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Mutineries de la mer Noire

Les mutineries de la mer Noire sont une sĂ©rie de rĂ©voltes survenues dans les troupes terrestres et les bĂątiments français de l’escadre de la mer Noire en 1919, alors que le gouvernement français soutient les forces russes « blanches » (tsaristes) contre les rĂ©volutionnaires « rouges » (bolcheviques) pendant la guerre civile russe. L’intervention française, menĂ©e avec de trop faibles moyens navals et terrestres dans un pays hostile, est un Ă©chec qui n’est pas dĂ» aux mutineries, ces derniĂšres n'intervenant qu'aprĂšs la dĂ©cision de mettre un terme aux opĂ©rations militaires. AprĂšs le retour de l’expĂ©dition, les mutineries reprennent et touchent presque tous les ports oĂč stationnent des navires de guerre : Ă  Brest, Cherbourg, Bizerte, Lorient et Toulon avant de se terminer par une ultime mutinerie en MĂ©diterranĂ©e orientale.

Une centaine de marins sont condamnĂ©s par les tribunaux militaires, mais assez rapidement amnistiĂ©s. Ces Ă©vĂ©nements sont par la suite rĂ©cupĂ©rĂ©s par le Parti communiste français, car plusieurs de ses membres y ont participĂ© et revendiquent un rĂŽle majeur dans l’organisation des mutineries. Ces troubles sont aujourd’hui analysĂ©s et compris dans le contexte de la vague rĂ©volutionnaire qui frappe l’Europe Ă  la fin de la PremiĂšre Guerre mondiale Ă  la suite de l'Ă©puisement des belligĂ©rants et aux espoirs mis par une partie de l’opinion dans la rĂ©volution russe de 1917. L’enquĂȘte qui suit contribue Ă  faire prendre conscience au pouvoir politique de l’état de dĂ©labrement de la Marine au lendemain de la PremiĂšre Guerre mondiale et de la nĂ©cessitĂ© d’engager les rĂ©formes qui vont permettre le renouveau de la flotte française dans les annĂ©es 1920-1930.

Le contexte : l’épuisement gĂ©nĂ©ral Ă  la fin de la PremiĂšre Guerre mondiale

Les zones tenues par les Bolcheviques en 1919 (en gris) et les interventions alliées pour soutenir les contre-révolutionnaires.
Clemenceau est un adversaire dĂ©terminĂ© de la rĂ©volution bolchevique et dĂ©cide Ă  la fin de 1918 de lancer une expĂ©dition contre celle-ci en s’appuyant sur l’armĂ©e d’Orient.

Les grandes mutineries ont Ă©tĂ© nombreuses dans l’histoire de presque toutes les grandes marines (mutineries rĂ©volutionnaires en France de 1789 Ă  1793, mutinerie de la Royal Navy en 1797, mutinerie de deux vaisseaux russes Ă  SĂ©bastopol en 1782
)[1]. La fin de la guerre de 1914-1918 est marquĂ©e par trois mutineries de taille : l’allemande des 29 et 30 octobre 1918, qui participe Ă  l’effondrement du IIe Reich, la russe, prĂ©-annoncĂ©e dĂšs 1905 par l’affaire du cuirassĂ© Potemkine, qui ne dĂ©bute cependant pas dans la marine, celle-ci apportant le soutien du croiseur Aurore ; la française enfin, qui prĂ©sente la particularitĂ© de se dĂ©rouler en deux Ă©tapes, plusieurs mois aprĂšs la victoire[1].

Ces mutineries prĂ©sentent des causes communes et multiples : la lassitude d’une guerre interminable, la frustration de la marine de surface vouĂ©e Ă  des rĂŽles peu glorieux, le mauvais ravitaillement, les longs et interminables sĂ©jours en rade des gros bĂątiments, facteurs de dĂ©sorganisation, d’ennui et de dĂ©sƓuvrement[1]. À cela s’additionnent et se combinent un hiver rude et une surcharge de travail dans une discipline draconienne alors que, l’Armistice signĂ©, tout le monde a espoir de rentrer rapidement dans ses foyers[2]. Il y a, pourtant, des diffĂ©rences : si la Marine allemande se mutine en contre des ordres qui imposent, pour l’honneur, une sortie Ă©quivalente Ă  une forme de suicide collectif, ce n’est pas le cas de la Marine française qui figure, elle, dans le camp des vainqueurs[1]. Autre particularitĂ© : les mutineries Ă©clatent sur des cuirassĂ©s dont les campagnes ont Ă©tĂ© particuliĂšrement courtes : 43 jours pour le France, 44 pour le Jean-Bart, 52 pour le Vergniaud, alors que des unitĂ©s peu touchĂ©es comme le Justice et le Mirabeau ont Ă  leur actif 131 et 127 jours de campagne[2].

Les projets de Clemenceau contre les Bolcheviques

La mer Noire. La flotte française dĂ©barque en CrimĂ©e et dans le sud de l’Ukraine, mais les moyens sont trĂšs insuffisants et les Ă©quipages Ă©puisĂ©s.

À l’automne 1918, les puissances centrales s’écroulent. L’historiographie française ne retient souvent que la date du comme marqueur de la victoire, car l’Est de la France constitue le front principal[3]. C’est oublier que la guerre est mondiale et que les AlliĂ©s sont victorieux sur les autres fronts avant de voir l’Allemagne contrainte de demander l’armistice. Dans les Balkans, l’armĂ©e d’Orient, sous les ordres de Franchet d’Esperey, Ă©tait passĂ©e Ă  l’offensive victorieusement le . Le , la Bulgarie, vaincue, signait l’armistice, ce qui permettait d’envisager une offensive double vers l’Autriche-Hongrie ou vers la Roumanie pour couper le ravitaillement en pĂ©trole Ă  l’Allemagne, voire d’aller attaquer Constantinople[4]. En Orient, sous la pression de l’armĂ©e britannique d’Allenby, le front turc Ă©tait enfoncĂ©. Le 1er octobre, Damas Ă©tait prise. Le , la Turquie signait l’armistice Ă  Moudros[4]. Le , l’escadre alliĂ©e (dont 5 cuirassĂ©s français) entrait triomphalement dans les Dardanelles, mouillait devant Constantinople[1] et occupait les forts du Bosphore[5]. Entre-temps, l’Autriche-Hongrie, en pleine implosion, avait signĂ© l’armistice le , un peu plus d’une semaine avant l’Allemagne[4]. La dĂ©faite des Empires centraux pose de facto une nouvelle question : que faire de la Russie en pleine rĂ©volution[1] ?

Les puissances alliĂ©es considĂšrent aussitĂŽt les Bolcheviques comme les nouveaux adversaires Ă  abattre[1]. La paix de Brest-Litovsk, en , entre le gouvernement de LĂ©nine et celui de Guillaume II, a sonnĂ© aux oreilles des AlliĂ©s comme une vĂ©ritable trahison qui a failli leur coĂ»ter la guerre en libĂ©rant les troupes allemandes du front de l’Est pour prendre l’offensive Ă  l’Ouest (de mars Ă  )[6]. Le massacre de la famille impĂ©riale, la violence de la guerre civile, font considĂ©rer les communistes comme des barbares, mĂȘme si leurs adversaires ne se sont pas toujours comportĂ©s mieux[7]. DĂšs le , donc quinze jours avant l’armistice, et jusqu’au , Clemenceau donne une sĂ©rie d’ordres qui aboutissent Ă  l’intervention directe de la France en Russie du sud[1]. La dĂ©cision d'intervention est prise sans consulter les AlliĂ©s, notamment britannique, avec qui une sourde rivalitĂ© s’est installĂ©e en Orient depuis la victoire contre les Turcs : le Royaume-Uni a ainsi Ă©cartĂ© l’amiral Gauchet des nĂ©gociations menant Ă  l’armistice avec la Turquie Ă  Moudros. La guerre Ă  peine achevĂ©e, la traditionnelle rivalitĂ© franco-britannique reprend le dessus[7].

NĂ©anmoins, la volontĂ© d’intervenir en Russie pour contenir ou anĂ©antir la rĂ©volution bolchevique n’est pas spĂ©cifiquement française : la plupart des grandes puissances partagent cette politique[8]. Les AlliĂ©s dĂ©barquent en Russie septentrionale, Ă  Mourmansk puis Arkhangelsk. Les Britanniques s’activent dans la Baltique[9] et sont aussi fortement prĂ©sents en mer Noire. Les Turcs pĂ©nĂštrent dans le Caucase, les AmĂ©ricains et les Japonais occupent Vladivostok[10]. Ces interventions sont cependant assez prudentes, car les contingents dĂ©barquĂ©s sont limitĂ©s et on se contente d’apporter un soutien aux armĂ©es blanches contre-rĂ©volutionnaires qui cernent de tous cĂŽtĂ©s les rĂ©gions tenues par les Bolcheviques. Le « Tigre » veut aller plus loin, et conçoit une gigantesque opĂ©ration de soutien indirect aux armĂ©es blanches[2]. Le plan prĂ©voit d’occuper les grands ports du Sud, puis de pĂ©nĂ©trer Ă  l’intĂ©rieur du pays avec mainmise sur le bassin charbonnier du Donetz[11]. Clemenceau veut aussi envoyer des techniciens ayant pour mission de « contribuer Ă  la reconstruction Ă©conomique du pays en Ă©tendant son action dans le domaine industriel et commercial. »[12] Cette opĂ©ration d’envergure doit mobiliser, outre la IIe escadre du vice-amiral Amet, des divisions prises sur l’armĂ©e d’Orient[1]. Il est prĂ©vu aussi de s’appuyer sur les 500 000 soldats allemands qui stationnent en Ukraine depuis la paix de Brest-Litovsk pour maintenir l’ordre en attendant l’arrivĂ©e des troupes françaises[13]. Mais rien ne va se passer comme voulu par l’entreprenant PrĂ©sident du Conseil.

Une intervention mal préparée et qui manque de moyens

Des effectifs qui fondent avec la démobilisation

L’opĂ©ration nĂ©cessite de gros moyens logistiques. Or ceux-ci sont immĂ©diatement insuffisants. La dĂ©mobilisation de la flotte de commerce a commencĂ©, ce qui prive la marine de guerre de transports de troupes[1]. Les amiraux sont obligĂ©s de se « dĂ©brouiller » en mettant en service des navires de commerce russes dans la mer Noire, soit quelque 125 000 tonnes[1]. Navires qu’il faut armer avec des hommes prĂ©levĂ©s sur les bĂątiments de combat[1]. Ceux-ci se retrouvent, Ă  certains moments, avec Ă  peine les deux tiers de leurs effectifs rĂ©glementaires[1]. L’hiver 1918-1919, trĂšs froid dans les Balkans, Ă©prouve aussi beaucoup les Ă©quipages car les navires français, conçus pour la MĂ©diterranĂ©e, sont particuliĂšrement mal prĂ©parĂ©s[1]. Le vice-amiral Amet se voit obliger de quĂ©mander le soutien logistique du train d’escadre britannique, tout particuliĂšrement pour le charbon[1].

À bien des Ă©gards, la politique d’intervention de Clemenceau relĂšve d’un coup de tĂȘte[1]. Celui-ci repose sur nombre d’a priori, les uns idĂ©ologiques (dĂ©truire le Bolchevisme), les autres dus au manque d’informations. Car la dĂ©faillance des services de renseignement français sur la Russie est Ă  peu prĂšs totale[1]. On pense Ă  Paris que la population locale va faire bon accueil aux forces françaises, sans avoir pris la mesure de son ressentiment aprĂšs quatre ans de blocus. Clemenceau dĂ©teste les Turcs et mĂšne une politique pro-hellĂ©nique[1]. Il est cependant trĂšs difficile d’intervenir en mer Noire sans leur soutien. L’amiral de Bon, prĂ©sent sur place pour surveiller les clauses de l’armistice avec la Turquie, et fin observateur politique, prĂŽne l’entente avec les dirigeants turcs mais ne parvient pas Ă  convaincre le gouvernement français[14]. Franchet d’Esperey incite Ă  la prudence. Il fait remarquer que ses soldats sont fiers de leur victoire dans les Balkans, mais ne sont absolument pas enthousiastes Ă  l’idĂ©e de poursuivre la guerre jusqu’en Ukraine et il redoute – dĂ©jĂ  – une contamination du contingent par les idĂ©es bolcheviques[15]. Quant aux troupes coloniales, nombreuses dans l’armĂ©e d’Orient, elles ne sont pas adaptĂ©es au rigoureux climat russe[15].

La France se retrouve donc seule avec quelques troupes grecques, la GrĂšce escomptant de ce service l’approbation de l’annexion de la Thrace et d’une partie de la MacĂ©doine[1]. Quant aux forces françaises envisagĂ©es, leur taille ne cesse de se rĂ©duire avec la dĂ©mobilisation : sur les douze divisions prĂ©vues au dĂ©part, seules trois, puis deux sont rĂ©ellement disponibles[16]. Encore faut-il pouvoir les dĂ©placer autrement qu’au compte-gouttes, faute de navires de transport[1]. L’improvisation est telle que le commandement se disperse entre Paris, AthĂšnes, la Roumanie, l’amiral et divers centres diplomatiques[1]. Ordres et contre-ordres se succĂšdent[1], sur fond de vives rivalitĂ©s personnelles entre Terre et Mer[2]. Franchet d’Esperey, par exemple, prendra des initiatives d’évacuation sans demander conseil au vice-amiral Amet[1]. Loin de tout, l’escadre reste parfois des semaines sans ordres prĂ©cis. « L’Historien est bien en mal de dire qui a rĂ©ellement commandĂ© Ă  certains moments donnĂ©s » (Martine Acerra, Jean Meyer)[1].

Une série de débarquements précaires

Le vice-amiral Amet commande l'escadre française en mer Noire et déploie beaucoup d'efforts pour tenter de se maintenir dans les ports ukrainiens conquis.
Les offensives de l’Ataman Grigoriev en mars 1919 forcent les Français, trop peu nombreux, à abandonner leurs positions.
Le gĂ©nĂ©ral Franchet D’Esperey prend acte de l’échec de l’intervention et recommande sa « liquidation ».

Des troupes peu nombreuses et démoralisées

C’est dans ces conditions que les Français, qui ne sont qu’une poignĂ©e, dĂ©barquent Ă  Odessa le , puis Ă  SĂ©bastopol le 26[2]. Une escadre britannique participe aussi Ă  l’intervention, ainsi que quelques troupes polonaises, tchĂšques et roumaines, ce qui permet de lui donner maintenant une coloration plus « alliĂ©e »[17]. Il faut attendre janvier pour occuper Kherson, et ce n’est que le 31 que NikolaĂŻev (centre de construction navale russe), et Kertch sont atteints. PremiĂšre surprise dĂ©sagrĂ©able : la population locale, touchĂ©e dans sa susceptibilitĂ© nationale et travaillĂ©e par une active propagande communiste, se rĂ©vĂšle d’emblĂ©e hostile[2]. La population portuaire, en proie Ă  la plus vive misĂšre, accuse le blocus alliĂ© d’avoir stoppĂ© l’activitĂ© industrielle et le commerce[18]. Elle boycotte les navires français, ce qui oblige les Ă©quipages Ă  se surcharger du travail de soutage et Ă  se transformer en dockers en plus de leur tĂąche ordinaire[1]. DeuxiĂšme surprise : les 500 000 soldats allemands que l’on pensait trouver pour assurer l’ordre dans les immensitĂ©s ukrainiennes se sont volatilisĂ©s avec la signature de l’armistice. Tous sont rentrĂ©s spontanĂ©ment pour retrouver leurs familles[2], ne laissant derriĂšre eux que quelques milliers de traĂźnards sans valeur militaire[19]. Ils ont aussi abandonnĂ© de grandes quantitĂ©s de matĂ©riel qui profitent Ă  des bandes armĂ©es faisant rĂ©gner partout l'insĂ©curitĂ©. TroisiĂšme surprise : les Français dĂ©couvrent que les troupes blanches sont conduites le plus souvent par de vĂ©ritables seigneurs de la guerre inefficaces, versatiles, et eux aussi hostiles Ă  une intervention Ă©trangĂšre pourtant censĂ©e venir les aider[2]. « L’armĂ©e de Denikine est une gĂȘne plutĂŽt qu’une aide, (
) elle a tous les dĂ©fauts de l’ancienne armĂ©e russe et n’en a pas les qualitĂ©s » note Franchet d’Esperey[20].

La position des quelques troupes engagĂ©es sur cet immense thĂ©Ăątre d’opĂ©ration se rĂ©vĂšle d’emblĂ©e extrĂȘmement prĂ©caire. Six semaines aprĂšs le dĂ©barquement initial Ă  Odessa, 3 000 hommes seulement ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©s pour l’occupation de l’Ukraine, un territoire plus grand que la France[21]
 Il est impossible de progresser vers l’intĂ©rieur[1]. Le moral est trĂšs faible. Les troupes ne comprennent pas ce qu’elles font lĂ  et renĂąclent. « Nos soldats, travaillĂ©s par une propagande bolchevique intense, ne songent pas Ă  se battre contre un pays avec lequel la France n’est pas officiellement en Ă©tat de guerre » cĂąble Franchet d’Esperey[22]. La propagande incitant les troupes Ă  dĂ©sobĂ©ir et Ă  se rallier Ă  la rĂ©volution russe entretient une vive paranoĂŻa dans l’état-major. Il est vrai qu’elle provient pour partie de Français qui ont rejoint les rĂ©volutionnaires[23]. Les observateurs les plus attentifs notent cependant que ce n’est pas la propagande bolchevique qui sape le moral de la troupe, mais son Ă©puisement et son incomprĂ©hension vis-Ă -vis de cette intervention qui ne lui semble pas justifiĂ©e. Depuis l’armistice du , la guerre, dans les esprits, est achevĂ©e, et si la Russie veut faire la rĂ©volution, c’est son affaire et la France n'a pas Ă  s’en mĂȘler[24]. Un officier stationnant Ă  SĂ©bastopol remarque que la propagande bolchevique n’a pas beaucoup d’effets sur les troupes, mais l’attitude hostile de la population a un impact trĂšs profond[25].

À Odessa, le gĂ©nĂ©ral Berthelot estime qu’il faut vingt divisions pour assurer le succĂšs de l’intervention et demande des renforts en consĂ©quence[26]. En Foch prĂ©sente un plan d’action de grande envergure, mais il est immĂ©diatement repoussĂ©[19]. Avec l’ouverture des pourparlers de paix, le gouvernement français se retrouve maintenant en porte-Ă -faux : il ne peut plus engager de grosse opĂ©ration militaire car il serait bien en peine de la justifier, autant devant le Parlement que l’opinion[19]. À cela s'ajoutent les rĂ©ticences des AlliĂ©s : lors des premiĂšres discussions Ă  Versailles, le premier ministre britannique et le prĂ©sident amĂ©ricain rĂ©affirment leur hostilitĂ© au communisme, mais n’approuvent qu’une action limitĂ©e[19]. Faute de renfort, l’intervention française est donc condamnĂ©e Ă  improviser alors que sur le terrain la situation se dĂ©grade continuellement. IsolĂ©es, mal ravitaillĂ©es, rĂ©duites au seul soutien d’une marine elle-mĂȘme obligĂ©e de faire feu de tout bois, Ă  la logistique incertaine, les troupes terrestres accumulent, dĂšs janvier, les refus d'obĂ©issance (Ă  Kherson, Odessa, Bendery)[1]. En fĂ©vrier, un dĂ©tachement d'infanterie et de troupes de montagne refuse de franchir le Dniestr et d’attaquer Tiraspol[27].

Les reculs face à l'Armée rouge

Dans le sud de la Russie la situation est confuse, mais les combats y prennent une ampleur grandissante[28]. D'un cĂŽtĂ©, la progression de l’ArmĂ©e rouge s’affirme : Kharkov tombe le , Kiev le lendemain[28]. D'un autre, les armĂ©es de Denikine rencontrent quelques succĂšs en obligeant les Bolcheviques Ă  reculer au nord du Caucase. Mais Ă  la mi fĂ©vrier, les armĂ©es Blanches, mal coordonnĂ©es entre elles, sont dĂ©faites sur le Donetz et le Don et la progression de l'ArmĂ©e rouge vers le sud reprend[28]. Du 2 au , les troupes d’intervention sont aux prises avec les attaques successives du commandant de division Nikifor Grigoriev. Ce seigneur de la guerre, appelĂ© aussi l’« Ataman Grigoriev », vient de rejoindre l’ArmĂ©e rouge et intime l’ordre aux AlliĂ©s d’évacuer les localitĂ©s du sud de l’Ukraine[1]. Le , il attaque Kherson. La place n’est dĂ©fendue que par 700 Grecs, 150 Français, et une poignĂ©e de soldats Blancs. La bataille dure sept jours. La Marine ne peut y engager ses cuirassĂ©s et croiseurs car Kherson est un port d’estuaire (sur le Dniepr) de trop faible profondeur[29]. Tout passe par les petites unitĂ©s type aviso dont l’artillerie contient les assaillants plusieurs jours et permet Ă  un petit renfort grec de dĂ©barquer[30]. Mais la population se joint aux forces de Grigoriev pour faire le coup de feu contre les AlliĂ©s, et le 8, deux compagnies françaises arrivĂ©es en renfort refusent catĂ©goriquement de se battre[31]. Au matin du , Grigoriev contrĂŽle la gare (oĂč il s’empare d’un train blindĂ©) et le port[30]. La garnison franco-grecque se retrouve encerclĂ©e dans la citadelle[30]. Dans l’aprĂšs-midi une contre-attaque navale et terrestre est organisĂ©e. Un bataillon grec rĂ©ussit Ă  dĂ©barquer, Ă  reprendre le port et rĂ©tablir les liaisons avec la citadelle grĂące au tir intense des navires[32]. La garnison est finalement rĂ©embarquĂ©e. Le dĂ©sastre — c'est-Ă -dire une capitulation — a Ă©tĂ© Ă©vitĂ© de justesse, mais il s’agit bien d’une dĂ©faite car Grigoriev a rĂ©ussi Ă  chasser les AlliĂ©s de la ville[30].

Profitant de sa victoire, Grigoriev marche sur NikolaĂŻev. Avec ses chantiers navals, ses arsenaux et ses immenses entrepĂŽts, la ville est d’une tout autre valeur que Kherson. Elle n’est pourtant tenue que par 500 soldats grecs et deux compagnies françaises[33] alors qu’y stationnent encore 10 Ă  12 000 soldats allemands au milieu d’une population de plus en plus hostile. Amet veut dĂ©fendre la ville, mais Franchet d’Esperey craint une insurrection gĂ©nĂ©rale et considĂšre la place comme indĂ©fendable au vu de la maigreur du contingent alliĂ©[33]. Grigoriev, nĂ©anmoins, ne donne pas l’assaut et accepte une trĂȘve, ce qui permet Ă  la flotte d’évacuer la ville entre le 12 et le [33]. Pour Grigoriev, c’est une belle victoire obtenue sans combat car les Français ont quittĂ© le port sans dĂ©truire les navires en construction[1] et ont aussi Ă©vacuĂ© l’encombrant contingent allemand[33]. Les Bolcheviques saisissent tout le matĂ©riel de guerre abandonnĂ© par les Allemands ainsi que celui que les Français, dans la prĂ©cipitation de l’évacuation, n’ont pu rembarquer ou dĂ©truire malgrĂ© les ordres[33]. Dans les bureaux de Foch, Ă  Paris, c’est la consternation[33]. Le , c’est Marioupol qui est attaquĂ©e. SituĂ©e au fond de la mer d’Azov, Ă  l’extrĂ©mitĂ© la plus Ă  l’est de l’intervention française, cette ville industrielle est trĂšs isolĂ©e. Mais le port est efficacement dĂ©fendu par le capitaine de corvette Émile Muselier[34] : les compagnies de dĂ©barquement du cuirassĂ© Jean Bart et de quatre avisos brisent deux attaques bolcheviques[35]. Toujours sous la protection des canons de marine, le poste est finalement Ă©vacuĂ© le .

La chute de Kherson, NikolaĂ«v, et Marioupol accroit le prestige des Bolcheviques. Odessa, situĂ©e sur la cĂŽte ukrainienne un peu plus au sud de Kherson et NikolaĂ«v se retrouve maintenant sous pression[33]. Le , arrive un tĂ©lĂ©gramme de Clemenceau qui ordonne de tenir[36]. Le gĂ©nĂ©ral D’Anselme, qui commande la place, essaie de mettre en place un pĂ©rimĂštre dĂ©fensif mais l’absence de renfort ne laisse que peu de perspectives, d’autant que les rapports rendus par les officiers prĂ©sents Ă  Kherson et NikolaĂŻev montrent que les forces de Grigoriev sont non seulement nombreuses, mais aussi bien Ă©quipĂ©es et disciplinĂ©es, contrairement Ă  ce que croyait l’état-major[33]. En ville, ou sĂ©vit la misĂšre, l’inflation et l’insĂ©curitĂ©, la population grossit chaque jour sous un flux de rĂ©fugiĂ©s qui ne ralentit pas et fait craindre une explosion sociale[36]. Manifestation et sabotages se succĂšdent alors que l’ArmĂ©e rouge s’approche. Le , elle s’empare de Berezovka, Ă  80 km d’Odessa, refoulant les troupes coloniales algĂ©riennes, grecques et blanches qui tenaient la position. Plusieurs chars Renault sont perdus[36]. Puis c’est Otchakov qui est abandonnĂ©e. Les soldats blancs, qui se dĂ©bandent, doivent ĂȘtre Ă©vacuĂ©s par les navires français[37]. Le pĂ©rimĂštre dĂ©fensif se rĂ©duit de plus en plus et des rapports signalent des soulĂšvements locaux Ă  l’ouest de la ville, ce qui menace les communications terrestres avec les forces du gĂ©nĂ©ral Berthelot qui stationnent en Roumanie[37]. Le , Franchet d’Esperey, qui jusque-lĂ  suivait les opĂ©rations depuis Constantinople, arrive Ă  Odessa. Il y dĂ©couvre une troupe sans moral, des officiers supĂ©rieurs trĂšs pessimistes et une ville presque Ă  court de ravitaillement[38]. Quelques renforts sont annoncĂ©s, mais Franchet d’Esperey se rallie Ă  la position de ses subordonnĂ©s et cĂąble Ă  Foch que la position n’est plus tenable[39]. Les gĂ©nĂ©raux grecs, arrivĂ©s Ă  la mĂȘme conclusion, consultent aussi leur gouvernement sur les modalitĂ©s d’un rembarquement[38]. Celui-ci est prĂ©parĂ© sans en informer les forces de Denikine en qui personne n’a confiance et pour Ă©viter les mouvements de foule dans la ville[38]. Le 1er avril, aprĂšs avoir obtenu le feu-vert de Clemenceau, Franchet d’Esperey donne l’ordre d’évacuation[40]. L’opĂ©ration est considĂ©rable mais se dĂ©roule en bon ordre : plusieurs dizaines de milliers de personnes embarquent sur des navires civils protĂ©gĂ©s par les canons de la flotte[41]. Une partie des troupes prend la mer, mais le plus gros des soldats français et grecs quitte la ville en traversant le Dniestr et la Bessarabie pour marcher vers la Roumanie voisine. Le tout est terminĂ©[38]. Le 7 Grigoriev entre dans Odessa.

Ne reste plus que SĂ©bastopol et la CrimĂ©e. Pendant que Franchet d’Esperey prĂ©parait l’évacuation d’Odessa, il avait dressĂ© lucidement le constat d’échec de toute l’intervention et avait demandĂ© Ă  Foch la « liquidation de notre action en Russie mĂ©ridionale[42]. » Mais Clemenceau pense possible de se maintenir en CrimĂ©e et d’en faire un bastion pour une action future dans le sud de la Russie[43]. La presqu’üle de CrimĂ©e occupe une position centrale en mer Noire. GrĂące au port de SĂ©bastopol, elle peut accueillir des forces importantes et, depuis la base de Tendra, il est aisĂ© de maintenir le blocus d’Odessa[28]. La garnison alliĂ©e est sous les ordres du colonel Trousson. Les renforts dĂ©routĂ©s depuis Odessa la portent Ă  5 000 hommes, dont de nombreux Grecs[43]. CĂŽtĂ© français, on a mis Ă  terre les compagnies de dĂ©barquement des vaisseaux pour Ă©toffer les dĂ©fenses, mais plus de la moitiĂ© du contingent engagĂ© est composĂ© de troupes coloniales algĂ©riennes et sĂ©nĂ©galaises[43]. Comme Ă  Odessa, le moral et la discipline sont faibles. Dans les troupes de renfort, des refus d’embarquements ont Ă©tĂ© signalĂ©s Ă  Constanța en Roumanie[43]. Il y a aussi plus de 6 000 soldats blancs qui entretiennent des rapports conflictuels avec l’état-major alliĂ© et en qui personne n’a confiance, y compris le gouvernement provisoire de CrimĂ©e, lui-mĂȘme paralysĂ© par des querelles internes[43]. À SĂ©bastopol, grĂšves et manifestations se succĂšdent. Les journaux cessent de paraĂźtre, puis la ville est privĂ©e subitement d’eau et d’électricitĂ©, obligeant les AlliĂ©s Ă  faire fonctionner eux-mĂȘmes les centrales Ă©lectriques[28]. Franchet d’Esperey et Amet, lors d’une inspection des postes de dĂ©fense, arrivent Ă  la conclusion logique que la position n’est plus tenable. Clemenceau, informĂ©, acquiesce. L’offensive bolchevique (qui intervient alors qu’Odessa est en cours d’évacuation) prĂ©cipite les Ă©vĂ©nements. Le , les dĂ©fenses de l’isthme de Perekop, qui verrouillent la presqu’üle, sont enfoncĂ©es aprĂšs une rĂ©sistance symbolique des troupes blanches[43]. L’ArmĂ©e rouge progresse vers le sud, exposant SĂ©bastopol Ă  une attaque. Le , l’évacuation de la ville est dĂ©cidĂ©e mais les responsables de l’armĂ©e de Terre et de la Marine ne sont pas d’accord sur ses modalitĂ©s[1]. Franchet d’Esperey veut en finir rapidement, mais il faut mobiliser une logistique importante, ce qui demande du temps. De plus, le cuirassĂ© Mirabeau, qui s’était Ă©chouĂ© en fĂ©vrier devant le port, vient Ă  peine d’ĂȘtre dĂ©gagĂ© et ses avaries sont trop graves pour qu’il reprenne seul la mer. Il est bien-sĂ»r impossible de laisser aux Bolcheviques un pareil trophĂ©e, aussi Amet obtient un sursis le 15[1]. Quant Ă  la population civile, une partie d’entre elle commence Ă  se retourner : plusieurs milliers de personnes, issues essentiellement de la bourgeoisie urbaine et craignant les violences communistes, se massent sur les quais en espĂ©rant pouvoir monter sur les navires français[1]. C’est dans cette ambiance dramatique que, le , l’ArmĂ©e rouge se lance Ă  l’assaut de SĂ©bastopol. L’attaque est repoussĂ©e grĂące Ă  l’intervention des cuirassĂ©s et des croiseurs alliĂ©s dont les obus de gros calibre Ă©crasent les assaillants qui finissent par se replier[44]. Une trĂȘve de plusieurs jours est conclue. Chacun y trouve son compte car les Français peuvent organiser l’évacuation en bon ordre et les Bolcheviques attendre l’arme au pied que la ville leur soit tranquillement cĂ©dĂ©e[43]. C’est alors qu’éclatent les troubles dans l’escadre.

Les deux vagues de mutineries

Sébastopol vers 1905. Les mutineries d'avril 1919 se concentrent dans ce port car c'est là que se trouve le plus gros des moyens de l'escadre. Une manifestation en ville fait aussi six morts français.
Le matelot mécanicien Virgile Vuillemin, trÚs actif dans les mutineries du France, est élu pour porter les revendications de l'équipage auprÚs du commandement.
L'une des rares photographies de quelques-uns des marins mutinés.
Contre-amiral Henri du Couëdic de Kerérant.

La mutinerie commence le sur le contre-torpilleurs Protet, mouillĂ© dans le port fluvial roumain de Galatz. Un groupe d’hommes animĂ© par AndrĂ© Marty, ingĂ©nieur et chef machine du bĂątiment, veut s’emparer du bĂątiment lors de sa prochaine mission et le livrer aux Bolcheviques[45]. Si nĂ©cessaire, les conjurĂ©s ont dĂ©cidĂ© de faire usage des armes et envisagent aussi d’empoisonner les officiers. En cas d’échec, il est mĂȘme prĂ©vu de faire sauter le bĂątiment[45]. Mais le complot est Ă©ventĂ© et AndrĂ© Marty arrĂȘtĂ©[46]. Trois jours plus tard, la mutinerie Ă©clate sur les navires stationnĂ©s en CrimĂ©e. Elle touche tout particuliĂšrement la France, puis le cuirassĂ© Jean Bart[1], le foyer principal se trouvant sur la France[2], oĂč les hommes s’irritent d’une corvĂ©e de charbon prĂ©vue pour le jour de PĂąques (ignorant qu’elle vient d’ĂȘtre reportĂ©e)[47]. Les premiers incidents sont signalĂ©s dans la nuit du samedi lorsque le capitaine d’armes intime l’ordre d’aller se coucher Ă  un groupe de matelots qui bavardent sur la plage avant. Des cris, des injures retentissent. L’officier-marinier est bousculĂ© alors que l'on entend l’Internationale[47]. La chanson est reprise sur le Jean Bart qui est mouillĂ© Ă  proximitĂ©. On s’y agite de mĂȘme et on conspue les officiers en s’interpellant d’un bĂątiment Ă  l’autre[47]. Des hommes courent vers les batteries, rĂ©veillent les marins couchĂ©s, vandalisent une partie du matĂ©riel et vont libĂ©rer les prisonniers disciplinaires[47]. Sur la France, le commandant en second tente de discuter avec une dĂ©lĂ©gation de trois matelots choisis par l'Ă©quipage alors que l’ordre est donnĂ© discrĂštement aux officiers et aux premiers maĂźtres de s’armer et que le navire est bouclĂ©[48]. Lorsqu’ils l’apprennent, les mutins, un moment apaisĂ©s, s’enflamment. Un petit groupe s’empare d’un canot Ă  vapeur et fait le tour du port de SĂ©bastopol pour trouver du soutien[49]. Il accoste Ă  la coupĂ©e du Jean Bart oĂč rĂ©sonne toujours l’Internationale, puis se dirige en vain vers la Justice, le Mirabeau, le Voltaire, l’Algol et le Du Chayla dont le commandant menace de faire tirer[49]. Sur la France, le vice-amiral Amet tente de calmer ses hommes en promettant un retour prochain et une absence de sanctions, mais il est copieusement huĂ© et quitte finalement le bord. Le tumulte se poursuit jusque vers minuit sur les couplets de l’Internationale et aux cris de « À Toulon ! À Toulon ! »[49].

Au matin du , le pavillon rouge est hissĂ© sur les deux cuirassĂ©s (sans amener le pavillon tricolore[50]) et les matelots refusent de se lever avant 8 heures[49]. Les officiers tentent de calmer les hommes. Le capitaine de vaisseau Henri du CouĂ«dic de KerĂ©rant, Commandant du Jean-Bart, fait amener le pavillon rouge hissĂ© sur le Jean Bart ; mais sur la France les matelots ne veulent rien entendre et chantent de plus belle l’Internationale[49]. Les deux Ă©quipages veulent se joindre Ă  une manifestation organisĂ©e par les communistes dans les rues de SĂ©bastopol et refusent d’écouter Amet alors que, dans l’état-major, c’est plutĂŽt la confusion au vu des initiatives contradictoires de certains chefs. Le commandant de la flotte, par exemple, essaie d’interdire toute descente Ă  terre, ce qui irrite autant les Ă©quipages de la France et du Jean Bart que ceux de la Justice et du Vergniaud[49]. Pour apaiser cette effervescence, le commandement se rĂ©sout Ă  autoriser la descente Ă  terre. En dĂ©but d’aprĂšs-midi, les permissionnaires descendent Ă  terre, ce qui permet d’amorcer une dĂ©tente. NĂ©anmoins, un groupe dĂ©terminĂ© cherche Ă  s’emparer d’armes et de munitions. Pour cela, il se rend dans le fort du nord de SĂ©bastopol, tenu par les Français, en se faisant passer pour le service des vivres. Mais leur ruse est Ă©ventĂ©e et le groupe refoulĂ© l’arme Ă  la main par un officier[49]. En ville, le gros des permissionnaires est accueilli chaleureusement par des civils russes parmi lesquels se sont glissĂ©s quelques agents bolcheviques qui entendent bien profiter de l’occasion pour aiguillonner les matelots rĂ©voltĂ©s[49]. La manifestation ne rassemble qu’une cinquantaine de Français, tout comme les Russes, il est vrai bien « encadrĂ©s » par les agents bolcheviques[49]. Le petit cortĂšge, extrĂȘmement bruyant, s’élance en ville en arborant le drapeau rouge. Un officier français rencontrĂ© en chemin est violemment pris Ă  partie. Les manifestants croisent ensuite un dĂ©tachement grec de la force d’intervention alliĂ©e. Dans la ville en Ă©tat de siĂšge, les Grecs n’hĂ©sitent pas Ă  ouvrir le feu[49]. Une patrouille française somme les manifestants de se disperser. Des coups de crosse sont distribuĂ©s. Les banniĂšres sont dĂ©chirĂ©es. L’échauffourĂ©e s’achĂšve sous les tirs des Russes blancs. On relĂšve cinquante victimes, dont cinq blessĂ©s et un tuĂ© parmi les marins français[49].

La nouvelle de la fusillade provoque une Ă©motion considĂ©rable sur les bĂątiments. Les Ă©quipages crient vengeance. Le marin mortellement blessĂ© est un homme du Vergniaud, ce qui fait entrer le navire dans la mutinerie, suivi du Mirabeau qui est mouillĂ© Ă  cĂŽtĂ©[49]. La Justice, dont l’un des hommes a Ă©tĂ© griĂšvement blessĂ©, est touchĂ©e Ă  son tour. Il faut tout le talent diplomatique de son commandant pour empĂȘcher une partie de l’équipage de monter une expĂ©dition punitive contre les Grecs[49]. Au soir du , cinq cuirassĂ©s et croiseurs sont, Ă  des degrĂ©s divers, affectĂ©s par les mutineries. NĂ©anmoins, les mutins ne sont pas majoritaires, et les officiers, par le dialogue, ont Ă©vitĂ© une effusion de sang Ă  bord[49]. Un fossĂ© commence mĂȘme Ă  se creuser entre les Ă©lĂ©ments les plus radicaux et le gros des hommes qui n’aspire qu’à rentrer[49]. Amet rĂ©ussit finalement Ă  faire disparaĂźtre les drapeaux rouges de tous les navires contre promesse de retour et absence de sanctions[1]. Le , la France, la plus touchĂ©e par les dĂ©sordres, est prudemment Ă©loignĂ©e de la zone d’opĂ©ration. La confusion, d’ailleurs, s’est emparĂ©e d’une partie des mutins : les meneurs les plus impliquĂ©s, craignant un traquenard Ă  l’arrivĂ©e en mĂ©tropole, cherchent pendant quelques heures Ă  bloquer le dĂ©part en criant au complot. « Alerte, camarades, on veut nous faire appareiller ! »[45] C'est le cas, par exemple, de l'ouvrier mĂ©canicien Virgile Vuillemin qui avait Ă©tĂ© choisi trois jours plus tĂŽt pour exposer les revendications de l'Ă©quipage[45]. Mais l’attrait du retour est le plus fort. La France arrive Ă  Bizerte le [1].

La mutinerie touche ensuite le Waldeck-Rousseau devant Odessa[1] alors que le croiseur, sous les ordres du contre-amiral Caubert, y observe l’évolution de la situation[51]. Le , l’équipage commence Ă  murmurer lorsqu’il apprend que l’officier mĂ©canicien arrĂȘtĂ© pour son complot avortĂ© sur le Protet est incarcĂ©rĂ© sur le Waldeck-Rousseau[51]. Les choses en sont lĂ  quand, le 25, le ravitailleur Suippe arrive de SĂ©bastopol. Quelques matelots de ce navire informent aussitĂŽt leurs camarades du Waldeck-Rousseau des incidents qui se sont produits depuis le 19 Ă  SĂ©bastopol. Des groupes se forment alors Ă  l’avant du bĂątiment et commencent Ă  chanter l’Internationale[51]. Au matin du 26, une affiche est dĂ©couverte incitant l’équipage Ă  la rĂ©volte. Les hommes tiennent des conciliabules par petits groupes et se taisent au passage des officiers[51]. Le dimanche 27, deux autres affiches invitant l’équipage Ă  suivre l’exemple des marins de SĂ©bastopol sont dĂ©couvertes[51]. Inquiet, Caubert fait repasser discrĂštement Marty (qui cherche Ă  communiquer avec l’équipage) sur le Protet, lequel part aussitĂŽt pour Constantinople[51]. Mais, aprĂšs le repas de midi, les premiers incidents Ă©clatent. Une centaine d’hommes, massĂ©s sur l’avant, Ă©lit un vĂ©ritable soviet[47]. Une dĂ©lĂ©gation, reçue par le commandant et le contre-amiral Caubert, demande Ă  rentrer en France, exprime l’incomprĂ©hension gĂ©nĂ©rale vis-Ă -vis de cette guerre lointaine, les dolĂ©ances sur le manque de courrier, les permissions inexistantes, et la discipline trop sĂ©vĂšre[51]. Caubert, qui doute que cette dĂ©marche reprĂ©sente tout le monde, fait sonner le rassemblement pour tenter de raisonner l’équipage en faisant appel Ă  sa fiertĂ©, Ă  son sens de l’honneur et du sacrifice[51]. Il promet, comme son supĂ©rieur, l'amiral Amet, un retour en France dans les plus brefs dĂ©lais et une absence de sanctions. Peine perdue. Des sifflets couvrent le discours. Le tumulte est gĂ©nĂ©ral. Les hommes veulent rentrer tout de suite et n’obĂ©issent plus Ă  personne. Pendant quelques heures, le navire Ă©chappe totalement Ă  ses officiers. Dans l’état de surexcitation oĂč se trouve l’équipage, Caubert redoute mĂȘme que le Wadeck-Rousseau ne soit livrĂ© aux Bolcheviques Ă  Odessa[51].

NĂ©anmoins, Caubert gagne du temps par le dialogue et emploie les officiers Ă  rallier petit Ă  petit les Ă©lĂ©ments les plus sensibles Ă  la persuasion[51]. L’équipage se calme et le vaisseau, que Caubert avait fait annoncer comme levant l’ancre pour Constantinople, fait relĂąche en rade de Tendra aprĂšs une nuit calme. Les hommes « semblent dĂ©grisĂ©s » (Philippe Masson)[51] et les dĂ©lĂ©guĂ©s Ă©lus la veille, craignant de sĂ©vĂšres sanctions, s’emploient Ă  rĂ©tablir l’ordre. Mais, en rade de Tendra, mouille aussi le Bruix venu de SĂ©bastopol avec soixante hommes destinĂ©s au Waldeck-Rousseau. L’arrivĂ©e de ces nouveaux-venus relance l’agitation[51]. Une nouvelle fois, une centaine d’hommes se rĂ©unit sur l’avant du navire et procĂšde Ă  l’élection d’une nouvelle dĂ©lĂ©gation plus rĂ©solue que la premiĂšre. Caubert et le commandant dĂ©cident de rĂ©agir immĂ©diatement. Ils constituent, Ă  l’arriĂšre du bĂątiment, une forte garde armĂ©e avec les officiers, les officiers mariniers et tous les hommes dĂ©cidĂ©s au maintien de l'ordre[51]. À la tĂȘte de cette troupe, ils s'avancent vers l'avant du Waldeck-Rousseau. ImpressionnĂ©s, la plupart des matelots acceptent de se rallier et passent derriĂšre la garde armĂ©e. Les derniers irrĂ©ductibles finissent les uns aprĂšs les autres par se disperser[51]. La mutinerie est terminĂ©e. Pendant quelques heures, tout a semblĂ© possible mais, Ă  aucun moment, le drapeau rouge n’a Ă©tĂ© hissĂ©, ce qui montre le cĂŽtĂ© relativement inorganisĂ© de cette affaire pourtant lancĂ©e, Ă  la diffĂ©rence des autres navires, par de petites cellules de jeunes matelots fortement politisĂ©s[52].

Les 28 et , l’évacuation de SĂ©bastopol s’achĂšve. Contrairement Ă  ce qui a Ă©tĂ© trop souvent dit, ce rembarquement n'est en rien un succĂšs obtenu par les mutins car l’opĂ©ration avait Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e avant les troubles, compte tenu de l’offensive victorieuse de l’ArmĂ©e rouge[1]. Aux dires d’Amet, les mutineries lui ont plutĂŽt compliquĂ© la tĂąche, mais les Bolcheviques, pourtant aux portes de la ville, n’ont pas cherchĂ© Ă  en profiter car ils n’étaient pas au courant de la paralysie de l’escadre : cette ignorance indique que les mutins n’étaient pas tĂ©lĂ©guidĂ©s par les Bolcheviques malgrĂ© la prĂ©sence de leurs agents en ville[51]. Les navires rentrent en France, mĂȘme si la prĂ©sence militaire française en mer Noire n’est pas terminĂ©e. La mutinerie a Ă©tĂ© assez brĂšve : quatre jours Ă  SĂ©bastopol, deux jours devant Odessa, tuĂ©e dans l’Ɠuf Ă  Galatz et somme toute contenue, malgrĂ© la fusillade dans le port. Tous les bĂątiments, d’ailleurs, n’ont pas Ă©tĂ© touchĂ©s : l’aviso Scarpe, solidement tenu en main par le capitaine de corvette Muselier, n’a connu aucun incident[53] et nombre d'autres n'ont vĂ©cu qu'une brĂšve agitation. La censure militaire rĂ©ussit Ă  cacher le plus gros des Ă©vĂ©nements alors qu’en France, la presse et l’opinion ont les yeux tournĂ©s vers la confĂ©rence de paix de Versailles qui bat son plein[54].

La situation semble revenir Ă  la normale mais, pendant l’étĂ©, les troubles reprennent. Cette deuxiĂšme vague de mutineries est autrement grave que celle du printemps. Elle dure des semaines et ne s’éteint qu’à l’automne aprĂšs avoir touchĂ© presque tous les lieux oĂč stationnent des vaisseaux français[1]. En MĂ©diterranĂ©e orientale, sur le cuirassĂ© Diderot et sur le croiseur cuirassĂ© Guichen, dans le golfe de Patras. Dans les ports-arsenaux et sur les navires, en France et en Afrique du Nord : Ă  Brest, Toulon, Cherbourg, Lorient et Bizerte. À Brest, l’amiral GuĂ©pratte, grĂące Ă  son immense prestige et en payant de sa personne, rĂ©ussit Ă  Ă©touffer dans l’Ɠuf les revendications rĂ©volutionnaires[55]. Le centre d’agitation le plus important est Ă  Toulon, sur le cuirassĂ© Provence[1]. Un mouvement secoue le port pour obtenir la levĂ©e des punitions prises contre les mutins de la mer Noire[56]. Alors que l’amiral Lacaze, trĂšs inquiet, prend des mesures pour « protĂ©ger la ville », une mutinerie Ă©clate le Ă  bord de la Provence[56]. Des rumeurs disent que des anarchistes, en liaison avec les mutins, auraient l’intention de constituer un soviet militaire et ouvrier qui prendrait le contrĂŽle de Toulon[56]. Par solidaritĂ© avec les mutins de la Provence qui ont hissĂ© le drapeau rouge, les Ă©quipages de tous les navires en rade refusent d’assurer le service[56]. En ville, un cortĂšge composĂ© de soldats, de matelots et de civils conspue Clemenceau et rĂ©clame l’amnistie pour les hommes incarcĂ©rĂ©s au retour de la mer Noire[56]. Le prĂ©fet maritime demande des renforts Ă  la XVe rĂ©gion militaire alors que les mutins hĂ©sitent sur la conduite Ă  suivre. Mais la rĂ©pression n’a pas lieu : la dĂ©cision du MinistĂšre de la marine d’envoyer en permission les classes 1909, 1910 et 1911 rĂ©tablit immĂ©diatement le calme[56]. La censure, toujours en vigueur sur le territoire national, ne permet pas Ă  la presse d'enquĂȘter sur cette affaire[57]. Il est vrai aussi que l'annĂ©e 1919 est marquĂ©e par une forte agitation sociale et d'importants mouvements de grĂšve impossible Ă  cacher pour le gouvernement et qui captent l'attention des commentateurs loin des ports de guerre sĂ©vĂšrement gardĂ©s.

Galerie : Les principaux navires touchés

  • Le cuirassĂ© France, le 19 avril, est le plus touchĂ© par la premiĂšre vague de mutinerie. Le Jean Bart (cuirassĂ©, 1911) partage son sort.
    Le cuirassé France, le , est le plus touché par la premiÚre vague de mutinerie. Le Jean Bart (cuirassé, 1911) partage son sort.
  • Le Jean-Bart, commandĂ© par le Capitaine de Vaisseau Henri du CouĂ«dic de KerĂ©rant qui, bien que blessĂ© fait amener le drapeau rouge hissĂ© par les mutins.
    Le Jean-Bart, commandé par le Capitaine de Vaisseau Henri du Couëdic de Kerérant qui, bien que blessé fait amener le drapeau rouge hissé par les mutins.
  • Le 20 avril, le Vergniaud hisse le drapeau rouge. Le Mirabeau et la Justice font de mĂȘme pendant quelques heures.
    Le , le Vergniaud hisse le drapeau rouge. Le Mirabeau et la Justice font de mĂȘme pendant quelques heures.
  • Le croiseur cuirassĂ© Waldeck-Rousseau est secouĂ© par deux jours de mutinerie devant Odessa (26-28 avril).
    Le croiseur cuirassé Waldeck-Rousseau est secoué par deux jours de mutinerie devant Odessa (26-).
  • Le Guichen est touchĂ© pendant l’étĂ© 1919 par la deuxiĂšme vague de mutineries en MĂ©diterranĂ©e orientale, tout comme le Diderot.
    Le Guichen est touchĂ© pendant l’étĂ© 1919 par la deuxiĂšme vague de mutineries en MĂ©diterranĂ©e orientale, tout comme le Diderot.
  • La deuxiĂšme vague de mutineries affecte aussi les ports et arsenaux français. À Toulon, le cuirassĂ© Provence est au centre de l’agitation.
    La deuxiĂšme vague de mutineries affecte aussi les ports et arsenaux français. À Toulon, le cuirassĂ© Provence est au centre de l’agitation.

Des mutineries révolutionnaires ?

Le quartier-maßtre Badina et le chef mécanicien André Marty montent une mutinerie révolutionnaire sur le Protet pour rejoindre les forces bolcheviques, mais ils échouent totalement.
Une du quotidien de la SFIO Le Populaire du 26 mars 1919. L'arrivée en Crimée, avec le courrier, de journaux rendant compte des débats appelant au retour de la flotte facilite le déclenchement des mutineries.

« La mythification politique Ă  laquelle a donnĂ© lieu cette mutinerie, avec Charles Tillon[58] et AndrĂ© Marty, a longtemps obscurci la rĂ©alitĂ© » (Martine Acerra, Jean Meyer)[59]. Les deux hommes, actifs militants de gauche et animateurs de la mutinerie sur deux unitĂ©s de la flotte, se sont par la suite attribuĂ© un rĂŽle clĂ© dans les Ă©vĂ©nements, au point que ceux-ci ont Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©s par Parti communiste français (fondĂ© en 1921) et exploitĂ©s politiquement par lui pendant des dĂ©cennies[59]. Depuis les recherches de Philippe Masson, en 1982, l’analyse de ces mutineries a Ă©tĂ© revue de fond en comble et ses travaux font maintenant autoritĂ©[60].

Au point de dĂ©part existe un mĂ©contentement latent, datant souvent de loin, avivĂ© par la prolongation, pour la Marine, d’une nouvelle guerre venant se greffer sur la guerre mondiale. En fait, les grandes unitĂ©s, considĂ©rĂ©es en 1914 comme dĂ©cisives sur l’issue de la guerre, ont Ă©tĂ© parquĂ©es, en raison de la menace sous-marine, dans des rades protĂ©gĂ©es[2]. Le climat s’est peu Ă  peu tendu Ă  bord des cuirassĂ©s et des croiseurs murĂ©s derriĂšre leurs estacades et filets anti-torpilles dans les rades de Bizerte, Malte, Moudros et Corfou[59]. Et ce d’autant plus que l’escadre de haute mer a servi, Ă  partir de 1916, de rĂ©servoir d’approvisionnement pour les flottilles anti-sous-marines, auxquelles a Ă©tĂ© dĂ©volu le rĂŽle majeur dans la nouvelle forme de guerre. Progressivement, Ă©quipages et officiers se sont vu retirer leurs meilleurs hommes destinĂ©s Ă  la lutte anti-sous-marine et au service quotidien d’une nuĂ©e de petites unitĂ©s susceptibles de procurer un avancement rapide[2]. D’oĂč un dĂ©ficit quantitatif et surtout qualitatif[2]. En 1918, il atteint le tiers des effectifs, mĂȘme si ces Ă©quipages rĂ©duits ont Ă©tĂ© complĂ©tĂ©s progressivement par des « volontaires ». Mais ceux-ci sont trĂšs jeunes et une partie a choisi la marine car il Ă©tait de notoriĂ©tĂ© publique que les chances de survie sur les vaisseaux de guerre Ă©taient plus grandes que dans les tranchĂ©es[2]. DĂšs le dĂ©but de 1918, la discipline s’est relĂąchĂ©e. On servait, certes sincĂšrement pour la victoire, mais celle-ci une fois acquise, l’immense majoritĂ© des Ă©quipages n’a nulle envie de participer, loin de la France, Ă  une autre guerre, fĂ»t-elle, pour les navires, ponctuelle.

Les conditions du sĂ©jour en mer Noire ajoutent leur lot de dolĂ©ances. HabituĂ©s aux hivers relativement clĂ©ments de la MĂ©diterranĂ©e orientale, les Ă©quipages se trouvent plongĂ©s, en , dans le terrible hiver de la mer Noire, avec ses tempĂȘtes de neige, ses froids intenses. Les bĂątiments ne sont pas adaptĂ©s et les Ă©quipages en souffrent. L’intendance peine Ă  suivre : Ă  Toulon, l’épidĂ©mie de grippe espagnole dĂ©sorganise les confections au service de l’habillement[61]. Enfin, la malchance s’en mĂȘlant, le navire transporteur Evangeline s’échoue en dĂ©cembre avec huit tonnes d'habillement et le Chaouia fait naufrage avec une importante quantitĂ© de brodequins et de vĂȘtements chauds[61]. À bord des navires, les Ă©quipages grelottent. Il arrive que, pour descendre Ă  terre, un matelot emprunte les chaussures de son voisin. Les hommes rĂ©clament en vain du tabac, du savon, et doivent endurer la saletĂ© de leurs bĂątiments, touchĂ©s par la rouille[61]. La nourriture est le plus souvent mĂ©diocre et les nouvelles de France rares. Les distractions, dĂ©jĂ  mesurĂ©es Ă  Corfou, Moudros ou Constantinople, sont inexistantes Ă  Odessa et SĂ©bastopol[47]. Le rĂ©gime sĂ©vĂšre des punitions rĂ©trĂ©cit encore les possibilitĂ©s de se divertir. À bord du France, ne peuvent descendre Ă  terre que les matelots n’ayant reçu aucune sanction depuis deux ans[47].

Le , le cuirassĂ© Mirabeau s’échoue Ă  l’entrĂ©e de SĂ©bastopol Ă  la suite d’une tempĂȘte de neige. Pour le dĂ©sĂ©chouer, il faut l'allĂ©ger en lui retirant son artillerie et une partie du blindage[62], ce qui demande du temps, vu les faibles moyens du bord[59]. Les permissions ne sont plus accordĂ©es qu’au compte-goutte : dans des Ă©quipages insuffisants soumis Ă  des travaux indispensables, tout homme devient irremplaçable. Sur le France, oĂč il manque des dizaines d’hommes, il faut affecter 180 personnes jours et nuits aux travaux de dĂ©barquement des marchandises. Les auteurs mentionnent Ă©galement des corvĂ©es de travail Ă  terre de 6 heures du soir Ă  8 heures du matin suivies d’une reprise du service jusqu’à midi et de nouvelle corvĂ©e Ă  23 heures[61]. Au retour, les marins retrouvent le quart, l’entretien du matĂ©riel
 « Nous avons ainsi transformĂ© malgrĂ© nous nos matelots en dĂ©bardeurs et en dockers » constate Amet[47]. Le , sur 850 hommes prĂ©sents Ă  bord du France, 418 n’ont pas reçu de permission de dĂ©tente (20 jours) depuis dix mois, 280 depuis un an, 106 depuis quinze mois, 7 depuis dix-huit mois[47]. La grippe espagnole contribue aussi Ă  dĂ©sorganiser les Ă©quipages : l’épidĂ©mie qui frappe les hommes du Jules Michelet renforce les corvĂ©es de ceux du Justice et du Renan[47]. Ce cocktail de souffrances et de privations, accumulĂ© pendant des mois, est l’une des causes premiĂšre des rĂ©voltes[59]. Les mutins y font d’ailleurs rĂ©fĂ©rence dans les discussions avec les officiers et dans leur correspondance.

Ces raisons, valables, ne sont cependant pas suffisantes pour tout expliquer. Car la mutinerie Ă©clate sur les navires dont la durĂ©e de sĂ©jour est la plus courte, et ce aprĂšs l’établissement d’un service de courrier rĂ©gulier. C’est donc l’arrivĂ©e de matelots jeunes, dont une bonne partie n’a pas fait la guerre, et le rĂ©tablissement du courrier qui contribue Ă  la rĂ©volte[59]. Pendant les discussions Ă  Versailles, les AlliĂ©s se sont finalement mis d’accord pour refuser une action militaire massive contre les Bolcheviques. La politique choisie est celle d’un soutien limitĂ© en armes et argent aux armĂ©es blanches, doublĂ©e d’une aide aux États voisins pour faire barrage aux idĂ©es rĂ©volutionnaires[63]. Par manque de moyens, l’intervention française est devenue de facto limitĂ©e, mais finit par arriver sur les bancs de l’AssemblĂ©e nationale. Pendant trois jours, les 24, 26 et , les dĂ©putĂ©s socialistes interpellent vigoureusement le gouvernement sur les raisons d’ĂȘtre de la prĂ©sence française en Russie du Sud[2]. Quelques semaines plus tard, le discours de la SFIO appelant au retour des vaisseaux et des troupes arrive le plus lĂ©galement du monde en mer Noire grĂące aux comptes rendus donnĂ©s par le Journal officiel[59] et diverses coupures de presse dans le courrier des marins. La diffusion de ces dĂ©bats est immĂ©diate dans les Ă©quipages. Se constituent ainsi des noyaux d’agitation potentielle autour de quelques meneurs souvent trĂšs jeunes[59]. NĂ©anmoins, pour les Ă©quipages qui se mutinent, il ne s’agit que d’une espĂšce de grĂšve destinĂ©e Ă  obtenir le rapatriement en France. Lorsque les Ă©lĂ©ments les plus radicaux veulent aller plus loin et soutenir les soviets sur place, le gros des Ă©quipages s’en dĂ©solidarise[2]. À Galatz, le complot du chef mĂ©canicien AndrĂ© Marty, qui veut livrer le torpilleur Protet aux Bolcheviques, est rapidement Ă©ventĂ© ()[64]. La mutinerie qui gagne les autres bĂątiments Ă  SĂ©bastopol rĂ©clame certes sa libĂ©ration, mais l’objectif fondamental est le retour en France, pas le ralliement Ă  la rĂ©volution d’octobre et ce alors mĂȘme qu’est diffusĂ©e sur place une active propagande communiste Ă  leur intention[23]. Comme souvent, jouent dans le monde clos qu’est un navire des Ă©lĂ©ments contradictoires : popularitĂ© ou impopularitĂ© des Ă©tats-majors et des officiers (une partie d’entre eux sympathisent avec les raisons invoquĂ©es de la mutinerie)[59], et en sens opposĂ©, la personnalitĂ© plus ou moins affirmĂ©e et acceptĂ©e des meneurs[59], certains d’entre eux n’hĂ©sitant pas, d’ailleurs, Ă  mener double jeu[59]. La promesse d’absence de sanction en mer Noire Ă©touffe le tout, l’ordre d’évacuation ayant d’ailleurs Ă©tĂ© donnĂ© avant la mutinerie[65].

Le contexte de la deuxiĂšme vague est tout diffĂ©rent. Cette deuxiĂšme vague intervient sur fond d’agitation syndicale gĂ©nĂ©rale, comme aussi Ă  l’un des moments les plus critiques de la rĂ©volution russe[59]. Alors qu’en mars, la poussĂ©e de l’ArmĂ©e rouge, soutenue par la population ouvriĂšre des ports ukrainiens, semble irrĂ©sistible, le rebondissement de la contre-rĂ©volution avec l’importante avance de l’armĂ©e blanche de DĂ©nikine provoque, en Ă©tĂ©, une crise aiguĂ« chez les Bolcheviques[59]. Il s’agit alors, pour le gouvernement de LĂ©nine, d’empĂȘcher Ă  tout prix une intervention europĂ©enne qui pourrait apporter une aide dĂ©cisive aux « Blancs ». Cette deuxiĂšme vague, qui touche les ports et arsenaux français, est donc en partie orchestrĂ©e de l’extĂ©rieur, mĂȘme si la situation Ă©conomique et sociale difficile de la France en 1919 (comme dans toute l’Europe) reste le motif essentiel des mouvements. Comme en mer Noire, les Ă©quipages ne suivent pas les leaders qui veulent les entraĂźner dans un mouvement rĂ©volutionnaire. Charles Tillon, qui anime en rade de Patras la mutinerie contre le commandant du cuirassĂ© Guichen, est assez rapidement neutralisĂ©. L’attitude de nombre d’officiers qui ont parfaitement vu l’état d’épuisement des Ă©quipages a aussi fortement contribuĂ© Ă  apaiser les choses par le dialogue et sans effusion de sang[2].

Les suites de la crise

Les héros de la mer Noire. Affiche de soutien aux mutins éditée en 1922. Le Parti Communiste mÚne une active campagne en faveur de la centaine de marins qui ont été condamnés par la justice militaire.
Sortie de prison d’AndrĂ© Marty. Le gouvernement, soucieux d’apaisement, dĂ©cide d’une amnistie en 1922. AndrĂ© Marty est le dernier mutin libĂ©rĂ©, en 1923.
Le ministre Georges Leygues prend en compte les remarques de la commission d'enquĂȘte sur les mutineries et entreprend une active politique de modernisation de la flotte dans les annĂ©es 1920.

Les sanctions : de la sévérité à l'amnistie

MalgrĂ© les promesses des officiers sur l’absence de sanction, la justice militaire condamne les matelots rĂ©voltĂ©s. Condamnation inĂ©vitable car les faits sont trop graves pour qu'il n’y ait pas d’enquĂȘte et de suites judiciaires, quoi qu'aient pu promettre les chefs pour calmer leurs hommes, ce qui est donc une trahison de la parole donnĂ©e. Les sanctions sont lourdes : une centaine de marins, dont certains ont Ă  peine 17-18 ans, sont condamnĂ©s en conseil de guerre. Les peines vont de la mort (commuĂ©e en 20 ans de prison) aux travaux forcĂ©s (10 ans et 20 ans) en passant par la dĂ©tention (15 ans et 20 ans) ou Ă  des peines de travaux publics (6 ans et 8 ans) et Ă  de plus courtes pĂ©riodes de prison (de 1 Ă  5 ans)[66]. Jean Meyer fait cependant remarquer que, compte tenu du nombre de navires touchĂ©s par les mutineries et du nombre d’hommes qui y ont Ă©tĂ© mĂȘlĂ©s de prĂšs ou de loin (plusieurs centaines, voire plusieurs milliers si on prend en compte les deux vagues de troubles), ces sanctions sont plutĂŽt modĂ©rĂ©es[2]. Vingt-six touchent le France, dont six s’accompagnent de la dĂ©gradation militaire et d’une peine de dĂ©tention variant entre 5 et 15 ans [45]. Six pour le Waldeck-Rousseau dont trois avec sursis et une peine de dĂ©tention de 10 ans. Trois hommes seulement sont inculpĂ©s Ă  bord du Jean Bart[45]. Aucun sur le Bruix, l’Algol et le Chamois[45]. Sur le Guichen, touchĂ© par la deuxiĂšme vague de mutinerie, Charles Tillon Ă©cope de 5 ans de bagne au Maroc.

AndrĂ© Marty, seul officier Ă  avoir activement participĂ© aux Ă©vĂšnements (c’était un militaire de carriĂšre engagĂ© en 1908) fait partie des hommes les plus sĂ©vĂšrement condamnĂ©s mais Ă©chappe au pire[67]. Les diffĂ©rents jugements rendus entre le 4 et le lui infligent la peine de mort, aussitĂŽt commuĂ©e en 20 ans de travaux forcĂ©s, assortie de la dĂ©gradation militaire et de 20 ans d’interdiction de sĂ©jour. Condamnation partagĂ©e par le quartier-maĂźtre mĂ©canicien Badina, principal complice de Marty[45]. Si la mutinerie s’était produite en 1917 comme dans l’armĂ©e de Terre, les deux hommes auraient trĂšs certainement Ă©tĂ© fusillĂ©s. Mais l’atmosphĂšre n’est plus la mĂȘme en 1919-1920. Le gouvernement, soucieux de ne pas rompre avec la gauche, minimise l’importance des rĂ©voltes et passe l’éponge rapidement[59]. À la fin de l'annĂ©e 1920, seuls vingt et un condamnĂ©s continuent Ă  purger leur peine[68]. Une amnistie gĂ©nĂ©rale est dĂ©cidĂ©e en [2], sauf pour AndrĂ© Marty, qui n'est libĂ©rĂ© qu'en 1923. Entre-temps, le Parti communiste français a Ă©tĂ© fondĂ© et a activement menĂ© campagne en faveur de la libĂ©ration des condamnĂ©s. AndrĂ© Marty et Charles Tillon y trouvent logiquement leur place, et le PCF construit autour d’eux une lĂ©gende de militants exemplaires ayant fortement contribuĂ© Ă  faire Ă©chouer l’intervention en mer Noire[69]. AndrĂ© Marty Ă©crit une sĂ©rie de livres militants sur ces Ă©vĂšnements[70]. Quant au cinĂ©ma soviĂ©tique, soucieux de propagande, il met en scĂšne dĂšs 1930 un film glorifiant les mutineries : Le Mirabeau[71].

La prise de conscience des carences de la flotte

Quant Ă  la flotte, elle avait, pendant ces Ă©vĂšnements, continuĂ© Ă  faire feu de tout bois, malgrĂ© la faiblesse de ses moyens en MĂ©diterranĂ©e orientale. Presque au mĂȘme moment oĂč elle s’épuisait en mer Noire, l’amiral de Bon avait assurĂ© l’occupation de la Syrie avec le succĂšs du dĂ©barquement français Ă  Beyrouth ()[59]. Cette station navale aux moyens rĂ©duits (1 cuirassĂ© face Ă  6 britanniques) « surveillait » aussi la nouvelle Turquie de Mustafa Kemal AtatĂŒrk[59]. Contre toute attente, elle restait prĂ©sente encore quelques mois en mer Noire, mĂȘme si ce n’était que pour observer l’évolution de la situation et mener — nouveautĂ© apparue peu avant ce conflit — des missions humanitaires[72]. Ce, en particulier, au moment oĂč les armĂ©es de DĂ©nikine, se dĂ©composant et refluant vers le sud, furent obligĂ©es de s’embarquer avec beaucoup de civils fuyant devant la crainte de la rĂ©pression bolchevique sur la cĂŽte sud du Caucase[59]. Ultimes et peu mĂ©diatisĂ©es missions qui soldent le rĂȘve caressĂ© Ă  peine un an plus tĂŽt par Clemenceau d’écraser les Bolcheviques par le sud[73]. OpĂ©ration renouvelĂ©e en 1922 cette fois pour Ă©vacuer par Smyrne les populations grecques d'Asie Mineure fuyant la victoire turque de Mustafa Kemal[74], et qui conclut l'intervention de la marine française dans la rĂ©gion. Ironie de l’Histoire : presque au mĂȘme moment, la flotte blanche de la mer Noire, fuyant la victoire bolchevique, trouvait refuge dans le port de Bizerte jusqu’à ce que le gouvernement français reconnaisse politiquement l’URSS en 1924.

Pour la flotte, les consĂ©quences de ces mutineries vont aussi bien au-delĂ  des sanctions prononcĂ©es par les diffĂ©rents conseils de guerre. L’affaire est jugĂ©e suffisamment grave pour qu’une commission d’enquĂȘte soit nommĂ©e — la commission Barthe — afin d’y voir plus clair sur les causes profondes des Ă©vĂšnements[45]. Son travail minutieux relĂšve que c’est l’état matĂ©riel de la flotte, engagĂ©e dans une opĂ©ration de trop aprĂšs un conflit extĂ©nuant qui est la cause premiĂšre des troubles : « trop de causes convergeaient depuis longtemps Ă  crĂ©er sur tous les bĂątiments, sur le France plus que tout autre, un Ă©tat d’esprit explosif. Celui-ci crĂ©Ă©, la dĂ©flagration Ă©tait Ă  la merci d’une Ă©tincelle. »[45]. La commission pointe aussi les erreurs de l’encadrement et s’avoue « trĂšs fĂącheusement impressionnĂ©e par l’inertie de l’ensemble des officiers mariniers. »[45]Les officiers sont aussi Ă©pinglĂ©s pour leur absence de coordination, ce qui a accentuĂ© le dĂ©sordre et profitĂ© aux mutins[45]. Un avis qui est partagĂ© par les autoritĂ©s navales (du moins celles enquĂȘtant avec un recul suffisant) et qui concluent aussi que ce sont les insuffisances matĂ©rielles, bien plus que la propagande bolchevique, qui sont la cause fondamentale des mutineries[45]. « Rarement une commission d’enquĂȘte fit preuve d’autant de qualitĂ©s de jugement, d’autant d’impartialitĂ© que la commission Barthe. Elle rendit le meilleur service Ă  la marine en situant les mutineries Ă  leur vrai niveau, c'est-Ă -dire en n’exagĂ©rant pas leur importance, et en insistant sur le malaise trĂšs rĂ©el qui traversait alors cette marine. Il fallait de toute urgence la rĂ©nover, rajeunir ses rĂ©glementations, moderniser la vie Ă  bord autant que les mentalitĂ©s » (Jean-Luc BarrĂ©)[45].

La commission reçoit le renfort inattendu de l’armĂ©e de terre. Cette derniĂšre, soucieuse des liaisons avec l’Empire colonial, mĂ©fiante vis-Ă -vis des Anglo-Saxons[75], et qui envisage dĂšs 1921 un nouveau conflit avec l’Allemagne et l’Italie, s’inquiĂšte de l’état de la flotte. Alors que l'armĂ©e allemande est rĂ©duite Ă  peu de choses, PĂ©tain redoute une attaque surprise[76], une crainte qui est prise trĂšs au sĂ©rieux en 1921, car la flotte devrait de toute urgence transporter et escorter des renforts venus des colonies pour complĂ©ter la mobilisation gĂ©nĂ©rale dans une France en pleine crise dĂ©mographique[76]. Or la Marine est dans un Ă©tat lamentable. Outre la crise humaine rĂ©vĂ©lĂ©e par les mutineries, il y a les lourdes pertes en bĂątiments[77] qui s'ajoutent Ă  une usure prononcĂ©e des unitĂ©s restantes utilisĂ©es Ă  leur maximum pendant le conflit. À de rares exceptions, les cuirassĂ©s et croiseurs sont obsolĂštes ou vieillis[78]. Un message parfaitement reçu par la rue Royale alors que la situation financiĂšre du pays reste difficile et que l’opinion se dĂ©sintĂ©resse de ces questions. Le ministre de la Marine, Georges Leygues, entrĂ© au ministĂšre en 1917 dans le cabinet de guerre de Clemenceau et qui est en poste presque continuellement jusqu’au dĂ©but des annĂ©es 1930, entreprend une active politique de modernisation de la flotte[79] - [80].

Notes et références

  1. Meyer et Acerra 1994, p. 331-335.
  2. Jean Meyer dans Vergé-Franceschi 2002, p. 1010-1011.
  3. Sur la perception du 11 novembre 1918 qui varie considĂ©rablement d’un pays Ă  un autre, voir les prĂ©cisions Ă©clairantes de Becker 1996, p. 231-243.
  4. Becker 1996, p. 216-223.
  5. Taillemite 2002, p. 13.
  6. L’URSS est fondĂ©e officiellement en 1922, ce qui explique que ce terme n’est pas employĂ© dans l’article, tout comme le mot « soviĂ©tique » et qu’il lui est prĂ©fĂ©rĂ©, selon les besoins, les appellations de « Russie » ou de « bolchevique » tel que les contemporains des Ă©vĂšnements les utilisaient, sauf s’il est fait rĂ©fĂ©rence Ă  des Ă©vĂšnements survenus aprĂšs 1922. En fonction des traductions, les rĂ©volutionnaires sont orthographiĂ©s « bolcheviques » ou « bolchevicks », voire « bolcheviks. » C'est la premiĂšre appellation qui a Ă©tĂ© retenue ici, sauf si un document d'Ă©poque utilise une des autres orthographes.
  7. Meyer et Acerra 1994, p. 332.
  8. Pour Clemenceau, les Bolcheviques et l’ArmĂ©e rouge sont « une forme nouvelle (
) d’impĂ©rialisme (
) qui fait peser sur l’Europe un danger d’autant plus redoutable qu’il vient au moment prĂ©cis oĂč la fin prochaine de la guerre va provoquer inĂ©vitablement dans chaque pays une crise Ă©conomique et sociale. » Lettre au gĂ©nĂ©ral Franchet d’Esperey citĂ©e par BarrĂ© 1983, p. 44. Quant Ă  Winston Churchill, qui sera membre quelques semaines plus tard de la dĂ©lĂ©gation britannique lors des nĂ©gociations de paix Ă  Versailles, il se montre, devant ses Ă©lecteurs, encore plus virulent : « On est en train de rĂ©duire rapidement la Russie Ă  une forme animale de barbarie
 Les Bolcheviques se maintiennent au pouvoir par des boucheries sanglantes et systĂ©matiques, par des meurtres, exĂ©cutĂ©s en grande partie par des bourreaux chinois ou dans des voitures blindĂ©es
 La civilisation est en passe de disparaĂźtre complĂštement sur de vastes territoires, tandis que les bolcheviques cabriolent comme une bande de fĂ©roces babouins sur les ruines des villes et les cadavres de leurs victimes » (13 novembre 1918). Une des amies de Churchill rapporte ces propos tenus Ă  Lloyd George, le Premier ministre britannique : « Winston a dit Ă  Lloyd George que tant qu’à reconnaĂźtre les Bolcheviks, autant lĂ©galiser la sodomie. » Propos citĂ©s par Winter et Baggett 1997, p. 343-344. Voir aussi Churchill's Crusade : The British Invasion of Russia 1918-1920, Clifford Kinvig, Londres, 2006, (ISBN 1 85285 477 4).
  9. Les Britanniques interviennent aussi pour soutenir la volontĂ© d’indĂ©pendance des nouveaux États de la Baltique, tous anciennes possessions de la Russie d’avant 1914 (Finlande, Estonie, Lituanie, Lettonie). La Royal Navy livre trois batailles navales contre la marine bolchevique, Ă  Tallin (26 dĂ©cembre 1918), Ă  Krasnaya Gorka (17 juin 1919) et Ă  Cronstadt (18 aoĂ»t 1919). (Le Moing 2011, p. 535-538).
  10. Becker 1996, p. 240-241.
  11. Meyer et Acerra 1994, p. 334. Le 22 novembre 1918, Clemenceau prĂ©cise au gĂ©nĂ©ral Franchet d’Esperey les raisons, les buts et les moyens de l’intervention française : « Raisons : nous sommes appelĂ©s par les gouvernements et les populations. Nous avons Ă  contrĂŽler l’exĂ©cution de l’armistice avec l’Allemagne en ce qui concerne l’évacuation des troupes allemandes. Buts : maintenir l’ordre intĂ©rieur en soutenant les gouvernements locaux [c’est-Ă -dire non-bolcheviks]. Leur donner le temps et les moyens d’organiser leur propre armĂ©e. Assurer la protection des intĂ©rĂȘts alliĂ©s tout en s’abstenant d’intervenir dans la politique intĂ©rieure. Moyens : occupation des ports d’Odessa, SĂ©bastopol
 Assurer l’ordre dans le bassin du Donetz par envoi de dĂ©tachements. Envoyer Ă  DĂ©nikine [le gĂ©nĂ©ral blanc qui commande l’ArmĂ©e des volontaires] de l’armement, des munitions et des officiers d’état-major. » CitĂ© par BarrĂ© 1983, p. 44. Un courrier de Clemenceau parle aussi de « rĂ©aliser l’encerclement Ă©conomique du bolchevisme et en provoquer la chute » comme Ă©tant une prioritĂ©. CitĂ© par Munholland 1981, p. 43.
  12. Cité par Munholland 1981, p. 43.
  13. Meyer et Acerra 1994, p. 333. Les clauses de l’armistice du 11 novembre 1918 prĂ©voient que ces troupes quitteront la rĂ©gion « dĂšs que les AlliĂ©s jugeront le moment venu », site canalblog.com, d’aprĂšs un article de l’Encyclopedia Universalis.
  14. Meyer et Acerra 1994, p. 333. De Bon est un officier talentueux qui s’est illustrĂ© pendant toute la guerre. Il est aussi trĂšs apprĂ©ciĂ© des AlliĂ©s en raison de ses brillantes capacitĂ©s de diplomate. L’amiral amĂ©ricain Sims dĂ©clarait que « ses conseils valaient plusieurs escadres. » (Taillemite 2002, p. 55-56).
  15. Munholland 1981, p. 45.
  16. Outre la dĂ©mobilisation, l’épidĂ©mie de grippe espagnole neutralise une des trois divisions. Munholland 1981, p. 46.
  17. Munholland 1981, p. 47.
  18. Le blocus durait depuis 1914. C’est l’entrĂ©e en guerre de la Turquie aux cĂŽtĂ©s de l’Allemagne qui avait fermĂ© la mer Noire Ă  la navigation. L’échec de la tentative franco-britannique de 1915-1916 visant Ă  rouvrir les dĂ©troits des Dardanelles pour soulager la Russie avait achevĂ© d’isoler cette derniĂšre et expliquait en grande partie son effondrement en 1917. La RĂ©volution n’arrange rien car les AlliĂ©s ont dĂ©cidĂ© en 1918 de poursuivre le blocus dans le but cette fois d’étouffer le gouvernement bolchevique. Le blocus des cĂŽtes ukrainiennes stoppe la redistribution du charbon du bassin du Donetz, ce qui achĂšve de tout paralyser. Meyer et Acerra 1994, p. 333.
  19. Munholland 1981, p. 51.
  20. Les officiers blancs sont dĂ©crits dans les rapports français comme irresponsables et arrogants : « Ils jouent, boivent et s’amusent comme par le passĂ©. » Amet juge que l’armĂ©e des Volontaires « ne constitue pas en rĂ©alitĂ© une force sĂ©rieuse et que les Ă©lĂ©ments qui entourent son chef ne sont pas d’un moral Ă  la hauteur de la tĂąche qui leur incombe. » Extraits citĂ©s par Munholland 1981, p. 48.
  21. Munholland 1981, p. 50. Un coup d’Ɠil sur une carte permet de voir les distances entre les diffĂ©rentes localitĂ©s et de mieux comprendre les difficultĂ©s des opĂ©rations. Par commoditĂ©, les distances sont exprimĂ©es en km et non en mille nautiques comme il est d’usage pour les opĂ©rations navales. À l’Est, presque 300 km sĂ©parent par mer Odessa et SĂ©bastopol. Kherson et NikolaĂŻev sont relativement proches d’Odessa, mais Kertch est Ă  l’extrĂ©mitĂ© Est de la presqu’üle de CrimĂ©e, soit Ă  peu prĂšs 200 km par mer de SĂ©bastopol. Marioupol, au fond de la mer d’Azov est Ă  peu prĂšs Ă  600 km de SĂ©bastopol par mer. En contournant la CrimĂ©e par mer, prĂšs de 900 km sĂ©parent Odessa de Marioupol, les deux ports les plus Ă©loignĂ©s oĂč ont dĂ©barquĂ© les Français. Comme aucune garnison ne peut porter secours Ă  une autre par voie de terre en cas de difficultĂ©, le rĂŽle de la Marine, qui porte Ă  bout de bras toute la logistique, est absolument essentiel.
  22. Munholland 1981, p. 50.
  23. C’est le cas par exemple de Jacques Sadoul, un officier de rĂ©serve faisant partie de la mission envoyĂ©e en Russie au moment de la premiĂšre rĂ©volution et ralliĂ© au Bolchevisme. Il Ă©crit un pamphlet, « Vive la RĂ©publique des Soviets », depuis Kiev Ă  l’adresse des soldats et marins, Munholland 1981, p. 49. On peut citer aussi l’exemple de Jeanne Labourbe, une Parisienne vivant en Russie depuis longtemps et ayant adhĂ©rĂ© dĂšs la premiĂšre heure aux idĂ©es bolcheviques. Elle vient Ă  Odessa pour imprimer et diffuser des tracts et affiches en français Ă  l’adresse des troupes d’intervention. ArrĂȘtĂ©e avec son groupe, elle est fusillĂ©e le 2 mars 1919 par les forces blanches, ce qui fait immĂ©diatement dire Ă  certains que l’armĂ©e française s’est rendue complice de cette affaire. Cette derniĂšre n’a pourtant appris le drame qu’aprĂšs coup car elle n’était pas au courant de la prĂ©sence de Jeanne Labourbe Ă  Odessa. Site palicia.blogspot.fr Jeanne Labourbe, une Lapalissoise dans la RĂ©volution russe. Voir aussi le site militant collectif-smolny.org qui donne quelques dĂ©tails sur cette affaire d’aprĂšs le rĂ©cit d’AndrĂ© Marty, p. 190 Ă  200.
  24. Un officier notera plus tard : « il paraitrait que nos soldats ne voulaient pas se battre contre les Bolcheviques, non parce qu’ils sont bolcheviques eux-mĂȘmes, mais simplement parce ce qu’ils trouvaient stupide de se battre. » Un officier franco-russe originaire d’Odessa, le colonel Freydenberg Ă©crit que « les soldats français qui ont sauvĂ© leur vie Ă  la Marne et Verdun ne veulent pas la perdre dans les plaines russes. » CitĂ© par Munholland 1981, p. 50.
  25. Munholland 1981, p. 50. DĂšs novembre 1918, c'est-Ă -dire avant que ne soit vĂ©ritablement lancĂ©e l’intervention en mer Noire, des actes d’insubordination sont notĂ©s dans les troupes françaises dĂ©barquĂ©es en Russie septentrionale, Facon 1977, p. 456. Les dĂ©sordres touchent aussi l’armĂ©e britannique. En septembre 1918, une compagnie dĂ©barquĂ©e en Russie septentrionale refuse d’attaquer un village tenu par l’ArmĂ©e rouge. Clifford Kinvig, Churchill's Crusade : The British Invasion of Russia 1918-1920, Londres, 2006.
  26. Il demande huit divisions roumaines, trois grecques et neuf divisions françaises politiquement « trĂšs fiables », Ă  moins d’« envisager la retraite rapide de tous nos Ă©lĂ©ments, quelles que puissent ĂȘtre les consĂ©quences morales immĂ©diates. » Munholland 1981, p. 51.
  27. Il s’agit du 58e rĂ©giment d’infanterie et du 2e rĂ©giment de montagne Charpy 2011, p. 277
  28. Barré 1983, p. 44
  29. BarrĂ© 1983, p. 44. Le problĂšme se pose aussi dans le grand port d’Odessa. Seul le Jules Michelet y est Ă  mĂȘme de franchir les jetĂ©es, rejoint difficilement par le Mirabeau qui a dĂ» ĂȘtre allĂ©gĂ© d’une partie de son charbon. Ibid..
  30. Munholland 1981, p. 52.
  31. Meyer et Acerra 1994, p. 334. Il s’agit d’hommes du 176e rĂ©giment d’infanterie. Facon 1977, p. 456.
  32. Il s’agit du mouilleur de mines Pluton, des avisos Algol, Altair, Aldebaran, et du torpilleur Mameluck. Munholland 1981, p. 52.
  33. Munholland 1981, p. 53.
  34. Meyer et Acerra 1994, p. 334. Taillemite 2002, p. 387-388.
  35. Il s’agit des compagnies de dĂ©barquement des avisos Scarpe, Hussard, PhĂ©nix et Enseigne Henry
  36. Munholland 1981, p. 54.
  37. Munholland 1981, p. 55.
  38. Munholland 1981, p. 56-57.
  39. BarrĂ© 1983, p. 44. Franchet d’Esperey demandera cependant un peu plus tard le remplacement des gĂ©nĂ©raux Nerel et Borius, qui « ne possĂ©daient plus l’esprit et l’énergie indispensable » pour participer Ă  l’intervention. CitĂ© par Munholland 1981, p. 62. La prise du pouvoir par les communistes en Hongrie, le 21 mars, fait aussi redouter une guerre sur les arriĂšres des forces françaises qui stationnent en Roumanie.
  40. « Aucun envoi de vivres n’étant arrivĂ© de France, la ville est depuis hier sans nourriture autre que celle que le gĂ©nĂ©ral D’Anselme a dĂ» distribuer sur les dĂ©pĂŽts militaires. Situation alimentaire sans remĂšde
 Afin d’éviter une catastrophe, je donne ordres pour Ă©vacuation ville d’Odessa, d’abord de la population civile alliĂ©e puis des troupes. » CitĂ© par BarrĂ© 1983, p. 44
  41. 50 000 personnes selon Munholland 1981, p. 56-57. 10 000 civils Ă©trangers et 50 000 Russes protĂ©gĂ©s par les cuirassĂ©s Justice et Jean-Bart, les croiseurs Jules-Michelet et Bruix, les avisos Aldebaran, Spahi, Dehorter, Mameluck, ainsi que divers bĂątiments Ă©trangers selon le site marietjj.com.
  42. CitĂ© par BarrĂ© 1983, p. 44. Franchet d’Esperey est un excellent gĂ©nĂ©ral qui a fait ses preuves dans les Balkans oĂč il a donnĂ© la victoire Ă  la France Ă  l’automne 1918.
  43. Munholland 1981, p. 59-60.
  44. Participent au bombardement les cuirassés France, Jean Bart, Vergniaud, Justice, le croiseur Du Chayla, le torpilleur Dehorter, des navires grecs et le porte-avion britannique HMS Empress.
  45. Barré 1983, p. 50.
  46. AndrĂ© Marty dira plus tard que l’objectif Ă©tait « de nous emparer par surprise du Protet (
) et de nous rĂ©fugier dans un port tenu par les Bolchevicks. LĂ  nous gardions comme otages les officiers, renvoyions en France les officiers mariniers et les matelots qui ne voulaient pas marcher, complĂ©tions notre Ă©quipage avec les dĂ©serteurs et nous tenions prĂȘts sous pavillon rouge Ă  porter secours aux camarades. Avec un cuirassĂ© organisĂ© comme nous, nous venions Ă  Marseille et lĂ , face au pays, otages Ă  bord, exigeons le retour en France de l’immense flotte Amet. » CitĂ© par BarrĂ© 1983, p. 50.
  47. Barré 1983, p. 47.
  48. « Les mesures essentielles de sĂ©curitĂ© sont prises : fermeture des cloisons transversales cuirassĂ©es, enlĂšvement des armes des rĂąteliers, mise Ă  l’abri des clĂ©s des soutes, surveillance renforcĂ©e de celles-ci. » Rapport citĂ© par BarrĂ© 1983, p. 47.
  49. Barré 1983, p. 48-49.
  50. Charpy 2011, p. 277.
  51. Masson 1995, p. 349 à 367. Pages citées sur le site Forum Pages d'Histoire aviation marine 1914-1918.
  52. Un drapeau rouge, volé dans un coffre au début de la mutinerie, est remis à sa place à la fin de celle-ci sans avoir servi. Masson 1995, p. 349 à 367.
  53. Taillemite 2002, p. 387-388.
  54. Charpy 2011, p. 278.
  55. Meyer et Acerra 1994, p. 331.
  56. Marc Ferro, d’aprĂšs un article de Jean MassĂ©, dans les Feuillets documentaires rĂ©gionaux, no 8, 1969, Marseille, disponible sur le site persee.fr.
  57. La censure sur la presse n’est levĂ©e par le gouvernement Clemenceau que le 12 octobre 1919, soit presque un an aprĂšs la signature de l’armistice et presque quatre mois aprĂšs la conclusion du traitĂ© de paix, ce qui tĂ©moigne, en creux, de l’atmosphĂšre encore trĂšs guerriĂšre de l’annĂ©e 1919. Becker 1996, p. 127.
  58. Charles Tillon, La révolte vient de loin, Paris, Union générale d'édition, coll. « 10/18 » (no 671), , 446 p.
  59. Meyer et Acerra 1994, p. 335-338.
  60. Masson 1995
  61. Barré 1983, p. 46.
  62. Il est remorqué vers Toulon au moment de l'évacuation de Sébastopol. Fiche du cuirassé sur le site navires-14-18.com.
  63. Winter et Baggett 1997, p. 343-345.
  64. BarrĂ© 1983, p. 50. Site canalblog.com, d’aprĂšs un article de l’Ecyclopedia Universalis
  65. Le dĂ©putĂ© Émile Goude cite Ă  la Chambre cette lettre d’un marin mutinĂ© du Jean-Bart le 12 juin 1919. Son contenu montre la lassitude des hommes engagĂ©s dans une guerre qu’ils ne comprennent pas mais aussi l’absence de revendication de type rĂ©volutionnaire malgrĂ© la prĂ©sence du drapeau rouge : « Nous ne voulons rien. Nous n’avons rien contre vous, ni contre les officiers, mais nous vous dĂ©clarons que si vous voulez nous ramener en France, nous vous laissons votre autoritĂ© ; sinon, Ă  partir de ce moment-ci, c’est nous qui prenons, au nom de l’équipage, toutes les responsabilitĂ©s. [
] Nous ne voulons pas faire cette guerre qui n’est pas votĂ©e par le Parlement. Nous voulons retourner en France. [
] Le lendemain, le 20 au matin, le jour de PĂąques, le pavillon rouge est hissĂ© Ă  bord des bĂątiments de guerre. M. de KerhĂ©zec (NDLA : dĂ©putĂ© intervenu avant l’orateur) vous disait qu’ils ne cherchaient pas Ă  renier par lĂ  leur qualitĂ© de Français, car le pavillon français Ă©tait lui aussi, hissĂ© dans les formes ordinaires, je m’empresse de le confirmer. Pendant quatre jours, les pourparlers ont continuĂ© et, au bout de ce temps, le commandant d’abord, l’amiral ensuite, ont acquiescĂ© au dĂ©sir des dĂ©lĂ©guĂ©s, Ă  savoir que les bĂątiments rentreraient en France, que les hommes ne participeraient plus Ă  la tuerie, Ă  l’assassinat des populations russes, et qu’en arrivant en France, il n’y aurait aucune sanction, mais qu’au contraire les hommes seraient envoyĂ©s en permission. » (Charpy 2011, p. 277). Voir aussi le tĂ©moignage de Jean Le Lann, un marin de Plougastel-Daoulas, qui se trouvait Ă  bord du Jean-Bart : Yann Tanguy, « Jean Le Lann, un Plougastel tĂ©moin des mutineries de la mer Noire », sur Wiki-Brest (consultĂ© le ).
  66. Charpy 2011, p. 278
  67. AndrĂ© Marty Ă©tait Ă©lĂšve officier en 1914. Il est dĂ©crit Ă  ce moment-lĂ  comme un excellent Ă©lĂ©ment, mais renfermĂ©, voire aigri. Voisin 1995, p. 704. Jean-Luc BarrĂ© le prĂ©sente aussi comme un faible tacticien, violent de surcroit et dĂ©testĂ© par bon nombre de ses hommes, ce qui explique la facilitĂ© avec laquelle son complot a Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©. Son niveau exact d'engagement auprĂšs des Bolcheviques en 1919 reste mal connu. ArrĂȘtĂ© dans la nuit du 16 avril vers 23 heures, il a Ă©tĂ© placĂ© aux arrĂȘts dans sa cabine sans avoir Ă©tĂ© fouillĂ© auparavant, ce qui lui a permis de faire disparaĂźtre d'Ă©ventuels documents compromettants, BarrĂ© 1983, p. 50.
  68. BarrĂ© 1983, p. 50. Le gouvernement britannique fait la mĂȘme dĂ©marche. Sur la compagnie de Tommies qui s’était mutinĂ©e en septembre 1918 en Russie septentrionale, 93 hommes ont Ă©tĂ© traduits en cour martiale et 13 ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă  mort, sans compter les peines de prison. C’est bien plus sĂ©vĂšre que les jugements rendus par la justice militaire française au vu du nombre presque Ă©gal de prĂ©venus. Mais en dĂ©cembre 1919, Ă  la suite d'une saisie de plusieurs membres de la Chambre des communes, la sentence est cassĂ©e et les peines rĂ©duites. Clifford Kinvig, Churchill's Crusade : The British Invasion of Russia 1918-1920, Londres, 2006.
  69. Meyer et Acerra 1994, p. 333. AndrĂ© Marty est Ă©lu au Soviet de Moscou par les ouvriers de l’usine Dynamo alors qu’il est encore incarcĂ©rĂ©.
  70. La rĂ©volte de la Mer Noire (1925, Paris : L'avant-garde, rĂ©Ă©ditĂ©, augmentĂ© et remaniĂ© en 1929 et 1932). Les heures glorieuses de la mer Noire, (Éditions du Parti Communiste français, 1949, rĂ©Ă©ditĂ© en 1999.)
  71. Alors mĂȘme que le Mirabeau n'est pas le navire qui a Ă©tĂ© le plus touchĂ© par les mutineries. Le film apparait comme un dĂ©calque du CuirassĂ© Potemkine tournĂ© en 1925. Un remake est tournĂ© en 1966, L’Escadre appareille vers l’Ouest. Lubomir Hosejko, sur le site kinoglaz.fr.
  72. Site du Service Historique de la DĂ©fense, janvier 2010.
  73. TrĂšs sĂ©vĂšres avec cette affaire il est vrai peu Ă  la gloire de Clemenceau, Martine Acerra et Jean Meyer rĂ©trogradent l’intervention au rang d’« aventure » « utopique », « dĂ©raisonnable » et « peu rĂ©flĂ©chie », (Meyer et Acerra 1994, p. 337).
  74. Meyer et Acerra 1994, p. 337.
  75. Londres et Washington estiment au lendemain de sa signature que le TraitĂ© de Versailles est trop sĂ©vĂšre avec l’Allemagne. Washington refuse mĂȘme de le ratifier et n’entre donc pas Ă  la SDN, un organisme pourtant crĂ©e sur proposition du PrĂ©sident amĂ©ricain.
  76. Meyer et Acerra 1994, p. 329-330.
  77. La Marine a perdu entre 1914 et 1918, (sans compter les unités auxiliaires) : 4 cuirassés, 5 croiseurs cuirassés, 1 croiseur léger, 16 destroyers et 12 sous-marins. Meyer et Acerra 1994, p. 326-327.
  78. C’est particuliĂšrement le cas des nombreux cuirassĂ©s PrĂ©-Dreadnought dont est pourvue la flotte. Meyer et Acerra 1994, p. 338. Le Mirabeau, qui en fait partie, n’est d’ailleurs pas remis en ligne. Ses avaries, Ă  la suite de son Ă©chouage devant SĂ©bastopol, sont jugĂ©es trop couteuses pour ĂȘtre rĂ©parĂ©es, compte tenu de sa faible utilitĂ© militaire, pages14-18, extraits du rapport de l'ingĂ©nieur du gĂ©nie maritime Ricaud (mai 1919). Sur le moment, l’intervention en mer Noire coĂ»te donc un cuirassĂ© de plus Ă  la flotte.
  79. Taillemite 2002, p. 335-336
  80. Meyer et Acerra 1994, p. 338-342.

Voir aussi

Sources et bibliographie

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  • CĂ©sar Fauxbras, Mer Noire : les mutineries racontĂ©es par un mutin, Flammarion, , 259 p. (OCLC 459505615)
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  • Guy Le Moing, Les 600 plus grandes batailles navales de l’Histoire, Rennes, Marines Éditions, , 620 p. (ISBN 978-2-35743-077-8)Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
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  • Jean-Louis Voisin (dir.), Dictionnaire des personnages historiques, Le Livre de poche, coll. « PochothĂšque EncyclopĂ©die Aujourd’hui » (no 3011), (ISBN 2-253-13028-1)Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • François Cochet et RĂ©my Porte, Dictionnaire de la Grande Guerre 1914-1918, Paris, Éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins »,
  • Alain Boulaire, La Marine française : De la Royale de Richelieu aux missions d'aujourd'hui, Quimper, Ă©ditions Palantines, , 383 p. (ISBN 978-2-35678-056-0)
  • RĂ©mi Monaque, Une histoire de la marine de guerre française, Paris, Ă©ditions Perrin, , 526 p. (ISBN 978-2-262-03715-4)

Articles connexes

Liens externes

  • Le rĂ©cit de la mutinerie sur le Waldeck-Rousseau : extrait de l’ouvrage de Philippe Masson sur pages14-18.mesdiscussions.net (1982).Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Le compte-rendu de l’agitation rĂ©volutionnaire Ă  Toulon et sur le Provence, par Marc Ferro, sur le site persee.fr (1969).Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • (en) John Kim Munholland, « The French army and intervention in Southern Russia, 1918-1919 », Cahiers du monde russe et soviĂ©tique, vol. 22, nos 22-1,‎ , p. 43-66 (lire en ligne)Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
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