Mariano Navarro Rubio
Mariano Navarro Rubio (BurbĂĄguena, province de Teruel, 1913 - Madrid, 2001) Ă©tait un militaire et homme politique espagnol, qui fut ministre des Finances et gouverneur de la Banque d'Espagne sous la dictature franquiste.
Mariano Navarro Rubio | |
Buste de Mariano Navarro Rubio Ă Daroca. | |
Fonctions | |
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Ministre des Finances | |
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Premier ministre | Franco |
Prédécesseur | Francisco Gómez de Llano |
Successeur | Juan JosĂ© Espinosa San MartĂn |
Gouverneur de la Banque d'Espagne | |
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PrĂ©dĂ©cesseur | JoaquĂn Benjumea BurĂn |
Successeur | Luis Coronel de Palma |
Procureur des Cortes | |
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Biographie | |
Lieu de naissance | BurbĂĄguena (province de Teruel, Aragon) |
Date de décÚs | |
Lieu de décÚs | Madrid |
Nationalité | Espagne |
Parti politique | FET y de las JONS |
PÚre | Eusebio Navarro (médecin de campagne) |
MĂšre | Ramona Rubio Mariano |
Conjoint | MarĂa Dolores Serres Sena |
Enfants | Onze enfants, dont MarĂa del Carmen |
DiplÎmé de | Université de Saragosse |
Profession | |
Religion | Catholique |
RĂ©sidence | Madrid |
Originaire dâun petit bourg reculĂ© de la campagne aragonaise, il fit des Ă©tudes de droit Ă Saragosse, oĂč il se familiarisa avec la doctrine sociale catholique et entra en contact avec lâOpus Dei. Ă lâĂ©clatement de la Guerre civile, il choisit le camp des insurgĂ©s, pour ensuite intĂ©grer le Corps juridique militaire, oĂč il monta au grade de gĂ©nĂ©ral. Quoique dâinclination traditionaliste catholique, il mena une carriĂšre de haut administrateur dans les « syndicats verticaux », pourtant rĂ©putĂ©s bastion phalangiste, et fut nommĂ© Ă ce titre membre des Cortes. En 1955, il assuma le poste de sous-secrĂ©taire dâĂtat des Travaux publics.
Face Ă la situation Ă©conomique calamiteuse de lâEspagne, entrĂ©e virtuellement en cessation de paiements dans un contexte gĂ©nĂ©ral de forte inflation, de stagnation des investissements, et de faible productivitĂ©, Franco avait fini par se persuader de la nĂ©cessitĂ© dâune rĂ©orientation de la gestion Ă©conomique, y compris de la nĂ©cessitĂ© de sâaffranchir de lâimpĂ©ratif dâautarcie insĂ©parable de lâidĂ©ologie phalangiste. Aussi dĂ©cida-t-il en 1957 de procĂ©der Ă un remaniement ministĂ©riel en faisant appel Ă une Ă©quipe de « technocrates », composĂ©e en particulier de Navarro Rubio, chargĂ© du portefeuille des Finances â encore quâil ne fĂ»t ni spĂ©cialiste, ni technocrate, mais gĂ©nĂ©raliste, ayant eu un parcours politique dans les structures du parti unique, mĂȘme si entre-temps il avait fait allĂ©geance aux postulats du libĂ©ralisme Ă©conomique â, dâUllastres et de LĂłpez RodĂł. Le revirement de la gestion Ă©conomique se matĂ©rialisa sous la forme du dĂ©nommĂ© Plan de stabilisation, coulĂ© dans une loi en , mais prĂ©cĂ©dĂ© dĂšs 1957 par les mesures dites « prĂ©stabilisatrices » prises par Navarro Rubio : rĂ©forme fiscale (qui permit dâaugmenter les recettes de lâĂtat et de rĂ©duire la dette publique), lutte contre les dĂ©sĂ©quilibres Ă©conomiques (maĂźtrise des dĂ©penses publiques, stricte discipline budgĂ©taire), ouverture extĂ©rieure (dĂ©valuation de la peseta, stimulation des investissements Ă©trangers, levĂ©e de certains freins Ă lâimportation), rĂ©forme bancaire (rĂ©gulation du crĂ©dit, nationalisation de la Banque dâEspagne) etc. Cette politique nouvelle donna le signal dâun dĂ©collage Ă©conomique â le dĂ©nommĂ© « miracle Ă©conomique espagnol » des annĂ©es 1960 â, avec de forts taux de croissance, une Ă©conomie et une administration modernisĂ©es, lâouverture au commerce international, une corruption jugulĂ©e, qui permit au rĂ©gime de se maintenir au pouvoir, encore que Franco nây ait pas cru tout dâabord et quâil nâen ait pas compris le mĂ©canisme. Un nouveau remaniement ministĂ©riel en , consacrant la montĂ©e en puissance de LĂłpez RodĂł, et impliquant du mĂȘme coup une relĂ©gation relative de Navarro Rubio, porta celui-ci Ă remettre sa dĂ©mission, acceptĂ©e par Franco mais reportĂ©e au prochain remaniement de , Ă lâoccasion duquel il prit enfin la tĂȘte de la Banque dâEspagne. Mis en cause dans lâaffaire de malversation Matesa, et contraint de dĂ©missionner, il occupa encore un poste dans la haute fonction publique, et enseigna Ă lâuniversitĂ©.
Biographie
Jeunes années et débuts dans la carriÚre politique
Fils de Ramona Rubio Mariano et dâEusebio Navarro, mĂ©decin rural, Mariano Navarro Rubio naquit Ă BurbĂĄguena, bourg de campagne situĂ© sur la route Teruel-Calatayud, dans la province de Teruel[1]. Il acheva ses Ă©tudes secondaires chez les Escolapios de Daroca, petite ville Ă une quinzaine de kilomĂštres au nord-ouest de son bourg natal, puis sâinscrivit Ă la facultĂ© de droit de lâuniversitĂ© de Saragosse, oĂč il subit lâinfluence des professeurs social-catholiques Miguel Sancho Izquierdo et Salvador MinguijĂłn, se familiarisa avec les grands textes de JosĂ© CastĂĄn Tobeñas, et fit connaissance avec Federico de Castro y Bravo[2].
Son engagement politique remonte aux annĂ©es de la DeuxiĂšme RĂ©publique, lorsquâau terme de ses Ă©tudes universitaires Ă Saragosse, il alla passer une saison Ă Madrid pour y prĂ©parer le concours pour le poste dâinspecteur des impĂŽts indirects (inspector del Timbre). Ainsi quâil le relate dans ses mĂ©moires, Navarro Rubio, favorable dans un premier temps Ă la cause rĂ©publicaine, sâen dĂ©sillusionna bientĂŽt aprĂšs les incendies de couvents de , et surtout aprĂšs avoir entrevu dans les clubs politiques (tertulias) de la capitale certaines dĂ©rives de la « politique de partis »[3] - [4]. De retour au domicile familial Ă Daroca, avec lâintention de prĂ©parer le concours dâaccĂšs au notariat, il se rangea politiquement Ă droite, mais quoique tentĂ© pendant un temps par AcciĂłn Popular et par la Phalange, il sâabstint dâadhĂ©rer Ă ces groupements, ni du reste Ă aucun des groupes de la droite traditionnelle, et choisit de se faire membre dâAction catholique, dĂ©ployant Ă ce titre une activitĂ© importante[3] - [2] - [4]. Dâautre part, durant ses Ă©tudes de droit, il eut Antonio HernĂĄndez Gil et Alberto Ullastres pour condisciples, et se lia dâamitiĂ© avec ce dernier, par lâentremise de qui il entra en contact avec lâOpus Dei[2].
Surpris par la Guerre civile Ă Daroca, il sâengagea dans le camp nationaliste, obtint le grade de « capitaine provisoire » aprĂšs une formation Ă lâAcadĂ©mie des officiers, et se trouva pendant le conflit Ă la tĂȘte du 1er tambor (=bataillon) de RĂ©guliers dâAlhucemas[5] - [2] - [6]. Dans l'aprĂšs-guerre civile, il alla rejoindre le Corps juridique militaire, oĂč il monta au rang de gĂ©nĂ©ral et exerça comme professeur Ă lâAcadĂ©mie du corps juridique.
Son entrĂ©e vĂ©ritable en politique eut lieu par lâintermĂ©diaire des syndicats verticaux agraires, oĂč il se hissa au poste de secrĂ©taire technique syndical et devint tour Ă tour directeur de lâĂcole syndicale et du Centre dâĂ©tudes syndicales[2]. Il avoue dans ses mĂ©moires quâil « nâavait jamais songĂ©, pas mĂȘme de loin » Ă sâintĂ©grer dans lâOrganisation nationale des Syndicats, « le plus solide bastion de la Phalange », mais justifie sa dĂ©cision dâentamer une carriĂšre professionnelle dans ladite institution par la nĂ©cessitĂ© oĂč il se trouvait, du fait de la « naissance de nouveaux enfants », de « chercher de nouveaux appointements » propres Ă complĂ©ter les Ă©moluments quâil percevait alors comme capitaine auditeur. Il arriva Ă combiner sa mission nouvelle avec lâexercice de plusieurs autres fonctions Ă responsabilitĂ© dans lâorganigramme de lâorganisation syndicale[7]. Il travailla aussi comme conseiller juridique (letrado) du Conseil dâĂtat, comme conseiller-dĂ©lĂ©guĂ© de la Banco Popular Español, et comme vice-prĂ©sident de lâInstitut dâĂ©tudes agro-sociales, dont il fonda le pĂ©riodique et quâil dirigea Ă partir de 1952. En 1955, il assuma le poste de sous-secrĂ©taire des Travaux publics, et en cette qualitĂ© crĂ©a le Centre dâĂ©tudes hydrographiques et le Cabinet technique de la Direction gĂ©nĂ©rale des routes[2].
Contexte politique et Ă©conomique
La volontĂ© du gouvernement espagnol de reconstruire lâĂ©conomie espagnole au lendemain de la Guerre civile avait conduit lâĂtat, sous lâeffet dâun optimisme excessif, Ă injecter dans le systĂšme une quantitĂ© de moyens financiers trĂšs supĂ©rieure Ă lâaccroissement de la capacitĂ© de production, de sorte que, selon le schĂ©ma classique dâĂ©mission de dette publique contractĂ©e auprĂšs du secteur bancaire et garantie ensuite par la Banque dâEspagne, Ă©tait mis en marche un puissant processus inflationniste, sous lâeffet duquel lâindice des prix officiel augmenta de quelque 50 pour cent entre 1953 et 1957[8].
La poursuite prolongĂ©e dâune pareille politique Ă©conomique sâexplique par le cadre idĂ©ologique dominant de ces annĂ©es, qui Ă©tait fortement imprĂ©gnĂ© dâun esprit interventionniste et autarcique, en accord avec lequel lâon sâĂ©vertua dans un premier stade Ă combattre lâinflation galopante par lâimposition dâune stabilitĂ© factice des prix, obtenue Ă force de toutes sortes de rĂ©glementations et de contrĂŽles. Face Ă lâefficacitĂ© nulle dâune telle politique, qui eut pour seul effet lâĂ©closion dâun marchĂ© noir gĂ©nĂ©ralisĂ©, le gouvernement sâemploya dans un deuxiĂšme temps Ă pallier la rapide paupĂ©risation de larges couches de la sociĂ©tĂ© espagnole en relĂąchant la rigide politique salariale en vigueur jusque-lĂ . Cependant, les hausses de salaire dĂ©crĂ©tĂ©es par le ministre du Travail phalangiste GirĂłn de Velasco, qui se situaient entre 40 et 60 pour cent, provoquĂšrent une forte hausse des coĂ»ts du travail[9].
Ă son corps dĂ©fendant, contraint par lâurgente nĂ©cessitĂ© de redresser une calamiteuse situation Ă©conomique, dont il nâavait pas reconnu la gravitĂ©, Franco dut finalement, Ă la fin de la dĂ©cennie 1950, se rĂ©soudre Ă faire appel Ă un autre type de ministre des Finances[10]. Lâinflation incontrĂŽlable, le dĂ©rapage des dĂ©penses publiques et lâĂ©tat dĂ©plorable de la balance commerciale (avec un taux de couverture de 66 % seulement des importations par les exportations)[11] - [12] requĂ©raient une intervention Ă©nergique dans le domaine Ă©conomique. La concomitance de plusieurs problĂšmes sur les plans politique et Ă©conomique devaient conseiller Ă Franco un changement de gouvernement qui, aprĂšs coup â quand mĂȘme Franco ne soupçonnait pas le bouleversement qui allait se produire lorsquâil dĂ©clencha la crise gouvernementale de 1957, ni que les rĂ©sultats iraient Ă lâencontre de ses positions idĂ©ologiques â, se rĂ©vĂ©la ĂȘtre dĂ©terminant pour la survie du rĂ©gime franquiste, attendu que la nouvelle politique non seulement rĂ©ussit Ă stabiliser la situation Ă©conomique, mais encore contribua Ă amĂ©liorer sensiblement le niveau de vie des Espagnols. Sur le plan politique, les efforts de la Phalange Ă consolider sa position prĂ©Ă©minente au sein du rĂ©gime, notamment au moyen d'un projet de rĂ©forme constitutionnelle portĂ© par le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral JosĂ© Luis Arrese en 1956, firent se cabrer monarchistes, traditionalistes et catholiques, ajoutant un surcroĂźt de tension Ă une situation dĂ©jĂ rendue Ă©pineuse par la croissante agitation menĂ©e dans la rue par les ouvriers et les Ă©tudiants dâuniversitĂ©[13].
Remaniement ministériel de 1957
Comme « il ne fait pas de doute que lâon nâavait pas un degrĂ© de formation Ă©conomique suffisant », ainsi que Navarro Rubio lâexprimera dans un article[14], Franco dĂ©cida de procĂ©der Ă un remaniement de son gouvernement, destinĂ© surtout il est vrai Ă neutraliser politiquement la Phalange. Ainsi Arrese fut-il remplacĂ© au secrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral du Mouvement par JosĂ© SolĂs Ruiz, phalangiste plus accommodant ; et la « vieille chemise » (membre phalangiste de la premiĂšre heure) GirĂłn de Velasco fut-elle supplantĂ©e Ă la tĂȘte du ministĂšre du Travail par FermĂn Sanz-Orrio, certes vĂ©tĂ©ran lui aussi, mais manipulable. JesĂșs Rubio, peu problĂ©matique, fut maintenu au ministĂšre de lâĂducation, tandis quâArrese se voyait assigner un dĂ©partement du Logement, lui permettant de satisfaire aux prĂ©occupations sociales constitutives de lâorthodoxie idĂ©ologique de la Phalange[15] - [16], encore que Navarro Rubio y ait perçu une menace pour la politique Ă©conomique quâil se proposait de dĂ©velopper[17].
Dans le recrutement de Navarro Rubio, et des « technocrates » de façon gĂ©nĂ©rale, dans le nouveau gouvernement, c'est le facteur hasard qui joua un rĂŽle dĂ©terminant, ainsi que la faveur dont ils tous jouissaient auprĂšs du sous-secrĂ©taire Ă la PrĂ©sidence Carrero Blanco, autant sinon plus que leur appartenance Ă lâOpus Dei, au contraire dâune thĂšse rĂ©pandue postulant lâexistence de quelque plan concertĂ©. La nouvelle Ă©quipe gouvernementale prĂ©sentait une diversitĂ© de profils plus accusĂ©e encore que les prĂ©cĂ©dentes, et lâĂ©lĂ©ment technocratique y demeurait globalement tout Ă fait minoritaire[18] - [note 1]. Les militaires p. ex. continuaient de former une part fort importante du cabinet ministĂ©riel, dans la mĂȘme proportion quâauparavant (prĂšs de 50 %). Cela vaut Ă©galement pour les ministres civils et leur niveau dâĂ©tudes, ces ministres Ă©tant tous des licenciĂ©s universitaires, oĂč prĂ©dominaient les juristes, Ă raison de 60 %, Ă peu prĂšs Ă lâĂ©gal du gouvernement prĂ©cĂ©dent ; la proportion de hauts fonctionnaires se situait aux alentours de 50 %. Cinq des nouveaux ministres avaient exercĂ© la charge de gouverneur civil[19]. Quinze parmi eux, dont Navarro Rubio, avaient la qualitĂ© de procureur siĂ©geant aux Cortes, soit un taux de prĂšs de 80 %, indicatif du haut degrĂ© de politisation de ce gouvernement, et incompatible avec lâidĂ©e que ce nouvel exĂ©cutif ait Ă©tĂ© « technocratique »[20]. Dâautre part, si la quasi-totalitĂ© des ministres avait poursuivi une bonne part de leur carriĂšre politique dans les structures du parti FET y de las JONS, ce constat est plutĂŽt Ă interprĂ©ter, compte tenu que le « gouvernement des technocrates » marque un avant et un aprĂšs en ce qui touche Ă lâinfluence des phalangistes dans le rĂ©gime, comme le « chant du cygne » du Mouvement en tant que pĂ©piniĂšre des Ă©lites franquistes[21]. Enfin, le poids des spĂ©cialistes tourne lui aussi autour des 50 %, comprenant le technocrate Alberto Ullastres, professeur dâĂ©conomie et de finances publiques, et les militaires Felipe JosĂ© AbĂĄrzuza, Eduardo Barroso, Pedro Gual VillalbĂ, JosĂ© RodrĂguez DĂaz de Lecea, ancien pilote et chef de la direction gĂ©nĂ©rale de lâAĂ©ronautique, lâingĂ©nieur agronome Cirilo CĂĄnovas, nommĂ© en 1952 directeur gĂ©nĂ©ral de lâAgriculture, et Fernando Castiella, aux Affaires Ă©trangĂšres, professeur de droit international dotĂ© dâune expĂ©rience comme ambassadeur[22].
Nomination de Navarro Rubio aux Finances
Lorsque lâon veut mesurer la portĂ©e quâeut la spĂ©cialisation technique dans la composition de ce nouveau gouvernement, passĂ© Ă lâhistoire comme celui qui accueillit en son sein les dĂ©nommĂ©s « technocrates », il convient de prendre en considĂ©ration que lâun de ceux-ci, le ministre des Finances Navarro Rubio, ne peut ĂȘtre qualifiĂ© ni de technicien, ni de spĂ©cialiste. Sa trajectoire nettement politique sâĂ©tait construite, dâabord, par la circonstance quâil avait pris part Ă la Guerre civile dĂšs le dĂ©but du conflit, comme volontaire dans les rangs des insurgĂ©s, dĂ©cision qui lui valut ensuite de gravir les Ă©chelons dans lâarmĂ©e jusquâau grade de capitaine (notamment pour avoir Ă©tĂ© blessĂ© par trois fois), et par sa subsĂ©quente entrĂ©e dans le Corps juridique de lâarmĂ©e[3]. Son passage par l'organisation syndicale, Ă en croire le rĂ©cit de Navarro Rubio dans ses mĂ©moires, lâaurait pourvu dâune compĂ©tence particuliĂšre en matiĂšre financiĂšre, propre Ă lâaccrĂ©diter comme spĂ©cialiste, lâintĂ©ressĂ© caractĂ©risant en effet ses fonctions de vice-secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâOrganisation administrative syndicale par la formule de « ministre des Finances dans les syndicats », vu que sa mission Ă ce poste aurait consistĂ© Ă gĂ©rer les budgets de la centrale syndicale[23]. Toutefois, la preuve dĂ©finitive de ce que Navarro Rubio Ă©tait en rĂ©alitĂ© un gĂ©nĂ©raliste rĂ©side dans le jugement prononcĂ© par lui-mĂȘme, quoique plusieurs dĂ©cennies plus tard, Ă propos de sa nomination comme titulaire du TrĂ©sor, quand il dĂ©clara ne toujours pas comprendre les raisons que pouvait avoir eues Franco de lui confier un dĂ©partement « complĂštement Ă©tranger » Ă ses « connaissances particuliĂšres »[24]. NĂ©anmoins, son passage par le gouvernement reprĂ©sente un point dâinflexion en ce qui touche au profil du ministre des Finances, puisque dĂ©sormais, et jusquâĂ la mort de Franco, seuls seront recrutĂ©s pour ce poste des personnes mĂ©ritant effectivement le qualificatif de spĂ©cialiste[25], mĂȘme si la circonstance que toutes les personnes dĂ©signĂ©es Ă la tĂȘte du TrĂ©sor public Ă©taient de 1951 jusquâĂ 1975 procureurs siĂ©geant aux Cortes au moment de leur nomination puisse apparaĂźtre en contradiction avec le fait que la voie dâaccĂšs Ă ce poste Ă©tait dans plus de la moitiĂ© des cas lâexistence dâantĂ©cĂ©dents de spĂ©cialiste ou dâuniversitaire[26].
Plus de la moitiĂ© des titulaires des Finances restĂšrent dans le gouvernement entre 1 et 4 ans seulement ; nonobstant que ce ministĂšre eĂ»t au fil du temps acquis un poids certain, les titulaires de la pĂ©riode 1938-1975 furent en moyenne plus vulnĂ©rables aux remaniements ministĂ©riels et aux crises gouvernementales, ce qui semble liĂ© au fait que trĂšs peu parmi eux rĂ©ussirent Ă conquĂ©rir une position dâinfluence durable au sein de lâĂ©lite du rĂ©gime. Lâune des rares exceptions fut justement Navarro Rubio, qui sut se maintenir au gouvernement pendant plus de sept ans et ne sera dĂ©passĂ© sous ce rapport que par JoaquĂn Benjumea BurĂn[27]. Lâascendant de Navarro Rubio dĂ©coulait en grande partie de sa forte personnalitĂ©, et de ce que sa position favorable Ă la rĂ©forme Ă©conomique trouva un alliĂ© dĂ©cisif non seulement dans lâĂ©pineuse situation Ă©conomique, mais aussi dans le climat intellectuel qui sâĂ©tait fait jour dans certains milieux Ă©mergents de la dictature Ă cette date[28].
Nouvelle politique Ă©conomique
Navarro Rubio, homme politique gĂ©nĂ©raliste dâextraction national-syndicaliste, figure paradoxalement comme lâun des artisans du changement de cap qui fut amorcĂ© dans la politique Ă©conomique du rĂ©gime franquiste Ă la fin de la dĂ©cennie 1950. Cependant, la concomitance de plusieurs facteurs a pu rendre possible quâune personnalitĂ© ayant un parcours semblable ait pu se vouer sans rĂ©serve Ă un rĂ©amĂ©nagement du systĂšme Ă©conomique, en dĂ©pit des rĂ©ticences tant de Franco que dâimportantes factions du rĂ©gime, et singuliĂšrement de la galaxie FET y de las JONS, oĂč justement Navarro Rubio avait fait toute sa carriĂšre. Le premier de ces facteurs favorisants Ă©tait la grave situation oĂč se trouvait lâĂ©conomie espagnole, qui connut son expression la plus dramatique en , lorsque lâEspagne entra virtuellement en cessation de paiements dans un contexte gĂ©nĂ©ral marquĂ© par une forte inflation, une stagnation des investissements, et une faible productivitĂ©. Câest du reste Ă ce moment critique que Franco finit par se persuader de la nĂ©cessitĂ© dâune rĂ©orientation dans la gestion Ă©conomique, y compris de la nĂ©cessitĂ© de sâaffranchir de lâimpĂ©ratif dâautarcie. Ce revirement se matĂ©rialisera sous la forme du dĂ©nommĂ© Plan de stabilisation, qui clĂŽtura ce quâil est dâusage en Espagne dâappeler la « dĂ©cennie charniĂšre » (decenio bisagra) (1951-1959), pĂ©riode marquĂ©e par la rĂ©habilitation internationale de lâEspagne[29] - [30] et se traduisant en particulier par la signature en 1953 des Accords de Madrid, ensemble de trois accords aux termes desquels les Ătats-Unis fournissaient Ă lâEspagne une assistance militaire et Ă©conomique au cours des dix annĂ©es suivantes, en contrepartie de lâimplantation par lâarmĂ©e amĂ©ricaine de bases militaires sur le sol espagnol[31] - [32].
Le gouvernement des technocrates joua en outre un rĂŽle important dans lâĂ©volution interne de la dictature franquiste, son avĂšnement entĂ©rinant en effet la fin de la dĂ©nommĂ©e « Ă©poque bleue » (oĂč prĂ©dominaient les chemises bleues, câest-Ă -dire la Phalange) et ayant amorcĂ© la libĂ©ralisation du marchĂ© espagnol ainsi que son ouverture au monde, ce qui reprĂ©senta un point dâinflexion du point de vue politique autant quâĂ©conomique[33].
LâentrĂ©e de Navarro Rubio au gouvernement Ă©tait semble-t-il un choix de Franco lui-mĂȘme, certes par le truchement de Carrero Blanco, et avec le parrainage de Cavestany et aussi dâune personnalitĂ© aussi Ă©loignĂ©e de lâOpus Dei que le phalangiste « de la premiĂšre heure » Arrese Magra, alors ministre-secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Mouvement[34] - [35]. Quant Ă Ullastres, son nom avait Ă©tĂ© suggĂ©rĂ© par Navarro Rubio Ă Arrese, qui Ă son tour le communiqua Ă Carrero Blanco. Cependant, Ă cette occasion Ă©galement, câest au Caudillo et au sous-secrĂ©taire Ă la PrĂ©sidence quâil revenait dâavoir le dernier mot[36]. Du reste, davantage quâavec une stratĂ©gie collective et concertĂ©e pour sâemparer des plus hautes positions dans la structure de pouvoir de la dictature, lâirruption dans le cabinet ministĂ©riel des « technocrates » de lâOpus Dei est Ă mettre en rapport avec le fait quâen 1957, face Ă la profonde crise que traversait alors le rĂ©gime, Franco et Carrero recherchaient « du sang neuf et des idĂ©es fraĂźches », des « hommes nouveaux », qui nĂ©anmoins « devaient ĂȘtre issu du Mouvement, ĂȘtre catholiques, accepter lâidĂ©e dâun retour Ă la monarchie comme issue finale, et ĂȘtre, du point de vue franquiste, apolitiques. LĂłpez RodĂł, Navarro Rubio et Ullastres se recoupaient avec cette idĂ©e »[37]. Il est admissible que Navarro Rubio, de par son appartenance Ă lâOpus Dei, nâĂ©tait pas Ă©tranger Ă certaine pensĂ©e techno-bureaucratique, Ă preuve que son coreligionnaire LĂłpez RodĂł Ă©tait singuliĂšrement rĂ©ceptif Ă ce type dâidĂ©es, selon la prĂ©misse que lâefficacitĂ© de la gestion technique pouvait agir comme vecteur capable de potentialiser lâidĂ©ologie traditionaliste[38] - [39].
Le troisiĂšme facteur ayant contribuĂ© Ă permettre le revirement de la politique Ă©conomique dans le sens dâune libĂ©ralisation est lâarrivĂ©e dans les strates supĂ©rieures de lâadministration espagnole dâune gĂ©nĂ©ration dâĂ©conomistes caractĂ©risĂ©e non seulement par leur jeunesse, mais aussi et surtout par leur formation plus poussĂ©e dans les matiĂšres Ă©conomiques ; câest en effet Ă partir de 1951 quâavaient Ă©tĂ© recrutĂ©s dans les ministĂšres des Finances et du Commerce les premiers diplĂŽmĂ©s de la facultĂ© des Sciences politiques, Ă©conomiques et commerciales de Madrid, centre dont le corps enseignant sâĂ©cartait de la doctrine officielle en mettant en avant le rĂŽle central du marchĂ© pour une assignation correcte des ressources, en dĂ©nonçant le protectionnisme intĂ©gral et en soulignant les risques inhĂ©rents Ă une politique peu soucieuse de lâinflation[40].
Ăgalement dĂ©cisive Ă©tait la nomination en Ă la tĂȘte du service dâĂ©tudes de la Banque d'Espagne de Juan SardĂĄ, qui deviendra lâarchitecte du Plan de stabilisation. SardĂĄ acquit un considĂ©rable ascendant sur Navarro Rubio, qui fit siens tous ses postulats, ce qui contribua Ă rendre possible la rĂ©forme Ă©conomique menĂ©e Ă la fin des annĂ©es 1950[41] - [42]. SardĂĄ Ă©tait non seulement titulaire dâune chaire dâĂ©conomie politique, aprĂšs une formation Ă lâĂ©tranger (Ă Munich et Londres), mais encore entra Ă la Banque dâEspagne aprĂšs quelques annĂ©es passĂ©es Ă Caracas (de 1951 Ă 1955), oĂč il avait cumulĂ© le professorat universitaire et une fonction de consultant auprĂšs de la Banque centrale du Venezuela, fonction dans le cadre de laquelle il avait Ă©tĂ© amenĂ© Ă entretenir de multiples contacts internationaux, puisquâil Ă©tait chargĂ© de se concerter avec les reprĂ©sentants de la Banque mondiale et du Fonds monĂ©taire international (FMI) en visite dans ce pays[43].
Navarro Rubio aux Finances : mesures « préstabilisatrices »
Ullastres, au titre de ministre du Commerce, et Navarro Rubio aux Finances, avec Ă leurs cĂŽtĂ©s Juan SardĂĄ, Ă la tĂȘte du Service des Ă©tudes de la Banque d'Espagne, mirent en marche le Plan de stabilisation de 1959 et la RĂ©forme fiscale de 1964, qui, associĂ©s aux Plans de dĂ©veloppement, mirent un terme Ă la pĂ©riode dâautarcie et permirent lâouverture de lâĂ©conomie espagnole vers lâextĂ©rieur. Leur Ă©quipe se composait de professionnels et de personnes de confiance telles que Juan Antonio Ortiz, Juan JosĂ© Espinosa San MartĂn, Luis Coronel de Palma, et une gĂ©nĂ©ration dâĂ©conomistes plus jeunes que leurs propres collaborateurs. LĂłpez RodĂł, Navarro Rubio et Ullastres travaillĂšrent en Ă©quipe, certes non sans quelques frictions, vu quâil nây avait pas dâuniformitĂ© de point de vue entre eux[2]. (Ă titre dâexemple, Ullastres â non plus que Franco, qui niait que la peseta fĂ»t surĂ©valuĂ©e â nâĂ©tait pas favorable Ă une dĂ©valuation de la peseta, tandis que Navarro Rubio travaillait Ă convaincre le chef de lâĂtat que la rĂ©alitĂ© Ă©conomique imposait un rĂ©ajustement de la monnaie, pour la mettre en adĂ©quation avec les marchĂ©s internationaux. Franco comme Ullastres estimaient que Navarro Rubio allait trop vite en besogne et ne voulaient pas mettre un terme abrupt Ă la politique autarcique[44].)
La nouvelle politique économique était axée sur quatre idées-force, à savoir :
- la prĂ©occupation au sujet de lâextrĂȘme isolement international de lâEspagne, consĂ©quence des politiques protectionnistes mises en Ćuvre dĂšs lâorĂ©e de la Restauration, mais exacerbĂ©es encore par la suite sous lâeffet de lâostracisme imposĂ© Ă lâEspagne par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, et surtout au sujet du haut degrĂ© dâinterventionnisme dâĂtat et de corruption dans lâĂ©conomie espagnole pendant la premiĂšre pĂ©riode franquiste ;
- le rejet, par la premiĂšre gĂ©nĂ©ration dâĂ©conomistes enrĂŽlĂ©s dans lâadministration espagnole au dĂ©but de la dĂ©cennie 1950, de lâidĂ©e selon laquelle lâinflation serait synonyme de dĂ©veloppement Ă©conomique, idĂ©e que caressaient fort certaines factions du rĂ©gime, y compris Franco lui-mĂȘme ; les nouveaux Ă©conomistes au contraire estimaient nĂ©cessaire lâadoption de politiques monĂ©taires et budgĂ©taires propres Ă garantir la stabilitĂ© des prix et du taux de change ;
- la libéralisation du taux de change, de telle sorte que celui-ci ne soit pas maintenu stable de façon artificielle, ainsi que cela fut le cas dans la décennie 1940-1950 ;
- libéralisation des marchés, qui auront à fonctionner selon la logique de la concurrence, et non plus du protectionnisme[45].
Le changement de cap de la politique Ă©conomique fut amorcĂ© en , date Ă laquelle, au lendemain de la constitution du nouveau gouvernement, des dĂ©cisions commencĂšrent Ă ĂȘtre prises en matiĂšre Ă©conomique qui allaient dans un sens indĂ©niablement opposĂ© Ă ce qui avait Ă©tĂ© suivi jusque-lĂ . Cette mutation allait se reflĂ©ter notamment dans la politique monĂ©taire en ceci que, pour la premiĂšre fois depuis plusieurs annĂ©es, la Banque d'Espagne, ayant rĂ©cupĂ©rĂ© ses prĂ©rogatives, sâattela Ă combattre lâexpansion monĂ©taire ; en moyenne, le taux dâintĂ©rĂȘt fut rehaussĂ© de 4,25 Ă 5 pour cent[46].
Parmi les mesures dites « prĂ©stabilisatrices » Ă©laborĂ©es aprĂšs lâentrĂ©e de Navarro Rubio au gouvernement, la plus dĂ©cisive Ă©tait la rĂ©forme fiscale de 1957, qui visait Ă augmenter suffisamment les recettes fiscales que pour en finir avec les dĂ©ficits budgĂ©taires et lâĂ©mission de dette publique. La rĂ©forme du , de portĂ©e plus gĂ©nĂ©rale, rĂ©visa lâimpĂŽt sur le revenu et modifia lâimposition indirecte en crĂ©ant lâ« impĂŽt sur le Trafic des entreprises » (prĂ©figuration de la future TVA). Navarro Rubio sut obtenir que le pouvoir franquiste accepte les mesures de libĂ©ralisation de lâĂ©conomie espagnole, qui mirent lâEspagne en situation de nĂ©gocier son adhĂ©sion Ă la Banque mondiale, au Fonds monĂ©taire international (FMI) et Ă lâorganisation europĂ©enne de coopĂ©ration Ă©conomique (ancĂȘtre de lâOCDE)[2].
RĂ©forme fiscale
La rĂ©forme fiscale, formalisĂ©e par la loi du , est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ©e comme la plus importante des mesures « prĂ©stabilisatrices » (les autres Ă©tant la hausse du taux d'intĂ©rĂȘt, une premiĂšre tentative de supprimer le systĂšme des taux de change diffĂ©rentiels, c'est-Ă -dire variant en fonction des produits, et le gel de la rĂ©munĂ©ration des fonctionnaires), câest-Ă -dire mises en Ćuvre dĂšs avant la subsĂ©quente et proche politique de stabilisation, et ayant contribuĂ© Ă la rendre possible[47] - [12] - [48]. Le projet se heurta Ă la rĂ©sistance initiale de ce que lâon avait coutume dâappeler « le patriarcat du ministĂšre des Finances », mais Navarro Rubio sut bientĂŽt rallier Ă ses arguments les bureaucrates installĂ©s, traditionnellement rĂ©tifs Ă toute modification de la structure fiscale, ralliement dans lequel les raisonnements exposĂ©s par Navarro Rubio devant ses directeurs gĂ©nĂ©raux lors de la premiĂšre des « rĂ©unions des samedis » eurent une part significative[49] - [50].
La rĂ©forme prĂ©voyait une structure dâimposition sâappuyant sur trois piliers : lâimpĂŽt sur le revenu du Travail personnel, lâimpĂŽt sur le revenu du Capital, et lâimpĂŽt sur les SociĂ©tĂ©s. Les seuils dâexemption fiscale furent rehaussĂ©s sur tout lâĂ©ventail des assiettes fiscales (pour les petits agriculteurs, les classes travailleuses proprement dites, les travailleurs manuels, les classes passives, les hĂ©ritages jusquâĂ un plafond dĂ©terminĂ©), Ă lâeffet que « ne payent pas dâimpĂŽts ceux qui nâont que lâindispensable pour vivre »[51] - [52] - [53].
Navarro Rubio instaura la dĂ©nommĂ©e « estimation objective », systĂšme par lequel on tentait de fixer avec la plus grande exactitude possible la base imposable des entreprises et des professions sur la foi dâune « Ă©valuation globale » de la richesse apportĂ©e Ă lâĂ©conomie nationale par chaque secteur. Lâadoption de ce procĂ©dĂ© fut justifiĂ©e par la fraude gĂ©nĂ©ralisĂ©e, par lâinsuffisance des moyens humains et matĂ©riels affectĂ©s Ă lâaccomplissement des tĂąches dâinspection fiscale, et par lâabsence dâune comptabilitĂ© normalisĂ©e dans les entreprises. SociĂ©tĂ©s et professionnels prĂ©fĂ©raient finalement se voir imposer sur la base dâune assiette fiscale globale, espĂ©rant ainsi Ă©viter le contrĂŽle fiscal individualisĂ©, eu Ă©gard Ă quoi cette mĂ©thode pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme la plus bĂ©nĂ©fique pour le TrĂ©sor public, qui en escomptait une hausse de la recette fiscale jusquâĂ 25 pour cent[54].
IndĂ©pendamment de ses quelques dĂ©ficiences techniques, la rĂ©forme fiscale menĂ©e par Navarro Rubio constitua au regard des recettes de lâĂtat une franche rĂ©ussite, Ă telle enseigne que la dette Ă©mise pour financer les dĂ©penses publiques baissa de 14 600 millions de pesetas en 1957 Ă 4 700 millions lâannĂ©e suivante. La mise en application de la nouvelle politique fiscale permit dâidentifier 24 119 contribuables, soit 40 pour cent du total[55].
Réduction des dépenses publiques
Navarro Rubio sâemploya Ă discipliner financiĂšrement les organismes para-ministĂ©riels tels que lâINI, le Service national des cĂ©rĂ©ales, ou la RENFE. Un dĂ©lĂ©guĂ© du ministĂšre des Finances, « chargĂ© de la mission de discuter le budget avec chaque ministre avant quâil ne soit prĂ©sentĂ© », et dont la fonction fut crĂ©Ă©e et installĂ©e dans chacun des diffĂ©rents dĂ©partements du gouvernement, examinait pour chaque cas particulier la possibilitĂ© de rĂ©soudre tel ou tel problĂšme de financement par la voie de lâemprunt, en lieu et place de la subvention[56]. Ces mesures de discipline budgĂ©taire furent lâoccasion de plusieurs affrontements avec dâautres membres du cabinet, en particulier avec ceux les plus liĂ©s au Mouvement et les plus vouĂ©s au principe autarcique, dont en particulier Arrese, responsable du Logement, et Antonio Barroso, titulaire de la DĂ©fense.
Mais paradoxalement, dans la pĂ©riode 1958-1964, et grĂące Ă cette politique, les services Ă©conomiques du gouvernement purent augmenter le budget de la DĂ©fense, ce qui nâĂ©tait plus arrivĂ© depuis les temps de la DeuxiĂšme RĂ©publique. Dâautre part, câest avec le Plan de stabilisation que la part imputĂ©e au poste Pensions de retraite et Ăducation connut une nette croissance, certes dâune ampleur encore assez Ă©loignĂ©e de ce Ă quoi lâon peut sâattendre de la part dâun Ătat-providence, de mĂȘme que la part, importante, assignĂ©e Ă cette Ă©poque aux dĂ©penses en Logement, Ă©volution en partie dĂ©terminĂ©e par lâenvolĂ©e de lâurbanisation que connut alors lâEspagne, Ă son tour assurĂ©ment liĂ©e au ministĂšre ad hoc spĂ©cialement crĂ©Ă© pour donner le loisir au phalangistes de mettre en pratique leurs ambitions sociales[57] - [58].
Ouverture extĂ©rieure de lâĂ©conomie espagnole
En plus de la dĂ©prĂ©ciation de la peseta, les taxes Ă lâimportation furent abolies pour 180 produits stratĂ©giques, reprĂ©sentant ensemble prĂšs de la moitiĂ© de tous les produits importĂ©s. Cependant, les limitations furent maintenues sur les produits moins essentiels. Seuls les secteurs en difficultĂ© demeuraient protĂ©gĂ©s de la concurrence par les lois protectionnistes datant des dĂ©buts du rĂ©gime. Les procĂ©dures furent rendues plus simples et moins restrictives pour les investisseurs Ă©trangers, ce qui fera grimper les investissements Ă©trangers de 12 millions de dollars en 1960 Ă 82 millions en 1960. ParallĂšlement, le nombre de touristes Ă©trangers doubla, passant de 3 Ă 6 millions, pour continuer de croĂźtre de maniĂšre soutenue par la suite[59] - [60] - [61].
RĂ©gulation du secteur financier
En 1962, une rĂ©forme bancaire fut rĂ©alisĂ©e par le biais de la loi du crĂ©ant les « Bases de lâordonnancement du crĂ©dit et de la banque » (LOCBA), suivie et complĂ©tĂ©e d'autres normes lĂ©gislatives, parmi lesquelles se signale en particulier le dĂ©cret-loi du de la mĂȘme annĂ©e portant « Nationalisation et rĂ©organisation de la Banque dâEspagne », qui tendait Ă rĂ©guler le systĂšme financier et Ă nationaliser ladite banque. Les fondements furent ainsi jetĂ©s qui feront de lâinstitution Ă©mettrice le protagoniste de la nouvelle politique monĂ©taire du gouvernement, oĂč lâautoritĂ© en matiĂšre monĂ©taire Ă©tait dĂ©sormais mise aux mains du ministĂšre des Finances, mais oĂč la mise en Ćuvre de la politique Ă©tait laissĂ©e Ă la banque centrale[2].
Ainsi, par rapport à la période entre 1921 et 1946, le cadre normatif mis en place par Navarro Rubio introduisait-il quatre nouveautés principales[62] - [63] :
- Dâabord, la nationalisation de la Banque dâEspagne et des EntitĂ©s officielles de crĂ©dit ;
- DeuxiĂšmement, par la LOCBA fut mise en place une structure institutionnelle complexe de rĂ©gulation financiĂšre, oĂč lâautoritĂ© dans le secteur se trouvait dĂ©sormais rĂ©partie entre trois acteurs : la Banque dâEspagne (chargĂ©e de superviser la banque privĂ©e), le nouvel institut de crĂ©dit Cajas de Ahorro (littĂ©r. Caisses dâĂ©pargne''), et lâInstitut de crĂ©dit Ă moyen et long terme, fondĂ©e comme instance de coordination et de surveillance des institutions de crĂ©dit rĂ©cemment nationalisĂ©es, ainsi que de lâactivitĂ© de prĂȘt Ă moyen et long terme du secteur bancaire ;
- TroisiĂšmement, la LOCBA poursuivait lâobjectif dâaccroĂźtre la spĂ©cialisation dans le secteur bancaire, notamment par lâouverture de banques industrielles, comme outil au service de lâimminent Plan de dĂ©veloppement ;
- Enfin, les bases Ă©taient posĂ©es pour façonner un rĂ©gime dans lequel lâĂtat retrouverait la maĂźtrise des flux de crĂ©dit[62].
En 1958, les ambitions rĂ©formistes de Navarro Rubio avaient trouvĂ© une maniĂšre d'aval par lâadmission de lâEspagne au FMI et Ă la Banque mondiale le . Une rĂ©union de cette derniĂšre tenue Ă New Delhi en septembre de la mĂȘme annĂ©e et Ă laquelle Navarro Rubio fut tenu dâassister acheva de le convaincre de la nĂ©cessitĂ© de mener totalement Ă bien la stabilisation projetĂ©e[64].
Plan de stabilisation et résistances aux réformes
Navarro Rubio a relatĂ© dans ses mĂ©moires lâextrĂȘme difficultĂ© quâil eut pour faire accepter son plan par Franco, dâautant que celui-ci Ă©tait soutenu dans sa fidĂ©litĂ© Ă lâidĂ©al autarcique par des collaborateurs trĂšs anciens, tels que Juan Antonio Suanzes, directeur de lâINI. Le Caudillo redoutait les organismes internationaux, auxquels il prĂȘtait des intentions malveillantes, rĂ©pugnait Ă la libĂ©ralisation des Ă©changes et renĂąclait Ă renoncer Ă lâinterventionnisme dâĂtat. De plus, il percevait confusĂ©ment que la libertĂ© du commerce risquait de rogner son pouvoir[65]. (Cela dâailleurs nâempĂȘchait pas Navarro Rubio dâĂ©prouver une grande admiration pour le Caudillo : « Il accordait beaucoup dâimportance aux idĂ©es de second ordre, celles qui font avancer les relations de pouvoir. Dans ce domaine, câĂ©tait un authentique gĂ©nie. Il nous a laissĂ© une leçon que je crois inimitable sur la façon pour un chef dâĂtat dâexercer lâarbitrage politique. »[66] - [note 2].
La nouvelle Ă©quipe dâĂ©conomistes dut dâabord sâatteler Ă faire justice des â selon les termes dâĂngel Viñas â « vieilles notions autarcisantes » toujours en vigueur dans les « plus hauts Ă©chelons du pouvoir dĂ©cisionnel »[67]. On y parvint Ă travers un processus graduel et lent, impliquant une multitude dâacteurs et que favoriseront les circonstances. Toutefois, le point dâinflexion dĂ©finitif sâaccomplit en trois moments distincts, rapprochĂ©s dans le temps :
- le premier, Ă la fin de 1958, est lâaccord inopinĂ© de plusieurs pays europĂ©ens au sujet de la convertibilitĂ© des monnaies, rĂ©sultat mis Ă profit par les secteurs du gouvernement espagnol et de la Banque d'Espagne les plus enclins Ă lâouverture internationale pour manifester que les principales institutions Ă©conomiques dâEspagne (hormis lâINI) sâaccordaient sur la nĂ©cessitĂ© dâavancer vers la dĂ©valuation, la stabilisation et la convertibilitĂ© de la peseta[64] - [68] ;
- le deuxiĂšme moment eut lieu en , pendant la visite dâune mission du FMI en Espagne dans le cadre des Ă©valuations effectuĂ©es annuellement par cette institution dans les Ătats concernĂ©s par lâarticle XIV des statuts du Fonds, autrement dit dans les Ătats qui appliquaient des restrictions aux paiements extĂ©rieurs. Navarro Rubio cependant devait alors faire face Ă un Franco insensible Ă ses avertissements que lâEspagne irait droit Ă la banqueroute si des mesures de libĂ©ralisation et dâouverture sur lâextĂ©rieur nâĂ©taient pas adoptĂ©es ; Franco ne consentit Ă accĂ©der aux requĂȘtes de Navarro Rubio quâaprĂšs que celui-ci eut Ă©voquĂ© de façon rĂ©pĂ©tĂ©e un hypothĂ©tique scĂ©nario oĂč les cartes de rationnement feraient Ă nouveau leur apparition. DĂšs obtention de lâaccord du Caudillo, une note fut rĂ©digĂ©e Ă lâintention des ministres des Finances, du Commerce et des Affaires extĂ©rieures, ainsi que du sous-gouverneur de la Banque dâEspagne, note dans laquelle se trouvait esquissĂ©e le « Plan de stabilisation », comportant les principes suivants : taux de change Ă©gal applicable aux importations et aux exportations ; libĂ©ralisation des importations de matiĂšres premiĂšres et de piĂšces dĂ©tachĂ©es ; restriction du crĂ©dit bancaire ; Ă©limination de la rĂ©gulation des prix au moyen de subsides, etc.[69] - [65] - [70] ;
- le troisiĂšme enfin, oĂč Navarro Rubio et Ullastres, venus apporter la version dĂ©finitive de la rĂ©forme au Conseil des ministres le , furent confrontĂ©s aux soupçons de plusieurs ministres qui servaient de courroie de transmission de certains secteurs du Mouvement, et oĂč ils affrontĂšrent ces rĂ©sistances avec dĂ©termination. Ce qui toutefois fit pencher la balance en faveur du changement de cap Ă©tait le constat que les rĂ©serves de devises de lâEspagne Ă©taient Ă©puisĂ©es[71].
La mise en Ćuvre du Plan de stabilisation sâaccompagna de mesures fiscales (cf. ci-dessus), monĂ©taires (notamment la fixation de plafonds pour lâaccroissement du crĂ©dit total au secteur privĂ©), de change (notamment la fixation du taux de change Ă un dollar pour soixante pesetas), relatives au commerce extĂ©rieur (en particulier la libĂ©ralisation partielle des importations), aux investissements Ă©trangers (en rehaussant Ă 50 pour cent la participation Ă©trangĂšre dans le capital social dâune entreprise espagnole sans nĂ©cessitĂ© dâautorisation prĂ©alable, et en simplifiant les procĂ©dures administratives en ce sens), et de flexibilisation de lâĂ©conomie espagnole (avec la suppression de certaines interventions de lâĂtat). En contrepartie, lâEspagne bĂ©nĂ©ficia dâune aide financiĂšre internationale destinĂ©e Ă soutenir le Plan[71] - [72].
EntrĂ© en vigueur le , le Plan donna lieu durant la premiĂšre annĂ©e Ă une rĂ©cession initiale, du fait que les secteurs les moins compĂ©titifs accusĂšrent une notable contraction de leur activitĂ©, avec une concomitante augmentation du chĂŽmage, le nombre de sans-emploi faisant un bond estimĂ© Ă quelque 200 000 personnes. BientĂŽt cependant, la situation se redressa, avec une Ă©volution spectaculaire de la balance des paiements, qui permit de poursuivre lâĆuvre de libĂ©ralisation de lâĂ©conomie sans guĂšre faire usage des aides accordĂ©es. Ces changements allaient se manifester dans toute leur ampleur en 1962, quand on enregistra une croissance du PIB de 7 pour cent[73].
Ătonnamment, Franco, semble-t-il convaincu dĂ©sormais par Navarro Rubio, dĂ©clara Ă PacĂłn en quâil aurait fallu lancer ce plan plus tĂŽt, ajoutant que « les ministres des Finances que jâai eus ne voyaient pas les choses clairement, câĂ©taient des techniciens qui ne voulaient pas regarder au-dehors »[74].
Remaniement ministériel de juillet 1962
Le , Franco procĂ©da Ă un nouveau remaniement gouvernemental, dont sortit renforcĂ©e la figure de Laureano LĂłpez RodĂł, nommĂ© Ă la tĂȘte du Commissariat au Plan de dĂ©veloppement nouvellement crĂ©Ă©. Cet organe, dâinspiration française et dont la mise sur pied avait Ă©tĂ© recommandĂ©e par la Banque mondiale, Ă©tait appelĂ© Ă concevoir et Ă piloter la stratĂ©gie Ă©conomique de lâEspagne Ă moyen terme, ce qui reprĂ©sentait une indubitable atteinte Ă la capacitĂ© de dĂ©cision de Navarro Rubio. Celui-ci, trĂšs jaloux de ses prĂ©rogatives, redoutait que la stabilitĂ© budgĂ©taire soit mise Ă mal, car Ă ses yeux, la relĂ©gation au second plan du ministĂšre des Finances devait Ă coup sĂ»r favoriser une recrudescence des dĂ©penses publiques jusquâĂ des montants insoutenables. Nonobstant quâil ait allĂ©guĂ© des raisons de santĂ© et des motifs Ă©conomiques, il apparaĂźt trĂšs vraisemblable que Navarro Rubio remit sa dĂ©mission en raison de sa position dĂ©gradĂ©e dans lâorganigramme gouvernemental. Bien que sa dĂ©mission ait Ă©tĂ© acceptĂ©e aussitĂŽt, Franco le sollicita de rester en fonction jusquâĂ ce quâune solution satisfaisante ait Ă©tĂ© trouvĂ©e, ce qui ne se produira pas avant la prochaine crise de gouvernement, le . Lâaffectation Ă laquelle aspirait Navarro Rubio Ă©tait le poste de gouverneur de la Banque d'Espagne, poste dont Franco rechignait Ă Ă©carter lâhomme ĂągĂ© quâĂ©tait JoaquĂn Benjumea BurĂn[75] - [2] - [76].
En attendant, LĂłpez RodĂł avait accaparĂ© un vaste pouvoir et Ă©tait arrivĂ© Ă occuper une place dominante au sein de la Commission dĂ©lĂ©guĂ©e des Affaires Ă©conomiques, formellement prĂ©sidĂ©e par Franco. En outre, cette instance de dĂ©cision devint une sorte de « mini-conseil des ministres », et signalait clairement que lâinfluence exercĂ©e par Navarro Rubio avait Ă©tĂ© seulement temporaire, le vĂ©ritable centre de gravitĂ© du pouvoir gouvernemental rĂ©sidant en effet, et nâayant jamais cessĂ© de rĂ©sider, chez Franco et dans son entourage ; ainsi, en lâespĂšce, lâascendant acquis par LĂłpez RodĂł sur lâĂ©minence grise du rĂ©gime Carrero Blanco dĂ©passait-il dĂ©sormais celui de Navarro Rubio[77].
Lâensemble des mesures prises par les technocrates fut Ă l'origine d'une restructuration Ă©conomique, qui allait se traduire par le dĂ©nommĂ© « miracle Ă©conomique espagnol » des annĂ©es 1960, pĂ©riode de croissance Ă©conomique hors pair en Espagne, fruit dâune ouverture sans prĂ©cĂ©dent, qui attira des investissements de capital Ă©tranger et permit le redressement rapide du pays, aprĂšs une longue pĂ©riode de rĂ©cession Ă©conomique consĂ©cutive aux politiques autarciques appliquĂ©es dans les dĂ©buts de la dictature franquiste. Au cours des huit annĂ©es que Navarro Rubio resta Ă la tĂȘte du ministĂšre des Finances, lâEspagne connut une croissance Ă©conomique supĂ©rieure Ă celle de ses voisins europĂ©ens, voire comparable Ă celle de pays tels que le Japon[78] - [79].
Gouverneur de la Banque dâEspagne (1965-1970)
En 1965, Navarro Rubio quitta son poste au gouvernement pour ĂȘtre nommĂ© gouverneur de la Banque d'Espagne[80] - [81]. Ă ce titre, et avec lâaide dâĂngel Madroñero, il rĂ©organisa le Service des Ă©tudes, vers lequel il sut attirer des Ă©conomistes comme Mariano Rubio, Miguel Boyer et Carlos Solchaga, entre autres. Il occupa parallĂšlement la prĂ©sidence de lâInstitut de crĂ©dit Ă long et moyen terme (« Instituto de CrĂ©dito a Medio y Largo Plazo ») et de lâInstitut de crĂ©dit des caisses dâĂ©pargne (« Instituto de CrĂ©dito de las Cajas de Ahorro »). En 1969, il fut admis comme membre Ă lâAcadĂ©mie royale des sciences morales et politiques[2].
La mĂȘme annĂ©e 1965, il ordonna la mise sous tutelle de la petite institution financiĂšre Banco de Siero, fondĂ©e par RamĂłn Rato RodrĂguez et accusĂ©e de servir de sociĂ©tĂ© Ă©cran pour lâĂ©vasion de devises Ă destination de la Suisse. La sentence finale consista en une peine dâemprisonnement de trois ans et une amende de 176 millions de pesetas pour RamĂłn Rato, de 44 milliones de pesetas pour son fils aĂźnĂ© RamĂłn Rato Figaredo, et de 5 millions de pesetas pour complicitĂ© pour Faustino Rato RodrĂguez Sampedro, oncle paternel des frĂšres Rato, et pour plusieurs autres dirigeants de la banque.
Navarro Rubio occupa le poste de gouverneur de la Banque dâEspagne jusquâen 1970. Mis en cause dans lâaffaire Matesa (Maquinaria Textil del Norte de España, SA), il passa en jugement, mais fut amnistiĂ© en 1971. En attendant, et Ă lâĂ©gal de tous les ministres et hauts fonctionnaires de lâOpus Dei, il dut quitter ses fonctions Ă la banque dâEspagne, et trouva Ă sâemployer comme directeur du Fonds pour la recherche Ă©conomique et sociale (« Fondo para la InvestigaciĂłn EconĂłmica y Social », acronyme FIES)[2] - [82] - [83] - [note 3].
Il enseigna et prononça des confĂ©rences au CollĂšge universitaire de La RĂĄbida (rattachĂ© Ă lâuniversitĂ© de SĂ©ville) et Ă lâuniversitĂ© de Navarre. Il eut un grand rĂŽle dans la promotion de la doctrine sociale catholique et fut attentif Ă la problĂ©matique sociale dans lâentreprise, Ă laquelle il consacra plusieurs ouvrages et articles. Il est Ă lâorigine de la Fondation Navarro Rubio, dont le siĂšge est Ă Daroca[2].
Vie personnelle
Navarro Rubio Ă©tait mariĂ© avec MarĂa Dolores Serres Sena, avec qui il eut onze enfants. Lâune de ses filles, MarĂa del Carmen, a Ă©pousĂ© Alfonso Cabeza, mĂ©decin et prĂ©sident de lâAtlĂ©tico de Madrid au dĂ©but de la dĂ©cennie 1980[84].
DĂ©corations
- Grand-croix de lâordre civil du MĂ©rite agricole (1961)[85].
- Grand-croix de lâordre du MĂ©rite militaire, avec insigne blanc (1961)[86].
- Grand-croix de lâordre royal et trĂšs-distinguĂ© de Charles III (1961)[87].
- Grand-croix de lâordre du MĂ©rite aĂ©ronautique, avec insigne blanc (1962)[88].
- Grand-croix de lâordre dâAlphonse X le Sage (1964)[89].
- Grand-croix de lâordre royal et militaire de Saint-HermĂ©nĂ©gilde (1973)[90].
Notes et références
Notes
- Lâappartenance Ă lâOpus Dei Ă©tait une caractĂ©ristique que Navarro Rubio partageait avec Laureano LĂłpez RodĂł, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral technique Ă la PrĂ©sidence, et avec Alberto Ullastres, ministre du Commerce. Pour rappel : lâOpus Dei, fondĂ© en 1928 par lâecclĂ©siastique aragonais JosemarĂa EscrivĂĄ de Balaguer, Ă©tait une organisation catholique qui avait pour ambition de sanctifier le monde sĂ©culier par la voie du travail. Ses membres sâappliquaient Ă assumer des positions clef dans lâuniversitĂ©, lâadministration et le monde de lâentreprise, dans la conviction que cela leur permettrait de diffuser leurs idĂ©es de maniĂšre plus efficace. GrĂące Ă ses dehors plus modernes, ainsi quâĂ lâappui de catholiques nantis, plus particuliĂšrement en Catalogne, lâOpus Dei gagna en influence au sein du rĂ©gime franquiste, aux dĂ©pens des autres organisations religieuses plus traditionnelles telles que lâAction catholique, cf. F. J. Luque Castillo (2014), p. 395. LâentrĂ©e de plusieurs membres dans le nouveau gouvernement sera la premiĂšre occasion pour la sainte confrĂ©rie de mettre en pratique cette « spiritualitĂ© laĂŻque » prescrite par la doctrine de EscrivĂĄ de Balaguer, cf. A. Bachoud (1997), p. 338. Franco avait un grand respect pour lâOpus Dei, avec le fondateur duquel il avait fait connaissance personnellement, encore quâil ait exprimĂ© en privĂ© quelques rĂ©serves, en particulier sur la maniĂšre dont les membres de cette institution tendaient Ă se favoriser et Ă se promovoir mutuellement, cf. S. G. Payne & J. Palacios (2014), p. 485. Mais mĂȘme ainsi, et contrairement Ă une opinion rĂ©pandue, les membres de lâOpus Dei ne furent jamais nombreux dans le gouvernement, y compris dans celui, dit « monocolore », de 1969, cf. B. Bennassar (1995), p. 314.
- Il est vrai que dans la conclusion de ses mĂ©moires, Navarro Rubio brosse du Caudillo un portrait beaucoup moins flatteur, tant au physique quâau moral, le dĂ©crivant comme un homme « dâaspect ordinaire, simple, une voix humble, une culture moyenne, un sens commun Ă la façon galicienne ». En tant quâhomme politique, Ă©crit Navarro Rubio, Franco « eut toujours une vision opportuniste, Ă court terme, pragmatique et adaptĂ©e aux circonstances ; incohĂ©rence parfois, y compris quant aux postulats de dĂ©mocratie organique quâil dĂ©fendait ». Cf. A. Bachoud (1997), p. 449 & M. Navarro Rubio (1991), p. 240-242.
- Navarro Rubio affirme dans ses mĂ©moires que lors dâune visite Ă Franco, celui-ci lui assura quâil nây aurait aucune poursuite contre lui Ă propos de lâaffaire Matesa. Quelques jours plus tard pourtant, Navarro Rubio, Ă la demande du prĂ©sident des Cortes â donc avec lâassentiment de Franco â, fut inculpĂ© pour « nĂ©gligence ». Plusieurs hypothĂšses existent quant Ă ce dĂ©dit du Caudillo. Cf. A. Bachoud (1997), p. 414 & 421.
Références
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Liens externes
- (es) Paloma Gómez Pastor, « Mariano Navarro Rubio », sur Diccionario biogråfico español, Madrid, Real Academia de la Historia, (consulté le )
- (es) Francisco Javier Luque Castillo, « Los ministros de Hacienda en España (1901-1986) : perfil sociopolĂtico e influencia », Grenade, Departamento de Ciencia polĂtica y de la AdministraciĂłn / universitĂ© de Grenade, , p. 367-414 (thĂšse de doctorat, sous la direction de Miguel Jerez Mir).
Bibliographie
Ăcrits de Mariano Navarro Rubio
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Sources secondaires
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