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RĂ©volution russe

La rĂ©volution russe[alpha 1] (en russe : руссĐșая рДĐČĐŸĐ»ŃŽŃ†ĐžŃ [ˈruskɐjɐ rÊČÉȘvɐˈlÊČutÍĄsÉšjɐ][alpha 2]) est l’ensemble des Ă©vĂ©nements ayant conduit en fĂ©vrier 1917 au renversement spontanĂ© du rĂ©gime tsariste de Russie, puis en octobre de la mĂȘme annĂ©e Ă  la prise de pouvoir par les bolcheviks et Ă  l’installation d’un rĂ©gime lĂ©niniste (« communiste »). Cette derniĂšre dĂ©bouche sur une guerre civile d'une grande violence, opposant les bolcheviks aux ArmĂ©es blanches et Ă  un ensemble d'autres adversaires (makhnovchtchina, ArmĂ©es vertes, etc.). Le conflit est accompagnĂ© d'un effondrement de l'Ă©conomie russe, qui avait dĂ©butĂ© pendant la PremiĂšre Guerre mondiale, et d'une famine particuliĂšrement meurtriĂšre : il s'achĂšve par la victoire des bolcheviks et par la reconstitution, sous l'Ă©gide de l'URSS, de la majoritĂ© des territoires de l'ex-empire. La rĂ©volution en Russie donne Ă©galement naissance au communisme, un rĂ©gime politique fondĂ© par LĂ©nine.

RĂ©volution russe de 1917
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Date Hiver 1917 - Hiver 1921
Lieu Russie
RĂ©sultat

Victoire des bolcheviks

Chronologie
8-15 mars (23 février - 2 mars selon le calendrier russe) Révolution de Février qui aboutit à la formation d'un gouvernement provisoire et à la chute du tsarisme. La Russie devient une république.
7 novembre (25 octobre dans le calendrier julien) RĂ©volution d'Octobre.
8 novembre (26 octobre) Décret sur la Paix (« juste et équitable »). Décret sur la terre : la grande propriété fonciÚre est abolie.
15 décembre Armistice germano-russe de Brest-Litovsk.
28 janvier 1918 Création de l'Armée rouge.
2-6 mars 1919 CrĂ©ation de l’Internationale communiste (IIIe Internationale) Ă  Moscou.
18 février-17 mars 1921 Révolte de Kronstadt.
21 mars 1921 Fin du communisme de guerre, début de la NEP.

Largement favorisĂ©e par la Grande Guerre[1], la rĂ©volution russe est un Ă©vĂ©nement fondateur et dĂ©cisif du « court XXe siĂšcle[2] » ouvert par l’éclatement du conflit europĂ©en en 1914 et clos en 1991 par la disparition de l’URSS. Objet pour les uns de sympathies et d’immenses espoirs (la « grande lueur Ă  l’Est » selon Jules Romains, le « charme universel d’Octobre » dĂ©crit par François Furet), ou inversement, pour les autres, de sĂ©vĂšres critiques, voire de peurs et de haines en raison de la terreur rouge[3], elle reste un des faits les plus Ă©tudiĂ©s et les plus discutĂ©s de l’histoire contemporaine.

Son dĂ©roulement et ses consĂ©quences posent toujours de nombreuses questions. Les historiens sont encore partagĂ©s quant Ă  savoir si la « rĂ©volution de FĂ©vrier » impliquait nĂ©cessairement la « rĂ©volution d'Octobre ». La nature d’Octobre (rĂ©volution, coup d'État ou combinaison des deux ?), les raisons des violences de la guerre civile russe, celles de la genĂšse de la dictature soviĂ©tique sont Ă©galement trĂšs discutĂ©es. Le dĂ©bat trĂšs ancien sur l’évolution conduisant au stalinisme des annĂ©es 1930 n’a jamais Ă©tĂ© non plus dĂ©finitivement tranchĂ© : filiation logique, ou bien dĂ©viation, par rapport aux idĂ©aux et aux pratiques des bolcheviks de la rĂ©volution[4] ?

La Russie avant la révolution

L'empereur Nicolas II et sa famille.

Avant 1917, l'Empire russe Ă©tait un rĂ©gime monarchique autocratique. L’industrialisation de la Russie connut son apogĂ©e au dĂ©but des annĂ©es 1900, bien aprĂšs les autres pays europĂ©ens. Ce dĂ©veloppement est dĂ» aux investissements rĂ©alisĂ©s par des capitalistes Ă©trangers[5]. En effet, aprĂšs la rĂ©volution, non aboutie, de 1905, le doublement de la production industrielle et la constitution d'une classe ouvriĂšre de prĂšs de trois millions d'ouvriers sont dus Ă  l'afflux des capitaux Ă©trangers qui ont dĂ©veloppĂ© l'activitĂ© industrielle (mĂȘme si elle est encore arriĂ©rĂ©e par rapport Ă  l'industrie occidentale en 1914) dans de grandes usines permettant ainsi de rendre le regroupement et la mobilisation des travailleurs plus facile qu'en Occident[5]. Ce dĂ©calage s’explique par certaines rĂ©formes tardives comme l’abolition du servage qui ne se produisit qu’en 1861. Mais, il n'en est pas moins vrai que cette rĂ©forme n'a pas Ă©tĂ© menĂ©e avec efficacitĂ© : les serfs nouvellement affranchis Ă©taient obligĂ©s d'effectuer (trois fois)[6] plus de travaux chez leurs anciens supĂ©rieurs que chez eux-mĂȘmes ; de plus, elle ne fait pas allusion Ă  la distribution des terres[6]. L'abolition du servage par l'empereur Alexandre II en 1861 fait apparaĂźtre les premiĂšres fissures du vieux rĂ©gime fĂ©odal. Une fois affranchis, les ex-serfs migrĂšrent vers les villes, formant la main-d’Ɠuvre de base de la rĂ©volution industrielle. MalgrĂ© ce retard, son dĂ©veloppement Ă©conomique fut relativement rapide sous le rĂšgne d’Alexandre III (1881-1894) et il continua lorsque son fils, Nicolas II, prit le pouvoir. En 1913, l’Empire russe Ă©tait la troisiĂšme puissance mondiale. Les industries fleurissent, la classe ouvriĂšre est concentrĂ©e principalement dans les grandes villes. Cependant, la nouvelle prospĂ©ritĂ© du pays, financĂ©e par d'Ă©normes emprunts Ă  la Bourse de Paris, ne profite pas Ă  la population.

Les dix premiĂšres annĂ©es du rĂšgne de Nicolas II furent favorables Ă  l’évolution Ă©conomique. La principale modification fut la restauration du rouble-or, en 1897. Cela donna un nouvel Ă©lan au dĂ©veloppement de l’industrie mĂ©tallurgique. Le ministre des Finances, Serge Witte, Ă  l’origine de la rĂ©forme monĂ©taire de 1897, put amener des capitaux Ă©trangers en Russie, grĂące aux fameux emprunts russes, surtout français. Ce fut un nouveau bond pour l’industrie lourde et les transports. La construction du chemin de fer transsibĂ©rien, entre 1893 et 1901, tĂ©moigna de ce nouveau dynamisme. Mais, l'empereur avait des idĂ©es trĂšs conservatrices, ce qui ne lui permit pas de profiter de ce petit dynamisme Ă©conomique — pour moderniser la sociĂ©tĂ© russe.

L’économie dans son ensemble reste archaĂŻque[7]. La valeur de la production industrielle est en 1913 deux fois et demi infĂ©rieure Ă  celle de la France, six fois moins que celle de l’Allemagne, ou quatorze fois moins que celle des États-Unis[8]. Le rendement agricole reste mĂ©diocre, la pĂ©nurie de transport paralyse toute tentative de modernisation Ă©conomique[9]. Le PIB par habitant est alors infĂ©rieur Ă  celui de la Hongrie ou de l’Espagne de l’époque, et environ un quart de celui des États-Unis[10]. Surtout, le pays est dominĂ© par les capitaux Ă©trangers, qui possĂšdent prĂšs de la moitiĂ© des actions en Russie[11]. L’industrialisation du pays a Ă©tĂ© violente et mal acceptĂ©e par les couches de la paysannerie brusquement prolĂ©tarisĂ©es. La classe ouvriĂšre naissante, bien que faible numĂ©riquement, est concentrĂ©e dans de grands sites industriels qui facilitent l’émulation rĂ©volutionnaire[12].

La Russie reste un pays essentiellement rural (85 % de la population). Si une partie des paysans, les koulaks, s’est enrichie et constitue une sorte de bourgeoisie rurale soutenant le rĂ©gime, le nombre de paysans sans terres a augmentĂ©, crĂ©ant un vĂ©ritable prolĂ©tariat rural, rĂ©ceptif aux idĂ©es rĂ©volutionnaires. MĂȘme aprĂšs 1905, un dĂ©putĂ© Ă  la Douma signale que dans bien des villages, la prĂ©sence de blattes et de punaises dans les maisons Ă©tait considĂ©rĂ©e comme un signe de richesse[13].

La capitale Saint-Pétersbourg, foyer des révolutions de 1905 et 1917.

AprĂšs la scolarisation menĂ©e quelques annĂ©es auparavant, une partie des ouvriers a Ă©tĂ© conquise par les idĂ©es marxistes et autres idĂ©ologies rĂ©volutionnaires. Toutefois, le pouvoir tsariste fit preuve d’immobilisme. Aux XIXe et XXe siĂšcles, des mouvements organisĂ©s par des membres de toutes les classes de la population (Ă©tudiants ou ouvriers, paysans ou nobles) tentĂšrent de renverser le gouvernement – sans succĂšs, certains se tournant vers le terrorisme et les attentats politiques. Les mouvements rĂ©volutionnaires Ă©taient soumis Ă  une dure rĂ©pression, menĂ©e par la puissante Okhrana, la police politique tsariste. De nombreux rĂ©volutionnaires Ă©taient emprisonnĂ©s ou dĂ©portĂ©s, d’autres rĂ©ussissaient Ă  fuir et Ă  rejoindre les rangs des exilĂ©s. De ce point de vue, la rĂ©volution de 1917 n’est que l’aboutissement d’une longue succession de petites rĂ©voltes. Les rĂ©formes nĂ©cessaires, que ni les rĂ©voltes paysannes, ni les attentats politiques, ni l’activitĂ© parlementaire de la Douma, n’avaient rĂ©ussi Ă  imposer viendront finalement d’une rĂ©volution impulsĂ©e par le prolĂ©tariat.

DĂšs 1905, une premiĂšre rĂ©volution Ă©clate aprĂšs la dĂ©faite de la Russie lors de la guerre russo-japonaise. La rĂ©pression sanglante d’une manifestation le , lorsqu'une partie de la population vint porter une supplique Ă  Nicolas II Ă  Saint-PĂ©tersbourg marque le « Dimanche rouge », du , au cours duquel plusieurs centaines de personnes ont pĂ©ri. Elle constitua une tentative du peuple russe de se libĂ©rer de son tsar, et fut marquĂ©e par des soulĂšvements et des grĂšves de la part des ouvriers et des paysans qui formĂšrent Ă  cette occasion leurs premiers organes de pouvoirs indĂ©pendants de la tutelle de l’État, les Soviets. À la suite de la rĂ©volution qui a suivi, Nicolas II, pour rĂ©tablir l’ordre dans son empire, dut accepter les revendications des ouvriers, des paysans, des Ă©tudiants et des bourgeois, c’est-Ă -dire l'instauration d'une constitution, d'une Douma (assemblĂ©e) et de libertĂ©s civiles. Pour cela, l'empereur crĂ©a le deux assemblĂ©es : le Conseil des ministres, prĂ©sidĂ© par Serge Witte et la Douma, oĂč, en thĂ©orie, toutes les classes sociales devaient ĂȘtre reprĂ©sentĂ©es. Le , Nicolas II accorde finalement une Loi fondamentale de l'État. Cette Loi fondamentale transformait l’Empire russe en une monarchie constitutionnelle, oĂč l'autocratie cohabitait avec un Parlement, la Douma. Mais les Ă©lecteurs Ă©tant principalement des aristocrates, les ouvriers et les paysans ne furent pas reprĂ©sentĂ©s. Seules certaines parties de la population furent Ă©lues et elles Ă©taient favorables Ă  l’autocratie et au tsar. Il y eut encore quelques grĂšves que le gouvernement enraya, mais le peuple restait mĂ©content car il n’y avait presque aucun changement. En clair, il Ă©tait trĂšs disposĂ© Ă  se soulever Ă  nouveau contre le tsar.

Une société ébranlée par la guerre

Les dĂ©faites successives de la Russie lors de la PremiĂšre Guerre mondiale sont l’une des causes de la rĂ©volution de FĂ©vrier. À l’entrĂ©e en guerre, dĂšs aoĂ»t 1914, tous les partis sont pour cette participation, Ă  l’exception du parti social-dĂ©mocrate (POSDR), le seul en Europe avec le parti socialiste serbe Ă  refuser le vote des crĂ©dits de guerre, mais qui prĂ©vient toutefois qu’il ne cherchera pas Ă  saboter l’effort de guerre. DĂšs le dĂ©but du conflit sur le Front de l'Est, aprĂšs quelques succĂšs initiaux, l’armĂ©e connaĂźt de lourdes dĂ©faites (en Prusse-Orientale notamment) ; les usines s’avĂšrent insuffisamment productives, le rĂ©seau ferroviaire imparfait, le ravitaillement en armes et denrĂ©es de l’armĂ©e boiteux. Au sein de la troupe, les pertes battent tous les records (1 700 000 morts et 5 950 000 blessĂ©s) et des mutineries Ă©clatent, le moral des soldats se trouvant au plus bas. Ceux-ci supportent de moins en moins l’incapacitĂ© de leurs officiers (on a ainsi vu des unitĂ©s monter au combat avec des balles ne correspondant pas au calibre de leur fusil), les brimades et les punitions corporelles en usage dans l’armĂ©e.

Soldats russes blessés au cours de la PremiÚre Guerre mondiale

La famine gronde et les marchandises se font rares. L’économie russe, qui connaissait avant la guerre le taux de croissance le plus Ă©levĂ© d’Europe[14], est coupĂ©e du marchĂ© europĂ©en. La chambre basse du Parlement russe (la Douma), constituĂ©e de partis libĂ©raux et progressistes, met en garde le tsar Nicolas II contre ces menaces pour la stabilitĂ©, tant de la Russie que du rĂ©gime, et lui conseille de former un nouveau gouvernement constitutionnel. Mais le tsar ignore l’avis de la Douma. IsolĂ© dans un train spĂ©cial au front, il a perdu de fait tout contact avec la rĂ©alitĂ© du pays et avec sa direction. L’impopularitĂ© de son Ă©pouse, d’origine allemande, aggrave le discrĂ©dit du rĂ©gime, ce que confirme en l’assassinat du conseiller occulte de l’impĂ©ratrice, Raspoutine, par un jeune noble .

DĂšs 1915-1916, une prolifĂ©ration de comitĂ©s divers prennent en main tout ce qu’un État dĂ©ficient n’assume plus (ravitaillement, soins, Ă©changes). Avec les coopĂ©ratives ou les syndicats, ces comitĂ©s deviennent des pouvoirs parallĂšles. Le rĂ©gime ne contrĂŽle dĂ©jĂ  plus le « pays rĂ©el »[15].

RĂ©volution de FĂ©vrier 1917

L'insurrection de Petrograd

Le mois de rassemble toutes les caractĂ©ristiques pour une rĂ©volte populaire : hiver rude, pĂ©nurie alimentaire, lassitude face Ă  la guerre
 Tout commence lors de grĂšves spontanĂ©es, dĂ©but fĂ©vrier, des ouvriers des usines de la capitale Petrograd (nouveau nom que Saint-PĂ©tersbourg a pris au dĂ©but du conflit). Le ( du calendrier moderne[16]), pour la JournĂ©e internationale des femmes, des femmes de Petrograd manifestent pour rĂ©clamer du pain. Elles passent d’une usine Ă  l’autre. Rejoint par les hommes, le mouvement gagne en ampleur. Le nombre de grĂ©vistes monte Ă  90 000. Il y a des rassemblements, des manifestations, des confrontations avec la police. Leur action est soutenue par la main-d’Ɠuvre industrielle, qui trouve lĂ  une raison de prolonger la grĂšve. Ce premier jour, malgrĂ© quelques confrontations avec les forces de l’ordre, ne fait aucune victime.

Les jours suivants, les grĂšves se gĂ©nĂ©ralisent dans tout Petrograd et la tension monte. Les slogans, jusque-lĂ  plutĂŽt discrets, se politisent : « À bas la guerre ! », « À bas l’autocratie ! »[17]. Cette fois, les affrontements avec la police font des victimes des deux cĂŽtĂ©s[18]. Les manifestants s’arment en pillant les postes de police. AprĂšs trois jours de manifestations, le Tsar mobilise les troupes de la garnison de la ville pour mater la rĂ©bellion. Les soldats rĂ©sistent aux premiĂšres tentatives de fraternisation et tuent de nombreux manifestants. Toutefois, la nuit, une partie de la troupe rejoint progressivement le camp des insurgĂ©s, qui peuvent ainsi s’armer plus convenablement. Entre-temps, le tsar, dĂ©semparĂ©, n’ayant plus les moyens de gouverner, dissout la Douma et nomme un comitĂ© provisoire.

Tous les rĂ©giments de la garnison de Petrograd se joignent aux rĂ©voltĂ©s. C’est le triomphe de la rĂ©volution. Sous la pression de l’état-major, le tsar Nicolas II abdique le 2 mars 1917 ( dans le calendrier grĂ©gorien). « Il se dĂ©mit de l’empire comme un commandant d’un escadron de cavalerie[19] ». Son frĂšre, le grand-duc MikhaĂŻl Alexandrovitch Romanov, refuse presque aussitĂŽt la couronne. C’est de fait la fin du tsarisme, et les premiĂšres Ă©lections au soviet des ouvriers de Petrograd.

Ce premier Ă©pisode de la rĂ©volution russe fait un peu plus d’une centaine de tuĂ©s, en majoritĂ© parmi les manifestants[20]. Mais la chute rapide et inattendue du rĂ©gime, Ă  un coĂ»t plutĂŽt limitĂ©, suscite dans le pays une vague d’enthousiasme et de libĂ©ralisation.

« Le pays le plus libre du monde »

La pĂ©riode suivant l’abdication du tsar est Ă  la fois confuse et enthousiaste. Les gouvernements provisoires se succĂšdent rapidement au fur et Ă  mesure que la rĂ©volution gagne en profondeur et que la masse des ouvriers et paysans se politise. Les soviets, Ă©manations des volontĂ©s populaires, n’osent pas dans un premier temps contredire le gouvernement provisoire malgrĂ© son immobilisme et sa poursuite de la guerre[21].

La chute de la monarchie est ressentie comme une libĂ©ration sans prĂ©cĂ©dent. Elle ouvre en Russie une pĂ©riode d’allĂ©gresse populaire et de fermentation rĂ©volutionnaire. Une frĂ©nĂ©sie de prises de parole gagne toutes les couches de la sociĂ©tĂ©. Les meetings sont quotidiens et les orateurs se succĂšdent sans fin. DĂ©filĂ©s et manifestations se multiplient. Des dizaines de milliers de lettres, d’adresses, de pĂ©titions sont envoyĂ©es chaque semaine de tous les points du territoire pour faire connaĂźtre les soutiens, les dolĂ©ances ou les revendications du peuple. Elles sont en particulier adressĂ©es au nouveau gouvernement provisoire et au soviet de Petrograd.

Au-delĂ  des attentes immĂ©diates, ce qui domine est le rejet de toutes les formes d’autoritĂ© ; ce qui a permis Ă  LĂ©nine de parler de la Russie de ces premiers mois comme du « pays le plus libre du monde »[22].

Selon Marc Ferro,

« À Moscou, des travailleurs obligeaient leur patron Ă  apprendre les fondements du futur droit ouvrier ; Ă  Odessa, les Ă©tudiants dictaient Ă  leur professeur le nouveau programme d’histoire des civilisations ; Ă  Petrograd les acteurs se substituaient au directeur du thĂ©Ăątre et choisissaient le prochain spectacle ; aux armĂ©es, des soldats invitaient l’aumĂŽnier Ă  assister Ă  leurs rĂ©unions pour qu’il donne un sens Ă  sa vie. Il n’est jusqu’aux enfants qui n’aient revendiquĂ© pour les moins de 14 ans le droit d’apprendre la boxe pour pouvoir se faire entendre des grands. C’était le monde Ă  l’envers[23] »

Un meeting de soldats en Finlande, .

Ces premiĂšres semaines emplies d’espĂ©rance et de gĂ©nĂ©rositĂ© sont trĂšs peu violentes, dans les villes comme dans les campagnes. Il n'y a pas de reprĂ©sailles, officielles ou spontanĂ©es, exercĂ©es contre les anciens serviteurs du tsar, ce dernier Ă©tant simplement assignĂ© Ă  rĂ©sidence : beaucoup peuvent librement se retirer ou partir Ă  l’étranger. Le gouvernement provisoire abolit la peine de mort, ouvre largement les prisons, permet le retour des exilĂ©s de toutes opinions (dont LĂ©nine), et proclame les libertĂ©s fondamentales de presse, de rĂ©union, de conscience — dĂ©jĂ  acquises dans les faits depuis fĂ©vrier. Le droit de vote est accordĂ© aux femmes[24]. L’antisĂ©mitisme d’État disparaĂźt. L’Église orthodoxe, sous tutelle depuis Pierre le Grand, peut rĂ©unir librement un concile qui, Ă  l’étĂ© 1917, restaure le patriarcat. Dans l’armĂ©e, le prikaze no 1 (ordre du jour) Ă©mis par le soviet de Petrograd interdit les brimades humiliantes des officiers et instaure pour les soldats les droits de rĂ©union, de pĂ©tition et de presse[25].

Enfin, la manifestation la plus franche de l’émancipation de la sociĂ©tĂ© civile est la crĂ©ation spontanĂ©e de soviets (conseils) d’ouvriers, de paysans, de soldats ou de marins, qui couvrent en quelques semaines la quasi-totalitĂ© du pays. Ces assemblĂ©es Ă©lues, dĂ©jĂ  expĂ©rimentĂ©es en 1905, pallient la faiblesse des organisations habituelles en Occident (partis, syndicats), due Ă  la longue rĂ©pression tsariste. Ce sont des organes de dĂ©mocratie directe, qui entendent exercer un pouvoir autonome et, face au gouvernement provisoire comme Ă  la possibilitĂ© d’une contre-rĂ©volution, veiller Ă  la prĂ©servation et Ă  l’extension des conquĂȘtes de la rĂ©volution de FĂ©vrier.

Gouvernement provisoire et soviets

Les membres du gouvernement provisoire.

Un gouvernement provisoire Ă©lu par la Douma, dirigĂ© par Michel Vlaimirovitch Rodzianko, ancien officier du Tsar, monarchiste et riche propriĂ©taire terrien, s’installe. Mais dĂšs le , Rodzianko, jugĂ© trop proche du rĂ©gime prĂ©cĂ©dent, est Ă©cartĂ©. Il est remplacĂ© par le prince Lvov, un libĂ©ral progressiste.

Ainsi, mĂȘme s’il est issu d’une rĂ©volution des ouvriers et soldats, le gouvernement provisoire est dirigĂ© par des hommes politiques libĂ©raux, principalement issus du parti KD, parti constitutionnel dĂ©mocratique, en abrĂ©gĂ© « K.D. », parti de la bourgeoisie libĂ©rale. Mais en rĂ©alitĂ©, ce gouvernement doit composer avec une plĂ©thore de soviets, qui se sont formĂ©s dĂšs le dĂ©but mars dans les principales villes du pays, et surgissent dans les campagnes en avril et mai Ă  l’annonce de la rĂ©volution dans la capitale. Les notables, notamment les Koulaks qui dirigeaient au nom du tsar sont destituĂ©s. Le soviet est donc Ă  la fois un club dans lequel les ouvriers se rendent pour discuter de la situation, et un organe de gouvernement.

Le programme du Soviet de Petrograd est la paix immédiate, la terre aux paysans, la journée de 8 heures et une république démocratique. Ce programme est inapplicable aux yeux du gouvernement de bourgeoisie libérale qui a pris le pouvoir à la suite de la révolution, et ne veut ni rompre avec ses alliés, ni toucher à la propriété des terres de la noblesse féodale, ni accorder la journée de 8 heures.

En revanche, ce gouvernement estime, tout comme une partie des dirigeants de soviets et de partis rĂ©volutionnaires, que seule la future Constituante Ă©lue au suffrage universel aura le droit de dĂ©cider de la redistribution des terres et du rĂ©gime social. Comble d'ironie de l'impuissance, le gouvernement et les soviets n'arrivent ni Ă  coopĂ©rer, ni mĂȘme Ă  s'accorder sur une stratĂ©gie commune. Tous retardent sans fin l'organisation d'Ă©lections: l’appui des soviets n'est jamais acquis, car s'ils ont la confiance de la grande masse des travailleurs, c'est parce qu'ils dĂ©battent avant de dĂ©cider[26], le gouvernement continue la Guerre pour ne pas trahir les alliĂ©s de la Russie, de surcroit, les millions d’électeurs sont tout simplement absents car mobilisĂ©s sur le front. Tous s'abstiennent, les rĂ©formes attendues sont sans cesse reportĂ©es sine die, au point que le gouvernement s’abstient mĂȘme de proclamer officiellement la RĂ©publique avant septembre. Il prend donc d’emblĂ©e le risque de dĂ©cevoir dangereusement la population.

Les soviets sont alors dominĂ©s par des partis socialistes, mencheviks et socialistes-rĂ©volutionnaires (SR). Les bolcheviks, malgrĂ© leur nom[27], sont minoritaires. Dans l’immĂ©diat, ces soviets, dont celui de Petrograd, affichent une ligne modĂ©rĂ©e de soutien au gouvernement provisoire, et ne mettent pas en avant les revendications les plus radicales - ce qui oblige Ă  nuancer la notion habituelle de « dualitĂ© des pouvoirs ». La jonction entre le gouvernement et le soviet de Petrograd est assumĂ©e par son vice-prĂ©sident, le SR rĂ©publicain Alexandre Kerenski, qui est par ailleurs ministre de la Justice puis de la Guerre.

La révolution n'est pas finie

Presque tous les rĂ©volutionnaires, surtout ceux formĂ©s Ă  l’école du marxisme, estiment en effet que la rĂ©volution prolĂ©tarienne est prĂ©maturĂ©e dans un pays aussi rural et Ă©conomiquement arriĂ©rĂ©[28]. À leurs yeux, la Russie n’est mĂ»re que pour une rĂ©volution bourgeoise, le prolĂ©tariat Ă©tant inexpĂ©rimentĂ© et trop faible numĂ©riquement. La rĂ©volution doit dans un premier temps se cantonner aux tĂąches que l’analyse marxiste assignait Ă  la rĂ©volution bourgeoise, celles accomplies par la RĂ©volution française de 1789 : la fin du fĂ©odalisme et la rĂ©forme agraire. Dans cette optique, les soviets sont conçus comme des « forteresses prolĂ©tariennes » implantĂ©es au cƓur de la « rĂ©volution bourgeoise »[29] pour veiller Ă  la rĂ©alisation des revendications populaires, prĂ©parer ultĂ©rieurement le passage au socialisme, et prĂ©venir en attendant aussi bien une contre-rĂ©volution monarchiste qu’une rupture avec la bourgeoisie.

Mais toute cette thĂ©orie ne rĂ©pond pas Ă  l’urgence Ă©conomique que les masses Ă©prouvent. Les partis rĂ©volutionnaires risquent Ă  terme d’encourir le mĂȘme discrĂ©dit populaire que le gouvernement provisoire. Le petit parti bolchevique, largement financĂ© par l'Allemagne selon l'historien controversĂ© Richard Pipes[30] afin de mener la rĂ©volution pour ainsi fermer le front russe, est repris en main par LĂ©nine, revenu de son exil en Suisse et qui lui dicte une radicalisation stratĂ©gique. Ce parti jusque-lĂ  marginal rĂ©cupĂšre progressivement le mĂ©contentement gĂ©nĂ©ral et devient dĂ©positaire des aspirations populaires, tandis que les partis rĂ©volutionnaires rivaux se discrĂ©ditent les uns aprĂšs les autres et que le pĂ©ril contre-rĂ©volutionnaire se dessine.

Des crises à répétition

Les JournĂ©es d’avril

MalgrĂ© la volontĂ© populaire d’en finir avec la guerre, l’implication dans la PremiĂšre Guerre mondiale n’est pas remise en cause. En avril, la publication d’une note secrĂšte du gouvernement Ă  ses alliĂ©s, indiquant qu’il ne remettra pas en cause les traitĂ©s tsaristes et continuera la guerre, provoque la colĂšre des soldats et ouvriers[31]. Des manifestations pour et contre le gouvernement causent les premiers vĂ©ritables affrontements armĂ©s de la rĂ©volution, et contraignent Ă  la dĂ©mission le ministre des Affaires Ă©trangĂšres, l’historien KD Pavel Milioukov. Les socialistes modĂ©rĂ©s entrent alors au gouvernement, soutenus par la majoritĂ© des ouvriers qui pensent qu’ils pourront faire pression pour arrĂȘter la guerre.

Au mĂȘme moment, peu aprĂšs son retour en Russie, LĂ©nine fait paraĂźtre ses ThĂšses d'avril. Dans la continuitĂ© des thĂšses exposĂ©es dans L’ImpĂ©rialisme, stade suprĂȘme du capitalisme, il considĂšre que le capitalisme est entrĂ© dans une « phase de putrĂ©faction » et que les bourgeoisies nationales ne sont plus capables, dans les nouveaux pays industrialisĂ©s, d’assumer le rĂŽle rĂ©volutionnaire qu’elles ont jouĂ© dans le passĂ©. Pour lui, seul le don de « tout le pouvoir aux soviets » et la poursuite de la rĂ©volution peuvent arrĂȘter la guerre et assurer les conquĂȘtes de la rĂ©volution de FĂ©vrier. Il refuse tout soutien au gouvernement provisoire et prĂŽne la confiscation et le partage des terres par les paysans, le contrĂŽle ouvrier sur les usines, le passage immĂ©diat Ă  une rĂ©publique des soviets.

Ces idĂ©es Ă©taient jusqu’alors trĂšs minoritaires au sein des bolcheviks eux-mĂȘmes, qui s’en Ă©taient tenus Ă  une ligne commune de soutien au gouvernement, la Pravda dirigĂ©e par Staline et Molotov s’étant mĂȘme prononcĂ©e publiquement pour la reprise du travail et un retour Ă  la normale. Mais avec l’effondrement Ă©conomique et la poursuite de la guerre, les idĂ©es du parti bolchevique, dirigĂ© par LĂ©nine et que rallie Trotsky Ă  l’étĂ©, gagnent de l’influence. DĂ©but juin, les bolcheviks sont majoritaires dans le soviet ouvrier de Petrograd.

Les Journées de juillet

Marins rĂ©volutionnaires russes de la flotte impĂ©riale durant l’étĂ© 1917.
LŽété de toutes les inquiétudes dans une datcha prÚs de Moscou, 1917

Dans les premiers mois de 1917, la guerre a moins Ă©tĂ© rejetĂ©e en elle-mĂȘme que l’incapacitĂ© du tsar Ă  la mener efficacement, ainsi que l’inhumanitĂ© ou l’incurie des officiers. Le « dĂ©faitisme rĂ©volutionnaire » prĂŽnĂ© par LĂ©nine est trĂšs impopulaire jusqu’au sein du parti bolchevique. Beaucoup, et pas seulement dans les Ă©lites bourgeoises, escomptent en Russie un sursaut patriotique et jacobin face Ă  l’Allemagne du Kaiser, de mĂȘme que la chute de la monarchie française en 1792 avait permis la victoire de Valmy et le rejet de l’envahisseur. Alexandre Kerenski, devenu ministre de la Guerre, bon orateur et trĂšs populaire, entend incarner ce sursaut Ă  la fois national et rĂ©volutionnaire.

De surcroĂźt, les slogans de paix immĂ©diate sont au dĂ©part plus frĂ©quents Ă  l’arriĂšre qu’au front, oĂč les soldats considĂšrent souvent les ouvriers comme des « planquĂ©s », et apprĂ©cient peu qu’on mette en doute l’utilitĂ© des sacrifices qu’ils ont endurĂ©s depuis trois ans. De fait, une large majoritĂ© des Russes sont favorables Ă  une « paix blanche » sans annexion ni contributions, mais beaucoup sont prĂȘts Ă  laisser sa chance Ă  une ultime offensive militaire[32].

Or, entre fĂ©vrier et juillet, l’impopularitĂ© de la guerre et la lassitude ont gagnĂ© du terrain, tout comme la propagande pacifiste. La poursuite de la guerre justifie aussi un immobilisme trĂšs critiquĂ©, puisqu’il est impossible d’accorder la journĂ©e de 8 heures sans affaiblir la production de guerre, ou de convoquer la Constituante tant que des millions de soldats seront au front.

Dispersion de la foule sur la perspective Nevski, pendant les journées de juillet.

L’échec militaire de l’« offensive Kerenski » dĂ©clenchĂ©e dĂ©but juillet entraĂźne une dĂ©ception gĂ©nĂ©rale. AprĂšs quelques succĂšs initiaux dus au gĂ©nĂ©ral Broussilov, le meilleur commandant en chef russe de la Grande Guerre, l’échec est patent et les soldats refusent de monter en premiĂšre ligne. L’armĂ©e entre en dĂ©composition, les dĂ©sertions se multiplient, les protestations de l’arriĂšre enflent, la popularitĂ© de Kerenski se dĂ©grade[33].

Les 3 et , l’échec de l’offensive connu, les soldats stationnĂ©s dans la capitale Petrograd refusent de repartir au front. Rejoints par les ouvriers, ils manifestent pour exiger des dirigeants du soviet de la ville qu’ils prennent le pouvoir. DĂ©bordĂ©s par la base, les bolcheviks s’opposent Ă  une insurrection prĂ©maturĂ©e, estimant qu’il est encore trop tĂŽt pour renverser le gouvernement provisoire : les bolcheviks ne sont majoritaires qu’à Petrograd et Moscou, tandis que les partis socialistes modĂ©rĂ©s conservent une influence importante dans le reste du pays. Ils prĂ©fĂšrent laisser le gouvernement aller au bout de ses possibilitĂ©s et montrer son incapacitĂ© Ă  gĂ©rer les problĂšmes de la rĂ©volution : la paix, la journĂ©e de 8 heures, la rĂ©forme agraire.

La montée de la réaction

La rĂ©pression s’abat nĂ©anmoins sur les bolcheviks. Trotsky est emprisonnĂ©, LĂ©nine est obligĂ© de fuir et se rĂ©fugie en Finlande, le journal bolchevique Rabotchi I Soldat (« Ouvrier et Soldat ») est interdit. Les rĂ©giments de mitrailleurs qui ont soutenu la rĂ©volution sont dissous, envoyĂ©s au front par petits dĂ©tachements, les ouvriers sont dĂ©sarmĂ©s. 90 000 hommes doivent quitter Petrograd, les « agitateurs » sont emprisonnĂ©s. La peine de mort abolie en fĂ©vrier est rĂ©tablie. Au front, la reprise en main est brutale aprĂšs la libertĂ© laissĂ©e par le prikaze no 1 en fĂ©vrier. Ainsi le , le gĂ©nĂ©ral Kornilov, qui commande le front sud-ouest, donne l’ordre d’ouvrir le feu Ă  la mitrailleuse et l’artillerie sur les soldats qui reculeraient. Du au , l’offensive sur ce front fait 58 000 morts, sans succĂšs.

ParallĂšlement la rĂ©action se manifeste, et le tsarisme relĂšve la tĂȘte ; des pogroms se produisent en province. AprĂšs les journĂ©es de juillet, Kerenski a succĂ©dĂ© au prince Georgy Lvov, monarchiste modĂ©rĂ©, mais il perd de plus en plus la considĂ©ration des masses populaires, et paraĂźt incapable de contenir la montĂ©e de la rĂ©action.

Le soulĂšvement de Kornilov

Le gĂ©nĂ©ral Kornilov est nommĂ© nouveau commandant en chef par Kerenski. Alors que l’armĂ©e se disloque, il incarne un retour Ă  la discipline de fer antĂ©rieure : il a dĂ©jĂ  donnĂ© l’ordre en avril de fusiller les dĂ©serteurs et d’exposer les cadavres avec des Ă©criteaux sur les routes, et menacĂ© de peines sĂ©vĂšres les paysans qui s’en prendraient aux domaines seigneuriaux. Ce gĂ©nĂ©ral, rĂ©putĂ© monarchiste, est en rĂ©alitĂ© un rĂ©publicain indiffĂ©rent au rĂ©tablissement du tsar, et un homme issu du peuple (fils de cosaque et non d’aristocrate), ce qui est rare pour l’époque dans la caste militaire. Avant tout nationaliste, il veut le maintien de la Russie dans la guerre, que ce soit sous l’autoritĂ© du gouvernement provisoire ou sans lui. Beaucoup plus bonapartiste voire prĂ©-fasciste que monarchiste[34], il n’en devient pas moins trĂšs vite le nouvel espoir des anciennes classes dirigeantes, noblesse et grande bourgeoisie, et de tous ceux qui aspirent Ă  un retour Ă  l’ordre, ou simplement Ă  un chĂątiment sĂ©vĂšre des dĂ©faitistes bolcheviques.

Dans les usines et l’armĂ©e, le danger d’une contre-rĂ©volution prend corps. Les syndicats, dans lesquels les bolcheviks sont majoritaires (malgrĂ© la rĂ©pression), organisent une grĂšve massivement suivie. La tension monte progressivement, marquĂ©e par la radicalisation du discours des partis. Ainsi le , au comitĂ© central du Parti KD (Constitutionnel dĂ©mocratique), son dirigeant Pavel Milioukov dĂ©clare : « Le prĂ©texte en sera-t-il fourni par des Ă©meutes de la faim ou par une action des bolcheviks, en tout cas la vie poussera la sociĂ©tĂ© et la population Ă  envisager l’inĂ©luctabilitĂ© d’une opĂ©ration chirurgicale. » L’Union des officiers de l’armĂ©e et de la flotte, organisation influente dans les corps supĂ©rieurs de l’armĂ©e russe et financĂ©e par les milieux d’affaires, appelle Ă  l’établissement d’une dictature militaire. Sur le front, le capitaine Mouraviev, membre du parti SR, constitue plusieurs bataillons de la mort et assure que ces « bataillons ne sont pas destinĂ©s au front, mais aussi Ă  Petrograd, quand il faudra rĂ©gler leurs comptes aux bolcheviks[35]. »

Fin , Kornilov organise un soulĂšvement armĂ©, et jette 3 rĂ©giments de cavalerie par voie de chemin de fer sur Petrograd, dans le but affichĂ© d’écraser dans le sang les soviets et les organisations ouvriĂšres et de remettre la Russie dans la guerre. Face Ă  l’incapacitĂ© du gouvernement provisoire Ă  se dĂ©fendre, les bolcheviks organisent la dĂ©fense de la capitale. Les ouvriers creusent des tranchĂ©es, les cheminots envoient les trains sur des voies de garage, et les troupes finissent par se dissoudre.

Les consĂ©quences du putsch sont importantes : les masses se sont rĂ©armĂ©es, les bolcheviks peuvent sortir de leur semi-clandestinitĂ©, les prisonniers politiques de juillet, dont Trotski, sont libĂ©rĂ©s par les marins de Kronstadt. Pour mater le putsch, Kerenski a appelĂ© Ă  l’aide tous les partis rĂ©volutionnaires, acceptant la libĂ©ration et l’armement des bolcheviks eux-mĂȘmes. Il a perdu le soutien de la droite, qui ne lui pardonne pas l’échec du putsch, sans pour autant rallier la gauche, qui le juge trop indulgent dans la rĂ©pression des complices de Kornilov, encore moins l’extrĂȘme-gauche bolchevique, Ă  laquelle LĂ©nine, de sa cachette, a fixĂ© le mot d’ordre : « Aucun soutien Ă  Kerenski, lutte contre Kornilov ».

L’ébullition populaire, l’explosion paysanne et la montĂ©e des bolcheviks

Meeting du parti bolchevik (LĂ©nine est Ă  droite sur la photographie).

De plus en plus d’ouvriers et soldats pensent qu’il ne saurait y avoir de conciliation entre l’ancienne sociĂ©tĂ© dĂ©fendue par Lavr Kornilov et la nouvelle. Le putsch et l’effondrement du gouvernement provisoire, en donnant aux soviets la direction de la rĂ©sistance, renforce l’autoritĂ© et accroĂźt l’audience des bolcheviks. Leur prestige se trouve grandi : aiguillonnĂ©es par la contre-rĂ©volution, les masses se radicalisent, des soviets, des syndicats se rangent du cĂŽtĂ© des bolcheviks. Le , le soviet de Petrograd accorde la majoritĂ© aux bolcheviks, et Ă©lit LĂ©on Trotski Ă  sa prĂ©sidence le .

Toutes les Ă©lections tĂ©moignent de cette montĂ©e ; ainsi, aux Ă©lections municipales de Moscou, entre juin et septembre, les SR passent de 375 000 suffrages Ă  54 000, les mencheviks de 76 000 Ă  16 000, les dĂ©mocrates constitutionnels (KD) de 109 000 Ă  101 000, alors que les bolcheviks passent de 75 000 Ă  198 000 voix. Le mot d’ordre « tout le pouvoir aux soviets » dĂ©passe largement les bolcheviks et est repris par des ouvriers SR ou mencheviks. Le , le soviet de Petrograd et 126 soviets de province votent une rĂ©solution en faveur du pouvoir des soviets.

La rĂ©volution se poursuit et s’accĂ©lĂšre, surtout dans les campagnes. Pendant cet Ă©tĂ© 1917, les paysans passent Ă  l’action, et s’emparent des terres des seigneurs, sans plus attendre la rĂ©forme agraire promise et constamment retardĂ©e par le gouvernement. La paysannerie russe renoue avec sa longue tradition de vastes soulĂšvements spontanĂ©s (le bount), qui avaient dĂ©jĂ  marquĂ© le passĂ© national, ainsi lors des grandes rĂ©voltes de Stenka Razine au XVIIe siĂšcle ou d'Emelian Pougatchev (1774-1775) au temps de Catherine II. Pas toujours violentes, ces occupations massives des terres sont toutefois souvent le thĂ©Ăątre de dĂ©chaĂźnements spontanĂ©s oĂč les propriĂ©tĂ©s des maĂźtres sont brĂ»lĂ©es, eux-mĂȘmes maltraitĂ©s voire assassinĂ©s. Cette immense jacquerie, sans doute la plus importante de l’histoire europĂ©enne, est globalement victorieuse, et les terres sont partagĂ©es, sans que le gouvernement condamne ou ratifie le mouvement.

Apprenant que le « partage noir[36] » est en train de s’accomplir dans leurs villages, les soldats, largement d’origine paysanne, dĂ©sertent en masse afin de pouvoir participer Ă  temps Ă  la redistribution des terres. L’action de la propagande pacifiste, le dĂ©couragement aprĂšs l’échec de l’ultime offensive de l’étĂ© font le reste. Les tranchĂ©es se vident peu Ă  peu.

Ainsi les bolcheviks, qu’on qualifiait encore en juillet d’« insignifiante poignĂ©e de dĂ©magogues[37] », contrĂŽlent la majoritĂ© du pays. DĂšs , Ă  une sĂ©ance du Ier congrĂšs des soviets, LĂ©nine avait dĂ©jĂ  annoncĂ© ouvertement que les bolcheviks Ă©taient prĂȘts Ă  prendre le pouvoir, mais sur le moment ses paroles n’avaient pas Ă©tĂ© prises au sĂ©rieux[38].

RĂ©volution d'octobre 1917

En , LĂ©nine et Trotski considĂšrent que le moment est venu d’en finir avec la situation de double pouvoir. La conjoncture leur est opportune, tant sont grands le discrĂ©dit et l'isolement du gouvernement provisoire, dĂ©jĂ  rĂ©duit Ă  l'impuissance, tout comme l'impatience de leur propre base.

L’insurrection

Les dĂ©bats au sein du comitĂ© central du Parti bolchevique afin que celui-ci organise une insurrection armĂ©e et prenne le pouvoir sont vifs. Certains autour de Kamenev et Zinoviev considĂšrent qu’il faut encore attendre, car le parti est dĂ©jĂ  assurĂ© de la majoritĂ© dans les soviets, et se retrouverait Ă  leur avis isolĂ© en Russie comme en Europe s’il prenait le pouvoir seul et non au sein d’une coalition de partis rĂ©volutionnaires. Mais LĂ©nine et Trotski l’emportent et aprĂšs avoir rĂ©sistĂ©, le ComitĂ© approuve et organise l’insurrection, dont LĂ©nine fixe la date pour la veille de l’ouverture du IIe congrĂšs des soviets, qui doit se rĂ©unir le .

Un ComitĂ© militaire rĂ©volutionnaire est crĂ©Ă© au sein du soviet de Petrograd et prĂ©sidĂ© par Trotski. Il est composĂ© d’ouvriers armĂ©s, de soldats et de marins. Il s’assure le ralliement ou la neutralitĂ© de la garnison de la capitale, et prĂ©pare mĂ©thodiquement la prise d’assaut des points stratĂ©giques de la ville. La prĂ©paration du coup de force se fait presque au vu et au su de tous, les plans livrĂ©s par Kamenev et Zinoviev sont mĂȘme disponibles dans les journaux, et Kerenski lui-mĂȘme en vient Ă  souhaiter l’affrontement final qui viderait l’abcĂšs[39].

L’insurrection est lancĂ©e dans la nuit du 24 octobre 1917 ( dans le calendrier grĂ©gorien) au 25 octobre 1917 ( dans le calendrier grĂ©gorien). Les Ă©vĂ©nements se dĂ©roulent presque sans effusion de sang. Les gardes rouges conduits par les bolcheviks prennent sans rĂ©sistance le contrĂŽle des ponts, des gares, de la banque centrale, des centrales postale et tĂ©lĂ©phonique, avant de lancer un assaut final sur le palais d'Hiver. Les films officiels tournĂ©s plus tard montrĂšrent ces Ă©vĂšnements sous un angle hĂ©roĂŻque, bien que dans la rĂ©alitĂ© les insurgĂ©s n’eurent Ă  faire face qu’à une faible rĂ©sistance. En effet, parmi les troupes cantonnĂ©es dans la capitale, seuls quelques bataillons d’élĂšves officiers (junkers) soutiennent le gouvernement provisoire, l’immense majoritĂ© des rĂ©giments se prononçant pour le soulĂšvement ou se dĂ©clarant neutres. On ne dĂ©nombre que cinq morts et quelques blessĂ©s[40]. Pendant l’insurrection, les tramways continuent Ă  circuler, les thĂ©Ăątres Ă  jouer, les magasins Ă  ouvrir. Un des Ă©vĂ©nements dĂ©cisifs du XXe siĂšcle a lieu sans que grand monde s’en rende compte[41].


Si une poignĂ©e de partisans a pu se rendre maĂźtre de la capitale face Ă  un gouvernement provisoire que plus personne ne soutient, le soulĂšvement doit maintenant ĂȘtre ratifiĂ© par les masses. Le lendemain, , Trotski annonce officiellement la dissolution du gouvernement provisoire lors de l’ouverture du CongrĂšs pan-russe des soviets des dĂ©putĂ©s ouvriers et paysans (562 dĂ©lĂ©guĂ©s Ă©taient prĂ©sents, dont 382 bolcheviks et 70 SR de gauche[42]).

Mais une partie des dĂ©lĂ©guĂ©s considĂ©raient que LĂ©nine et les bolcheviks avaient pris le pouvoir illĂ©galement, et une cinquantaine quittĂšrent la salle[43]. Les dĂ©missionnaires, socialistes rĂ©volutionnaires de droite et mencheviks, crĂ©eront dĂšs le lendemain un « ComitĂ© de Salut de la Patrie et de la RĂ©volution »[44]. Ces dĂ©fections furent accompagnĂ©es de cette rĂ©solution improvisĂ©e de LĂ©on Trotski : « Le 2e congrĂšs doit constater que le dĂ©part des mencheviks et des SR est une tentative criminelle et sans espoir de briser la reprĂ©sentativitĂ© de cette assemblĂ©e au moment oĂč les masses s’efforcent de dĂ©fendre la rĂ©volution contre les attaques de la contre-rĂ©volution[45] ». Le jour suivant, les Soviets ratifient la constitution d’un Conseil des commissaires du peuple intĂ©gralement constituĂ© de bolcheviks, comme base du nouveau gouvernement, en attendant la convocation d’une assemblĂ©e constituante. LĂ©nine se justifiera le lendemain aux reprĂ©sentants de la garnison de Petrograd en affirmant « Ce n’est pas notre faute si les S-R et les mencheviks sont partis. Nous leur avons proposĂ© de partager le pouvoir [...]. Nous avons invitĂ© tout le monde Ă  participer au gouvernement. »[46]

Le nouveau gouvernement

Dans les quelques heures qui suivirent, une poignĂ©e de dĂ©crets allait jeter les bases du nouveau rĂ©gime. Lorsque LĂ©nine fit sa premiĂšre apparition publique, il fut ovationnĂ© et sa premiĂšre dĂ©claration fut : « Nous allons maintenant procĂ©der Ă  la construction de l’ordre socialiste ».

Tout d’abord, LĂ©nine annonce l’abolition de la diplomatie secrĂšte et la proposition Ă  tous les pays belligĂ©rants d’entamer des pourparlers « en vue d’une paix Ă©quitable et dĂ©mocratique, immĂ©diate, sans annexions et sans indemnitĂ©s ».

Ensuite, est promulguĂ© le dĂ©cret sur la terre : « la grande propriĂ©tĂ© fonciĂšre est abolie immĂ©diatement sans aucune indemnitĂ© ». Il laisse aux soviets de paysans la libertĂ© d’en faire ce qu’ils dĂ©sirent, socialisation de la terre ou partage entre les paysans pauvres. Le texte entĂ©rine une rĂ©alitĂ© dĂ©jĂ  existante, puisque les paysans se sont dĂ©jĂ  emparĂ©s des terres pendant l’étĂ© 1917. Mais ce faisant, il gagne aux bolcheviks la neutralitĂ© bienveillante des campagnes, au moins jusqu’au printemps 1918.

Enfin, un nouveau gouvernement, baptisĂ© « conseil des commissaires du peuple », est nommĂ©. D’autres mesures suivront, comme une nouvelle abolition de la peine de mort (malgrĂ© la rĂ©ticence de LĂ©nine qui la jugeait indispensable), la nationalisation des banques (), le contrĂŽle ouvrier sur la production, la crĂ©ation d’une milice ouvriĂšre, la journĂ©e de huit heures, la souverainetĂ© et l’égalitĂ© de tous les peuples de Russie, leur droit Ă  disposer d’eux-mĂȘmes y compris par la sĂ©paration politique et la constitution d’un État national indĂ©pendant[47], la suppression de tout privilĂšge Ă  caractĂšre national ou religieux, la sĂ©paration de l'Église orthodoxe et de l'État etc ; plus deux mois plus tard le -, une semaine aprĂšs la dissolution de l'assemblĂ©e constituante, le passage du calendrier julien au calendrier grĂ©gorien, pour le 1er-. La rĂ©ussite d’Octobre acheva dans l’immĂ©diat certaines prĂ©mices de la rĂ©volution russe nĂ©es en fĂ©vrier, en prenant en 33 heures des mesures que le gouvernement provisoire n’avait pas pris en 8 mois d’existence.

En 1871, les ouvriers parisiens avaient pris le pouvoir pendant la Commune de Paris. Cette premiĂšre expĂ©rience de « dictature du prolĂ©tariat » (comme Friedrich Engels l’a qualifiĂ©e[48]) s’était terminĂ©e par le massacre de 10 000 Ă  20 000 communards et des dĂ©portations en masse. En prenant le pouvoir Ă  Petrograd, LĂ©nine et Trotski savaient qu’ils ne pourraient tenir sans le renfort de pays industrialisĂ©s, l’Allemagne, la France et l’Angleterre ; en attendant, il s’agit pour eux de tenir plus que les 72 jours de la Commune de Paris[49].

La nature d’Octobre : rĂ©volution, coup d’État, coup d’État et rĂ©volution ?

DĂšs les premiĂšres heures qui suivent le , et jusqu’à nos jours, nombre d’acteurs et de commentateurs ont considĂ©rĂ© la « rĂ©volution d'Octobre » comme Ă©tant en rĂ©alitĂ© un simple coup d'État d’une minoritĂ© rĂ©solue et organisĂ©e, qui visait Ă  donner « tout le pouvoir aux bolcheviks »[50] et non aux soviets. L'HumanitĂ©, principal quotidien socialiste français, titre ainsi le 9 sur le « coup d’État en Russie » qui vient d’amener LĂ©nine et les « maximalistes » au pouvoir.

L’historien Alessandro Mongili relĂšve d’ailleurs que dans les annĂ©es suivantes, les bolcheviks eux-mĂȘmes n’hĂ©sitent pas Ă  parler entre eux de leur « coup » d’Octobre (perevorot)[51]. Dans son autobiographie, Trotski utilise indiffĂ©remment les termes « insurrection », « conquĂȘte du pouvoir » et « coup d’État »[52]. La communiste allemande Rosa Luxemburg parle elle aussi du « coup d’État d’octobre »[53].

Marc Ferro considĂšre qu’Octobre est Ă  la fois, techniquement, un putsch, mais qui ne s’explique que dans le contexte d’ébullition rĂ©volutionnaire gĂ©nĂ©rale dans tout le pays et dans toute la sociĂ©tĂ©. Les forces populaires ont apportĂ© un soutien au moins tacite Ă  l’entreprise bolchevique, face Ă  un gouvernement discrĂ©ditĂ© et dĂ©jĂ  impuissant :

« Aux militants rĂ©volutionnaires de 1917, Octobre apparut comme un coup d’État contre la dĂ©mocratie, comme une sorte de putsch accompli par une minoritĂ© qui sut prendre le pouvoir et le garder. Jugement excessif puisqu’au IIe CongrĂšs des soviets, rĂ©uni en pleine insurrection, il y avait une majoritĂ© de bolcheviks, qu’une partie des SR et des mencheviks s’y rallia aux vainqueurs, et que les futurs dirigeants de l’État soviĂ©tique, LĂ©nine, Trotski, Kamenev, Zinoviev, Ă©taient Ă©lus en tĂȘte du PrĂ©sidium. (...) Le jugement des nouveaux opposants, mencheviks, populistes, anarchistes, est Ă©galement partial en ce sens que les bolcheviks accomplissaient par prioritĂ© aprĂšs six mois de lutte et de tergiversations ce que les classes populaires demandaient : que les chefs militaires, les propriĂ©taires, les riches, les prĂȘtres et autres « bourgeois » soient dĂ©finitivement expulsĂ©s de l’Histoire. Par contre, il est indĂ©niable qu’en participant Ă  l’insurrection et en aidant les bolcheviks Ă  prendre le pouvoir, les soldats, ouvriers et marins croyaient que le pouvoir passerait aux Soviets. Pas un instant, ils n’imaginaient que les bolcheviks, en leur nom, garderaient ce pouvoir pour eux tout seuls, et pour toujours[54]. »

Évoquant les « paradoxes et malentendus d’Octobre », Nicolas Werth rĂ©sume ainsi les dĂ©bats et les thĂšses opposĂ©es, souvent non dĂ©nuĂ©s d’arriĂšre-pensĂ©es et de parti-pris idĂ©ologiques :

« Pour une premiĂšre Ă©cole historique qu’on pourrait qualifier de « libĂ©rale », la rĂ©volution d’Octobre n’a Ă©tĂ© qu’un putsch imposĂ© par la violence Ă  une sociĂ©tĂ© passive, rĂ©sultat d’une habile conspiration tramĂ©e par une poignĂ©e de fanatiques disciplinĂ©s et cyniques, dĂ©pourvus de toute assise rĂ©elle dans le pays. Aujourd’hui, la quasi-totalitĂ© des historiens russes, comme les Ă©lites cultivĂ©es et les dirigeants de la Russie post-communiste a fait sienne la vulgate libĂ©rale. PrivĂ©e de toute Ă©paisseur sociale et historique, la rĂ©volution d’ n’a Ă©tĂ© qu’un accident qui a dĂ©tournĂ© de son cours naturel la Russie prĂ©-rĂ©volutionnaire, une Russie riche, laborieuse et en bonne voie vers la dĂ©mocratie (...). Si le coup d’État bolchĂ©vique de 1917 n’a Ă©tĂ© qu’un accident, alors le peuple russe n’a Ă©tĂ© qu’une victime innocente. Face Ă  cette interprĂ©tation, l’historiographie soviĂ©tique a tentĂ© de montrer qu’Octobre avait Ă©tĂ© l’aboutissement logique, prĂ©visible, inĂ©vitable, d’un itinĂ©raire libĂ©rateur entrepris par les "masses" consciemment ralliĂ©es au bolchevisme. (...) Rejetant la vulgate libĂ©rale comme la vulgate marxisante, un troisiĂšme courant historiographique s’est efforcĂ© de "dĂ©s-idĂ©ologiser" l’histoire, de comprendre, comme l’écrivit Marc Ferro, que l’insurrection d’ ait pu ĂȘtre Ă  la fois un mouvement de masse et que seul un petit nombre y ait participĂ©. (...) »

C’est pourquoi, selon cet historien, loin des « simplismes » libĂ©raux ou marxistes,

« la rĂ©volution d’Octobre 1917 nous apparaĂźt comme la convergence momentanĂ©e de deux mouvements : une prise du pouvoir politique, fruit d’une minutieuse prĂ©paration insurrectionnelle, par un parti qui se distingue radicalement, par ses pratiques, son organisation et son idĂ©ologie, de tous les autres acteurs de la rĂ©volution ; une vaste rĂ©volution sociale, multiforme et autonome (...) une immense jacquerie paysanne d’abord, [...] l’annĂ©e 1917 [Ă©tant] une Ă©tape dĂ©cisive d’une grande rĂ©volution agraire, [...] une dĂ©composition en profondeur de l’armĂ©e, formĂ©e de prĂšs de 10 millions de soldats-paysans mobilisĂ©s depuis 3 ans dans une guerre dont ils ne comprenaient guĂšre le sens (...), un mouvement revendicatif ouvrier spĂ©cifique, (...), un quatriĂšme mouvement enfin (...) Ă  travers l’émancipation rapide des nationalitĂ©s et des peuples allogĂšnes (...). Chacun de ces mouvements a sa propre temporalitĂ©, sa dynamique interne, ses aspirations spĂ©cifiques, qui ne sauraient Ă©videmment ĂȘtre rĂ©duites ni aux slogans bolcheviques ni Ă  l’action politique de ce parti (...). Durant un bref mais dĂ©cisif instant - la fin de l’annĂ©e 1917 - l’action des Bolcheviks, minoritĂ© politique agissante dans le vide institutionnel ambiant, va dans le sens des aspirations du plus grand nombre, mĂȘme si les objectifs Ă  moyen et Ă  long terme sont diffĂ©rents pour les uns et pour les autres. »

Selon sa conclusion, en , « momentanĂ©ment, coup d’État politique et rĂ©volution sociale se tĂ©lescopent, avant de diverger vers des dĂ©cennies de dictature »[55].

Les débuts du régime bolchevique

En prenant le pouvoir Ă  Petrograd, LĂ©nine et Trotski n’ont nullement l’intention de construire le socialisme dans la seule Russie, sous-dĂ©veloppĂ©e et arriĂ©rĂ©e. Mais ils espĂšrent ĂȘtre la premiĂšre victoire ouvriĂšre d’une sĂ©rie de rĂ©volutions dans les pays industrialisĂ©s d’Europe, qui seule permettrait Ă  la rĂ©volution de tenir. Ils misent en particulier sur l’Allemagne, premiĂšre puissance industrielle du continent et foyer du mouvement ouvrier le plus fort et le plus anciennement organisĂ© du monde. Trotski a dĂ©clarĂ© au CongrĂšs des soviets qui approuve l’insurrection : « Ou bien la rĂ©volution russe soulĂšvera le tourbillon de la lutte en Occident, ou bien les capitalistes de tous les pays Ă©toufferont notre rĂ©volution. »[56]

Mais ce n’est qu’un an plus tard, toutefois, qu’une vague de rĂ©volutions Ă©clate en Allemagne (rĂ©volution allemande de novembre 1918-1919) ou en Hongrie (oĂč une RĂ©publique des conseils voit le jour pour 133 jours, dirigĂ©e par Bela Kun). En Finlande voisine, la rĂ©volution a Ă©tĂ© vaincue dĂšs au prix d’une guerre civile, avec l’aide des Allemands ; la Terreur blanche y fait 35 000 morts. En , la social-dĂ©mocratie allemande fait appel aux corps francs pour rĂ©primer dans le sang la rĂ©volution ouvriĂšre ; les dirigeants spartakistes Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont assassinĂ©s. En 1919-1920, d’autres pays, comme l’Italie, connaissent des grĂšves insurrectionnelles. Ailleurs, comme en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, une vague de grĂšves et de manifestations ne dĂ©bouche sur aucune tentative rĂ©volutionnaire.

La vague rĂ©volutionnaire, plus tardive que prĂ©vu, a donc fini par reculer, et le pouvoir bolchevique reste aussi isolĂ© qu’à ses premiers jours. Les bolcheviks sont confrontĂ©s seuls aux immenses difficultĂ©s d’une Russie en explosion, oĂč leur prise solitaire du pouvoir ne fait nullement l’unanimitĂ©.

La situation Ă©conomique au lendemain de la rĂ©volution d’Octobre

La PremiĂšre Guerre mondiale a saignĂ© la Russie et l’a privĂ©e d’une grande part de ses approvisionnements. Dans les campagnes, n’ayant plus de biens de consommation Ă  acheter contre leurs grains, les paysans ont dĂ©jĂ  cessĂ© de ravitailler les villes avant mĂȘme la rĂ©volution de FĂ©vrier. DĂ©jĂ  le gouvernement provisoire de Kerenski avait dĂ» procĂ©der Ă  des rĂ©quisitions forcĂ©es des stocks de nourriture afin de nourrir les villes, oĂč la famine guettait. En arrivant au pouvoir, les bolcheviks tentent de renoncer Ă  ces pratiques impopulaires, mais devant l’aggravation de la situation sanitaire et Ă©conomique, ils devront y recourir Ă  nouveau.

La production industrielle a Ă©tĂ© minĂ©e par la guerre, les grĂšves et les fermetures patronales. Avant mĂȘme l’arrivĂ©e au pouvoir des bolcheviks, elle a dĂ©jĂ  chutĂ© des trois quarts[57]. La situation Ă©conomique n’est Ă©videmment pas amĂ©liorĂ©e par l’occupation de la riche Ukraine par les troupes allemandes, ni par l’embargo sur la Russie dĂ©crĂ©tĂ© en 1918 par les principales puissances (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Allemagne et Japon), ni par les dĂ©buts de la guerre civile.

De surcroĂźt, LĂ©nine et Trotski, fascinĂ©s par le dirigisme Ă©conomique militarisĂ© mis en place par l’état-major prussien en Allemagne, veulent remettre les ouvriers au travail selon des mĂ©thodes similaires, afin de pouvoir tenir le choc face Ă  la future contre-rĂ©volution[58]. Or beaucoup de travailleurs n’ont nullement envie de renoncer Ă  leurs conquĂȘtes et de revenir aux efforts Ă©normes et Ă  l’autoritarisme exigĂ© par la guerre totale. La coercition Ă  leur encontre devient vite inĂ©vitable[59].

La situation se dĂ©grade donc brutalement, provoquant en quelques mois une quasi-disparition de toute activitĂ© Ă©conomique dans le pays. En janvier 1918, la ration de blĂ© moyenne dans les grandes villes tombe Ă  3 livres par mois. Des entreprises doivent fermer, les ouvriers ne trouvant plus de quoi se nourrir, des bandes de pillards parcourent les campagnes Ă  la recherche de nourriture, des dĂ©tachements de dĂ©serteurs se heurtent Ă  l’armĂ©e.

Bolcheviks et paysannerie : du malentendu au conflit

L’un des premiers dĂ©crets du gouvernement bolchevique a entĂ©rinĂ© l’abolition dĂ©jĂ  effective de la grande propriĂ©tĂ© fonciĂšre et l’initiative laissĂ©e aux paysans quant Ă  la rĂ©partition ou la socialisation des terres. Ce dĂ©cret est en rupture avec le programme bolchevique, qui prĂ©voyait la nationalisation des terres.

Pour certains, il s’agit lĂ  d’une manƓuvre des bolcheviks : ils ont habilement repris depuis plusieurs mois le programme des SR, que ces derniers ont Ă©tĂ© incapables de mettre en Ɠuvre. Il marque aussi un malentendu entre les bolcheviks et les paysans. Les premiers visent Ă  terme au collectivisme intĂ©gral, les seconds Ă  l’extension et Ă  la multiplication de la petite propriĂ©tĂ©. Mais de ce fait les paysans ne sont que conjoncturellement sĂ©duits par le parti de LĂ©nine, qui reste avant tout collectiviste, urbain et ouvriĂ©riste.

De leur cĂŽtĂ©, les bolcheviks se dĂ©clarent toujours partisans de la nationalisation, mais reconnaissent n’avoir ni le dĂ©sir ni les moyens de l’imposer aux paysans. LĂ©nine Ă©crit :

« Nous ne pouvons ignorer la dĂ©cision de la base populaire, quand bien mĂȘme nous ne serions pas d’accord avec elle... Nous devons donner aux masses populaires une entiĂšre libertĂ© d’action crĂ©atrice... En somme, et tout est lĂ , la classe paysanne doit obtenir la ferme assurance que les nobles n’existent plus dans les campagnes, et il faut que les paysans eux-mĂȘmes dĂ©cident de tout et organisent leur existence. »

En effet, pour les bolcheviks, c’est la rĂ©forme agraire qui est Ă  l’ordre du jour et non la construction d’une sociĂ©tĂ© socialiste, qu’ils pensent impossible dans un pays aussi pauvre. Conscients donc qu’ils ne pourraient gouverner sans l’appui des masses rurales, l’immense majoritĂ© du pays, les bolcheviks convoquent du 10 au un congrĂšs paysan. MalgrĂ© une majoritĂ© SR hostile aux bolcheviks, ce dernier ratifie le dĂ©cret sur la terre et apporte son soutien au nouveau gouvernement, consacrant l’union provisoire entre le prolĂ©tariat urbain et la paysannerie.

Ainsi, dans les quelques mois trĂšs difficiles qui prĂ©cĂšdent le traitĂ© de Brest-Litovsk, le nouveau pouvoir a rĂ©ussi Ă  Ă©viter le danger de s’aliĂ©ner de surcroĂźt les masses rurales, alors qu’il est dĂ©jĂ  confrontĂ© Ă  l’hostilitĂ© des tsaristes, des libĂ©raux et d’une majeure partie des formations socialistes. Mais il hĂ©rite du problĂšme catastrophique du ravitaillement des villes, qui a dĂ©jĂ  fait tomber Nicolas II et Kerenski. La nĂ©cessitĂ© de procĂ©der Ă  des rĂ©quisitions de cĂ©rĂ©ales s’il veut survivre porte en elle les germes d’un grave conflit avec la paysannerie. Les soviets organisent donc dĂšs le printemps 1918 des dĂ©tachements d’ouvriers, chargĂ©s de procĂ©der Ă  des rĂ©quisitions dans les campagnes. La violence frĂ©quente de leurs mĂ©thodes, et celle de la rĂ©sistance paysanne[60], entraĂźnent Ă  leur tour une chute notable de la production agricole. UltĂ©rieurement, les Blancs, bien que proclamant le libre-Ă©change, seront eux aussi contraints de recourir aux rĂ©quisitions forcĂ©es.

Les premiers combats de la guerre civile (automne 1917)

Si la rĂ©volution fut un succĂšs Ă  Petrograd, la tentative de prendre Moscou du au rencontra de violentes rĂ©sistances. Les bolcheviques occupent le Kremlin mais la direction locale de leur parti hĂ©site et signe une trĂȘve avec les autoritĂ©s S-R de la ville avant d’évacuer le bĂątiment. Les troupes gouvernementales en profitent alors pour abattre Ă  la mitrailleuse 300 gardes rouges et ouvriers dĂ©sarmĂ©s, sous les ordres du maire socialiste-rĂ©volutionnaire Roudnev[61]. Il faudra une semaine de combats acharnĂ©s avant que les bolcheviks, conduits par le jeune Nicolas Boukharine, ne s’emparent finalement du Kremlin et prennent le contrĂŽle de la ville. Leurs opposants (SR et monarchistes) ont menĂ© une sanglante rĂ©pression.

DĂšs le , le nouveau pouvoir fait Ă©chec Ă  une tentative de reconquĂȘte de Petrograd menĂ©e par Kerenski et les Cosaques du gĂ©nĂ©ral Krasnov. De son cĂŽtĂ©, le grand Quartier gĂ©nĂ©ral (la « stavka ») de l’armĂ©e russe annonce le sa volontĂ© de marcher sur Petrograd « afin d’y rĂ©tablir l’ordre ». Rejoint par les chefs du parti SR, Tchernov et Gots, mais abandonnĂ© par ses troupes, l’état-major doit fuir dĂšs le .

Dans les semaines qui suivent, des milliers de junkers et d’officiers dont Kornilov, Ă©vadĂ©, rejoignent la rĂ©gion du Don. L’ArmĂ©e des volontaires y est montĂ©e par le gĂ©nĂ©ral tsariste AlekseĂŻev. Elle rĂ©prime dans le sang les soulĂšvements ouvriers Ă  Rostov-sur-le-Don et Taganrog, les et , mais est forcĂ©e de se retirer vers le sud devant la pression des gardes rouges venus en renfort des deux capitales. Apprenant la dĂ©route des Blancs, LĂ©nine croit pouvoir s’exclamer, le , que la guerre civile est terminĂ©e.

D’autres combats sont menĂ©s dans le Kouban, oĂč le pouvoir des soviets s’installe provisoirement Ă  Ekaterinodar. Quant au soulĂšvement des cosaques de l’Oural, il se conclut par un Ă©chec. Sur le front roumain, l’armĂ©e se dĂ©compose en dĂ©tachements blancs, qui rejoindront l’armĂ©e blanche de DĂ©nikine, et en rĂ©giments rouges.

Le problĂšme de la coalition

Le 2e congrĂšs des soviets avait approuvĂ© la nomination du gouvernement composĂ© uniquement de bolcheviks. Or, pour de nombreux militants bolcheviques, cette solution n’est pas acceptable. DĂšs le lendemain de l’insurrection, la quasi-totalitĂ© des dĂ©lĂ©guĂ©s au congrĂšs des soviets votent une rĂ©solution du menchevik Julius Martov, soutenue par le bolchevik Anatoli Lounatcharski, demandant que le Conseil des commissaires du peuple soit Ă©largi Ă  des reprĂ©sentants d’autres partis socialistes. Le puissant syndicat des cheminots, le Vikhjel, reprend cette revendication.

AprĂšs de vifs dĂ©bats au sein du parti bolchevique, qui mettent ce dernier au bord de la scission (plusieurs dirigeants dĂ©missionnent pour dĂ©noncer le refus d’une coalition par LĂ©nine, dont Zinoviev, Kamenev, Rykov et Noguine), LĂ©nine, mis en minoritĂ©, est contraint de transiger : il refuse la poursuite des nĂ©gociations en vue d’une coalition unissant tous les socialistes, mais accepte qu’elles se poursuivent avec les seuls SR de gauche. Certains SR de gauche entrent ainsi au gouvernement en .

Les premiers jours d’un nouvel État

Les avis sur les premiers jours suivant le changement de pouvoir d’Octobre sont partagĂ©s.

Pour certains, il s’agit dĂšs le dĂ©but d’une dictature. Maxime Gorki Ă©crit le : « Les bolcheviks ont placĂ© le CongrĂšs des soviets devant le fait accompli de la prise du pouvoir par eux-mĂȘmes, non par les soviets. [...] Il s’agit d’une rĂ©publique oligarchique, la rĂ©publique de quelques commissaires du peuple. »[62]

DĂšs le lendemain du , sept journaux de la capitale sont interdits[63]. Il s'agit selon Victor Serge de sept journaux prĂŽnant ouvertement la rĂ©sistance armĂ©e au « coup de force des agents du Kaiser ». Mais les partis socialistes conservent leur presse. Vie Nouvelle (NovaĂŻa Jizn) de Maxime Gorki paraĂźtra jusqu'au , date Ă  laquelle LĂ©nine l'interdira[64]. Selon Victor Serge, la presse lĂ©gale menchevique ne disparaĂźt qu’en 1919, celle des anarchistes hostiles au rĂ©gime en 1921, celle des SR de gauche dĂšs du fait de leur rĂ©volte contre les bolcheviks.

Mais les bolcheviks s’étaient, avant qu’ils prennent le pouvoir, prononcĂ©s pour la libertĂ© de la presse, y compris LĂ©nine[65], et cette volte-face n’est pas acceptĂ©e par de nombreux bolcheviks[66]. Marc Ferro considĂšre que « contrairement Ă  la lĂ©gende, la suppression de la presse bourgeoise ou des feuilles SR n'Ă©mane ni de LĂ©nine ni des sphĂšres dirigeantes du parti bolcheviks » mais « du public, en l'occurrence des milieux populaires insurgĂ©s »[67].

Alors qu'Ă  peu prĂšs tous les fonctionnaires de Petrograd se sont mis en grĂšve pour protester contre le coup de force, des listes publiques dĂ©noncent ceux qui refusent de servir le nouveau pouvoir. Le , les dirigeants du parti KD, qui ont pris la tĂȘte de la rĂ©sistance armĂ©e au gouvernement bolchevique, sont dĂ©clarĂ©s en Ă©tat d'arrestation[68].

D'autres estiment que c’est surtout la clĂ©mence qui marque les premiers temps du rĂ©gime soviĂ©tique[69]. Les ministres du gouvernement provisoire sont arrĂȘtĂ©s, et rapidement relĂąchĂ©s. La plupart participeront par la suite Ă  la guerre civile aux cĂŽtĂ©s des armĂ©es blanches. Le gĂ©nĂ©ral Krasnov, qui s'est soulevĂ© au lendemain de l'insurrection d'Octobre, est remis en libertĂ© avec d'autres officiers contre leur parole de ne pas reprendre les armes contre le rĂ©gime soviĂ©tique. Ils formeront les cadres de l’armĂ©e blanche dans les mois suivants.

Pour Nicolas Werth, le nouveau pouvoir entreprend une reconstruction autoritaire de l'État au dĂ©triment des instances de contre-pouvoir nĂ©es spontanĂ©ment de la sociĂ©tĂ© civile : comitĂ©s d'usine, coopĂ©ratives, syndicats ou soviets sont dĂ©jĂ  noyautĂ©s, subordonnĂ©s ou transformĂ©s en coquilles vides. « En quelques semaines (fin octobre-1917 - ), le « pouvoir par en-bas », le « pouvoir des soviets » qui s'Ă©tait dĂ©veloppĂ© de fĂ©vrier Ă  (...) se transforme en un pouvoir par en-haut, Ă  l'issue de procĂ©dures de dessaisissement bureaucratiques ou autoritaires. Le pouvoir passe de la sociĂ©tĂ© Ă  l'État, et dans l'État au parti bolchevik »[70].

La paix de Brest-Litovsk

En prenant le pouvoir en Russie, les bolcheviks avaient l'espoir d'un soulÚvement révolutionnaire en Europe. Celui-ci ne se produisant pas, la paix promise en octobre devient une nécessité absolue pour satisfaire l'armée et la paysannerie. Il s'agit à la fois de signer la paix, de se servir des négociations pour montrer la politique d'expansion territoriale des gouvernements bourgeois, mais sans paraßtre prendre parti pour les Empires centraux.

Un armistice est signĂ© le et des pourparlers de paix commencent le , la dĂ©lĂ©gation russe Ă©tant conduite par Trotski. Les exigences allemandes sont Ă©normes : la Pologne, la Lituanie, et la BiĂ©lorussie doivent rester sous occupation allemande. Un dĂ©bat fait rage entre les bolcheviks au sein du parti oĂč trois positions s'affrontent. Certains, comme Boukharine dĂ©fendent la nĂ©cessitĂ© d'une guerre rĂ©volutionnaire, LĂ©nine pense qu'il faut cĂ©der le couteau sous la gorge, et Trotski, qui l'emporte par 9 voix contre 7, propose de dĂ©clarer la fin de la guerre mais en refusant de signer une paix d'annexion. Pour montrer l'hypocrisie des puissances bourgeoises, Trotski fait publier tous les traitĂ©s secrets et les plans de partage conclus entre elles, notamment les accords Sykes-Picot qui prĂ©voyaient le partage de l'Empire ottoman.

En rĂ©action, le , l'armĂ©e allemande lance une offensive, l'opĂ©ration Faustschlag (en allemand : « Coup de poing »), qui avance rapidement dans les pays baltes, la BiĂ©lorussie et l'Ukraine, sans que l'armĂ©e russe dĂ©sorganisĂ©e puisse y faire obstacle. L'armĂ©e allemande n'est plus qu'Ă  150 km de Petrograd. La position de LĂ©nine pour la signature immĂ©diate de la paix l'emporte alors dans le parti, mais les conditions exigĂ©es par les Allemands se sont encore aggravĂ©es. Le , les bolcheviks signent le traitĂ© de Brest-Litovsk qui ampute la Russie de 26 % de sa population, 27 % de sa surface cultivĂ©e, 75 % de sa production d'acier et de fer. La situation Ă©conomique de la jeune rĂ©publique soviĂ©tique, dĂ©jĂ  ravagĂ©e par une guerre meurtriĂšre de quatre ans, semble dĂ©sespĂ©rĂ©e.

La création de la Tchéka

EmblÚmes de la Tchéka : l'épée et le bouclier.

DĂšs le , la « Commission extraordinaire de lutte contre le sabotage et la contre-rĂ©volution » (en russe VĂ©tchĂ©ka), plus communĂ©ment appelĂ©e TchĂ©ka, est fondĂ©e. Son action n'a aucune base lĂ©gale ni judiciaire (le dĂ©cret qui la fonde n'est rendu public qu'aprĂšs la mort de LĂ©nine), et elle est d'abord conçue comme un instrument provisoire de rĂ©pression, indĂ©pendant de la justice. Elle est dirigĂ©e par un collĂšge de cinq membres (trois bolcheviks et deux SR) prĂ©sidĂ© par FĂ©lix Dzerjinski. Parmi les « saboteurs » et ennemis prĂ©vus par le dĂ©cret figurent KD, SR de droite, journalistes, grĂ©vistes... D'emblĂ©e la TchĂ©ka multiplie les appels Ă  la dĂ©lation et Ă  la constitution de TchĂ©kas locales. FondĂ©e avec 100 fonctionnaires (dont Menjinski, Peters (en), Iagoda), elle en compte 12 000 dĂšs . Lorsqu'elle arrive Ă  Moscou et s'installe Ă  la Loubianka, le , elle a sur place 600 membres. En juillet elle en a 2000. DĂšs cette date, les effectifs policiers des bolcheviks sont supĂ©rieurs Ă  ceux de l'Okhrana sous Nicolas II.

Selon Pierre BrouĂ©, la TchĂ©ka ne commence vraiment Ă  frapper qu'Ă  partir de mars au moment de l’offensive allemande, et la rĂ©pression prend surtout son ampleur Ă  l’étĂ© 1918 aprĂšs l’insurrection des SR de gauche de Moscou et une sĂ©rie d’attentats contre les dirigeants bolcheviques dont MoĂŻsseĂŻ Ouritsky, assassinĂ© le , et LĂ©nine lui-mĂȘme, griĂšvement blessĂ© par Fanny Kaplan, sommairement exĂ©cutĂ©e peu aprĂšs. DĂ©clarant s’inspirer de l’exemple des jacobins de la RĂ©volution française, les dirigeants bolcheviques dĂ©clarent opposer Ă  la « terreur blanche » la « terreur rouge ». Selon la TchĂ©ka elle-mĂȘme, il y a 22 exĂ©cutions dans les six premiers mois de 1918, 6 000 pour les six derniers.

Victor Serge estime que la crĂ©ation de la TchĂ©ka, avec ses procĂ©dures secrĂštes, est la plus grave erreur du pouvoir bolchevique. Il note toutefois que la jeune rĂ©publique vivait sous des « pĂ©rils mortels » et que la terreur blanche a prĂ©cĂ©dĂ© la terreur rouge. Il prĂ©cise que Dzerjnski redoutait les excĂšs des tchĂ©ka locales et que bien des tchĂ©kistes furent eux-mĂȘmes fusillĂ©s pour cela.

Isaac Steinberg, commissaire du peuple Ă  la Justice (SR de gauche), rapporte dans ses souvenirs qu'alors qu'il tentait dĂ©but 1918 de freiner les actions illĂ©gales de la TchĂ©ka, en s'exclamant devant LĂ©nine : « À quoi bon un Commissariat Ă  la Justice ? Appelons-le commissariat Ă  l’extermination sociale, la cause sera entendue », LĂ©nine rĂ©pondit : « Excellente idĂ©e, c’est comme ça que je vois la chose. Malheureusement, on ne peut l’appeler ainsi. »[71]

La dissolution de la Constituante

Réclamée par tous les programmes des partis révolutionnaires depuis le XIXe siÚcle, l'assemblée constituante russe est élue en . Bien qu'ils atteignent 25 % des voix et obtiennent plusieurs succÚs dans les grandes agglomérations, les bolcheviks sont minoritaires avec 175 élus sur 707 députés. Les campagnes ont préféré voter pour les socialistes-révolutionnaires. Selon le mot de Jacques Baynac[72], les résultats de l'élection indiquaient que le pays ne voulait majoritairement ni du gouvernement issu de la révolution de Février, ni de celui issu de la révolution d'Octobre. Il n'y aura cependant pas de révolution de janvier ou de , répression et guerre civile aidant.

Le SR Victor Tchernov est Ă©lu Ă  la prĂ©sidence de l'AssemblĂ©e, battant la SR de gauche Maria Spiridonova (soutenue par les bolcheviks) par 246 voix contre 151. La dissolution de la Constituante par les gardes rouges suit immĂ©diatement sa premiĂšre rĂ©union, le . Si la majoritĂ© de la population reste indiffĂ©rente Ă  ce coup de force, une manifestation protestant contre la dĂ©cision a lieu, et vingt des manifestants sont tuĂ©s : Maxime Gorki saluera en eux, Ă  leurs obsĂšques, les martyrs d’une expĂ©rience dĂ©mocratique de quelques heures Ă  peine, attendue pendant cent ans.

Le marxiste Charles Rappoport Ă©crit Ă  l’époque : « LĂ©nine a agi comme le tsar. En chassant la Constituante, LĂ©nine crĂ©e un vide horrible autour de lui. Il provoque une terrible guerre civile sans issue et prĂ©pare des lendemains terribles. »[73] Il Ă©crit Ă©galement que « la garde rouge de LĂ©nine-Trotski a fusillĂ© Karl Marx. »[74]

Selon Martin Malia, « cette dispersion de l’AssemblĂ©e constituante est souvent prĂ©sentĂ©e comme le crime suprĂȘme des bolcheviques contre la dĂ©mocratie, sur le mĂȘme pied que le coup de force d’octobre, ce qui est parfaitement vrai. Mais ce qu’on ne fait pas souvent remarquer, c’est que cette assemblĂ©e aurait Ă©tĂ© bien en peine de gouverner face aux dĂ©sordres de l’époque. Trotski exagĂ©rait Ă  peine lorsqu’il disait que l’AssemblĂ©e n’était rien d’autre que le fantĂŽme du gouvernement provisoire : elle Ă©tait dominĂ©e par les mĂȘmes partis qui avaient Ă©tĂ© incapables de maĂźtriser la situation en , et, comme eux, elle Ă©tait privĂ©e de tout appui militaire ou administratif. »[75]

La mise au pas des concurrents révolutionnaires

C’est dĂšs le que le transfert du gouvernement Ă  Moscou est envisagĂ©, alors que les nĂ©gociations sont en cours Ă  Brest-Litovsk, et que l'armistice avec l'Allemagne tient toujours. Contrairement Ă  ce qui sera affirmĂ© par la suite, cette translation, effective en mars, n'est donc pas due aux offensives allemandes et blanches mais Ă  une peur que les quartiers ouvriers de Petrograd, toujours affamĂ©s et exaspĂ©rĂ©s, se soulĂšvent Ă  nouveau, mais cette fois contre le pouvoir nĂ© d'Octobre. Il s'agit aussi de dĂ©montrer spectaculairement aux opposants de toute sorte que le pouvoir bolchevique peut subsister mĂȘme hors de son foyer d'origine petrogradois.

Le , la Tchéka est chargée des délits de presse. La décision permet d'accentuer considérablement la censure de la presse non-bolchevique.

Les 11-, une vague de rĂ©pression anti-anarchiste frappe Moscou : 1 000 hommes des troupes spĂ©ciales attaquent leurs domiciles, on compte 520 arrestations, 25 exĂ©cutions sommaires. À compter de cette date, les anarchistes sont qualifiĂ©s officiellement de « bandits » : un mot qui aura de la postĂ©ritĂ©. Dzerjinski prĂ©vient que cette opĂ©ration n’est qu’un dĂ©but.

Un net regain d'audience des SR et des anarchistes inquiĂšte en effet le pouvoir: lĂ  oĂč se tiennent encore des Ă©lections locales libres, ils en remportent plus de la moitiĂ©. En rĂ©action, en mai-, 205 journaux socialistes sont fermĂ©s et la TchĂ©ka dissout l’arme au poing des dizaines de soviets SR ou mencheviks tout juste Ă©lus lĂ©galement. C’est le cas Ă  Riazan, Tambov, Orel, Kazan
 Le , les mencheviks et les SR de gauche sont expulsĂ©s du comitĂ© exĂ©cutif panrusse des soviets, qui ne comprend alors que des Bolcheviques. Le , le journal de Maxime Gorki, La Vie Nouvelle, est interdit par la police politique.

Dans les villes, la situation alimentaire demeure explosive. Les bolcheviks ne peuvent que reprendre les prĂ©lĂšvements obligatoires effectuĂ©s par des dĂ©tachements armĂ©s de citadins. Ce qui soude les campagnes contre le pouvoir urbain, et aliĂšne au parti les paysans que le dĂ©cret sur la terre lui avait gagnĂ©. 150 rĂ©voltes paysannes sont rĂ©primĂ©es Ă  travers la Russie pour le seul mois de . Mais les rations s’effondrent toujours. Dans des dizaines de villes, la TchĂ©ka et certains gardes rouges tirent alors sur des marches de la faim, fusillent des grĂ©vistes, brisent les meetings populaires.

Le lock-out des usines nationalisĂ©es devient mĂȘme un nouveau moyen de rĂ©pression des grĂšves. Le , en reprĂ©sailles Ă  l’assassinat du responsable bolchevique V. Volodarski, 800 meneurs ouvriers sont arrĂȘtĂ©s Ă  Petrograd en deux jours, leur soviet dissout. Le , les ouvriers rĂ©pliquent par une grĂšve gĂ©nĂ©rale Ă  travers la citĂ©, en vain.

Refusant ces actes mais aussi le traitĂ© de Brest-Litovsk qu'ils interprĂštent comme une capitulation face Ă  l'impĂ©rialisme allemand, les SR de gauche rompent Ă  leur tour avec le gouvernement bolchevique (). Le , ils tentent de relancer la guerre contre l'Allemagne en assassinant l'ambassadeur du Reich, le comte Wilhelm von Mirbach. Le mĂȘme jour, ils tentent de prendre d'assaut le siĂšge de la TchĂ©ka Ă  Moscou.

La montée généralisée des périls

En , Lénine esquisse un pas de danse dans la neige lorsque le gouvernement issu d'Octobre dépasse d'un jour la durée de la Commune de Paris de 1871. Dans les mois qui suivent, les dangers s'accumulent, et la Russie rouge se retrouve cernée de tous cÎtés, tandis que ses convulsions sociales et politiques internes s'aggravent.

AprĂšs le traitĂ© de Brest-Litovsk, les pays de l'Entente mettent la Russie sous embargo et dĂ©barquent des troupes pour empĂȘcher une victoire allemande totale Ă  l'Est. Les Japonais puis les AmĂ©ricains interviennent ainsi Ă  Vladivostok dĂ©but , les Britanniques Ă  Mourmansk et Arkhangelsk. Au mĂȘme moment, les Turcs pĂ©nĂštrent dans le Caucase et menacent Bakou, tandis qu'en dĂ©pit du traitĂ© de Brest-Litovsk, les Allemands tentent de pousser leur avantage : ils aident Ă  l'Ă©crasement de la rĂ©volution en Finlande (mars-), puis reprennent pendant l'Ă©tĂ© leur avancĂ©e militaire dans les pays baltes et en Ukraine, qu'ils mettent en coupe rĂ©glĂ©e et confient le pouvoir Ă  un gouvernement monarchiste fantoche et rĂ©pressif. La sĂ©cession en mai des RĂ©publiques du Caucase (GĂ©orgie, ArmĂ©nie et AzerbaĂŻdjan) accentue la confusion.

ParallÚlement, en avril-mai, la Légion tchÚque, formée d'anciens prisonniers et de déserteurs de l'armée austro-hongroise, refuse sa dissolution, et se révolte contre les Bolcheviks. Maßtres de l'Oural et du transsibérien, ainsi que de tout l'or de la banque impériale de Russie, saisi à Kazan, les TchÚques appuient les SR du comité des ex-constituants qui forment le un contre-gouvernement à Samara.

Simultanément, les armées blanches se lÚvent en mai à travers le pays, en particulier sur le Don autour des Cosaques de Krasnov allié du général Denikine, et en Sibérie autour de l'amiral Koltchak qui installe une autorité tsariste à Omsk. Dans tous les territoires qu'elle contrÎle, la terreur blanche s'abat d'emblée sur les populations paysannes insoumises, les Juifs, les libéraux, et les éléments révolutionnaires les plus divers. Trotski remporte contre elles les premiÚres victoires importantes de la jeune Armée rouge en juillet à Tsaritsyne puis à Kazan début août.

Le pouvoir bolchevik est confrontĂ© au mĂȘme moment aux rĂ©voltes paysannes et ouvriĂšres, ainsi qu'Ă  l'insurrection des SR de gauche Ă  Moscou le . Ceux-ci renouent ensuite avec le terrorisme rĂ©volutionnaire: aprĂšs le bolchevik V. Volodarski le et l'ambassadeur von Mirbach le 7, c'est le gĂ©nĂ©ral Von Eichhorn, commandant en chef allemand en Ukraine, qui tombe sous leurs balles le Ă  Kiev. Puis le , tandis que le chef de la Tcheka de Petrograd MoĂŻsseĂŻ Ouritsky est tuĂ©, Fanny Kaplan tire Ă  Moscou sur LĂ©nine et le blesse ; elle est sommairement exĂ©cutĂ©e trois jours aprĂšs. Les 3 et , exaspĂ©rĂ©e, la Tcheka met la « terreur rouge » Ă  l'ordre du jour. Des milliers de prisonniers et de suspects sont massacrĂ©s Ă  travers la Russie rouge.

La guerre civile opposant les bolcheviks à toutes les autres forces est commencée.

De la guerre civile Ă  la NEP (1918-1921)

La guerre civile russe n'oppose pas seulement la jeune ArmĂ©e rouge aux « armĂ©es blanches » monarchistes soutenues par les armĂ©es Ă©trangĂšres. Sa violence extrĂȘme n'est pas due non plus qu'au choc de la « terreur blanche » et de la « terreur rouge ». Elle se double en effet d'une guerre des paysans contre les villes et contre toute autoritĂ© extĂ©rieure aux villages et aux campagnes. C'est ainsi que des « armĂ©es vertes », composĂ©es de paysans qui refusent les enrĂŽlements forcĂ©s et les rĂ©quisitions, se battent tour Ă  tour contre l'ArmĂ©e rouge et les armĂ©es blanches.

  • FrontiĂšres de 1921
  • Zone sous le contrĂŽle bolchevique en novembre 1918
  • Avance maximale des armĂ©es blanches

À ces combats se superposent un important conflit de gĂ©nĂ©rations (les jeunes paysans revenus des villes ou des armĂ©es cherchent Ă  se dĂ©barrasser de la tutelle de la famille patriarcale, et se font les agents les plus dĂ©terminĂ©s de la rĂ©volution dans les campagnes[76]), l'action des minoritĂ©s nationales qui cherchent Ă  s'Ă©manciper de la vieille tutelle russe, l'intervention d'armĂ©es Ă©trangĂšres (dont le jeune État polonais lors de la guerre russo-polonaise de 1920), ou encore les tentatives des rĂ©volutionnaires anti-bolcheviques. Mais les vues des opposants SR, du comitĂ© des ex-Constituants, des mencheviks, ou encore des anarchistes un temps maĂźtres de l'Ukraine lors de la Makhnovchina, n'ont jamais Ă©tĂ© en mesure de prĂ©valoir. Par les ralliements, la force ou la rĂ©pression, les bolcheviks ont imposĂ© leur hĂ©gĂ©monie sur la rĂ©volution, comme les Blancs sur l'opposition Ă  la rĂ©volution.

TrĂšs confuse et chaotique, la guerre civile russe se caractĂ©rise par la dĂ©sintĂ©gration de l'État et de la sociĂ©tĂ© sous l'action de forces centrifuges. Bien des violences sont de ce fait partie de la base et non du sommet. La victoire des bolcheviks signifiera, dans une Russie ruinĂ©e et exsangue, la reconstruction d'un État sous l'autoritĂ© d'un Parti unique dĂ©sormais dĂ©barrassĂ© de tous ses rivaux et ennemis, et dotĂ© du pouvoir absolu. En particulier, un nouvel État policier s'est forgĂ© autour de la TchĂ©ka au cours de la guerre civile et de la « terreur rouge ».

Tout cela au dĂ©triment des rĂȘves des rĂ©volutions de FĂ©vrier et d'Octobre, qui avaient rejetĂ© toutes les autoritĂ©s et vu s'affirmer l'autonomie d'une sociĂ©tĂ© civile, dĂ©sormais trĂšs durement meurtrie, Ă©puisĂ©e et Ă  nouveau soumise au pouvoir.

Armée rouge contre armées blanches

DÚs le , Trotski a fondé l'Armée rouge. Organisateur énergique et compétent, bon orateur, il sillonne le pays à bord de son train blindé et vole d'un front à l'autre pour rétablir partout la situation militaire, galvaniser les énergies et déployer un énorme effort de propagande à destination des soldats et des masses. Il rétablit la conscription et la discipline de fer à l'encontre des combattants et des déserteurs.

MalgrĂ© les rĂ©actions nĂ©gatives de nombreux vieux bolcheviks, Trotski n'hĂ©site pas non plus Ă  recycler par milliers les anciens officiers tsaristes. 14 000 d'entre eux (30 % du total) acceptent de servir le nouveau pouvoir parfois par force (leur famille rĂ©pondent sur leur tĂȘte de leur loyautĂ©, en vertu de la « loi des otages »), mais aussi au nom de la continuitĂ© de l'État et du salut du pays menacĂ© d'anarchie et de dĂ©membrement. Ils sont flanquĂ©s de commissaires politiques bolcheviks qui surveillent leur action.

Les « Rouges » ne contrĂŽlent qu'un territoire grand comme l'ancien grand-duchĂ© de Moscovie, et cernĂ© de toutes parts, mais ils ont l'avantage de leur discipline et de leur organisation supĂ©rieures, de leur position centrale, de former un bloc cohĂ©rent, de disposer des deux capitales, des meilleures routes et voies ferrĂ©es. Les Blancs de Koltchak, Ioudenitch, DĂ©nikine ou Piotr Wrangel sont eux divisĂ©s et incapables de coordonner leurs offensives. Militaires de carriĂšre, ils n'ont pas de solution politique Ă  offrir aux populations, sinon le statu quo jusqu’à la victoire, la restitution des terres aux anciens propriĂ©taires, le refus de toute concession aux minoritĂ©s nationales, de ponctuels pogroms antisĂ©mites responsables de prĂšs de 150 000 morts[77]. Aussi les masses ont-elles finalement laissĂ© gagner les bolcheviks, bien que les heurts violents n'aient pas non plus manquĂ© entre elles et ces derniers.

Campagnes contre villes : les « armées vertes »

Aussi bien l'ArmĂ©e rouge que les armĂ©es blanches ont Ă©tĂ© gĂȘnĂ©es tour Ă  tour dans leurs opĂ©rations par l'action des guĂ©rillas paysannes. Les « armĂ©es vertes » sont composĂ©es de paysans qui refusent l'enrĂŽlement dans les deux armĂ©es, les rĂ©quisitions forcĂ©es et la restitution des terres aux anciens propriĂ©taires fonciers voulue par les Blancs.

Les dĂ©serteurs des deux armĂ©es, extrĂȘmement nombreux, sont un vivier essentiel des armĂ©es vertes. En 1919-1920, la dĂ©sertion concerne ainsi pas moins de 3 des 5 millions de recrues de l'ArmĂ©e rouge ; entre la moitiĂ© et les deux tiers rĂ©ussissent Ă  Ă©chapper aux recherches, Ă  l'arrestation et Ă  la rĂ©intĂ©gration forcĂ©e dans l'armĂ©e, rejoignant souvent les combattants verts dans les bois[78]. Les Blancs quant Ă  eux fusillent gĂ©nĂ©ralement les dĂ©serteurs sans autre forme de procĂšs.

AprÚs la défaite des Blancs fin 1920, la paix ne revient donc vraiment en Russie qu'en 1921-1922, aprÚs l'écrasement des grandes révoltes paysannes comme celle conduite par le SR Antonov à Tambov à l'été 1921, la destruction des armées vertes un temps maßtresses d'immenses territoires (en Sibérie orientale, elles contrÎlent jusqu'à un million de kilomÚtres carrés), et le compromis de la NEP () passé entre le régime bolchevique et la paysannerie.

Minorités nationales contre Russes

La guerre civile coĂŻncide avec l'Ă©clatement de l'ancien empire russe.

DÚs la fin 1917, encouragées par le « décret des nationalités », qui prévoit la possibilité de se séparer de la Russie, la Finlande et la Pologne ont proclamé leur indépendance. En Ukraine, la Rada (conseil) de Kiev confie dÚs 1917 au socialiste et nationaliste Simon Petlioura la constitution d'une armée nationale, et rompt avec Moscou aprÚs la révolution d'Octobre. Aux élections de la Constituante, la Géorgie s'est donnée une majorité menchevique qui proclame l'indépendance et constitue un gouvernement internationalement reconnu, y compris par Moscou en 1920 : c'est la République démocratique de Géorgie, dirigée par Noé Jordania. La Lettonie a au contraire voté à 72 % pour les bolcheviks. Les Lettons sont nombreux dans les Gardes rouges qui prennent le Palais d'Hiver, ou encore dans l'Armée rouge et la Tchéka. Pourtant, les pays baltes échappent au régime soviétique au cours de la guerre[79].

Les dirigeants d'une République montagnarde fondée pendant la guerre civile. La Russie se décompose en dizaines de gouvernements plus ou moins éphémÚres, tandis que d'innombrables communes paysannes reviennent à l'autarcie.

Nombreux dans tous les partis et mouvements rĂ©volutionnaires, les Juifs sont abusivement assimilĂ©s aux bolcheviks par la contre-rĂ©volution. Les armĂ©es blanches et surtout l'armĂ©e Petlioura ponctuent leurs avancĂ©es de pogroms antisĂ©mites systĂ©matiques et Ă  grande Ă©chelle, d'une violence meurtriĂšre alors sans prĂ©cĂ©dent dans l'histoire europĂ©enne. Les victimes s'Ă©lĂšvent Ă  prĂšs de 150 000 morts (dont un certain nombre morts lors des combats et non au cours de pogroms), auxquels il faut ajouter de nombreux viols, vols et vandalismes. Quant aux bolcheviks, ils mettent le sionisme et le bundisme hors-la-loi. Sur les 1 236 pogroms antisĂ©mites recensĂ©s par l’historien Kostyrtchenko 40 % sont Ă  mettre au compte des troupes Petlioura, 25 % Ă  celui des troupes « vertes », 17 % aux armĂ©es blanches et 8 % Ă  l’ArmĂ©e rouge[80].

Les Blancs refusent toute concession aux minorités et combattent les armées nationales aussi bien que les troupes bolcheviks. En 1920-1922, de son cÎté, l'Armée rouge envahit l'Asie centrale, l'Arménie, la Géorgie, ou encore la Mongolie, et réintÚgre de force ces pays dans l'orbite russo-soviétique. La République populaire mongole, satellite de l'URSS, est proclamée en 1924. Les Cosaques, qui ont constitué d'emblée le fer de lance de l'anti-bolchevisme, sont déportés en bloc, leurs privilÚges supprimés.

En Ukraine, l'ArmĂ©e rouge s'est aussi retournĂ©e contre ses anciens alliĂ©s, les anarchistes de l'armĂ©e Makhno : Ă  partir de fin 1920, elle attaque brutalement l'expĂ©rience inĂ©dite de la makhnovchina. Cet authentique mouvement paysan de masse avait rĂ©ussi Ă  se doter d'une armĂ©e insurrectionnelle capable de tenir tĂȘte pendant trois ans Ă  la fois aux Austro-Allemands, aux Blancs de Denikine et Wrangel, Ă  l'armĂ©e de la RĂ©publique populaire ukrainienne dirigĂ©e par Petlioura et Ă  l'ArmĂ©e rouge.

Interventions Ă©trangĂšres et guerre russo-polonaise

Chars français à Odessa pendant l'intervention alliée de 1918-1919.

UlcĂ©rĂ©es du traitĂ© de Brest-Litovsk, les armĂ©es occidentales et japonaise interviennent d'abord pour empĂȘcher la disparition totale du front oriental (printemps-Ă©tĂ© 1918). Ce n'est qu'aprĂšs la dĂ©faite de l'Allemagne que leur intervention prend un tour nettement hostile Ă  la rĂ©volution et au rĂ©gime bolchevique, et qu'elle appuie et arme les Blancs par peur de la contagion bolchevique. De 1918 Ă  1920, la Russie rouge est aussi soumise Ă  un embargo drastique par les puissances occidentales dites « capitalistes ». Cependant, les dĂ©faites des Blancs et la sympathie des couches populaires de leur pays Ă  l'Ă©gard de la rĂ©volution russe obligent les grandes puissances Ă  abandonner la partie. Dans les derniĂšres semaines de 1918, Clemenceau dĂ©cide d'une importante intervention pour soutenir les armĂ©es blanches en s'emparant des ports de la mer Noire[81]. Mais les moyens engagĂ©s fondent avec la dĂ©mobilisation de l'armĂ©e française, et les troupes ne comprennent pas cette guerre lointaine. Au printemps 1919, l'Ă©chec de l'expĂ©dition est consommĂ© alors que la flotte française est secouĂ©e par une importante mutinerie. Selon l'historien Orlando Figes, « la promesse d’aide alliĂ©e n’était que paroles en l’air. L’engagement des puissances occidentales ne donna jamais grand-chose d’un point de vue matĂ©riel et souffrit toujours d’un manque de dessein bien clair »[82].

En 1920, le tout jeune État polonais envahit la Russie pour repousser ses frontiĂšres au-delĂ  de la ligne Curzon. La contre-attaque victorieuse de l'ArmĂ©e rouge remplit d'espoir les bolcheviks : la prise de Varsovie ouvrirait la route de Berlin et permettrait d'exporter la rĂ©volution par les armes. Mais le , le « miracle de la Vistule » permet au gĂ©nĂ©ral Pilsudski de repousser l'invasion. Voyant l'ArmĂ©e rouge comme une armĂ©e d'abord russe et non rĂ©volutionnaire, les ouvriers polonais n'ont apportĂ© aucun soutien Ă  celle-ci.

Sort de la famille royale

AprĂšs l’abdication de Nicolas II, le tsar et sa famille furent retenus en captivitĂ© dans leur rĂ©sidence, le Palais Alexandre Ă  TsarskoĂŻe Selo, puis ils furent transfĂ©rĂ©s Ă  Tobolsk, en SibĂ©rie occidentale, sur ordre d'Alexandre Kerenski, le chef du gouvernement provisoire, qui craignait pour leur sĂ©curitĂ© en raison de l'agitation bolchĂ©vique et des tentatives du soviet de Saint-PĂ©tersbourg pour s'assurer de la personne du tsar. La famille passa l'hiver dans une relative tranquillitĂ©. Les Bolcheviks, dĂ©sormais au pouvoir, transfĂ©rĂšrent le couple impĂ©rial et une de leurs filles Ă  Ekaterinbourg, dans la villa Ipatiev, le . Le reste des enfants viendront les rejoindre en . Leur dĂ©tention devint particuliĂšrement dĂ©sagrĂ©able. Le commissaire Iakov Iourovski, responsable de la garde, prit prĂ©texte de l'approche de l'ArmĂ©e Blanche (anti-bolchĂ©vique) de l'amiral Alexandre Koltchak pour faire exĂ©cuter le tsar et sa famille sur l'ordre trĂšs probable de LĂ©nine. Dans la nuit du 16 au , la famille impĂ©riale et leur suite furent abattus dans le sous-sol de la villa Ipatiev.

Plusieurs Ă©lĂ©ments tendent Ă  prouver que l'exĂ©cution de la famille impĂ©riale avait Ă©tĂ© planifiĂ©e Ă  Moscou bien avant l'approche de l'armĂ©e de Koltchak. Ainsi, d'autres membres de la famille (notamment la sƓur de la tsarine, la grande-duchesse Élisabeth) furent tuĂ©s dans la nuit du Ă  AlapaĂŻevsk, un bourg de l'Oural Ă  plusieurs centaines de kilomĂštres d'Ekaterinbourg. De plus, l'urgence de l'exĂ©cution du tsar et de sa famille Ă©tait largement exagĂ©rĂ©e : le mĂȘme Yourovsky ne quitta la ville qu'une semaine plus tard, en convoyant vers Moscou l'or des banques de l'Oural et de SibĂ©rie occidentale qui avait Ă©tĂ© prĂ©alablement rassemblĂ© Ă  Ekaterinbourg[83].

Bien que Trotski ait désiré un procÚs public de Nicolas II, Lénine et une partie du Politburo décident en secret l'exécution sommaire de la famille impériale.

Finalement, les corps de la famille impériale furent retrouvés pour la plupart en 1991, et pour deux des enfants, en août 2007. Le , 80 ans jour pour jour aprÚs leur mort, les restes de la famille impériale, furent inhumés à la cathédrale Pierre-et-Paul de Saint-Pétersbourg en présence des descendants de la famille Romanov et du président Boris Eltsine qui a déclaré que cet assassinat était un acte barbare.

Le tsar et sa famille ont Ă©tĂ© canonisĂ©s et considĂ©rĂ©s comme morts martyrs par l’Église orthodoxe de Russie en l’an 2000 et par la Cour suprĂȘme de la fĂ©dĂ©ration de Russie en .

Terreur blanche contre terreur rouge

La Russie tsariste avait la tradition de violence sociale et politique la plus lourde d'Europe, aggravĂ©e par la « brutalisation » de la sociĂ©tĂ©[84] pendant la Grande Guerre. À partir de l'Ă©tĂ© 1917, l'explosion rĂ©volutionnaire, jusque lĂ  trĂšs peu violente, se traduit chez les paysans rĂ©voltĂ©s par la mise Ă  mort d'un certain nombre de propriĂ©taires terriens et le pillage de leurs demeures. La guerre civile qui Ă©clate va servir d'exutoire Ă  bien des rancƓurs nĂ©es de siĂšcles d'oppression sociale, aux peurs des anciennes Ă©lites privilĂ©giĂ©es, ou aux rĂšglements de compte personnels. Vieux praticiens du terrorisme individuel depuis le XIXe siĂšcle, des rĂ©volutionnaires comme les SR ne font que rĂ©utiliser les mĂȘmes armes contre les Bolcheviks (Fanny Kaplan, rĂ©seau de Boris Savinkov). Rouges et Blancs rivalisent quant Ă  eux de dĂ©clarations incendiaires, et se montrent prĂȘts Ă  la violence radicale.

En rĂ©ponse aux violentes et systĂ©matiques exactions des rĂ©volutionnaires, les Blancs rĂ©pondent par l’exĂ©cution des commissaires rouges et des bolcheviks. La dĂ©composition du pouvoir facilite les actes violents incontrĂŽlĂ©s (pogroms, pillages), provoquant l’hostilitĂ© de la population. Ne s’estimant pas Ă  mĂȘme de changer l'ordre politique, ils restituent les terres aux anciens propriĂ©taires fonciers, les paysans pouvant de nouveau ĂȘtre soumis Ă  des chĂątiments corporels. Certaines de leurs troupes (comme celles du gĂ©nĂ©ral Chkouro) se dĂ©considĂšrent dĂšs leur arrivĂ©e Ă  force de viols et de pillages, tandis que leurs chefs multiplient les actes arbitraires et Ă©talent un train de vie fastueux et dĂ©bauchĂ©[85].

Soldats des légions tchÚques et leurs camarades exécutés par les bolcheviks à Vladivostok.

L'appareil policier bolchevik, doté de pouvoirs arbitraires trÚs étendus, connaßt un énorme développement. Arrestations, fusillades de masse, prises d'otages et internements en camp deviennent des pratiques banales. La question de savoir si les camps ouverts par la Tchéka durant la guerre civile préfigurent ou non le Goulag stalinien reste une discussion ouverte.

Selon l'historien britannique George Leggett, environ 140 000 personnes ont pĂ©ri Ă  la suite de la terreur rouge[86]. Mencheviks, anarchistes, SR, libĂ©raux ou dĂ©mocrates ont autant Ă©tĂ© pourchassĂ©s et mis hors-la-loi par milliers que les Blancs et les nationalistes, ou encore que les pacifistes tolstoĂŻens, les sionistes, les bundistes, etc., ainsi que beaucoup de ceux que leurs origines sociales ou leur marginalitĂ© suffisaient a rendre suspects. En 1922, le jeune État soviĂ©tique organise, contre les chefs SR, son premier procĂšs-spectacle truquĂ© ; plusieurs accusĂ©s sont condamnĂ©s Ă  mort et exĂ©cutĂ©s, les autres dĂ©portĂ©s. Le , la rĂ©volutionnaire Maria Spiridonova, arrĂȘtĂ©e aprĂšs l'insurrection des SR de gauche en juillet, est condamnĂ©e pour « folie » et internĂ©e de Ă  en centre de cure psychiatrique. Elle Ă©crira toutefois plus tard qu'« Ă  l'Ă©poque soviĂ©tique, les sommets du pouvoir, les vieux bolcheviques, LĂ©nine y compris, m'ont mĂ©nagĂ©e et, en m'isolant dans le dĂ©roulement de la lutte, toujours de façon trĂšs vigoureuse, ont en mĂȘme temps pris des mesures pour qu'on ne m'humilie jamais. »[87]

L'Église orthodoxe, qui s'est souvent rangĂ©e activement du cĂŽtĂ© de la rĂ©action (des popes dĂ©lateurs peuvent mĂȘme çà et lĂ  ĂȘtre responsables de nombreuses exĂ©cutions sommaires[88]), doit subir des milliers d'arrestations, d'exĂ©cutions, de spoliations et de destructions, le but Ă©tant Ă  terme l'Ă©radication non seulement de sa puissance antĂ©rieure, mais aussi des croyances religieuses.

Plus gĂ©nĂ©ralement, tous les camps en lutte utiliseront, Ă  des degrĂ©s divers, les mĂȘmes mĂ©thodes de rĂ©pression : internement des adversaires militaires et politiques dans des camps, prises d'otages (le premier dĂ©cret des otages est ainsi promulguĂ© non pas par les bolcheviks mais par le gĂ©nĂ©ral Niessel, commandant de la mission militaire française en Russie[89]), exĂ©cutions sommaires. D'aprĂšs Peter Holquist « le jeune État des Soviets et ses adversaires eurent pareillement recours aux outils et aux mĂ©thodes qui avaient Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s durant la Grande Guerre »[90]. Nikolai Melkinov, un des principaux membres du gouvernement Denikine, a soulignĂ© dans ses MĂ©moires que l'administration blanche « appliqua [...] dans ses territoires une politique fonciĂšrement soviĂ©tique »[91].

MĂȘme le bref gouvernement socialiste-rĂ©volutionnaire de Samara, souvent considĂ©rĂ© comme l'un des belligĂ©rants les plus modĂ©rĂ©s, utilisa lui aussi ce type de mesure. À son propos, l'historien britannique Orlando Figes note : « Si les libertĂ©s d'expression et de rĂ©union ainsi que la libertĂ© de la presse furent rĂ©tablies, il Ă©tait difficile de les respecter dans les conditions d'une guerre civile, et les prisons de Samara furent bientĂŽt pleines de bolcheviks. Ivan Maiski, le ministre menchevik du travail, compta 4 000 dĂ©tenus politiques. Les doumas et les zemstvos municipaux furent rĂ©tablis, et les soviets, en tant qu'organes de classe, tenus Ă  l'Ă©cart de la vie politique »[92].

Pareillement, les KD libĂ©raux se rĂ©signent gĂ©nĂ©ralement Ă  des solutions dictatoriales lĂ  oĂč ils subsistent - avec des exceptions, ainsi en CrimĂ©e oĂč ils maintiennent un rĂ©gime constitutionnel et parlementaire prĂ©servant les libertĂ©s et Ă©bauchant mĂȘme une timide rĂ©forme agraire[93].

Par ailleurs, aucune des armées ne tient à laisser derriÚre elle des éléments suspects ou dangereux. Ainsi, les combattants anarchistes de l'armée Makhno respectent le plus la population civile et épargnent et libÚrent les simples combattants faits prisonniers, mais ils éliminent dans leur retraite bien des officiers, nobles, bourgeois, koulaks ou popes, des tribunaux populaires spontanés se chargeant aussi de juger et chùtier ceux qui se sont compromis dans les tueries de la Terreur blanche[94].

En Ukraine, les pogroms font entre 100 000 et 180 000 morts et plongent 500 000 personnes dans la misĂšre la plus totale. Les Cent-Noirs, des ultra-monarchistes qui accompagnent les armĂ©es de DĂ©nikine investissent les trains et forcent les voyageurs Ă  rĂ©citer certaines priĂšres. Les personnes qui ne les connaissent pas sont considĂ©rĂ©es juives, torturĂ©es et jetĂ©es sur la voie. Les troupes du nationaliste ukrainien Symon Petlioura portent la plus lourde responsabilitĂ©, Ă©tant Ă  l'origine, selon l'historien Nicolas Werth, de 40 % des pogroms. Les hiĂ©rarchies militaires adoptent des comportements trĂšs diverses face aux tueries. Ainsi, les officiers blancs fĂ©licitent les assassins et octroient des primes pour chaque juif tuĂ©. Au contraire, l'encadrement de l'ArmĂ©e rouge les punit, parfois de mort. LĂ©nine signe un dĂ©cret « mettant hors la loi les pogromistes et tous ceux qui fomentent des pogroms » et « ordonnant Ă  tous les soviets provinciaux de prendre les mesures les plus rigoureuses pour dĂ©raciner le mouvement antisĂ©mite et pogromiste[95]. »

Violences d'en-bas et violences d'en-haut

Selon Sabine Dullin, « les organismes de répression créés par les Bolcheviks laissaient une grande part à l'initiative populaire »[96]. Les Tchekas locales se montrent souvent plus radicales que le centre. Marc Ferro insiste sur le fait que le petit parti bolchevik n'avait pas les moyens de susciter la violence généralisée que connaßt la Russie pendant la guerre civile, et que les léniniens ont souvent revendiqué et assumé des violences populaires spontanées pour donner l'illusion qu'ils contrÎlaient la situation, ainsi que pour les canaliser ou les instrumentaliser à leur profit[97].

De mĂȘme, du cĂŽtĂ© de leurs ennemis, le trĂšs controversĂ© chef nationaliste ukrainien Petlioura semble par exemple avoir Ă©tĂ© dĂ©bordĂ© par l'antisĂ©mitisme viscĂ©ral de ses troupes : il aurait laissĂ© se produire les pogroms, voire tentĂ© de les freiner, plus qu'il ne les a ordonnĂ©s (son rĂŽle exact reste trĂšs dĂ©battu).

En ce qui concerne la terreur blanche, les rĂŽles respectifs de l'idĂ©ologie, des violences spontanĂ©es et de celles dĂ©cidĂ©es « d'en haut » par les autoritĂ©s restent fortement discutĂ©s. Ainsi selon Nicolas Werth, « la terreur blanche ne fut jamais Ă©rigĂ©e en systĂšme. Elle fut, presque toujours, le fait de dĂ©tachements incontrĂŽlĂ©s Ă©chappant Ă  l'autoritĂ© d'un commandement militaire qui tentait, sans succĂšs, de faire office de gouvernement.(...) [Elle] resta le plus souvent une rĂ©pression policiĂšre du niveau d'un service de contre-espionnage militaire »[98]. D'autres historiens considĂšrent au contraire que l'idĂ©ologie – notamment l'assimilation des communistes aux juifs et le fantasme d'un complot « judĂ©o-bolchevique » – tient une place importante dans le processus de la terreur dirigĂ© par le haut[99]. Selon l'historien amĂ©ricain Peter Holquist, « S'il est vrai que les mouvements antisoviĂ©tiques Ă©prouvĂšrent moins le besoin de justifier leurs actions, il est nĂ©anmoins tout Ă  fait clair que leurs violences, loin d'ĂȘtre arbitraires ou fortuites, Ă©taient au contraire calculĂ©es. [...] Les prisonniers de guerre Ă©taient triĂ©s par les chefs blancs, qui mettaient Ă  part ceux qu'ils considĂ©raient comme indĂ©sirables et irrĂ©cupĂ©rables (les Juifs, les Baltes, les Chinois, les communistes) et les faisaient ensuite exĂ©cuter tous ensemble. »[100].

Peut-ĂȘtre plus encore que les bolcheviques, les gĂ©nĂ©raux blancs ont Ă©tĂ© dĂ©passĂ©s par la violence de leurs partisans sur des territoires vastes oĂč leur autoritĂ© Ă©tait limitĂ©e. Le gĂ©nĂ©ral Wrangel dĂ©crit dans ses mĂ©moires l'anarchie qui rĂ©gnait sur l'immense territoire contrĂŽlĂ© par DĂ©nikine quand il en prit la tĂȘte en : « Le pays Ă©tait dirigĂ© par toute une sĂ©rie de petits satrapes, Ă  commencer par les gouverneurs pour finir par n'importe quel gradĂ© de l'armĂ©e [...] l'indiscipline des troupes, la dĂ©bauche et l'arbitraire rĂ©gnant Ă  l'arriĂšre n'Ă©taient un secret pour personne [...] L'armĂ©e, mal ravitaillĂ©e, se nourrissait exclusivement sur le dos de la population, ainsi grevĂ©e d'un fardeau insupportable. »[101]

Cependant, il est incontestable que les hautes autorités blanches ont aussi choisi le recours à la terreur. La « conférence spéciale » présidée par le général Dénikine prend ainsi en la décision de condamner à mort « toute personne ayant contribué au pouvoir du Conseil des commissaires du peuple ». L'Osvag, le service de propagande du gouvernement de Dénikine, fait courir de nombreuses rumeurs pendant la guerre sur l'existence de complots juifs[102]. En Hongrie, aprÚs la chute de la République des conseils en août 1919, des unités paramilitaires faisant partie des troupes de l'amiral Miklós Horthy déclenchent une terreur blanche : le nombre de victimes de la répression en Hongrie est estimé à cinq à six mille victimes, soit dix fois plus que celles de la terreur rouge hongroise[103] et leur mille cinq cents victimes, bien qu'une estimation basse les réduise à quelques centaines[104]. Le général Ungern-Sternberg, surnommé le « baron sanglant », fut sans doute celui qui alla le plus loin dans la terreur. Dans son fameux « ordre numéro 15[105] », adressée à ses armées en mars 1921, l'article 9 commande « d'exterminer les commissaires, les communistes et les juifs avec leurs familles[106]. »

À cĂŽtĂ© des diffĂ©rents camps, de nombreux chefs de guerre et aventuriers profitent de l'effondrement de l'autoritĂ© en Russie pour piller, massacrer et s'autoproclamer dirigeants de territoires plus ou moins vastes. D'autres s'engagent dans les armĂ©es rĂ©guliĂšres par opportunisme. L'ataman Grigoriev constitue ainsi une bande formĂ©e de soldats, de dĂ©classĂ©s et de mercenaires qui se met successivement au service de Simon Petlioura, de l'ArmĂ©e rouge et des Blancs, sans renoncer Ă  aucun moment aux massacres et aux pillages. Grigoriev finira abattu par Makhno, auquel il s'Ă©tait briĂšvement alliĂ©.

AprÚs la défaite des Blancs, les soulÚvements paysans anti-bolcheviks atteignent leurs apogées. De nombreux collecteurs de céréales sont assassinés, les bolcheviks et leurs relais pourchassés et parfois suppliciés[107]. La riposte de l'Armée rouge est impitoyable : des centaines de villages déportés en intégralité, des milliers d'insurgés fusillés, les femmes et les enfants des partisans pris en otage et parfois tués, l'arme chimique utilisée par Toukhatchevski contre les révoltés de Tambov[108].

AprÚs la victoire définitive du régime, la terreur s'atténue largement, mais l'appareil policier reste intact.

Victoire et crise du « communisme de guerre »

La guerre radicalise spectaculairement le rĂ©gime. Pour mener la guerre totale contre les forces hostiles, le gouvernement de LĂ©nine procĂšde Ă  la nationalisation quasi-intĂ©grale du commerce, des banques, de l'industrie et mĂȘme de l'artisanat. Les logements des classes aisĂ©es sont collectivisĂ©s : les appartements collectifs entrent ainsi dans la vie des Russes. Alors que la monnaie s'effondre et que le pays vit Ă  l'heure du troc et des salaires versĂ©s en nature, le rĂ©gime instaure la gratuitĂ© des logements, des transports, de l'eau, de l'Ă©lectricitĂ© et des services publics, tous pris en main par le Parti-État. Certains bolcheviks rĂȘvent mĂȘme dĂšs lors d'abolir l'argent, ou du moins de limiter drastiquement son usage. D'abord improvisĂ© sous le feu des circonstances, le « communisme de guerre » (terme crĂ©Ă© a posteriori, apparu aprĂšs la fin de la guerre civile) paraĂźt alors un moyen de faire passer directement la Russie au socialisme.

Le pouvoir restaure aussi un puissant dirigisme sur l'Ă©conomie et sur les ouvriers. Pour ce faire, il n'hĂ©site pas Ă  rĂ©tablir une discipline de fer dans les usines ou Ă  faire rĂ©apparaĂźtre des pratiques honnies comme le salaire aux piĂšces, le livret de travail, le lock-out, le retrait des cartes de ravitaillement, l'arrestation et la dĂ©portation des meneurs de grĂšves. Des centaines de grĂ©vistes sont mĂȘme fusillĂ©s. Les syndicats sont Ă©purĂ©s, bolchevisĂ©s et transformĂ©s en courroie de transmission, les coopĂ©ratives absorbĂ©es, les soviets transformĂ©s en coquilles vides. En 1920, Trotski suscite une vaste controverse en proposant la « militarisation » du travail. Dans les campagnes, des dĂ©tachements armĂ©s procĂšdent violemment aux rĂ©quisitions forcĂ©es de cĂ©rĂ©ales pour nourrir les villes ainsi que l'ArmĂ©e rouge.

Le pouvoir mĂšne aussi un Ă©norme effort d'alphabĂ©tisation, d'Ă©ducation et de propagande Ă  destination des soldats et des masses populaires. Il encourage l'effervescence artistique et met les crĂ©ateurs des avant-gardes au service de la rĂ©volution par une vaste production d'Ɠuvres et d'affiches qui aident le ralliement des masses aux bolcheviks[109].

Cette politique sauve le régime, mais contribue à l'énorme mécontentement populaire et à l'effondrement radical de la production, de la monnaie et du niveau de vie. L'économie est ruinée, le réseau de transports disloqué. Le marché noir et le troc fleurissent[110]. L'inégalité institutionnelle du rationnement au profit des soldats et des bureaucrates suscite les récriminations populaires. Les villes se dépeuplent, beaucoup d'ouvriers et de citadins affamés revenant à la terre. C'est ainsi que Moscou et Petrograd se vident de moitié, tandis que la classe ouvriÚre se décompose : elle compte moins d'un million d'actifs en 1921, contre plus de trois millions en 1917.

En 1921-1922, une famine doublée d'une trÚs grave épidémie de typhus fauche plusieurs millions de vies dans les campagnes russes.

La révolte de Kronstadt et l'instauration de la NEP (mars 1921)

ÉcƓurĂ©s par le monopole du pouvoir acquis par le parti bolchevique, ainsi que par la violence et la rĂ©pression dĂ©ployĂ©s dans les campagnes ou contre les ouvriers en grĂšve, les marins de Kronstadt se rĂ©voltent en et exigent le retour au pouvoir des soviets, des Ă©lections libres, la libertĂ© du marchĂ© intĂ©rieur, la fin de la police politique. En pratique l'insurrection consista en la dissolution du soviet de Kronstadt et en la dĂ©signation d'un « comitĂ© rĂ©volutionnaire provisoire » Ă  sa place[111]. Leur soulĂšvement est Ă©crasĂ© par Trotski et Toukhatchevski[112].

Au mĂȘme moment, le pouvoir met les mencheviks hors-la-loi, rĂ©prime les derniĂšres grandes vagues de protestations ouvriĂšres, et entame une violente campagne de « pacification » contre les paysans insurgĂ©s. Le Xe congrĂšs du Parti, tenu au mĂȘme moment que l'insurrection de Kronstadt, abolit aussi le droit de fraction au sein du Parti.

Mais devant l'impasse du « communisme de guerre » et l'effondrement de l'Ă©conomie, LĂ©nine dĂ©cide un retour limitĂ© et provisoire au capitalisme de marchĂ© : la Nouvelle politique Ă©conomique (NEP) est adoptĂ©e au cours du mĂȘme congrĂšs. Cette libĂ©ralisation Ă©conomique — qui ne se double d'aucune libĂ©ralisation politique — va permettre de redresser l'Ă©conomie.

Conséquences

LibĂ©ration des mƓurs et Ă©mancipation des femmes

AprĂšs la guerre civile, un changement trĂšs important en matiĂšre de mƓurs sexuelles a lieu. La critique marxiste de la famille bourgeoise avait dĂ©jĂ  conduit les bolcheviks Ă  modifier la lĂ©gislation concernant le divorce, le mariage et l’interruption volontaire de grossesse[113]. En 1922, les pratiques homosexuelles sont Ă  leur tour dĂ©pĂ©nalisĂ©es[114]. Tout au long des annĂ©es 1920, le dĂ©sir d’accĂ©der Ă  une sexualitĂ© plus libre dĂ©clenche un mouvement social qualifiĂ© par Wilhelm Reich de « rĂ©volution sexuelle ». ImposĂ© par la base, il n’est pas suffisamment soutenu par les hauts responsables du rĂ©gime, et perd progressivement en importance[115].

Plus gĂ©nĂ©ralement le pouvoir bolchevique, en particulier sous l'impulsion d'Alexandra Kollontai, prendra d'importantes mesures pour amĂ©liorer le statut social de la femme. Outre les lĂ©gislations en matiĂšre de mƓurs, une sĂ©rie de dĂ©crets reconnaissent dĂšs fin 1917 le droit des femmes Ă  la journĂ©e de 8 heures, celui de nĂ©gocier le montant des salaires, la prĂ©servation de l'emploi en cas de grossesse, des possibilitĂ©s d'assurer des soins Ă  leurs enfants pendant les heures de travail, ainsi que des droits politiques Ă©gaux Ă  ceux des hommes[116].

Le travail des femmes est encouragĂ©, Ă  la fois dans une perspective Ă©mancipatrice (le rĂ©gime dĂ©clare « qu'enchaĂźnĂ©e au foyer, la femme ne pouvait pas ĂȘtre l'Ă©gale de l'homme ») et pour combler le dĂ©ficit de main d'Ɠuvre provoquĂ© par la guerre et les famines[116]. Pour soulager le travail domestique des femmes, le gouvernement bolchevique crĂ©Ă© des maternitĂ©s, des crĂšches, des Ă©coles maternelles, des Ă©coles, des cantines populaires et des lavoirs publics. En matiĂšre de droits des enfants, toutes distinctions dans la loi entre les enfants — garçons et filles — lĂ©gitimes et illĂ©gitimes sont supprimĂ©s[117].

La lutte contre l'analphabétisme et l'accÚs des couches populaires à la culture

Étant donnĂ© que la RSFSR (RĂ©publique socialiste fĂ©dĂ©rative soviĂ©tique de Russie), Ă  l'issue de la guerre civile, regorgeait d'orphelins par dizaines de milliers, des chtcharachkas (communautĂ©s) furent mises en place, oĂč des enfants de tous Ăąges encadrĂ©s d'Ă©ducateurs volontaires furent Ă©duquĂ©s dans l'esprit socialiste. À la mĂȘme Ă©poque, les grades sont abolis dans l'armĂ©e, ainsi que les rĂšgles acadĂ©miques dans l'art. Grammaire et orthographe ont aussi Ă©tĂ© simplifiĂ©s, et la lutte idĂ©ologique contre les prĂ©jugĂ©s et les convictions d'origine religieuse battit son plein.

Le régime consacre rapidement un effort important en matiÚre d'instruction publique. Sous la direction d'Anatoli Lounatcharski, le commissariat du peuple à l'instruction publie un décret déclarant l'ouverture d'un « front contre l'analphabétisme » le . Dans le compte rendu critique qu'il donne alors de son voyage en Union soviétique, le maire de Boulogne André Morizet affirme qu'« on peut penser tout ce qu'on voudra des chefs du bolchevisme. On peut critiquer leurs méthodes, condamner leurs actes en gros ou en détail [...]. Mais il y a un point sur lequel il me paraßt impossible qu'on n'approuve pas unanimement leurs efforts, qu'on n'apprécie pas sans réserve les résultats déjà obtenus : c'est en matiÚre d'instruction publique »[118].

DĂšs le dĂ©but de l'annĂ©e 1918, le triple principe de laĂŻcitĂ©, de gratuitĂ© et d'obligation d'Ă©ducation est posĂ© par le rĂ©gime. De 38 387 en 1917, le nombre d'Ă©coles passe Ă  52 274 en 1918 puis 62 238 en 1919. De mĂȘme le budget de l'Ă©ducation passe de 195 millions de roubles en 1916 Ă  2 914 millions en 1918[119]. Des alphabets nationaux sont crĂ©Ă©s pour les nationalitĂ©s privĂ©es d'Ă©criture, tandis que des commissions d'instructeurs sont crĂ©Ă©es[120]. Ces chiffres impressionnants doivent cependant ĂȘtre nuancĂ©s par les difficultĂ©s auxquelles se trouve confrontĂ© le systĂšme d'Ă©ducation publique en raison des consĂ©quences de la guerre civile et du faible dĂ©veloppement Ă©conomique des rĂ©publiques qui forment l'Union soviĂ©tique : manque chronique de matĂ©riel scolaire et de professeurs formĂ©s, qui expliquent la mĂ©diocritĂ© de l'instruction dans les premiĂšres annĂ©es du rĂ©gime.

La RĂ©volution et l'Art

Les conséquences de la révolution se font également sentir dans le domaine de l'art[121]. DÚs la fin du XIXe siÚcle, la Russie s'était ouverte aux nouveaux courants artistiques qui se développaient en Europe : l'impressionnisme (avec des peintres comme Leonid Pasternak et Constantin Kousnetzoff), le fauvisme (avec Michel Larionov ou Nathalie Gontcharova) et le cubisme (Vladimir Bourliouk). D'autres courants émergent en Russie, comme le suprématisme, qui prÎne la suprématie de la forme pure dans la peinture. En poésie, le mouvement acméiste est initié par Nikolaï Goumilev en 1911. La création de l'opéra futuriste Victoire sur le soleil, d'Alexeï Kroutchenykh et Vélimir Khlebnikov, se déroule le à Saint-Pétersbourg.

AprĂšs la rĂ©volution d'Octobre, si les bolcheviques interdisent les Ɠuvres ouvertement hostiles au rĂ©gime, le nouveau pouvoir ne donne cependant pas de directives en matiĂšre d'art — Trotski dĂ©clarant que « L'art n'est pas un domaine oĂč le Parti est appelĂ© Ă  commander. »[122] — et encourage la floraison des courants d'avant-garde. Selon l'historien de l'art Jean-Michel Palmier, « Il y a peu de pays qui ont consacrĂ© autant d'argent aux Beaux-Arts, au thĂ©Ăątre, Ă  la littĂ©rature, Ă  la peinture que l'URSS dans la pĂ©riode la plus difficile qu'elle a connue. Alors que la famine rĂ©gnait, que la contre-rĂ©volution levait la tĂȘte sur tous les fronts — intĂ©rieur et extĂ©rieur — la jeune rĂ©publique des soviets dĂ©pensait des sommes Ă©normes pour dĂ©velopper l'art — et pas seulement comme instrument de propagande. »[123]

DĂšs les premiers jours qui suivent la rĂ©volution d'Octobre, le gouvernement bolchevique met en Ɠuvre une sĂ©rie de mesures visant Ă  assurer la prĂ©servation, l'inventaire et la nationalisation du patrimoine culturel national[124]. La collection privĂ©e du commerçant et mĂ©cĂšne SergueĂŻ Chtchoukine est rĂ©quisitionnĂ©e pour ouvrir le « premier musĂ©e de l'art occidental ». Vassily Kandinsky est nommĂ© directeur du MusĂ©e de la culture artistique, crĂ©Ă© en 1919, et ouvre une vingtaine de musĂ©es en province. Ici encore, la pĂ©nurie limite les ambitions du rĂ©gime. Par manque de crĂ©dits pour la reconstruction, la plupart des projets d'architectures novateurs ne peuvent ĂȘtre achevĂ©s[125].

Le nouvel environnement politique et culturel favorise l'Ă©closion de courants nouveaux et de dĂ©bats d'Ă©coles passionnĂ©s. Selon Anatole Kopp, « À l'intĂ©rieur de cette nouvelle vision, il est possible de distinguer deux orientations, deux avant-gardes : une avant-garde essentiellement formelle, qui, malgrĂ© le recours Ă  des formes d'expressions inĂ©dites, n'assignera pas Ă  l'art une mission nouvelle, et une avant-garde socialement et politiquement consciente, qui tentera, Ă  la lumiĂšre du marxisme, de mettre les techniques artistiques au service de la transformation de l'humanitĂ©. »[126] Les membres de ce dernier courant, partisans de l'accouchement d'une « culture prolĂ©tarienne » nouvelle, se regroupent au sein du Proletkoult qui tient son premier CongrĂšs en 1920. Ce groupe mĂšne rapidement une campagne agressive contre les « compagnons de route » du parti et tout ce qui s'Ă©carte de « l'art prolĂ©tarien »[127], mais n'obtient pas de mesures politiques de l'appareil d'État[128]. À la fin des annĂ©es 1920, Staline s'appuiera pourtant sur les thĂ©ories du Proletkoult — parfois au corps dĂ©fendant de certains de ses membres — pour rĂ©primer les artistes et imposer la ligne du rĂ©alisme socialiste.

Conséquences économiques et sociales

Des Russes partant pour l'exil sur un wagon plat.

La révolution et l'établissement du nouveau régime entraßnent de profondes transformations sociales dans les pays rassemblés au sein de l'URSS. Les vieilles structures féodales de la Russie tsariste se désagrÚgent sans laisser place à une économie de marché, générant l'élaboration de nouveaux rapports sociaux qui feront l'objet d'interprétations diverses.

Selon Nicolas Werth, 13 millions de Russes ont pĂ©ri de mort violente entre 1914 et 1921 : 2,5 millions par la Grande Guerre, autant par la guerre civile et les massacres des terreurs blanche, rouge ou verte, 5 millions par la famine et plus de 2,5 millions par l'Ă©pidĂ©mie de typhus[129]. Selon le dĂ©mographe russe A.G. Volkov, la population de la Russie a diminuĂ© de 7 millions entre 1918 et 1922, chiffre auquel il faut retirer les Ă©migrĂ©s (estimĂ©s Ă  2 millions par le dĂ©mographe) et la diffĂ©rence de 400 000 entre les retours et sorties de prisonniers et de fuyards, pour aboutir Ă  un chiffre de 4 500 000 morts pendant la guerre civile, soit un peu plus de 3 % de la population[130]. La majoritĂ© des victimes a pĂ©ri hors des champs de bataille, faute de soins adĂ©quats ou de nourriture. « La sociĂ©tĂ© russe Ă©merge de la guerre plus archaĂŻque, plus militarisĂ©e, plus paysanne[129]. »

Les anciennes Ă©lites (clergĂ©, noblesse et bourgeoisie, cette derniĂšre dĂ©jĂ  plus fragile qu'en Occident, une partie des intellectuels) ont disparu ou se sont exilĂ©es, Ă  moins de s'ĂȘtre ralliĂ©es pour certains de leurs membres. DĂšs l'Ăšre lĂ©ninienne, ces « gens du passĂ© » et leurs enfants sont surveillĂ©s et discriminĂ©s dans l'accĂšs au logement, au travail ou Ă  l'universitĂ©, ou encore privĂ©s d'un droit de vote certes symbolique. À partir des premiers mois de la rĂ©volution bolchĂ©vique, une partie de la classe des possĂ©dants est massacrĂ©e, une autre a quittĂ© le pays vers l'Ă©tranger et la partie qui reste, aprĂšs avoir perdu l'essentiel de ses actifs, est marginalisĂ©e[131]. Beaucoup seront ultĂ©rieurement liquidĂ©s pendant les Grandes Purges staliniennes. Environ deux millions de « Russes blancs » (pas tous monarchistes ni russes en rĂ©alitĂ©) se sont exilĂ©s de la Russie rĂ©volutionnaire, ou en ont Ă©tĂ© bannis. En 1922, un dĂ©cret leur ĂŽte en bloc la nationalitĂ© russe. C'est pour ces premiers apatrides de masse que la SociĂ©tĂ© des Nations doit inventer le passeport Nansen.

Dans les campagnes, le Parti reste sous-reprĂ©sentĂ©. Des dispositions constitutionnelles donnent au vote ouvrier et urbain un poids ouvertement supĂ©rieur au vote paysan. MalgrĂ© cet avantage politique et contrairement Ă  une idĂ©e largement rĂ©pandue, les ouvriers n'ont pas Ă©tĂ© la classe Ă  avoir beaucoup bĂ©nĂ©ficiĂ©, pendant les premiĂšres annĂ©es de la rĂ©volution, lors du changement du rĂ©gime : la plupart d'entre eux ont quittĂ© les villes vers les campagnes, Ă  la suite de la fermeture des usines qui appartenaient Ă  la classe des possĂ©dants dĂ©pourvue de tout moyen de production, pour Ă©chapper au chĂŽmage et Ă  la famine ; et pendant les premiĂšres annĂ©es de la rĂ©volution, Ă  partir de 1919, 7,5 millions d'entre eux sont morts dans les villes Ă  cause de la famine et des Ă©pidĂ©mies[132]. La classe paysanne est l'une des seules Ă  avoir gardĂ© une autonomie assez forte par rapport Ă  l'État trĂšs autoritaire qui s'est forgĂ© pendant la guerre civile. Elle est, d'ailleurs, la seule classe Ă  avoir tirĂ© le plus d'avantages du nouveau rĂ©gime pendant les premiers mois de la rĂ©volution d'octobre. Le partage des terres Ă  la suite de la confiscation des biens de l'aristocratie fonciĂšre a beaucoup soulagĂ© les paysans (dont la plupart sont sans terre) et moins de troubles ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s dans les campagnes avant que la situation ne soit dĂ©tĂ©riorĂ©e, peu Ă  peu, et concerne tout le pays[133]. Les paysans ont obtenu le partage des terres qu'ils attendaient depuis des gĂ©nĂ©rations (bien qu'en raison de leur fort accroissement dĂ©mographique, ils n'y aient gagnĂ© en moyenne que 2 Ă  3 hectares de terre chacun). Mais beaucoup peuvent constater que « la terre ne se mange pas » (LĂ©nine) : les millions de petites exploitations Ă©miettĂ©es sont peu rentables et impossibles Ă  moderniser. BĂȘtes noires des bolcheviks pendant la guerre civile, les koulaks (paysans supposĂ©s riches, juste un peu plus aisĂ©s et dynamiques que la moyenne) tirent davantage leur Ă©pingle du jeu, et bĂ©nĂ©ficieront de l'avĂšnement de la NEP - avant de subir le choc de la dĂ©koulakisation Ă  partir de 1930.

Beaucoup d'hommes du peuple, ex-ouvriers, employĂ©s ou paysans, ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de la croissance du Parti-État et de sa bureaucratie (dont le dĂ©veloppement notable[134] angoisse dĂ©jĂ  LĂ©nine et Trotski). Entrant dans ceux-ci ou dans l'ArmĂ©e rouge, ils ont acquis des positions de pouvoir et des privilĂšges inespĂ©rĂ©s pour eux sous l'Ancien RĂ©gime. La bureaucratie devient aussi le refuge privilĂ©giĂ© de la petite-bourgeoisie thĂ©oriquement dĂ©chue[135]. Cette « plĂ©bĂ©ianisation du Parti » (Marc Ferro)[136] servira de base sociale Ă  l'avĂšnement ultĂ©rieur de Joseph Staline, nommĂ© secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du PCUS le .

Conséquences politiques et diplomatiques

Le premier résultat de cette révolution fut le renversement du régime tsariste, laissant le champ libre pour la prise de pouvoir par les bolcheviks. Selon Nicolas Werth, « une révolution populaire et plébéienne profondément antiautoritaire et antiétatique [a] amené au pouvoir le groupe le plus dictatorial et le plus étatiste ».

Selon plusieurs historiens, les bases de l’État policier lĂ©niniste auraient Ă©tĂ© jetĂ©es dĂšs avant l'Ă©clatement de la guerre civile en , la rĂ©pression s'abattant autant sinon plus sur les autres partis rĂ©volutionnaires et sur certains mouvements populaires que sur les partis « bourgeois » ou les forces monarchistes[137]. Ce point de vue est rejetĂ© par certains historiens, Ă  l'instar d'Arno J. Mayer qui, dans un ouvrage rĂ©cent, soutient que la politique rĂ©pressive du rĂ©gime soviĂ©tique a essentiellement Ă©tĂ© le produit de pressions internes (la violence de la contre-rĂ©volution) aussi bien qu'externes (la rĂ©action des puissances internationales face Ă  la prise du pouvoir par les bolcheviks)[138].

Pour Marc Ferro, la lutte pour le pouvoir n'a pas simplement opposé les partis entre eux. Au moment de la révolution de Février, les partis politiques, les syndicats, les coopératives et les soviets sont les formes d'organisation rivales en concurrence pour représenter et diriger la société civile. Les soviets et les partis se sont entendus pour subordonner ou éliminer les syndicats, les comités d'usine ou les coopératives. Puis dÚs avant Octobre, les partis se sont accordés à noyauter et instrumentaliser les soviets. Il ne restait plus enfin à l'un des partis qu'à éliminer les autres[139].

Un autre rĂ©sultat immĂ©diat est la signature du traitĂ© de Brest-Litovsk, et le dĂ©mantĂšlement partiel de l'ex-empire russe. Ensuite vint la crĂ©ation, en 1922, de l’URSS – l’« Union des rĂ©publiques socialistes soviĂ©tiques ».

La guerre civile allait laisser le pays Ă©puisĂ©, ruinĂ© pour de nombreuses annĂ©es, et sous la coupe d'un parti unique lui-mĂȘme de plus en plus monolithique (suppression du droit de tendance en ), dont la police et l'armĂ©e ont Ă©liminĂ© toutes les forces d'opposition organisĂ©es. Tout est Ă  reconstruire.

De plus, la rĂ©volution attendue par les bolcheviks dans les pays capitalistes n'a pas eu lieu. En Allemagne mĂȘme, les masses populaires n'ont pas majoritairement soutenu la tentative spartakiste de Rosa Luxemburg, et la rĂ©pression a suivi. En Hongrie, Bela Kun s'est aliĂ©nĂ© d'emblĂ©e les paysans, et n'a pu tenir que 133 jours au pouvoir avant d'en ĂȘtre dĂ©logĂ© par une invasion roumaine. La vague rĂ©volutionnaire reflue dĂšs 1920 en Italie, ouvrant la voie au succĂšs du fascisme. Des pays industrialisĂ©s aussi importants que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ne connaissent que des vagues de grĂšves et de manifestations, parfois violentes, mais jamais en mesure d'Ă©branler la sociĂ©tĂ© et le gouvernement.

La création à Moscou de la IIIe Internationale (Komintern), en 1919, est une conséquence directe d'Octobre. Elle sera dissoute par Staline en 1943 sans avoir jamais réussi à conduire une révolution victorieuse. Dans l'immédiat, rupture et scissions entre partis sociaux-démocrates et partis communistes, entre 1919 et 1921, ont laissé le mouvement ouvrier et syndical durablement divisé et affaibli face aux forces conservatrices et fascistes.

La Russie elle-mĂȘme reste amoindrie et isolĂ©e, cernĂ©e par un « cordon sanitaire » de petits États (pays baltes, Pologne, etc.). Le nouveau rĂ©gime doit conquĂ©rir lentement sa reconnaissance internationale. Il doit attendre 1922 pour ĂȘtre reconnu par l'Allemagne (devenue son alliĂ©e de fait par les accords de Rappallo), puis en 1923 par la Chine alliĂ©e de Sun Yat-sen, en 1924 par la Grande-Bretagne, la France et l'Italie fasciste, en 1933 par les États-Unis, avant d'entrer tardivement Ă  la SDN en 1934.

Le rĂ©gime instaurĂ© par les bolcheviks a souvent Ă©tĂ© qualifiĂ© de « communiste », mĂȘme si pour Marx le communisme correspond Ă  une sociĂ©tĂ© qui rĂ©pond Ă  la devise « De chacun selon ses capacitĂ©s, Ă  chacun selon ses besoins »[140]. En 1918, cependant, LĂ©nine ne rĂ©pugnait pas Ă  faire changer le nom du parti en parti communiste, ni Ă  fonder en 1919 l'Internationale communiste (il s’agissait de choisir un nom se dĂ©marquant de la social-dĂ©mocratie, qui avait Ă©tĂ© majoritairement favorable Ă  la guerre).

Perceptions et réceptions à l'étranger

La révolution de février 1917 a été lue par les Occidentaux en fonction de la Grande Guerre en cours, et en général sans grande connaissance des réalités russes.

Les dĂ©mocraties de l'Entente (France et Grande-Bretagne surtout) sont soulagĂ©es d'ĂȘtre dĂ©barrassĂ©es de l'alliĂ© encombrant qu'Ă©tait Nicolas II, le maintien de l'autocratie tsariste les mettant en porte-Ă -faux avec leur propre propagande sur la « guerre du droit ». Ni la presse (soumise Ă  la censure ou Ă  l'autocensure) ni les opinions ne prennent la mesure du rejet croissant et massif de la guerre dans l'opinion russe. La rĂ©volution est interprĂ©tĂ©e au contraire comme une volontĂ© populaire de mener la guerre jusqu'au bout avec un gouvernement plus compĂ©tent[141].

On ne prend pas davantage conscience de l'ampleur de la rĂ©volte sociale. L'historien monarchiste Jacques Bainville prĂ©tend ainsi dans L'Action française : « Il faut que la rĂ©novation russe ne devienne pas ce que jusqu'ici elle ne veut pas ĂȘtre, une rĂ©volution[142] ». Le socialiste chauvin Gustave HervĂ© Ă©crit : « Qu'est-ce que Verdun, qu'est-ce que la Marne mĂȘme Ă  cĂŽtĂ© de l'incommensurable victoire morale que viennent de remporter les AlliĂ©s Ă  Petrograd[143] ! »

Pourtant, dĂšs l'Ă©tĂ© 1917, la mutinerie des soldats russes du camp de La Courtine dans le Limousin doit ĂȘtre mĂątĂ©e Ă  coups de canon et au prix de nombreux morts. Des grĂšves importantes et quasi-insurrectionnelles se rĂ©clament ouvertement de l'exemple des soviets de travailleurs de Russie en Ă  Leipzig, en mai-juin Ă  Leeds, en aoĂ»t Ă  Turin. En Italie ou mĂȘme en Espagne non-belligĂ©rante, quelques « vive LĂ©nine » apparaissent dĂšs 1917 sur certains murs, plus par rejet symbolique de la guerre et des conditions sociales que par une connaissance rĂ©elle du programme bolchevique[144]. Toutefois, patriotisme oblige, aucune tentative rĂ©volutionnaire n'a lieu avant la fin de la Grande Guerre.

Des délégations officielles se rendent en Russie au temps du gouvernement provisoire et découvrent l'ampleur de la révolution. Elles en reviennent parfois ébranlées, ainsi les socialistes français Albert Thomas et Marcel Cachin, le ministre travailliste anglais Arthur Anderson ou la féministe britannique Emmeline Pankhurst. Une poignée d'étrangers présents en Russie adhÚre activement à la révolution d'Octobre, ainsi son futur historien, le journaliste américain John Reed, ou encore le philosophe chrétien français Pierre Pascal. En , André Marty et Charles Tillon mÚnent la mutinerie de la flotte française en mer Noire contre l'intervention. Certains prisonniers de guerre des Empires centraux, convertis au bolchevisme pendant leur captivité en Russie, se sont faits les propagateurs de la révolution à leur retour au pays : le Yougoslave Josip Broz, futur maréchal Tito, n'en est que l'exemple le plus célÚbre.

L'Allemagne de Guillaume II a laissĂ© les divers rĂ©volutionnaires exilĂ©s en Suisse, dont LĂ©nine, traverser son territoire pour rentrer en Russie, escomptant que le pacifisme contribuerait au retrait de la Russie du conflit. DĂšs l'Ă©poque circule en Russie et en Occident l'idĂ©e d'un LĂ©nine « agent allemand », ou encore la rumeur que les « maximalistes » (traduction inexacte rĂ©pandue du terme bolcheviks) sont financĂ©s par « l'or allemand ». La rĂ©volution d'Octobre n'est d'abord perçue que comme une pĂ©ripĂ©tie politique aprĂšs bien d'autres, et ni l'Entente ni les Empires centraux ne croient au dĂ©but Ă  la durĂ©e du nouveau pouvoir. AprĂšs le draconien traitĂ© de Brest-Litovsk (contre la ratification duquel vote le SPD au Reichstag), le Kaiser fait figure d'alliĂ© objectif et paradoxal du rĂ©gime bolchevique, celui-ci ayant tout intĂ©rĂȘt Ă  jouer des divisions « inter-impĂ©rialistes » et Ă  ne pas s'ajouter un ennemi de plus. L'Entente intervient sur le territoire russe d'abord pour empĂȘcher la disparition du front oriental, le reproche principal fait aux bolcheviks Ă©tant leur « trahison » de l'alliance. AprĂšs l'armistice de Rethondes en 1918, c'est la rĂ©volution en tant que telle qui est combattue.

Le pacifisme et la crise économique d'aprÚs-guerre, ainsi que le refus de voir une révolution écrasée, suscitent de fortes sympathies actives dans les couches populaires d'Europe pour la révolution d'Octobre - les exactions de la « terreur rouge » étant ignorées, niées, minimisées ou justifiées comme une simple réponse à la terreur blanche.

Caricature anti-bolchevique parue en 1919 dans le New York Herald.

En France, la révolution russe est lue au prisme de la mémoire toujours trÚs vive de la Grande Révolution de 1789 : les bolcheviks sont ainsi assimilés aux jacobins, Kerenski à la Gironde, les Blancs aux Vendéens, Trotski à Lazare Carnot « l'organisateur de la victoire », etc. Un historien sympathisant comme Albert Mathiez trace dÚs 1920 l'analogie entre Robespierre et Lénine, la terreur rouge et la Terreur de 1793[145]. Le poÚte André Breton n'est pas le seul à lire aussi la révolution russe comme une revanche sur la répression de la Commune de Paris lorsqu'il note que 1917 renverse 1871. Mais la « grande lueur à l'Est » (titre d'un ouvrage de Jules Romains) n'est pas aussi bien accueillie par tout le monde. Les classes moyennes sont ulcérées par la perte des emprunts russes, que Lénine a cessé de reconnaßtre dÚs le début 1918. Et l'anticommunisme est trÚs fort chez les socialistes restés fidÚles à la « vieille maison » lors du congrÚs de Tours de 1920, chez les anarchistes, chez certains intellectuels humanistes hostiles aux méthodes des Bolcheviks (par exemple Romain Rolland, ami de Gorki), et bien sûr dans les droites. DÚs 1919, une affiche célÚbre stigmatise dans le bolchevik « l'homme au couteau entre les dents ».

Aux États-Unis, la red scare ou peur des « Rouges » marque les annĂ©es d'immĂ©diat aprĂšs-guerre et contribue aux rĂ©actions autoritaires, puritaines et xĂ©nophobes (les migrants sont perçus comme des porteurs potentiels du « virus » bolchevique) qui marquent les annĂ©es 1920. En Allemagne, en Hongrie, en Italie, les forces conservatrices, nationalistes ou fascistes, parfois alliĂ©es pour un temps Ă  des sociaux-dĂ©mocrates comme Noske Ă  Berlin, se battent pour rĂ©primer par la violence le « bolchevisme » (un mot d'ailleurs Ă©lastique, sous lequel ils finissent par regrouper abusivement tout partisan d'un changement social, voire n'importe quel adversaire). En 1919, la peur et la haine du bolchevisme et de la rĂ©volution d'Octobre, de ses avatars et de son extension possible jouent un rĂŽle non nĂ©gligeable dans la formation des idĂ©ologies et des mouvements de Benito Mussolini en Italie et d'Adolf Hitler en Allemagne.

Dans les pays colonisés, la révolution d'Octobre a aussi suscité des espoirs importants. DÚs 1920, à Bakou, les bolcheviks convoquent un « congrÚs des peuples de l'Orient » (1er au ) qui tente de faire la jonction entre les nationalismes des colonisés et le mouvement communiste mondial.

Postérité et fin

Le dĂ©labrement Ă©conomique et moral consĂ©cutif Ă  la guerre civile va laisser la place Ă  une couche de bureaucrates, qui au sein mĂȘme du parti bolchevique vont rĂ©ussir Ă  s’imposer Ă  la tĂȘte du pays. Pour cela, ils devront dĂ©porter puis massacrer tous leurs opposants, « contre-rĂ©volutionnaires » comme rĂ©volutionnaires. Des milliers de militants communistes, dont la majoritĂ© de la « vieille garde » bolchevique, des hĂ©ros d’Octobre et de la guerre civile, seront ainsi dĂ©portĂ©s, puis fusillĂ©s. Les plus cĂ©lĂšbres d’entre eux sont humiliĂ©s et discrĂ©ditĂ©s en public lors des procĂšs de Moscou en 1936-1938.

Pour asseoir son pouvoir, et aussi pour faire oublier le rĂŽle trĂšs limitĂ© qu’il a jouĂ© dans la rĂ©volution d'Octobre, Joseph Staline entreprend aussi de liquider, lors de la Grande Terreur de 1936-1938, toute une gĂ©nĂ©ration de militants, de cadres politiques et Ă©conomiques, de militaires, d’écrivains ou mĂȘme de policiers qui ont connu l’avant-1917 et fait la rĂ©volution puis la guerre civile. Une large partie d’entre eux avait pu faire un temps d’autres choix que les bolcheviks, ou que le dictateur lui-mĂȘme. En 1930, la moitiĂ© des cadres de l’État et mĂȘme de la police avaient ainsi servi sous l’ancien rĂ©gime[146]. La « gĂ©nĂ©ration de 1937 », qui les remplace grĂące aux purges, n’a connu que Staline et lui doit tout : c’est cette nomenklatura sans passĂ© rĂ©volutionnaire qui dirigera dĂ©sormais l’URSS jusqu’à la veille de sa disparition.

Le rĂ©gime « totalitaire » de Staline finira d’étouffer les idĂ©aux de la rĂ©volution d’Octobre. DĂšs le milieu des annĂ©es 1930, il rĂ©tablit un certain nombre de valeurs honnies au temps de LĂ©nine et Trotski : exaltation de la famille et de la patrie « socialistes », restauration de titres militaires tels le grade de marĂ©chal, libre vente de la vodka par l’État, acadĂ©misme dans l’art, russification forcĂ©e des minoritĂ©s et « chauvinisme grand-russe », antisĂ©mitisme officiel de moins en moins voilé  La Seconde Guerre mondiale parachĂšvera cette Ă©volution, l'Internationale cessant par exemple d’ĂȘtre l’hymne soviĂ©tique en 1943, et les grades et uniformes de l’Ancien RĂ©gime Ă©tant spectaculairement rĂ©tablis.

Fort peu sensible Ă  l’internationalisme des premiers dirigeants bolcheviques, Staline abandonne par ailleurs toute idĂ©e d’exporter la rĂ©volution par le Komintern. À ses yeux, elle ne doit s’étendre que grĂące Ă  l’ArmĂ©e rouge, sous strict contrĂŽle de Moscou et comme une extension de l’empire soviĂ©tique. C’est ce qui se produit dĂšs 1939 lors des annexions permises par le Pacte germano-soviĂ©tique (qui permet de rĂ©cupĂ©rer les territoires perdus lors de la guerre civile russe), puis aprĂšs la victoire de 1945.

Tous ces faits seront caractĂ©risĂ©s par LĂ©on Trotski comme le « Thermidor » de la rĂ©volution russe (par comparaison avec la rĂ©action qui suivit la chute de Robespierre pendant la RĂ©volution française). La comparaison prĂ©sente toutefois certaines limites. En effet, l’ùre stalinienne se marque aussi par un retour, contre les paysans, aux mĂ©thodes du « communisme de guerre ». Et elle coĂŻncide avec un dĂ©chaĂźnement de terreur sans prĂ©cĂ©dent, lĂ  oĂč le Thermidor français mettait au contraire fin Ă  la Terreur. D’autre part, l’avĂšnement de Staline signifie aussi une relance spectaculaire de la transformation Ă©conomique en Russie, au point que l’on a pu parler de la « seconde rĂ©volution » de l’an 1930 : nationalisation intĂ©grale des terres, plan quinquennal sortant brusquement l’URSS de l’arriĂ©ration. Cela au lourd prix dissimulĂ© de millions de victimes, consĂ©quence de l'ambition totalitaire du pouvoir Ă©tatique.

Interprétations

Les causes de cette « dĂ©gĂ©nĂ©rescence » sont diversement expliquĂ©es. Pour les anarchistes, elle est due aux principes « autoritaires » du parti bolchevique. Pour d’autres, comme certains libĂ©raux, elle est inscrite dans les idĂ©es mĂȘmes de Karl Marx. Pour un certain nombre de marxistes non-bolcheviques, LĂ©nine a commis l’erreur fatale de vouloir dĂ©clencher une rĂ©volution ouvriĂšre dans un pays massivement paysan et a surestimĂ© les potentialitĂ©s rĂ©volutionnaires dans les pays occidentaux. Pour des communistes marxistes anti-lĂ©ninistes, comme les communistes de conseils, les bolcheviks ont d'emblĂ©e mis en place un capitalisme d'État et ont bafouĂ© les principes communistes et marxistes.

Commentant dĂšs l’époque les Ă©vĂ©nements d’Octobre et de la guerre civile, des marxistes comme le thĂ©oricien Karl Kautsky ou la rĂ©volutionnaire Rosa Luxemburg ont fait porter leurs critiques sur la nature du parti bolchevique et sur son organisation lĂ©niniste (que Trotski lui-mĂȘme avait dĂ©noncĂ© dĂšs 1904 comme un danger). À leurs yeux, l’assimilation abusive du parti au peuple, son mĂ©pris de la dĂ©mocratie, son culte de la violence l’amĂšnent Ă  faire de nĂ©cessitĂ© vertu et Ă  transformer la terreur et la dictature imposĂ©es par les circonstances en un systĂšme permanent. Le pouvoir du Parti sur le prolĂ©tariat se substitue ainsi durablement au pouvoir des soviets et de la classe ouvriĂšre. Ils pointent aussi que son caractĂšre hiĂ©rarchisĂ©, centralisĂ©, militarisĂ© et monolithique l’a amenĂ© fatalement Ă  concentrer tous ses pouvoirs dictatoriaux entre les mains d’un petit groupe au sommet (le Politburo, fondĂ© en 1917[147]) - et plus tard, entre les mains d’un seul homme. Cette analyse critique a Ă©tĂ© reprise dans les annĂ©es 1930 par un certain nombre d’anciens compagnons de route de la rĂ©volution d’Octobre, ainsi en France Pierre Monatte, Alfred Rosmer ou encore Boris Souvarine, pionnier de la critique du stalinisme[148].

Pour Trotski et les trotskistes, c’est dans la naissance de la bureaucratie, ainsi que dans l’isolement de la rĂ©volution dans un pays pauvre et peu dĂ©veloppĂ©, qu’il faut chercher la cause de la dictature totalitaire. On peut toutefois souligner que prĂ©cisĂ©ment, aucune rĂ©volution « marxiste » au XXe siĂšcle n’a jamais Ă©clatĂ© dans un pays riche et industriel, les seuls pays ayant Ă©tĂ© concernĂ©s Ă©taient agraires et en retard de dĂ©veloppement (la Chine, le ViĂȘt Nam, l’Éthiopie, le Mozambique, etc.). Par ailleurs, aucun des rĂ©gimes se rĂ©clamant d’une rĂ©volution communiste n’a Ă©vitĂ© de s’orienter rapidement vers la dictature policiĂšre et bureaucratique - ce qui peut en partie s’expliquer par la satellisation de la plupart des mouvements communistes arrivĂ©s au pouvoir par Moscou et Ă  l’influence de Staline et de l’URSS dans ces pays, tant aux plans militaire, qu’économique ou politique.

La Seconde Guerre mondiale fut suivie par la « guerre froide », opposant le Bloc de l'Est Ă  l’Occident (dans ce cas, les États-Unis surtout) dans une course Ă  l’armement qui n’aboutit jamais Ă  un conflit ouvert direct, avant la fin de l’URSS en 1991.

Notes et références

Notes

  1. On Ă©crit « la rĂ©volution russe », sans majuscule, conformĂ©ment Ă  une recommandation typographique appliquĂ©e aux Ă©vĂ©nements historiques et politiques ; dans ce cadre, le fait d’écrire « la RĂ©volution française » est une exception qui ne se gĂ©nĂ©ralise pas.
  2. Prononciation en russe retranscrite selon la norme API.

Références

  1. « La PremiÚre Guerre mondiale aggrave les facteurs de fragilité de la Russie. Les défaites précipitent la désagrégation du régime impérial. », Serge Berstein (dir.), GisÚle Berstein, Yves Gauthier, Pierre Milza (dir.) et al., Histoire du XXe siÚcle., t. 1 : 1900-1945 : la fin du monde européen, Paris, Hatier, coll. « Initial », , 555 p. (ISBN 978-2-401-00116-9, OCLC 1003320855), p. 88.
  2. Cette expression a Ă©tĂ© popularisĂ©e par l’historien britannique Eric Hobsbawm dans L’Âge des extrĂȘmes. Histoire du court XXe siĂšcle, 1914-1991, coĂ©dition Le Monde diplomatique - Éditions Complexe, 1999
  3. Eric Hobsbawm Ă©crit : « la rĂ©volution d'Octobre fut universellement reconnue comme un Ă©vĂ©nement qui Ă©branlait le monde » in L'Âge des extrĂȘmes, Complexe, 2003, p. 99.
  4. Pour une prĂ©sentation des dĂ©bats qui ont traversĂ© la soviĂ©tologie, voir Nicolas Werth, « Totalitarisme ou rĂ©visionnisme ? L’histoire soviĂ©tique, une histoire en chantier », Communisme, no 47/48, 1996, p. 57-70 et id., « Le stalinisme au pouvoir. Mise en perspective historiographique », 20 et 21 : Revue d'histoire, no 69, janvier-mars 2001, p. 125-135.
  5. Jean-Marie Albertini, Capitalismes et socialismes Ă  l'Ă©preuve, Paris, Les Éditions OuvriĂšres, , 304 p., p. 87
  6. Albertini 1976, p. 86
  7. Marc Ferro 1967, p. 36.
  8. René Girault et Marc Ferro, De la Russie à l'U.R.S.S : l'histoire de la Russie de 1850 à nos jours, Nathan,
  9. Marc Ferro 1967, p. 39.
  10. 3 593 dollars par habitant en Russie en 1913, 13 327 aux États-Unis.
  11. Richard Pipes 1993, p. 71.
  12. LĂ©on Trotski, « ParticularitĂ©s du dĂ©veloppement de la Russie », dans Histoire de la rĂ©volution russe. 1. FĂ©vrier, Paris, Éditions du Seuil, 1950, p. 39-52.
  13. François-Xavier Coquin, La Révolution russe, p. 14.
  14. Pour la dĂ©cennie des annĂ©es 1890, Richard Pipes rapporte que « la productivitĂ© industrielle russe s’est accrue de 126 %, le double du taux de croissance allemand et le triple de celui des États-Unis ». La RĂ©volution russe, op. cit., p. 72.
  15. Roger Portal, La Russie de 1894 Ă  1914, Paris, Centre de documentation universitaire, 1966, p. 78.
  16. Jusqu’en 1918, la Russie utilisait le calendrier julien, qui a 13 jours de retard sur le calendrier grĂ©gorien.
  17. Jean Elleinstein, D’une Russie à l’autre, vie et mort de l’URSS, Éditions Sociales, 1992, 68 p.
  18. Louis Aragon et AndrĂ© Maurois, Les Deux GĂ©ants. Histoire des États-Unis et de l’URSS de 1917 Ă  nos jours. Tome 3 : Histoire de l’URSS de 1917 Ă  1929. Tome 4 : Histoire de l’URSS De 1929 Ă  nos jours, Paris, Éditions du Pont Royal, 1963, p. 30.
  19. Marc Ferro, La Grande Guerre, 1914-1918, Gallimard, coll. « Idées », Paris, 1969, p. 318.
  20. Richard Pipes estime que « le nombre total des blessĂ©s et des morts [de la RĂ©volution de FĂ©vrier] se situait entre 1 300 et 1 450, dont 169 tuĂ©s ». La RĂ©volution russe, op. cit., p. 284.
  21. Michel Heller et Aleksandr Nekrich, L’Utopie au pouvoir. Histoire de l’URSS de 1917 Ă  nos jours, Calmann-LĂ©vy, coll. « LibertĂ© de l’esprit », Paris, 1985, p. 22.
  22. LĂ©nine, « ThĂšses d'avril », Pravda,‎ 7 (20) avril 1917 (lire en ligne).
  23. Marc Ferro, La RĂ©volution d’Octobre, L’HumanitĂ© en marche, Éd. du Burrin, 1972, p. 49.
  24. Eliane Gubin, Le siÚcle des féminismes, Editions de l'Atelier, , 463 p. (ISBN 978-2-7082-3729-2, lire en ligne)
  25. Marc Ferro, La RĂ©volution de 1917, Albin Michel, 1997, p. 94-95.
  26. Léo FiguÚres, Octobre 17. La révolution en débat, éditions Le Temps des cerises, Paris, 1995, p. 253.
  27. (ru) Đ±ĐŸĐ»ŃŒŃˆĐ”ĐČĐžĐș [bəlÊČʂɚˈvÊČik] litt. « majoritaire »
  28. Cette thÚse trouve son origine dans le discours des mencheviks russes et dans les analyses du théoricien marxiste allemand Karl Kautsky. Rosa Luxemburg 2007, p. 8-9.
  29. Marc Ferro, « Pourquoi FĂ©vrier ? Pourquoi Octobre? », in La RĂ©volution d’Octobre et le Mouvement ouvrier europĂ©en, EDI, Paris, 1967, p. 17.
  30. Richard Pipes, The Russian Revolution, https://books.google.fr/books?id=XtE54LuhFzEC&pg=PA411&redir_esc=y&hl=fr#v=onepage&q&f=false
  31. « Les thĂšses d’avril de LĂ©nine et la chute de Milioukov »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?) (consultĂ© le ), encyclopĂ©die Encarta.
  32. Marc Ferro (avec Jean Ellenstein), La RĂ©volution d’Octobre, L’HumanitĂ© en Marche, Éd. des Burins, 1972.
  33. John Keegan, La Grande Guerre, Perrin, 1989.
  34. John Keegan, La Grande Guerre, op. cit., et Marc Ferro, Nazisme et communisme : deux régimes dans le siÚcle, Hachette littératures, coll. « Pluriel », , 278 p. (ISBN 978-2-012-78961-6, 978-2-012-78961-6 et 2-012-79268-5, OCLC 316823358), p. 16. Cependant, selon Robert O. Paxton, « si le général Kornilov avait réussi dans son entreprise, l'issue la plus probable aurait été une simple dictature militaire, car la démocratie était en Russie un concept encore trop neuf pour fournir la mobilisation de masse contre-révolutionnaire caractéristique d'une réaction fasciste. », Le fascisme en action, Seuil, p. 196.
  35. Jean-Jacques Marie, La Guerre civile russe, p. 17.
  36. « Partage noir » est le nom d'une organisation contestataire populiste anti-tsariste née en 1879, au moment de la scission avec l'organisation terroriste Narodnaïa Volia.
  37. Léon Trotsky, « Marée montante », dans son Histoire de la révolution russe.
  38. Michel Heller et Aleksandr Nekrich, L’Utopie au pouvoir, op. cit., p. 25. Marc Ferro, d’aprĂšs le compte rendu des dĂ©bats, prĂ©cise qu’en « revendiquant le pouvoir pour son parti, trĂšs minoritaire, LĂ©nine ne provoqua pas l’indignation des dĂ©putĂ©s mais un immense Ă©clat de rire » ». La RĂ©volution de 1917, op. cit., p. 473.
  39. 1917, documentaire diffusé sur Arte le 7 novembre 2007.
  40. Richard Pipes 1993, p. 457.
  41. Richard Pipes 1993, p. 463-464.
  42. Marc Ferro ajoute qu'il ne faudrait pas « accorder trop de foi ou de signification à ces chiffres ». La Révolution de 1917, op. cit., p. 849.
  43. Jean-Jacques Marie, LĂ©nine, Paris, Balland, 2004, p. 215.
  44. Jean-Jacques Marie, LĂ©nine, p. 217.
  45. Cité par Marc Ferro, La Révolution de 1917, op. cit., p. 851.
  46. LĂ©nine, ƒuvres complĂštes, tome 35, p. 36.
  47. Voir Michael Löwy, « La rĂ©volution d’Octobre et la question nationale : LĂ©nine contre Staline », Critique communiste, no 150, automne 1997.
  48. « Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolĂ©tariat. » Engels, prĂ©face Ă  La Guerre civile en France de Karl Marx, citĂ© par Kostas PapaĂŻoannou dans Marx et les marxistes, Flammarion, 1972, p. 223.
  49. Marc Ferro, La RĂ©volution de 1917, op. cit., p. 307.
  50. Titre d’un chapitre d’HĂ©lĂšne CarrĂšre d'Encausse, LĂ©nine, Fayard, 1997.
  51. Alessandro Mongili, Staline et le stalinisme, Casterman, 1995.
  52. Léon Trotski, Ma vie, Gallimard, coll. « Folio », Paris, 2004, p. 403-408.
  53. Rosa Luxemburg 2007, p. 15.
  54. Marc Ferro (avec Jean Elleinstein), La RĂ©volution d’Octobre, L’HumanitĂ© en Marche, Éd. du Burin, 1972, p. 95.
  55. Nicolas Werth, « Paradoxes et malentendus d’Octobre », in Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 1997, p. 49-51.
  56. Léon Trotsky, Histoire de la révolution Russe (lire en ligne), Congrés de Smolny
  57. Nicolas Werth, L’URSS de LĂ©nine Ă  Staline, coll. « Que sais-je ? », 1998, p. 17.
  58. Nicolas Werth commente : « Étant donnĂ© le retard Ă©conomique de la Russie, le passage Ă©conomique au communisme ne se fera pas, contrairement aux prĂ©visions de Marx, par le "dĂ©pĂ©rissement" de l’État, mais au contraire, par le contrĂŽle Ă©tatique sur toutes les sphĂšres de l’économie. » Histoire de l’Union soviĂ©tique de LĂ©nine Ă  Staline, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1998, p. 17. Il ajoute que les Bolcheviks n’avaient pas de programme Ă©conomique prĂ©cis, s’inspirant dĂšs lors de l’exemple allemand, et que dans l’état oĂč ils trouvent l’industrie, l’autogestion eĂ»t Ă©tĂ© catastrophique.
  59. Boris Souvarine, Staline. Aperçu historique du bolchevisme, Plon, 1935, sur les premiers jours du régime.
  60. Nicolas Werth, Histoire de l’Union soviĂ©tique de LĂ©nine Ă  Staline (1917-1953), op. cit., p. 18.
  61. Jean-Jacques Marie, La Guerre civile russe, p. 19.
  62. Novaïa Jizn', 7 décembre 1917.
  63. Selon Marc Ferro, La RĂ©volution de 1917, 1967, p. 863. Parmi eux, la Retch [La Parole], organe central du parti des cadets (qui continue Ă  paraĂźtre sous d’autres titres jusqu'en juillet 1918) ; Dien [le Jour], quotidien de tendance libĂ©rale-bourgeoise financĂ© par les banques ; Birjovka ou BirjĂ©vyiĂ© ViĂ©domosti [La Gazette de la Bourse], journal bourgeois fondĂ© en 1880 dans des buts commerciaux. Selon Nicolas Werth, certains seraient des journaux socialistes, ce que contestent Marc Ferro et Victor Serge. Dans La RĂ©volution russe, op. cit., Richard Pipes qualifie Dien de journal menchevique et parle en outre de l'interdiction de Nache obsheie delo, « entiĂšrement antibolchevique » et de Novoie Vremia, « de droite » (p. 479). Il ajoute que « la plupart des quotidiens interdits reparurent trĂšs vite sous des noms diffĂ©rents ».
  64. PensĂ©es intempestives, Maxime Gorki, Éditions l'Âge d'homme, Lausanne, 1975.
  65. « Par le passĂ© [
] LĂ©nine s’était fait alors le chantre de la libertĂ© de la presse [
] moins de trois mois plus tard, il oublie ce texte intitulĂ© "Comment assurer le succĂšs de l’AssemblĂ©e constituante ?". Une fois le pouvoir acquis, il est devenu hostile et Ă  la presse libre, et Ă  la Constituante ». HĂ©lĂšne CarrĂšre d'Encausse, LĂ©nine, Fayard, 1998, p. 350. LĂ©nine rĂ©pond ainsi le 7 novembre aux SR de gauche qui protestent contre l’interdiction de journaux bourgeois : « N'avait-on pas interdit les journaux tsaristes aprĂšs le renversement du tsarisme ? ».
  66. Iouri Larine propose ainsi au comitĂ© exĂ©cutif central une motion rĂ©clamant l’abolition des mesures contre la libertĂ© de la presse, motion qui n’est rejetĂ©e qu’à deux voix prĂšs.
  67. Marc Ferro, La RĂ©volution de 1917, 1967, p. 863.
  68. Le dĂ©cret sur l'arrestation des chefs de la guerre civile contre la rĂ©volution (Pravda, no 23, 12 dĂ©cembre (29 novembre) 1917) dĂ©clare que « Les membres des organismes dirigeants du parti cadet sont passibles d'ĂȘtre arrĂȘtĂ©s et dĂ©fĂ©rĂ©s devant les tribunaux rĂ©volutionnaires ».
  69. Arno Mayer 2002, p. 215-219 : « S'il n'y avait pas eu de "preuves" d'une résistance implacable juste aprÚs la prise du pouvoir, les bolcheviques auraient trÚs probablement renoncé à la terreur (...) En novembre 1918 encore, alors que le clivage ami-ennemi était consommé, Lénine prétendait non sans raison que "nous procédons à des arrestations mais que nous ne recourons pas à la terreur" notamment contre des frÚres ennemis. ». Voir aussi Pierre Broué, « Les débuts du régime soviétique et la paix de Brest-Litovsk », dans Le Parti bolchevique ; ou Edward Hallett Carr, La Révolution russe.
  70. Nicolas Werth, L'URSS de LĂ©nine Ă  Staline, Que sais-je ?, 1995, p. 8.
  71. (en) Isaac Steinberg, In the Workshop of the Revolution, Rinehart, 1955, p. 145.
  72. Dans La Terreur sous LĂ©nine, Le Livre de Poche, 1998.
  73. La Vérité, 26 janvier 1918.
  74. Le Journal du peuple, 24 janvier 1918.
  75. Martin Malia, La TragĂ©die soviĂ©tique. Histoire du socialisme en Russie, 1917-1991, Seuil, p. 158. De mĂȘme selon Moshe Lewin, « les forces qui avaient soutenu le gouvernement provisoire n'Ă©taient pas davantage capable de produire une Ă©quipe dirigeante en janvier 1918 qu'elles ne l'avaient Ă©tĂ© en septembre 1917. », Le SiĂšcle soviĂ©tique, Fayard, p. 359.
  76. Nicolas Werth, Histoire de l'URSS de LĂ©nine Ă  Staline, op. cit., 1998.
  77. Nicolas Werth, in Le Livre Noir du Communisme, Robert Laffont, p. 95.
  78. Nicolas Werth, « Un État contre son peuple », in Le Livre noir du communisme, op. cit., p. 106.
  79. Marc Ferro, Les tabous de l'Histoire, 2005.
  80. G. Kostyrtchenko, La politique secrÚte de Staline : pouvoir et antisémitisme, Moscou, Relations internationales, 2001, p. 56.
  81. Martine Acerra, Jean Meyer, Histoire de la marine française, éditions Ouest-France, 1994, p. 331 à 338.
  82. Orlando Figes, La révolution russe. La tragédie d'un peuple, Robert Laffont, 2007, p. 708
  83. Cf. notamment Pierre Lorrain, La fin tragique des Romanov, Éditions Bartillat, Paris, 2005
  84. George Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Hachette, Pluriel.
  85. Voline, La RĂ©volution inconnue. Russie 1917-1921, Belfond, 1986.
  86. v, The Cheka: Lenin's Political Police, Oxford Clarendon Press, 1981.
  87. Lettre du 13 novembre 1937, recueillie dans Maria Spiridonova, terroriste et victime de la Terreur, V. L. Lavrov, 1996 (lettre reproduite dans Les cahiers du mouvement ouvrier, no 3, p. 89-92). Maria Spiridonova consacre l'essentiel de sa lettre à dénoncer les sévices subit dans la prison d'Ourfa de 1936 à1937, en notant le « changement complet » que constituait sur ce point son internement vis-à-vis de sa précédente détention au début des années 1920.
  88. L'anarchiste Voline tĂ©moigne dans La RĂ©volution inconnue (Belfand, 1986, p. 593) du procĂšs d'un prĂȘtre ukrainien reconnu dĂ©lateur par la communautĂ© villageoise.
  89. Jean-Jacques Marie, De l'inventeur du “dĂ©cret des otages”.
  90. Peter Holquist, op. cit., p. 191.
  91. Cité par Peter Holquist, op. cit., p. 193.
  92. Orlando Figes, La RĂ©volution russe. 1891-1924 : la tragĂ©die d'un peuple, Éditions DenoĂ«l, 2007, p. 713-714.
  93. Larousse de la Grande Guerre, 2007, dir. par Alain Cabanes, p. 326. Vladimir Nabokov, ancien ministre de la Justice et pĂšre de l'Ă©crivain, est un des maĂźtres-d'Ɠuvre de la tentative.
  94. Selon l'anarchiste Voline, participant actif de la Makhnovchtchina, in La RĂ©volution inconnue, op. cit., p. 580 : « Tous ceux que l'on savait ĂȘtre des ennemis actifs de la paysannerie et des ouvriers Ă©taient vouĂ©s Ă  la mort. De gros propriĂ©taires fonciers et des koulaks pĂ©rirent en grand nombre. » Il dĂ©crit ensuite (p. 593) la traque, le procĂšs populaire et l'exĂ©cution d'un prĂȘtre convaincu au tĂ©moignage des villageois d'avoir dĂ©noncĂ© plusieurs dizaines de personnes aux Blancs, qui les avaient fusillĂ©s.
  95. En Ukraine, des pogroms dont l’Occident se lavait les mains, Le Monde diplomatique, dĂ©cembre 2019
  96. Sabine Dullin, Histoire de l'URSS, La Découverte, coll. « RepÚres, » p. 8.
  97. Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, Julliard, 1980, introduction.
  98. Nicolas Werth, « Un État contre son peuple », op. cit., p. 95.
  99. Par exemple Peter Kenez, The ideology of the White Movement, in Soviet Studies, 1980, p. 58-83 ; Civil War in South Russia, 1919-1920 : The Defeat of the Whites, 1977. Voir aussi Moshe Lewin, « The Civil War », in Party, State and Society, p. 399-423.
  100. Le SiĂšcle des communismes, Éditions de l'Atelier, « Points Seuil », 2004, p. 190-191.
  101. Cité par Jean-Jacques Marie, La Guerre civile russe, p. 88.
  102. Peter Kenez, Civil war in South Russia, 1919-1920, p. 173-174.
  103. Robert O. Paxton, Le fascisme en action, Seuil, 2004, p. 49.
  104. MiklĂłs Molnar, Histoire de la Hongrie, Hatier, 1996, p. 339
  105. Le seul ordre de campagne publiĂ© par Ungern, qui accordait une valeur mystique aux nombres. Voir LĂ©onid YouzĂ©fovitch, Le baron Ungern, Khan des steppes, Éd. des Syrtes p. 223-227.
  106. Léonid Youzévofitch, ibid, p. 224.
  107. « Lorsqu'ils [les insurgĂ©s] capturent des soldats de l'ArmĂ©e rouge, ils sĂ©parent les communistes des autres et laissent les premiers nus dehors, dans le froid, jusqu'Ă  ce qu'ils meurent gelĂ©s [
]. Quant aux hommes des dĂ©tachements de rĂ©quisition capturĂ©s, les paysans leur dĂ©coupent le ventre, leur arrachent les intestins, leur remplissent le ventre de paille ou de foin et plantent sur la victime un Ă©criteau proclamant « rĂ©quisition terminĂ©e ! ». », Jean-Jacques Marie, La Guerre civile russe, p. 200.
  108. Nicolas Werth, « Un État contre son peuple », in Le Livre Noir du Communisme, Robert Laffont, 1997.
  109. Selon Sabine Dullin, Histoire de l'URSS, op. cit., 3700 affiches sont ainsi créées pendant la guerre civile.
  110. Selon Nicolas Werth, Histoire de l'URSS de Lénine à Staline, op. cit., la moitié du ravitaillement urbain en 1920 est assurée par le marché noir.
  111. Voline, Cronstadt (1921), La Révolution inconnue, Livre troisiÚme : Les luttes pour la véritable révolution sociale (1918-1921), 1947, lire en ligne.
  112. Ida Mett, La Commune de Kronstadt, crépuscule sanglant des soviets, éditions Spartacus, 1977, troisiÚme partie, [lire en ligne].
  113. « À la fin de l'annĂ©e 1920, le gouvernement bolchevique autorise l'avortement. La mĂȘme annĂ©e, la France renforce sa rĂ©pression et criminalise l'avortement. », Alain Blum, Naitre, vivre et mourir en URSS, Payot, Paris, 2004, p. 173.
  114. Dan Healey, Homosexual Desire in Revolutionary Russia The Regulation of Sexual and Gender Dissent, Chicago, Londres : The University of Chicago Press, 2001, 392 p. Voir la recension de l'ouvrage dans les Cahiers du monde russe.
  115. Voir Radu Clit, La SexualitĂ© collective : de la rĂ©volution bolchevique Ă  nos jours, Paris, Éditions du Cygne, 2007.
  116. Marc Ferro, « Octobre, tournant dans l'histoire de l'émancipation de la femme », dans La Révolution de 1917, p. 354-355.
  117. « La rĂ©volution d'Octobre et les droits des femmes », Lava Media,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  118. AndrĂ© Morizet, Chez LĂ©nine et Trotsky, Édition La Renaissance du Livre, 1919. Voir aussi reproduction du tĂ©moignage dans Les Cahiers du CERMTRI, no 92.
  119. André Morizet, op. cit.
  120. Sous le tsarisme, deux écoles seulement formaient des instituteurs non russes. Leur nombre est passé à vingt-sept en 1920. André Morizet, op. cit.
  121. Voir « La culture et l'art au lendemain de la révolution d'octobre 1917 », in Les Cahiers du mouvement ouvrier, no 37, premier trimestre 2008.
  122. « L'art n'est pas un domaine oĂč le Parti est appelĂ© Ă  commander. Il protĂšge, stimule, ne dirige qu'indirectement. Il accorde sa confiance aux groupes qui aspirent sincĂšrement Ă  se rapprocher de la rĂ©volution et encourage ainsi leur production artistique. Il ne peut pas se placer sur les positions d'un cercle littĂ©raire. Il ne le peut pas, et il ne le doit pas. », LĂ©on Trostky, La politique du parti en art, 1924.
  123. Jean-Michel Palmier, « Histoire de l'art et marxisme », in Esthétique et marxisme, UGE-10/18, 1974.
  124. Jean-Michel Palmier in Sur l'art et la littérature, recueil de textes de Lénine, volume 3, UGE-10/18, 1976, p. 245.
  125. Jean-Michel Palmier in Sur l'art et la littérature, recueil de textes de Lénine, volume 1, UGE-10/18, p. 81.
  126. Anatole Kopp, « Avant-garde », in Art Russe, Encyclopaedia Universalis éditeur, 1977, p. 530.
  127. Le poÚte Kirinov, membre du Proletkoult, proclame : « Au nom de notre avenir, nous brûlerons Raphaël, nous détruirons les musées et nous piétinerons les fleurs de l'art. »
  128. Léon Trostky polémique notamment contre les membres du Proletkoult, voir La politique du parti en art, 1924.
  129. Nicolas Werth, coll. « Que sais-je ? », op. cit., p. 22.
  130. A.G. Volkov, cité par Jean-Jacques Marie, La Guerre civile russe, p. 6.
  131. Albertini 1976, p. 116
  132. Albertini 1976, p. 116, 117
  133. Albertini 1976, p. 117
  134. Sabine Dullin, Histoire de l'URSS, op. cit., p. 19, mentionne que 40 % de la population des deux capitales est employée dans les bureaux en 1920.
  135. Sabine Dullin, Histoire de l'URSS, op. cit., p. 19, montre que le nouvel « État ouvrier » se construit paradoxalement avec des bureaucrates d'origine intellectuelle, employĂ©e ou petite-bourgeoise. La petite-bourgeoisie reprĂ©sente ainsi 57 % des exĂ©cutifs des soviets de province.
  136. Marc Ferro, Des Soviets au communisme bureaucratique, Julliard, 1980.
  137. Voir notamment Nicolas Werth, « Un État contre son peuple », dans Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 1997.
  138. Arno Mayer 2002, p. 86. Ainsi selon l'auteur : « La Terreur est interactive, et l'on peut affirmer sans risque que dans le sillage des révoltes de 1789 et de 1917, il n'y aurait pas eu de terreur si la résistance intérieure et extérieure ne s'était montrée aussi opiniùtre et aussi intransigeante ».
  139. Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique. Les mécanismes d'une subversion, op. cit., passim.
  140. « Dans une phase supĂ©rieure de la sociĂ©tĂ© communiste, quand auront disparu l'asservissante subordination des individus Ă  la division du travail et, avec elle, l'opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel [...], alors seulement l'horizon bornĂ© du droit bourgeois pourra ĂȘtre dĂ©finitivement dĂ©passĂ© et la sociĂ©tĂ© pourra Ă©crire sur ses drapeaux « De chacun selon ses capacitĂ©s, Ă  chacun selon ses besoins ! » », Karl Marx, Critique du programme de Gotha, 1875.
  141. Marc Ferro, L'Occident devant la révolution russe, 1969.
  142. Jacques Bainville, « Journées révolutionnaires à Pétrograd », dans L'Action française, 17 mars 1917.
  143. Cité par Chronique du XXe siÚcle, Ed. Chroniques, « Le tsar abdique face à la révolution de Février », p. 221.
  144. Pierre Broué, Histoire de la IIIe Internationale, Fayard, 1999.
  145. L'importance de la mémoire de la Révolution française dans l'accueil et l'interprétation de 1917 a été soulignée par le livre de François Furet, Le passé d'une illusion : essai sur l'idée communiste au XXe siÚcle, Paris, Librairie générale française, coll. « Livre de poche » (no 14018), , 824 p. (ISBN 978-2-253-14018-4, OCLC 416223141).
  146. Nicolas Werth, « Que reste-t-il de la rĂ©volution d'Octobre ? », L'HumanitĂ©,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  147. (en) « USSR: Communist Party: 1917-1952 (Politburo) », sur www.archontology.org (consulté le )
  148. Boris Souvarine, Staline. Aperçu historique du bolchevisme, Plon, 1935, toujours rĂ©Ă©ditĂ© et utilisĂ©, reprend explicitement en bonne part les thĂšses du jeune Trotsky, de Karl Kautsky et de Rosa Luxembourg pour dĂ©crire les continuitĂ©s entre le bolchevisme d’avant 1917, celui de la rĂ©volution et de la guerre civile, et l’ùre stalinienne.

Annexe

Articles connexes

Les différents partis

Les Internationales

Bibliographie

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