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Affaire Matesa

L’affaire Matesa est un scandale politico-financier qui Ă©clata en 1969 en Espagne et fit vaciller le rĂ©gime franquiste.

L’affaire avait pour origine l’obtention frauduleuse de crĂ©dits publics Ă  l’exportation par l’entreprise Matesa, fabricant d’un type nouveau de mĂ©tier Ă  tisser, mais dont les exportations Ă©taient en grande partie fictives. Le principal dirigeant de ladite entreprise, Juan VilĂĄ Reyes, spĂ©cimen nouveau de chef d’entreprise complaisamment mis en avant par le rĂ©gime, n’avait pas eu grand peine Ă  obtenir ces crĂ©dits dans la mesure oĂč le gouvernement franquiste, converti depuis une dĂ©cennie Ă  l’ouverture sur l’extĂ©rieur et Ă  une plus grande prise en compte des mĂ©canismes de marchĂ©, s'efforçait Ă  tout prix de rĂ©tablir sa balance des paiements par un accroissement des exportations. La fraude, qui engloutit jusqu’à un quart des fonds de la banque publique BCI, Ă©clata au grand jour en et dĂ©passa bientĂŽt, par la publicitĂ© exceptionnelle faite Ă  ce scandale, le cadre d’un dĂ©lit strictement financier pour devenir l’occasion d’un rĂšglement de comptes politique. En effet, dans la classe gouvernante couvait depuis au moins une lutte de tendances entre d’un cĂŽtĂ© les bleus (hĂ©ritiers de la Phalange, en perte de vitesse), incarnĂ©s par les ministres Manuel Fraga et JosĂ© SolĂ­s Ruiz, et de l’autre les technocrates (partisans du libĂ©ralisme, en ascension), reprĂ©sentĂ©s par les ministres « Ă©conomiques », tous affiliĂ©s ou sympathisants de l’Opus Dei, et emmenĂ©s par le prĂ©sident de facto du Conseil des ministres, Carrero Blanco. La campagne de presse, qui supposait au moins l’assentiment tacite des ministres Fraga et SolĂ­s, ulcĂ©rĂ©s par l’abandon des principes phalangistes, dont en particulier l’autarcie nationale, apparaĂźt comme un coup montĂ© par le Mouvement en vue d’éclabousser l’Opus Dei. Le gouvernement, pour dĂ©samorcer le scandale, ne put faire autrement que de traiter l’affaire non pas comme un simple dĂ©lit financier relevant du code commercial, mais comme une affaire politique, ordonnant donc de mettre la Matesa sous tutelle de l’État et requĂ©rant les Cortes de mener une enquĂȘte sur les responsabilitĂ©s administratives, sinon politiques, puis de rendre son jugement avant dĂ©fĂšrement des hautes personnalitĂ©s incriminĂ©es devant la Cour suprĂȘme ; d’autre part, Franco procĂ©da en Ă  un profond remaniement gouvernemental qui, paradoxalement, eut pour effet de renforcer la position des technocrates et de Carrero Blanco aux dĂ©pens des bleus, dont les ministres furent limogĂ©s ou rĂ©trogradĂ©s. Tandis que la procĂ©dure judiciaire suivait son cours (contre les ministres et hauts fonctionnaires concernĂ©s), Franco, soit pour mettre un terme dĂ©finitif au scandale politique, soit cĂ©dant au chantage de VilĂĄ Reyes (qui affirmait ĂȘtre en possession de documents compromettants pour le rĂ©gime), prit en une mesure de grĂące en faveur des sentenciĂ©s, y compris pour les jugements encore en suspens. Quant Ă  VilĂĄ Reyes, sur qui planait en 1975 la menace d’un verdict de plus de 200 ans d’emprisonnement prononcĂ© par un tribunal ordinaire, il fut graciĂ© par le roi Juan Carlos en .

Toile de fond

Contexte politique

En , quand Ă©clata le scandale Matesa, Franco Ă©tait dĂ©jĂ  au pouvoir depuis plus d’une trentaine d’annĂ©es, encore que le rĂ©gime, mais aussi et surtout la sociĂ©tĂ© espagnole, aient entretemps subi de profonds changements[1]. La crise Ă©conomique de la fin des annĂ©es 1950, se traduisant par l’inflation et par l’épuisement des rĂ©serves de devises, avait mis un terme, non sans fortes rĂ©sistances du Caudillo, au rĂȘve autarcique. La politique Ă©conomique dite « dĂ©veloppementaliste » (desarrollismo) fut alors mise en marche et allait ĂȘtre poursuivie, avec quelques fluctuations, jusqu’à la crise Ă©conomique mondiale de 1973 ; grĂące Ă  ce changement de cap, l’Espagne allait atteindre des taux de croissance spectaculaires, dĂ©passĂ©s seulement par ceux du Japon. Cette rĂ©ussite apporta la consĂ©cration Ă  ceux parmi les Ă©conomistes de l’équipe ministĂ©rielle connus sous le nom de « technocrates », qui avaient pour trait distinctif d’ĂȘtre tous liĂ©s Ă  l’Opus Dei et d’avoir introduit en Espagne un mode de gouvernement diffĂ©rent, caractĂ©risĂ© notamment par un langage direct et une attitude pragmatique[2] - [3].

Quelques annĂ©es auparavant, la Loi organique de l'État (LOE) avait Ă©tĂ© adoptĂ©e, puis ratifiĂ©e par rĂ©fĂ©rendum en , tandis que le prince Juan Carlos de Bourbon venait d’ĂȘtre dĂ©signĂ© en Ă  la succession de Franco en qualitĂ© de roi, avec l’approbation des Cortes[4].

Sur le plan politique, le vĂ©ritable organe de pouvoir de la dictature de Franco Ă©tait le gouvernement, en dĂ©pit de la coexistence d’autres institutions, telles que le Mouvement national (le parti unique) ou les Cortes. Au sein de ce gouvernement, Franco avait soin de maintenir un Ă©quilibre entre les diffĂ©rentes « familles » politiques, en constituant des cabinets ministĂ©riels composites dans lesquels chaque famille se trouvait dĂ»ment reprĂ©sentĂ©e et oĂč les tensions entre ces diffĂ©rentes factions pouvaient se rĂ©sorber, jusqu’à ce que l’ampleur des tensions et la pression de la sociĂ©tĂ© viennent commander un remaniement ministĂ©riel de sorte Ă  instaurer un nouvel Ă©quilibre[5]. Ainsi peut-on distinguer schĂ©matiquement en 1969 plusieurs familles franquistes professant des idĂ©es opposĂ©es, en particulier au sujet de l’avenir (alors encore incertain) du rĂ©gime, mĂȘme si ces familles ne coĂŻncidaient dĂ©jĂ  plus avec les factions prĂ©valant dans les premiĂšres annĂ©es de la dictature. Parmi elles mĂ©ritent plus particuliĂšrement l’attention les deux groupes jouissant de la reprĂ©sentation la plus importante dans les Conseils des ministres d’alors et s’opposant entre elles par leur conception respective du futur souhaitable pour le rĂ©gime. Il y a d’abord ceux que certains auteurs ont nommĂ©s « les politiques » (ou les « bleus »), c’est-Ă -dire les personnalitĂ©s issues du SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral du Mouvement, emmenĂ©s par JosĂ© SolĂ­s Ruiz et rejoints par le ministre de l’Information et du Tourisme, Manuel Fraga Iribarne et, occasionnellement, par le ministre des Affaires Ă©trangĂšres Fernando MarĂ­a Castiella. Les hommes de SolĂ­s, bien que d’accointance phalangiste, Ă©taient fort Ă©loignĂ©s dĂ©jĂ  des phalangistes de l’immĂ©diat aprĂšs-guerre-civile et prĂ©conisaient une rĂ©forme du rĂ©gime propre Ă  le rendre plus attrayant pour les nouvelles gĂ©nĂ©rations, notamment en instaurant la « diversitĂ© des points de vue » (contraste de pareceres) — certes sous le contrĂŽle du Mouvement et dans les limites de la dĂ©mocratie organique — en permettant la participation populaire dans la prise de dĂ©cision, et en Ă©largissant la base dĂ©mocratique des syndicats officiels[6] - [7]. Ces « politiques » poursuivaient un triple objectif : premiĂšrement, maintenir le Mouvement et les syndicats hors de la tutelle de l’amiral Carrero Blanco et de la prĂ©sidence du gouvernement ; deuxiĂšmement, faire du Mouvement l’unique canal de reprĂ©sentation politique du peuple espagnol, quand mĂȘme cela devait conduire Ă  la constitution d’associations politiques, moyennant que celles-ci demeurent sous le parapluie du Conseil national du Mouvement ; et enfin troisiĂšmement, rĂ©former les syndicats pour en faire une organisation sociale plus reprĂ©sentative, mais sous la fĂ©rule phalangiste. De la sorte, le Conseil national du Mouvement se hisserait au rang de nouvelle Chambre haute, supĂ©rieure aux Cortes et ayant vocation Ă  critiquer et Ă  contrĂŽler le gouvernement[8] - [9].

De l’autre cĂŽtĂ© figuraient les dĂ©nommĂ©s « technocrates », ministres membres de l’Opus Dei, ou du moins entretenant des rapports Ă©troits avec cette institution religieuse sĂ©culiĂšre. Des affiliĂ©s de l’Opus Dei avaient accĂ©dĂ© pour la premiĂšre fois au gouvernement Ă  la faveur de la crise de 1957, et leur nombre et influence n’avaient cessĂ© ensuite de croĂźtre dans le gouvernement sous l’égide de Carrero Blanco et sous la direction de LĂłpez RodĂł[10]. Le Mouvement acceptait mal la prĂ©pondĂ©rance, dans la plupart des organismes Ă©conomiques nationaux, des technocrates qui lui Ă©taient ouvertement hostiles[11]. Le scandale Matesa et ses rĂ©percussions ne peuvent ĂȘtre dissociĂ©s de cet arriĂšre-plan d’affrontement entre familles politiques du rĂ©gime franquiste[12].

Sur le plan du systĂšme judiciaire, l’instance ayant vocation Ă  connaĂźtre de l’affaire Matesa au moment de la rĂ©vĂ©lation du scandale Ă©tait un tribunal spĂ©cial, Ă  savoir la Cour spĂ©ciale des dĂ©lits monĂ©taires (Juzgado Especial de Delitos Monetarios), laquelle avait Ă©tĂ© crĂ©Ă©e en 1938 pour prĂ©venir et sanctionner les fuites de capitaux pendant la Guerre civile et dont les membres, nommĂ©s librement par le gouvernement, ne devaient pas ĂȘtre membre de la magistrature[13].

Politique économique du régime franquiste

La crise de 1957 avait signĂ© la fin de l’autarcie et l’arrivĂ©e aux commandes d’une nouvelle Ă©quipe de ministres Ă©conomiques dits « technocrates », qui mirent en place une nouvelle politique Ă©conomique plus libĂ©rale, encore que seulement dans une mesure partielle ; la part du pouvoir de dĂ©cision en matiĂšre Ă©conomique laissĂ©e aux mĂ©canismes de marchĂ© s’accrut certes, mais le dirigisme d’État, la mĂ©fiance vis-Ă -vis du marchĂ© et un certain irrĂ©alisme n’avaient pas pour autant cessĂ© d’animer l’appareil lĂ©gislatif et les hauts fonctionnaires chargĂ©s d’appliquer la nouvelle politique[14]. L’un des mobiles les plus importants de ce changement de politique fut le problĂšme de la balance des paiements, et l’un des objectifs primordiaux du nouveau programme allait ĂȘtre la hausse des exportations. En , un ordre du ministĂšre des Finances dĂ©finissait les premiĂšres mesures destinĂ©es Ă  favoriser le crĂ©dit Ă  l’exportation[15].

Cependant, dĂšs la fin de la mĂȘme annĂ©e, ces mesures Ă©taient dĂ©jĂ  perçues comme insuffisantes. Le volume des exportations ne rĂ©pondant pas aux attentes, les autoritĂ©s Ă©conomiques espagnoles, rĂ©agissant en accord avec leur inclination interventionniste, dĂ©crĂ©tĂšrent « une nouvelle rĂ©glementation comportant des incitatifs plus forts en faveur du crĂ©dit Ă  l’exportation » d’une part, et d’autre part dĂ©cidĂšrent de mettre Ă  contribution la Banque de crĂ©dit industriel (BCI), crĂ©Ă©e en 1920 pour d’autres finalitĂ©s, mais qui venait d’ĂȘtre nationalisĂ©e en vertu de la Loi d’ordonnancement bancaire de 1962 et qui n’avait guĂšre d’autonomie face au gouvernement[16]. De plus, elle n’était pas l’organe le plus appropriĂ© pour prendre en charge le crĂ©dit Ă  l’exportation, attendu que non seulement elle ne disposait d’aucune expĂ©rience dans ce domaine, mais qu’en plus elle ne pouvait s’appuyer sur le moindre rĂ©seau de succursales Ă  l’étranger. Pour s’informer de la situation Ă  l’étranger des entreprises auxquelles elle prĂȘtait des fonds, elle devait recourir aux statistiques des douanes et Ă  la sociĂ©tĂ© Compañía Española de Seguros y Reaseguros de CrĂ©dito y CauciĂłn (littĂ©r. Compagnie espagnole d’assurance et rĂ©assurance de crĂ©dit et cautionnement, ci-aprĂšs dĂ©signĂ© par CrĂ©dito y CauciĂłn), qui assurait les risques des opĂ©rations de crĂ©dit Ă  l’exportation et avait Ă  sa disposition un rĂ©seau d’information international apte Ă  Ă©valuer la solvabilitĂ© des acheteurs Ă©trangers. Cette sociĂ©tĂ© agissait avec une totale indĂ©pendance au moment de dĂ©cider si elle assurait ou non les opĂ©rations pour lesquelles on la sollicitait et fonctionnait dĂšs lors Ă  la maniĂšre d’une entreprise privĂ©e[17]. La BCI quant Ă  elle se trouvait ravalĂ©e au rang de simple exĂ©cutant d’une politique interventionniste portĂ©e Ă  crĂ©er toutes sortes de mĂ©canismes artificiels et de distorsion Ă  telle fin de rĂ©aliser dans les plus brefs dĂ©lais son objectif de faire Ă©tat d’une balance de paiements positive[14] - [18].

L’entreprise Matesa

L’entreprise Matesa (acronyme de Maquinaria Textil del Norte de España S.A.) s’était vouĂ©e Ă  la fabrication, Ă  l’aide de piĂšces importĂ©es des États-Unis[19], d’un nouveau modĂšle de mĂ©tier Ă  tisser mĂ©canique qui avait la particularitĂ© de se passer d’une navette et pour lequel la firme avait acquis en 1957 Ă  la foire de Lyon le brevet français Ancet-Fayolle en vue de son exploitation commerciale dans le monde entier, Ă  l’exception de la France, des Pays-Bas et des anciennes colonies de ces pays. Le siĂšge central et les bureaux d’étude Ă©taient situĂ©s Ă  Barcelone, tandis que les ateliers de montage se trouvaient Ă  Pampelune, ville qui Ă©tait alors l’un des centres vitaux de l’Opus Dei[20] - [21]. En 1967, le capital social de l’entreprise se montait Ă  600 millions de pesetas et Ă©tait Ă  cette date passĂ© en totalitĂ© aux mains de la famille VilĂĄ Reyes, qui dĂ©jĂ  dans les annĂ©es antĂ©rieures en avait Ă©tĂ© l’actionnaire majoritaire. Depuis 1967, il n’existait plus de conseil d'administration, la firme Ă©tant en effet dirigĂ©e dĂ©sormais par trois administrateurs solidaires : les frĂšres Juan VilĂĄ Reyes et Fernando VilĂĄ Reyes, et Manuel Salvat Dalmau, beau-frĂšre des prĂ©cĂ©dents[20] - [22] - [23].

La Matesa, qui avait entamĂ© ses activitĂ©s d’exportation en 1964, avait dĂ©crochĂ© par deux fois le Brevet de l’exportateur (Carta de Exportador) de premiĂšre catĂ©gorie (respectivement en et )[20] - [21], et s’était vu dĂ©cerner en outre par le ministĂšre de l’Éducation et des Sciences la grand-croix de l’Ordre d'Alphonse X le Sage en rĂ©compense de son Ɠuvre de « recherche industrielle »[24]. Ce succĂšs obtenu en pleine Campagne nationale pour l’exportation, avait valu une popularitĂ© notable Ă  Juan VilĂĄ Reyes, premier responsable de l’entreprise[20] - [note 1]

Juan VilĂĄ Reyes avait trouvĂ© dans le systĂšme de soutien public Ă  l’exportation la source de financement dont il avait besoin pour rĂ©aliser les objectifs fixĂ©s par son entreprise, c’est-Ă -dire, en particulier, de se hisser en peu d’annĂ©es au rang de premiĂšre multinationale industrielle espagnole[25]. L’expansion internationale du produit que fabriquait et commercialisait la Matesa, la machine textile IWER, d’un type neuf (car jusque-lĂ  tous les mĂ©tiers mĂ©caniques renfermaient une navette), capable de tisser tout type de matĂ©riau (y compris le papier et la fibre de verre), impliquait des dĂ©penses et des risques considĂ©rables, puisqu’il y avait lieu de mettre sur pied un rĂ©seau de filiales internationales appelĂ©es non seulement Ă  vendre le produit, mais aussi Ă  prendre en charge le service aprĂšs-vente, et que les difficultĂ©s inhĂ©rentes Ă  la mise sur le marchĂ© d’un produit innovant ne pouvaient ĂȘtre surmontĂ©es qu’au moyen de l’octroi d’importants avantages financiers aux clients. Par suite, la Matesa devint forte consommatrice de crĂ©dits, le solde dĂ©biteur de la firme Ă  l’égard de la BCI s’accroissant des quelque 22 millions de pesetas en 1964 (Ă©quivalant Ă  3,3 % du total des crĂ©dits Ă  la exportation accordĂ©s par la BCI) aux quelque 10 000 millions qui allaient scandaliser l’opinion espagnole en 1969[18] (Ă©quivalant Ă  environ 50 % du total, et Ă  25 % du total des fonds de la banque, et ce pour le compte d’une seule entreprise[26]).

Crédits accordés à la Matesa

Le montant de 10 000 millions de pesetas[note 2] reçus par la Matesa depuis 1964 de la part de la BCI Ă  titre de crĂ©dits Ă  l’exportation lui avait Ă©tĂ© versĂ© selon deux modalitĂ©s : comme crĂ©dits de prĂ©financement (destinĂ©s Ă  financer des produits pour la vente Ă  l’étranger, vente pour laquelle devait exister un contrat en bonne et due forme avec le futur acheteur) et comme crĂ©dits Ă  l’exportation proprement dits (dont la finalitĂ© Ă©tait le financement de la vente Ă  terme des produits concernĂ©s)[27].

Dans ces opĂ©rations, la BCI n’était qu’un simple intermĂ©diaire au service d’autoritĂ©s Ă©conomiques soucieuses avant tout de faire progresser les exportations espagnoles, de sorte que dĂšs le moment que le requĂ©rant satisfaisait aux conditions lĂ©gales, la BCI ne pouvait faire autrement que d’accorder le prĂȘt. NĂ©anmoins, la direction de la BCI ne laissait de se montrer prĂ©occupĂ©e et par deux fois interpella la CrĂ©dito y CauciĂłn pour l’avertir que la Matesa vendait Ă  elle-mĂȘme par le truchement de ses propres filiales, — ce qui au reste n’était pas illĂ©gal, pour autant qu’il y eĂ»t un acheteur final distinct —, et toutes ces deux fois CrĂ©dito y CauciĂłn assura de son appui la BCI pour ses opĂ©rations avec la Matesa. En revanche, on ne rĂ©ussit pas Ă  inciter d’autres banques Ă  s’y engager, vu que la Matesa ne satisfaisait pas Ă  leurs conditions[28].

Les mobiles de la BCI Ă©taient de nature politique, et non Ă©conomique, dans un contexte oĂč il importait d’augmenter Ă  toute force les exportations. Or, l’on se trouvait en prĂ©sence d’une entreprise qui annĂ©e aprĂšs annĂ©e, Ă  en croire les donnĂ©es qu’elle-mĂȘme transmettait Ă  la BCI, accroissait constamment et spectaculairement ses exportations, qui arrivait Ă  exporter y compris vers les États-Unis, qui possĂ©dait plusieurs laboratoires de recherche jouissant d’une grande renommĂ©e dans les milieux de la machine textile, et Ă  la tĂȘte de laquelle se trouvait un entrepreneur d’une espĂšce nouvelle — VilĂĄ Reyes —, qui se plaisait Ă  se donner le genre du « manager amĂ©ricain »[26], douĂ© « d’agressivitĂ© exportatrice »[24], qui se dĂ©plaçait dans son avion privĂ©, et qui Ă©tait pourvu d’un entregent hors de l’ordinaire (il s’était notamment liĂ© d’amitiĂ© avec ValĂ©ry Giscard d'Estaing et apporta son concours financier Ă  la campagne Ă©lectorale de Richard Nixon, etc.). En somme, la Matesa Ă©tait devenue le navire-amiral d’un nouveau type de chef d’entreprise, ouvert au marchĂ© international, que les autoritĂ©s Ă©conomiques franquistes s’appliquaient dĂ©sormais Ă  mettre en avant aprĂšs la pĂ©riode d’autarcie. Une marque symptomatique de la bienveillance des diffĂ©rents secteurs de l’administration franquiste envers la Matesa fut la sentence indulgente prononcĂ©e en 1967 par le Tribunal des dĂ©lits monĂ©taires Ă  l’encontre de l’entreprise pour dĂ©lit d’évasion de capitaux portant sur une somme de 103 millions de pesetas[26]. Par ailleurs, VilĂĄ Reyes passait pour ĂȘtre trĂšs proche des milieux de l’Opus Dei[21].

Soupçons d’irrĂ©gularitĂ©s et saisine de la justice

La visite en Espagne du ministre argentin de l’Industrie permit de dĂ©couvrir le pot-aux-roses, puisqu’il apparut en effet Ă  cette occasion que seules 120 machines textiles avaient Ă©tĂ© vendues sur les 1500 qui avaient thĂ©oriquement Ă©tĂ© expĂ©diĂ©es en Argentine[29]. Pendant que les suspicions d’un comportement irrĂ©gulier de la Matesa allaient s’amplifiant, il fut dĂ©cidĂ© en , Ă  la suite d’un accord entre le ministre des Finances Juan JosĂ© Espinosa San MartĂ­n et Juan VilĂĄ Reyes, d’intĂ©grer dans le personnel de la Matesa l’ingĂ©nieur Juan Ignacio Trillo y LĂłpez-Mancisidor, qui Ă©tait connu du ministre et fut missionnĂ© de mettre de l’ordre dans l’imbroglio administratif de l’entreprise. C’est en que les premiĂšres irrĂ©gularitĂ©s vinrent au jour, quand les services d’inspection de la BCI eurent dĂ©couvert que les stocks de machines textiles supposĂ©ment prĂ©sentes dans la fabrique de Pampelune Ă©taient excessivement Ă©levĂ©s en regard des chiffres de production et d’exportation communiquĂ©s Ă  la banque. Cette dĂ©couverte porta la BCI Ă  Ă©laborer un plan de rĂ©ajustement tendant Ă  restreindre l’accroissement des crĂ©dits accordĂ©s Ă  la firme[30].

Au printemps 1969, la Direction des douanes fit parvenir au ministĂšre des Finances un rapport oĂč il Ă©tait affirmĂ© que la Matesa vendait Ă  ses propres filiales, et ce Ă  des prix excessivement Ă©levĂ©s, et oĂč le soupçon Ă©tait exprimĂ© que cette entreprise transfĂ©rait illĂ©galement Ă  l’étranger des pesetas susceptibles d’y ĂȘtre partiellement utilisĂ©s en vue de l’acquisition de devises qui serviraient ensuite Ă  crĂ©dibiliser ses exportations. NĂ©anmoins, deux semaines plus tard, la BCI concĂ©dait Ă  la Matesa un crĂ©dit extraordinaire de 500 millions, et le suivant, un autre encore de 200 millions. Sur ces entrefaites, le , la firme s’était vu dĂ©cerner le Prix spĂ©cial de la Chambre de commerce de Barcelone lors d’une cĂ©rĂ©monie prĂ©sidĂ©e par le ministre de tutelle[31].

Fin , le ministre du Commerce, Faustino GarcĂ­a-MoncĂł, eut un entretien avec Juan VilĂĄ Reyes oĂč celui-ci avoua qu’un tiers des exportations de son entreprise Ă©taient fictives, Ă  la suite de quoi il fut dĂ©cidĂ© d’écarter VilĂĄ Reyes de la direction de la firme et d’élaborer un plan de redressement dans le but de corriger la trajectoire d’une entreprise dans laquelle les autoritĂ©s continuaient malgrĂ© tout Ă  mettre leurs espoirs[31].

Le , les quatre actionnaires, Ă  savoir Juan, Fernando et Blanca VilĂĄ Reyes et Manuel Salvat Dalmau, tinrent une rĂ©union oĂč il s’accordĂšrent pour rĂ©voquer les administrateurs et transfĂ©rer leurs pouvoirs Ă  Trillo et au fonctionnaire technico-commercial Lorenzo Zavala Richi, pour transfĂ©rer les actions de l’entreprise Ă  l’Institut officiel de crĂ©dit (dĂ©pendant de la BCI), et pour cĂ©der Ă  l’État tous les biens et droits de la sociĂ©tĂ© et la totalitĂ© des patrimoines personnels des actionnaires. Le plan envisageait, dans une deuxiĂšme Ă©tape, la mise sous sĂ©questre de l’entreprise par l’État et la confirmation de Trillo et de Zavala en qualitĂ© de curateurs, qui prendraient Ă  tĂąche d’acquitter les dettes et de redimensionner la firme en fonction de ses possibilitĂ©s vĂ©ritables. Les curateurs s’avisĂšrent bientĂŽt que la situation Ă©tait bien pire que ce qu’ils soupçonnaient ; ainsi p. ex., les exportations fictives ne se montaient pas Ă  un, mais aux deux tiers. Ce constat incita le directeur des douanes Ă  saisir le Tribunal spĂ©cial des dĂ©lits monĂ©taires, tandis que les ministres des Finances et du Commerce se proposaient de soumettre au Conseil des ministres leur plan de mise sous sĂ©questre de la Matesa ; quoique ce sujet ait Ă©tĂ© inscrit Ă  l’ordre du jour du Conseil du , il fut diffĂ©rĂ© Ă  cause de la prioritĂ© donnĂ©e Ă  la dĂ©cision (d’importance politique primordiale et adoptĂ©e ce mĂȘme jour) de proposer devant les Cortes le prince Juan Carlos comme successeur de Franco[32].

RĂ©action du gouvernement

Ce n’est que lors d’une sĂ©rie de rĂ©unions ministĂ©rielles tenues entre les 12 et au Pazo de MeirĂĄs, manoir de Franco prĂšs de La Corogne, que l’affaire Matesa fut enfin abordĂ©e par le gouvernement. Dans ces rĂ©unions allaient se confronter deux visions diffĂ©rentes de l’affaire ; d’une part, quelques ministres, en particulier ceux du Commerce et des Finances, respectivement GarcĂ­a-MoncĂł et Espinosa, la considĂ©raient sous un angle strictement Ă©conomique et demandaient que s’impose une solution « comme Ă  la banque », c’est-Ă -dire avec une totale discrĂ©tion et ayant en vue le recouvrement des crĂ©dits de l’État accordĂ©s Ă  la Matesa, ce qui supposait par ailleurs que la presse fasse montre de modĂ©ration ; et d’autre part, le ministre de l’Information, Manuel Fraga, pour qui il s’agissait d’un problĂšme politique affectant non seulement la politique Ă©conomique, mais aussi la notion mĂȘme d’éthique publique, et qui Ă©tait par consĂ©quent favorable Ă  « ce qu’il en soit fait Ă©tat publiquement, Ă  ce que l’affaire passe devant les tribunaux, voire devant les Cortes, et naturellement Ă  ce qu’elle soit traitĂ©e dans la presse »[33] - [34].

Le gouvernement prit la rĂ©solution de transmettre toute l’information disponible sur l’affaire au ministĂšre public, lequel introduisit le une requĂȘte de mise en examen auprĂšs de l’Auditorat provincial de Madrid. Le mĂȘme jour, les ministres Espinosa et GarcĂ­a-MoncĂł nommĂšrent une Commission d’enquĂȘte et placĂšrent Ă  sa tĂȘte le prĂ©sident de la Cour des comptes du royaume (Tribunal de Cuentas del Reino), Servando FernĂĄndez-Victorio, qui avait Ă©tĂ© un ami personnel de JosĂ© Antonio Primo de Rivera. Ladite commission d’enquĂȘte allait remettre son rapport le [35].

DĂ©bats dans la presse

La saisine du Tribunal spĂ©cial des dĂ©lits monĂ©taires eut pour effet de porter l’affaire dans la sphĂšre publique ; dĂšs que le juge compĂ©tent eut lancĂ© la procĂ©dure contre la Matesa, les premiĂšres rumeurs se firent jour dans la presse le , et le scandale Ă©clata dĂ©finitivement aprĂšs la mise en dĂ©tention des frĂšres VilĂĄ Reyes et de leur beau-frĂšre Manuel Salvat[36]. L’élĂ©ment surprenant Ă©tait que les journaux les plus proches du rĂ©gime franquiste, notamment la presse du Mouvement national, s’employĂšrent eux aussi Ă  donner de la publicitĂ© Ă  l’affaire, tandis qu’aucun appel Ă  la modĂ©ration ne se faisait entendre de la part du ministĂšre de l’Information[37] - [34]. À noter en particulier que cette campagne de presse a pu ĂȘtre menĂ©e sous l’égide de la Loi sur la presse de 1966, dont Fraga avait Ă©tĂ© l’initiateur[29]. L’affaire allait ĂȘtre aussi une occasion de montrer du doigt les dangers du libĂ©ralisme pratiquĂ© depuis une dĂ©cennie. S’y ajoutait — du moins si l’on en croit LĂłpez RodĂł — que leur organe de presse Diario SP se trouvait en difficultĂ© financiĂšre et que l’utilisation mĂ©diatique du scandale prĂ©sentait l’avantage de faire grimper les tirages[38].

Fraga eut beau jeu d’accuser les technocrates de vouloir Ă©touffer l’affaire et laissait complaisamment se dĂ©velopper une campagne de presse contre les rĂ©seaux de l’Opus Dei, campagne oĂč les 41 journaux du Mouvement se mirent en devoir de dĂ©noncer l’affairisme de l’Opus Dei et les complicitĂ©s dont il jouissait au sein du gouvernement. Ainsi que le note l’historienne AndrĂ©e Bachoud, ces « attaques [Ă©taient] Ă  la mesure des rancƓurs accumulĂ©es depuis l’introduction du libĂ©ralisme Ă©conomique en Espagne »[39]. Le , le quotidien El AlcĂĄzar, organe de la ConfĂ©dĂ©ration des anciens combattants (entendre : de la Guerre civile), Ă©tablit un lien entre la direction de la Matesa et l’Opus Dei, lançant par lĂ  la premiĂšre salve de ce qui allait bientĂŽt s’amplifier en une vaste querelle politique, quand bien mĂȘme cette information ait Ă©tĂ© dĂ©mentie dĂšs le dans une note adressĂ©e au journal par le directeur du bureau d’information de l’Opus Dei. La rĂ©ponse officielle du gouvernement vint Ă  l’issue du Conseil des ministres tenu le Ă  La Corogne[40].

Les organes de presse estimaient dans leur grande majoritĂ© que l’on se trouvait bien face Ă  un problĂšme de nature politique. Seuls quelques acteurs, dans un effort pour Ă©viter la dramatisation de l’affaire, la dĂ©finissaient comme strictement Ă©conomique, et devant ĂȘtre rĂ©solue comme telle ; parmi ces acteurs, on relĂšve en particulier les pĂ©riodiques ayant un lien avec l’Opus Dei, comme l’hebdomadaire Mundo ou le journal Nuevo Diario[41]. Mundo p. ex., revue de politique Ă©trangĂšre de l’agence officielle EFE, qualifia l’affaire dans son Ă©dition du de « serpent d’étĂ© » ayant excitĂ© l’imagination populaire par suite de l’absence d’informations officielles ; selon les auteurs, l’affaire recevait une « publicitĂ© dĂ©mesurĂ©e » oĂč foisonnaient « d’absurdes rumeurs » qui obscurcissaient « une rĂ©alitĂ© qui sans doute n’était pas aussi noire que voulaient la voir des gens enclins au sensationnalisme, ni aussi brillante qu’ils le proclamaient dans leurs commentaires il y a seulement quelques mois » ; l’accent Ă©tait mis sur la trajectoire de l’entreprise, la plus importante en Espagne dans le domaine de la machinerie textile, premiĂšre exportatrice nationale, disposant d’une « authentique organisation internationale », et productrice du mĂ©tier mĂ©canique Iwer, qui, « dans l’opinion des connaisseurs, est extraordinairement efficace pour tisser avec du fil de grosse Ă©paisseur », et il Ă©tait soulignĂ© qu’il n’y avait rien d’insolite derriĂšre la Matesa attendu que tout « l’argent parvenu dans ses coffres avait Ă©tĂ© investi, selon ce qu’ont assurĂ© des sources gĂ©nĂ©ralement bien informĂ©es, dans des travaux d’infrastructure, de recherche et d’amĂ©lioration des rĂ©seaux commerciaux et du service aprĂšs-vente », point sur lequel Juan VilĂĄ Reyes lui-mĂȘme s’appliqua Ă  insister dans une lettre Ă  son avocat datĂ©e du et publiĂ©e par tous les journaux Ă  la fin du mois[42].

Cependant, la plupart des journaux estimaient que le sujet avait bel et bien des implications politiques, concrĂštement la nĂ©cessitĂ© de rĂ©former la politique commerciale extĂ©rieure de l’Espagne, encore que les commentateurs n’aient pas Ă©tĂ© d’accord quant Ă  l’ampleur et Ă  la portĂ©e des rĂ©formes Ă  entreprendre, certains prĂ©conisant de continuer d’encourager les exportations, mais en modifiant le systĂšme en vigueur, d’autres au contraire, issus de milieux proches du Mouvement ou de la Phalange, exigeant un changement total de la politique Ă©conomique dans son ensemble, en mĂȘme temps que le limogeage des actuels titulaires dans le gouvernement[43].

Des dĂ©saccords existaient Ă©galement sur la nature des responsabilitĂ©s dans ce qui Ă©tait arrivĂ©. Pour certains, les responsabilitĂ©s juridiques ne suffisaient pas ; l’avocat et Ă©conomiste Manuel Funes Robert, proche de la Phalange, signalait que certes, rien de ce qui Ă©tait arrivĂ© n’était illĂ©gal, y compris le fait d’avoir encaissĂ© des crĂ©dits en quantitĂ©s trĂšs supĂ©rieures au capital social et en volume bien au-delĂ  de la production courante, et d’avoir concentrĂ© la majeure partie du crĂ©dit dans une seule entreprise ; nĂ©anmoins, de tels faits sont Ă  considĂ©rer comme irrĂ©guliers et, si l’on admet qu’ils relĂšvent d’un autre ordre de normes, par delĂ  le strict aspect juridique, si l’on met en avant ce que Manuel Fraga nommait le « concept de l’éthique publique », le comportement jugĂ© spontanĂ©ment scandaleux dans cette affaire pourra dĂšs lors ĂȘtre formellement qualifiĂ© de violation[44]. Surgit alors le problĂšme de dĂ©terminer quel devait ĂȘtre l’organisme appelĂ© Ă  exiger ce type de responsabilitĂ© ; si pour certains, comme pour le quotidien La Vanguardia (dans son Ă©dition du ), on pourra se satisfaire de nommer un dĂ©lĂ©guĂ© du gouvernement, d’autres en revanche, plus nombreux, penchaient pour une intervention des Cortes[45].

Ezequiel Puig Maestro-Amado, procurateur (=dĂ©putĂ©) aux Cortes pour le compte des CollĂšges des licenciĂ©s et docteurs et sympathisant phalangiste, adressa au prĂ©sident des Cortes, Antonio Iturmendi, une lettre, rendue publique par la presse deux jours plus tard, oĂč il sollicitait que les Cortes se rĂ©unissent en session plĂ©niĂšre et que la Commission permanente des Cortes charge une Ă©quipe d’investigation d’effectuer « une enquĂȘte permettant d’exiger des comptes pertinents pour malveillance, nĂ©gligence ou impĂ©ritie Ă  toute personne ainsi reconnue coupable »[46]. Le , on indiquait que le nombre de procurateurs appuyant cette proposition s’élevait dĂ©jĂ  Ă  136[47].

D’autres secteurs d’opinion, au premier rang desquels le pĂ©riodique Cuadernos, Ă©taient au contraire d’avis qu’une telle mission n’entrait pas dans les attributions des Cortes de cette Ă©poque et que celles-ci n’étaient pas aptes Ă  mettre l’exĂ©cutif en accusation (lesdits secteurs se bornant du reste Ă  signaler la carence d’un organe ou mĂ©canisme idoine pour un tel mandat sans s’interroger si sa mise en place Ă©tait seulement envisageable dans le cadre du rĂ©gime politique d’alors). Cuadernos souligna que la mission des Cortes « n’était aucunement de poursuivre ou de contrĂŽler les organes du gouvernement, Ă  la maniĂšre des dĂ©mocraties traditionnelles. Le gouvernement n’est pas responsable devant les Cortes, et dans les statuts de celles-ci les deux instruments classiques en vue de l’exigence pratique de cette responsabilitĂ© n’existent pas : le vote de confiance, Ă  l’initiative du gouvernement, ou la motion de censure, Ă  l’initiative des dĂ©putĂ©s », soit une grave dĂ©ficience du rĂ©gime politique franquiste[48].

Ce dĂ©bat allait se prolonger jusqu’au moment oĂč l’on eut connaissance des deux rĂ©solutions officielles s’y rapportant — l’intervention des Cortes, et la dĂ©cision de ne pas mettre l’entreprise sous sĂ©questre —, aprĂšs quoi la prĂ©sence du sujet Matesa dans la presse se mit Ă  dĂ©croĂźtre sensiblement. À partir du , le rĂŽle imparti aux Cortes dans la mise au clair de l’affaire allait progressivement se prĂ©ciser et le , Antonio Iturmendi put annoncer que non seulement il recevrait toutes informations utiles de la part du gouvernement, mais qu’en outre il serait associĂ© au dĂ©clenchement de la procĂ©dure. Le enfin, on communiqua qu’une Commission spĂ©ciale d’étude, d’instruction et de proposition serait constituĂ©e en accord avec l’article 15 de la Loi constitutive des Cortes, dont le rapport serait ensuite prĂ©sentĂ© en sĂ©ance plĂ©niĂšre[49].

Prolongements politiques

La rĂ©vĂ©lation de la malversation dĂ©note un changement de climat Ă  l’intĂ©rieur du rĂ©gime, vu que dans le passĂ©, ce type d’irrĂ©gularitĂ©s Ă©tait habituellement passĂ© sous silence[34].

Une sĂ©rie de rĂ©unions ministĂ©rielles se tinrent Ă  San SebastiĂĄn du 11 au , que certains ministres, dont en particulier Faustino GarcĂ­a-MoncĂł, mirent Ă  profit pour dĂ©fendre leur vision Ă©conomique du problĂšme et pour dĂ©noncer les objectifs politiques sous-jacents Ă  la campagne menĂ©e dans la presse. GarcĂ­a-MoncĂł prĂ©conisa devant Franco, prĂ©sent le , de mettre l’entreprise sous tutelle de l’État, point de vue avec lequel, d’aprĂšs les dires de Laureano LĂłpez RodĂł[50], Franco, visiblement satisfait de cette solution, « exprima son accord absolu »[51]. Pour sa part, Federico Silva Muñoz, ministre des Travaux publics et alliĂ© de circonstance des technocrates dans le gouvernement, remit Ă  Franco un rapport oĂč il mettait en Ă©vidence l’existence d’une campagne de presse orchestrĂ©e visant Ă  politiser l’affaire, dont les agents Ă©taient la chaĂźne de presse du Mouvement national et les agences de presse Cifra, Pyresa et plus particuliĂšrement Fiel, et en localisait les inspirateurs au sein du SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral du Mouvement et du ministĂšre de l’Information et du Tourisme, soulignant que les autoritĂ©s compĂ©tentes de ce ministĂšre avaient donnĂ© la consigne aux directeurs de journaux de donner un maximum de publicitĂ© Ă  tout ce qui touchait Ă  ce dossier[52] - [note 3].

Le lendemain se tint la rĂ©union de la Commission dĂ©lĂ©guĂ©e aux affaires Ă©conomiques, Ă  laquelle assistaient l’ensemble des ministres, Ă  l’exception de Fraga, en voyage officiel au Chili, et lors de laquelle fut approuvĂ©e Ă  l’unanimitĂ© la proposition de mettre la Matesa sous tutelle des pouvoirs publics (en espagnol intervenciĂłn), Ă  charge pour le ministĂšre du Commerce de rĂ©diger le dĂ©cret y affĂ©rent[53]. Le 13 enfin eut lieu le Conseil des ministres, en prĂ©sence cette fois de Fraga, oĂč fut rejetĂ©e la mise sous sĂ©questre de la firme (en espagnol incautaciĂłn, mesure de droit commercial, donc strictement Ă©conomique), — rejet qui impliquait que le Conseil des ministres adoptait la caractĂ©risation de l’affaire comme problĂšme politique —, la solution Ă©tant dĂ©sormais subordonnĂ©e Ă  la mise en lumiĂšre des responsabilitĂ©s autant juridiques (par la procĂ©dure entamĂ©e le par le ministĂšre public auprĂšs de l’Auditorat provincial de Madrid) que politiques (dont devait se charger une Commission des Cortes)[54].

C’est Ă  contre-cƓur que Franco se dĂ©cida en faveur d’une rĂ©solution « publique » de l’affaire par le biais des procĂ©dures — parlementaire et judiciaire — qui allaient ĂȘtre engagĂ©es. Il maintint ferme sa dĂ©cision de confier aux tribunaux le soin de cerner les responsabilitĂ©s des impliquĂ©s, mĂȘme aprĂšs que le Tribunal suprĂȘme eut dĂ©cidĂ© de faire passer en jugement les anciens ministres Espinosa et GarcĂ­a-MoncĂł, ainsi que le gouverneur de la Banque d'Espagne, Navarro Rubio[55].

Crise gouvernementale du 29 octobre 1969

Comme deuxiĂšme Ă©tape de la rĂ©action de l’exĂ©cutif, Franco entreprit le le remaniement gouvernemental le plus profond de tous ceux qu’il avait dĂ©cidĂ©s jusque-lĂ , en intĂ©grant 13 nouveaux ministres pour un total de 18 portefeuilles, un de plus que pour le cabinet prĂ©cĂ©dent[56].

AssurĂ©ment, le scandale Matesa avait jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant tant dans la survenue de la crise que dans son dĂ©nouement ; toutefois, le scandale n’était pas la seule cause de la crise, car la dĂ©sunion rĂ©gnait au sein du gouvernement depuis dĂ©jĂ  plusieurs annĂ©es, Ă  telle enseigne qu’à de multiples reprises, des listes avaient Ă©tĂ© dressĂ©es par des ministres en exercice proposant des noms de candidats susceptibles de supplĂ©er Ă  tel et tel poste dont la vacance Ă©tait jugĂ©e imminente[57] - [58]. Au surplus, sur les douze ministres sacrifiĂ©s par le remaniement, une forte proportion (huit) ne pouvait nullement ĂȘtre tenue responsable du scandale. Mieux que par l’affaire Matesa, la crise s’expliquerait, selon Manuel Fraga, par un ensemble d’autres difficultĂ©s :

« Je continue de croire que Matesa ne fut pas un Ă©lĂ©ment dĂ©cisif de la crise subsĂ©quente ; les sujets que j’ai dĂ©jĂ  exposĂ©s, de politique extĂ©rieure et de dĂ©colonisation, et surtout, la rĂ©forme politique intĂ©rieure (symbolisĂ©e Ă  prĂ©sent par la question capitale des associations politiques), furent les Ă©lĂ©ments dĂ©terminants[59]. »

Si le scandale eut un rĂŽle primordial dans la crise, c’est en tant qu’il mit en pleine lumiĂšre que la division Ă©tait insurmontable[57] ; ou, ainsi que le formula LĂłpez RodĂł, le scandale « agit comme catalyseur de la crise »[60] - [61].

Carrero Blanco, tout aussi indignĂ© que Franco par le scandale dĂ©libĂ©rĂ©ment fabriquĂ©, sut persuader celui-ci d’ouvrir une crise gouvernementale, ce que Franco accepta, nonobstant qu’il n’eĂ»t ni la vigueur nĂ©cessaire, ni le dĂ©sir de composer une nouvelle Ă©quipe ministĂ©rielle, sous l’habituel impĂ©ratif d’équilibre des forces ; Franco vint mĂȘme Ă  suggĂ©rer que le moment Ă©tait venu que Carrero Blanco assume directement la prĂ©sidence du gouvernement, proposition que Carrero Blanco dĂ©clina, arguant que le Caudillo ne devait pas cĂ©der ses prĂ©rogatives de chef de l’État aussi longtemps qu’il en aurait l’énergie[62]. Deux semaines avant le remaniement, le , Carrero Blanco avait rĂ©digĂ© Ă  l’attention de Franco une note dans laquelle il proposait le limogeage de dix ministres, dont cinq pour raisons de santĂ© ou d’ñge (les ministres de l’ArmĂ©e de terre, de l’ArmĂ©e de l’air et de la Marine, ainsi que les ministres de l’IntĂ©rieur et du Logement), et cinq pour convenance politique, Ă  l’effet de rĂ©soudre les quatre problĂšmes les plus urgents auxquels devait faire face, dans l’opinion de Carrero Blanco, l’exĂ©cutif, Ă  savoir : le projet de loi sur les syndicats, l’affaire Matesa, la politique de l’information et de la culture, et la politique internationale[29] - [60] - [63] - [62].

Carrero Blanco avait discernĂ© deux facettes au dossier Matesa : le versant Ă©conomique d’une part, consistant dans une « dĂ©route bancaire d’une ampleur jamais enregistrĂ©e en Espagne » et commandant le remplacement des ministres de l’IntĂ©rieur et du Commerce, non parce qu’ils auraient commis quelque dĂ©lit (eux-mĂȘmes ou les hauts fonctionnaires de leur dĂ©partement respectif), mais au motif que leurs erreurs avaient permis que cet Ă©vĂ©nement ait eu lieu et qu’il ait atteint « une scandaleuse rĂ©sonance politique » ; et le versant politique d’autre part, savoir « sa scandaleuse politisation Ă  travers une campagne de presse », qui a Ă©tĂ© rendue possible par le ministre de l’Information et par le ministre-secrĂ©taire du Mouvement, « dans le meilleur des cas par leur grave nĂ©gligence ». Les quatre ministres devaient se voir signifier leur dĂ©mission Ă©tant donnĂ© qu’ils avaient crĂ©Ă© « un sĂ©rieux problĂšme affectant le prestige du RĂ©gime »[64] - [65] - [66]. Dans cette note se trouvaient ainsi tracĂ©es les lignes maĂźtresses de la crise gouvernementale du : les dix ministres citĂ©s par Carrero Blanco furent en effet dĂ©mis de leurs fonctions, mais avec cependant l’adjonction Ă  la liste de deux ministres supplĂ©mentaires, ceux du Travail (Romeo GorrĂ­a) et de l’Agriculture (Adolfo DĂ­az Ambrona)[67]. Il est Ă  noter que les hommes dont Carrero Blanco demandait, et obtint, la dĂ©mission avaient pour dĂ©nominateur commun d’ĂȘtre des familiers de Franco ou d’avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© trĂšs longtemps de sa confiance, raison pour laquelle le remaniement allait renforcer la solitude de Franco au sein du gouvernement ; pourtant, Franco cĂ©da sur tous les points, ne marquant son indĂ©pendance que sur un seul : il refusa Ă  Silva Muñoz le portefeuille des Affaires Ă©trangĂšres pour l’attribuer Ă  un autre membre de l’Opus Dei, Gregorio LĂłpez-Bravo[68]. Ce remodelage eut pour rĂ©sultat d’accentuer considĂ©rablement l’influence des ministres de l’Opus Dei et le rĂŽle dirigeant de Carrero Blanco[29] - [67], d’oĂč le terme alors en vogue, mais sans doute exagĂ©rĂ©, de « gouvernement monocolore »[69] - [70] - [71] - [note 4]. D’autre part, l’affaire mit aussi en Ă©vidence l’effacement de Franco, puisque, selon BartolomĂ© Bennassar, « il ne savait que faire et s’en remit finalement Ă  Carrero Blanco »[66].

La campagne de presse de Fraga fait ainsi figure d’erreur tactique, puisqu’il avait Ă©tĂ© perdu de vue que Franco — certes bien disposĂ© Ă  l’égard du Mouvement et ayant dĂ©fendu jusque-lĂ  ses principes et sa place, au rebours des pressions des monarchistes et des catholiques — avait, plus que pour la fraude, une aversion pour le tapage mĂ©diatique, renforcĂ©e encore par son inquiĂ©tude croissante face Ă  la libertĂ© nouvelle accordĂ©e Ă  la presse[39]. Si la composition du nouveau gouvernement valait dĂ©saveu pour le Mouvement, il constituait au contraire une revanche pour l’Opus Dei, dont le pouvoir se trouva accru et qui vit l’un des siens, LĂłpez RodĂł, promu second de Carrero Blanco, garder son poste de commissaire au Plan, lui permettant de poursuivre la politique dĂ©veloppementaliste entreprise[68].

Dans son message annuel Ă  la nation de 1969, Franco ne souffla mot de l’affaire, mais dĂ©clara Ă  l’intention de ceux qui « doutaient de la continuitĂ© de notre Mouvement, [qu’] Ă  prĂ©sent tout est ficelĂ© et bien ficelĂ© », phrase qui allait connaĂźtre une grande fortune[62].

Procédures judiciaires et verdicts rendus

Contre des personnalités politiques et des hauts fonctionnaires

La procĂ©dure judiciaire fut enclenchĂ©e aprĂšs transmission du dossier d’instruction Ă  l’Auditorat provincial de Madrid le . Le Tribunal suprĂȘme avait nommĂ© le prĂ©sident de l’Auditorat territorial de CĂĄceres, Perpetuo Benedicto SĂĄnchez Fuertes, au poste de juge spĂ©cial pour l’affaire, auquel titre SĂĄnchez Fuertes avait sous sa juridiction la totalitĂ© du territoire national. Il allait ĂȘtre bientĂŽt remplacĂ© par le magistrat du Tribunal suprĂȘme Francisco Pera Verdaguer[72]. Vers la fin de l’annĂ©e, la DeuxiĂšme Chambre se dĂ©clara compĂ©tente et dressa les 13 et une sĂ©rie d’actes d’accusation Ă  l’encontre de sept membres haut placĂ©s du comitĂ© exĂ©cutif de la Banco de CrĂ©dito Industrial (BCI), sous l’incrimination de dĂ©lit de nĂ©gligence inexcusable, aux termes de l’article 395 du Code pĂ©nal, ainsi que contre quatre fonctionnaires de la BCI pour corruption (cohecho)[73]. Le , le Tribunal suprĂȘme rĂ©uni en sĂ©ance plĂ©niĂšre se dĂ©clara compĂ©tent, ce qui signifiait qu’il Ă©tait dĂ©sormais possible qu’un ministre ou ancien ministre passe en jugement. Des actes d’accusation furent effectivement dirigĂ©s contre les anciens ministres des Finances, Espinosa San MartĂ­n, et du Commerce, GarcĂ­a-MoncĂł. De mĂȘme, une requĂȘte de mise en accusation du gouverneur de la Banque d'Espagne et ex-ministre des Finances, Mariano Navarro Rubio, fut formulĂ©e, pareillement pour prĂ©somption de dĂ©lit de nĂ©gligence[74].

La prĂ©paration du dossier d’accusation se poursuivit pendant encore une annĂ©e entiĂšre, Ă  l’issue de quoi furent annoncĂ©es le les chefs d’inculpation provisoires du ministĂšre public, pour lesquelles des peines pĂ©cuniaires Ă©taient requises Ă  l’encontre de ceux accusĂ©s de nĂ©gligence, allant de 500 Ă  5 millions de pesetas, dont notamment 5 millions contre Navarro Rubio et 10 millions pour les anciens ministres des Finances et du Commerce. La procĂ©dure judiciaire devait cependant s’achever, pour ce qui concerne les personnalitĂ©s haut placĂ©es, en , Ă  la faveur de la mesure de grĂące accordĂ©e par Franco Ă  l’occasion du 35e anniversaire de son accession au pouvoir, mesure qui s’étendait aussi aux jugements encore en suspens[75].

Contre les dirigeants de la Matesa

À l’issue des diffĂ©rents procĂšs intentĂ©s contre Juan VilĂĄ Reyes, principal dirigeant de la Matesa, furent prononcĂ©es les condamnations suivantes :

  • Amende de 21 000 000 de pesetas infligĂ©e en par le Tribunal spĂ©cial des dĂ©lits monĂ©taires pour un dĂ©lit d’évasion de devises d’un montant avĂ©rĂ© de 103,5 millions de pesetas[76].
  • Amende de 1 658 millions et peine d’emprisonnement de trois ans imposĂ©es par le mĂȘme Tribunal en et confirmĂ©es, aprĂšs que le condamnĂ© eut interjetĂ© appel, par le Tribunal Ă©conomico-administratif central en [76] - [77]. Aux termes de la grĂące de accordĂ©e par Franco, il fut dispensĂ© de s’acquitter de l’amende et de purger un quart de la peine de prison. La grĂące lui fut octroyĂ©e avant mĂȘme la confirmation de la sentence.
  • En , l’Auditorat provincial de Madrid le condamna pour dĂ©lits d’escroquerie sur un montant de 8 933 et de 590 millions de pesetas respectivement (Ă©quivalant Ă  1 263 millions d’euros au cours de 2013)[76] - [note 5], pour 417 dĂ©lits de faux en Ă©criture dans le cadre d’opĂ©rations commerciales, et pour quatre dĂ©lits de corruption active[76]. VilĂĄ Reyes fut condamnĂ© Ă  une peine d’emprisonnement de plus de 223 annĂ©es et Ă  9 600 millions de pesetas d’indemnisations et d’amendes, verdict ensuite confirmĂ© en par le Tribunal suprĂȘme. Ces dĂ©cisions judiciaires restĂšrent cependant sans effet attendu que VilĂĄ Reyes, dĂ©fendu alors par le dirigeant historique de la CEDA, JosĂ© MarĂ­a Gil-Robles, fut graciĂ© par le roi Juan Carlos I, nouvellement intronisĂ©, et remis en libertĂ© le , aprĂšs six ans et demi de dĂ©tention prĂ©ventive[78] - [29].

Procédure parlementaire

L’examen du dossier Matesa par les Cortes dĂ©buta le avec la dĂ©signation des 30 membres de la Commission spĂ©ciale d’étude, d’enquĂȘte et de proposition, prĂ©sidĂ©e par le vĂ©tĂ©ran phalangiste Raimundo FernĂĄndez-Cuesta, et dont la composition reflĂ©tait assez fidĂšlement les groupes « organiques » reprĂ©sentĂ©s sur les strapontins des Cortes. Au sein de ladite Commission, la question avait Ă©tĂ© dĂ©battue s’il y avait lieu ou non de mettre en Ă©vidence les Ă©ventuelles responsabilitĂ©s politiques, mais l’on s’accorda finalement pour poser que la prĂ©rogative de l’exercice de la responsabilitĂ© politique appartenait en exclusivitĂ© au chef de l’État, raison pour laquelle la Commission devait se restreindre Ă  communiquer au gouvernement ce qu’elle jugeait pertinent en rapport aux possibles responsabilitĂ©s administratives seulement[79].

Le , un groupe de travail (Ponencia) fut nommĂ© au sein de la Commission et chargĂ© de rĂ©diger un rapport aprĂšs examen de l’information fournie par le gouvernement, ainsi que sur la base d’enquĂȘtes qu’il jugerait opportun d’effectuer, tout en prenant en compte les suggestions faites par les autres procurateurs. Une fois prĂȘt, le rapport serait soumis aux procurateurs, puis mis aux dĂ©bats au sein de la Commission. Celle-ci enfin approuverait un verdict, dont il serait donnĂ© lecture ensuite devant l’assemblĂ©e des Cortes le [80]. Cependant, aussi bien les rĂ©unions de la Commission que l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale oĂč fut donnĂ© lecture du verdict se tinrent Ă  huis clos, et seules furent rendues publiques la partie finale du rapport relative aux « propositions et requĂȘtes de rĂ©forme juridiques » et les conclusions[81].

Le verdict des Cortes fut fort sĂ©vĂšre, non seulement pour les anciens ministres des Finances et du Commerce, mais aussi pour le gouverneur de la Banque d'Espagne et ancien ministre des Finances Navarro Rubio, et y compris mĂȘme pour l’un des « favoris » de Franco, l’ancien ministre de l’Industrie et ministre des Affaires extĂ©rieures alors en exercice, Gregorio LĂłpez-Bravo, ce dernier n’échappant qu’à deux voix prĂšs Ă  un jugement devant le Tribunal suprĂȘme[82] - [83] - [note 6].

La Commission concluait son verdict en sollicitant le prĂ©sident des Cortes d’en faire communication Ă  la prĂ©sidence du Tribunal suprĂȘme, Ă  l’effet que celui-ci puisse Ă©tablir les responsabilitĂ©s pĂ©nales, ainsi qu’au gouvernement, pour qu’il puisse engager des procĂ©dures contre ceux qu’il jugerait responsables dans l’ordre administratif, et enfin au chef de l’État lui-mĂȘme, « eu Ă©gard Ă  la gravitĂ© et Ă  la portĂ©e des faits qui ont Ă©tĂ© analysĂ©s » et « pour votre information et pour les suites que vous considĂ©reriez opportunes »[84] - [85].

RĂ©actions de la presse

Parmi les rĂ©actions de la presse aprĂšs l’annonce des dĂ©cisions gouvernementales, on relĂšve en particulier le diagnostic du journal ABC selon lequel ce qui avait failli (abstraction faite des responsabilitĂ©s personnelles) Ă©tait le systĂšme de crĂ©dit public tel qu’en vigueur Ă  ce moment-lĂ  ; l’article comportait un plaidoyer pour un systĂšme public de crĂ©dit mieux dirigĂ©, c’est-Ă -dire sous-tendu par « une mentalitĂ© d’entrepreneur plutĂŽt que de bienfaisance, avec un contrĂŽle ouvert et dĂ©mocratique ». À l’exact opposĂ©, le quotidien Pueblo, liĂ© au syndicat officiel OSE, s’exprima dans son Ă©dition des 25 et en faveur du crĂ©dit public et critiqua l’exploitation faite par ABC et par Informaciones de l’affaire Matesa pour louanger le crĂ©dit privĂ©, prĂ©cisement Ă  un moment oĂč l’économie espagnole s’était rĂ©tablie du dĂ©sastre de la Guerre civile. DĂ©sormais pourtant, les batailles entre les diffĂ©rentes factions du rĂ©gime franquiste avaient tendance Ă  se livrer dans l’ombre, en Ă©vitant toute rĂ©sonance publique, et en s’efforçant d’observer un esprit de mesure, au contraire de ce qui avait Ă©tĂ© recherchĂ© par la presse un an auparavant[86].

Le quotidien Arriba, que dirigeait dorĂ©navant Jaime Campmany, dĂ©veloppa dans un Ă©ditorial du intitulĂ© Las instituciones une perspective optimiste quant Ă  l’avenir du rĂ©gime aprĂšs la disparition de Franco, en s’appuyant sur les derniers Ă©vĂ©nements survenus dans la vie politique espagnole (tels que l’acceptation d’un recours en cassation par le Conseil du royaume, la production d’un rapport sur le crĂ©dit officiel par le Conseil national du Mouvement, et la clĂŽture de l’enquĂȘte parlementaire sur l’affaire Matesa aux Cortes), qui « ont apportĂ© la dĂ©monstration que les institutions fonctionnent »[87].

Amnistie de Franco (octobre 1971)

Le , le Bulletin officiel de l'État (BOE, journal officiel) publiait un dĂ©cret d’amnistie signĂ© par Franco Ă  l’occasion du 35e anniversaire de son « exaltation au pouvoir ». L’une des catĂ©gories de peines concernĂ©es par ce dĂ©cret Ă©tait les peines pĂ©cuniaires, « quelles qu’en soit le montant » (art. 1er) ; de plus, suivant l’alinĂ©a a) de l’art. 3, la grĂące serait appliquĂ©e « sans qu’il soit nĂ©cessaire qu’un jugement oral ait Ă©tĂ© rendu, ni, par consĂ©quent, qu’une sentence ait Ă©tĂ© prononcĂ©e »[88] (ce qui du reste Ă©tait contraire Ă  la loi[29]). Le , le Tribunal suprĂȘme, rĂ©uni en sĂ©ance plĂ©niĂšre, mit en Ɠuvre la mesure de grĂące pour toute la partie politique du dossier Matesa, c’est-Ă -dire au bĂ©nĂ©fice de tous les incriminĂ©s de dĂ©lit de nĂ©gligence. Selon LĂłpez RodĂł[89], un groupe de ministres emmenĂ©s par Antonio MarĂ­a de Oriol, ministre de la Justice, ulcĂ©rĂ©s par la « situation dramatique et injuste oĂč se trouvaient quelques fidĂšles serviteurs de l’État » aprĂšs plus d’une annĂ©e de mise sous sĂ©questre de leurs biens personnels, avait rĂ©solu de rĂ©diger un projet de dĂ©cret de grĂące de sorte Ă  mettre un terme Ă  cette situation. Carrero Blanco aurait objectĂ© Ă  Oriol que les intĂ©ressĂ©s ne l’accepteraient pas et qu’il pourrait sembler que le gouvernement eĂ»t quelque chose Ă  dissimuler. Lors de la rĂ©union de la Commission dĂ©lĂ©guĂ©e aux affaires Ă©conomiques du , oĂč le sujet fut dĂ©battu, il Ă©tait apparu que la majoritĂ© Ă©tait opposĂ©e Ă  Oriol, FernĂĄndez de la Mora et LĂłpez-RodĂł, mais le lendemain, Oriol et FernĂĄndez de la Mora avaient rĂ©ussi Ă  convaincre Franco, qui Ă  son tour avait mandĂ© Carrero Blanco ; immĂ©diatement aprĂšs, la mesure de grĂące fut approuvĂ©e en Conseil des ministres[88].

Carrero Blanco avait persuadĂ© Franco que s’il ne passait pas l’éponge sur toute l’affaire le plus tĂŽt possible, cela finirait par discrĂ©diter davantage encore le gouvernement et pourrait aller jusqu’à infliger des dommages irrĂ©parables au rĂ©gime[90]. L’ouverture de l’audience orale contre les anciens ministres risquait en effet de se muer en un procĂšs contre le rĂ©gime, ce que la mesure de grĂące devait faire avorter. Aux dires de Manuel Fraga, la grĂące serait une dĂ©cision « trĂšs typique du personnage [de Franco] » ; Fraga aurait entendu le Caudillo dire quelque chose comme : « je ne peux pas traiter mes ministres plus mal que je traite souvent des dĂ©linquants et des terroristes, que je fais bĂ©nĂ©ficier aussi de ma grĂące ». Selon Fraga, il n’était donc pas question d’une quelconque crainte du procĂšs en audience, vu que Franco « Ă©tait trĂšs au-dessus de cela »[91].

Cette volte-face de Franco — qui pourtant, sur la foi du rapport de Trillo et Zavala suggĂ©rant l’existence dans l’administration d’un climat de favoritisme Ă  l’égard de Matesa, penchait pour quelque irrĂ©gularitĂ© d’ordre personnel et avait donc Ă©tĂ© jusque-lĂ  partisan de laisser aux tribunaux le soin de rĂ©gler l’affaire — peut donc s’interprĂ©ter comme rĂ©sultant de sa volontĂ© de couper court Ă  la tournure trop politique qu’avait prise l’affaire. Pour l’historien Stanley Payne toutefois, la mesure de grĂące doit ĂȘtre vue Ă  la lumiĂšre de la menace profĂ©rĂ©e par VilĂĄ Reyes dans une lettre Ă©crite le en prison (oĂč il se trouvait dans l’attente de son recours en appel) Ă  l’attention de Carrero Blanco, oĂč il prĂ©vint celui-ci sans ambages que si le gouvernement ne trouvait pas le moyen de l’innocenter, il rendrait publique une vaste documentation en sa possession apportant les preuves d’un trafic gĂ©nĂ©ralisĂ© de devises vers l’étranger dans les annĂ©es de 1964 Ă  1969. La lettre comportait un « appendice documentaire » rĂ©pertoriant les diffĂ©rents documents susceptibles de servir de preuve d’activitĂ©s de cette nature exercĂ©es par 453 personnalitĂ©s et entreprises commerciales de premier plan, dont un grand nombre Ă©taient Ă©troitement liĂ©es au rĂ©gime[92] - [77].

Les trois anciens ministres — Navarro Rubio, Espinosa San MartĂ­n, et GarcĂ­a-MoncĂł — furent Ă©largis Ă  la faveur de la mesure de grĂące de Franco et ne durent plus ensuite comparaĂźtre qu’en qualitĂ© de tĂ©moins. Cette grĂące conduisit Navarro Rubio, qui estimait n’avoir pas eu la possibilitĂ© de dĂ©fendre son innocence, Ă  Ă©crire son trĂšs combatif ouvrage El caso Matesa, paru en 1978. Il affirma dans le journal ABC en 1988 qu’il n’avait « jamais » eu communication de quoi que ce soit en rapport avec la Matesa, ce qui s’explique aisĂ©ment, « vu que le gouverneur de la Banque d'Espagne ne peut pas — et ne doit pas — connaĂźtre les problĂšmes de toutes et de chacune des entreprises ». Il affirmait d’autre part que jusqu’au moment de la mise en examen la Matesa Ă©tait Ă  jour de remboursement de ses emprunts et qu’elle Ă©tait une entreprise solvable, en consĂ©quence de quoi l’affaire aurait, dans son opinion, pu s’arranger sans la mise sous tutelle par l’État (intervenciĂłn) dĂ©cidĂ©e Ă  La Corogne. En outre, soulignait-il, CrĂ©dito y CauciĂłn n’avait signalĂ© aucun problĂšme. Selon lui, ce qui « ressort comme cause dominante est la revanche de la Phalange, humiliĂ©e par le Plan de stabilisation rĂ©alisĂ© par ses opposants technocrates. [...] Deux trajectoires se croisaient, celle des anciens dĂ©fenseurs du nationalisme autarcique d’empreinte phalangiste, et, de l’autre cĂŽtĂ©, celle des nouveaux dĂ©fenseurs de l’ouverture de l’Espagne »[29].

L’application de la grĂące aux inculpĂ©s politiques dans l’affaire Matesa passa totalement inaperçue de la presse et, nonobstant que « la grĂące ait Ă©tĂ© mal vue dans la classe politique », ne suscita pas le moindre commentaire dans les journaux et revues, Ă  la seule exception du mensuel Cuadernos para el DiĂĄlogo, qui publia dans son numĂ©ro de un copieux rapport non signĂ© intitulĂ© AnĂĄlisis jurĂ­dico de un Decreto, oĂč le dĂ©cret Ă©tait critiquĂ©[93].

Destin ultérieur de la Matesa

La Commission de liquidation, mise sur pied pour tenter de recouvrer les 9 800 millions de pesetas accordĂ©s au titre de crĂ©dits et les 1 300 millions redevables par la Matesa au titre d’intĂ©rĂȘts Ă  la BCI — montants tels qu’ils s’établissaient au moment de l’éclatement du scandale —, ne parvint Ă  rĂ©cupĂ©rer que 6 900 millions de pesetas (au cours de 1983), provenant essentiellement des entitĂ©s d’assurances. On ne put rien rĂ©cupĂ©rer de la Matesa elle-mĂȘme, ni quasiment rien de Juan VilĂĄ Reyes. Comme quelque 4 000 millions de pesetas furent prĂ©levĂ©s sur un organisme autonome du ministĂšre des Finances (le Consorcio de CompensaciĂłn de Seguros) et les 326 millions restants sur CrĂ©dito y CauciĂłn, sociĂ©tĂ© relevant majoritairement du secteur public et seulement en minoritĂ© du secteur assurantiel privĂ©, c’est en fait Ă  l’État espagnol qu’il incomba d’éponger le dĂ©ficit[76].

La Matesa, mise sous sĂ©questre en 1969, poursuivit ses activitĂ©s industrielles sous la tutelle d’un administrateur judiciaire jusqu’en , date Ă  laquelle elle fut publiquement offerte Ă  la vente et adjugĂ©e pour un montant de 66 000 pesetas Ă  une sociĂ©tĂ© coopĂ©rative formĂ©e d’anciens employĂ©s de la firme, qui allait entreprendre, sous le parrainage du mĂȘme VilĂĄ Reyes, de commercialiser un nouveau mĂ©tier Ă  tisser dĂ©nommĂ© Iwer de Navarra[94].

La Matesa et l’Opus Dei

Les attaches qu’aurait supposĂ©ment eues Juan VilĂĄ Reyes avec les ministĂšres Ă©conomiques par le biais de l’organisation catholique Opus Dei constituent un aspect important du scandale Matesa. JosĂ© MarĂ­a Gil-Robles, qui figura comme avocat de VilĂĄ Reyes lors de son procĂšs, fit paraĂźtre le un article dans le journal El Correo de AndalucĂ­a tendant Ă  disculper l’Opus Dei, et dont voici un extrait :

« À cause de cela, au lieu d’établir exactement ce qui s’est passĂ©, l’on s’est hĂątĂ© de limoger les ‘bleus’ et Ă  confirmer Ă  leurs postes les Ă©lĂ©ments de l’Opus [Dei], de qui il me faut dire en conscience, bien que cette entitĂ© ne me soit pas sympathique, qu’aucun n’a commis d’irrĂ©gularitĂ©, et moins encore d’immoralitĂ©. »

Sur la mĂȘme page de ladite publication, il est exposĂ© :

« Cependant, l’affaire suivit son cours, tant dans les moyens de communication qu’au sein d’une Commission spĂ©ciale des Cortes espagnoles (le parlement du rĂ©gime de Franco, oĂč logiquement prĂ©dominaient les bleus), qu’au Tribunal spĂ©cial des dĂ©lits monĂ©taires, et que, finalement, Ă  l’Auditorat provincial de Madrid et qu’auprĂšs du Tribunal suprĂȘme. Dans ces diffĂ©rentes instances, aucun membre de l’Opus Dei, parmi ceux impliquĂ©s dans l’affaire, ne fut inculpĂ© ni condamnĂ© pour dol. Leur honorabilitĂ© allait ĂȘtre reconnue publiquement, y compris par Gil-Robles, avocat de VilĂĄ Reyes, en dĂ©pit de la faible sympathie qu’il Ă©prouvait pour l’Opus Dei. Franco lui-mĂȘme le reconnut Ă©galement, quoiqu’à sa façon particuliĂšre : lorsque les trois anciens ministres furent mis en cause par le Tribunal suprĂȘme, et pour Ă©viter que l’affaire n’aille plus avant, avec perte de prestige pour le RĂ©gime, il les gracia avant mĂȘme qu’il n’y ait de sentence prononcĂ©e. Seul Mariano Navarro Rubio estima de son devoir de prouver clairement son innocence, et Ă©crivit un ample et minutieux livre (El caso Matesa, Madrid, 1978). »

Il est Ă  signaler que l’Opus Dei avait des membres aussi bien chez les personnes mises en cause que chez les dĂ©nonciateurs, Ă  commencer par le fonctionnaire des douanes qui dĂ©voila l’affaire, ce qui explique sans doute la dĂ©cision salomonique de Franco, car outre les mis en cause, deux ministres rĂ©putĂ©s ĂȘtre leurs adversaires durent quitter le gouvernement : Fraga et SolĂ­s. VilĂĄ Reyes lui-mĂȘme niait ĂȘtre membre de l’Opus Dei et rĂ©cusait tout lien de cette organisation avec son nĂ©goce[95].

L’auteur et journaliste CĂ©sar Vidal affirme que le stratagĂšme employĂ© par VilĂĄ Reyes Ă©tait une pratique gĂ©nĂ©ralisĂ©e Ă  cette Ă©poque-lĂ , et va jusqu’à conjecturer que l’activitĂ© de la Matesa, dans l’hypothĂšse oĂč elle n’ait pas Ă©tĂ© interrompue, aurait pu ĂȘtre viable[96].

Relation entre la Matesa et l’assassinat de Jean de Broglie

Il semble y avoir un lien entre l’affaire Matesa et l’assassinat de Jean de Broglie en . À la base de ce crime se trouve un projet de trafic de faux bons du TrĂ©sor, dont de Broglie Ă©tait l’un des trois instigateurs. Le tireur GĂ©rard FrĂȘche, ainsi que Guy SimonĂ©, ancien inspecteur de police (rĂ©habilitĂ© par la suite), furent arrĂȘtĂ©s les 27 et ; le dĂ©fenseur de ce dernier, Roland Dumas, mit en Ă©vidence que le prince de Broglie prĂ©sidait une filiale de la Matesa, la sociĂ©tĂ© luxembourgeoise Sodetex SA adossĂ©e Ă  l’Opus Dei et impliquĂ©e dans un scandale financier consistant en l’évasion fiscale de capitaux franquistes[97]. Jean de Broglie avait Ă©tĂ© le trĂ©sorier des RĂ©publicains indĂ©pendants (RI) et, Ă  ce titre, chargĂ© de financer la campagne prĂ©sidentielle de ValĂ©ry Giscard d'Estaing en 1974 ; selon la presse espagnole, la Sodetex aurait Ă©tĂ© constituĂ©e Ă  seule fin d’alimenter les caisses de l’Union pour la dĂ©mocratie française, futur parti centriste[98].

Dans la littérature

Dans Camino 999, roman policier de Catherine Fradier (2008), l’enquĂȘte d’une brigade criminelle s’oriente vers l’Opus Dei, « bras armĂ© du Vatican », et mĂšne au cƓur de l’affaire Matesa. Le roman a fait l’objet de la part de l’Opus Dei d’une saisine du tribunal de grande instance de Paris, qui a dĂ©boutĂ© les plaignants[99].

Notes et références

Notes

  1. La Carta de Exportador Ă©tait un label d’excellence instituĂ© en vertu d’un dĂ©cret du . Aux dires de Navarro Rubio, il s’agissait d’« une vĂ©ritable carte de payement nominative que le gouvernement adresse aux diffĂ©rents organes de l’administration publique chargĂ©s d’administrer les subsides, de sorte qu’ils mettent ceux-ci en Ɠuvre, de façon effective, en faveur de l’entreprise qui l’exhibe [...] Seuls 36 exportateurs ont su dĂ©crocher cette distinction insigne concĂ©dĂ©e par la PrĂ©sidence du gouvernement. La Matesa l’a obtenue Ă  deux reprises ».
    Cf. M. Navarro Rubio (1978), p. 19.
  2. Équivalent Ă  env. 1 400 millions d’euros au cours de 2020, compte tenu de l’inflation. Cf. (es) Miguel Ángel Noceda, « El escĂĄndalo que erosionĂł al rĂ©gimen franquista », El PaĂ­s, Madrid, Ediciones El PaĂ­s,‎ (ISSN 1576-3757, lire en ligne, consultĂ© le ).
  3. Le document est reproduit en intégralité dans L. López Rodó (1991), p. 682-690.
  4. Stanley Payne quant Ă  lui ne rĂ©cuse pas le terme de monocolore, compte tenu que les titulaires de la quasi-totalitĂ© des ministĂšres clef Ă©taient membres de l’Opus Dei ou de l’ACNP (principal groupe de diffusion de la foi), ou en Ă©taient des sympathisants dĂ©clarĂ©s, et ce quelle qu’ait Ă©tĂ© l’apparence de diversitĂ© dont ce cabinet sut se parer. Cf. S. G. Payne & J. Palacios (2014), p. 551.
  5. Montants actualisĂ©s suivant les tableaux de l’Institut national de statistique.
  6. Navarro Rubio affirme dans ses mĂ©moires que lors d’une visite Ă  Franco, celui-ci lui assura qu’il n’y aurait aucune poursuite contre lui Ă  propos de l’affaire Matesa. Quelques jours plus tard pourtant, Navarro Rubio, Ă  la demande du prĂ©sident des Cortes — donc avec l’assentiment de Franco —, fut inculpĂ© pour « nĂ©gligence ». Plusieurs hypothĂšses existent quant Ă  ce dĂ©dit du Caudillo. Cf. A. Bachoud (1997), p. 414 & 421.

Références

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  91. Propos recueillis par Fernando JimĂ©nez SĂĄnchez lors d’une entrevue personnelle avec Manuel Fraga. Cf. F. JimĂ©nez SĂĄnchez (1994), p. 193.
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