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Francisco SuĂĄrez

Francisco SuĂĄrez (connu comme le Doctor eximius), nĂ© le Ă  Grenade (Espagne) et mort le Ă  Lisbonne, est un philosophe et thĂ©ologien jĂ©suite espagnol, gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme l'un des plus grands scolastiques aprĂšs Thomas d'Aquin. Il fait partie de la cĂ©lĂšbre École de Salamanque.

Francisco SuĂĄrez
Francisco SuĂĄrez.
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Martín Gutiérrez (d), Alonso Rodríguez
Monument Ă  Grenade, sa ville natale, Espagne.

Biographie

Francisco Suarez est né à Grenade. Son pÚre est un avocat renommé. Il envoie son fils à l'université de Salamanque, l'une des plus renommées d'Espagne à cette époque, pour suivre les cours de la faculté de droit. Mais Francisco Suarez est attiré par la prédication de Juan Ramirez. Il entre au noviciat des Jésuites.

EntrĂ© Ă  seize ans dans la Compagnie de JĂ©sus Ă  Salamanque, il y Ă©tudie la philosophie et la thĂ©ologie de 1565 Ă  1570. Il semble avoir Ă©tĂ© un Ă©lĂšve assez peu prometteur au dĂ©part, et faillit renoncer Ă  ses Ă©tudes aprĂšs avoir Ă©chouĂ© deux fois Ă  l'examen d'entrĂ©e. L'ayant rĂ©ussi Ă  sa troisiĂšme tentative, il se distingue par la suite en philosophie comme en thĂ©ologie, avant d'ĂȘtre ordonnĂ© prĂȘtre en 1572, puis de partir enseigner la premiĂšre de ces disciplines Ă  Ávila et SĂ©govie (1575), Valladolid (1576), Rome (1580-1585), AlcalĂĄ (1585-1592), Salamanque (1592-1597) et enfin Coimbra (1597-1616).

Il Ă©crit abondamment, sur un grand nombre de sujets ; ses Ɠuvres complĂštes en latin tiennent en vingt-six volumes : traitĂ©s juridiques, sur les relations entre l'Église et l'État, la mĂ©taphysique et la thĂ©ologie.

Pendant sa vie, il est considéré comme le plus grand philosophe et théologien de l'époque, et reçoit le surnom de Doctor Eximius ('Docteur extraordinaire, exceptionnel') ; le pape Grégoire XIII assiste à son premier cours à Rome. Le pape Pie V l'invite à réfuter les erreurs de Jacques Ier d'Angleterre, et souhaite l'attacher à sa personne pour profiter de ses connaissances. Quant à Philippe II d'Espagne, il l'envoie à Coimbra pour redonner du prestige à l'université de la ville.

AprÚs sa mort, ses écrits sur le droit naturel continuent d'exercer une influence considérable, notamment sur certains des principaux philosophes du XVIIe siÚcle, entre autres Grotius, Descartes et Leibniz. En particulier, les Méditations sur la philosophie premiÚre de René Descartes (1641) empruntent quelques éléments aux travaux de métaphysique de Francisco Suarez. Par ailleurs, le pape Benoßt XIV pensait que Francisco Suarez était l'une des deux lumiÚres d'Espagne, avec Vélasquez.

RĂ©flexion philosophique

Ses rĂ©alisations philosophiques les plus importantes sont celles concernant la mĂ©taphysique et la philosophie du droit. Suarez peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le plus grand reprĂ©sentant de l'École de Salamanque dans sa pĂ©riode jĂ©suite. Il a adhĂ©rĂ© Ă  une forme modĂ©rĂ©e du thomisme et a dĂ©veloppĂ© la mĂ©taphysique comme une enquĂȘte systĂ©matique.

MĂ©taphysique

Pour SuĂĄrez, la mĂ©taphysique Ă©tait la science des essences rĂ©elles (et de l'existence), mĂȘme s'il s'intĂ©ressait principalement Ă  l'ĂȘtre rĂ©el plutĂŽt que conceptuel, et Ă  l'ĂȘtre immatĂ©riel plutĂŽt que matĂ©riel. Il a soutenu (avec les premiers scolastiques) que l'essence et l'existence sont identiques dans le cas de Dieu (voir argument ontologique), mais il n'Ă©tait pas d'accord avec Thomas d'Aquin et d'autres pour dire que l'essence et l'existence des ĂȘtres finis sont rĂ©ellement distinctes. Selon lui, elles ne sont en fait que conceptuellement distinctes : plutĂŽt que d'ĂȘtre rĂ©ellement sĂ©parables, elles ne peuvent ĂȘtre conçues que comme logiquement sĂ©parĂ©es.

Sur le sujet controversĂ© des universaux, il s'est efforcĂ© de suivre une voie intermĂ©diaire entre le rĂ©alisme de Jean Duns Scot et le nominalisme de Guillaume d'Ockham. Sa position est un peu plus proche du nominalisme que celle de Thomas d'Aquin. Il est parfois classĂ© parmi les nominalistes modĂ©rĂ©s, mais son acceptation de la notion de prĂ©cision objective (praecisio obiectiva) le place parmi les rĂ©alistes modĂ©rĂ©s. La seule unitĂ© vraie et rĂ©elle dans le monde des existences est l'individu ; affirmer que l'universel existe sĂ©parĂ©ment ex parte rei serait rĂ©duire les personnes Ă  de simples accidents d'une forme indivisible. Suarez soutient que, bien que l'humanitĂ© de Socrate ne diffĂšre pas de celle de Platon, elles ne constituent pas pour autant une vĂ©ritable et mĂȘme humanitĂ©, elles ne sont pas plusieurs unitĂ©s formelles (dans ce cas, les humanitĂ©s), puisqu'il y a des personnes, et ces personnes ne constituent pas un fait, mais seulement une unitĂ© essentielle ou idĂ©ale ("ita ut Plura individua, quae dicuntur esse naturae ejusdem, no sint unum quid vera entitate quae sentarse en rebus, sed solum fundamentaliter vel per intellectum"). L'unitĂ© formelle, cependant, n'est pas une crĂ©ation arbitraire de l'esprit, mais elle existe "in natura rei ante omnem operationem intellectus".

Son Ɠuvre mĂ©taphysique est un remarquable effort de systĂ©matisation et de combinaison des trois Ă©coles existantes Ă  cette Ă©poque : le thomisme, le scotisme et le nominalisme. Il est Ă©galement un grand critique des premiers ouvrages mĂ©diĂ©vaux et arabes. Il pouvait jouir de la rĂ©putation d'ĂȘtre le plus grand mĂ©taphysicien de son temps. Il a ainsi fondĂ© un courant qui lui est propre : le SuarĂ©tianisme, dont les principes directeurs sont :

  •  Le principe d'individuation par l'entitĂ© trĂšs concrĂšte des ĂȘtres.
  •  Le rejet de la pure potentialitĂ© de la matiĂšre.
  •  Le singulier comme objet de la connaissance intellectuelle directe.
  •  A distinctio rationis ratiocinatae entre l'essence et l'existence des ĂȘtres crĂ©Ă©s.
  •  La possibilitĂ© que la substance spirituelle soit seulement numĂ©riquement distincte entre l'un et l'autre.
  •  L'ambition de l'union hypostatique comme le pĂ©chĂ© des anges dĂ©chus.
  •  L'incarnation du Verbe, mĂȘme si Adam n'avait pas pĂ©chĂ©.
  •  La solennitĂ© du vƓu uniquement en droit ecclĂ©siastique.
  •  Le systĂšme du congruisme qui modifie le molinisme par l'introduction de circonstances subjectives, ainsi que de lieu et de temps, qui propitie l'action de la GrĂące efficace, et avec la prĂ©destination ante praevisa merita.
  •  La possibilitĂ© d'arriver Ă  la mĂȘme vĂ©ritĂ© par la science et la foi.
  •  La croyance en l'autoritĂ© divine qui fait partie d'un acte de foi.
  •  La transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ par transsubstantiation constitue le sacrifice eucharistique.
  •  La grĂące de la Vierge Marie est supĂ©rieure Ă  celle des anges et des saints rĂ©unis.

Suarez a rĂ©alisĂ© une classification importante Ă  ce sujet dans Disputationes Metaphysicae (1597), qui a influencĂ© le dĂ©veloppement de la thĂ©ologie au sein du catholicisme (son compagnon, Pedro da Fonseca a eu un effet puissant sur la pensĂ©e scolastique protestante aux XVIe et XVIIe siĂšcles). Dans la seconde partie du livre, les querelles 28-53, SuĂĄrez fixe la distinction entre ens infinitum (Dieux) et ens finitum (ĂȘtres crĂ©Ă©s). La premiĂšre division de l’ĂȘtre est entre ens infinitum et finitum ens. Non seulement il peut ĂȘtre divisĂ© en ĂȘtre infini et ĂȘtre fini, mais il peut aussi ĂȘtre divisĂ© en ens a se ab alio et ens, c'est-Ă -dire qu'il est de lui-mĂȘme et qu’il est de quelqu’un d’autre. Une deuxiĂšme distinction correspondant Ă  l'ens necessarium et Ă  l'ens contingens, c'est-Ă -dire l'ĂȘtre nĂ©cessaire et l'ĂȘtre contingent. Il formule encore une autre distinction entre ens per essentiam et ens per participationem, c'est-Ă -dire l'ĂȘtre qui existe en raison de son essence et l'ĂȘtre qui n'existe que par participation Ă  un ĂȘtre qui existe par lui-mĂȘme (eigentlich). Une autre distinction est faite entre ens increatum et ens creatum, c'est-Ă -dire l'incrĂ©Ă© et ce qui a Ă©tĂ© crĂ©Ă©, ou la crĂ©ature, l'ĂȘtre. Une derniĂšre distinction est faite entre l'ĂȘtre comme actus purus et l'ĂȘtre comme ens potentiale, c'est-Ă -dire comme acte pur et l'ĂȘtre comme possible ou potentiel. Suarez se prononce en faveur de la premiĂšre classification des ĂȘtres en ens infinitum et finitum ens comme Ă©tant la fondamentale, par rapport aux accords des autres classifications.

Théologie

En thĂ©ologie, Suarez rejoint la doctrine de Luis de Molina, le cĂ©lĂšbre professeur jĂ©suite d'Évora. Molina a essayĂ© de concilier la doctrine de la prĂ©destination avec la libertĂ© de la volontĂ© humaine et les enseignements de prĂ©destination des Dominicains en disant que cela est la consĂ©quence de la prescience de Dieu de la libre dĂ©termination de la volontĂ© de l’homme, qui n'est donc pas affectĂ©e par le fait de la prĂ©destination elle-mĂȘme.

Suarez a essayĂ© de rĂ©concilier ce point de vue avec les doctrines plus orthodoxes de l'efficacitĂ© de la grĂące et de l'Ă©lection spĂ©ciale, en soutenant que, bien que tous partagent une grĂące plus que suffisante, il n’est pas accordĂ© aux Ă©lus une GrĂące qui est infailliblement adaptĂ©e Ă  ses dispositions et aux circonstances particuliĂšres, alors qu’en mĂȘme temps en toute libertĂ©, ils se livrent Ă  son influence. Ce systĂšme de mĂ©diatisation Ă©tait connu sous le nom de "congruisme".

Philosophie du droit

Monument en l'honneur de Francisco SuĂĄrez Ă  Grenade.

Ici, l'importance principale de SuĂĄrez vient probablement de son travail sur le droit naturel, et de ses arguments sur le droit positif et le status d'un monarque. Dans son vaste ouvrage Tractatus de legibus ac Deo legislatore (rĂ©Ă©ditĂ© Ă  Londres en 1679), il est en quelque sorte le prĂ©curseur de Grotius et de Samuel Pufendorf en faisant une distinction importante entre le droit naturel et le droit international, qu'il considĂ©rait comme fondĂ© sur la coutume. Bien que sa mĂ©thode passe par la scolastique et traite de situations analogues, Grotius en parle avec un grand respect. La position fondamentale de l'Ɠuvre est que toutes les mesures lĂ©gislatives ainsi que tout le pouvoir paternel est dĂ©rivĂ© de Dieu, et que l’autoritĂ© de toutes les lois se rĂ©sout en la sienne. Suarez rĂ©fute la thĂ©orie patriarcale du gouvernement et le droit divin des rois fondĂ© sur cette doctrine, trĂšs populaire Ă  cette Ă©poque en Angleterre et dans une certaine mesure sur le continent. Il s'est opposĂ© au thĂšme du contrat social, et Ă  la thĂ©orie qui est devenue dominante au dĂ©but de la modernitĂ© chez les philosophes politiques tels que Thomas Hobbes et John Locke, mais certaines de ses idĂ©es ont trouvĂ© un Ă©cho dans les plus libĂ©raux, mĂȘme parmi les thĂ©oriciens adhĂ©rant au contrat de Locke.

En 1613, à la demande du pape Paul V, Suarez rédige un traité dédié aux princes chrétiens d'Europe, intitulé Defensio fidei contra catholicae anglicanae sectae errores, dirigé contre le serment de fidélité que Jacques Ier d'Angleterre, le roi anglican, exigeait de ses sujets.

Dans ce traitĂ©, Francisco SuĂĄrez soutient que les rois ont le droit d'exiger un serment de fidĂ©litĂ© de leurs vassaux, et que ceux-ci sont ensuite obligĂ©s de l'accomplir, Ă  condition qu'il soit demandĂ© Ă  juste titre. SuĂĄrez, rĂ©affirme ainsi la doctrine catholique de l’obligation d’obĂ©ir Ă  l’autoritĂ© lĂ©gitime, une obligation qui n’est pas crĂ©Ă©e par le serment, mais qui est simplement renforcĂ©e par l’invocation de Dieu comme tĂ©moin de cette loyautĂ©. Cependant, SuĂĄrez considĂšre qu’il est clairement illicite pour un roi –Jacques Ier- d’obliger ses sujets Ă  promettre obĂ©issance au roi en matiĂšre ecclĂ©siastique au dĂ©triment de l’autoritĂ© de l’Église catholique, puisque ces questions ne relĂšvent pas de la compĂ©tence du monarque, et qu’il est inacceptable pour un catholique de promettre fidĂ©litĂ© religieuse Ă  un roi schismatique et hĂ©rĂ©tique. SuĂĄrez considĂšre qu’un serment ne peut pas ĂȘtre un Êșlien d’injusticeËź et que, dans un tel cas, le serment est nul et ne lie personne. Quant Ă  la licĂ©itĂ© de la rĂ©volte contre un tyran, SuĂĄrez distingue le cas d’un roi lĂ©gitime qui gouverne de maniĂšre tyrannique et celui d’un usurpateur. Selon SuĂĄrez, le tyrannicide contre un roi lĂ©gitime n’est pas licite (sauf dans les cas extrĂȘmes de lĂ©gitime dĂ©fense), tandis que l’usurpateur, qui n’a pas de lĂ©gitimitĂ© d’origine, peut ĂȘtre renversĂ© et mĂȘme tuĂ© –s’il n’y a pas d’autre moyen de le dĂ©poser- par la communautĂ© politique, par accord des organes reprĂ©sentatifs de la sociĂ©tĂ© d’estrade de l’Ancien RĂ©gime. SuĂĄrez soutient que lorsque l’autoritĂ© lĂ©gitimement constituĂ©e disparait, le pouvoir revient au peuple, qui conserve le pouvoir Ă  la racine, bien qu’il soit dĂ©pourvu de pouvoir formel tant qu’il y a un roi lĂ©gitime. Cependant, SuĂĄrez considĂšre que la dĂ©sobĂ©issance civile contre les lois injustes est un droit, mĂȘme si elles proviennent d’un pouvoir lĂ©gitime, puisque ces lois, Ă©tant injustes, perdent le rang de loi.

Pour SuĂĄrez, les princes hĂ©rĂ©tiques ou paĂŻens peuvent ĂȘtre lĂ©gitimes, puisque le pouvoir politique correspond au droit naturel. Cependant, le pouvoir ne doit pas ĂȘtre obĂ©i dans tout ce qui va Ă  l'encontre des mandats de la religion catholique. Il dĂ©clare aussi expressĂ©ment que la communautĂ© politique chrĂ©tienne (res publica) "est obligĂ©e de repousser le souverain paĂŻen lorsque, en raison de sa puissance, le danger de la destruction de la foi est moralement craint". Cependant, "il doit le faire non pas avec une autoritĂ© privĂ©e, mais avec une autoritĂ© publique, lorsqu'autrement le prince a un droit lĂ©gitime sur le royaume". Suarez dĂ©fend Ă©galement le pouvoir papal de libĂ©rer les sujets d'un prince chrĂ©tien de l'obĂ©issance due lorsque ces princes tombent dans l'hĂ©rĂ©sie ou l'apostasie. La thĂ©orie politique suarĂ©tienne envisage la dĂ©sobĂ©issance et la rĂ©sistance civile exercĂ©es pour dĂ©fendre la foi catholique, mais aussi pour atteindre le bien commun.

Influence sur l'émancipation de la vice-royauté de Río de la Plata

Dans la prĂ©histoire des mouvements politiques argentins, nous pouvons mentionner les enseignements du pĂšre Francisco SuĂĄrez, qui a parlĂ© de l'origine de l'autoritĂ© et de la souverainetĂ© des rois d'une maniĂšre quelque peu diffĂ©rente des idĂ©es despotiques classiques qui prĂ©valaient Ă  l'Ă©poque. Se rapprochant quelque peu de ce qui sera appelĂ© plus tard le contrat social par le philosophe suisse Jean-Jacques Rousseau au milieu du XVIIIe siĂšcle, SuĂĄrez a Ă©laborĂ© une thĂ©orie de l'origine du pouvoir royal appelĂ©e "doctrine de la rĂ©version" qui aura plus tard une influence clĂ© sur les mouvements rĂ©volutionnaires dans la rĂ©gion du Rio de la Plata au dĂ©but du XIXe siĂšcle. Bien qu'il considĂšre Ă©galement (ce qui coĂŻncide ici avec les courants idĂ©ologiques absolutistes de ces annĂ©es-lĂ ) que c'est de Dieu que provient la souverainetĂ© nĂ©cessaire pour lĂ©gitimer la domination politique, SuĂĄrez est en dĂ©saccord avec un aspect essentiel de cette doctrine. Alors que la thĂ©orie de l'absolutisme monarchique Ă©nonçait qu'Ă  la mort d'un souverain, le pouvoir revenait Ă  Dieu et de lĂ  dĂ©rivait Ă  nouveau vers le nouveau roi (fils du dĂ©funt), le pĂšre soutenait qu'en rĂ©alitĂ©, bien que la souverainetĂ© soit d'origine divine, de Dieu elle dĂ©rivĂ© dans le peuple, et c'est le peuple qui dĂ©lĂšgue ce mĂȘme pouvoir au nouveau monarque. Le roi transmet Ă  son fils la lĂ©gitimitĂ© de gouverner, mais c'est le peuple qu'il gouverne qui, par mandat divin, lui donne la souverainetĂ© nĂ©cessaire Ă  cette tĂąche administrative. Ainsi, Dieu n'Ă©tait pas le seul Ă  porter et Ă  confĂ©rer le pouvoir politique qui lĂ©gitimait le souverain, mais dans ce cas, la souverainetĂ© revenait toujours au peuple, et de lĂ , Ă  son roi.

Telles étaient leurs idées qui, enseignées dans les universités et les collÚges dirigés par la Compagnie de Jésus, se heurtaient aux idées du despotisme illustré, relative à l'origine directe et uniquement divine de l'autorité des rois. C'est ainsi que les Bourbons, déterminés à faire taire "la doctrine des jésuites sur l'origine de l'autorité", les expulsent de leurs dominions en 1767, et un an plus tard, le roi Carlos III met hors la loi la thÚse de Suårez 19, qui est considérée comme une actualisation de la pensée de Saint Thomas et de Francisco de Vitoria.20

L'émancipation de la nation argentine a été influencée par deux courants de pensée distincts :21

1) Le rationalisme, la laïcité et l'illuminisme de Voltaire, qui a soutenu la philosophie politique de la Révolution française22 et qui a influencé, par exemple, le doyen Funes à Córdoba.

2) Un autre prĂ©cĂ©dent, d'inspiration chrĂ©tienne, influencĂ©, d'une part, par la doctrine de Francisco SuĂĄrez23 qui proclamait que l'autoritĂ© est donnĂ©e par Dieu, non pas au roi, mais au peuple24, la doctrine apprise Ă  l'UniversitĂ© jĂ©suite de Chuquisaca par les principaux patriotes promoteurs de la RĂ©volution de mai ; et d'autre part, par l'exemple de la RĂ©volution amĂ©ricaine qui, bien qu'ayant d'autres origines, a pour devise nationale  In God we trust  (en anglais : "En Dieu nous avons confiance")25 .

Ce deuxiĂšme courant philosophico-politique, comme le premier, a influencĂ© le mouvement d'Ă©mancipation de 1810, les guerres  d’indĂ©pendance, la pĂ©riode d'organisation nationale (dont le premier fruit fut la Constitution de 1853) a eu comme protagonistes davantage de figures du camp catholique : Fray Cayetano RodrĂ­guez, Ignacio de Castro Barros, Fray Justus Santa MarĂ­a de Oro, JosĂ© Luis ChorroarĂ­n, Juan Ignacio Gorriti, Facundo ZuvirĂ­a, FĂ©lix FrĂ­as, Fray Mamerto EsquiĂș, Mariano JosĂ© de Escalada, etc. Par exemple, le prĂ©sident du CongrĂšs constitutif de Santa Fe de 1853, Facundo ZuvirĂ­a (1793-1861), se dĂ©crivait comme "dĂ©mocrate et chrĂ©tien" et soulignait que "sans principes religieux, il n'y a pas de libertĂ©, pas de justice et pas de sociĂ©tĂ© stable".26

La mise en forme systématique des problÚmes métaphysiques

Commentariorum ac disputationum in tertiam partem divi Thomae (1590).
Summae theologiae. De Deo uno et trino, I, 1607
Operis de religione (1625).
De incarnatione, pars prima (1745).
De incarnatione, pars secunda (1746).

Dans la premiĂšre partie des Disputes mĂ©taphysiques (I Ă  XXIV), Suarez Ă©tablit une distinction mĂ©taphysique qui est considĂ©rĂ©e comme Ă  la base de la modernitĂ© philosophique (Descartes, Kant, etc.). Selon Heidegger, l’ontologie grecque "via les Disputationes metaphysicae de Suarez, passe dans la « mĂ©taphysique » et la philosophie transcendantale des temps modernes et dĂ©termine les fondations et les buts de la Logique de Hegel"[1].

1- METAPHYSICA GENERALIS

  • ontologie gĂ©nĂ©rale

2- METAPHYSICA SPECIALIS

  • cosmologia rationalis : ontologie de la nature (cosmologie)
  • psychologia rationalis : ontologie de l'esprit (psychologie)
  • theologia rationalis : ontologie de Dieu (thĂ©ologie)

Cette distinction perdurera jusqu'à Hegel inclus. On la retrouve par exemple chez Kant, dans la dialectique de sa Critique de la raison pure sous la forme de : théologie, psychologie, cosmologie.

Influence

Les contributions de Suårez à la métaphysique et à la théologie ont exercé une influence significative sur la théologie scolastique des XVIIe et XVIIIe siÚcles, autant parmi les catholiques que parmi les protestants27.

GrĂące en partie Ă  la force de l'ordre jĂ©suite de SuĂĄrez, ses Disputationes MĂ©taphysicae ont Ă©tĂ© largement enseignĂ©es dans les Ă©coles catholiques d'Espagne, du Portugal et d'Italie. Il s'est Ă©galement propagĂ© de ces Ă©coles Ă  de nombreuses universitĂ©s luthĂ©riennes en Allemagne, oĂč le texte a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© en particulier par ceux qui prĂ©fĂ©raient Melanchthon Ă  l'attitude de Luther envers la philosophie. Dans plusieurs universitĂ©s luthĂ©riennes du XVIIe siĂšcle, les Disputationes servaient de manuel de philosophie. De mĂȘme, SuĂĄrez a eu une grande influence sur la tradition rĂ©formiste des Ă©coles allemande et nĂ©erlandaise, tant pour la mĂ©taphysique que pour le droit, y compris le droit international. Son travail a Ă©tĂ© louĂ©, par exemple, par Hugo Grotius (1583-1645).

Son influence est évidente dans les écrits de Bartholomaeus Keckermann (1571-1609), Clemens Timpler (1563-1624), Gilbertus Jacchaeus (1578-1628), Johann Heinrich Alsted (1588-1638), Antonius Walaeus (1573-1639) et Johannes Maccovius (Jan Makowski ; 1588-1644), entre autres28. Cette influence était si forte qu'en 1643, elle a provoqué le théologien calviniste néerlandais Jacobus Revius a publié un livre en réponse : Suarez repurgatus.29 Le puritain Richard Baxter a cité le De legibus de Suarez parmi les meilleurs livres sur le droit30, et le juriste Matthew Hale, un ami de Baxter, s'en est inspiré pour sa théorie du droit naturel31 :

Arthur Schopenhauer a Ă©crit sur lui :

Les Disputationes Metaphysicae de Suarez [sont] un vĂ©ritable condensĂ© de toute la sagesse scolastique, lĂ  oĂč il faut l'Ă©tudier plutĂŽt que dans les interminables bavardages des ineptes professeurs de philosophie allemands, quintessence de l'ennui et de la vulgaritĂ©32.

ƒuvres (sĂ©lection)

  • De Incarnatione (1590-1592)
  • De sacramentis (1593-1603)
  • Disputationes metaphysicae (1597)
  • De divina substantia eiusque attributis (1606)
  • De divina praedestinatione et reprobatione (1606)
  • De sanctissimo Trinitatis mysterio (1606)
  • De religione (1608-1625)
  • De legibus (1612)
  • Defensio fidei catholicae (1613)
  • De gratia (1619)
  • De angelis (1620)
  • De opere sex dierum 1621)
  • De anima (1621)
  • De fide, spe et charitate (1622)
  • De ultimo fine hominis (1628)
  • Opera omnia Paris: L. VivĂ©s, 1856-1866 (26 volumes).

ƒuvres traduites

  • Dispute MĂ©taphysique I, II, III, Paris, Vrin, 1998, (ISBN 2711613569), (ISBN 9782711613564), partiellement en ligne
    • I: De natura primae philosophiae seu metaphysicae;
    • II: De ratione essentiali seu conceptu entis;
    • III: De passionibus entis in communi, et principiis ejus. Texte intĂ©gral prĂ©sentĂ©, traduit et annotĂ© par Jean-Paul Coujou ; "Introduction: SuĂĄrez et la Renaissance de la mĂ©taphysique", pp. 7-45.
  • Disputes mĂ©taphysiques XXVIII-XXIX, Texte intĂ©gral prĂ©sentĂ© et annotĂ© par Jean-Paul Coujou; Introduction pp. 7-89, Grenoble, Millon, 2009.
  • La distinction de l'Ă©tant fini et de son ĂȘtre. Dispute MĂ©taphysique XXXI, Paris, Vrin, 1999, (ISBN 2711614042), (ISBN 9782711614042), (De essentia entis finiti ut tale est, et illius esse, eorumque distinctione), texte intĂ©gral, prĂ©sentĂ©, traduit et annotĂ© par Jean-Paul Coujou, partiellement en ligne
  • Les ĂȘtres de raison. Dispute MĂ©taphysique LIV, traduit par Jean-Paul Coujou, Paris, Vrin, 2001, (ISBN 2711615138), (ISBN 9782711615131), partiellement en ligne
  • (es) Comentarios a los libros de Aristoteles SOBRE EL ALMA. Commentaria una cum quaestionibus in libros Aristotelis, edicion critica par Salvador Castellote, Madrid, Fundacion Xavier Zubiri, 1978-1991
  • (it) Disputazioni metafisiche. I-III / Francisco SuĂĄrez ; introd., trad., note e apparati di Costantino Esposito. Milano, Rusconi, 1996
  • Des lois et du Dieu lĂ©gislateur, Paris, Dalloz, 2003, 688 p. (ISBN 2-247-05225-8)

Références

  1. Martin Heidegger, Être et temps (lire en ligne), "Sous cette empreinte scolastique, c’est encore pour l’essentiel l’ontologie grecque qui, via les Disputationes metaphysicae de Suarez, passe dans la « mĂ©taphysique » et la philosophie transcendantale des temps modernes et dĂ©termine les fondations et les buts de la Logique de Hegel"

Voir aussi

Bibliographie

  • Ferdinand Cavallera, « Suarez et la doctrine catholique sur l'origine du pouvoir civil», dans Bulletin de littĂ©rature ecclĂ©siastique, 1912, p. 97-119 (lire en ligne)
  • Jean-François Courtine, Nature et empire de la loi. Études suarĂ©ziennes, Vrin-EPHESS, 1999.
  • Jean-François Courtine, Suarez et le systĂšme de la mĂ©taphysique, PUF, 1990.
  • Jean-Paul Coujou, SuĂĄrez et la refondation de la mĂ©taphysique comme ontologie, Paris, Éditions Peeters, 1999, (ISBN 9042907444), (ISBN 9789042907447).
    Étude et traduction de l'Index dĂ©taillĂ© de la mĂ©taphysique d'Aristote de F. SuĂĄrez. partiellement en ligne
  • Joseph A. Munitiz: Francisco SuĂĄrez and the Exclusion of Men of Jewish or Moorish Descent from the Society of Jesus, dans AHSI, vol.73 (2004), p.327.

Articles connexes

Liens externes

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