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Émile Muselier

Émile Henry Muselier, né à Marseille le et mort à Toulon le , est un vice-amiral français qui organisa les Forces navales françaises libres[1]. Il a été le premier officier général à rallier Charles de Gaulle à Londres dès le . C'est lui qui eut l'idée de distinguer la marine FNFL de celle de Vichy, en adoptant la croix de Lorraine (en souvenir de son père d'origine lorraine), qui devint ensuite l'emblème de toute la France libre[2]. Il effectua le ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon à la France libre, le .

Entré à l'École navale en 1899[3] - [1] la même année que l'amiral Darlan et après une carrière militaire, brillante mais mouvementée, il tentera vainement sa chance aux élections législatives de 1946, en tant que vice-président du Rassemblement des gauches républicaines, avant de se reconvertir comme ingénieur conseil dans le privé jusqu'en 1960[1]. Il est inhumé au cimetière Saint-Pierre, à Marseille.

Ascension rapide et mises en accusation

La première partie de sa carrière est marquée par sa campagne en Extrême-Orient (1902-1905)[3], plusieurs autres en 1914 en Adriatique[4], celle en Albanie[4], entrecoupées de séjour à Toulon. En 1915, sur sa demande, il se bat aussi sur l'Yser[4] en Belgique à la tête d'une unité de fusiliers marins, avant de commander une batterie d'artillerie de marine en Champagne[3]. En 1916, il est affecté comme président de la section marine au ministère des Inventions[4] (on lui doit notamment les rideaux de fumée pour les navires).

À ce titre, il embarque une quantité d'appareils innovants (chapelets de mines, appareil fumigène, générateur de gaz asphyxiants, grenades sous marines et hydrophones) à bord du cargo Sénégambie de la Compagnie Générale Transatlantique. Il appareille le de Bordeaux en même temps qu'un convoi de navires de commerce anglais, le navire qu'il commande jouant le rôle d'un navire piège. Le Sénégambie, commandé par Muselier, soutiendra le surlendemain un combat contre un sous-marin allemand dans le golfe de Gascogne, combat long et indécis (l'U boot finit par se dérober dans la nuit) au cours duquel les divers matériels seront testés en conditions réelles[5].

Son premier commandement à la mer est l'aviso Scape, en avril 1918[4]. Il y montre son autorité, alors que la Marine est confrontée en 1919 des mutineries qui frappent l'escadre de la mer Noire (les marins, agités par les communistes, souffrent de continuer la guerre sans contact avec leurs familles[6]). Son bâtiment est le seul de l’escadre à ne pas arborer le drapeau rouge, après qu’il y a maté une tentative de révolte. C’est là qu’il gagne son surnom de « rouge » mais non par adhésion aux idées communistes. En , il défend efficacement le port de Marioupol, en mer d'Azov, contre les Bolcheviks[7] - [4]. Un blâme lui est infligé, le , pour l’affaire dite d’Otchakow, où une série d’imprudences coûta la vie à cinq de ses hommes et mit à mal les accords passés entre les autorités soviétiques et françaises[8].

Il est le premier commandant du torpilleur d'escadre Ouragan, en 1925[4], puis il embarque sur le croiseur cuirassé Ernest Renan en 1927[4], ensuite sur le cuirassé Voltaire en 1930[4] puis commande le cuirassé Bretagne en 1931[4] .

Un rapport de la police de Toulon auprès de la direction de la Sûreté générale, le , fait état de la saisie d’opium au domicile qu’il partage avec sa maîtresse, Madame Oswald, qui avoue en faire usage « en compagnie de Monsieur Muselier ». Cette suspicion ne prouvant pas la consommation suffit à le disculper[8], la consommation d'opium était courante, à l'époque, dans la Marine[9]. Son dossier personnel indique une faiblesse physique à son retour d’Extrême-Orient en 1909 et en fait à nouveau état dans les années 1930, où plusieurs supérieurs notent ses problèmes nerveux[10].

Tout cela n'a pas contribué à sa bonne réputation au sein de la communauté maritime.

Nommé contre-amiral, il devient en 1933 major général de la 4e région maritime au port de Sidi-Abdallah (Tunisie) où il crée des œuvres sociales comme « La Mie de pain »[4].

En 1938, il est le commandant de la marine et du secteur de défense de la ville de Marseille[4]. C'est lui qui demanda à la Préfecture maritime de Toulon d'envoyer un détachement de marins pompiers pour lutter contre l'incendie des "Nouvelles Galeries" qui causa la mort de 73 personnes le .

Auparavant, il avait été attaché aux cabinets de Paul Painlevé[3] et de Georges Clemenceau[3], puis chef d'état-major de la délégation de contrôle naval en Allemagne[3].

Nommé vice-amiral le [11], il est placé dans la deuxième section des officiers généraux par mesure disciplinaire le , à la suite d'incidents l'ayant opposé à l'amiral Darlan[4] qui était de la même promotion que lui à l'École navale.

En , il effectue une mission comme journaliste au Levant[4]. De mars à juin 1940, il est ingénieur dans une entreprise réquisitionnée par le ministère de l'Air et de l'Armement[4].

Figure de la France libre

Le vice-amiral Muselier en 1941.

Il est le premier officier général à rejoindre le général de Gaulle, le [11] - [1]. Le , celui-ci le nomme au commandement des forces maritimes françaises restées libres[11] - [4] et à celui, provisoire, des forces aériennes[11] - [4], fonctions qu'il se verra confirmer avec le titre de Commissaire, à la création du Comité national français en 1941[3]. Ce jour-là, il lui propose, en présence du capitaine de corvette Thierry d'Argenlieu, l'adoption de la Croix de Lorraine comme emblème[2] - [4] - [12] - [13] - [14] en opposition à la croix gammée[15]. Dans son ordre général no 2 du , le vice-amiral Émile Muselier crée donc pour les forces françaises ralliées à de Gaulle un pavillon de beaupré (carré bleu avec, au centre, la croix de Lorraine en rouge par opposition à la croix gammée) et pour les avions, une cocarde à croix de Lorraine[16] - [17]. La Croix de Lorraine devint ensuite l'emblème de toute la France libre.

Le même jour, Muselier avait rédigé son propre appel, adressé aux marins et aux aviateurs[4]. Il forme ensuite un début d'état-major avec le capitaine de vaisseau Thierry d'Argenlieu et l'enseigne de vaisseau Voisin, puis part en mission pour Alexandrie « afin de se rendre compte de la possibilité d'un coup d'État en Syrie[4] ».

Les tentatives de ralliement sont difficiles. En 1940, le capitaine de frégate de Quiévrecourt, qui commandait l’aviso Dumont d’Urville, refusa de rejoindre la France Libre lorsque Nouméa se rallia. Muselier envoya un télégramme le destituant et nommant à sa place l'officier en second. Celui-ci rejeta l’ordre et donna cette réponse pour le vice-amiral Muselier : « De la part Commandant, officier en second, état-major et équipage du Dumont d’Urville. Votre 230. Stop. Merde[18]. » C’est depuis ce temps-là que dans la Marine on ne renvoie pas au « mot de Cambronne », mais au « mot de Quiévrecourt ».

Le , il est arrêté avec ses deux secrétaires par la police britannique, à la suite d'une dénonciation pour trahison, sur le fondement de faux documents[11], et incarcéré à la prison de Pentonville. Les Britanniques le soupçonnent d'être secrètement entré en contact avec Vichy[11], d'avoir transmis à Darlan le plan de l'expédition de Dakar[11] et de projeter de lui livrer le Surcouf. Sceptique, de Gaulle présente devant Eden une protestation orale et une note écrite démontant le dossier d'accusation. Après avoir obtenu de rencontrer le vice-amiral à Scotland Yard le , le chef de la France libre menace, le 8, de rompre ses relations avec le Royaume-Uni. Innocenté, Muselier est libéré le lendemain avec ses secrétaires et le Gouvernement britannique doit lui présenter des excuses[11] - [19]. Cet épisode aura malgré tout terni ses relations avec de Gaulle[13].

En septembre 1941, poussé notamment par André Labarthe, il tente en vain d'imposer à de Gaulle un « comité exécutif de la France libre » présidé par lui-même et largement composé d'opposants au chef des Forces françaises libres. Le comité national français, créé le , est dirigé par de Gaulle[20].

Malgré ses réticences mais sur ordre du général de Gaulle[21], il réalise le ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon[3] - [13]. Le , à trois heures du matin[21], débarquant avec quatre bâtiments français en provenance d'Halifax (le sous-marin Surcouf et les corvettes Alysse, Mimosa, Aconit)[21], et installant l'enseigne de vaisseau Alain Savary comme Commissaire de la France libre[22]. Ce fait d'armes alimentera l'animosité du président Roosevelt à l'égard du Général[23]. De Gaulle s'était engagé à laisser carte blanche à Muselier, lequel, compte tenu du changement survenu dans la situation des États-Unis à la suite de l'attaque japonaise contre Pearl Harbour le , décide de faire part des intentions de la France Libre concernant Saint-Pierre-et-Miquelon aux nouveaux alliés que sont les Américains, considérant que l'opération ne peut plus être menée par surprise[24]. Mais, craignant les vues des Canadiens et des Britanniques sur l'archipel, ce que certaines informations laissaient à penser[21], le général s'était ravisé pour affirmer la souveraineté française[25]. Cela conduira finalement le vice-amiral à démissionner de son poste de Commissaire[4] - [26].

Considéré comme peu loyal par de Gaulle, Muselier est ensuite écarté par ce dernier, un an et demi plus tard, à Alger, à cause de graves divergences politiques. Préférant être nommé par le général Giraud[4] - [3], il est l'éphémère responsable civil et militaire d'Alger[4], en juin 1943, et a même semblé prendre la tête d'un putsch anti-gaulliste, avant que le général de Gaulle ne s'impose seul à la tête du Comité français de la Libération nationale.

En septembre 1944, de Gaulle le nomme chef de la délégation navale à la Mission militaire pour les affaires allemandes[4] - [3].

Après la Libération

Il est définitivement admis à la retraite le .

Condamné par le régime de Vichy à la peine de mort et à la confiscation de ses biens (1940) ainsi qu'à la déchéance de la nationalité française (1941), ces peines sont frappées de non-droit à la Libération. Mais il doit batailler devant le Conseil d'État jusqu'en 1954, pour faire valoir le droit à une retraite pleine et faire annuler sa mise en retraite forcée en 1939 par Darlan[27].

Ami de Mendès France, radical socialiste, patriote et républicain, celui qui dans La Royale avait été surnommé « l'amiral rouge » se lance dans la politique.

Lors des Ă©lections municipales d'avril 1945, il dĂ©cide de prĂ©senter Ă  Marseille une liste « rĂ©publicaine » avec comme tĂŞte de liste son fils Maurice, encore dĂ©tenu en Allemagne et dont il n'avait alors pas de nouvelles[27]. C'est un Ă©chec, la liste ne recueillant que 7 109 voix contre 144 223 pour la liste Defferre-Billoux[27]. Il continue un temps la politique, adhĂ©rant brièvement au Parti radical[27].

Il se présente aux élections législatives de 1946 dans le second secteur de Paris sous l'étiquette « Rassemblement des Gauches »[4] mais battu il se retire de la vie politique[4].

Il s'installe alors à Toulon, dans une villa du cap Brun[27]. Désapprouvant la guerre d'Indochine[27], il adhère au Mouvement de la paix et siège a son Conseil national[27]. Il refuse une invitation de De Gaulle à venir le rencontrer à l'Élysée lorsque ce dernier devient président de la République, en 1958[27].

Il meurt à l'hopital militaire de Sainte-Anne[27] à Toulon le . Ses obsèques se déroulent à Toulon avec les honneurs militaires le , puis à Marseille le lendemain[27] avec son inhumation au cimetière Saint-Pierre[27].

Grades militaires successifs

DĂ©corations

Ouvrages

  • Émile Muselier, Marine et RĂ©sistance, Paris, 1945.
  • Émile Muselier, De Gaulle contre le gaullisme, Paris, 1946.

Filiation

L'homme politique Renaud Muselier est son petit-fils[13].

Notes et références

  1. « Émile Muselier (1882-1965) », sur le site cheminsdememoire.gouv.fr.
  2. « Croix de Lorraine », francelibre.fr. (mis en cache par wikiwix, restauré le 25 août 2013).
  3. « Muselier Émile », site consacré au général de Gaulle, charles-de-gaulle.org, consulté le 14 avril 2009.
  4. « Émile Muselier », sur le site de l'Ordre de la Libération, ordredelaliberation.fr, consulté le 14 avril 2009.
  5. Contre Amiral Lepotier (D.L. N° 496), Bateaux pièges, Paris, France Empire, , 319 p., « Chapitre XVIII », p. 262-272.
  6. Masson 1995, p. 291, 321 et 516.
  7. Meyer et Acerra 1994, p. 334. Taillemite 2002, p. 387-388.
  8. Barré 2003, p. 119.
  9. Claude Farrère, Fumée d'opium, éd. Kailash, 1904 ; rééd. 1996 [recension dans Éric Dussert, « Fumée d'opium de Claude Farrère », Le Matricule des Anges, no 38, mars-mai 2002, en ligne sur lelibraire.com (page consultée le 14 février 2010)].
  10. Barré 2003, p. 120.
  11. Aron 1964, p. 196 : « […] Ses trois étoiles sont apparues régulièrement sur ses manches le après une carrière longue, glorieuse, mais prêtant à quelques discussions dans les milieux de la marine. »
  12. La Seconde Guerre mondiale, « La Croix de Lorraine », charles-de-gaulle.org.
  13. Charles Gilbert, « Les grandes familles de Marseille – Les Muselier », sur lexpress.fr, L'Express, (consulté le ).
  14. Le général de Gaulle ne retiendra que le nom de Thierry d'Argenlieu dans ses Mémoires de guerre. Le texte exact (dans le tome I, L'Appel) de De Gaulle est : « Le 21 juillet [1940], j'obtins que plusieurs de nos aviateurs prissent part à un bombardement de la Ruhr et fis publier que les Français Libres avaient repris le combat. Entre-temps, tous nos éléments, suivant l'idée émise par d'Argenlieu, adoptèrent comme insigne la Croix de Lorraine. » (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre – L'Appel (1940-1942), chap. « La France Libre », Plon, 1954 (repris par édit. Pocket (ISBN 978-2-266-09526-6), p. 99.).
  15. « Sous le signe de la Croix de Lorraine », article publié par France d'abord, journal brazzavillois, dans le no 18 du mercredi , p. 11-13, reproduisant, comme indiqué en en-tête, « des extraits d'une conférence faite dernièrement à Londres par l'amiral Muselier ». Muselier explique, paragraphes 4 à 6 de l'article, p. 11 : « Dès le début, il m'a paru nécessaire de différencier de façon apparente, les bâtiments de guerre de la France Libre et ceux restés fidèles au Gouvernement du maréchal Pétain.
    Un de mes premiers ordres — du 2 juillet, si j'ai bonne mémoire — précisa que les bâtiments des Forces Navales Françaises Libres porteraient à la poupe les couleurs nationales françaises et à la proue un pavillon carré bleu, orné d'une Croix de Lorraine rouge. Et ce fut l'origine de l'insigne du Mouvement de la France Libre.
    Pourquoi j'ai choisi la Croix de Lorraine ? Parce qu'il fallait un emblème en opposition à la Croix Gammée et parce que j'ai voulu penser à mon père qui était Lorrain. »
  16. Aron 1964, p. 197 : « Dans la nuit du 2 au 3 juillet 1940, seul dans sa petite chambre du Grosvenor Hotel, à Londres, il prend d'autres décisions, sans référence à personne. Pensant à son père, un Lorrain, il rédige un statut de la Marine française libre, prescrivant d'arborer l'insigne qui deviendra légendaire : « Les bâtiments de guerre et de commerce […] porteront à la poupe le pavillon national français et à la proue un pavillon carré bleu, orné en son centre de la croix de Lorraine en rouge, par opposition à la croix gammée. » »
  17. « Les origines des FNFL, par l'amiral Thierry d'Argenlieu », tiré du no 29 de la Revue de la France Libre de juin 1950, p. 17-20.
  18. Claude Huan et Hervé Coutau-Bégarie, Darlan, Fayard, p. 642.
  19. Crémieux-Brilhac 1996, p. 177-178. Il est établi que les documents à charge contre l'amiral étaient des faux réalisés par le commandant Meffre, alias « Howard », chef du service de sécurité de Carlton Gardens, et son sous-officier adjoint.
  20. Crémieux-Brilhac 1996, p. 200-210.
  21. Aron 1964, p. 203.
  22. Aron 1964, p. 204.
  23. Aron 1964, p. 207-208.
  24. Aron 1964, p. 199-200.
  25. Aron 1964, p. 202-203.
  26. Aron 1964, p. 208.
  27. Renaud Muselier, L'Amiral Muselier : le créateur de la croix de Lorraine, Paris, Perrin, , 250 p. (ISBN 2-262-01696-8), chap. 9 (« Derniers combats (1945-1965) »), p. 235-243.
  28. « Ordre du Mérite maritime », sur www.france-phaleristique.com (consulté le )
  29. (en) Frederick H. Hallett, « The Loss of Surcouf: Solving an Old Mystery », The Submarine Review (Annandale, Virginia: The Naval Submarine League), hiver 2012, p. 72.

Voir aussi

Sources et bibliographie

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