘme temps les raisons souveraines de leur Ă©ventuelle suspension. Ces lois, appelĂ©es Ă fournir lâarmature idĂ©ologique et juridique du rĂ©gime, sâĂ©numĂšrent comme suit : Charte du travail (Fuero del Trabajo, de 1938), Loi constitutive des Cortes (Ley Constitutiva de Cortes, de 1942), Charte des Espagnols (Fuero de los Españoles, de 1945), Loi du rĂ©fĂ©rendum national (Ley de ReferĂ©ndum Nacional, de 1945), Loi de succession du chef de l'Ătat (Ley de SucesiĂłn a la Jefatura del Estado, de 1947), Loi des principes du Mouvement national (Ley de Principios del Movimiento Nacional, de 1958), et enfin Loi organique de l'Ătat (Ley OrgĂĄnica del Estado, de 1967)[1].
La date de publication de la Charte des Espagnols, un , date retenue par les franquistes comme celle du soulĂšvement de 1936, contribue Ă faire soupçonner que ce texte Ă©tait bien avant tout une arme de propagande de lâaprĂšs-guerre. Peu avant 1945, prĂ©sageant la dĂ©faite de lâAllemagne et de lâItalie dans la guerre, le franquisme avait entrepris une sĂ©rie de rĂ©formes destinĂ©es Ă prendre ses distances dâavec ces dictatures dâores et dĂ©jĂ condamnĂ©es. Cependant, si lâadoption de la Charte des Espagnols, en servant de nouvelle façade au rĂ©gime, prend certes place dans cette campagne de propagande, nĂ©anmoins le texte, bien plus quâun simple discours de propagande, constitue une construction lĂ©gistique consciente et dĂ©libĂ©rĂ©e conjuguant les pensĂ©es catholique, corporatiste et antilibĂ©rale, sur laquelle la dictature allait s'appuyer dĂ©sormais, sans effacer la composante totalitaire et lâaspect de gouvernement personnel. Il sâagit dâun projet conçu non pas pour adapter la dictature aux critĂšres de la dĂ©mocratie libĂ©rale, mais pour la mouler sur un autre modĂšle de modernitĂ© prĂ©existant, fondĂ© sur lâidĂ©ologie rĂ©actionnaire, catholique et corporatiste en vogue avant les guerres des dĂ©cennies 1930 et 1940 â dâoĂč il vient quâil nây a que peu de crĂ©ation ex novo dans la Charte des Espagnols, mais au contraire la rĂ©cupĂ©ration dâune tradition remontant aux temps de la Restauration et au droit naturel du XIXe siĂšcle[2].
Ainsi la Charte des Espagnols fixant les « droits et devoirs des Espagnols » sâappuyait-elle en partie sur la constitution de 1876, avec lâambition de remettre en honneur et de rĂ©unir en un texte lĂ©gislatif les droits historiques reconnus par la loi traditionnelle. La Charte garantissait certaines des libertĂ©s civiques communes dans le monde occidental, comme celle de rĂ©sidence et le secret de la correspondance, et le droit de ne pas ĂȘtre dĂ©tenu pendant plus de 72 heures sans ĂȘtre dĂ©fĂ©rĂ© devant un juge ; câest Ă Fernando MarĂa Castiella que lâon doit lâarticle 12 prĂ©voyant la libertĂ© d'expression des idĂ©es, sous rĂ©serve de ne pas attaquer les principes fondamentaux de lâĂtat, et lâarticle 16 sur la libertĂ© d'association. Toutefois, ces libertĂ©s Ă©taient sujettes Ă limitations, notamment en vertu de lâarticle 33, qui stipulait quâaucun des droits ne pouvait sâexercer aux dĂ©pens de lâ« unitĂ© sociale, spirituelle et nationale », ou de lâarticle 25, qui Ă©nonçait quâelles pouvaient ĂȘtre suspendues temporairement en cas dâĂ©tat d'urgence[3]. Aussi, si le texte desserra quelques-uns des verrous installĂ©s pendant la Guerre civile, chacune des ouvertures Ă©tait en mĂȘme temps assortie de restrictions qui les rendaient largement fictives[4].
Il sâagissait en outre, en donnant au systĂšme une structure juridique plus objective et en prĂ©voyant quelques garanties civiles de base, dâattirer Ă nouveau les personnalitĂ©s politiques catholiques et de renforcer lâidentitĂ© catholique du rĂ©gime, dans le but dâobtenir le soutien du Vatican et dâattĂ©nuer lâhostilitĂ© des dĂ©mocraties occidentales. Ă cet effet, lâon se proposait de moins sâappuyer dĂ©sormais sur le Mouvement national, sans pour autant toutefois lâĂ©carter de la scĂšne politique ni permettre Ă une organisation politique rivale de surgir, encore que la censure puisse se relĂącher quelque peu. Par les nouvelles lois, le rĂ©gime se dota des caractĂ©ristiques fondamentales dâune monarchie autoritaire, corporatiste et catholique nâayant que peu Ă voir avec un systĂšme reprĂ©sentatif direct, car dĂ©pendant dâune structure de reprĂ©sentation indirecte et corporative[5]. DâaprĂšs lâhistorienne AndrĂ©e Bachoud,
« les nouvelles rĂšgles tendaient plus Ă affirmer une lĂ©gitimitĂ© Ă lâancienne quâĂ mettre en pratique les principes dĂ©mocratiques et substituaient au systĂšme de reprĂ©sentation du peuple par lâintermĂ©diaire du suffrage universel, que Franco dĂ©nigrait, une relation avec le peuple inspirĂ©e de la vieille monarchie absolue de tradition espagnole, enrobĂ©e de traits phalangistes. Le pouvoir absolu du chef de lâĂtat, Ă lâimage de celui quâexerçaient en leur temps les Rois catholiques, devait rester la rĂšgle. Ă lâinstar des Cortes de Castille dâautrefois, les Cortes franquistes avaient pour mission dâavaliser les changements importants dans les institutions. Les lois qui suivront dĂ©notent une mĂȘme imprĂ©gnation profonde du Caudillo par le modĂšle de la monarchie absolue[6]. »
Caractérisation générale et restrictions
Le franquisme abrogea les droits civils et politiques reconnus dans la Constitution de 1931 et dans la lĂ©gislation rĂ©publicaine et opĂ©ra, en particulier dans les premiĂšres annĂ©es du rĂ©gime, une rĂ©pression brutale Ă lâencontre de tous les opposants au nouveau pouvoir, dont beaucoup subirent des reprĂ©sailles sous forme dâinterdiction professionnelle, dâemprisonnement ou de peloton dâexĂ©cution. La Loi sur les responsabilitĂ©s politiques de 1939, la Loi de rĂ©pression de la franc-maçonnerie et du communisme de 1940, la Loi sur la sĂ©curitĂ© de lâĂtat de 1941, le Code pĂ©nal de 1944, le DĂ©cret-loi sur la rĂ©pression du banditisme et du terrorisme de 1947, et la Loi sur lâordre public de 1959 se conjuguaient pour Ă©touffer la libertĂ© individuelle et le pluralisme politique et linguistique en Espagne[7]. Câest dans cet environnement politique et juridique que survint la Charte des Espagnols.
La Charte des Espagnols tient sur trois pages et comporte 36 articles, rĂ©partis sur un titre prĂ©liminaire, un titre premier consacrĂ© aux devoirs et droits des Espagnols â dans cet ordre â et un titre deuxiĂšme portant sur lâexercice et la garantie des droits. Dans le Journal officiel (BOE), la Charte est suivie du texte de la loi du dĂ©finissant les Bases du rĂ©gime local et sur lequel, dâaprĂšs Enrique Ălvarez Cora, lâattention de la presse allait se porter davantage que sur le Fuero de los Españoles[8]. Il est Ă noter que depuis , câest-Ă -dire depuis le dĂ©but de la Guerre civile, le BOE, tombĂ© aux mains des insurgĂ©s, avait publiĂ© des textes â et leur avait par lĂ confĂ©rĂ© une apparence normative â de lĂ©galitĂ© douteuse et Ă caractĂšre juridique discutable. Un exemple de cette pratique nous est fourni par un autre Fuero, le Fuero del Trabajo (Charte du travail) de 1938. Lâusage du terme Fuero (for ou charte en français), renvoyant, comme le mot caudillo, Ă un passĂ© mĂ©diĂ©val, permet de marquer la distance de ces documents dâavec la lĂ©gislation dĂ©mocratique de la RĂ©publique et de maintenir une certaine ambivalence sur leur nature juridique. Le spĂ©cialiste en droit commercial JoaquĂn Garrigues, qui participa Ă la rĂ©daction du Fuero del Trabajo, nota en 1939 que celui-ci avait Ă©tĂ© davantage une arme de propagande de guerre quâune norme juridique et quâon ne pouvait pas dĂšs lors le considĂ©rer comme norme directement applicable ; câĂ©tait bien plutĂŽt, reconnaissait Garrigues, un texte propagandiste, dâune posture de gauche et rĂ©publicaine de pure façade, destinĂ© Ă attirer vers le camp nationaliste les ouvriers du camp rĂ©publicain[9] - [note 1] - [10].
Nonobstant que la Charte des Espagnols ait reconnu aux Espagnols un ensemble de droits civils et politiques, cette reconnaissance demeura purement rhĂ©torique et lesdits droits restĂšrent souvent lettre morte, les pouvoirs publics en effet nây Ă©tant pas tenus autrement quâĂ travers la procĂ©dure compliquĂ©e et inappliquĂ©e du recours en violation de la Charte (« recurso de contrafuero »), et les droits nâĂ©tant pas exigibles directement devant les tribunaux ordinaires, dont la compĂ©tence se trouvait sensiblement Ă©cornĂ©e par la juridiction militaire et par les tribunaux spĂ©ciaux, tel que le Tribunal dâordre public crĂ©Ă© en 1963. Lâarticle 43 de la Charte des Espagnols elle-mĂȘme stipulait que lâexercice des droits reconnus ne devait pas « attenter a lâunitĂ© spirituelle, nationale et sociale de lâEspagne »[11] - [12]. De fait, les deux chartes (ou lois organique) adoptĂ©es en octobre 1945 â Charte des Espagnols et Loi sur le rĂ©fĂ©rendum â, loin de changer fondamentalement la nature du rĂ©gime, qui restera autoritaire, catholique et national-syndicaliste, avaient plutĂŽt pour objectif de lâĂ©tablir[13].
En 1956, aprĂšs que la Phalange eut perdu les Ă©lections universitaires et quâavaient Ă©clatĂ© Ă la facultĂ© de droit de Madrid quelques Ă©chauffourĂ©es oĂč un jeune phalangiste fut blessĂ©, apparemment par un autre phalangiste, Franco, feignant dâignorer ce dernier dĂ©tail et particuliĂšrement irritĂ© par la dissidence de certains jeunes issus des familles de personnalitĂ©s du rĂ©gime (sây trouvaient en effet impliquĂ©s des enfants et neveux des vainqueurs de la Guerre civile, tels que KindelĂĄn, Navarro Rubio, etc.)[14], dĂ©cida alors de reprendre les choses en main, suspendant les rares libertĂ©s Ă©noncĂ©es dans la Charte des Espagnols, et limogeant le ministre de lâĂducation ainsi que le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Mouvement. Nâayant plus dĂ©sormais, selon Javier Tusell, « besoin du groupe catholique collaborationniste qui lâavait accompagnĂ© depuis la crise de juillet 1945 » et qui lui avait assurĂ© sa respectabilitĂ© Ă lâextĂ©rieur, Franco rendit un arbitrage qui dĂ©boucha en fĂ©vrier 1956 sur un remaniement ministĂ©riel favorable Ă la Phalange, par quoi Franco entendait satisfaire la jeunesse phalangiste, mais aussi la remettre au pas[15] - [16].
Une autre occurrence de mise entre parenthĂšses des droits formulĂ©s dans la Charte se produisit en 1962. Concomitamment Ă une vague de grĂšves miniĂšres dans les Asturies, les sentiments antifranquistes gagnĂšrent en ampleur dans toute lâEurope et prirent une forme concrĂšte lors du IVe congrĂšs du Mouvement europĂ©en rĂ©uni Ă Munich entre les 5 et , rassemblement que le journal Arriba taxa pĂ©jorativement de « contubernio (concubinage, acoquinement) de Munich ». Le congrĂšs avait conviĂ© un large Ă©ventail de personnalitĂ©s espagnoles dâopposition, â au nombre dâune centaine, rĂ©sidant en Espagne ou vivant en exil, issus y compris des factions monarchiste et catholique[17] - [18] â, pour examiner les conditions dâune dĂ©mocratisation de lâEspagne. Ce fut la premiĂšre rencontre formelle entre les diffĂ©rents groupes dâopposition au rĂ©gime de Franco, Ă lâexception des communistes[19]. Ă lâissue des dĂ©bats, tous signĂšrent une dĂ©claration commune exigeant que lâadhĂ©sion de lâEspagne Ă la CEE soit subordonnĂ©e Ă lâexistence dâ« institutions dĂ©mocratiques » approuvĂ©es par le peuple, Ă savoir : la garantie des droits de la personne humaine, la reconnaissance de la personnalitĂ© des rĂ©gions, les libertĂ©s syndicales, et la lĂ©gislation des partis politiques[20]. Franco reçut la nouvelle de cette rĂ©union comme une vĂ©ritable camouflet, cria au complot judĂ©o-maçonnique et suspendit lâarticle 14 de la Charte des Espagnols, qui autorisait Ă choisir librement son lieu de rĂ©sidence, le gouvernement faisant en effet savoir aux signataires rĂ©sidant en Espagne quâils pouvaient choisir entre lâexil volontaire ou la dĂ©portation Ă leur retour au pays ; un bon nombre optĂšrent alors pour lâexil[21] - [22].
Esprit de la Charte et généalogie
Selon certains constitutionnalistes, les dĂ©clarations de droits civiques doivent ĂȘtre vues comme un produit du pouvoir en place, par lequel lâĂtat sâĂ©vertue, selon les termes de Chris Thornhill, à « consolider et unifier ses fonctions par lâintĂ©riorisation dâune considĂ©ration monofocale de son pouvoir et par un ensemble stable de normes originales destinĂ©es Ă authentifier son pouvoir »[23], point de vue qui rejoint la vision dâHĂšctor LĂłpez Bofill sur le pouvoir dâĂtat et sur les processus constituants comme opĂ©rations violentes et coercitives de « blindage » du pouvoir[24]. Les constitutions, surtout leur partie dogmatique, ne seraient que des mĂ©canismes de lĂ©gitimation de telles opĂ©rations, non exemptes de violence, menĂ©es par le pouvoir politique. Dâautres auteurs (comme Samuel Moyn) ont analysĂ© lâĂ©volution du langage des dĂ©clarations de droits au cours de la dĂ©cennie 1940, puis dans les annĂ©es 1970 et 1980, mettant mĂ©ticuleusement au jour leur usage politique et leur Ă©volution ; aprĂšs la chute du communisme, lâhistoire des droits humains aurait suivi une Ă©volution se situant dans la droite ligne des XVIIIe siĂšcle et XIXe siĂšcle, en faisant lâimpasse sur les antagonismes entre groupes sociaux ou entre classes sociales â le « dĂ©ficit sociologique » dont parle Thornhill[25]. Câest sous cet angle quâil convient de dĂ©masquer la culture organiciste et autoritaire qui sous-tend la Charte des Espagnols[26].
Winston Churchill figura, au lendemain de sa dĂ©faite Ă©lectorale face aux travaillistes, comme le principal reprĂ©sentant de la rĂ©volution des droits de l'homme, qui sâĂ©vertua aprĂšs la Seconde Guerre mondiale Ă construire un systĂšme de droits davantage comme arme de lutte politique que comme norme juridique, projet conservateur avec lequel ne dĂ©tonait pas le discours politique ayant alors cours en Espagne. Nonobstant les condamnations prononcĂ©es contre Franco et lâisolement de son rĂ©gime, une partie des Ă©lites conservatrices dâEurope occidentale partageaient avec les Ă©lites espagnoles non seulement le rejet du socialisme, dĂ©mocratique ou non, mais aussi un certain penchant pour les systĂšmes organicistes. Chez une part importante des intellectuels animant cette mouvance, on trouve la mĂȘme sĂ©dimentation corporatiste qui caractĂ©rise aussi le franquisme, lequel, sâil dĂ©fendait un projet de sauvegarde des droits, lâenserrait au-dedans dâun ordre social, politique et Ă©conomique dĂ©terminĂ©. Ainsi p. ex. la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme prĂ©sente-t-elle une armature institutionnelle conçue pour partie par des mouvements conservateurs hĂ©ritiers du corporatisme et du suprĂ©macisme chrĂ©tien, et la culture actuelle des droits de lâhomme se fonde-t-elle notamment sur des documents de cette Ă©poque. Il est vrai dâautre part que cette culture est diffĂ©rente aujourdâhui de ce quâelle fut dans lâimmĂ©diat aprĂšs-guerre, vu que les profondes transformations politiques et les changements culturels survenus dans les dĂ©cennies 1940 et 1950 ont fini par engendrer une culture des droits de lâhomme moderne et dĂ©mocratique[27] - [note 2].
On remarque la prĂ©sence dans la Charte des Espagnols, dĂšs lâorĂ©e du texte, du syntagme « droit de la personne humaine » en lieu et place de « droits de lâhomme ». Selon Ălvarez Cora, lâutilisation de cette expression et dâautres telles que « bien commun », « loyautĂ© » et « patrie » illustre le dĂ©calage formel par rapport aux constitutions libĂ©rales[28]. Cependant, lâexpression « libertĂ© de la personne humaine », que lâon retrouve Ă©galement dans le discours des conservateurs français, a une portĂ©e beaucoup plus large, car, tributaire de la pensĂ©e traditionaliste et organiciste, elle donne corps Ă lâidĂ©ologie romantique, catholique et organiciste que le franquisme sâattachait Ă remettre en honneur Ă ce moment-lĂ . En parlant de « personne humaine » au lieu dâ« homme » ou dâ« individu », le discours catholique donnait forme Ă sa conception de lâĂȘtre humain comme entitĂ© intĂ©grĂ©e dans une communautĂ© ; significativement en effet, le vocable « personne », trĂšs cher au catholicisme social, se rencontre Ă plusieurs reprises dans lâencyclique Rerum Novarum de mĂȘme que dans Quadragesimo anno[29].
Cette pensĂ©e aimait Ă se prĂ©senter comme alternative aux tensions entre Est et Ouest, entre capitalisme et communisme, et dĂ©montre lâintĂ©rĂȘt quâavaient les auteurs franquistes non seulement pour un projet dâorganisation sociale et politique en Espagne mĂȘme, mais aussi Ă donner Ă lâEspagne un rĂŽle de premier plan dans lâEurope en cours de reconstruction de ces annĂ©es. Les promoteurs de ce programme catholique et nostalgique nâĂ©taient pas sans savoir que de lâautre cĂŽtĂ© des PyrĂ©nĂ©es on brandissait des arguments similaires, et il y eut Ă coup sĂ»r des contacts et des Ă©changes dâidĂ©es, de projets et de publications entre auteurs espagnols, français et italiens[30]. Selon Ălvaro d'Ors en effet, lâEspagne proposait entre deux conceptions, « la russe et lâamĂ©ricaine » (la rusa y la yanqui, dans les termes de DâOrs)[31], une voie tierce, celle de la pensĂ©e catholique, dĂ©jĂ exprimĂ©e dans lâĆuvre des auteurs classiques de lâĂ©cole de Salamanque ; DâOrs, pour prĂŽner la crĂ©ation dâune « CommunautĂ© chrĂ©tienne »[32] fondĂ©e sur le droit naturel, sâautorisait de quelques idĂ©es de Vitoria et de SuĂĄrez. La voie tierce quâavait en vue cet auteur sâincarnait en lâEspagne, qui avait dĂ©montrĂ©, tant historiquement que dans les derniĂšres annĂ©es, savoir dĂ©fendre un ordre du monde en adĂ©quation avec les « voies insondables de Dieu »[30] - [33]. Face au communisme russe et Ă lâimpĂ©rialisme « yankee », DâOrs et dâautres penseurs offraient donc une alternative pour lâEspagne, lâEurope et le monde, et lâun des axes de leur programme politique Ă©tait la vieille conception rĂ©novĂ©e de la personne humaine, propre Ă dĂ©passer aussi bien le grĂ©garisme communiste que lâindividualisme façonnĂ© sur le moule protestant[30].
Si en outre on postule lâidĂ©e de la personne humaine comme Ă©tant raccordĂ©e Ă Dieu, on perçoit alors dans la relation entre homme, communautĂ© et Dieu lâessence de la conception de la personne telle quâelle prĂ©vaut dans les productions doctrinales de lâĂ©poque ainsi que dans le texte de la Charte des Espagnols. Pour ces auteurs, les libertĂ©s de la personne humaine ne sont pas des remparts ou des instruments aptes Ă protĂ©ger le citoyen face au pouvoir, ni ne dessinent une sphĂšre privĂ©e dans laquelle lâĂtat ne serait pas habilitĂ© Ă intervenir. Les droits correspondent Ă des valeurs sociales et sont partie constituante de cet organisme harmonieux quâest la communautĂ© nationale. LâĂ©tat doit prĂ©server, comme Ă©lĂ©ments indissociables, lâintĂ©gritĂ© de la nation ou de la patrie dâune part, et la libertĂ© de lâhomme dâautre part, ce que le juriste Alfonso GarcĂa-Valdecasas formula explicitement dans un texte de 1942, qui prĂ©figure le langage de la Charte des Espagnols[34] :
« LâintĂ©gritĂ© de la patrie est pour nous non seulement physique, territoriale ou gĂ©ographique, mais aussi morale : câest lâintĂ©gritĂ© de sa vie et de son esprit ; dâelle fait partie le culte des valeurs hispaniques qui ont donnĂ© Ă lâEspagne son sens universel dans le monde et auxquelles elle doit continuer de se vouer. LâĂtat se doit dâĂȘtre lâinstrument pour sauvegarder ces valeurs sacrĂ©es. Ainsi se conçoivent pour nous, par exemple, la libertĂ©, lâintĂ©gritĂ© et la dignitĂ© de lâhomme[35]. »
Il en dĂ©rive ainsi une conception organiciste des droits de la personne, oĂč ceux-ci ne se rapportent pas Ă lâindividu, mais Ă la sociĂ©tĂ©, et oĂč en consĂ©quence, lâĂtat a lâobligation dâharmoniser ces droits avec la communautĂ© nationale. Ces penseurs, et Ă leur suite les rĂ©dacteurs de la Charte des Espagnols, prennent pour point de dĂ©part le postulat de lâexistence de certaines structures naturelles de la sociĂ©tĂ© dans lesquelles lâhomme sâintĂšgre et quâil convient de protĂ©ger dans leur intĂ©gritĂ©. Dans la Charte des Espagnols, il nây a pas place pour une sauvegarde des libertĂ©s humaines qui serait dĂ©connectĂ©e de la dĂ©fense de la nation et de son intĂ©gritĂ© â intĂ©gritĂ© physique et territoriale, et intĂ©gritĂ© de sa vie et de son esprit. Par exemple, si le droit « Ă participer aux fonctions publiques de nature reprĂ©sentative » y est proclamĂ©, ce droit aura toujours Ă sâexercer par le biais des structures « naturelles » de la sociĂ©tĂ© que sont, selon ce quâĂ©nonce la Charte, « la famille, la commune et le syndicat »[34].
Câest dans les limitations posĂ©es aux droits de la personne que se manifeste le plus clairement la vision organiciste de la sociĂ©tĂ© et de la personne vĂ©hiculĂ©e par la Charte. Par exemple, en ce qui a trait Ă la libertĂ© d'expression, le lĂ©gislateur en prĂ©cise les modalitĂ©s en Ă©tablissant que « Tout Espagnol pourra exprimer librement ses idĂ©es pour autant quâelles ne portent pas prĂ©judice aux principes fondamentaux de lâĂtat », oĂč peuvent se dĂ©tecter deux restrictions. Dâabord dans lâadverbe dont est assorti lâexercice de ce droit : il nây a pas de libertĂ© dâexpression tout court, mais celle dâexprimer librement les idĂ©es. Ensuite, cette libertĂ© est subordonnĂ©e au respect des « principes fondamentaux de lâĂtat », ce dernier Ă©tant lâorgane chargĂ© dâassurer lâharmonie entre les attributs moraux de lâindividu et ceux de la sociĂ©tĂ©[36].
Contenu et dispositions
La Charte des Espagnols comprend trois titres : un titre prĂ©liminaire, qui proclame comme principe de base « le respect de la dignitĂ©, de lâintĂ©gritĂ© et de la libertĂ© de la personne humaine » ; le titre 1, « Droits et Devoirs des Espagnols » ; et le titre 2, « De lâexercice et de la garantie des droits ». Lâarticle 2 du titre 1 Ă©nonce que « les Espagnols doivent servir fidĂšlement la Patrie, faire preuve de loyalisme envers le chef de lâĂtat et obĂ©ir aux lois ». Lâarticle 6 du mĂȘme titre est ainsi libellĂ© : « la profession et la pratique de la religion catholique, qui est celle de lâĂtat espagnol, jouiront de la protection officielle. LâĂtat assumera la protection de la libertĂ© religieuse, garantie par une efficace tutelle juridique qui, en mĂȘme temps, sauvegardera la morale et lâordre public »[37]. Dignes de mention sont Ă©galement les articles suivants appartenant au titre 1 : article 12 (« Tout Espagnol pourra exprimer librement ses idĂ©es pourvu quâelles nâattentent pas aux principes fondamentaux de lâĂtat. ») ; article 13 (« lâĂtat garantit la libertĂ© et le secret de la correspondance sur le territoire national. ») ; article 14 (« Les Espagnols ont le droit de fixer librement leur rĂ©sidence sur le territoire national. ») ; article 15 (« Nul nâa le droit de pĂ©nĂ©trer dans le domicile dâun Espagnol, ni dây faire des perquisitions sans son consentement, sauf sur un mandat de lâautoritĂ© compĂ©tente et dans les cas et dans la forme Ă©tablis par les lois. ») ; article 16 (« Les Espagnols pourront se rĂ©unir et sâassocier librement en vue de fins licites et conformĂ©ment Ă ce qui est Ă©tabli par les lois ») ; article 18 (« Nul Espagnol ne pourra ĂȘtre arrĂȘtĂ©, si ce nâest dans les cas et de la maniĂšre prescrits par la loi. ») ; article 21 (« Les Espagnols pourront adresser individuellement des pĂ©titions au chef de lâĂtat, aux Cortes et aux autoritĂ©s. »)[37].
Sous le titre deux dâautre part, sont Ă noter en particulier : article 33 (« Lâexercice des droits reconnus dans la prĂ©sente Charte ne devra pas porter atteinte Ă lâunitĂ© spirituelle, nationale et sociale de lâEspagne. ») ; article 34 (« Les Cortes voteront les lois nĂ©cessaires Ă lâexercice des droits reconnus par cette Charte. ») ; et article 35 (« Les articles douze, treize, quatorze, quinze, seize et dix-huit pourront ĂȘtre suspendus temporairement et par dĂ©cision du gouvernement, soit totalement, soit partiellement, par un dĂ©cret-loi qui fixera limitativement la portĂ©e et la durĂ©e de la mesure. »)[37].
Lâarticle 33 de la Charte fait figure de clef de voĂ»te du systĂšme de libertĂ©s de la personne humaine, en ce quâil Ă©nonce que « lâexercice des droits reconnus dans la prĂ©sente Charte ne devra pas porter atteinte Ă lâunitĂ© spirituelle, nationale et sociale de lâEspagne ». Ces limitations serviront comme outils Ă lâusage des institutions de lâĂtat pour dĂ©nier lâexercice des droits durant la dictature. Dans la conception des droits telle quâelle dĂ©coule de ce systĂšme, les libertĂ©s seraient des attributs moraux de la sociĂ©tĂ©, et non pas uniquement de la personne et ne pourront dĂšs lors sâexercer selon la libre autonomie individuelle. De lĂ vient lâimportance du concept de personne comme titulaire des droits, personne conçue non pas comme ĂȘtre individuel, mais comme Ă©lĂ©ment dâune communautĂ© nationale, comme membre de plusieurs organes. Le terme personne reflĂšte ainsi lâinsertion du sujet dans la sociĂ©tĂ©, se rĂ©fĂšre au statut civil dĂ©rivĂ© de lâappartenance Ă une collectivitĂ©. La Charte sâinscrit dans un projet politique cohĂ©rent, dans la continuitĂ© de la pensĂ©e catholique espagnol de tradition ancienne. Le Fuero, selon l'historien du droit Alfons Aragones, « constitue en dĂ©finitive un programme politique qui regarde vers le passĂ© et se projette vers lâavenir, qui sâappuie sur la tradition mais a la vocation dâordonner lâEspagne et lâEurope du futur »[38].
Câest effectivement par l'article 33, mais aussi par les articles 12 et 35 de la Charte que le recours Ă lâĂ©tat d'exception est rendu possible. En effet, lâarticle 35 de la Charte permet au rĂ©gime de suspendre de maniĂšre provisoire ou totale les articles concernant la libertĂ© dâopinion (article 12), le droit Ă la libertĂ© et au secret de la correspondance (article 13), les droits Ă la libertĂ© de rĂ©sidence (article 14) et Ă lâinviolabilitĂ© du domicile (article 15), les droits dâassociation et de rĂ©union (article 16) et la garantie contre des arrestations arbitraires (article 18). Câest la Loi relative Ă lâordre public (Ley de Orden PĂșblico, en abrĂ©gĂ© LOP) de qui prĂ©cise que « dans le cas de lâexistence dâune quelconque menace Ă la Loi et Ă lâOrdre qui ne peut ĂȘtre rĂ©solue par les moyens ordinaires », lâĂ©tat dâexception pouvait ĂȘtre dĂ©crĂ©tĂ© et qui, par consĂ©quent, confĂ©rait Ă lâautoritĂ© administrative des pouvoirs extraordinaires. Lâarticle 2 de la LOP dresse longuement la liste de tous les actes contraires Ă lâordre public, avant de prĂ©ciser que sont inclus aussi tous les actes qui nâauraient pas Ă©tĂ© citĂ©s prĂ©cĂ©demment mais qui « altĂ©reraient la paix publique ou la coexistence sociale ». Sans surprise dans le cas dâun rĂ©gime autoritaire tel que le rĂ©gime franquiste, tout acte attentatoire Ă lâordre relevait donc Ă la fois de lâillicite et du subversif, du violent et du sĂ©ditieux[39]. La Loi du instituant un Tribunal dâOrdre Public rend encore plus explicite cette conception Ă la fois martiale, extensive et obsessionnelle de la dĂ©fense de lâordre, en stipulant que ce tribunal a compĂ©tence pour traiter tout type dâacte qui vise ou viserait « Ă subvertir les principes de base de lâĂtat, perturber lâordre public ou semer une vive inquiĂ©tude dans la conscience nationaleâŻÂ»[40].
En rĂ©alitĂ©, lâidĂ©e mĂȘme de droits civiques et politiques vis-Ă -vis de lâĂtat Ă©tait contradictoire avec les fondements doctrinaux du rĂ©gime, pour lequel « les intĂ©rĂȘts individuels et collectifs » devaient « toujours rester subordonnĂ©s au bien commun de la Nation », ainsi que le soulignait la Loi sur les principes du Mouvement national de 1958. Deux droits civils aussi importants que la libertĂ© religieuse et la libertĂ© de la presse furent restreints, encore que les subsĂ©quentes Loi sur la libertĂ© religieuse, adoptĂ©e en 1967 au lendemain du Concile Vatican II, et Loi sur la presse de 1966 aient apportĂ© quelque assouplissement. NĂ©anmoins, la confessionnalitĂ© catholique de lâĂtat espagnol, proclamĂ©e dans la Charte des Espagnols et confirmĂ©e dans le Concordat de 1953 et dans la Loi sur les principes du Mouvement national, se maintiendra jusquâĂ la fin comme trait fondamental du franquisme, qui dĂšs lors intĂ©gra dans sa lĂ©gislation le code moral de lâĂglise catholique, particuliĂšrement prĂ©judiciable pour les droits de la femme. De lĂ vient aussi que le mariage civil, le divorce et les contraconceptifs restĂšrent interdits jusquâĂ la mort du Caudillo, de mĂȘme quâĂ©taient poursuivis lâadultĂšre et la vie maritale hors mariage, pendant que le Code pĂ©nal sanctionnait lâavortement et rĂ©tablissait la peine de mort[41].
Sur le plan des droits politiques, il est significatif que le nouveau rĂ©gime nâadmettait dâautre parti que le parti unique FET y de las JONS, fondĂ© par dĂ©cret du , dans le sein duquel Ă©taient rassemblĂ©es « toutes les forces nationales au service de lâĂtat », et base du futur « Mouvement national ». Lâinterdiction de tous les autres partis fut ratifiĂ©e dans la Loi sur les responsabilitĂ©s politiques, mise en Ćuvre de façon rĂ©troactive, et intĂ©grĂ© dans le Code pĂ©nal de 1944 jusquâĂ lâadoption de la Loi sur les associations en 1974[42]. Cette situation Ă©tait renforcĂ©e par la prohibition des rassemblements sans autorisation prĂ©alable (ordonnances du et du ), sauf si elles se tenaient sous lâĂ©gide du Mouvement national, de lâĂglise ou de lâuniversitĂ©, ce qui fait dire Ă lâauteur Jean Testas que « la Charte des Espagnols les place sur une voie relativement libre, sans doute, mais dont il est impossible de sâĂ©loigner »[37].
En ce qui touche aux droits sociaux, le rĂ©gime franquiste avait consenti Ă en reconnaĂźtre quelques-uns par la voie du Fuero del Trabajo (Charte du travail, de 1938), notamment ceux concernant le travail, mais dans le cadre dâune vision corporatiste et paternaliste de lâĂ©conomie et de la sociĂ©tĂ©, oĂč lâinfluence fasciste ainsi que catholique Ă©taient manifeste, et qui conduisit Ă mettre sur pied des syndicats dits « verticaux » sous la houlette de lâOrganizaciĂłn Sindical Española (OSE) et dirigĂ©s par le parti unique, et Ă abolir le droit de grĂšve. Cependant, sans remettre en question ce cadre, la Charte des Espagnols reconnaissait Ă son tour certains droits de nature sociale, comme lâaccĂšs Ă lâinstruction, aux soins mĂ©dicaux et Ă un ensemble dâaides en cas de maladie ou dâaccident du travail, qui seront prĂ©cisĂ©s ultĂ©rieurement par diffĂ©rentes lois[43].
Commentaire de quelques articles en particulier
LibertĂ© religieuse et religion dâĂtat
- Article 6 - La profession et la pratique de la Religion catholique, qui est celle de lâĂtat espagnol, jouira de la protection officielle. Nul ne sera inquiĂ©tĂ© en raison de ses croyances religieuses ni de lâexercice prive de son culte. Ne seront pas permises les cĂ©rĂ©monies ou les manifestations extĂ©rieures autres que celles de la Religion catholique.
AntĂ©cĂ©dents : idĂ©e de lâĂ©quivalence entre unitĂ© nationale et unitĂ© religieuse
La dĂ©claration de confessionnalitĂ© de lâĂtat que comporte lâarticle 6, câest-Ă -dire la reconnaissance du catholicisme au rang de religion dâĂtat, est lâaboutissement dâun long processus engagĂ© dĂšs le dĂ©but de la Guerre civile.
Dans les milieux catholiques espagnols rĂ©gnait alors la conviction que la foi religieuse Ă©tait ce qui permettait Ă lâEspagne de rester fidĂšle Ă elle-mĂȘme, raison pour laquelle il Ă©tait inenvisageable que lâessence de lâĂtat espagnol puisse ĂȘtre dissociĂ© de son essence catholique ; comme aimait Ă le certifier une revue catholique[44], « lâunitĂ© nationale se fonde sur la foi »[45]. La foi catholique jouissant en Espagne dâune tradition sĂ©culaire, la nation espagnole est insĂ©parable de sa catholicitĂ©, dont une manifestation importante est constituĂ©e par les relations de lâĂtat espagnol avec le Saint-SiĂšge, ainsi que le souligna le nonce apostolique en Espagne, monseigneur Antoniutti en 1958[46] : « LâEspagne a toujours, dans le dĂ©cours des siĂšcles, considĂ©rĂ© les relations avec le Saint-SiĂšge comme Ă©troitement liĂ©es Ă ses vicissitudes historiques, religieuses et civiles »[47]. Le mĂȘme Antoniutti le rappela encore en 1962 dans les termes suivants : « LâĂglise catholique demande Ă prĂ©server les valeurs dont elle est dĂ©positaire et Ă maintenir sans fissures lâunitĂ© religieuse du pays ; elle est certaine par lĂ de collaborer Ă la conservation de lâunitĂ© nationale, qui est la meilleure garantie de la sĂ©curitĂ© civile et de lâĂ©lĂ©vation morale des citoyens »[48]. ZacarĂas de Vizcarra, Ă©vĂȘque conciliaire membre de lâAction catholique, qui estimait que lâunitĂ© religieuse de la nation espagnole avait Ă©tĂ© raffermie par la victoire nationaliste de 1939, Ă©crivit dans le mĂȘme sens en 1956 : « De nos jours, une minoritĂ© bigarrĂ©e de libĂ©raux, socialistes, communistes, francs-maçons, non-croyants et hĂ©tĂ©rodoxes de diverses espĂšces sâest emparĂ© des instruments de publicitĂ© et des rĂȘnes du gouvernement Ă tel point que le prĂ©sident franc-maçon de la rĂ©publique espagnole, monsieur Manuel Azaña, sâest enhardi Ă proclamer que lâEspagne avait cessĂ© dâĂȘtre catholique. Cependant, lâauthentique peuple espagnol sâest dressĂ© contre cette fiction et cette tyrannie, au cri de âPour Dieu et pour Espagneâ, et vainquit la funeste minoritĂ© dominante et les masses nationales et internationales sĂ©duites par elle, en engageant et en soutenant une croisade populaire dure et risquĂ©e, avec des armes inĂ©gales, couronnĂ©es par Dieu de la victoire la plus totale ». LâunitĂ© catholique Ă©tait considĂ©rĂ©e par lâĂ©piscopat comme un ciment trĂšs puissant quâil y a lieu de prĂ©server de tout atteinte[49], attendu quâ« en Espagne, la perte de lâunitĂ© religieuse est Ă brĂšve Ă©chĂ©ance la perte de lâunitĂ© nationale, par la dissĂ©mination dâidĂ©es contradictoires »[50]. Les Ă©crits catholiques contenaient des rĂ©fĂ©rences continuelles au patrimoine spirituel traditionnel de lâEspagne et Ă la compĂ©nĂ©tration du civil et du religieux tout au long de lâhistoire nationale. LâĂtat franquiste lui-mĂȘme ne cessait de se rĂ©fĂ©rer Ă©galement Ă cette rĂ©alitĂ©[44].
PremiĂšres mesures dans le sens dâune officialisation de la religion catholique (1936-1945)
Les prĂ©misses de lâofficialisation du catholicisme Ă©taient apparues dĂšs avant la fin de la Guerre civile, voire dĂšs les premiers moments du soulĂšvement militaire de , câest-Ă -dire bien avant quâait vu le jour en 1938 la premiĂšre des Lois fondamentales, la Charte du travail (Fuero del Trabajo), et quâon commença dans la zone nationaliste Ă Ă©dicter des dispositions de nature fort diverse, dans le but de rendre sans effet quelques-unes des rĂšgles juridiques les plus significatives instaurĂ©es naguĂšre par la Seconde RĂ©publique, notamment en matiĂšre religieuse et, ce faisant, à « rendre » Ă la vie espagnole son inspiration chrĂ©tienne que lâon avait tenter dâeffacer. Parmi ces premiĂšres dispositions figurent lâOrdre du interdisant lâusage dans les Ă©coles de manuels scolaires contraires aux principes du dogme et de la morale chrĂ©tiennes et l'Ordre du prescrivant le rĂ©tablissement de lâĂ©tude de la religion et de lâhistoire sainte dans les Ă©coles nationales dâenseignement primaire. Similaires dans leurs termes et leur contenu apparaissent les Ordres du et du Ă©mis cette fois Ă lâintention des Ă©tablissements dâenseignement secondaire et des Ă©coles normales[51].
BientĂŽt, dĂšs lâannĂ©e 1937, plusieurs commĂ©morations et fĂȘtes religieuses furent dĂ©clarĂ©es fĂȘtes nationales, ce qui ramena la situation Ă celle qui avait prĂ©valu sous ce rapport avant lâavĂšnement de la RĂ©publique, et un Ordre du mettait en place lâassistance religieuse aux forces combattantes du camp nationaliste. MĂ©ritent mention Ă©galement la Loi du abrogeant le mariage civil instituĂ© en 1932 ; le DĂ©cret du rĂ©tablissant la Compagnie de JĂ©sus, qui avait Ă©tĂ© dissoute et dont les biens avaient Ă©tĂ© saisis par DĂ©cret du , en vertu de lâarticle 26 de la constitution rĂ©publicaine ; la Loi du 10 dĂ©cembre 1938, abrogeant celle de sĂ©cularisation des cimetiĂšres adoptĂ©e le ; la Loi du , abrogeant celle sur les Confessions et CongrĂ©gations religieuses du ; et le DĂ©cret du relatif Ă la vente des biens de lâĂglise. Toutes ces initiatives lĂ©gislatives dĂ©notent une volontĂ© affirmĂ©e de donner un traitement de faveur Ă lâĂglise espagnole et Ă sa hiĂ©rarchie[52]. Il faut y ajouter enfin le dĂ©cret du exemptant lâĂglise de la contribution territoriale[53].
La proximitĂ© entre le rĂ©gime franquiste et lâĂglise se faisait progressivement plus patent, Ă tout le moins dans les discours extĂ©rieurs et dans les manifestations publiques. Compte tenu de lâincapacitĂ© du pouvoir civil et militaire dâassumer seul la vaste tĂąche de propagande et de reconquĂȘte mentale des populations, il Ă©tait escomptĂ© que lâĂglise y contribuerait par une imprĂ©gnation religieuse et chrĂ©tienne graduelle de la sociĂ©tĂ© espagnole tout entiĂšre[54]. Pourtant, Ă lâorigine, lâimportance du facteur religieux nâavait pas Ă©tĂ© perçue par les insurgĂ©s ; au dĂ©part en effet, ni les chefs rebelles, ni Franco ne se voyaient comme des « croisĂ©s », mais plutĂŽt comme des « dĂ©fenseurs de lâordre rĂ©publicain ». DĂšs lors, il est logique que dans les premiĂšres dĂ©clarations publiques nationalistes, aucune rĂ©fĂ©rence nâait Ă©tĂ© faite Ă lâĂ©lĂ©ment religieux et que celui-ci nâapparaisse pas, ni explicitement ni implicitement, dans la premiĂšre proclamation de Franco aprĂšs le soulĂšvement militaire. Du reste, on note dans la composition de la Junta de Defensa Nacional (ComitĂ© de dĂ©fense nationale) convoquĂ©e le , que son prĂ©sident Miguel Cabanellas Ă©tait un libĂ©ral, un modĂ©rĂ© et un franc-maçon notoire, et que parmi ses membres seuls quelques-uns, formant un groupe minoritaire, avaient dĂ©ployĂ© une activitĂ© au sein du catholicisme. Pas davantage on ne relĂšve dans le programme de ladite Junta la moindre allusion Ă la religion[55] - [56] - [note 3].
En revanche, le nouvel Ătat ne cessera ensuite, au cours de son processus de structuration et de dĂ©finition, et tout au long de son cheminement lĂ©gal, de faire, dans ses diffĂ©rentes dispositions, mention de lâĂglise, de la religion catholique, voire de la loi de Dieu, et ce dâemblĂ©e, par des lois de rang trĂšs diffĂ©rent dans la hiĂ©rarchie normative. Si Franco avait besoin de lâappui et de la reconnaissance de lâĂglise espagnole et pouvait certes se rĂ©jouir de lâappui explicite et des dĂ©clarations en sa faveur de lâĂglise au niveau national, ce soutien ne suffisait pas Ă la poursuite de ses objectifs, qui dĂ©passaient les frontiĂšres nationales. Cependant, lâĂglise Ă lâĂ©chelon international nâĂ©tait pas disposĂ©e Ă accĂ©der a priori Ă de telles demandes sans contrepartie[57].
Finalement, le rĂ©gime reçut la sanction de lâĂglise par voie dâune lettre pastorale collective intitulĂ©e « Aux Ă©vĂȘques du monde entier », rĂ©digĂ©e par le cardinal GomĂĄ et signĂ©e par deux cardinaux, six archevĂȘques et 35 Ă©vĂȘques, câest-Ă -dire par tous les Ă©vĂȘques hormis cinq (abstraction faite de ceux assassinĂ©s dans la zone rĂ©publicaine), et publiĂ©e avec lâapprobation du Vatican le [58]. Le document, oĂč la position des prĂ©lats de lâĂglise espagnole Ă©tait exposĂ©e en dĂ©tail, reconnaissait la lĂ©gitimitĂ© du combat des nationalistes, tout en se rĂ©servant dâĂ©valuer ultĂ©rieurement la forme spĂ©cifique que prendrait le rĂ©gime franquiste[59] ; sâil compromit lâĂglise dâEspagne pour des dĂ©cennies, ce texte agit aussi comme rĂ©vĂ©lateur des clivages que la sacralisation de la Guerre civile avait commencĂ© Ă susciter parmi les catholiques. Certains Ă©vĂȘques sâabstinrent de la signer, et certains Ă©lĂ©ments suggĂšrent que Pie XI ne lâapprĂ©ciait guĂšre[60].
Dans le Fuero del Trabajo nâapparaissaient encore que de timides expressions et dĂ©clarations de principe en faveur de lâĂglise et de la religion catholique, sans mĂȘme que ni lâune ni lâautre nây soient nommĂ©s[57]. LâexposĂ© des motifs de cette Charte Ă©nonçait en effet : « RĂ©novant la tradition catholique de justice sociale et le haut sens humain qui prĂ©sida Ă la lĂ©gislation de notre glorieux passĂ© [âŠ], subordonnant lâĂ©conomie Ă la dignitĂ© de la personne humaine, prenant en considĂ©ration ses nĂ©cessitĂ©s matĂ©rielles et les exigences de sa vie intellectuelle, morale, spirituelle et religieuse [...]. LâĂtat espagnol formule les prĂ©sentes dĂ©clarations, qui inspireront sa politique sociale et Ă©conomique »[61]. On note des rĂ©fĂ©rences religieuses dans dâautres passages du mĂȘme texte, p. ex. celui oĂč Dieu est invoquĂ© comme source dont Ă©mane le devoir de travail et sur laquelle se fonde le droit corrĂ©latif, instituĂ©s lâun et lâautre par lâĂtat pour lâaccomplissement des finalitĂ©s individuelles et pour la prospĂ©ritĂ© et la grandeur de la Patrie. Le principe deuxiĂšme aussi contient une dĂ©claration intĂ©ressante sous ce point de vue : « LâĂtat prĂ©servera le repos dominical comme condition sacrĂ©e dans la prestation du travail », puis Ă la ligne suivante : « sans perte de salaire et en ayant Ă©gard aux besoins des entreprises, les lois rendront obligatoire le respect des fĂȘtes religieuses et civiles dĂ©clarĂ©es par lâĂtat »[62].
Quant Ă la Loi constitutive des Cortes du , la deuxiĂšme des Lois fondamentales, elle Ă©nonce, dans lâarticle deuxiĂšme rĂ©glementant la composition des Cortes, que parmi ses membres (Procuradores) devront figurer « telles personnes qui en raison de leur [position dans la] hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique, [âŠ] seront dĂ©signĂ©es par le Chef de lâĂtat aprĂšs consultation du Conseil du Royaume, leur nombre ne dĂ©passant pas les vingt-cinq »[63].
Il convient de signaler par ailleurs que le manifeste de la Phalange Ă©nonçait sous son point no 25, non modifiĂ© Ă lâoccasion de lâunification, ce qui suit : « Notre mouvement intĂšgre le sens catholique â de glorieuse tradition en Espagne â dans la reconstruction nationale. LâĂglise et lâĂtat accorderont leurs compĂ©tences respectives, sans que soit admise aucune ingĂ©rence ou activitĂ© portant atteinte Ă la dignitĂ© de lâĂtat ou Ă lâintĂ©gritĂ© nationale »[64].
Enfin, dans la Charte des Espagnols, est consacrĂ©e pour la premiĂšre fois, dans un texte hors concordat, la confessionnalitĂ© de lâĂtat espagnol[63].
Charte des Espagnols et confessionnalisation de lâĂtat
De lâensemble de ces lois fondamentales, et de la Charte des Espagnols en particulier, il appert que les premiers engagements formels pris au plus haut niveau par le nouvel Ătat en matiĂšre ecclĂ©siastique bĂ©nĂ©ficiĂšrent Ă la religion catholique, Ă ses ministres et aux lois divine et canonique ; plus particuliĂšrement, lâĂtat espagnol sâengageait dĂ©sormais en faveur de la religion catholique, quâil entendait, par suite de son statut de religion de lâĂtat espagnol, protĂ©ger. LâĂtat assignait Ă lâĂglise un rĂŽle capital, dĂšs lors que l'Ătat ne connaĂźt ni la doctrine Ă laquelle il est supposĂ© adhĂ©rer, si celle-ci nâest pas prĂ©alablement prĂ©cisĂ©e par lâĂglise, ni les lois divine et canonique autrement que formulĂ©es par lâĂglise, et dĂšs lors en outre quâil ne dĂ©termine pas lui-mĂȘme quels membres de la haute hiĂ©rarchie et quels ministres il est tenu dâaccepter et de protĂ©ger, ni quelle action ceux-ci entreprendront librement dans le sein de la sociĂ©tĂ© espagnole, attendu que câest lâĂglise qui dĂ©cide de ces deux Ă©lĂ©ments. LâĂtat acceptait lâexistence dâune haute hiĂ©rarchie de lâĂglise dont il reconnaĂźt les facultĂ©s dâaction et, une fois celles-ci reconnues, permet quâelles agissent de facto, avec effectivitĂ© juridique, dans la sphĂšre de la souverainetĂ© dâĂtat ; vu que tout cela sâopĂ©rait par suite de la dĂ©cision de lâĂtat de renoncer Ă exercer sa souverainetĂ© dans le champ ecclĂ©siastique, il sâensuit que lâĂtat lui-mĂȘme cĂ©dait Ă lâĂglise une part de souverainetĂ© quâil s'abstenait d'exercer[65] - [66].
AprĂšs une pĂ©riode de silence, lâĂ©piscopat espagnol se prononça en faveur de ce que la religion catholique soit religion officielle de lâĂtat espagnol en allĂ©guant que lâEspagne ne pouvait se comprendre si on la dĂ©liait de sa foi religieuse, que lâhistoire dâEspagne doit sâinterprĂ©ter en fonction du fait religieux et que le principe catholique devait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme consubstantiel Ă lâessence de la nation espagnole, dâoĂč il dĂ©coulait quâunitĂ© catholique et unitĂ© nationale Ă©taient des Ă©lĂ©ments indissociables[46].
Plus tard, le cardinal Quiroga Palacios, archevĂȘque de Saint-Jacques-de-Compostelle, dans sa rĂ©ponse Ă lâinvocation prononcĂ©e par le chef de lâĂtat dans cette mĂȘme ville en 1954, rĂ©affirma le devoir de toute sociĂ©tĂ© de rendre culte Ă Dieu, puis, sâappuyant sur des textes des Saintes Ăcritures et de plusieurs papes, de GrĂ©goire XVI Ă Pie XII, formula la « thĂšse thĂ©ologico-juridique selon laquelle toute sociĂ©tĂ© et, par voie de consĂ©quence, tout Ătat est obligĂ© dâembrasser, et de professer, de conserver et de protĂ©ger la seule vĂ©ritable religion qui est la catholique [...]. Et lorsque dans une nation, ainsi que cela est heureusement le cas en Espagne, se prĂ©sente une unanimitĂ© morale dans la profession de la religion vĂ©ritable, non seulement la confessionnalitĂ© de lâĂtat est logique et obligĂ©e, mais encore il y a lieu de conserver comme un trĂ©sor des plus prĂ©cieux lâunitĂ© catholique ». Il expose ensuite sa vision des relations Ăglise-Ătat, affirmant que « lâĂtat espagnol, gardant sa trĂšs-juste autonomie naturelle dans les affaires purement temporelles et politiques, laisse libre lâĂglise dans celles qui relĂšvent de sa compĂ©tence, tout en veillant Ă faire prĂ©valoir dans les matiĂšres mixtes une intelligence et un accord cordiaux »[67].
La confessionnalitĂ© catholique de lâĂtat espagnol, stipulĂ©e Ă lâarticle 6, 1° de la Charte des Espagnols, fut ensuite ratifiĂ©e dans lâarticle premier du concordat entre le Saint-SiĂšge et lâĂtat espagnol signĂ© le : « La religion catholique, apostolique, romaine continue dâĂȘtre la religion unique de la nation espagnole et jouira des droits et prĂ©rogatives qui lui reviennent en accord avec la Loi divine et avec le droit canon »[68]. LâĂtat espagnol allait, en matiĂšre de religion, maintenir ces deux grandes lignes juridiques â confessionnalitĂ© et tolĂ©rance â jusquâen 1967. La confessionnalitĂ© catholique de lâĂtat restera en application, tout au moins formellement, jusquâĂ lâentrĂ©e en vigueur de la constitution espagnole du 6 dĂ©cembre 1978[69] ; quant au rĂ©gime de tolĂ©rance des cultes non catholiques, consacrĂ© Ă lâarticle 6, 2° de la Charte des Espagnols, il fut modifiĂ© en 1967 et remplacĂ© par un rĂ©gime de protection juridique et de garantie de la libertĂ© religieuse sous lâautoritĂ© de lâĂtat[70].
Tolérance religieuse
Concernant la tolĂ©rance, le pape Pie XII, reprenant la doctrine de LĂ©on XIII, arrĂȘta, dans un discours restĂ© cĂ©lĂšbre prononcĂ© le devant le Ve congrĂšs des juristes catholiques Italiens, les deux principes suivants :
- a) ce qui ne rĂ©pond pas Ă la vĂ©ritĂ© et Ă la norme morale nâa objectivement aucun droit ni Ă lâexistence, ni Ă la diffusion, ni Ă lâaction ;
- b) sâabstenir dâempĂȘcher [cette tolĂ©rance] par le moyen de lois officielles et de dispositions coercitives peut cependant se trouver justifiĂ© par lâintĂ©rĂȘt dâun bien supĂ©rieur et plus universel.
LâĂ©piscopat espagnol, au fait de cette doctrine pontificale, rĂ©affirma le concept dâunitĂ© catholique, mais en le conjuguant Ă prĂ©sent avec une tolĂ©rance possible envers ce qui est contraire Ă la vĂ©ritĂ©. Monseigneur Enrique Pla y Deniel, dans un discours de 1957, posa nĂ©anmoins clairement que « le fait de devoir tolĂ©rer comme moindre mal ou comme bien possible certaines situations, ne permet pas pour autant de mĂ©connaĂźtre que le mieux reste lâunitĂ© catholique »[71].
Quand Ă©tait Ă©voquĂ©e la tolĂ©rance religieuse, on ne songeait pas tellement aux Espagnols â vu quâils Ă©taient dans leur immense majoritĂ© de confession catholique â, mais aux Ă©trangers rĂ©sidant en Espagne. Enrique Pla y Deniel note[49] : « De nos jours, avec la facilitĂ© des communications dans le monde entier, il existe de fait en Espagne un nombre apprĂ©ciable dâĂ©trangers de diffĂ©rentes confessions religieuses, et quelques-uns sont sans doute de bonne foi ; par suite, afin dâĂ©viter des maux plus grands, il est rationnel, il est prudent de tolĂ©rer le culte privĂ©, mais en aucun cas le culte public ou la propagande contre la religion catholique, vu quâaucun fondement rationnel ne la sous-tend », et « eu Ă©gard aux Ă©trangers rĂ©sidant en Espagne et face aux reprĂ©sentations de quelque puissance Ă©trangĂšre non catholique [...], la tolĂ©rance du culte privĂ© dissident fut insĂ©rĂ©e dans lâarticle 6 de la Charte des Espagnols, aprĂšs consultation prĂ©alable avec le Saint-SiĂšge »[72].
Cependant, lâĂ©piscopat se soucia de bien dĂ©limiter la portĂ©e de lâarticle 6, 2° de la Charte des Espagnols, pour sâassurer quâaucun abus ne soit possible[49]. Pla y Deniel encore avertit :
« TolĂ©rez le culte privĂ©, mais interdisez le culte public et toutes les cĂ©rĂ©monies et manifestations extĂ©rieures de confessions non catholiques. Serait considĂ©rĂ©e comme manifestation extĂ©rieure toute rĂ©union publique, tout attroupement de rue, toute exposition extĂ©rieure dâune chapelle publique non catholique, dans les prisons, etc. TolĂ©rons que les non catholiques, en leur grande majoritĂ© Ă©trangers, exercent leur culte privĂ©, mais quâils ne fassent pas de propagande prosĂ©lyte pour leurs erreurs, quâils ne tentent pas de convertir les fidĂšles catholiques Ă leurs sectes. Tout cela serait une interprĂ©tation abusive de lâarticle 6 de la Charte des Espagnols, qui nâĂ©tablit pas la libertĂ© des cultes, et serait de nature Ă perturber lâunitĂ© et la paix religieuses, et irait Ă lâencontre de lâordre public et du bien commun de notre catholique Espagne »[73]. »
DĂšs lors demeuraient interdits, comme le rappela lâarchevĂȘque de Barcelone Gregorio Modrego, tout type de propagande et toute « activitĂ© des sectes pratiquĂ©e au sein dâun peuple catholique ou Ă proximitĂ© des catholiques », attendu que « un tel dessein obstinĂ© visant Ă provoquer des dĂ©sertions des rangs catholiques, rĂ©vĂ©lateur dâun projet de briser lâunitĂ© catholique existante, et dâon ne sait quels buts ultĂ©rieurs en dehors de la sphĂšre du religieux, franchit les limites fixĂ©es Ă la tolĂ©rance dans la Charte des Espagnols, en son article 6, tel quâintĂ©grĂ© dans le Concordat rĂ©cemment conclu entre le Saint-SiĂšge et lâĂtat espagnol dans le protocole final sous lâarticle 1»[74]. De mĂȘme, on « intimait » aux protestants de « sâabstenir de tout ce qui Ă©tait interdit par la lĂ©gislation en vigueur, en se bornant Ă lâexercice privĂ© de leur culte et en se gardant de toute action prosĂ©lyte et propagandiste »[75].
Devant lâexpansion du communisme en Europe et en Asie, les militaires amĂ©ricains exprimaient un dĂ©saccord croissant avec lâhostilitĂ© du prĂ©sident amĂ©ricain Truman envers Franco et poussaient Ă la reprise des relations diplomatiques avec lâEspagne. Des obstacles demeuraient, mais Franco se montrait conciliant sur les questions que les AmĂ©ricains regardaient comme essentielles, dont notamment lâintolĂ©rance qui frappait le protestantisme en Espagne. Franco, qui avait pris soin de consulter le pape, promit dâappliquer Ă cet Ă©gard la Charte des Espagnols de la maniĂšre la plus large[76].
La liberté religieuse aprÚs juin 1967
La Loi portant rĂ©gulation de lâexercice du droit civil Ă la libertĂ© en matiĂšre religieuse du , qui modifiait en Espagne le rĂ©gime de tolĂ©rance dans le sens dâune garantie juridique de la libertĂ© religieuse, rĂ©sulte de la mise en adĂ©quation de la lĂ©gislation espagnole avec la doctrine de lâĂglise telle que formulĂ©e dans la DĂ©claration conciliaire Dignitatis humanae du , en particulier dans son article second stipulant que « la personne humaine Ă droit Ă la libertĂ© religieuse »[77] - [note 4].
LâarchevĂȘque et dĂ©ontologue Luis Alonso Muñoyerro, aprĂšs avoir dĂ©clarĂ© Ă la presse que la conduite observĂ©e par lâĂ©piscopat espagnol Ă lâĂ©gard du dĂ©cret sur la libertĂ© religieuse avait fait lâobjet de dĂ©sagrĂ©ment et dâattaques dans la presse Ă©trangĂšre, manifesta que[78] :
« Ce nâest pas par systĂšme que nous avons Ă©tĂ© opposĂ©s Ă ce quâait Ă©manĂ© du Concile un dĂ©cret sur la libertĂ© religieuse qui soit digne du Concile et qui prĂ©serve les droits de lâĂglise catholique et ne les compromet pas sous lâeffet de la doctrine et de dĂ©cisions, tandis que les non catholiques, dont beaucoup hostiles au catholicisme, pourraient Ćuvrer librement sans entraves doctrinales, en accord avec leurs idĂ©ologies ou selon leurs convenances partisanes [âŠ]. Lâhistoire nous oblige Ă vivre vigilants. Ă vous de dĂ©duire de cela ce que nous pensons en Espagne. Il ne nous a pas Ă©tĂ© occultĂ© quâil existait un projet de rĂ©glementation des activitĂ©s des non catholiques, plus spĂ©cialement des protestants, et il ne fallait pas quâĂ©mane du Concile quelque indication que ce soit qui obligerait Ă Ă©tendre la libertĂ© religieuse au-delĂ des justes limites permises par la rĂ©alitĂ© sociale et le bien commun de lâEspagne. LâunitĂ© catholique est un trĂ©sor que nous devons prĂ©server Ă tout prix »[79]. »
DĂšs le dĂ©part pourtant, lâĂ©piscopat espagnol se rangea derriĂšre le nouveau binĂŽme confessionnalitĂ© de lâĂtat / libertĂ© religieuse, parce que, selon Pedro Cantero Cuadrado, Ă©vĂȘque dâHuelva, « le fait social et politique de cette unitĂ© catholique dans la communautĂ© espagnole appelle institutionnellement le fait social et politique de la confessionnalitĂ© de lâĂtat espagnol, comme expression et garantie juridiques de lâunitĂ© catholique de la nation espagnole »[80]. Dans une exhortation de , lâĂ©piscopat espagnol indique que la confessionnalitĂ© â fondĂ©e sur lâunitĂ© catholique, qui « est une rĂ©alitĂ© historique et sociologique, non seulement sous lâangle quantitatif, mais aussi du point de vue qualitatif, plus profond, de la constitution sociale, de la culture, des traditions, des mĆurs, de lâart et de lâhistoire du peuple espagnol » â « est compatible de fait et de droit avec la reconnaissance, le respect et la garantie juridique de la libertĂ© religieuse pour tous les citoyens, quâils soient ou non catholiques »[81] - [note 5].
LâinviolabilitĂ© du domicile
- Article 15 - Nul ne pourra entrer dans le domicile dâun Espagnol ni y perquisitionner sans son consentement, si ce nâest en vertu dâun mandat de lâautoritĂ© compĂ©tente et dans les cas et dans la forme dĂ©finis par les lois.
L'Ă©noncĂ© de lâarticle laisse entendre quâil sâagit ici dâun droit fondamental â lâinviolabilitĂ© du domicile â dont ne jouissent que les seuls Espagnols, privant donc de cette mĂȘme protection les Ă©trangers rĂ©sidant sur le territoire espagnol. Cette exclusion contredit lâarticle premier de la mĂȘme charte, lequel proclame comme principe directeur des actes de lâĂtat espagnol le respect de la dignitĂ©, de lâintĂ©gritĂ© et de la libertĂ© de toute personne humaine[82].
Ă noter en particulier que lâarticle 15 Ă©voque le « mandat de lâautoritĂ© compĂ©tente » et omet donc de stipuler que lâautoritĂ© judiciaire est la seule instance de lĂ©gitimation juridique habilitĂ©e Ă ordonner une visite domiciliaire sans le consentement de lâoccupant des lieux, cette formulation laissant donc, sans toutefois lâindiquer expressĂ©ment, la visite domiciliaire et la perquisition aussi aux mains du pouvoir exĂ©cutif. La Loi relative Ă lâordre public du aura soin, par sa rĂ©fĂ©rence au mandat judiciaire, dâuser dâune terminologie plus recevable[82].
La suspension de lâinviolabilitĂ© du domicile est prĂ©vue Ă lâarticle 35 de la Charte, article aux termes duquel lâapplication de lâarticle 15 pouvait ĂȘtre annulĂ©e temporairement par le gouvernement, totalement ou partiellement, par voie de dĂ©cret-loi. LĂ encore, la mĂȘme Loi relative Ă lâordre public de 1959 Ă©numĂšre, en son article 11, les exceptions Ă lâinviolabilitĂ© du domicile qui autorisent, dans lâintĂ©rĂȘt du maintien de la paix intĂ©rieure et de lâexercice libre et pacifique des droits individuels, politiques et sociaux, le gouvernement et ses agents Ă pĂ©nĂ©trer au domicile dâune personne sans son assentiment ou sans mandat dâun juge ; ce sont : les cas de commission supposĂ©e de flagrant dĂ©lit, aux fins de poursuite des prĂ©sumĂ©s coupables aussi bien quâen vue de la saisie des instruments du dĂ©lit et du recueil de preuves ; les cas oĂč se produisent dans le domicile concernĂ© des troubles susceptibles de perturber lâordre public ; les cas oĂč la visite domiciliaire est demandĂ©e par les occupants ; et les cas oĂč la violation de domicile apparaĂźt nĂ©cessaire pour porter secours Ă des personnes ou pour Ă©viter des dommages matĂ©riels imminents et graves. Ladite loi ajoute que le procĂšs-verbal de ces actes soit transmis sans dĂ©lai Ă lâautoritĂ© judiciaire compĂ©tente Ă lâeffet que celle-ci lâexamine pour, le cas Ă©chĂ©ant, y dĂ©celer â et corriger â les outrepassements qui auraient pu ĂȘtre commis. Toute entorse devra faire lâobjet dâun rendu compte au gouverneur civil[83].
Enfin, il est Ă noter que la mise en Ćuvre de lâarticle 15 est rendue tributaire des lois ordinaires censĂ©es Ă©tablir la procĂ©dure relative aux cas concernĂ©s ainsi que le mode dâexĂ©cution de la perquisition du domicile. Il est vrai que, hormis lâextension de la garantie aux Ă©trangers, tous les dĂ©fauts de conception de lâarticle 15 de la Charte des Espagnols Ă©taient supplĂ©Ă©s par les dispositions de la Loi sur la procĂ©dure criminelle et portant code pĂ©nal du [84]. Dâautre part cependant, les circonstances politiques du moment composaient une rĂ©alitĂ© en contradiction avec la formulation lĂ©gale du droit Ă lâinviolabilitĂ© du domicile, tĂ©moin le constat que les dĂ©tenteurs du pouvoir de fait Ă©taient ceux aussi qui disposaient de lâappareil de coercition de lâĂtat. DĂšs lors, la situation est loin de satisfaire Ă la dĂ©finition de la libertĂ© domiciliaire propre Ă un rĂ©gime constitutionnel authentique, avec une protection matĂ©rielle et formelle vĂ©ritable des droits fondamentaux[85].
LâĂ©galitĂ© homme-femme
- Article 22 - LâĂtat reconnaĂźt et protĂšge la famille comme institution naturelle et comme fondement de la sociĂ©tĂ©, avec des droits et des devoirs antĂ©rieurs et supĂ©rieurs Ă toute loi humaine positive.
- Le mariage sera un et indissoluble.
- LâĂtat protĂ©gera spĂ©cialement les familles nombreuses.
La pĂ©riode franquiste sâappliqua Ă annuler les avancĂ©es que la femme avait obtenues dans le domaine des droits sous la RĂ©publique, en particulier en matiĂšre de divorce, dâaccĂšs Ă lâemploi rĂ©munĂ©rĂ©, dâamĂ©lioration de leurs conditions de travail, dâaccĂšs Ă la culture et dâinstruction, etc. Il convient de considĂ©rer lâarticle 22 de la Charte des Espagnols en association avec les dispositions de la Charte du travail de 1938, oĂč figure e.a. la formulation euphĂ©miste « libĂ©rer la femme mariĂ©e de lâatelier et de lâusine ». Les deux Chartes conjuguĂ©es avaient pour effet dâabroger la lĂ©gislation rĂ©publicaine Ă©galitaire et de subordonner la femme Ă lâhomme et Ă ne lui laisser quasiment que la mission dâĂ©pouse et de mĂšre[86] - [87].
En revanche, le dĂ©veloppement de lâĂ©conomie espagnole dans la dĂ©cennie 1960 nĂ©cessita de pouvoir faire appel Ă toutes les ressources humaines disponibles pour la production, y compris les femmes. Dans cet esprit fut Ă©laborĂ©e le la Loi 56/1961, traitant notamment des droits politiques et professionnels de la femme, et dont lâexposĂ© des motifs commence ainsi que suit :
« Le principe de non discrimination Ă raison du sexe ou de lâĂ©tat civil pour ce qui est dâĂȘtre titulaire des droits politiques, professionnels et du travail, ou de les exercer, est catĂ©goriquement reconnu aux Espagnols par la Charte des Espagnols ; son article onze dĂ©clare que « tous les Espagnols pourront assumer des charges et des fonctions publiques selon leur mĂ©rite et capacitĂ© », et lâarticle 24 Ă©tablit « que tous les Espagnols ont droit au travail et le devoir de sâoccuper Ă quelque activitĂ© socialement utile »[86] - [note 6]. »
Liberté de la presse et censure
- Article 12 - Tout Espagnol pourra exprimer librement ses idĂ©es pour autant quâelles ne portent pas atteinte aux principes fondamentaux de lâĂtat.
Jusquâen 1966, annĂ©e oĂč la Loi sur la presse, conçue par Fraga Iribarne, supprima la censure a priori, la censure prĂ©alable resta de vigueur en Espagne. La presse Ă©tait contrĂŽlĂ©e et la profession de journaliste rĂ©glementĂ©e et soumise Ă un enseignement officiel[37]. AprĂšs 1966, et en dĂ©pit de la Loi sur la presse, le strict contrĂŽle par lâĂtat sur la presse Ă©crite se poursuivit, avec sanctions administratives, mises sous sĂ©questre et suspension des publications en discordance avec le rĂ©gime[41]. La nouvelle loi en effet fixait certaines limites Ă la libertĂ© d'expression, Ă savoir : « le respect de la vĂ©ritĂ© et de la morale ; la soumission Ă la Loi sur les principes du Mouvement national et aux autres Lois fondamentales ; les exigences de la DĂ©fense nationale, de la sĂ©curitĂ© de lâĂtat et du maintien de lâordre public intĂ©rieur et de la paix extĂ©rieure ; le respect dĂ» aux institutions et aux personnes dans la critique de lâaction politique et administrative ; lâindĂ©pendance des tribunaux et la sauvegarde de lâintimitĂ© et de lâhonneur personnel et familial ». Les Ă©tablissements importateurs de publications Ă©trangĂšres devaient ĂȘtre immatriculĂ©s au Registre des entreprises importatrices de publications Ă©trangĂšres et les rĂšgles applicables aux Ă©crits espagnols lâĂ©taient Ă©galement aux productions Ă©trangĂšres. Les mĂȘmes interdits valaient Ă©galement pour les romans, films, Ćuvres thĂ©Ăątrales etc. La compĂ©tence dâinculpation incombait au directeur gĂ©nĂ©ral de la Presse ou Ă celui de lâInformation, ou (pour les fautes graves) au ministre de lâInformation et du Tourisme. Les Ă©diteurs et organes de presse avaient donc intĂ©rĂȘt Ă pratiquer lâautocensure ou Ă faire appel Ă la procĂ©dure de « consultation volontaire »[37].
Texte intégral
Préambule
Attendu que les Cortes espagnoles, en tant quâorgane supĂ©rieur de participation du peuple aux missions de lâĂtat, ont Ă©laborĂ©, en conformitĂ© avec la Loi portant leur crĂ©ation, la Charte des Espagnols, texte fondamental dĂ©finissant les droits et devoirs de ces derniers et sauvegarde de leurs garanties ; Je dispose, en parfait accord avec la proposition par elles formulĂ©es, ce qui suit : Article unique. â Se trouve approuvĂ©e, avec valeur de Loi fondamentale rĂ©glant leurs droits et devoirs, la CHARTE DES ESPAGNOLS, telle que reproduite ci-aprĂšs :
Titre préliminaire
Article 1 - LâĂtat espagnol proclame comme principe directeur de ses actes le respect de la dignitĂ©, de lâintĂ©gritĂ© et de la libertĂ© de la personne humaine, reconnaissant lâHomme, en tant quâil est porteur de valeurs Ă©ternelles et membre dâune communautĂ© nationale, comme titulaire de devoirs et de droits, dont [lâĂtat espagnol] garantit lâexercice en vue du bien commun.
Chapitre I
Article 2 - Les Espagnols doivent service fidĂšle Ă la Patrie, loyautĂ© au Chef de lâĂtat et obĂ©issance aux lois.
Article 3 - La Loi protÚge à égalité le droit de tous les Espagnols, sans préférence de classe ni acception de personnes.
Article 4 - Les Espagnols ont droit au respect de leur honneur personnel et familial. Quiconque lâoutragerait, quelle que soit sa condition, devra en rĂ©pondre.
Article 5 - Tous les Espagnols ont le droit Ă lâĂ©ducation et Ă lâinstruction et ont le devoir de les acquĂ©rir, soit dans le sein de leur famille, soit dans des centres privĂ©s ou publics, selon leur libre choix. LâĂtat veillera Ă ce quâaucun talent ne dĂ©pĂ©risse par manque de moyens Ă©conomiques.
Article 6 - La profession et pratique de la Religion catholique, qui est celle de lâĂtat espagnol, jouira de la protection officielle.
Nul ne sera inquiĂ©tĂ© en raison de ses croyances religieuses ni de lâexercice de son culte en privĂ©. Ne seront pas permises les cĂ©rĂ©monies ou les manifestations extĂ©rieures autres que celles de la Religion catholique.
Article 7 - Servir la Patrie avec les armes constitue un titre dâhonneur pour les Espagnols. Tous les Espagnols ont obligation dâaccomplir ce service lorsquâils y sont appelĂ©s en accord avec la Loi.
Article 8 - Par le biais de lois, et valant toujours pour tous, des prestations personnelles pourront ĂȘtre imposĂ©es si lâintĂ©rĂȘt de la Nation et les nĂ©cessitĂ©s publiques le requiĂšrent.
Article 9 - Les Espagnols contribueront Ă supporter les charges publiques en proportion de leur capacitĂ© Ă©conomique. Nul ne sera obligĂ© de payer des contributions qui nâauraient pas Ă©tĂ© Ă©tablies en accord avec la loi votĂ©e aux Cortes.
Article 10 - Tous les Espagnols ont le droit dâoccuper des fonctions publiques Ă caractĂšre reprĂ©sentatif, Ă travers la famille, la commune et le syndicat, sans prĂ©judice dâautres reprĂ©sentations que les lois Ă©tablissent.
Article 11 - Tous les Espagnols pourront assumer des charges et des fonctions publiques selon leur mérite et leur capacité.
Article 12 - Tout Espagnol pourra exprimer librement ses idĂ©es pour autant quâelles ne portent pas atteinte aux principes fondamentaux de lâĂtat.
Article 13 - Dans les limites du territoire national, lâĂtat garantit la libertĂ© et le secret de la correspondance.
Article 14 - Les Espagnols ont le droit de fixer librement leur résidence sur le territoire national.
Article 15 - Nul ne pourra entrer dans le domicile dâun Espagnol ni y perquisitionner sans son consentement, si ce nâest en vertu dâun mandat de lâautoritĂ© compĂ©tente et dans les cas et dans la forme dĂ©finis par les lois.
Article 16 - Les Espagnols pourront se rĂ©unir et sâassocier librement Ă des fins licites et en accord avec ce qui est Ă©tabli par les lois.
LâĂtat pourra crĂ©er et maintenir les organisations quâil estime nĂ©cessaires Ă lâaccomplissement de ses fins. Les normes prĂ©sidant Ă leur fondation, qui revĂȘtiront la forme dâune loi, coordonneront lâexercice de ce droit avec ce qui est reconnu dans lâalinĂ©a prĂ©cĂ©dent.
Article 17 - Les Espagnols ont droit Ă la sĂ©curitĂ© juridique. Tous les organes de lâĂtat agiront en conformitĂ© avec un ordre hiĂ©rarchique de normes prĂ©Ă©tablies, qui ne pourront pas ĂȘtre arbitrairement interprĂ©tĂ©es ni modifiĂ©es.
Article 18 - Nul Espagnol ne pourra ĂȘtre dĂ©tenu, sauf dans les cas et dans la forme prescrits par la loi. Tout dĂ©tenu sera remis en libertĂ© ou dĂ©fĂ©rĂ© Ă lâautoritĂ© judiciaire dans le dĂ©lai de 72 heures.
Article 19 - Nul ne pourra ĂȘtre condamnĂ© si ce nâest en vertu dâune loi antĂ©rieure au dĂ©lit, moyennant la sentence dâun tribunal compĂ©tent et aprĂšs audition et dĂ©fense de lâintĂ©ressĂ©.
Article 20 - Nul Espagnol ne pourra ĂȘtre privĂ© de sa nationalitĂ© hormis pour dĂ©lit de trahison, tel que dĂ©fini dans les lois pĂ©nales, ou pour ĂȘtre entrĂ© au service des armes ou avoir exercĂ© une fonction publique dans un pays Ă©tranger en dĂ©pit de lâinterdiction expresse du chef de lâĂtat.
Article 21 - Les Espagnols pourront adresser individuellement des requĂȘtes au chef de lâĂtat, aux Cortes et aux autoritĂ©s.
Les corporations, fonctionnaires publics et membres des forces armĂ©es et dâinstituts militaires pourront exercer ce droit seulement en conformitĂ© avec les dispositions que les rĂ©gissent.
Chapitre II
Article 22 - LâĂtat reconnaĂźt et protĂšge la famille comme institution naturelle et comme fondement de la sociĂ©tĂ©, avec des droits et des devoirs antĂ©rieurs et supĂ©rieurs Ă toute loi humaine positive.
Le mariage sera un et indissoluble.
LâĂtat protĂ©gera spĂ©cialement les familles nombreuses.
Article 23 - Les parents ont lâobligation de nourrir, dâĂ©duquer et dâinstruire leurs enfants. LâĂtat suspendra lâexercice de la tutelle parentale ou en privera ceux qui ne lâexercent pas dignement, et transfĂ©rera la garde et lâĂ©ducation des mineurs Ă ceux dĂ©signĂ©s par la loi.
Chapitre III
Article 24 - Tous les Espagnols ont droit au travail et le devoir de sâoccuper Ă quelque activitĂ© socialement utile.
Article 25 - Le travail, de par sa condition essentiellement humaine, ne peut ĂȘtre rĂ©duit au concept matĂ©riel de marchandise, ni faire lâobjet dâaucune transaction incompatible avec la dignitĂ© personnelle de celui qui le fournit. Il constitue en soi un attribut dâhonneur et donne titre suffisant Ă exiger tutelle et assistance de lâĂtat.
Article 26 - LâĂtat reconnaĂźt dans lâentreprise une communautĂ© dâapports de technique, de main-dâĆuvre et de capital sous ses diffĂ©rentes formes, et proclame en consĂ©quence le droit de ces Ă©lĂ©ments Ă participer aux bĂ©nĂ©fices.
LâĂtat veillera Ă ce que les relations entre eux demeurent dans la plus stricte Ă©quitĂ© et dans une hiĂ©rarchie qui subordonne les valeurs Ă©conomiques Ă celles de nature humaine, Ă lâintĂ©rĂȘt de la Nation et aux exigences du bien commun.
Article 27 - Tous les travailleurs seront protĂ©gĂ©s par lâĂtat dans leur droit Ă une rĂ©tribution juste et suffisante, de sorte Ă leur assurer pour le moins, Ă eux et Ă leurs familles, le bien-ĂȘtre qui leur permette une vie morale et digne.
Article 28 - LâĂtat espagnol garantit aux travailleurs la sĂ©curitĂ© dâune assistance en cas dâinfortune et leur reconnaĂźt le droit Ă lâassistance en cas de vieillesse, de mort, de maladie, de maternitĂ©, dâaccidents du travail, dâinvaliditĂ©, de chĂŽmage contraint et dâautres risques susceptibles de faire lâobjet de couverture sociale.
Article 29 - LâĂtat maintiendra des institutions dâassistance et protĂ©gera et favorisera celles crĂ©Ă©es par lâĂglise, les corporations et les particuliers.
Article 30 - La propriĂ©tĂ© privĂ©e comme moyen naturel pour lâaccomplissement des buts individuels, familiaux et sociaux, est reconnue et protĂ©gĂ©e par lâĂtat.
Tous les modes de propriété restent subordonnés aux besoins de la Nation et au bien commun.
La richesse ne pourra rester inactive, ni ĂȘtre dĂ©truite indĂ»ment, ni mise en Ćuvre Ă des fins illicites.
Article 31 - LâĂtat facilitera pour tous les Espagnols lâaccĂšs aux formes de propriĂ©tĂ© les plus intimement liĂ©es Ă la personne humaine : foyer familial, hĂ©ritage, outil de travail et biens dâusage quotidien.
Article 32 - Dans aucun cas ne sera infligée la peine de confiscation de biens.
Nul ne pourra ĂȘtre expropriĂ© si ce nâest pour cause dâutilitĂ© publique ou dâintĂ©rĂȘt social, moyennant indemnisation correspondante prĂ©alable et en conformitĂ© avec les dispositions de la loi.
Titre II. De lâexercice et de la garantie des droits
Article 33.- Lâexercice des droits reconnus dans la prĂ©sente Charte ne devra pas porter prĂ©judice Ă lâunitĂ© spirituelle, nationale et sociale de lâEspagne.
Article 34.- Les Cortes voteront les lois nĂ©cessaires Ă lâexercice des droits reconnus dans la prĂ©sente Charte.
Article 35.- LâapplicabilitĂ© des articles douze, treize, quatorze, quinze, seize et dix-huit pourra ĂȘtre temporairement suspendue par le gouvernement, totalement ou partiellement, par la voie dâun dĂ©cret-loi fixant limitativement la portĂ©e et la durĂ©e de la mesure.
Article 36.- Toute violation commise contre lâun quelconque des droits proclamĂ©s dans la prĂ©sente Charte sera sanctionnĂ© par les lois, lesquelles dĂ©finiront les actions qui, pour leur dĂ©fense et garantie, pourront ĂȘtre intentĂ©es dans chaque cas de figure auprĂšs des juridictions compĂ©tentes.
FRANCISCO FRANCO
Notes et références
Notes
- Le terme fuero faisait rĂ©fĂ©rence aux statuts juridiques de lâEspagne mĂ©diĂ©vale, cristallisĂ©s sous forme de droit coutumier dans les coutumes de la population espagnole, mais ne surgissant jamais dans lâhistoire de lâEspagne quâaccordĂ©s par quelque autoritĂ© (monarque ou seigneur fĂ©odal) qui « crĂ©ait » des droits et libertĂ©s, par quoi le concept de « fuero » apparaĂźt Ă©tranger au concept de souverainetĂ© populaire, propre Ă une dĂ©mocratie, et permit au rĂ©gime de Franco dâĂ©viter lâusage du terme constitution pour dĂ©signer cet ensemble de normes.
- Lâhistorien du droit Alfons Aragoneses observe que la Convention europĂ©enne des droits de lâhomme, Ă lâimage de la Belle au bois dormant (selon le mot de Frowein), demeura aprĂšs son adoption plongĂ©e dans un long sommeil, jusquâĂ ce que les mouvements de dĂ©fense des droits de lâhomme se soient mis, dans les annĂ©es 1960 et surtout 1970, Ă lâexploiter comme outil de leur militantisme devant les cours nationales et auprĂšs de la Cour europĂ©enne des droits de l'homme, et le fassent de la sorte Ă©voluer dâun document qui, dans les annĂ©es 1950 encore, avait une finalitĂ© surtout politique avant que juridique (dĂ©fense de la dĂ©mocratie axĂ©e sur la tenue dâĂ©lections pĂ©riodiques, objectif cher au Mouvement europĂ©en), vers un texte normatif rĂ©gulant et protĂ©geant les droits humains. Cf. A. Aragoneses (2021), p. 137-138.
- Significativement aussi, le premier gouvernement nationaliste rĂ©gulier prĂ©para en 1937 la Charte du travail sans consulter lâĂ©piscopat, et un dĂ©cret du de la mĂȘme annĂ©e prescrivait lâunification syndicale qui touchait aussi les syndicats catholiques. Cf. G. Hermet (1989), p. 203.
- Ătant donnĂ© la nouveautĂ© que prĂ©sente la formulation du postulat conciliaire, il y a lieu ici de faire le distinguo entre tolĂ©rance et libertĂ© religieuse, argumente le prĂȘtre et juriste Amadeo de Fuenmayor ChampĂn : « La notion de tolĂ©rance â selon la doctrine traditionnelle catholique â part dâun prĂ©supposĂ© dogmatique, Ă savoir la distinction entre le bien et le mal, entre la veritĂ© religieuse et lâerreur, afin de permettre simplement ce que lâon tolĂšre. En ce sens, la tolĂ©rance signifie, dâune certaine maniĂšre, apposer sur la norme civile un sceau dogmatique religieux et qualifier comme mal ce qui est objet de la tolĂ©rance, quand mĂȘme lâon estime bonne â pour Ă©viter des maux plus grands, ou obtenir un bien, de façon proportionnĂ©e â la tolĂ©rance en soi.
La notion de libertĂ© religieuse rĂ©pond Ă une orientation diffĂ©rente, quoique non contradictoire, de la tolĂ©rance civile, en ceci que la rĂšgle juridique applicable sâabstient de qualifier les croyances religieuses, hormis en ce qui touche Ă leurs relations avec le bien commun temporel (en particulier lâordre public), et laisse les citoyens de lâĂtat seuls juges de leurs devoirs personnels vis-Ă -vis de Dieu, dont, dĂ©libĂ©rĂ©ment, il nâest pas fait une affaire civile ». Cf. (es) Amadeo de Fuenmayor, La libertad religiosa, Pampelune, Ediciones Universidad de Navarra, S.A., , 216 p., p. 164. - Pour de plus amples dĂ©tails sur lâĂ©volution ultĂ©rieure de ce droit fondamental sous le franquisme, cf. Marie-Christine Moreau, « De la religion d'Ă©tat Ă la laĂŻcitĂ©. La transition espagnole, un tournant dĂ©cisif - 1976-1981 », HispanĂstica XX, Ă©ditĂ© par Centre Interlangues Texte, Image, Langage, no 21,â , p. 329-346 (ISSN 0765-5681, lire en ligne).
- Les premiers articles de la Loi 56/1961 stipulaient que « la Loi reconnaĂźt Ă la femme les mĂȘmes droits quâĂ lâhomme dans lâexercice de tout type dâactivitĂ© politique, professionnelle ou de travail, sans autres limitations que celles dĂ©finies dans la prĂ©sente Loi » (article premier), que « la femme peut participer Ă lâĂ©lection et ĂȘtre Ă©lue en vue de remplir quelque charge publique que ce soit ; [quâelle] peut de mĂȘme ĂȘtre dĂ©signĂ©e Ă remplir nâimporte quelle charge publique de lâĂtat, de lâadministration locale et dâorganismes autonomes dĂ©pendant de lâune et de lâautre » (article deuxiĂšme), et surtout que « la femme pourra conclure tout type de contrat de travail, [et que] dans les rĂ©glementations du travail, dans les conventions collectives et dans les rĂšglements dâentreprise aucune discrimination ne [pourra] ĂȘtre faite Ă raison du sexe et de lâĂ©tat civil, mĂȘme si ce dernier se modifie dans le cours de la relation de travail » (article quatriĂšme) ; cependant, dans ce mĂȘme article, il est ajoutĂ© que « les dispositions rĂ©glementaires dĂ©finiront les travaux qui, par leur caractĂšre pĂ©nible, dangereux ou insalubre, doivent ĂȘtre prohibĂ©s Ă la femme ». De mĂȘme, sâil est Ă©noncĂ© que « les dispositions sur le travail reconnaĂźtront le principe dâĂ©galitĂ© de rĂ©tribution des travaux de valeur Ă©gale », plus loin dans le texte sont Ă©voquĂ©es les limitations auxdites dispositions « fondĂ©es sur des faits ou des circonstances naturelles dâune Ă©vidence telle quâil est superflu et inutile de les justifier en dĂ©tail », mais qui se rapportent à « lâimpossibilitĂ© dâeffectuer des travaux dĂ©mesurĂ©s » requĂ©rant la force physique, et au « pouvoir de direction que la nature, la religion et lâhistoire attribuent au mari », qui par voie de consĂ©quence consacrent sa relĂ©gation au rĂŽle dâĂ©pouse et de mĂšre, avec la subsĂ©quente restriction mise Ă sa capacitĂ© de conclure des contrats. Cf. (es) « La ley sobre igualdad salarial : mĂĄs de 50 años de incumplimiento », SĂ©ville, Junta de AndalucĂa / ConsejerĂa de Cultura y Patrimonio HistĂłrico, .
Références
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Liens externes
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- « Le franquisme, du retour du national-catholicisme Ă lâassouplissement des derniĂšres annĂ©es », sur Eurel (donnĂ©es sociologiques et juridiques sur la religion en Europe et au-delĂ ), Strasbourg, universitĂ© de Strasbourg / Laboratoire Droit religion, entreprise et sociĂ©tĂ© (DRES).
- Jean Creach, « "L'Ăglise n'est infĂ©odĂ©e Ă aucun rĂ©gime", dĂ©clare le cardinal primat dâEspagne », sur Le Monde, Paris, .