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NikolaĂŻ Boukharine

NikolaĂŻ Ivanovitch Boukharine (en russe : НоĐșĐŸĐ»Đ°ÌĐč ИĐČĐ°ÌĐœĐŸĐČоч Đ‘ŃƒŃ…Đ°ÌŃ€ĐžĐœ), nĂ© le 27 septembre 1888 ( dans le calendrier grĂ©gorien) Ă  Moscou, et mort exĂ©cutĂ© le dans la mĂȘme ville, est un intellectuel, rĂ©volutionnaire et homme politique soviĂ©tique, membre des bolcheviks, puis du Parti communiste soviĂ©tique.

NikolaĂŻ Boukharine
НоĐșĐŸĐ»Đ°Đč Đ‘ŃƒŃ…Đ°Ń€ĐžĐœ
Illustration.
Fonctions
Candidat puis titulaire du Politburo
- 1924, puis 1924 –
Secrétaire du comité exécutif de l'Internationale communiste et un moment - 1926-1928 - son principal dirigeant
–
Biographie
Nom de naissance NikolaĂŻ Ivanovitch Boukharine
Date de naissance 27 septembre 1888 ( dans le calendrier grégorien)
Lieu de naissance Moscou, Empire russe
Date de décÚs
Lieu de décÚs Moscou, Russie, URSS
Nature du décÚs Fusillé
Nationalité Russe (de 1883 à 1917)
Russe (de 1917 Ă  1922)
Soviétique (de 1922 à 1938)
Parti politique Bolcheviks, puis
Parti communiste
Profession Économiste
Journaliste

Il fut membre du Bureau politique (1919-1929) et du ComitĂ© central du Parti bolchevik (1917-1937), Membre et secrĂ©taire du ComitĂ© ExĂ©cutif de l’Internationale Communiste dĂšs sa fondation, en 1919, il exerça les fonctions de chef de l’Internationale communiste (1926-1928), rĂ©dacteur en chef de la Pravda (1918-1929), de la revue Bolchevik (1924-1929) et mĂȘme, pendant quelques mois, du journal pour enfants PionerskaĂŻa Pravda (1925). AprĂšs sa mise Ă  l’écart de la direction du Parti (1929), il dut se limiter Ă  des recherches scientifiques (il avait Ă©tĂ© Ă©lu Ă  l’AcadĂ©mie des Sciences de l’URSS en janvier 1929) et attendre cinq ans pour retrouver un poste de rĂ©dacteur en chef du journal du gouvernement, les Izvestia (1934-1936). Il est l’auteur prolifique de nombreux ouvrages (livres thĂ©oriques, brochures, pamphlets, rapports politiques, articles de toutes sortes), les plus diffusĂ©s de son vivant Ă©tant L’ABC du communisme (1919), et La ThĂ©orie du matĂ©rialisme historique (1921). Il est avec Piatakov, l’un des jeunes membres du ComitĂ© Central mentionnĂ©s comme hĂ©ritiers politiques — puis rĂ©cusĂ©s — par LĂ©nine. Boukharine choisit de soutenir Staline aprĂšs la mort de LĂ©nine mais Ă©choue dans ses tentatives de rĂ©sistance quand il prend conscience des orientations rĂ©elles de la politique du dictateur soviĂ©tique (1928-1929). MalgrĂ© son respect des rĂšgles de la discipline du Parti, il est une des victimes de la grande purge stalinienne de la fin des annĂ©es 1930 : inculpĂ© lors du troisiĂšme « procĂšs de Moscou » en 1938, il est contraint d'« avouer ses crimes » avant d’ĂȘtre exĂ©cutĂ©.


Biographie

Famille et enfance[1].

Boukharine est nĂ© Ă  Moscou, rue BolchaĂŻa Ordynka, oĂč Ă©tait situĂ©e l’école Ă©lĂ©mentaire oĂč enseignaient ses parents, Ivan Gavrilovitch et Lioubov Ivanovna[2]. Il est l’ainĂ© d’une fratrie de six enfants, cinq garçons et une fille (NikolaĂŻ, Vladimir, AndreĂŻ, Piotr, Vania et Ekaterina). Sur les photos de famille qui ont Ă©tĂ© conservĂ©es, seuls NikolaĂŻ et Vladimir apparaissent. Des autres enfants, on sait d’abord ce que Boukharine en dit dans Vremena, son roman autobiographique Ă©crit en prison en 1937-1938 : AndreĂŻ est dĂ©cĂ©dĂ© brutalement Ă  l’ñge de 7 ans, entre 1900 et 1902 (la chronologie est difficile Ă  Ă©tablir Ă  partir du seul rĂ©cit de Boukharine) ; Piotr est nĂ© Ă  Moscou, en 1898 ou 1899 ; Ekaterina est nĂ©e et dĂ©cĂ©dĂ©e Ă  Moscou, entre 1900 et 1902. Le nom de Vania, sans date de naissance ou de dĂ©cĂšs, n’apparaĂźt que dans le livre d’Emma B. Gurvich. Selon Hedeler et E. B. Gurvich, Piotr est dĂ©cĂ©dĂ© en 1918 (ou en 1919) du typhus, alors qu’il Ă©tait au Turkestan, soldat de l’ArmĂ©e rouge. Vladimir, nĂ© en 1890, est dĂ©cĂ©dĂ© Ă  Moscou en 1979, Ă  89 ans.

Dans l’enfance de Boukharine, il y a trois moments.

Pendant quatre ans et demi, jusqu’à l’étĂ© 1893, il vit Ă  Moscou dans un bĂątiment situĂ© juste derriĂšre l’école oĂč travaillaient ses parents. C’est un enfant trĂšs Ă©veillĂ© (il sait lire et Ă©crire Ă  quatre ans et demi), choyĂ© par sa famille, curieux de tout, mais surtout de sciences naturelles sous l’influence de son pĂšre. Cette passion ne le quittera pas.

Pendant les quatre annĂ©es suivantes, la famille s’installe en Bessarabie, Ă  Beltsy (Bălți, dans l’actuelle Moldavie) dans le gouvernement de Kichinev (Chisinau, dans l’actuelle Moldavie). Ivan Gavrilovitch a dĂ» quitter l’école moscovite oĂč il enseignait aprĂšs un conflit avec un collĂšgue et il a obtenu un poste d’inspecteur des impĂŽts dans ce gouvernement des confins ouest de l’Empire Russe. Assez rapidement, la carriĂšre de fonctionnaire d’Ivan Gavrilovitch sera compromise : il est rejetĂ© par les riches Russes qui lui reprochent, entre autre, de ne pas faire peur aux Juifs
 Le contrat sera rompu avant son terme, en 1897. Pour NikolaĂŻ, cette pĂ©riode provinciale est un moment oĂč il continue Ă  observer le monde et la nature, sans vĂ©ritables contraintes scolaires. Il dessine dĂ©jĂ  beaucoup. Il se fait des amis. Il prend goĂ»t Ă  l’autonomie.

La situation de la famille Boukharine Ă  son retour Ă  Moscou est devenue prĂ©caire. Ivan ne trouvera pas de travail stable pendant deux ans. Il faudra changer plusieurs fois de logement, les dettes s’accumuleront, les enfants, dont le nombre s’accroit (ils seront un moment au moins cinq) devront porter des vĂȘtements usagĂ©s, etc. Cette expĂ©rience d’une misĂšre relative est balancĂ©e par les succĂšs scolaires de Kolia qui frĂ©quente enfin rĂ©guliĂšrement l’école Ă©lĂ©mentaire (il a dĂ©jĂ  neuf ans !). Un des Ă©vĂ©nements les plus marquants est sa participation Ă  une cĂ©rĂ©monie en l’honneur du centenaire de Pouchkine (en 1899), pour laquelle il peint et expose un portrait du poĂšte et dĂ©clame le poĂšme « Aux calomniateurs de la Russie »[3]. Il recevra en sortant un diplĂŽme de « meilleur Ă©lĂšve », mais, pour ĂȘtre admis au Premier lycĂ©e classique de Moscou, il devra attendre un an : il fallait apprendre le latin et prĂ©parer un examen. La curiositĂ© et l’appĂ©tit de culture de NikolaĂŻ restent insatiables : il lit toute la bibliothĂšque de son pĂšre (notamment tout MoliĂšre), il rĂ©cite par cƓur des poĂšmes, il apprend la peinture Ă  l’huile et visite rĂ©guliĂšrement la galerie Tretiakov, etc. Au gimnaziya [lycĂ©e], comme il le dit dans son autobiographie de 1925, il obtient « presque toujours 5, la meilleure note » sans faire aucun effort : il lui suffit de « cinq Ă  dix minutes avant l’arrivĂ©e du professeur » pour savoir la leçon. Cette pĂ©riode est aussi marquĂ©e par deux Ă©vĂ©nements dramatiques : le dĂ©cĂšs de Katia, la plus jeune sƓur, quelques mois aprĂšs sa naissance et surtout la mort brutale d’AndreĂŻ, sept ans, qui la veille, avait fait une chute en jouant avec NikolaĂŻ. BouleversĂ©, parce qu’il se croit responsable de l’accident, il est si dĂ©primĂ© qu’il tente de se pendre. Il sortira de cette Ă©preuve en ayant dĂ©finitivement perdu la foi religieuse[4].

Premiers engagements politiques (dĂšs 1904)

C’est au lycĂ©e que commence sa vie politique, mais pas tout de suite (il n’a que treize ans !). Il connait d’abord trois ans de succĂšs scolaire. Mais l’atmosphĂšre politique change en Russie et elle change aussi au lycĂ©e. Les Ă©lĂšves ont des projets de magazine scolaire qui sont censurĂ©s ; des cercles de discussion se forment ; on y discute des idĂ©es de Pissarev, du populisme des socialistes rĂ©volutionnaires et du marxisme des sociaux-dĂ©mocrates. NikolaĂŻ participe Ă  cette vie politique dĂšs l’ñge de seize ans (en 1904) avec un nombre impressionnant de jeunes gens qui se retrouveront tout au long de l’histoire de la rĂ©volution (parmi eux : Sokolnikov et Ehrenburg).

Dans sa brĂšve autobiographie de 1925, Boukharine Ă©voque cette rencontre avec la littĂ©rature « illĂ©gale » et comment il a d’abord adhĂ©rĂ© intellectuellement au marxisme : « Au dĂ©but, la lecture de la thĂ©orie Ă©conomique me laissa une impression pĂ©nible. AprĂšs le beau et le magnifique, « c’était marchandise-valeur-marchandise » [traduction douteuse, la traduction allemande donne : argent –– marchandise –– argent !]. Mais pĂ©nĂ©trant in medias res dans la thĂ©orie marxiste, j’en ressentis l’inhabituelle harmonie logique. Je dois dire que c’est sans doute ce trait qui m’influença plus que tout. Les thĂ©ories des « socialistes-rĂ©volutionnaires » me paraissaient de la pure bouillie. Les libĂ©raux que je connaissais m’inspiraient justement l’envie de protester violemment contre le libĂ©ralisme »[5].

Boukharine est encore au lycĂ©e quand survient le mouvement rĂ©volutionnaire de 1905. « Naturellement », dit-il, il participe aux meetings et aux manifestations avec les Ă©tudiants de l’universitĂ© de Moscou qui encadraient les cercles de lycĂ©ens. En 1906, son choix est fait et il est officiellement admis dans la fraction bolchevique du POSDR[6]. Il a presque dix-huit ans et il participe trĂšs vite au travail politique clandestin du parti : au moment des examens de fin d’étude (son abitur, obtenu le 4 juin 1907, avec les meilleures notes dans toutes les matiĂšres) il anime avec Ilya Ehrenbourg une grĂšve dans la fabrique de papiers peints Sladkov[7].

Des Ă©tudes supĂ©rieures Ă©courtĂ©es par la rĂ©pression et l’exil (1907-1910)

Boukharine choisit en 1907, d’étudier l’économie Ă  la facultĂ© de droit de l’UniversitĂ© de Moscou. Il dit lui-mĂȘme que ces Ă©tudes servaient de couverture Ă  son travail politique clandestin. Mais, d’aprĂšs son livret universitaire, pour les 9 examens qu’il passe entre mai 1908 (histoire de la philosophie) et septembre 1910 (thĂ©orie des probabilitĂ©s) il obtient cinq mentions « trĂšs bien » et quatre « bien »[8]. Boukharine n’avait pas perdu sa capacitĂ© de rĂ©ussite scolaire.

Son activitĂ© et ses responsabilitĂ©s politiques prennent de l’ampleur. Ainsi, avec Grigori Sokolnikov, il organise en 1907 un congrĂšs de la jeunesse et des Ă©tudiants sociaux-dĂ©mocrates. Dans sa vingtiĂšme annĂ©e, en 1908, il est cooptĂ© comme membre du ComitĂ© du Parti de Moscou (il sera confirmĂ© un an plus tard)[9]. Dans cette pĂ©riode difficile de reflux aprĂšs les grands mouvements de 1905, il y a beaucoup de dĂ©bats entre tendances et dans chaque tendance chez les sociaux-dĂ©mocrates. Boukharine, pour sa part, dit qu’il est restĂ© constamment bolchevik « orthodoxe », c’est-Ă -dire, ni « otzoviste » (partisan du rappel des dĂ©putĂ©s), ni « conciliateur » ou « liquidateur »[10]. Il n’approuve donc pas les choix politiques d’Alexandre Bogdanov qui est partisan du boycott de la Douma, mais il se passionne pour ses travaux philosophiques, sociologiques et littĂ©raires que rejettent Plekhanov et LĂ©nine. Enfin, il fera partie des premiers militants qui soupçonneront Roman Malinovski (le chef des dĂ©putĂ©s bolcheviks Ă  la Douma) d’ĂȘtre un agent de l’Okhrana.

De fait, il a Ă©tĂ© rapidement pistĂ© par la police politique et ses indicateurs. Sa position est devenue assez vite intenable, ne lui laissant plus que le choix entre l’exil loin de la Russie ou le bagne. Sa premiĂšre arrestation a lieu le 23 mai (5 juin) 1909, lors d’une rĂ©union de dix membres du ComitĂ© du Parti dans un appartement. Il est mis en prison dans des cellules surpeuplĂ©es, mais il est libĂ©rĂ© le 10 (23) juillet. L’Okhrana veut le prendre en filature et trouver d’autres militants
 NikolaĂŻ Ivanovitch profite de sa libertĂ© pour passer un examen d’histoire du droit romain le 28 aoĂ»t (10 septembre). Il est Ă  nouveau arrĂȘtĂ© le 12 (25) novembre et passe trois mois en cellule au poste de police de l’Arbat. L’Okhrana de Moscou enquĂȘte sur le club ouvrier dont il est un organisateur et qui sera fermĂ© en juin 1910. Il profite d’un nouveau moment de libertĂ© pour passer deux examens (droit international et histoire des faits Ă©conomiques) les 26 et 28 avril (9 et 11mai) 1910.Il participe aussi Ă  l’organisation d’une manifestation Ă©tudiante (3000 personnes) et Ă  la rĂ©daction de 3 ou 4 numĂ©ros d’un journal des syndicalistes. C’est Ă  cette Ă©poque qu’il rencontre (trois fois) le dĂ©putĂ© Ă  la Douma Roman Malinovski. Il passe encore deux examens de statistiques et thĂ©orie des probabilitĂ©s les 15 et 28 septembre (28 septembre et 11 octobre).

Le 19 dĂ©cembre 1910 (1er janvier 1911) Boukharine est arrĂȘtĂ© une troisiĂšme fois. L’Okhrana veut empĂȘcher une manifestation prĂ©vue pour le 9 (22) janvier. Cette fois, il est exclu de l’UniversitĂ© et il reste longtemps en prison (prĂšs de six mois). En soudoyant les gardiens du poste de police oĂč il est enfermĂ© pendant trois mois, il peut recevoir des visites et lire des livres. Il nargue les surveillants en dessinant et redessinant des portraits de Marx sur les murs des cellules. C’est lĂ  qu’il est informĂ© des soupçons de quatre codĂ©tenus sur la trahison de Malinovski. AprĂšs un transfert Ă  la prison de Boutyrka, il espĂšre d’abord qu’il sera relĂ©guĂ© dans la rĂ©gion d’Arkhangelsk et fait des projets pour s’y installer avec sa cousine et camarade du parti, Nadejda Mikhailovna Loukina. Il l’épousera en 1911, Ă  une date inconnue de ses biographes, sans doute sans cĂ©rĂ©monies, peut-ĂȘtre au moment oĂč, aprĂšs versement d’une caution, il obtient d’organiser lui-mĂȘme son voyage vers Onega, prĂšs d’Arkhangelsk. Comprenant que la justice tsariste va le condamner au bagne, il a changĂ© ses plans : il part pour l’exil intĂ©rieur en profitant d’une semi-libertĂ© (le 21 juin) pour s’évader au plus tĂŽt (il disparaĂźt d’Onega le 30 aoĂ»t).

Il Ă©chappe ainsi au procĂšs de l’organisation de Moscou du POSDR (novembre-dĂ©cembre 1911) oĂč plusieurs de ses camarades d’arrestation sont condamnĂ©s jusqu’à 6 ans de bagne. La police le recherche depuis le 21 octobre, mais elle ne saura jamais qu’il est d’abord revenu Ă  Moscou pour se cacher dans la maison d’étĂ© d’un ami. Il a attendu d’avoir un vrai passeport avec un nom d’emprunt : Orlov. Il a pu alors partir pour l’Allemagne. Les lettres qu’il Ă©change avec son Ă©pouse avant de partir montre qu’il s’inquiĂšte pour son pĂšre : quelques mois auparavant, Ivan Gavrilovitch avait obtenu un poste dans l’administration (conseiller judiciaire, la septiĂšme classe des quatorze classes de la fonction publique de l’Empire). Finalement, le pĂšre ne sera pas puni pour les fautes du fils.

Hanovre – Allemagne (octobre 1911 – dĂ©but de 1912 ?)

Boukharine alias Orlov rĂ©apparaĂźt Ă  Hanovre, dĂ©but octobre 1911, chez NikolaĂŻ Yakovlev, un exilĂ© rĂ©cent qu’il a connu au lycĂ©e et qui est le frĂšre d’une camarade du ComitĂ© du parti de Moscou, Varvara Yakovleva[11]. Il y reste peu de temps parce qu’il ne trouve pas de travail ; parce qu’il n’y a pas assez de livres dans les bibliothĂšques du SPD local et parce que Nadejda, en mauvaise santĂ©, ne peut pas le rejoindre[12].

Nervi – Italie (mai – juin 1912)

Il dĂ©cide de partir pour l’Autriche, en passant par l’Italie. On ne connaĂźt pas le dĂ©tail de ses Ă©tapes, mais le fait essentiel qu’a dĂ©couvert Hedeler est la correspondance qu’il Ă©change avec Plekhanov entre mai et juin 1912[13]. D’aprĂšs la lettre que Boukharine Ă©crit Ă  Plekhanov vers le 20 mai, les deux hommes se sont briĂšvement rencontrĂ©s Ă  Nervi (prĂšs de GĂȘnes), chez le Dr Mandelberg, un ancien dĂ©putĂ© Ă  la Douma. Plekhanov, alias Beltov, a permis Ă  ce jeune bolchevik de lui Ă©crire et c’est ce qu’il fait. Il lui envoie le texte d’un article qu’il propose Ă  la revue Prosvechtchenie (« LumiĂšres ») et il prĂ©sente son projet d’étudier « les Ă©coles les plus rĂ©centes en Ă©conomie politique, l’école autrichienne, l’orientation "mathĂ©matique", etc... ». Il demande un avis sur ses Ă©crits et des conseils. Plekhanov a accusĂ© rĂ©ception de cette lettre, mais il ne semble pas avoir envoyĂ© plus de commentaires. Hedeler note, cependant que Kautsky a Ă©crit Ă  Plekhanov pour avoir des informations sur ce Boukharine inconnu qui proposait un article Ă  la Neue Zeit. La rĂ©ponse n’a pas Ă©tĂ© retrouvĂ©e, mais Plekhanov Ă©tait en mesure de donner un avis et l’article (« Une Ă©conomie sans valeur », contre Tougan-Baranovsky) a Ă©tĂ© publiĂ©.

Zakopane – Pologne autrichienne (juillet – aoĂ»t 1912)

Boukharine sĂ©journe dans cette ville de cure pour recevoir sa femme, nous dit Hedeler[14]. Les informations sur la vie familiale de Boukharine sont trĂšs fragmentaires et imprĂ©cises. Nadejda Mikhailovna l’a rejoint Ă  un moment pendant sa pĂ©riode d’exil en Autriche-Hongrie, entre ce sĂ©jour Ă  Zakopane (si elle y est bien arrivĂ©e
) et son dĂ©part de Vienne pour la Russie, le 12 juillet 1913. Ils se retrouveront encore en Suisse, un an plus tard, aprĂšs le dĂ©but de la guerre, mais la maladie de Nadejda la contraindra Ă  repartir vers la Russie via la SuĂšde Ă  l’étĂ© 1915. Selon Hedeler, les Ă©poux se seraient encore retrouvĂ©s Ă  Copenhague (briĂšvement) Ă  l’étĂ© 1916.

Chemnitz – Allemagne (Congrùs de SPD, septembre 1912)

Boukharine fait partie de la délégation du POSDR(b) conduite par Kamenev qui assiste au CongrÚs des camarades Allemands[15]. Il a la charge de faire des comptes rendus pour la presse bolchevique. Ils paraßtront dans la Pravda. Il se fait connaßtre des rédacteurs de journaux et revues. Il espÚre y publier des articles rémunérés.

Cracovie – Pologne autrichienne (rencontre avec LĂ©nine, automne 1912)

AprĂšs Chemnitz, Boukharine revient Ă  Vienne. Mais il fait aussi, Ă  l’automne (il n’y a pas d’autre prĂ©cision de date), une visite Ă  LĂ©nine et KroupskaĂŻa qui rĂ©sident Ă  Cracovie. LĂ©nine et sa femme ont dĂ©jĂ  entendu parler d’un Orlov qui fait « de beaux dessins des montagnes de Zakopane », ils savent qu’il a assistĂ© au CongrĂšs de SPD, ils le reçoivent avec plaisir et discutent de politique et de peinture[16]. Boukharine Ă  partir de cette rencontre sera un correspondant rĂ©gulier de la presse bolchevique et de LĂ©nine qui apprĂ©cie positivement ce « jeune homme de lettres inexpĂ©rimentĂ© ».

Vienne – Autriche (automne 1912 – Ă©tĂ© 1914)

Entre le 31 octobre 1912 et le 15 mai 1914, les registres oĂč les habitants de Vienne devaient indiquer leur domicile donnent 6 adresses pour NikolaĂŻ Ivanovitch. C’est la plus longue Ă©tape (plus de 18 mois) de son exil. MalgrĂ© l’instabilitĂ© de sa situation que reflĂšte le nombre de ses dĂ©mĂ©nagements, c’est lĂ  qu’il peut le mieux combiner ses diverses activitĂ©s.

Il a le projet de poursuivre des Ă©tudes d’économie : il pourrait passer quelques examens Ă  Vienne et prĂ©parer ensuite un doctorat en Allemagne ou en Suisse. Les cours et confĂ©rences qu’il faut suivre pour passer les examens sont payants, mais il espĂšre recevoir des fonds de son pĂšre et gagner un peu d’argent avec ses articles ou de petits travaux d’édition. Ce plan n’a pas complĂštement rĂ©ussi. Il peut suivre quelques cours, notamment de Böhm-Bawerk, GrĂŒnberg ou Wieser, les maĂźtres de l’école Autrichienne d’économie politique, mais aprĂšs un semestre (hiver 1912-1913) il ne peut plus s’inscrire faute d’argent. Il ne passera pas d’examens, mais il continuera Ă  frĂ©quenter les bibliothĂšques. En fait, il est dĂ©jĂ  engagĂ© dans la rĂ©alisation de ses projets de publication personnelle, comme il l’annonçait dans sa lettre Ă  Plekhanov. L’étude des Ă©coles « autrichienne » et « mathĂ©matique » aboutira Ă  la rĂ©daction de L’Économie politique du rentier, une critique approfondie du marginalisme nĂ©o-classique, prĂȘte dĂšs l’automne 1914, mĂȘme si sa publication attendra 1919.

Boukharine a aussi entrepris un tour d’horizon critique des auteurs qui jouent un rĂŽle important dans les dĂ©bats intellectuels Russes du moment. Il s’intĂ©resse particuliĂšrement Ă  Tougan Baranovsky, StrouvĂ©, Oppenheimer et Ć tokman. Il Ă©crit quatre essais sur ces auteurs proches du marxisme et donc cibles prioritaires d’un critique marxiste orthodoxe. Avant d’ĂȘtre publiĂ©s en 1913-1914, ils sont lus et relus : LĂ©nine proposera et obtiendra des coupures dans l’article sur StrouvĂ© ; le rĂ©dacteur de la Neue Zeit, Eckstein, fera changer le titre de l’article sur Tougan Baranovsky.

Les annĂ©es qui prĂ©cĂšdent la guerre sont trĂšs riches pour le marxisme naissant. Une publication « austro-marxiste », Le capital financier d’Hilferding, intĂ©resse particuliĂšrement Boukharine. Il dĂ©vore et assimile complĂštement ce livre publiĂ© en 1910, qu’il a pu emprunter Ă  Riazanov. DĂšs sa publication en 1913, Boukharine lit aussi L’accumulation du capital de Rosa Luxemburg, et prĂ©pare une revue trĂšs critique. Cette premiĂšre rĂ©action restera dans les cartons, mais elle refera surface en 1924, quand Boukharine entreprendra une critique thĂ©orique du luxemburgisme (et, accessoirement, de Tougan Baranovsky) dans L’impĂ©rialisme et l’accumulation du Capital.

Pour complĂ©ter le tableau des activitĂ©s de recherche qui font de Boukharine un jeune savant prometteur, on peut ajouter qu’il a aussi collaborĂ© avec Riazanov Ă  toute sorte de travaux d’édition d’Ɠuvres de Marx et Engels. Il avait ainsi rencontrĂ© l’un des meilleurs connaisseurs des pĂšres fondateurs du marxisme.

Boukharine n’est pas seulement un exilĂ© studieux ; il est aussi un gentil camarade, trĂšs apprĂ©ciĂ© dans la communautĂ© des jeunes rĂ©volutionnaires viennois. Sa personnalitĂ© est sĂ»rement remarquable : Rosa Meyer-Levine se rappellera de lui comme quelqu’un ayant plus l’apparence « d’un saint que d’un rebelle », comme le prince Mychkine dans L’idiot de DostoĂŻevski[17]. Nadejda KroupskaĂŻa, qui passe le voir en juin 1913, se souvient qu’il avait confondu le sel et le sucre en prĂ©parant un potage 
[18]

Vienne, avant 1914, est un lieu de passage des exilĂ©s Russes errant dans le monde et Boukharine en croisera beaucoup, notamment Trotsky et Staline. Lev Trotsky, en ce temps lĂ , Ă©tait considĂ©rĂ© comme un adversaire par les bolcheviks et les deux hommes n’ont pas eu beaucoup de contacts. Staline, de son cĂŽtĂ©, a fait Ă  Vienne un passage assez bref quand, aprĂšs une de ses Ă©vasions des bagnes russes, il est venu participer Ă  une rĂ©union du comitĂ© central bolchevik Ă  Cracovie. Comme Staline pendant ce sĂ©jour s’était occupĂ© de prĂ©parer et de rĂ©diger une Ă©tude sur le marxisme et la question nationale, Trotsky, dans une Ă©tude sur Staline publiĂ©e en 1941[19] , a reconstituĂ© comment LĂ©nine aurait pu inspirer cet article et Boukharine fournir la documentation en insufflant un peu de sa tendance au « pĂ©dantisme »  Hedeler considĂšre cette reconstruction tardive comme une « histoire en soi »[20]. Boukharine a certainement rencontrĂ© Koba au dĂ©but de 1913, il l’a peut-ĂȘtre aidĂ© pour rĂ©unir des traductions en russe (dĂ©jĂ  publiĂ©es) des textes allemands utiles, mais pendant les deux semaines oĂč le texte de Staline a Ă©tĂ© rĂ©visĂ© Ă  la demande de la rĂ©daction de la revue « LumiĂšres », Boukharine Ă©tait alitĂ© avec une trĂšs forte fiĂšvre. Aucun document des archives de Boukharine ne rĂ©vĂšle une coopĂ©ration entre Staline et Boukharine en 1913[21]. Enfin, lorsque Boukharine s’est exprimĂ© sur la question nationale, en 1915, il Ă©tait alors sur une position aussitĂŽt contestĂ©e par LĂ©nine et trĂšs diffĂ©rente de celle de Staline.

Dans cette pĂ©riode d’avant guerre, Boukharine, en fait, n’a qu’un seul point d’accrochage avec la direction extĂ©rieure du parti bolchevik : il ne parvient pas Ă  convaincre LĂ©nine et Zinoviev que Malinovski est un policier infiltrĂ©. La question est pourtant posĂ©e de tout cĂŽtĂ©, Malinovski lui-mĂȘme s’est dĂ©mis de ses responsabilitĂ©s en mai 1914 et une commission s’est rĂ©unit en juin pour tenter de faire la lumiĂšre. D’aprĂšs les souvenirs de N. KroupskaĂŻa, Boukharine et Elena Rozmirovitch donnent leurs tĂ©moignages, mais Bourtzev les contredit. La commission, dont LĂ©nine Ă©tait membre, conclura Ă  l’absence de preuve[22].

À l’étĂ© de 1914, Boukharine envisage de partir en Suisse oĂč sa femme le rejoindrait. Les Ă©vĂ©nements vont bousculer ses plans. Il se repose en juillet Ă  Lunz am See (basse Autriche) quand il est arrĂȘtĂ© comme « espion russe » et enfermĂ© dans une forteresse. La guerre est imminente et l’Autriche Hongrie pourchasse dĂ©jĂ  les ressortissants Russes. Une intervention de dirigeants sociaux dĂ©mocrates Autrichiens, au bout de quelques jours, va lui permettre de partir en Suisse et de s’installer Ă  Baugy, prĂšs de Lausanne. LĂ©nine, lui, est arrĂȘtĂ© en aoĂ»t et ira Ă  Zurich.

Lausanne – Suisse (aoĂ»t 1914 – aoĂ»t 1915)

À Baugy, Boukharine rejoint NikolaĂŻ Krylenko, Alexandr Trojanovski et Elena Rozmirovitch. À l’automne 1914, le groupe de Baugy envisage de faire paraĂźtre Ă  Zurich une nouvelle revue, Zvezda (L’Etoile). LĂ©nine et Zinoviev s’y opposent : un deuxiĂšme journal, en plus du Sotsial-Demokrat qu’ils contrĂŽlent, signifie une deuxiĂšme ligne dans le parti. Le groupe de Baugy que Gueorgi Piatakov et Evgenia Bosch ont rejoint, commence ainsi une pĂ©riode de relations difficiles avec la direction extĂ©rieure du POSDR(b).

L’idĂ©e d’une revue nouvelle est provisoirement reportĂ©e, mais un nouvel incident se produit Ă  la confĂ©rence des sections Ă©trangĂšres du POSDR(b) rĂ©unie Ă  Berne (27 fĂ©vrier - 4 mars 1915).

Les bolcheviks exilĂ©s qui ont dĂ» trouver refuge en Suisse ou dans des pays encore neutres, comme la Scandinavie ou les États-Unis, sont d’accord avec LĂ©nine pour lancer un appel Ă  transformer la guerre impĂ©rialiste en guerre civile. Boukharine et ses amis veulent cependant faire entendre leur voix. Ils proposent des « thĂšses » oĂč ils dĂ©fendent la combinaison du slogan de la guerre civile avec ceux de la paix et des États-Unis d’Europe. Par contre ils rejettent le slogan de la dĂ©faite de la Russie, mĂȘme en la prĂ©sentant comme « un moindre mal ». Enfin ils souhaitent un accord avec les sociaux-dĂ©mocrates les plus internationalistes comme Trotsky. En outre, Boukharine soutient que « le centre de gravitĂ© de la lutte du prolĂ©tariat doit se dĂ©placer de la sphĂšre des luttes en faveur des revendications dĂ©mocratiques gĂ©nĂ©rales vers la sphĂšre des revendications socialistes du prolĂ©tariat ». Il met cependant la Russie Ă  part : les slogans dĂ©mocratiques y sont toujours au « centre de gravitĂ© », sauf le droit des nations Ă  l’autodĂ©termination qui devient utopique dans les limites du capitalisme[23]. Le groupe de Baugy reste isolĂ© pendant la ConfĂ©rence et Boukharine obtient seulement de participer Ă  la commission de synthĂšse qui reprendra les thĂšses de LĂ©nine, votĂ©es finalement Ă  l’unanimitĂ©.

MalgrĂ© ces dĂ©saccords les relations du groupe de Baugy avec LĂ©nine vont s’amĂ©liorer parce que, pendant quelques mois, ils vont travailler ensemble au lancement d’une nouvelle revue portant le nom de Kommunist. En fait, LĂ©nine et Zinoviev n’ont plus d’argent alors que Trojanovsky en a un peu. Boukharine participe Ă  l’entreprise en proposant une « esquisse » de son nouveau projet de recherche : L’économie mondiale et l’impĂ©rialisme. L’article paraĂźtra en septembre 1915, dans le no 1-2 de Kommunist (le seul Ă©ditĂ©), avec une nouvelle version des « thĂšses » Ă©crites avec Piatakov et Bosch sur le slogan du droit des nations Ă  l’autodĂ©termination.

Mais Ă  cette date, Boukharine a dĂ©jĂ  quittĂ© la Suisse pour se rendre en SuĂšde. Il fait ce voyage pour accompagner son Ă©pouse, Nadejda Mikhailovna qui a dĂ©cidĂ© de retourner en Russie pour soigner son diabĂšte. Les biographes de Boukharine ne disent pas quand Nadejda Mikhailovna est arrivĂ©e en Suisse, mais des lettres de Boukharine citĂ©es par Hedeler nous apprennent que pour payer les soins exigĂ©s par la maladie de sa femme NikolaĂŻ Ivanovitch a dĂ» donner des leçons de mathĂ©matiques et que, lorsque son Ă©tat se dĂ©grade et qu’elle dĂ©cide de repartir en Russie, il sollicite tous ses amis et connaissances pour trouver 100 francs (suisses).

Stockholm – SuĂšde (EtĂ© 1915 – printemps 1916)

Muni d’un passeport au nom de Dolgolevsky (Moshe), N. I. et N. M. doivent passer par la France et l’Angleterre[24] pour arriver Ă  Stockholm. Non sans difficultĂ©s : Boukharine est emprisonnĂ© quelques jours Ă  Newcastle. Il n’y a aucune information sur la date et les conditions du dĂ©part de Nadejda vers la Russie, mais Boukharine, seul ou – un moment – avec son Ă©pouse, s’intĂšgre rapidement au milieu des rĂ©fugiĂ©s russes (il rencontre Larine, alors menchevik de gauche et retrouve Chliapnikov, qui vient organiser les bolcheviks des pays scandinaves). Il collabore aussi activement au journal des « jeunes » sociaux-dĂ©mocrates suĂ©dois internationalistes, Stormklockan (il devient un ami d’Höglund).

Les rĂ©fugiĂ©s n’ont pas le droit de participer Ă  la vie politique suĂ©doise et lorsque des policiers identifient Boukharine parmi les participants Ă  un congrĂšs anti guerre organisĂ© par Höglund, il est arrĂȘtĂ© (23 mars 1916). Il est emprisonnĂ© un peu plus de cinq semaines pour ĂȘtre expulsĂ© le 28 avril vers la NorvĂšge. Branting, le chef des sociaux-dĂ©mocrates suĂ©dois, est intervenu en faveur de sa libĂ©ration Ă  la demande des bolcheviks (Chliapnikov et Zinoviev) et de Kautsky qui voyait en lui un auteur de la Neue Zeit et « un trĂšs bon garçon, auquel on ne peut reprocher que du bolchevisme »[25] 


Kristiania (Oslo) – Norvùge (printemps 1916 – juillet 1916)

Boukharine reste trois mois Ă  Oslo et ses biographes se plaignent d’avoir peu d’informations : la police n’avait pas constituĂ© de dossier sur lui
 Il a Ă©tĂ© expulsĂ© avec Piatakov et Bosch et c’est avec eux qu’il loue un grenier. Il rencontre le social-dĂ©mocrate norvĂ©gien Hansen[26] et Ă©crit des articles pour la presse locale (Klassekampen et Politiken).

Le fait essentiel est qu’au cours des premiers mois de 1916 les relations avec LĂ©nine et Zinoviev prennent un tour de plus en plus polĂ©mique. La prĂ©paration d’un no 3 du Kommunist n’a pas pu aboutir. LĂ©nine a rĂ©agi trĂšs vivement contre les idĂ©es de Piatakov et de ses amis sur la question nationale et contre les initiatives des « japonais » (c’est un nom qu’il donne au groupe de Baugy) qu’il juge contraires Ă  la discipline du parti. Il ne veut plus avoir affaire avec « Kievski » (Piatakov).

Le cas de Boukharine est un peu diffĂ©rent. Les fragments des correspondances qui ont Ă©tĂ© conservĂ©s montrent une volontĂ© de coopĂ©ration rĂ©ciproque. Par rapport au programme des bolcheviks, Boukharine voulait, par exemple, « ouvrir une discussion » sur les rĂŽles respectifs pendant la rĂ©volution future d’un gouvernement rĂ©volutionnaire socialiste et d’une AssemblĂ©e Ă©lue dĂ©mocratiquement, mais il Ă©tait d’accord avec l’objectif d’une prise du pouvoir directe des socialistes. Sur la question de l’impĂ©rialisme la convergence Ă©tait revendiquĂ©e : Boukharine avait confiĂ© le manuscrit complet de L’économie mondiale et l’impĂ©rialisme Ă  LĂ©nine pour qu’il rĂ©dige une prĂ©face (ce qu’il a fait en janvier 1916, en saluant la « valeur scientifique » de ce travail, et il en a profitĂ© pour consacrer quatre des sept paragraphes de cette prĂ©face Ă  une critique du surimpĂ©rialisme de Kautsky).

LĂ©nine avait dĂ©cidĂ© d’éditer un Recueil du Social-dĂ©mocrate Ă  la place du Kommunist et Boukharine devait fournir un article sur l’impĂ©rialisme. C’est cet article qui va cristalliser le conflit. En juillet 1916, quand LĂ©nine reçoit le texte de Vers une thĂ©orie de l’État impĂ©rialiste[27] , il le refuse immĂ©diatement. Il y voit la confirmation d’un grave dĂ©saccord sur la question de L’État. Comme il le pressentait, Boukharine est un semi-anarchiste qui veut dĂ©truire trop vite l’État au cours mĂȘme de la rĂ©volution. Boukharine, en effet, ne se contente pas de dĂ©crire le dĂ©veloppement de l’appareil Ă©tatique du capitalisme d’État, il dit que la rĂ©volution doit le briser avant de reconstruire l’État de la dictature du prolĂ©tariat. LĂ©nine, plus intransigeant que Zinoviev Ă  ce moment-lĂ , refuse « d’ouvrir une discussion » et se charge d’écrire une lettre de refus. Boukharine la recevra Ă  Copenhague.

Copenhague – Danemark (juillet 1916 – octobre 1916)

La brĂšve lettre de LĂ©nine Ă©crite en aoĂ»t [28] est trĂšs peu explicite. Elle empile les motifs de refus. MatĂ©riellement, il n’y a plus de place dans le numĂ©ro ; une partie du texte est trop superficielle ; une autre est publiable dans une revue lĂ©gale ; enfin viennent des reproches : les citations d’Engels sont coupĂ©es, LĂ©nine demande quel est le sens de quatre expressions (elles contiennent visiblement des mots empruntĂ©s Ă  Bogdanov comme « sociologie », « organisation » et « gĂ©nĂ©rale ») et la distinction entre marxistes et anarchistes sur le problĂšme de l’État est « absolument inexacte ». Conseil final : remaniez et publiez la partie « lĂ©gale », « laissez mĂ»rir le reste ».

Boukharine rĂ©agit trĂšs vivement Ă  cette lettre et Ă  un courrier de Zinoviev oĂč il est question de son « semi-anarchisme ». Sa lettre a disparu, mais LĂ©nine lui fait Ă©cho dans une lettre plus longue et plus « douce » du 14 octobre 1916[29]. Boukharine s’indigne parce que ses correspondants le prennent pour un adversaire de tout programme minimum, critiquent son semi-anarchisme comme s’il ignorait la nĂ©cessitĂ© de l’État de la dictature du prolĂ©tariat et l’accusent de couper dans ses citations sans lui dire oĂč et quoi
 LĂ©nine veut arrondir les angles et garder de bonnes relations avec Boukharine qui est sur le point de partir vers les USA. Il compte sur lui pour renforcer ses contacts avec les exilĂ©s d’AmĂ©rique. Il lui dit combien il l’apprĂ©cie (Ă  sa « juste valeur »), et qu’il serait « content si la polĂ©mique ne se poursuivait qu’avec Kievski », mais, mĂȘme dans une lettre « douce », il ne peut pas s’empĂȘcher de le rĂ©primander sur un ton paternel et magistral : « Vous ne raisonnez plus
 Vous bouillonnez
 Vous ratez la cible
 ». Il nie avoir parlĂ© d’hĂ©rĂ©sie ou de semi anarchisme [30] et il affirme qu’il a indiquĂ© « archi prĂ©cisĂ©ment » les erreurs qu’il a relevĂ©es (il en a donnĂ© une simple liste). Mais pour les citations, il ne dit toujours pas oĂč sont les « coupures » ! Finalement, relevant que Boukharine soutient que les phrases citĂ©es ne sont pas « passibles d’une autre interprĂ©tation » que la sienne, LĂ©nine Ă©crit : « Nous insistons justement sur l’"interprĂ©tation" ». Il saute aux yeux que, pour lui, c’est bien de leur interprĂ©tation que les citations litigieuses sont prĂ©tendument « coupĂ©es »  L’annĂ©e suivante LĂ©nine Ă©crira L’État et la rĂ©volution et changera son interprĂ©tation.

Boukharine, Ă  bord du navire qui l’emmenait en AmĂ©rique, le 21 octobre 1916, Ă©crivit lui aussi une lettre conciliante : il regrettait que leurs divergences d’opinion ne soient pas rĂ©solues, il l’aimait comme son maĂźtre et espĂ©rait qu’il n’y aurait pas de rupture entre eux. Mais il n’avait pas l’intention de renoncer Ă  publier ses idĂ©es sur l’État impĂ©rialiste et la nĂ©cessitĂ© de le briser au cours de la rĂ©volution.

Un aspect du sĂ©jour de Boukharine au Danemark reste obscur : Selon Hedeler, Nadejda Mikhailovna est venue Ă  Copenhague pendant l’étĂ© 1916, mais il ne dit pas quand elle est repartie, ni oĂč
 Ce qui semble certain, c’est qu’elle n’était pas avec son Ă©poux quand il a dĂ» retourner Ă  Kristiania-Oslo pour prendre son bateau et traverser l’Atlantique.

New York – États-Unis (octobre-novembre 1916 – mars-avril 1917)

Le premier article de Boukharine dans le journal Novyj mir paraĂźt aussitĂŽt aprĂšs son dĂ©barquement, le 7 novembre 1916. Novyj mir est le quotidien de la section russophone du Socialist Party of America, il est dirigĂ© par le Dr Ingerman, un menchevik, et son rĂ©dacteur en chef est Novomirski, qui vient de l’anarcho-syndicalisme. Boukharine vient renforcer le groupe des rĂ©dacteurs bolcheviks. Le journal est ouvert Ă  divers courants du socialisme et ce nouveau venu bolchevik est immĂ©diatement intĂ©grĂ©, comme le sera Trotsky (alors menchevik internationaliste) quand il dĂ©barquera en janvier 1917. DĂšs le 11 novembre, N. I. publie son second article, Un nouvel esclavage, oĂč il reprend ses idĂ©es sur la nĂ©cessitĂ© de briser l’État impĂ©rialiste pendant la rĂ©volution. Novomirski rĂ©agit contre cette idĂ©e et, pendant un mois, Boukharine et son rĂ©dacteur en chef Ă©changeront leurs arguments sur ce sujet.

Sur la base des informations donnĂ©es par Hedeler, on peut tenter de prĂ©senter le dĂ©bat : Le rĂ©dacteur en chef du journal soutient que les socialistes doivent utiliser l’État moderne et donc le conserver pour gouverner une Russie Ă©conomiquement peu dĂ©veloppĂ©e. Boukharine rĂ©pond d’abord en refusant la discussion : il rejette tous les arguments de Novomirski et l’accuse de concevoir l’État socialiste comme un État sans classes. Or un État de classe prolĂ©tarien ne peut Ă©tablir la Dictature du ProlĂ©tariat qu’en brisant l’organisation de la bourgeoisie (CQFD). Novomirski relance le dĂ©bat en observant que le jeune rĂ©dacteur bolchevik n’entend pas seulement « briser l’État », il veut aussi « remettre les biens des trusts au peuple » : comment fera-t-on concrĂštement avec un État "brisĂ©" ? Boukharine rĂ©pond et, finalement, expose plus clairement sa maniĂšre de penser. Ce qui est dĂ©terminant, c’est la situation rĂ©volutionnaire mondiale. Dans la phase actuelle de l’histoire du capitalisme, l’État impĂ©rialiste a fusionnĂ© avec le grand capital dans une organisation unifiĂ©e qui ne pourrait guĂšre ĂȘtre amĂ©liorĂ©e et que la guerre a militarisĂ©e et rendue encore plus oppressive. Le conflit entre les « trusts capitalistes d’État » est montĂ© jusqu’à la guerre mondiale et ne peut se rĂ©soudre que dans une rĂ©volution socialiste mondiale. Hedeler remarque que, dans les articles de Novyj mir, Boukharine « part toujours de l'idĂ©e d'une exacerbation maximale et d'une rĂ©solution soudaine des contradictions dans une Ă©poque tumultueuse, erratique, catastrophique et conflictuelle ». Dans ce monde, il n’y a aucun Ă©quilibre et la rĂ©volution ne le rĂ©tablira pas de sitĂŽt.

Sous rĂ©serve d’un accĂšs direct aux textes, on peut conclure des informations donnĂ©es par Hedeler que Novomirski semble comprendre deux choses : Boukharine pense, 1° que le capitalisme d’État a socialisĂ© la production et la distribution des richesses d’une maniĂšre « qui ne peut guĂšre ĂȘtre amĂ©liorĂ©e » (par les socialistes) et, 2° que les socialistes doivent prendre le pouvoir (pour mettre fin Ă  la guerre). Autrement dit : 1° il « absolutise et rend autonome l'Ă©tat de dĂ©veloppement le plus Ă©levĂ© d'une sociĂ©tĂ© » et, 2° il « coagule un processus historique en un point : le moment du renversement rĂ©volutionnaire ». Boukharine avait trouvĂ© un contradicteur compĂ©tent capable de dĂ©celer chez lui les traits d’un « mĂ©taphysicien rĂ©volutionnaire
 qui n’a pas compris la mĂ©thode historique ».

LĂ©nine, qui est informĂ© de ce qui se passe Ă  New York par A. KollontaĂŻ, fait un commentaire dans une lettre du 18 dĂ©cembre 1916 Ă  I. Armand : « Nous avons encore reçu un numĂ©ro de Novyj mir de New York. Il y a lĂ  une critique – hĂ©las, hĂ©las, juste ! – le malheur est qu’un menchevik ait raison contre Boukharine !! »[31]

En fait, entre novembre et dĂ©cembre 1916, Boukharine mĂšne une vĂ©ritable campagne pour ses idĂ©es, celles que LĂ©nine, en aoĂ»t, lui avait recommandĂ© de « laisser mĂ»rir ». Sous la signature de Nota Bene, il publie Ă  Zurich dans le no 6 de L’Internationale de la jeunesse (1er dĂ©cembre 1916, pp. 7-9) une version allemande abrĂ©gĂ©e de son article sur la thĂ©orie de l’État impĂ©rialiste. Le mĂȘme texte, un peu plus coupĂ©, est repris, sous sa signature, dans le journal de BrĂȘme Arbeiterpolitik, 9 dĂ©cembre 1916, pp. 193-195.

LĂ©nine Ă©crit aussitĂŽt une note sur L’Internationale de la jeunesse pour le Recueil du Social-DĂ©mocrate de dĂ©cembre. Un « organe de la jeunesse », cela « va se soi » n’a « encore ni clartĂ© ni fermetĂ© thĂ©orique », mais il faut critiquer « en toute camaraderie » ses erreurs et en particulier celles de N-B... La premiĂšre « inexactitude » concerne la diffĂ©rence entre socialistes et anarchistes. LĂ©nine profite d’une coupure opĂ©rĂ©e par l’édition allemande dans le texte russe de Boukharine (qu’il connait) et il lui reproche d’avoir « oubliĂ© l’essentiel » : « les socialistes veulent utiliser l’État moderne » et la dictature du prolĂ©tariat est « aussi un État ». Dans l’article original, Boukharine le disait aussi ! LĂ©nine dĂ©ment que les socialistes veuillent, comme les anarchistes, « abolir » l’État, le « faire sauter » : selon lui, ils n’envisagent qu’un « dĂ©pĂ©rissement » graduel, « aprĂšs l’expropriation de la bourgeoisie ». DeuxiĂšme reproche : N-B a Ă©crit « La guerre actuelle a montrĂ© combien l’idĂ©e d’État a poussĂ© de profondes racines dans l’esprit des ouvriers ». VoilĂ  une phrase « tout Ă  fait confuse » pour exprimer comment la « politique opportuniste » s’est heurtĂ©e Ă  la « politique social-dĂ©mocrate rĂ©volutionnaire ». LĂ  encore, c’est exactement cette opposition entre les deux politiques ouvriĂšres envers l’État que Boukharine avait dĂ©veloppĂ©e dans le texte russe et rĂ©sumĂ©e d’une formule ironiquement « idĂ©aliste » dans l’abrĂ©gĂ© en allemand
 LĂ©nine termine en annonçant « un article spĂ©cial » sur cette question « extrĂȘmement importante »[32]. Le « Cahier bleu » prĂ©paratoire de cet article inachevĂ© servira dans la rĂ©daction de L’État et la rĂ©volution, pendant l’étĂ© 1917.

Boukharine, en moins de six mois, a publiĂ© 35 articles dans Novyj mir (il en enverra encore un de Moscou en aoĂ»t 1917). Il y dĂ©fend le point de vue bolchevik (dans sa propre version, comme nous l’avons vu). Il voudrait organiser une confĂ©rence des organisations et groupes socialistes d’AmĂ©rique pour faire sortir les internationalistes du Socialist Party of America et il intervient dans les dĂ©bats de ce parti qui, pour le moment, est le sien puisqu’il est celui de ses lecteurs. Le 10 janvier 1917, par exemple, il attaque la direction de droite du SPA qui oublie que les vrais internationalistes sont dans le groupe de Zimmerwald[33]. Ses projets vont tourner court pour deux raisons. Le 13 janvier 1917, avec sa famille, Trotsky dĂ©barque Ă  New York et il va avoir immĂ©diatement une influence dĂ©favorable Ă  celle de Boukharine sur le milieu internationaliste New Yorkais. Moins de deux mois plus tard, c’est le dĂ©but de la rĂ©volution russe et le signal du retour des exilĂ©s.

Boukharine accueille Trotsky chaleureusement[34] et veut lui montrer aussitĂŽt l’une des merveilles de la mĂ©galopole : une grande bibliothĂšque ouverte jusque tard le soir (oĂč Trotsky ira se documenter pour faire les 35 confĂ©rences qu’un ami lui a programmĂ©es
). DĂšs le 14 janvier, Trotsky participe Ă  une rĂ©union d’une vingtaine de socialistes de gauche, dont Boukharine, pour discuter d’un « programme d’action ». Boukharine en attendait l’accĂ©lĂ©ration d’une scission des internationalistes zimmerwaldiens, mais Trotsky a d’autres idĂ©es : il y a encore une base ouvriĂšre Ă  conquĂ©rir dans le SPA et il faudrait lancer une publication hebdomadaire. Trotsky est le plus convainquant. Un mois plus tard, le 17 fĂ©vrier, Ă  une « confĂ©rence internationale des organisations et groupes socialistes » – celle que Boukharine voulait rĂ©unir – c’est encore Trotsky qui est le plus influent et si la confĂ©rence dĂ©cide de rejoindre formellement la gauche de Zimmerwald, elle ne s’engage pas dans la conquĂȘte de la rĂ©daction de Novyj mir, comme Boukharine semble en avoir eu le projet [35]. Le 4 mars, alors que les USA vont entrer en guerre, Trotsky et Louis Fraina soutiendront une rĂ©solution de rĂ©sistance active Ă  la mobilisation qui ne sera pas adoptĂ©e par la section de Manhattan du SPA. Boukharine, ce jour lĂ , est Ă  Chicago.

En effet, fin février, Boukharine a mis en route, au nom de la rédaction de Novyj mir, une tournée de réunions publiques à Chicago et Detroit. La premiÚre a lieu le 4 mars, la derniÚre est prévue pour le 24 mars. La série sera interrompue par les nouvelles de Russie. Le 16 mars, les derniÚres réunions sont annulées et Boukharine revient à New York préparer son retour en Russie.

Wladislaw Hedeler (comme Pierre BrouĂ©, le biographe de Trotsky) s’interroge sur les relations qu’ont eu Trotsky et Boukharine pendant ces quelques semaines. Ce sont-ils vraiment affrontĂ©s ? Ce sont-ils apprĂ©ciĂ©s et sont-ils devenus amis ? La question a Ă©tĂ© trop peu Ă©tudiĂ©e pour conclure, mais il faut se mĂ©fier des dĂ©clarations tardives sur ce point.

De New York Ă  Moscou par le Japon et la SibĂ©rie (avril 1917 – mai 1917)

Boukharine choisit de prendre la route par l’ouest. Avec quelques compagnons, dont Volodarski, il boucle son tour du monde de l’exil en 45 jours d’un voyage mouvementĂ©. Parti fin mars ou dĂ©but avril, il arrivera Ă  Moscou autour du 15 mai [le 2 mai dans le calendrier julien]. Il a sĂ©journĂ© briĂšvement en prison au Japon et Ă  Tcheliabinsk, la « porte de la SibĂ©rie », oĂč des mencheviks l’ont arrĂȘtĂ© pour « agitation auprĂšs des soldats ». Il est libĂ©rĂ© Ă  la demande du Soviet de Petrograd, et les officiers de la milice le mettent dans le train avec un billet de 1Ăšre classe pour Moscou


DĂšs son retour sur le sol russe, il a pris contact avec LĂ©nine par tĂ©lĂ©gramme : il regrette de n’avoir pas pu participer Ă  la confĂ©rence d’avril du parti, mais il a pris connaissance des textes des « thĂšses » et il Ă©crit : « Il me semble que vous n'avez plus Ă  me critiquer. À l'exception de la question nationale ». Un compagnon de voyage, nommĂ© Lisovski se chargera de porter Ă  LĂ©nine des lettres et des documents que Boukharine avait emportĂ©s pour lui.

En quelques jours, il retrouve sa place dans toutes les instances dirigeantes du parti bolchevik pour la ville et la rĂ©gion. Il est aussi admis au bureau du Soviet de Moscou et le journal du parti local, Sotzial demokrat, no 46, le 3 mai (Julien), soit le 16 mai (GrĂ©gorien), publie ses deux premiers articles sur « La grande dĂ©mocratie » impressions amĂ©ricaines, et Le soviet des dĂ©putĂ©s des travailleurs et des soldats de Petrograd et l’armĂ©e.

La révolution vue de Moscou

NikolaĂŻ Ivanovitch est donc accouru aussi vite que possible pour faire la rĂ©volution, mais il n’est pas allĂ© directement Ă  Petrograd, lĂ  oĂč se passent et se passeront tous les Ă©vĂ©nements rĂ©volutionnaires. Il est moscovite et il fera la rĂ©volution Ă  Moscou. Or les moscovites sont quasiment absents de tous les rĂ©cits de 1917[36]. Que sait-on de sa participation Ă  la rĂ©volution ?

L’activitĂ© principale de Boukharine jusqu’en novembre-dĂ©cembre 1917 est son travail de rĂ©dacteur dans la presse bolchevique de Moscou. Il Ă©crit 70 articles dans le quotidien Sotzial democrat et 11 articles dans la revue Spartak[37]. Au dĂ©but, ses publications sont au rythme d’un article tous les deux jours.

Dans les deux journaux, il dĂ©fend une politique nettement « de gauche ». À Moscou, les « vieux » dirigeants (Rikov et Noguine) n’ont pas suivi LĂ©nine et ses « thĂšses d’Avril » oĂč il affirmait qu’il fallait s’orienter vers une rĂ©volution prolĂ©tarienne. Les « jeunes », c'est-Ă -dire Boukharine et ses amis depuis l’époque du lycĂ©e et de l’UniversitĂ©, qui s’appuient plutĂŽt sur le bureau rĂ©gional de Moscou, semblent ĂȘtre dĂ©jĂ  « plus Ă  gauche » que LĂ©nine et attendent avec confiance la rĂ©volution socialiste mondiale.

Boukharine est convaincu que jusqu’à prĂ©sent les Ă©vĂ©nements ont justifiĂ© la politique des bolcheviks : la guerre a dĂ©bouchĂ©, comme prĂ©vu, sur une premiĂšre rĂ©volution. Elle va maintenant s’étendre et s’approfondir parce que la fraternisation des soldats sur le front « allumera la flamme de la rĂ©volution dans toute l’Europe »[38].

DĂšs juin, dans le no 2 de Spartak, il reprend une de ses conclusions de L’économie mondiale et l’impĂ©rialisme[39] : Le capitalisme d’État fait de l’ouvrier « un serf dans une usine d’État » et l’antagonisme de classe oppose directement l’ouvrier Ă  l’État. Mais le capitalisme d’État est aussi « la plus grande prĂ©paration possible Ă  la transition vers une Ă©conomie socialiste ». La rĂ©volution avance ainsi « de deux cĂŽtĂ©s », du moins en Europe occidentale. En Russie si la guerre y a agi comme une crise gigantesque qui aurait pu ĂȘtre « freinĂ©e par une organisation capitaliste d’État de l’économie », la bourgeoisie russe « craint le transfert de l'ensemble de la machine d'État entre les mains de la classe ouvriĂšre et des couches les plus pauvres des paysans et, par consĂ©quent, elle n'agit plus comme une force organisatrice, mais comme une force dĂ©sorganisatrice et anarchique »[40].

Si la bourgeoisie russe ne fait pas assez de capitalisme d’État, le pouvoir rĂ©volutionnaire prolĂ©tarien saura « Ă©tatiser » les industries monopolistes et rĂ©glementer la production et la distribution en s’appuyant sur tout un appareil « compliquĂ© » d’organisations centrales et intermĂ©diaires (les banques, les comitĂ©s d’industrie ou d’approvisionnement dĂ©jĂ  crĂ©Ă©s, les zemstvo qui organisent l’économie locale, etc.)[40]. Boukharine envisage un programme clair pour le prolĂ©tariat : faire ce que le capitalisme d’État aurait pu faire, mais avec un esprit de classe radicalement diffĂ©rent. La rĂ©gulation (le Kontrol) de l’économie peut avoir une forme semblable, et des contenus de classe opposĂ©s. Cette maniĂšre de voir qui caractĂ©risera la pensĂ©e de Boukharine tout au long de sa vie politique est donc prĂ©sente dĂšs le dĂ©but.

Une brochure de 48 pages, Ă©crite et publiĂ©e en juillet, prĂ©sente un intĂ©rĂȘt particulier. La lutte des classes et la rĂ©volution russe est un essai mettant en scĂšne les classes de la sociĂ©tĂ© russe de 1905 Ă  fĂ©vrier-mars 1917, puis, en trois Ă©tapes, jusqu’en juillet 1917. D’une maniĂšre Ă©tonnante, les classes dominantes y sont incarnĂ©es par leurs reprĂ©sentants politiques les plus actifs, alors que le « prolĂ©tariat » semble disposer d’un parti (les bolcheviks) dont les chefs ne sont jamais nommĂ©s
 C’est le « seul Ă©crit historique de sa carriĂšre », remarque Stephen F. Cohen et aprĂšs la victoire d’Octobre, nous le verrons, Boukharine Ă©crira la suite, jusqu’à l’apparition de LĂ©nine comme chef du Conseil des commissaires du peuple, le 7 novembre[41].

OĂč en sont les relations de Boukharine avec LĂ©nine ? Depuis le tĂ©lĂ©gramme qu’il a envoyĂ© en mai, au moment de son arrivĂ©e en Russie, Boukharine ne semble pas avoir eu de contact direct avec LĂ©nine. C’est ce qu’il faut conclure de l’information donnĂ©e en 1925 par Boukharine lui-mĂȘme : lorsqu’il est allĂ© Ă  Petrograd, en juillet 1917, pour participer au VIe CongrĂšs du parti bolchevik, il ne pouvait pas rencontrer LĂ©nine qui devait se cacher aprĂšs l’échec des journĂ©es insurrectionnelles de Juillet, mais il a vu la femme de LĂ©nine, N. Kroupskaia, et ses premiers mots furent les suivants : « V. I. m'a demandĂ© de vous dire qu'il n'y avait plus aucun dĂ©saccord avec vous sur la question de l’État » . Les deux hommes n’auraient donc eu aucune occasion d’échanger sur cette question, mĂȘme par Ă©crit, depuis trois mois. Comme LĂ©nine restera clandestin jusqu’à l’insurrection, ils ne se sont revus que lorsque Boukharine est venu Ă  Petrograd rendre compte au conseil des commissaires du peuples des combats rĂ©volutionnaires de Moscou pendant la semaine du 8 au 15 novembre.

Boukharine entre au Comité Central du parti bolchevik

Le VIe CongrĂšs du POSDR(b) s’ouvre Ă  Petrograd le 26-07 [08-08] dans un moment de pĂ©ril extrĂȘme pour les Bolcheviks. Les dirigeants du parti sont recherchĂ©s depuis l’échec des JournĂ©es de Juillet. LĂ©nine et Zinoviev se cachent, Kamenev est arrĂȘtĂ© et Trotsky, qui vient de rejoindre les Bolcheviks, est mis en prison deux jours avant l’ouverture du CongrĂšs. Sverdlov, pour l’organisation, Staline et Boukharine, pour les rapports sur la « situation actuelle » intĂ©rieure et extĂ©rieure, ont pris le relai.

MenacĂ© d’ĂȘtre dispersĂ© par la police du gouvernement provisoire, le CongrĂšs change de lieu de rĂ©union et procĂšde Ă  l’élection du nouveau ComitĂ© Central - dont Boukharine fait partie - avant de dĂ©battre du rapport de Staline. La question la plus Ăąprement discutĂ©e est celle de savoir ce qu’il faut faire du slogan « Tout le pouvoir aux Soviets ! » quand les chefs des soviets « font pointer l’artillerie contre la classe ouvriĂšre »[42]. Staline propose l’abandon du slogan. Comme le dit Smilga, qui soutient Staline, il faut renverser le gouvernement provisoire et le parti doit pouvoir saisir une occasion, si elle se prĂ©sente, de prendre la tĂȘte du mouvement sans passer par les soviets. D’autres, par exemple Volodarski, craignent que le parti du prolĂ©tariat s’isole de la paysannerie (pauvre) et des forces dĂ©mocratiques rĂ©volutionnaires prĂ©sentes dans les soviets. Boukharine, selon Rabinowitch, est le seul Ă  « adopter une position intermĂ©diaire ». Finalement une commission rĂ©Ă©crit la rĂ©solution et remplace « Tout le pouvoir aux Soviets ! » par « Liquidation complĂšte de la dictature de la bourgeoisie contre rĂ©volutionnaire ! ». L’objet de ce dĂ©bat disparaĂźtra en quelques semaines, le temps pour que les Bolcheviks dominent les principaux soviets et le congrĂšs des soviets
.

Boukharine, selon sa bibliographie, intervient six fois pendant les huit jours que dure le CongrĂšs. Il prĂ©sente un rapport et une rĂ©solution sur « la situation actuelle et la guerre ». Il y soutient une idĂ©e zimmerwaldienne de gauche autrefois reprise par LĂ©nine[43] : le pouvoir rĂ©volutionnaire une fois installĂ©, il ne renoncera pas Ă  son « devoir internationaliste » et saura se dĂ©fendre en menant une « guerre rĂ©volutionnaire » (une « guerre sainte ») qui « allumera le feu de la rĂ©volution mondiale »[44]. Il prĂ©sente aussi le rĂ©sultat de la commission chargĂ©e de rĂ©diger un Manifeste du POSDR(b)[45] et enfin, il met de cĂŽtĂ©, pour un futur CongrĂšs, des propositions pour le Programme du parti, en particulier le remplacement de la description gĂ©nĂ©rale du capitalisme rĂ©digĂ©e par Plekhanov en 1903 par une analyse du capital financier et de l’impĂ©rialisme (ce dĂ©bat, initialement prĂ©vu, a Ă©tĂ© reportĂ© en raison des circonstances)[46].

Le ComitĂ© Central du parti, Ă  cet instant de l’histoire des Bolcheviks, est l’unique organe de la Direction. C’est lui qui prendra les dĂ©cisions conduisant Ă  la rĂ©volution d’Octobre. Membre du CC et de diverses institutions Ă  Moscou (Bureau RĂ©gional, Soviet, Douma municipale
), Boukharine va maintenant prendre souvent le train entre Petrograd et sa ville natale.

Il est Ă  Moscou quand Kerenski y rĂ©unit une ConfĂ©rence d’Etat (du 13 [26] au 15 [28] aoĂ»t). Il s’occupe de l’organisation d’une grĂšve gĂ©nĂ©rale, notamment des hĂŽtels et des restaurants, pour dĂ©sorganiser la ConfĂ©rence que les Bolcheviks boycottent.

Il est Ă  Petrograd le 15 [28] septembre, lorsque, 15 jours aprĂšs l’échec de l’action contre-rĂ©volutionnaire de Kornilov, le ComitĂ© Central discute une lettre de LĂ©nine qui appelle Ă  l’insurrection immĂ©diate. « Abasourdi » par cette injonction, comme tout le CC, il participe Ă  la dĂ©cision de brĂ»ler la lettre[47].

Il est encore Ă  Petrograd le 21 septembre [4 octobre] oĂč, au nom du Soviet de Moscou, il prĂ©pare et prĂ©sente avec Trotsky une rĂ©solution du Soviet de Petrograd rĂ©clamant d’urgence un CongrĂšs des Soviets[48]. Comme la majoritĂ© des dirigeants bolcheviks, il a fini par se rallier Ă  l’insurrection programmĂ©e pour le 25 octobre [7 novembre]. Il repart bientĂŽt pour participer Ă  la prĂ©paration de l’insurrection de Moscou, dĂ©cidĂ©e pour conforter celle de Petrograd.

Une semaine de combats Ă  Moscou

À Moscou, les combats qui suivent ceux de Petrograd sont beaucoup plus durs et beaucoup plus longs. Les Bolcheviks, pourtant Ă©paulĂ©s trĂšs activement par les Socialistes rĂ©volutionnaires de gauche, perdent Ă  eux seuls cinq cents hommes (Ă  Petrograd, il n’y a que six morts). Les combats, commencĂ©s le 26 octobre [8 novembre] ne s’achĂšvent que le 2 [15] novembre.

Boukharine est le responsable politique qui a Ă©crit les proclamations du Soviet et du ComitĂ© militaire rĂ©volutionnaire de Moscou. C’est lui et son camarade Stukov qui sont dĂ©signĂ©s pour rendre compte devant le nouveau gouvernement rĂ©volutionnaire. Stukov tĂ©moigne : « Quand j’en vins au nombre de victimes, ma gorge se serra et je dus m’arrĂȘter. Je vis NikolaĂŻ Ivanovitch se prĂ©cipiter dans les bras d’un camarade ouvrier et Ă©clater en sanglots. Les gens se mirent Ă  pleurer »[49].

C’est lorsqu’il revient Ă  Moscou, le 17 [30] novembre, que John Reed le voit et le dĂ©crit briĂšvement. Boukharine apparaĂźt d’abord dans le train qui se traĂźne entre Petrograd et Moscou, c’est « un petit homme court Ă  barbe rousse et aux yeux de fanatique, “plus Ă  gauche que LĂ©nine”, disait-on de lui ». Le lendemain, Reed le revoit Ă  la rĂ©union oĂč Noguine qui vient de dĂ©missionner de son poste de commissaire du peuple tente de s’expliquer devant le Soviet de Moscou. Noguine (avec Kamenev et quelques autres commissaires) avait voulu rĂ©pondre favorablement Ă  une demande du syndicat des chemins de fer : le nouveau gouvernement ne pouvait pas appartenir Ă  un seul parti, il fallait qu’il s’élargisse Ă  tous les socialistes opposĂ©s Ă  la guerre. Il est dĂ©sapprouvĂ© et chahutĂ© par les ouvriers du Soviet qui refusent de l’écouter. Reed raconte : « Boukharine se leva, farouche et parla avec sa logique imperturbable, assĂ©nant coup pour coup
 Lui, ils l’écoutaient, les yeux brillants[50]. »

De nouvelles responsabilités

Le fait majeur qui ressort de ce qui prĂ©cĂšde a Ă©tĂ© vu et soulignĂ© par Stephen F. Cohen il y a un demi siĂšcle : en 1917 Boukharine, Ă  la tĂȘte du groupe des « jeunes » moscovites, est une Ă©toile montante dans le parti bolchevik, prĂ©sent sur tous les terrains sauf la conduite des opĂ©rations militaires.

Stephen F. Cohen pensait qu’une des principales faiblesses des Bolcheviks, en 1917, Ă©tait leur « incapacitĂ© Ă  Ă©laborer un programme Ă©conomique avant la prise du pouvoir »[51] , mais celui dont il est le premier biographe Ă©tait peut-ĂȘtre le moins incapable d’accomplir cette tĂąche.

Nous avons vu que Boukharine pense qu’en s’appuyant sur l’organisation Ă©conomique mise en place par le capitalisme d’État de guerre, l’État prolĂ©tarien peut assurer un « kontrol » (une rĂ©gulation) efficace de l’économie. Cette idĂ©e va ĂȘtre Ă  la base de sa rĂ©flexion, mais, comme le montrent les articles qu’il Ă©crit pendant et juste aprĂšs les journĂ©es rĂ©volutionnaires d’octobre-novembre, son discours exprime aussi une forte inquiĂ©tude face aux difficultĂ©s futures. Il ne faut pas compter sur un retour Ă  la paix et Ă  l’équilibre en Russie (et dans le monde). Il va falloir d’abord dĂ©fendre la rĂ©volution contre « l’incroyable exaspĂ©ration » de ses ennemis intĂ©rieurs. Il faudra « briser cette rĂ©sistance Ă  quelque prix que ce soit[52] ». La guerre civile en Russie et la guerre mondiale vont continuer et la situation Ă©conomique de la Russie sera de plus en plus difficile.

Dans deux articles publiĂ©s le premier jour des combats de Moscou[53] , Boukharine entrevoit un programme Ă©conomique prolĂ©tarien Ă  mettre en Ɠuvre aprĂšs l’effondrement de l’État bourgeois. Un nouvel appareil de pouvoir des ouvriers et des paysans va commencer Ă  mettre en place un ordre « non capitaliste » ou « semi socialiste » et ce sera un « processus extrĂȘmement douloureux et Ă©prouvant » car « la guerre a drainĂ© et Ă©puisĂ© l'Ă©conomie du pays, dĂ©sorganisĂ© ses transports et ses finances, et conduit Ă  un effondrement Ă©conomique aux proportions inouĂŻes. »

Contre ceux qui ont des doutes, Boukharine redit qu’une industrie monopolistes existe dĂ©jĂ  en Russie, mĂȘme si elle est masquĂ©e par une immense Ă©conomie paysanne et qu’il compte sur la capacitĂ© d’organisation d’un pouvoir prolĂ©tarien pour mettre en place un « kontrol » formellement semblable Ă  ce que fait le capitalisme d’État, mais avec un autre contenu de classe.

Il propose alors une « esquisse gĂ©nĂ©rale du dĂ©veloppement Ă©conomique qui se rĂ©vĂšlera, pas Ă  pas, au cours de la rĂ©volution russe » : la question se ramĂšne Ă  l'organisation des relations ville-campagne, et la rĂ©gulation Ă©conomique par un État des travailleurs (urbains) signifie l'Ă©limination du marchĂ© anarchique des produits agricoles. « Cela change radicalement l’ensemble de la direction du dĂ©veloppement. Dans ces conditions, un lien croissant et organisĂ© de la ville et de la campagne est inĂ©vitable, c'est-Ă -dire le rattachement mĂȘme des petites entreprises paysannes Ă  la sphĂšre de l'organisation gĂ©nĂ©rale de la production ». Boukharine semble donc imaginer un changement (« pas Ă  pas », donc plutĂŽt graduel) intĂ©grant les petites entreprises (paysannes) Ă  la grande organisation prolĂ©tarienne et urbaine de la production et de la consommation


L’article Au socialisme ! du 9 novembre se termine par une dĂ©claration de confiance dans la rĂ©volution, Ă  la fois mondiale et permanente : la rĂ©volution internationale et la fin de la guerre renforceront l’économie russe arriĂ©rĂ©e en la rĂ©intĂ©grant dans une Europe socialiste oĂč la rĂ©volution aura Ă©tĂ© stimulĂ©e par « La victoire complĂšte et dĂ©cisive des ouvriers, des soldats et des paysans » russes sur leurs impĂ©rialistes


LĂ©nine a immĂ©diatement vu Boukharine comme un futur responsable des questions Ă©conomiques. En novembre [dĂ©but dĂ©cembre], il le charge, avec Ossinsky et Chliapnikov, de rĂ©diger les dĂ©crets sur les nationalisations et l’organisation de la direction de la vie Ă©conomique dans le pays (ce sera le Conseil Économique SuprĂȘme, dont Boukharine sera un des premiers membres). Le 27 novembre [10 dĂ©cembre] LĂ©nine lui propose de former avec Piatakov une petite commission responsable des questions fondamentales de la politique Ă©conomique du gouvernement. Mais le ComitĂ© Central refuse la suggestion de LĂ©nine car il y a une autre urgence : trouver un responsable pour la Pravda. Sverdlov et Stassova proposent le nom de Boukharine[54].

Il dirigera la Pravda pendant prĂšs de douze ans, avec seulement quatre mois d’interruption entre mars et juin 1918, quand il animera l’opposition au traitĂ© de Brest-Litovsk des « communistes de gauche ».

Quelques jours aprĂšs son entrĂ©e en fonctions, dans l’éditorial du Jour de l’an 1918, la Pravda de Boukharine se rĂ©jouit de ne plus voir dans les rues des riches barines en manteaux de fourrure qui ont fui « en Ukraine ou au Kouban » oĂč ils doivent « se contenter d’une ration de troisiĂšme classe »[55].

Autre signe du poids grandissant de Boukharine dans la politique des rĂ©volutionnaires : il est chargĂ© de parler au nom du parti bolchevik dans l’unique dĂ©bat de l’AssemblĂ©e Constituante, rĂ©unie dans la nuit du 5 au 6 [18 au 19] janvier 1918 et dissoute aussitĂŽt.

Boukharine n’était pas radicalement hostile Ă  la Constituante. Le 29 novembre [12 dĂ©cembre], il proposait seulement d’empĂȘcher les « kadets » de siĂ©ger et de rĂ©unir une « Convention » qui serait dominĂ©e par les Bolcheviks et les SR de gauche, mais, sous l’impulsion de LĂ©nine, il fut dĂ©cidĂ© que la Constituante devrait adopter une DĂ©claration des droits du peuple travailleur confiant le pouvoir aux soviets et se sĂ©parer, ou qu’elle serait dissoute[56].

La tĂąche attribuĂ©e Ă  Boukharine le 5 [18] janvier est de rĂ©pondre au discours du PrĂ©sident Ă©lu par l’AssemblĂ©e, le SR Tchernov. Il condamne la Constituante comme une institution mort-nĂ©e parce qu’elle ne pourrait ĂȘtre que le terrain des compromis entre les classes – au nom de la nation – et donc de la restauration de la dictature bourgeoise. Ce raisonnement vaut pour toutes les questions abordĂ©es dans le discours : le contenu social de l’armement des milices, de la paix, de l’organisation du travail, des banques nationalisĂ©es, du partage de la terre et de la rĂ©gulation de l’industrie est dĂ©terminĂ© par la classe au pouvoir et seuls les soviets peuvent constituer un pouvoir exclusif des ouvriers et des paysans[57].

L’AssemblĂ©e n’ayant pas adoptĂ© la DĂ©claration des droits du peuple travailleur, les dĂ©putĂ©s bolcheviks partent ; un peu plus tard les dĂ©putĂ©s SR de gauche les suivent ; les gardes rouges mettent fin aux dĂ©bats et Ă  la Constituante le 6 [19] janvier Ă  4h40.

Le choc du traité de Brest-Litovsk[58]

Depuis le DĂ©cret sur la Paix du 26 octobre [8 novembre], le gouvernement de LĂ©nine cherche Ă  obtenir un armistice – le plus long possible – et il a engagĂ© Ă  Brest-Litovsk une nĂ©gociation avec les Empires d’Allemagne et d’Autriche.

Le 2 [15] dĂ©cembre un mois d’armistice est dĂ©cidĂ©. Les Bolcheviks, Trotsky en tĂȘte, cherchent Ă  utiliser les nĂ©gociations pour leur propagande rĂ©volutionnaire. Les Empires veulent rĂ©duire leur effort militaire Ă  l’Est, mais exigent de contrĂŽler et d’occuper de plus en plus de territoires (Ukraine, Pologne, Lituanie, etc).

Le 8 [21] janvier les dirigeants du parti bolchevik (réunis dans un Comité Central élargi) se divisent en trois groupes : Lénine, avec 15 voix, opte pour une paix séparée le plus vite possible ; Trotsky réunit 16 voix pour « ni guerre, ni paix » ; Boukharine est majoritaire (32 voix sur 63) pour répondre aux Empires par la guerre révolutionnaire. Ce sera le seul succÚs des opposants au traité.

Le 11 [24] janvier, Lénine récupÚre la majorité au CC en soutenant la position de Trotsky.

Au bout de prÚs de trois semaines, le 27 janvier [9 février], les Allemands perdent patience et présentent leurs demandes comme un ultimatum.

Trotsky, le 28 janvier [10 février], répond à cet ultimatum que la Russie révolutionnaire « quitte la guerre », mais refuse de signer le traité de paix des Allemands.

Le 16 fĂ©vrier[59] , l’Allemagne annonce qu’elle reprendra les hostilitĂ©s le 18 fĂ©vrier.

Le 17 fĂ©vrier, le CC prĂ©fĂšre attendre plutĂŽt que signer sur le champ. Puis, le 18 fĂ©vrier, quand l’avance allemande commence, LĂ©nine obtient aprĂšs de dramatiques dĂ©bats le soutien de Trotsky pour accepter les conditions allemandes. Mais les Allemands ne rĂ©pondent pas et continuent d’avancer. En 5 jours, du 18 au 22 fĂ©vrier, l’armĂ©e allemande se dĂ©place de 240 kms vers l’Est (autant qu’en trois ans de guerre) et menace Petrograd. Le 22 fĂ©vrier le CC dĂ©cide d’accepter une aide militaire (Ă©ventuelle) des AlliĂ©s, Boukharine et les partisans de la guerre rĂ©volutionnaire votent contre (« Nous transformons le parti en un tas de fumier ! », dit Boukharine en s’adressant Ă  Trotsky).

Le 23 fĂ©vrier, les Allemands fixent leurs derniĂšres conditions : ils exigent d’occuper tous les territoires dont ils se sont emparĂ©s jusqu’à ce jour. LĂ©nine obtient l’acceptation du CC (Trotsky s’abstient) et de l’ExĂ©cutif des soviets.

Le traité est signé à Brest-Litovsk le 3 mars, par Tchitcherine qui a remplacé Trotsky. La Russie soviétique, selon Orlando Figes, perd un tiers de sa surface et de sa population, et aussi plus de la moitié des établissements industriels et les neuf dixiÚmes de ses ressources en charbon


Boukharine et l’opposition des « communistes de gauche »

Boukharine et les membres du CC qui l’ont suivi jusqu’au vote du 23 fĂ©vrier ont donnĂ© leur dĂ©mission des postes qu’ils occupaient pour mener campagne contre la ratification du traitĂ©. Ils lancent un nouveau journal, Kommunist, dont le premier numĂ©ro paraĂźt Ă  Petrograd le 4 mars. Un congrĂšs du parti bolchevik est convoquĂ© pour les 6,7 et 8 mars. Ce congrĂšs extraordinaire et improvisĂ© rĂ©unit des reprĂ©sentants de moins de la moitiĂ© des membres du parti. LĂ©nine s’assure une majoritĂ© en faveur de la ratification du traitĂ© (36 pour, 11 contre et 4 abstentions), mais il ne cherche pas Ă  mettre les « communistes de gauche » Ă  l’écart. Boukharine et ses partisans sont rĂ©Ă©lus au ComitĂ© Central. La dĂ©mission qu’ils prĂ©sentent aussitĂŽt est refusĂ©e au nom de l’unitĂ© du parti. Boukharine, cependant, ne paraĂźtra Ă  aucune rĂ©union du CC, ni Ă  la Pravda pendant quelques semaines.

Ces votes de CongrĂšs mettent fin Ă  la premiĂšre phase de l’opposition des « communistes de gauche ». Du 21 janvier au 8 mars (6 ou 7 semaines), ils ont refusĂ© le traitĂ© de paix. Ce combat est terminĂ©. Une nouvelle phase commence oĂč, cinq mois aprĂšs la prise du pouvoir, une partie des dirigeants bolcheviks s’interroge publiquement sur la politique Ă©conomique rĂ©volutionnaire. C’est un dĂ©bat rĂ©siduel qui cessera rapidement (moins de trois mois pour Boukharine). Son objet principal tourne autour d’un concept : le capitalisme d’État.

Le mot a Ă©tĂ© remis au centre du dĂ©bat quand LĂ©nine, au lendemain de la signature du traitĂ© de Brest-Litovsk, a ouvert un chantier Ă©conomique sur l’organisation de la production, en commençant par le « recensement et le contrĂŽle » par le peuple. AprĂšs les nationalisations des premiers mois, il faut sortir la production de sa paralysie et trouver un accord avec les cadres « capitalistes » qui sont capables d’organiser la production. Il insiste aussi sur la discipline dans le travail et la productivitĂ©. Si le modĂšle du capitalisme d’Etat allemand pouvait ĂȘtre reproduit, dit-il, la Russie serait « aux trois quart socialiste »[60].

Voyons les traces du débat qui se trouvent dans le journal des communistes de gauche, Kommunist[61], et dans les discours de Lénine en 1918.

Boukharine publie six articles dans les trois premiers numĂ©ros de Kommunist. C’est lui qui donne le plus de titres au journal (les autres contributeurs ne dĂ©passent pas cinq titres), mais son absence dans le dernier numĂ©ro, en juin, est dĂ©jĂ  un signe de sa mise en retrait.

Dans le no 1, il y a trois titres : une courte note bibliographique trĂšs Ă©logieuse sur L’État et la rĂ©volution de LĂ©nine, une autre note bibliographique oĂč il Ă©trille un SR (Troutovsky) qui a Ă©crit sur La pĂ©riode de transition et une « revue politique » consacrĂ©e aux hĂ©ros de la trahison sociale, Mencheviks ou Socialistes rĂ©volutionnaires. Dans le no 2, il reprend sa comparaison entre L’anarchisme et le communisme scientifique, un sujet sur lequel LĂ©nine l’avait critiquĂ© en 1916. Dans le no 3, on trouve un article sur Certaines notions essentielles de l’économie moderne oĂč il cherche Ă  dĂ©montrer que le capitalisme d’État ne peut ĂȘtre confondu avec le contrĂŽle sur la production par un État socialiste. L’État-commune socialiste « socialise » la production, il ne la « nationalise » pas. Un capitalisme d’État sans capitalisme est un non-sens. Enfin, il consacre trois pages du no 3 Ă  un « thĂ©oricien trĂšs intĂ©ressant et original », A. A. Bogdanov, qui a publiĂ© en 1917 Les questions du socialisme. Il s’agit pour Boukharine de ce dĂ©marquer d’un auteur qu’il admire mais qui subordonne l’émergence du socialisme Ă  celle d’un nouvel univers culturel de la classe ouvriĂšre[62].

Trois articles s’attaquent Ă  des rivaux politiques des Bolcheviks. Les trois autres articles font le point sur les accords et les dĂ©saccords avec LĂ©nine. Boukharine pense qu’il ne subsiste qu’un dĂ©saccord, celui sur le capitalisme d’État, et il porte sur l’emploi d’un mot (capitalisme) pour un autre (socialisme) puisque la classe prolĂ©tarienne est au pouvoir. C’est une opposition trĂšs modĂ©rĂ©e Ă  la direction que LĂ©nine donne au parti. Boukharine n’est plus le chef de file des communistes de gauche (Ossinsky est un opposant plus radical).

Boukharine reste pourtant l’opposant le plus ciblĂ© par les flĂšches anti-critiques de LĂ©nine. LĂ©nine sait que Boukharine pense que le pouvoir prolĂ©tarien peut faire tout ce que fait le capitalisme d’État avec un autre contenu de classe. C’est Ă  son intention qu’il rĂ©affirme que le « capitalisme d’État » est un modĂšle Ă  assimiler parce qu’il a « quelque chose de commun » avec le socialisme (recenser et contrĂŽler)[63]. Il ne veut voir que les limites de la note bibliographique de Boukharine consacrĂ©e Ă  l’État et la rĂ©volution : il n’y dit rien des tĂąches de l’État prolĂ©tarien aprĂšs la rĂ©volution, alors que LĂ©nine, dans cette brochure, avait dĂ©jĂ  dit que le contrĂŽle de l’État socialiste serait aussi « organisĂ© sur ceux des ouvriers qui sont profondĂ©ment corrompus par le capitalisme »[63]. Il rejette les critiques des communistes de gauche, comme Ossinsky, qui craignent que les spĂ©cialistes issus de la classe capitaliste rĂ©duisent l’initiative de classe des ouvriers et qui n’ont aucune idĂ©e pratique utile pour rĂ©tablir la circulation des trains. LĂ©nine accommode cependant ses critiques avec quelques compliments aux « marxistes » que sont toujours les communistes de gauche, en particulier Boukharine qui est « d’une excellente culture »[63] et « dĂ©passe de deux tĂȘtes les socialistes rĂ©volutionnaires de gauche et les anarchistes »[63].

Ce n’est pas une discussion thĂ©orique ni un compromis politique qui va amener Boukharine Ă  quitter l’opposition, mais la lutte contre le Conseil des commissaires du peuple qu’engagent ses anciens alliĂ©s, les SR de gauche, qui sont toujours des adversaires rĂ©solus du traitĂ© de paix. Les chefs SR de gauche forment d’abord le plan d’arrĂȘter LĂ©nine pour pouvoir dĂ©clarer la guerre Ă  l’Allemagne et Boukharine s’oppose immĂ©diatement Ă  ce projet[64]. Les SR de gauche changent alors de cible : ils prĂ©parent et exĂ©cutent le 6 juillet un attentat contre l’ambassadeur d’Allemagne, le comte von Mirbach, ils montent des actions insurrectionnelles et assassinent quelques bolcheviks, finalement ils tenteront de tuer LĂ©nine le 30 aoĂ»t. Les Bolcheviks rĂ©agissent en serrant les rangs, en Ă©cartant tous les autres groupes socialistes des soviets et en mettant en place la Tcheka qui s’engage dans une « terreur rouge » assumĂ©e.

Boukharine reprend toutes ses activités dans le Parti

La bibliographie de Boukharine indique une absence complĂšte de publication en juin 1918. En fait, c’est le moment oĂč il part Ă  Berlin avec une dĂ©lĂ©gation chargĂ©e d’une nĂ©gociation Ă©conomique[65]. Un mois plus tard, le 7 juillet, au lendemain de l’assassinat de von Mirbach, il est de retour et il signe dans la Pravda son premier article depuis fĂ©vrier. Il en Ă©crira 72 jusqu’à la fin de l’annĂ©e, malgrĂ© quelques semaines d’un nouveau sĂ©jour en Allemagne en octobre-novembre (d’oĂč il donne des articles Ă  la presse scandinave
). Il reconnaĂźt publiquement s’ĂȘtre trompĂ© en refusant le traitĂ© de paix, mais seulement le 8 octobre, dans un discours au soviet de Moscou publiĂ© par la Pravda le 11 octobre.

Il a donc repris son activitĂ© principale dans la presse du parti et les autres tĂąches qui lui sont confiĂ©es sont « internationales ». On ne sait pas exactement quelle Ă©tait sa seconde mission Ă  Berlin, sauf qu’il y a vu Liebknecht et que le gouvernement allemand l’a expulsĂ© avec les diplomates soviĂ©tiques avant l’armistice qui suspend la guerre le 11 novembre.

Boukharine est aussi un propagandiste, auteur de libelles et de brochures, et, en 1918, il en a publiĂ© deux. Le premier petit livre est la suite de son rĂ©cit de la rĂ©volution de 1917. AprĂšs La lutte des classes et la rĂ©volution russe, qui s’arrĂȘtait en Juillet, il va jusqu’en Octobre avec De la dictature de l’impĂ©rialisme Ă  la dictature du prolĂ©tariat, Les deux parties sont traduites en allemand et imprimĂ©es Ă  Zurich avec un nouveau titre : De la chute du tsarisme Ă  la chute de la bourgeoisie. La deuxiĂšme brochure est Le programme des communistes (bolcheviks) qu’il rĂ©dige personnellement et publie sous son seul nom en plusieurs langues, Ă  partir de mai 1918 (date indiquĂ©e Ă  la fin de la conclusion)[66].

La rĂ©daction et la publication de ces travaux enjambe la pĂ©riode de l’opposition au traitĂ© de Brest-Litovsk et du « communisme de gauche ». On n’y trouve cependant aucune trace de ce conflit majeur. Au contraire, ces textes, et particuliĂšrement le rĂ©cit de la rĂ©volution, expriment clairement les maniĂšres de voir et de penser des Bolcheviks dans leur ensemble Ă  ce moment de leur histoire.

Quand Boukharine reprend la plume pour raconter la prise du pouvoir par les Bolcheviks. Il ne pense pas Ă  faire un tĂ©moignage historique : il Ă©crit un tract pour faire avancer « la rĂ©volution permanente » qui, partant de la Russie, « se transforme en rĂ©volution europĂ©enne du prolĂ©tariat, armĂ© par ce mĂȘme État impĂ©rialiste sur la tĂȘte duquel il lĂšve dĂ©jĂ  le couteau luisant de la guillotine »[67].

Pour rĂ©sumer le « tract », il suffit de dire qu’il raconte comment, pendant l’étĂ© 1917, les deux candidats au rĂŽle de « Bonaparte de la RĂ©volution Russe », Kerensky et Kornilov, se sont neutralisĂ©s, si bien que les Bolcheviks, un moment affaiblis, ont pu ressurgir et prendre le pouvoir Ă  l’automne. Ce rĂ©cit qui met en scĂšne des classes sociales ou des « masses » et leurs incarnations dans des personnages politiques est Ă©tonnement dĂ©sĂ©quilibrĂ©. Kerensky est nommĂ© 75 fois, Kornilov 56 fois et des dizaines de Cadets, de Mencheviks ou de S. R. sont aussi citĂ©s ; par contre le prolĂ©tariat s’incarne dans un « Parti du prolĂ©tariat », jamais autrement dĂ©signĂ©, dont deux chefs seulement sont nommĂ©s : Trotsky, 3 fois, et LĂ©nine, 2 fois dans la mĂȘme page, lorsque, le 25 octobre [7 novembre], « la nouvelle rĂ©volution l’a libĂ©rĂ© du mystĂšre dont il avait dĂ» s’entourer »[68].

Le mot « mystĂšre », vaut aussi pour tout ce qui concerne l’activitĂ© des rĂ©volutionnaires bolcheviks pendant la pĂ©riode qui prĂ©cĂšde leur arrivĂ©e au pouvoir. Boukharine prĂ©sente les choses comme si le « Parti du prolĂ©tariat » avait toujours su quoi faire sans avoir Ă  en discuter. Un silence total sur la prĂ©paration et l’organisation d’une insurrection dĂ©cidĂ©e et rĂ©ussie par le parti bolchevik dans un rĂ©cit de la pĂ©riode oĂč le parti n’a rien fait d’autre implique la volontĂ© de garder un secret. Sans doute s’agit-il du « savoir faire » du parti, du « professionnalisme rĂ©volutionnaire » acquis dans la clandestinitĂ©. Le Bolchevisme se voit comme l’union rĂ©ussie de la science marxiste avec la science stratĂ©gique, l’art de la guerre. Cacher une partie de ses capacitĂ©s ou de ses faiblesses peut constituer un avantage stratĂ©gique.

Boukharine en racontant la rĂ©volution comme si le parti Ă©tait toujours un bloc unique masque aussi bien son Ă©largissement que ses fractionnements. Trotsky et d’autres forces venues des Mencheviks ou des SR ont rejoint les Bolcheviks (ce qui autorise Boukharine Ă  parler, comme Trotsky, de rĂ©volution permanente[69] ). Kamenev, en avril, en octobre et en novembre, Zinoviev, en octobre, et d’autres encore (Staline, Rykov, etc.) ont parfois refusĂ© de suivre LĂ©nine. Les lecteurs de la brochure n’en sauront rien.

L’unitĂ© de pensĂ©e et d’action du parti bolchevik est un mythe aussi bien avant 1917 que pendant la pĂ©riode rĂ©volutionnaire et dans les premiĂšres annĂ©es du rĂ©gime soviĂ©tique. Mais au terme de la guerre civile, en 1921, les « fractions » seront interdites et le mythe deviendra une contrainte destructrice : Tous ceux qui seront Ă©liminĂ©s dans la lutte pour le pouvoir dans le parti le seront pour « fractionnisme » et leurs divergences seront toujours inscrites dans une sĂ©rie de « fautes » remontant aux origines de la rĂ©volution


Le contenu du Programme des communistes (bolcheviks) rĂ©digĂ© par Boukharine confirme que, sauf sur la question du traitĂ© de paix, il ne se voit pas comme un opposant, mĂȘme s’il dĂ©veloppe quelques idĂ©es personnelles.

Le dĂ©bat sur le Programme a commencĂ© Ă  la confĂ©rence d’avril 1917 du POSDR(b). La majoritĂ© de la commission du programme, contre l’avis de LĂ©nine, veut refondre toute la partie gĂ©nĂ©rale du programme fondateur de 1903 en la basant sur une description de l’impĂ©rialisme. LĂ©nine, lui, veut garder le rĂ©sumĂ© de Plekhanov sur le capitalisme en le complĂ©tant par un paragraphe sur la derniĂšre Ă©tape du capitalisme, l’impĂ©rialisme. Comme dans les dĂ©bats prĂ©cĂ©dents entre exilĂ©s, deux autres questions divisent les Bolcheviks : le droit Ă  l’autodĂ©termination des nations et le contenu du programme « minimum » quand la rĂ©volution prolĂ©tarienne est Ă  l’ordre du jour.

La rĂ©daction d’un texte de programme est prĂ©vue et reportĂ©e quatre fois de suite : 1. La ConfĂ©rence d’avril prĂ©voit de prendre une dĂ©cision au CongrĂšs suivant. 2. Le VIe CongrĂšs de juillet Ă©tant semi clandestin, le dĂ©bat est reportĂ© Ă  un CongrĂšs extraordinaire convoquĂ© pour le 30 octobre. 3. Le CongrĂšs extraordinaire ayant Ă©tĂ© annulĂ© pour cause d’insurrection le 25 octobre, le dossier du programme est mis en attente pour le prochain CongrĂšs. 4. Le VIIe CongrĂšs du 4-6 mars 1918 Ă©tant entiĂšrement consacrĂ© Ă  la ratification du traitĂ© de Brest-Litovsk, une nouvelle rĂ©solution de report est adoptĂ©e. Cette fois LĂ©nine propose qu’une commission spĂ©ciale rĂ©dige le texte et le publie rapidement pour le compte du parti, mĂȘme s’il peut contenir « de nombreuses erreurs »[70]. La commission spĂ©ciale, d’aprĂšs une note de Iaroslavsky incluse dans l’édition de 1933 du protocole du VIIIe CongrĂšs, n’a pas laissĂ© d’archives, mais c’est elle qui, un an plus tard, diffuse un projet qui sert de base au Programme adoptĂ© finalement au VIIIe CongrĂšs, le 20 mars 1919.

Le programme des communistes (bolcheviks) de Boukharine est achevĂ© environ deux mois aprĂšs le VIIe CongrĂšs. Le texte dĂ©coupĂ© en 19 chapitres et une conclusion est un dĂ©fi lancĂ© Ă  la commission (dont Boukharine est membre). LĂ©nine espĂ©rait une publication rapide d’un texte respectant ses indications et c’est un des trois « minoritaires » de la commission qui propose une sorte de commentaire dĂ©veloppĂ© d’un programme encore non Ă©crit


Sur le point le plus controversĂ©, la refonte de la partie gĂ©nĂ©rale sur le capitalisme, Boukharine a une solution. Il n’a pas besoin de complĂ©ter le tableau Ă©conomique du capitalisme concurrentiel (selon Plekhanov) par une dĂ©finition Ă©conomique de l’impĂ©rialisme (selon LĂ©nine). Le capitalisme est une structure sociale basĂ©e sur l’appropriation privĂ©e des moyens de production, elle oppose « deux camps : Ceux qui travaillent beaucoup et qui mangent peu et mal, et ceux qui travaillent peu ou point, mais qui n’en mangent que davantage et mieux ». Comment la propriĂ©tĂ© privĂ©e des moyens de production s’est-elle maintenue jusqu’à prĂ©sent ? Parce que les capitalistes ont constituĂ© des « organisations ». La plus importante et la plus gĂ©nĂ©rale est l’État bourgeois qui s’est dĂ©veloppĂ© en « une Ă©norme fĂ©dĂ©ration de capitalistes ». Ce sont ces « associations Ă©tatistes » des diffĂ©rentes bourgeoisies qui « luttent actuellement entre elles comme les capitalistes sĂ©parĂ©s luttaient entre eux ». Seule la classe ouvriĂšre peut « Ă©touffer la guerre et briser le joug du capitalisme », comme elle a commencĂ© Ă  le faire en Russie.

Boukharine s’appuie sur sa thĂ©orie de l’État impĂ©rialiste Ă©laborĂ©e en 1916 et sur ce qu’il retient des idĂ©es de Bogdanov. Le chapitre III sur l’objectif d’une « production communiste coopĂ©rative » le confirme : LĂ©nine avait contestĂ© la proposition faite par Boukharine d’introduire une dĂ©finition du communisme dĂ©veloppĂ©. « Ce sont des choses que nous ne savons pas », disait-il, « les briques qui serviront Ă  bĂątir le socialisme ne sont pas encore faites »[71]. Boukharine a une solution : il Ă©voque une sociĂ©tĂ© communiste future oĂč le « bureau central de statistique » jouera un rĂŽle essentiel dans la planification. Cette reprĂ©sentation, commune dans la social-dĂ©mocratie d’avant guerre, semble empruntĂ©e Ă  L’étoile rouge, le roman d’anticipation de Bogdanov de 1908, ou Ă  La femme et le socialisme de Bebel.

LĂ©nine dans sa rĂ©solution sur la modification du Programme recommandait de mieux dĂ©finir « l’État de type nouveau, la RĂ©publique des soviets et la dictature du prolĂ©tariat ». Boukharine le fait en quatre chapitres oĂč il critique le parlementarisme bourgeois qui Ă©carte le peuple du pouvoir. Pour la « partie politique », il ne s’éloigne des demandes de LĂ©nine que sur un point : il n’envisage pas l’hypothĂšse d’un « recul » au cours de la lutte vers l’étape « dĂ©passĂ©e » du parlementarisme bourgeois que le parti, dans ce cas, ne renoncerait pas Ă  « utiliser ».

« Il faudra revoir dans le mĂȘme esprit les parties Ă©conomiques, y compris la partie agraire, et aussi les parties pĂ©dagogiques et autres de notre programme » disait LĂ©nine. Boukharine rĂ©dige neuf chapitres sur la nationalisation des banques, de la grande industrie et de la terre, sur l’administration de l’industrie, l’obligation du travail et le contrĂŽle du commerce. Il rejoint LĂ©nine sur les thĂšmes de la discipline au travail et anticipe ce qu’il dira en 1919 sur la fin du pouvoir de l’argent[72]. Il complĂšte la liste de LĂ©nine en justifiant trĂšs fermement la « nationalisation du commerce extĂ©rieur ».

Il explicite enfin les « autres parties » du programme en traitant de la place de l’église et de l’école dans la RĂ©publique des soviets, de l’armĂ©e et de « la libĂ©ration des peuples ». C’est seulement sur le dernier point qu’il conteste ouvertement une position majoritaire dans le parti et dans la Commission. Le droit de « disposer d’elles-mĂȘmes », prĂ©cise-t-il, ne peut pas concerner les « nations (des ouvriers et des bourgeois ensemble) ». C’est un droit des classes ouvriĂšres : « les ouvriers d’une nationalitĂ© vivant en Russie peuvent constituer une RĂ©publique des soviets sĂ©parĂ©e
 nous ne vous retiendrons pas un instant par la violence ».

Boukharine, avec ce Programme Ă  la fois personnel et conforme aux choix majoritaires (il ne laisse voir qu’il s’en Ă©carte qu’une seule fois) inaugure sa sĂ©rie de contributions Ă  la rĂ©daction des « programmes » communistes internationaux. Elle s’étirera sur 10 ans, jusqu’en 1928


Le dĂ©faut majeur de ce Programme est qu’il anticipe peu ou mal les difficultĂ©s Ă  venir. C’est encore un exposĂ© des idĂ©es conçues avant le moment rĂ©volutionnaire : le capitalisme monopoliste d’État a dĂ©jĂ  mis en Ɠuvre les moyens d’un « kontrol » de la production et de la distribution des richesses produites ; l’État prolĂ©tarien peut les utiliser, y compris pour contrĂŽler les innombrables petites entreprises qui doivent rester en dehors de la nationalisation
 En fait, les nationalisations ont Ă©tĂ© plus Ă©tendues vers la petite production et n’ont pas pu se saisir d’une grande partie de la grande industrie sur un territoire disloquĂ© et occupĂ© par des troupes Ă©trangĂšres
 S’emparer des banques et les faire fusionner laisse espĂ©rer la rĂ©alisation « d’une comptabilitĂ© sociale de la production coopĂ©rative socialiste », mais en attendant il faut s’accommoder de l’inflation
 La guerre civile va prolonger les trois ans de guerre internationale. L’auteur du Programme le sait, mais anticipe trĂšs peu les dĂ©sorganisations encore Ă  venir. Enfin ce programme des communistes bolcheviks est imaginĂ© comme Ă©tant tout aussi bien celui de la RĂ©publique des soviets et de la classe ouvriĂšre russe entraĂźnant la masse des paysans pauvres. Sans le dire, la lutte « sans indulgence » contre la bourgeoisie a dĂ©jĂ  Ă©tabli un rĂ©gime de parti unique.

La fin de la guerre mondiale et l’appel à la fondation d’une nouvelle Internationale

MalgrĂ© toutes les difficultĂ©s, les chefs et les militants bolcheviks sont optimistes quand s’approche la fin de la guerre mondiale. Les deux Empires vaincus vont entrer en rĂ©volution. Boukharine, nous l’avons vu, est Ă  Berlin en octobre pour ĂȘtre au plus prĂšs de l’évĂ©nement et rapprocher les Spartakistes des Bolcheviks.

L’expulsion des reprĂ©sentants officiels de la RĂ©publique des soviets, dont Boukharine, ne change pas le projet de LĂ©nine et de la direction du PC(b)R. C’est le moment de crĂ©er une nouvelle Internationale Communiste violemment opposĂ©e aux rĂ©sidus de l’ancienne Internationale Social-dĂ©mocrate. Boukharine fait partie des principaux acteurs de la fondation de l’IC.

W. Hedeler a dĂ©couvert dans les archives russes qu’un manuscrit prĂ©paratoire de la Lettre d’invitation au CongrĂšs de fondation (publiĂ©e le 24 janvier 1919 dans la Pravda) Ă©tait de la main de Boukharine (pour les Russes, elle est signĂ©e seulement par LĂ©nine et Trotsky, qui l’a incluse dans le volume XIII de ses Ɠuvres – mais c’est Ă©videmment un travail collectif).

Les lettres Ă©changĂ©es entre LĂ©nine et Tchitcherine (le commissaire aux affaires Ă©trangĂšres chargĂ© d’organiser les liaisons internationales) montrent que dĂšs dĂ©cembre 1918, Boukharine est au travail pour prĂ©parer une Plate-forme de l’Internationale.

Les mauvaises communications et l’accumulation des dĂ©convenues en Allemagne auraient pu ralentir les efforts des chefs bolcheviks. Boukharine le sait bien puisque, Ă  la mi-dĂ©cembre, une dĂ©lĂ©gation des soviets de Russie, dont Boukharine fait partie, est invitĂ©e par le Conseil exĂ©cutif de Berlin au CongrĂšs des Conseils allemands du 16 dĂ©cembre 1918. Les sociaux-dĂ©mocrates « majoritaires » dominent dĂ©jĂ  la plupart des Conseils mais ils ont laissĂ© lancer cette invitation. L’autre pouvoir, le gouvernement du Conseil des commissaires du peuple, Ă©galement sociaux-dĂ©mocrates et trĂšs anti-bolchevik, fait refouler la dĂ©lĂ©gation russe quand elle se prĂ©sente Ă  la frontiĂšre[73]. Un parti communiste allemand se constitue malgrĂ© tout Ă  travers des Ă©vĂ©nements de plus en plus dramatiques, jusqu’à l’assassinat de ses chefs en janvier 1919. Les dirigeants qui survivent demandent de retarder la fondation de la nouvelle Internationale. C’est le message que porte Albert (Eberlein), le seul dĂ©lĂ©guĂ© qui a pu parvenir Ă  Moscou.

En s’appuyant sur quelques petits partis et surtout sur des groupes de militants prĂ©sents en Russie, le parti communiste russe atteint son objectif. L’IC est fondĂ©e le 4 mars 1919, malgrĂ© l’abstention du dĂ©lĂ©guĂ© allemand, Albert (Eberlein). C’est avec lui que Boukharine prĂ©sente un rapport sur la Plate-forme qui est adoptĂ©e le 6 mars[74].

Premiers écrits à la suite de la révolution (vers 1920)

Membre supplĂ©ant du Bureau politique, idĂ©ologue et propagandiste rĂ©putĂ©, il est le spĂ©cialiste du programme du Parti et il publie des livres qui feront connaĂźtre dans le monde entier ce qu’est le nouveau mouvement rĂ©volutionnaire, en particulier L’ABC du communisme (1919), rĂ©digĂ© avec Evgueni Preobrajenski.

StimulĂ© par quelques conflits thĂ©oriques avec LĂ©nine et par les besoins de formation des cadres du parti dans l’Institut des professeurs rouges, il Ă©crit et publie des ouvrages comme Économique de la pĂ©riode de transition (1920), qui contient une analyse Ă©conomique du processus rĂ©volutionnaire que LĂ©nine, en 1919, avait jugĂ© impossible Ă  mettre en forme, et La ThĂ©orie du matĂ©rialisme historique (1921), un Manuel populaire de sociologie qui a l’ambition de prĂ©senter la thĂ©orie marxiste sous une forme nouvelle.

Certains historiens du communisme pensent que ces textes Ă©crits Ă  l’époque du communisme de guerre reflĂštent nĂ©cessairement les illusions de cette pĂ©riode (illusion d’un passage direct au socialisme puisque l’État, pour les besoins de la guerre, tend Ă  organiser la production et la rĂ©partition ; illusion de la mise en place d’une planification par l’État rendant inutile l’échange et la monnaie ; jusqu’à l’illusion d’un dĂ©but de dĂ©pĂ©rissement de l’État, alors qu’il est seulement profondĂ©ment dĂ©sorganisĂ©). Mais la rĂ©flexion de Boukharine sur la « transition » dĂ©veloppe seulement l’idĂ©e que la crise rĂ©volutionnaire est, Ă©conomiquement, la « dĂ©sagrĂ©gation » des structures et de l’organisation du capitalisme d’État et que la rĂ©volution prolĂ©tarienne a pour tĂąche de reconstruire et recombiner tous ces Ă©lĂ©ments sous la direction d’un État socialiste. L’illusion propre Ă  Boukharine, Ă  ce moment de guerre civile d’une violence extrĂȘme, est qu’il s’imagine que l’État de la « dictature du prolĂ©tariat » peut rapidement organiser l’ensemble de l’économie Ă  peu prĂšs comme cela s’est fait en Allemagne pendant la guerre, sous la direction de l’armĂ©e.

Positions controversées sur la NEP (en 1921)

Au dĂ©but de 1921, lorsque la guerre civile s’est conclue par la victoire nette des bolcheviks, la crise politique et sociale que connaissent la Russie soviĂ©tique et le PC(b)R remet tout en question. Boukharine, qui traverse cette crise en mĂ©contentant tout le monde parce qu’il cherche Ă  jouer le rĂŽle de « tampon » entre LĂ©nine et Trotsky sur la « question syndicale », est trĂšs vite un des partisans les plus convaincus de la « nouvelle politique Ă©conomique » (la NEP) lancĂ©e par LĂ©nine. Alors que beaucoup d’anciens « communistes de gauche » et de « vieux bolcheviks » ne reconnaissent plus le socialisme qu’ils avaient imaginĂ©, Boukharine, dĂšs 1921, donne son explication de ce qui s’est passĂ© : l’État socialiste n’a pas pu maintenir une organisation rationnelle non marchande de l’économie reprenant les Ă©lĂ©ments donnĂ©s par le capitalisme d’État. L’État socialiste russe est encore incapable d’organiser intĂ©gralement l’ensemble de l’économie.

Mais il reste vrai que la transition passe par des « formes socialistes qui sont dans un certain sens le prolongement, sous une forme diffĂ©rente, des formes capitalistes qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ© »[75]. Pour aller au socialisme, le pouvoir soviĂ©tique doit partir d’un niveau d’organisation infĂ©rieur Ă  celui qu’atteignait dĂ©jĂ  le capitalisme d’État. Les formes capitalistes qui sont l’objet d’une « destruction-reconstruction » sont celles de la petite production marchande (dans l’agriculture) et de la concurrence monopoliste (dans la grande industrie et la finance). Par une ruse dont l’histoire a le secret on ira au socialisme par le marchĂ©, car les grandes unitĂ©s Ă©conomiques, dont l’État socialiste a le contrĂŽle, sont plus rationnelles et plus efficaces, elles finiront donc par absorber les petites unitĂ©s marchandes urbaines et rurales.

La NEP s’oppose certainement au « communisme de guerre » et aux « folies » (mot de LĂ©nine et de Boukharine) qui ont pu ĂȘtre faites Ă  cette Ă©poque hĂ©roĂŻque, mais elle ne contredit pas le raisonnement thĂ©orique de Boukharine. Le passage de Boukharine de la « gauche » Ă  la « droite » du parti signifie avant tout qu’il prend conscience des consĂ©quences du niveau rĂ©el de dĂ©veloppement de l’économie soviĂ©tique. Dans un contexte d’échec de l’expansion internationale de la rĂ©volution, il constate, avec LĂ©nine et Trotsky, que l’État soviĂ©tique est, pour une pĂ©riode indĂ©terminĂ©e, le seul bastion conquis par la « rĂ©volution mondiale ». Pour le renforcer et passer dans la mesure du possible Ă  la « phase constructive » de la rĂ©volution, il faut ĂȘtre trĂšs rĂ©aliste et ne compter que sur les faibles moyens disponibles. LĂ©nine, dans cette pĂ©riode de la NEP, jusqu’à l’attaque cĂ©rĂ©brale qui le rendra muet en , est ouvertement porteur d’un discours « rĂ©formiste » et « gradualiste » (dans le cadre d’un État tenu exclusivement par le parti du prolĂ©tariat) qui servira de modĂšle Ă  Boukharine pendant toute la suite de sa carriĂšre.

Il dirige Ă©galement Ă  cette Ă©poque l'École internationale LĂ©nine.

Ralliement Ă  Staline Ă  la mort de LĂ©nine (aprĂšs 1924)

AprĂšs la mort de LĂ©nine, en , Boukharine devient membre titulaire du Bureau politique. Dans la lutte pour le pouvoir entre Trotsky, Zinoviev, Kamenev et Staline, Boukharine se rallie Ă  Staline qui se place au centre du Parti et soutient la poursuite de la NEP contre l’opposition trotskiste qui voudrait l’inflĂ©chir « Ă  gauche » en accĂ©lĂ©rant l’industrialisation, en luttant plus Ă©nergiquement contre les paysans riches (les « koulaks ») et en dĂ©veloppant un mouvement d’agitation rĂ©volutionnaire mondial. Dans ce dĂ©bat, c’est Boukharine qui met en forme les arguments de la thĂšse du « socialisme dans un seul pays » avancĂ©e par Staline en 1924.

En fait Boukharine dit seulement que le processus de transition peut se poursuivre en l’absence d’une rĂ©volution dans les pays europĂ©ens plus dĂ©veloppĂ©s que l’URSS (Ă  condition de maintenir le cap de la NEP et de prĂ©server l’alliance avec la paysannerie), mais l’opposition se souvient que les bolcheviks ont toujours dit que la rĂ©volution ne rĂ©ussirait qu’en devenant mondiale et elle pense que cette thĂ©orie nouvelle revient Ă  dire que la rĂ©volution n’a plus besoin d’ĂȘtre encouragĂ©e dans les pays capitalistes puisque la Russie peut et va rĂ©aliser le socialisme avec ses seules forces. ComplĂštement impermĂ©able Ă  ces critiques, Staline se glorifiera jusqu’au bout de sa « thĂ©orie » du « socialisme dans un seul pays », mais, aprĂšs le tournant de la collectivisation, il lui donnera un contenu complĂštement opposĂ© aux idĂ©es de Boukharine.

Le chef de file de la « droite » du parti ? (de 1926 à 1928)

Dans la lutte pour le pouvoir, Staline est assez habile pour Ă©carter ses rivaux les uns aprĂšs les autres. Trotsky, la personnalitĂ© la plus forte de l’opposition de gauche, est dĂ©fait le premier, avec l’aide de Zinoviev et Kamenev. Puis Staline utilise Boukharine pour Ă©liminer Zinoviev et Kamenev de la direction du parti. Pendant presque deux ans (1926-1928) Boukharine semble ainsi accĂ©der au plus haut niveau du pouvoir. Il est de facto le chef de file de l’aile droite du parti qui occupe de solides positions. La « droite » est Ă  la tĂȘte du gouvernement (Alexei Rykov), des syndicats (MikhaĂŻl Tomsky), de la presse et de l’Internationale communiste (NicolaĂŻ Boukharine). Les dirigeants de la droite sont populaires, et, aprĂšs le XVe congrĂšs du Parti communiste, en , ils ont en apparence la majoritĂ© au Bureau politique, lĂ  oĂč tout se dĂ©cide.

AprĂšs ĂȘtre allĂ©s jusqu’au bout des affrontements avec l’opposition en l'excluant du Parti et en exilant Trotsky et son groupe, les chefs de la droite dĂ©couvrent alors que Staline a dĂ©jĂ  dĂ©cidĂ© de renverser l’orientation de sa politique. Pour surmonter la pĂ©nurie de cĂ©rĂ©ales, le SecrĂ©taire GĂ©nĂ©ral du Parti demande des mesures de rĂ©quisition « extraordinaires » et amorce un tournant vers une politique d’industrialisation rapide et de collectivisation accĂ©lĂ©rĂ©e dans l’agriculture. Se serait-il soudain converti aux idĂ©es politiques de la gauche qu’il vient d’éliminer ?

Boukharine et ses amis ne refusent pas d’envisager une croissance plus rapide et plus planifiĂ©e des investissements (le premier plan quinquennal est en prĂ©paration), mais ils redoutent les « mĂ©thodes administratives » et ils prĂ©fĂšrent une approche plus modĂ©rĂ©e offrant aux paysans l’opportunitĂ© de s’enrichir et de consommer, donc respectant des proportions Ă©quilibrĂ©es entre les grands secteurs de l’économie. Boukharine dĂ©nonce depuis longtemps l’idĂ©e de prĂ©lever un « tribut » sur les paysans en faveur de l’industrie comme une forme d’« exploitation militaro-fĂ©odale » inadmissible. Boukharine, pendant toute l’annĂ©e 1928, tente d’organiser la rĂ©sistance Ă  Staline aux rĂ©unions du Bureau politique, aux sessions plĂ©niĂšres du ComitĂ© central et au CongrĂšs de l’Internationale. Sur ce terrain, il n’est pas de taille pour l’emporter.

Figure d'opposition fragile Ă  Staline (jusqu'Ă  1928)

Au dĂ©but de 1928, Boukharine est populaire Ă  la base du Parti (et peut-ĂȘtre dans la population soviĂ©tique, largement paysanne), mais il n’a pas le soutien de beaucoup de cadres supĂ©rieurs du Parti en dehors de quelques-uns des Ă©lĂšves de son Ă©cole (l’Institut des professeurs rouges) qui sont tous des spĂ©cialistes des questions idĂ©ologiques et non des « organisateurs ». Seul le comitĂ© du Parti de la ville de Moscou est dirigĂ© par des boukhariniens sĂ»rs. L’Internationale communiste, qui aurait pu devenir son bastion puisqu’il la dirige, n’apporte que des dĂ©ceptions (la grĂšve des mineurs anglais en 1926) ou des catastrophes (la dĂ©route des communistes en Chine en 1927) qui le fragilisent.

Le soutien de Boukharine Ă  la poursuite de la NEP n’enthousiasme pas les cadres du Parti. Son slogan Ă  l’intention des paysans, « Enrichissez-vous ! » et l’idĂ©e que la construction du socialisme ira « Ă  pas de tortue » sont mal accueillis et n’ont pas Ă©tĂ© dĂ©fendus avec ardeur quand Zinoviev les a attaquĂ©s. Staline et ses partisans reprendront les mĂȘmes attaques contre la « dĂ©viation droitiĂšre » en la prĂ©sentant comme une menace pour la rĂ©volution Ă  un moment oĂč il faut accĂ©lĂ©rer l’industrialisation de la maniĂšre la plus Ă©nergique.

Fin de la « droite » et perte de ses fonctions (1928 et 1929)

Face Ă  un secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral dont il a renforcĂ© le pouvoir en l’aidant contre les oppositions de gauche, Boukharine est assez facilement mis en difficultĂ© et finalement Ă©cartĂ© de tous ses postes dans la direction du Parti. La nouveautĂ© est que plus rien ne se passe au grand jour. Boukharine est d’abord affaibli par la trahison de deux membres du Bureau politique (MikhaĂŻl Kalinine et Kliment Vorochilov) qui lĂąchent la majoritĂ© de droite lorsqu’il est question de censurer les « excĂšs » commis par Staline[76]. Au plenum du ComitĂ© central de juillet, puis au CongrĂšs de l’IC, en aoĂ»t, les chefs de la droite constatent que lĂ  aussi ils ont perdu la majoritĂ© dans la direction et que les staliniens les harcĂšlent de plus en plus ouvertement.

Boukharine et ses amis cependant se laissent berner par Staline qui, n’ayant pas encore de programme bien dĂ©fini, accepte des compromis successifs apparemment favorables Ă  la droite. Publiquement, la droite joue le jeu de l’unitĂ© presque jusqu’à la fin de 1928, alors que pendant ce temps Staline et ses partisans utilisent leur contrĂŽle de la machine du parti pour remplacer les soutiens de Boukharine dans leurs bastions de Moscou, des syndicats et de la Comintern.

Recherche infructueuse de soutiens (1928-1929)

EffarĂ© par la tournure des Ă©vĂ©nements[77], Boukharine essaie d’obtenir le soutien ou la neutralitĂ© de ses anciens adversaires. Il prend des contacts avec le groupe Zinoviev-Kamenev et cherche Ă  joindre Trotsky. Une rencontre discrĂšte avec Kamenev, Ă  son domicile, le , est particuliĂšrement importante. Kamenev prend la mesure de l’inquiĂ©tude de son visiteur et de la peur que lui inspire Staline, ce « Genghis Khan » qui « ne craint pas de trancher les gorges » et qui « conduit le pays Ă  la famine et Ă  la ruine ». Boukharine hĂ©site encore Ă  rendre la discorde publique et il donne Ă  Kamenev l’impression d’ĂȘtre « un homme qui se sait condamnĂ© ». Boukharine ne tire aucun avantage de ces dĂ©marches interdites par la discipline du parti. Les trotskistes exilĂ©s en SibĂ©rie n’envisagent pas de rallier le camp de Staline, mais ils excluent catĂ©goriquement de se joindre Ă  Boukharine. Ils font cependant circuler le mĂ©morandum Ă©tabli par Kamenev dans le Bulletin de l’opposition, si bien qu’il est publiĂ© Ă  Paris, en , par un journal menchevik. Cette rĂ©vĂ©lation d’une activitĂ© fractionnelle du chef de la droite arrive alors que Boukharine s’est enfin dĂ©cidĂ© Ă  intervenir sur le fond du dĂ©bat (sans nommer son adversaire rĂ©el) en publiant quelques articles et elle donne Ă  Staline une occasion de l’accuser pour un motif disciplinaire.

Soumission publique (1929)

Le dĂ©bat final, trĂšs vif, est tranchĂ© en avril par un Plenum du ComitĂ© central, mais dans le secret le plus complet. Les textes des vaincus ne seront pas publiĂ©s. Les dĂ©cisions prises sont mĂȘme cachĂ©es Ă  la XVIe ConfĂ©rence du Parti, rĂ©unie fin avril. Staline lancera d’abord ses « brigades thĂ©oriques » dans une campagne virulente contre la « dĂ©viation de droite » pour annoncer petit Ă  petit son exclusion des syndicats, de l’Internationale, de la presse, etc. Le , Boukharine est enfin dĂ©mis officiellement du Bureau politique.

Boukharine, qui ne peut rien dire publiquement pour se dĂ©fendre, est contraint de signer avec Rykov et Tomsky une dĂ©claration de soumission datĂ©e du . Un an plus tard, il signe une nouvelle dĂ©claration personnelle[78]. La « droite » est ainsi Ă©liminĂ©e, aussi bien dans le Parti communiste d’Union soviĂ©tique que dans l’Internationale. Les partisans de Boukharine (l’AmĂ©ricain Lovestone, les Allemands Brandler et Thalheimer, etc.) sont exclus ou quittent le Comintern. Ils tentent un moment de former une alliance internationale, une Opposition Communiste Internationale (les trotskistes de l’Opposition de Gauche la dĂ©signeront toujours comme l’Opposition de Droite).

Protection des modérés envers Boukharine (jusqu'en 1934)

Staline dispose maintenant d’une autoritĂ© sans Ă©gale dans la direction du Parti (en , par exemple, Syrtsov et LominadzĂ© veulent corriger la politique de collectivisation et ils sont aussitĂŽt punis). Cependant, vers 1932-1933, il y a des signes que des modĂ©rĂ©s parmi les partisans de Staline songent Ă  mettre fin Ă  la terreur officielle et Ă  apporter un changement gĂ©nĂ©ral de politique, maintenant que la collectivisation de masse est largement rĂ©alisĂ©e et que le pire est passĂ©. Ils protĂšgent Boukharine, directement, en lui offrant des emplois de directeur de recherche au Conseil Ă©conomique suprĂȘme, puis au Commissariat Ă  l’industrie lourde[79], et indirectement, lorsqu’un groupe de ses anciens partisans, autour de Martemyan Rioutine, rĂ©dige et fait circuler clandestinement une plate-forme anti-stalinienne.

Staline, « le mauvais gĂ©nie de la rĂ©volution russe » selon Rioutine, rĂ©agit en voulant appliquer la peine de mort Ă  tous ces comploteurs, malgrĂ© la recommandation de LĂ©nine, suivie jusqu’ici[80], de ne pas faire couler le sang entre les membres du Parti. Les modĂ©rĂ©s de la direction du Parti refusent d’aller aussi loin et limitent Ă  un minimum le nombre des victimes emprisonnĂ©es ou exclues. Plus important encore : SergueĂŻ Kirov, le dirigeant du Parti Ă  Leningrad, apparaĂźt de plus en plus comme le chef populaire des modĂ©rĂ©s. Kirov lui-mĂȘme est totalement loyal envers Staline, mais il est favorable Ă  un relĂąchement gĂ©nĂ©ral de la tension et Ă  une rĂ©conciliation avec les anciens opposants. Au CongrĂšs du Parti en 1934, Kirov est le candidat au ComitĂ© central le mieux Ă©lu avec seulement trois votes nĂ©gatifs, alors que Staline en enregistre deux cent quatre-vingt-douze.

RĂ©habilitation politique en sursis (1934 Ă  1936)

C’est dans ce contexte d’une courte pĂ©riode de dĂ©gel qu’en 1934-1936 Boukharine est politiquement rĂ©habilitĂ©. Il a prĂ©alablement reconnu une fois de plus ses « fautes » en . Il y a mis plus de bonne volontĂ©, parce qu’il pense qu’il faut resserrer les rangs face aux famines et aux rĂ©voltes qui ravagent les campagnes russes et aussi face Ă  l’arrivĂ©e d’Hitler au pouvoir en Allemagne. La direction lui confie en 1934, aprĂšs le CongrĂšs, le poste de rĂ©dacteur en chef du journal quotidien du gouvernement, Izvestia.

Dans ses nombreux articles, conformes aux rĂšgles journalistiques de cette Ă©poque du culte de Staline, il met plus particuliĂšrement l’accent sur les dangers des rĂ©gimes fascistes en Europe et dĂ©veloppe ses idĂ©es sur « l’humanisme prolĂ©tarien ». Il est aussi nommĂ© Ă  la commission qui prĂ©pare le texte de la Constitution soviĂ©tique de 1936, un texte qui promet les libertĂ©s de parole, de la presse, de rĂ©union, de religion, et le respect de la sphĂšre privĂ©e de la personne, de son domicile et de sa correspondance. Boukharine renforce autant que possible le camp des modĂ©rĂ©s et ceux-ci lui rendent un peu d’influence politique.

Mais l’esprit de modĂ©ration est bien menacĂ© depuis que Kirov a Ă©tĂ© assassinĂ© Ă  Leningrad en . Ce crime, dont sont accusĂ©s les membres de l'Opposition OuvriĂšre, profite Ă  Staline pour dĂ©clencher le processus de la « Grande Purge » par laquelle il fera Ă©liminer toutes les oppositions Ă  sa ligne politique, par le biais de milliers d’exĂ©cutions. AprĂšs le meurtre de Kirov, le NKVD travaille Ă  la mise en accusation successive de groupes toujours plus nombreux d’anciens opposants, en commençant par le groupe de Zinoviev et Kamenev. Il leur impute rituellement une participation Ă  l’assassinat de Kirov et y ajoute d’autres actes de trahison, de terrorisme, de sabotage et d’espionnage.

Un séjour trÚs politique (en 1936)

Peu avant que la purge ne s’accĂ©lĂšre, Staline envoie Boukharine Ă  Paris pour y nĂ©gocier l’achat d’archives de Marx et Engels appartenant au Parti social-dĂ©mocrate allemand (SPD), qui a pu les faire sortir d’Allemagne aprĂšs l’arrivĂ©e au pouvoir des nazis. AprĂšs un pĂ©riple europĂ©en (Prague, Vienne, Copenhague, Amsterdam), Boukharine est Ă  Paris pendant six semaines (mars-). En marge de ses rencontres avec Boris Nicolaevski, un vieux menchevik qui reprĂ©sente le SPD, il fait une confĂ©rence Ă  la salle de la MutualitĂ© sur Les ProblĂšmes fondamentaux de la culture contemporaine () et sa jeune Ă©pouse[81], Anna MikhaĂŻlovna Larina, vingt-deux ans, enceinte de huit mois, le rejoint le .

Les tĂ©moignages sur ce sĂ©jour sont contradictoires. Les premiers qui ont Ă©tĂ© reçus par les historiens sont moins fiables qu’on l’a d’abord cru. Nicolaevski, Ă  la fin des annĂ©es 1950 et au dĂ©but des annĂ©es 1960[82], a racontĂ© longuement ses rencontres avec Boukharine. Selon Nicolaevski, Boukharine profite de son sĂ©jour Ă  Paris pour confier ce qu’il pense rĂ©ellement de Staline et de sa politique Ă  des personnes qu’il connaĂźt de longue date (Fedor I. Dan) ou qui sont des parents de ses amis (Nicolaevski est le frĂšre d’un beau-frĂšre de Rykov). Il leur parle par exemple de la « dĂ©shumanisation » des membres du Parti qui ont pris part Ă  la campagne de collectivisation et Ă  ses massacres et qui, « pour ne pas devenir fous, ont acceptĂ© la terreur comme une mĂ©thode administrative normale ».

Il dit encore beaucoup d’autres choses, sur les dirigeants du Parti, sur l’affaire Rioutine ou sur Kirov, que Nicolaevski utilise pour rĂ©diger une Lettre d’un vieux bolchevik, publiĂ©e Ă  partir de par Le Messager socialiste, la revue menchevik parisienne qui avait dĂ©jĂ  rĂ©vĂ©lĂ© en 1929 la rencontre de Boukharine et Kamenev. Ce document anonyme a immĂ©diatement Ă©tĂ© beaucoup utilisĂ© pour comprendre ce qui se passait en URSS et Stephen Cohen s’est appuyĂ© sur le tĂ©moignage de Nicolaevski pour rĂ©diger sa biographie de Boukharine (parue en 1971). Mais Nicolaevski ignorait encore au dĂ©but des annĂ©es 1960 qu’Anna MikhaĂŻlovna Larina avait survĂ©cu Ă  Staline.

Incertitudes historiques et incohérences face aux stratégies staliniennes

Lorsqu’elle a pris connaissance de ces rĂ©cits, elle a eu le sentiment que Nicolaevski avait tout inventĂ© et rĂ©Ă©crit l’histoire comme s’il n’avait pas Ă©tĂ©, en rĂ©alitĂ©, un adversaire de Boukharine. Selon Anna Larina, son mari lui dit avant de partir Ă  Paris et lui redit quand elle le rejoint qu’il ne peut pas envisager de parler sans tĂ©moin avec ceux qui ont Ă©ditĂ© le mĂ©morandum de Kamenev. Elle ne l’entend faire aucune confidence, mĂȘme Ă  une vieille amie de la famille Larine qu’elle rencontre avec lui. Elle note que Nicolaevski raconte comment Boukharine lui a parlĂ© plusieurs fois d’un voyage dans le Pamir, alors, nous dit-elle, qu’il n’est allĂ© dans ces montagnes que quatre mois plus tard.

Anna Larina, quand elle rĂ©dige ses mĂ©moires[83], n’est pas loin de penser que la Lettre de Nicolaevski a Ă©tĂ© publiĂ©e pour nuire Ă  Boukharine qui Ă©tait alors l’objet d’une enquĂȘte du NKVD (et elle a, en effet, Ă©tĂ© utilisĂ©e pour le procĂšs). Anna Larina conclut que ce voyage n’est qu’une provocation de la machine infernale stalinienne, dont le but est de rendre crĂ©dible les accusations d’espionnage et de trahison qui sont en prĂ©paration. Reste le tĂ©moignage d’AndrĂ© Malraux, qui organise la confĂ©rence du et rĂ©vise la traduction du texte imprimĂ©. Il se souvient, trente-cinq ans plus tard, d’un Boukharine se promenant place de l'OdĂ©on, distrait, et disant, en passant, « Maintenant, il va me tuer »[84].

Boukharine, mĂȘme lorsque sa femme le rejoint Ă  Paris, n’envisage pas d’émigrer parce qu’il ne « prĂ©voit pas sa perte »[85] et parce qu’il n’est plus un « opposant ». Quand il parle devant sa femme, il reconnaĂźt invariablement que Staline a gagnĂ©, il vante les rĂ©alisations de l’industrie lourde soviĂ©tique[86], etc. Il se surveille lui-mĂȘme et il sait bien qu’on le surveille. Mais Boukharine a toujours le souci de protĂ©ger les siens. On ne peut pas exclure complĂštement qu’il se cache aussi de sa femme, pour ne pas la compromettre. Les critiques et les doutes d’Anna Larina mettent en lumiĂšre les reconstructions laborieuses des tĂ©moignages de Nicolaevski ou de Dan.

ProcĂšs des anciens opposants Ă  Staline (1936-1937)

Boukharine est en voyage dans le Pamir quand s’ouvre le procĂšs de Zinoviev et Kamenev, entourĂ©s de quelques vieux bolcheviks de l’ancienne Opposition de gauche. D’ jusqu’au , Boukharine est soumis Ă  une premiĂšre arrestation avec l’ouverture d’une instruction par la Procurature de l’URSS : il est coupĂ© de presque toutes ses relations, toutes ses activitĂ©s sont suspendues, il est confrontĂ© Ă  une sĂ©rie de faux tĂ©moins et il comparait devant Staline ou Kaganovitch qui font alterner le chaud et le froid.

Boukharine veut « tenir bon »[87], mais il est dĂ©sespĂ©rĂ©. Il dĂ©cide finalement d’engager une grĂšve de la faim, et il interpelle ses tourmenteurs du ComitĂ© Central : « Je ne peux pas me tuer d’une balle de revolver, parce qu’on dira que je me suis suicidĂ© pour nuire au Parti ; par contre si je meurs pour ainsi dire de maladie, que perdez-vous ?
 Mais dites-moi ce que vous perdez. Si je suis un saboteur, un fils de chienne, etc., Ă  quoi bon me plaindre ? ». Comme il se heurte Ă  un mur de haine et de ricanements, il s’écrie : « Mais comprenez qu’il m’est difficile de vivre ! »[88]. Il ne dĂ©fend pas une politique comme en 1929, mais sa dignitĂ© d’homme qui n’a pas trahi, qui ne veut rien faire qui puisse nuire politiquement Ă  son Parti et pour qui il est maintenant « impossible de vivre ». « Certes, si je ne suis pas un homme, alors il n’y a rien Ă  comprendre »[89].

Emprisonnement et questionnements d'un simple homme

Boukharine fait ses adieux Ă  sa famille. Il cherche pendant les treize mois suivants, enfermĂ© Ă  la Loubianka, comment rĂ©pondre comme un homme aux questions qu’il inscrit, dĂšs le dĂ©but de son emprisonnement, sur un morceau de papier : « (c) Si tu meurs, qu’emportes-tu avec toi ? Au nom de quoi ? SpĂ©cialement Ă  l’étape actuelle (d) Si tu vis – comment vivre et pourquoi ? (e) Tout ce qui est personnel est en train d’ĂȘtre Ă©cartĂ© (f) Dans les deux cas il n’y a qu’une seule conclusion »[90]. Il redit ces questions dans sa derniĂšre dĂ©claration du procĂšs et dit quelle est cette conclusion. Les « faits positifs qui resplendissent en Union soviĂ©tique » l’ont « dĂ©sarmĂ© dĂ©finitivement », il peut mourir au nom de l’URSS, comme il pourrait vivre pour elle.

Le protagoniste d'un « procÚs spectacle »

Le procĂšs spectacle dans lequel Boukharine joue le premier rĂŽle entourĂ© de vingt autres accusĂ©s, dont Rykov et l’ancien chef de la police Guenrikh Iagoda, est longuement prĂ©parĂ© pour ĂȘtre le sommet de la sĂ©rie commencĂ©e avec les zinovievistes et poursuivie avec Radek, Gueorgui Piatakov et quelques anciens trotskistes. Le procĂšs du « bloc des droitiers et des trotskistes » doit dĂ©montrer que tous les « vieux bolcheviks » qui s’étaient si peu que ce soit opposĂ©s Ă  Staline avaient complotĂ© dĂšs 1918 pour assassiner LĂ©nine et Staline ; qu’ils avaient tuĂ© Kirov, empoisonnĂ© Maxime Gorki, et qu’ils Ă©taient des espions de toutes les puissances Ă©trangĂšres pour le compte desquelles ils s’apprĂȘtaient Ă  dĂ©pecer l’URSS et Ă  partager ses territoires entre l’Allemagne, le Japon et la Grande-Bretagne.

L’absurditĂ© des accusations et l’invraisemblance des aveux de tous ces vieux rĂ©volutionnaires n’empĂȘchent pas cette opĂ©ration de rĂ©ussir jusqu’à un certain point. Pour quelques communistes et anciens communistes amĂ©ricains ou europĂ©ens (Bertram Wolfe, Jay Lovestone, Arthur Koestler, Heinrich Brandler ou Charles Rappoport), le procĂšs de Boukharine provoque leur rupture dĂ©finitive avec le communisme et mĂȘme, pour les trois premiers, leur conversion Ă  un anti-communisme fervent. Une petite partie des observateurs de la presse comprend aussitĂŽt que tout ici est mensonge, mais sur les masses soviĂ©tiques et sur une bonne part de l’opinion publique dans le reste du monde, le spectacle mis en scĂšne atteint son but : anĂ©antir les accusĂ©s et les faire sortir de l’histoire comme des criminels qu’il faut oublier pour toujours. La clĂ© de la rĂ©ussite relative de cette imposture est que l’accusation est portĂ©e par les accusĂ©s eux-mĂȘmes. Et Boukharine s’est prĂȘtĂ© Ă  cette mise en scĂšne.

Analyses extérieures des cadres du Parti

Anastase Mikoyan et Molotov ont affirmĂ©, longtemps aprĂšs, que Boukharine n’avait jamais Ă©tĂ© torturĂ©. Les documents disponibles sur son sĂ©jour en prison ne donnent pas d’indication de torture allant au-delĂ  de conditions d’enfermement extrĂȘmement dures. Mais Boukharine se plaint de souffrir d’hallucinations et il craint Ă©videmment tout ce qui peut menacer ses proches. Il rĂ©siste trois mois aux enquĂȘteurs, puis, Ă  partir de , il rĂ©dige avec eux, en plusieurs Ă©tapes, des aveux qu’il s’efforce encore de limiter mais qu’il promet de ne pas retirer publiquement[91]. Cependant, comme il prĂ©sente lui-mĂȘme sa dĂ©fense, il a une « tactique » (qui met en rage le procureur Vychinski) : il reconnaĂźt la « somme totale de ses crimes » et sa responsabilitĂ© pour tout ce qui est imputĂ© au « bloc des droitiers et des trotskistes », mais il nie avoir eu connaissance de la plupart des « crimes » particuliers. Il refuse aussi d’avouer Ă  l’audience sa participation Ă  de prĂ©tendus complots contre LĂ©nine, et d’autres affaires d’espionnage, qui n’étaient pas inscrites dans l’instruction.

De ce fait, il donne aux observateurs quelques exemples de l’incohĂ©rence de l’ensemble du procĂšs[92]. Boukharine, consciemment, laisse des indices pour ceux qui voudraient la vĂ©ritĂ©, et, pour ceux qui n’auraient pas encore compris, il dit, tout Ă  la fin de sa derniĂšre dĂ©claration, que pour aboutir Ă  leur condamnation par le tribunal, « les aveux des accusĂ©s ne sont pas obligatoires. L’aveu des accusĂ©s est un principe juridique moyenĂągeux »[93]. Le procĂšs qui s’achĂšve Ă©tant entiĂšrement basĂ© sur un tissage d’aveux et de dĂ©nonciations de repentis, il repose donc sur peu de chose, mais ces aveux, dit-il, sont importants car ils signifient ce que Boukharine appelle : « la dĂ©faite intĂ©rieure des forces de la contre-rĂ©volution ». Cela sonne bien comme une dĂ©claration de renoncement, d’autant plus forte qu’il ajoute : « il faut ĂȘtre Trotsky pour ne pas dĂ©sarmer », et qu’il le dĂ©nonce immĂ©diatement – c’est la seule dĂ©nonciation apparente de ce dernier discours – comme « le principal moteur du mouvement », celui qui a Ă©tĂ© Ă  la source des « positions les plus violentes ». Il fait lors de ce procĂšs des dĂ©clarations contradictoires.

Regards historiographiques sur ses derniers Ă©crits

L’étude des documents qui ont petit Ă  petit revu le jour (message verbal transmis par sa femme, manuscrits, lettres, bouts de papier, etc.) ne rĂ©duit pas l’impression d’ambivalence que donne le comportement de Boukharine. Elle dessine les traits d’un homme qui a peur et qui souffre (moins pour lui-mĂȘme que pour ses proches). Il a un sentiment de culpabilitĂ© qui affleure toujours et qui ne s’attĂ©nue que lorsqu’il exprime sa foi dans l’idĂ©al du socialisme. Pendant les trois premiers mois Ă  la Loubianka, il rĂ©siste aux enquĂȘteurs en mĂȘme temps qu’il Ă©crit recto verso, sans aucune rature, seize folios constituant les douze chapitres d’un livre, Le Socialisme et sa culture. Ce livre, qui n’a Ă©tĂ© lu que par Staline jusqu’en 1992, semble ĂȘtre une tentative pour influencer le dĂ©veloppement du socialisme soviĂ©tique (par le truchement de son chef) en direction d’une utopie oĂč se rĂ©aliseraient quelques-unes des espĂ©rances des socialistes. Boukharine Ă©crira ensuite quarante chapitres d’Arabesques philosophiques, oĂč il fait le tour de la philosophie pour prouver enfin Ă  LĂ©nine qu’il a Ă©tudiĂ© la dialectique.

Boukharine s’apaise plus lorsqu’il Ă©crit des poĂšmes (il y en a 173) et un roman autobiographique, Vremena (Comment tout a commencĂ©) qui restera inachevĂ©. Il envoie une lettre Ă  Staline le . Cette lettre contient des idĂ©es incohĂ©rentes sur ce qu’il ferait s’il vivait et des aveux sur ce qu’il regrette vraiment (la rencontre avec Kamenev en 1928) ou sur sa prĂ©fĂ©rence pour une exĂ©cution par une injection de morphine. Le message qu’il a fait apprendre par cƓur Ă  Anna, en , est une adresse À la gĂ©nĂ©ration future des dirigeants du parti. Il y dit avec beaucoup de luciditĂ© ce qu’est « la machine infernale » qui le tue et il rejette toutes les accusations dont on l’accable, mais le message, destinĂ© Ă  une gĂ©nĂ©ration qui devra « dĂ©nouer l’incroyable Ă©cheveau de crimes » qui « Ă©touffe le Parti », ne donne aucune indication politique particuliĂšre : son auteur, « depuis sept ans », n’avait « plus l’ombre d’un dĂ©saccord avec le Parti » et il ne prĂ©sente qu’une seule requĂȘte : la rĂ©habilitation de sa mĂ©moire et sa rĂ©intĂ©gration posthume dans le Parti. « Ne me jugez pas plus sĂ©vĂšrement que Vladimir Ilitch ne l’a fait », voilĂ  une phrase qui exprime de quelle maniĂšre Boukharine reste jusqu’au bout en quelque sorte enfermĂ© dans l’expĂ©rience humaine de la rĂ©volution qu’il a faite « avec » et « contre » LĂ©nine.

L’exĂ©cution, le jour de l'Anschluss en 1938

Romain Rolland, juste aprĂšs l’arrestation de Boukharine, Ă©crit Ă  Staline un appel Ă  la clĂ©mence : « Une intelligence de l’ordre de celle de Boukharine est une richesse pour son pays ; (
) Depuis un siĂšcle et demi que le Tribunal rĂ©volutionnaire de Paris condamna Ă  mort le gĂ©nial chimiste Lavoisier, nous avons toujours en France, nous les plus ardents RĂ©volutionnaires, les plus fidĂšles au souvenir de Robespierre et du grand ComitĂ© du salut public, un amer regret et un remords de cette exĂ©cution ». Et il ajoute : « Au nom de Gorki, je vous demande sa grĂące. Quelque coupable qu’il ait pu ĂȘtre, un tel homme n’est pas de l’espĂšce de ceux du procĂšs prĂ©cĂ©dent »[94]. Staline lit la lettre et griffonne : « On ne doit pas rĂ©pondre ». L’exĂ©cution de Boukharine est annoncĂ©e le , mais la nouvelle de sa mort est Ă©clipsĂ©e par l’entrĂ©e des nazis en Autriche (l’Anschluss), qui a lieu le mĂȘme jour.

« Koba, quel besoin as-tu de ma vie? ». Boukharine, disait-on en URSS, dans les annĂ©es 1980[95], avait Ă©crit ces mots avec son sang sur le mur de sa cellule (Koba Ă©tait le nom utilisĂ© dans la clandestinitĂ© par Staline Ă  l'Ă©poque oĂč Boukharine l’avait connu et aidĂ©, en 1913). Selon une autre lĂ©gende, la question Ă©tait inscrite sur un billet que Staline conserva sur son bureau jusqu’à sa mort en 1953[96]. Staline, en 1935, portait ainsi un toast Ă  Boukharine devant une assemblĂ©e d’officiers : « Tout le monde l’aime ici, tout le monde le connaĂźt. Mais celui qui se risquera Ă  remuer le passĂ©, gare Ă  lui ! »[97]. Anna Larina elle-mĂȘme peut en tĂ©moigner : Staline a aimĂ© Boukharine, qui a Ă©tĂ© longtemps trĂšs proche de lui et de sa famille. Pour obtenir qu’il joue son rĂŽle, Koba ne s’est pas contentĂ© d’autoriser Boukharine Ă  Ă©crire, il lui a sans doute promis d’épargner les siens.

Le sort de ses proches

Ivan, son pĂšre, est mort en 1940. Staline lui a fait d'abord supprimer sa pension, mais il est mort avant d'avoir Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ© autrement. Anna Larina a Ă©tĂ© exilĂ©e peu aprĂšs l'arrestation de son mari, puis arrĂȘtĂ©e. Elle a passĂ© prĂšs de 20 ans de sa vie dans les prisons internes du NKVD, les isolateurs politiques, les camps et la relĂ©gation. Son fils, nommĂ© Iouri Larine, ĂągĂ© alors de moins de 2 ans, a Ă©tĂ© envoyĂ© par le NKVD en orphelinat sous un pseudonyme, Gusman, le nom de sa tante maternelle. Il a retrouvĂ© sa mĂšre en 1956 seulement. Svetlana, sa fille nĂ©e en 1924, n’a pas Ă©chappĂ© aux camps (elle est arrĂȘtĂ©e en 1949). Vladimir, le frĂšre de Boukharine, a passĂ© dix-huit ans dans les camps et en exil, et il a vĂ©cu jusqu’à quatre-vingt-neuf ans. Par contre, sa cousine et premiĂšre Ă©pouse, Nadejda Loukina et son cousin ont Ă©tĂ© fusillĂ©s. Certains se sont demandĂ© si ce destin relativement clĂ©ment pour une famille « d’ennemis du peuple » n'Ă©tait pas dĂ» Ă  la sollicitude de BĂ©ria, qui aurait veillĂ© Ă  leur survie[98].

RĂ©habilitation trĂšs tardive (en 1988)

Le Parti a trĂšs longtemps déçu l’espĂ©rance de rĂ©habilitation de Boukharine. Ni la mort de Staline, ni la premiĂšre dĂ©nonciation du culte de la personnalitĂ©, ni sa seconde dĂ©nonciation et encore moins la chute de Khrouchtchev, n’ont Ă©tĂ© l’occasion de rĂ©habiliter Boukharine. Il a fallu attendre la fin de la pĂ©riode Gorbatchev pour que Boukharine obtienne satisfaction : ĂȘtre rĂ©intĂ©grĂ© (Ă  titre posthume, il aurait eu cent ans
) dans le Parti.

Vie privée et personnalité

Simon Sebag Montefiore le dĂ©crit dotĂ© d’une barbe rousse et d’yeux pĂ©tillants, « peintre, poĂšte et philosophe [
] un charmeur, le farfadet des bolcheviks [
] l’ami le plus intime de Staline et de Nadia »[99]. « Boukhartchik » Ă©tait d’ailleurs trĂšs proche de Nadia, avec qui il se promenait souvent en compagnie de ses renards apprivoisĂ©s[100].

Figure politique et Ɠuvre

De Boukharine, les acteurs politiques qui l’ont connu ont dit beaucoup de choses nĂ©gatives ou faussement positives : il manque de « fermetĂ© intĂ©rieure » (Lukacs), il est une « cire molle » (Kamenev), il n’est que le « mĂ©dium » de l’autoritĂ© d’un maĂźtre (Trotsky). Il a Ă©tĂ© qualifiĂ© de « brave », incapable de « mettre du venin dans ses attaques » (LĂ©nine). Il incarnerait ce que Stephen Cohen propose d’appeler le « bon bolchevik », ce qui n'est pas vraiment un compliment. D'un caractĂšre aimable, il est cependant apprĂ©ciĂ© sur le plan humain par tous ses camarades bolcheviks, Staline le premier, et il est souvent considĂ©rĂ© comme le meilleur thĂ©oricien du Parti.

Assertions dans le « testament »

Selon le « testament » de LĂ©nine du , Boukharine est « un thĂ©oricien des plus marquants et de trĂšs haute valeur », mais « ses vues thĂ©oriques ne peuvent qu’avec la plus grande rĂ©serve ĂȘtre tenues pour pleinement marxistes ». Il y a « quelque chose de scolastique » chez lui, car « il n’a jamais Ă©tudiĂ© et, je le prĂ©sume, il n’a jamais compris entiĂšrement la dialectique »[101]. Ces propositions n’ont de sens que s’il n’y a aucun « bon » thĂ©oricien dans le Parti. LĂ©nine le pense peut-ĂȘtre, car aucun de ses « hĂ©ritiers » dĂ©signĂ©s dans le « testament » n’est Ă©pargnĂ©. Ils ont tous un dĂ©faut majeur et, au fond, il les rĂ©cuse tous.

Le sens de ce fameux « testament », que tout le monde citait et qui n’était jamais publiĂ©, est plutĂŽt d’intervenir au point de dĂ©part de la compĂ©tition entre les hĂ©ritiers en chargeant chacun de son handicap. Faut-il accorder de l’importance au fait que LĂ©nine n’évoque pas du tout le dĂ©faut « politique » majeur du benjamin du Bureau politique ? Il ne dit rien des « erreurs » qui l’ont prĂ©cipitĂ© dans l’opposition en 1918, alors qu’il assomme Zinoviev et Kamenev pour leur attitude Ă  la veille d’ et qu’il reproche allusivement Ă  Trotsky les dĂ©bats de 1921, au moment oĂč Ă©clate la crise de l’aprĂšs-guerre civile (Staline, lui, a de trĂšs graves dĂ©fauts de caractĂšre).

Interprétations

Peut-ĂȘtre LĂ©nine ne voyait-il en Boukharine qu’un thĂ©oricien et peut-ĂȘtre pensait-il que son rayonnement dans le Parti, dont il Ă©tait « lĂ©gitimement » le « favori », ne tenait qu’à cette qualitĂ© particuliĂšre qui avait pu s’épanouir dans le « travail idĂ©ologique » de la presse et de l’édition. « Le thĂ©oricien de trĂšs haute valeur » du parti Ă©tait certainement un « spĂ©cialiste » des idĂ©es, mais aussi un chef de file politique, qui avait une image politique auprĂšs de ses pairs et rivaux. Cette image Ă©tait plutĂŽt paradoxale. La principale qualitĂ© politique que lui trouve son ami non boukhariniste le plus fidĂšle, Sergo OrdjonikidzĂ©, est, dit-il, un « trait de caractĂšre admirable » : il a « le courage, non seulement d’exprimer ses idĂ©es mais aussi de reconnaĂźtre publiquement ses erreurs, lorsqu’il en prend conscience ». « Cette magnifique qualitĂ© », si « nos » dirigeants la possĂ©daient, rendrait plus facile la rĂ©solution des litiges, dĂ©clare ainsi Sergo devant le XIVe CongrĂšs du Parti, en 1925[102]. Boukharine lui-mĂȘme a dit Ă  un ami qu’il avait Ă©tĂ©, dans sa jeunesse, le pire des « organisateurs » du Parti. Il n’était certainement pas un grand stratĂšge et ses fausses manƓuvres ont Ă©tĂ© multiples.

Une position politique propre ?

La question de savoir s’il existe une position politique propre Ă  Boukharine, et s’il s’agit d’un apport digne d’intĂ©rĂȘt Ă  l’histoire mondiale du socialisme ne peut ĂȘtre envisagĂ©e que parce que Boukharine a une Ɠuvre intellectuelle, et c’est dans cette Ɠuvre qu’il survit. Mais la mĂ©connaissance de l’Ɠuvre de Boukharine est une des grandes rĂ©ussites du stalinisme. Rien n’est remontĂ© Ă  la surface avant les annĂ©es 1960 et 1970, et sa lecture a d’abord Ă©tĂ© complĂštement brouillĂ©e par les stĂ©rĂ©otypes rĂ©pandus partout pour le calomnier. Une vue d’ensemble sur l’Ɠuvre de Boukharine, de 1912 Ă  1938 (ou 2009, date de publication de l’ensemble de ses poĂšmes Ă©crits en prison) est proposĂ©e dans les lignes Ă  suivre.

Un théoricien du capitalisme moderne

L’axe principal de son travail est la thĂ©orie Ă©conomique du capitalisme moderne (de son temps) qu’il analyse comme un « capitalisme d’État », c’est-Ă -dire un capitalisme dont l’État a pris le contrĂŽle en organisant la production, et qui peut Ă©liminer les crises du marchĂ©. Cette conception du capitalisme moderne est constante de 1914 Ă  1929. Elle sous-tend l’explication de l’impĂ©rialisme et de la guerre (par la concurrence dans l’économie mondiale entre les « trusts capitalistes d’État »), l’analyse Ă©conomique de la crise rĂ©volutionnaire (la dĂ©sagrĂ©gation des structures du capitalisme d’État au cours de la « crise » qu’est la guerre), la premiĂšre thĂ©orie de la transition (le socialisme est, Ă©conomiquement, une reconstruction et une nouvelle combinaison des structures du capitalisme d’État) et la seconde version de la thĂ©orie de la transition (la construction du socialisme s’appuie sur la rationalitĂ© supĂ©rieure des grandes entreprises monopolistes contrĂŽlĂ©es par l’État ; de mĂȘme que leur dĂ©veloppement a conduit le capitalisme jusqu’au capitalisme d’État, sous la dictature du prolĂ©tariat il conduira au socialisme).

En 1929, cependant, Boukharine dĂ©couvre (en apparence dans la littĂ©rature Ă©conomique) que les grandes entreprises monopolistes peuvent ĂȘtre irrationnelles, contre-productives et rĂ©gressives. Il n’en tire aucune conclusion explicite, mais il s’agit objectivement d’une remise en question de toute la base de son raisonnement. Les outils thĂ©oriques dont Boukharine se sert pour Ă©tudier l’économie sont tirĂ©s d’une connaissance profonde et fine du Capital et des ThĂ©ories sur la plus-value de Marx, enrichie par les travaux des austro-marxistes (Hilferding, Bauer) et ceux des meilleurs auteurs « bourgeois » (surtout les marginalistes et l’école historique allemande, Sombart par exemple). Les ouvrages les plus importants de la veine Ă©conomique de Boukharine sont au nombre de six ou sept : L’Économie politique du rentier (1914), L’Économie mondiale et l’impĂ©rialisme (1915-1916), Vers une thĂ©orie de l’État impĂ©rialiste (1916), Economique de la pĂ©riode de transition (1920), L’ImpĂ©rialisme et l’accumulation du capital (1924-1925), La ThĂ©orie du dĂ©sordre Ă©conomique organisĂ© (1929) et on peut y ajouter L’Enseignement de Marx et son importance historique (1933), mais il s’agit d’une synthĂšse oĂč il rĂ©ussit Ă  prĂ©server l’essentiel des apports de Marx en effaçant toute trace de ses propres travaux sociologiques et Ă©conomiques pour introduire quelques-uns des dogmes estampillĂ©s par le MaĂźtre.

Vers une conception scientifiquement marxiste de la sociologie

Le deuxiĂšme axe, probablement constamment prĂ©sent dans son esprit, est son projet d’établir philosophiquement et scientifiquement une conception marxiste de la sociologie, dont il donne un exposĂ© longuement dĂ©veloppĂ© dans La thĂ©orie du matĂ©rialisme historique, manuel populaire de sociologie marxiste (1921). Il s’agit d’une synthĂšse extrĂȘmement ambitieuse visant une sorte de thĂ©orie gĂ©nĂ©rale de la sociĂ©tĂ©. L’idĂ©e la plus originale, pour aller Ă  l’essentiel, est que le capitalisme, l’une des formes historiques de la sociĂ©tĂ© humaine, peut ĂȘtre dĂ©fini comme un systĂšme de rapports sociaux dont les uns, ceux qui sĂ©parent les sujets Ă©conomiques, sont des rapports « marchands » portĂ©s par la classe dominante, tandis que les autres, ceux qui rĂ©unissent les sujets et les font coopĂ©rer, sont des rapports « non marchands » portĂ©s par la classe dominĂ©e. Il y a donc, Ă  l’arriĂšre plan du conflit entre les bourgeois et les prolĂ©taires, un conflit entre ces deux types de rapports sociaux (c’est une maniĂšre d’exprimer l’idĂ©e que le communisme est dĂ©jĂ  inscrit dans les structures mĂȘmes du capitalisme et que le dĂ©veloppement de cette opposition prend la forme d’un conflit entre le « marchĂ© » et « l’organisation »).

La critique marxiste de l’économie politique, comme l’économie politique elle-mĂȘme, considĂšre exclusivement les rapports de production marchands et ne donne que les lois Ă©conomiques du capitalisme. Les lois du changement social (i. e., la thĂ©orie du matĂ©rialisme historique) dĂ©pendent des Ă©volutions et des contradictions des rapports « marchands » et « non marchands ». Dans cette optique, les rapports sociaux non marchands (les rapports d’organisation) jouent un rĂŽle crucial pour le progrĂšs des forces productives, dans le capitalisme comme dans la transition vers le socialisme. L’organisation tend vers la rationalisation de la production en mĂȘme temps qu’elle la socialise. Un sujet Ă©conomique plus « organisĂ© » est plus « rationnel » et plus productif, donc plus compĂ©titif qu’un autre sujet moins « organisĂ© », etc. La recherche que propose Boukharine part ainsi dans des directions novatrices et se poursuit en examinant surtout les relations qu’entretiennent les infra-structures et les super-structures (y compris les arts). Toutes ces idĂ©es nouvelles mĂ©ritent la discussion (Lukacs et Gramsci ont critiquĂ© le livre) mais sa dĂ©marche l’amĂšne Ă  tenir compte, dans toute son Ɠuvre, de « l’organisation » et des « organisateurs », Ă  s’intĂ©resser au rĂŽle des « cadres » dans le capitalisme moderne qui est dĂ©jĂ  largement « organisĂ© », et enfin Ă  identifier, dĂšs 1921, le risque que les « organisateurs » de la transition au socialisme (les membres du parti qui exerce la dictature du prolĂ©tariat) se dĂ©veloppent en une nouvelle classe dominante.

Saisir en fin de compte les problĂšmes politiques concrets

À l’intersection des deux axes de sa pensĂ©e, Boukharine aborde les problĂšmes politiques plus concrets en essayant toujours de rĂ©flĂ©chir. On ne peut pas dire, naturellement, que c’est toujours une dĂ©marche rationnelle qui le dĂ©termine, mais ses contributions aux dĂ©cisions de politique Ă©conomique sont argumentĂ©es. Dans les dĂ©bats des annĂ©es 1920 sur la construction du socialisme ou sur la politique de l’Internationale, il prĂ©sente ses idĂ©es et il discute celles des autres. Jusqu’à sa chute du sommet du pouvoir, son Ɠuvre thĂ©orique et ses travaux politiques, en particulier ses brochures de popularisation du programme du communisme, sont intellectuellement cohĂ©rents mĂȘme s’il expose souvent des thĂšses qui ne sont pas exactement les siennes mais celles qui ont Ă©tĂ© adoptĂ©es par le Parti.

Dans cette catĂ©gorie, les Ɠuvres principales sont L’ABC du communisme (1919), les divers Projet de programme de l’internationale communiste (1922, 1924 et 1928), RĂ©volution prolĂ©tarienne et culture (1923), LĂ©nine marxiste (1924), les articles critiques de la « plate-forme Ă©conomique de l’opposition » (1925), Le Chemin du socialisme et le bloc ouvrier et paysans (1925), les articles du dĂ©bat avec Staline : Remarques d’un Ă©conomiste (1928), Le Testament politique de LĂ©nine (1929). Les choses changent dans les annĂ©es 1930 dans la mesure oĂč une forte censure, encore plus fortement intĂ©riorisĂ©e, contraint l’expression de la moindre idĂ©e. Jusqu’à son emprisonnement Boukharine est rĂ©duit Ă  une activitĂ© discrĂšte. S’il dit un mot de trop, il est immĂ©diatement rappelĂ© Ă  l’ordre. En prison, par contre, l’autorisation d’écrire semble l’avoir engagĂ© dans une Ɠuvre nouvelle. Il ne choisit pas un thĂšme Ă©conomique, mais la philosophie et la sociologie.

Productions

Caricatures et arts-visuels

Boukharine a dessinĂ© des caricatures, qu’il agrĂ©mentait de phallus exubĂ©rants ou d’uniformes tsaristes[103]. Ceux Ă  qui il les donnait les ont souvent conservĂ©es (en particulier Vorochilov), ce qui a permis leur publication[104].

Mais Boukharine a aussi peint. Constantin Yuon lui a dit une fois : « Oubliez la politique. Vous n’avez pas d’avenir en politique. Peindre est votre vraie vocation »[105]. Les tableaux de Boukharine n’ont pas bien rĂ©sistĂ© Ă  la rĂ©pression stalinienne. Une dizaine seulement ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s.

ƒuvres principales

Principaux titres en français :

  • L'Économie politique du rentier — critique de l'Ă©conomie marginaliste, 1914. trad. Paris, EDI, 1966 - rĂ©Ă©dition, avec un avant-propos de Michel Husson, Éditions Syllepse, 2010.
  • L'Économie mondiale et l'impĂ©rialisme 1915. trad. Paris, Anthropos, 1977.
  • Le Programme des communistes (BolchĂ©viks), Imprimerie coopĂ©rative, La Chaud-de-Fond 1918.
  • L'ABC du communisme- Ă©crit avec E. PrĂ©obrajenski 1919. trad. Paris, Maspero, 1971. (2 vol.). RĂ©Ă©dition (Tome I), avec une nouvelle prĂ©sentation et postface d'A. Hasard. Paris, Les Nuits rouges, 2008.
  • Économique de la pĂ©riode de transition, 1920. trad. Paris, EDI, 1976.
  • La ThĂ©orie du matĂ©rialisme historique, 1921. trad. Paris, Anthropos, 1977, rĂ©Ă©dition, Le Sandre, 2008.
  • L'ImpĂ©rialisme et l'accumulation du capital — critique de Rosa Luxembourg, 1925. trad. Paris, EDI, 1977
  • Le Socialisme dans un seul pays, recueil de publications 1925-1927, Paris, U.G.E, coll. 10-18, 1974.
  • Le LĂ©ninisme et le problĂšme de la rĂ©volution culturelle, 1928, Dialectiques, no 13, 1976, pp. 109-128.
  • ƒuvres choisies en un volume (textes de 1919 Ă  1929, plus un choix de lettres), Moscou, 1990.
  • ThĂ©orie et pratique du point de vue du matĂ©rialisme dialectique, 1931,Dialectiques, no 13, 1976, pp. 89-107.
  • Les ProblĂšmes fondamentaux de la culture contemporaine, 1936, Nouvelles Fondations, no 6, 2007, pp. 156-168.
  • Six lettres de Boukharine, 1936-1937, Communisme, no 61, 2000, pp. 7-40.
  • À la future gĂ©nĂ©ration des dirigeants du Parti, 1937.
  • Boukharine, Ossinski, Radek, Smirnov, La Revue Kommunist (Moscou, 1918) – Les communistes de gauche contre le capitalisme d'État, Toulouse, Collectif d'Ă©dition Smolny, 2011.

Boukharine a Ă©crit sur beaucoup d’autres choses encore, y compris sur la littĂ©rature et sur les arts. Lui-mĂȘme s’est maintenu en vie en prison en Ă©crivant un roman sur son enfance et un cycle de poĂšmes sur la transformation du monde.

Manuscrits de prison

Les manuscrits de la prison ont été traduits en anglais :

  • Socialism and its Culture, 1937, Seagull Books, 2006.
  • Philosophical Arabesques, 1937, Monthly Review Press, 2005.
  • The Prison Poems, 1937, Seagull Books, 2009.
  • How it All Began : The Prison Novel, 1938, Colombia University Press, 1999.

Notes et références

  1. Les informations biographiques sur le jeune Boukharine se sont beaucoup enrichies grĂące Ă  Wladislaw Hedeler qui a publiĂ© en 2015 : Nikolai Bucharin, Stalins tragischer Opponent, Eine politische Biographie, Matthes & Seitz, Berlin. Le premier biographe de Boukharine, Stephen F. Cohen, en 1971, ne pouvait se rĂ©fĂ©rer qu’à une brĂšve autobiographie de 1925 et ignorait, par exemple, l’existence de deux frĂšres et d’une sƓur dĂ©cĂ©dĂ©s prĂ©maturĂ©ment. Une autre source est utile : Emma B. Gurvich, Un regard sur le temps passĂ© – Fragments de la chronique familiale de N. I. Boukharine, AIRO XXI, 2010 (en russe). E. B. Gurvich Ă©tait la cousine germaine de Svetlana N. Gurvich-Boukarina, fille de N. I. Boukharine.
  2. Ivan Gavrilovitch Boukharine (1860-1940) avait fait des Ă©tudes de mathĂ©matiques et de philologie. Deux de ses frĂšres Ă©taient mĂ©decins. Lioubov Ivanovna Boukharina, nĂ©e IsmaĂŻlova (1860-1916) Ă©tait institutrice diplĂŽmĂ©e d’une Ă©cole des SƓurs de la charitĂ©. Son beau-frĂšre Ă©tait directeur de l’école oĂč le couple enseignait. Boukharine est nĂ© au cƓur de la grande famille de l’intelligentsia russe.
  3. Vremenia, traduction anglaise : How it All Began, p. 172-177.
  4. Il donne un rĂ©cit de ces Ă©vĂ©nements tragiques dans Vremenia, en 1938 (cf. How it All Began, p. 251, p. 289 et pp. 319-322). Il n’en avait rien dit dans sa premiĂšre autobiographie en 1925, ni ailleurs.
  5. Boukharine, Autobiographie de l’EncyclopĂ©die Granat, MIA français, p. 10 du PDF.
  6. Parti ouvrier social-démocrate de Russie, le parti dont la fraction bolchevique se transformera en Parti communiste en 1917.
  7. Le premier pseudonyme de Boukharine repĂ©rĂ© par l’Okhrana est « Sladki ».
  8. W. Hedeler, op. cit., p.43.
  9. AprĂšs l’explosion rĂ©volutionnaire de 1905 et la rĂ©action contre-rĂ©volutionnaire des annĂ©es suivantes (retour Ă  l’illĂ©galitĂ©, rĂ©pression accrue, infiltrations de la police secrĂšte) le ComitĂ© du parti avaient dĂ» ĂȘtre rĂ©organisĂ© onze fois en trois ans (1907-1910). Cf. W. Hedeler, op. cit., p.49.
  10. Cf. Autobiographie de l’EncyclopĂ©die Granat, op. cit., p. 10.
  11. NikolaĂŻ Yakovlev est mort en 1918, pendant la guerre civile. Sa sƓur intervient comme tĂ©moin au procĂšs de Boukharine en 1938 : elle le dĂ©nonce comme informateur de l’Okhrana et espion de la police autrichienne.
  12. Wladislaw Hedeler a retrouvé presque toutes les traces laissées par Boukharine en exil. Cf. Nikolai Bucharin, op. cit., pp. 72-146.
  13. Boukharine n’a jamais rien dit de cette rencontre et de cet Ă©change de lettres.
  14. Hedeler, op. cit., p. 80.
  15. Boukharine sera aussi dĂ©lĂ©guĂ© par le POSDR(b) au CongrĂšs d’IĂ©na du SPD, du 10 au 16 septembre 1913, le dernier congrĂšs avant la dĂ©claration de guerre de 1914.
  16. N. KroupskaĂŻa, Ma vie avec LĂ©nine, Payot, 1933, p. 191.
  17. CitĂ© dans L’affaire Boukharine, MaspĂ©ro, 1979, p. 53.
  18. Ma vie avec LĂ©nine, op. cit., p. 196.
  19. Disponible sur MIA cf. https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/staline/lt_stal09.htm
  20. Hedeler, op. cit., p. 107.
  21. Stephen F. Cohen, en 1971, Ă©tait arrivĂ© Ă  la mĂȘme conclusion.
  22. Ma vie avec LĂ©nine, op. cit., p. 209.
  23. John Riddell, Lenin’s Struggle for a Revolutionary International, Pathfinder Press, 1986, pp. 249-251.
  24. Chliapnikov raconte comment, avec Litvinov, il a reconnu les Boukharine (qu’il n’avait jamais vus) Ă  leur arrivĂ©e en gare de Londres (À la veille de 1917, chap. XIV Parmi les Russes de Londres, disponible sur MIA fr).
  25. Cité par Hedeler, op. cit., p. 129.
  26. C’est lui qui retrouvera le manuscrit de L’économie politique du rentier que Boukharine avait oubliĂ© Ă  Oslo.
  27. Texte disponible sur MIA fr, ainsi que la traduction de sa version abrĂ©gĂ©e en allemand, L’Etat voleur impĂ©rialiste.
  28. LĂ©nine, ƒuvres, t. 35, p. 229-230.
  29. LĂ©nine, ƒuvres, t. 43, pp. 589-593.
  30. En fait, dans une lettre Ă  Chliapnikov, il a bien qualifiĂ© les idĂ©es de Boukharine de « semi-anarchisme » (LĂ©nine, ƒuvres, t. 35, p. 212).
  31. LĂ©nine, ƒuvres, t. 35, p. 262.
  32. LĂ©nine, ƒuvres, t. 23, p. 182.
  33. Article disponible sur MIA fr.
  34. Cf Victor Serge et Natalia Sedova, Vie et mort de LĂ©on Trotsky, 1951. Dans Ma vie, Ă©crit en 1929, au plus fort du conflit entre Trotsky et Boukharine, Trotsky ne se souvient que des « transports puĂ©rils qui le caractĂ©risent ». En 1938, devant ses « juges » qui l’accusaient d’avoir collaborĂ© au journal « trotskyste » amĂ©ricain Novyj mir, Boukharine affirmera qu’il avait constamment combattu Trotsky quand ils Ă©taient ensemble Ă  New York. Staline fit effacer ces propos du procĂšs verbal du procĂšs (Hedeler, op. cit. , p. 139).
  35. Toutes ces informations sont donnĂ©es par Theodore Draper, The Roots of American Communism, 1957. LĂ©nine, Ă  l’époque, Ă©tait informĂ© par A. KollontaĂŻ. Elle lui avait dit que NikolaĂŻ Ivanovitch (Boukharine) allait prendre la direction de Novyj mir quand Trotsky Ă©tait survenu et avait « fait bloc avec la droite » pour lutter contre la gauche de Zimmerwald. En fait une note de l'Ă©dition de Novyj mir du 27 fĂ©vrier indique que la rĂ©daction du journal s’engage plus rĂ©solument contre la guerre et que Boukharine devient « rĂ©dacteur en chef ». Il avait peut-ĂȘtre atteint une partie de son objectif, et ce serait le dĂ©clenchement de la rĂ©volution Russe, moins de 10 jours plus tard, qui aurait fait oublier ce bref Ă©pisode.
  36. L’index des noms du grand livre de souvenirs de Nicolas Soukhanov, La rĂ©volution russe 1917, ne contient pas celui de Boukharine. Il ne l’a jamais vu, mĂȘme lorsqu’il est passĂ© Ă  Moscou, fin aoĂ»t, pour participer Ă  la ConfĂ©rence d’Etat. John Reed, autre tĂ©moin direct des journĂ©es d’Octobre-Novembre, l’a seulement aperçu, aprĂšs la fin des combats, lorsqu’il est allĂ© Ă  Moscou, le 17 novembre [30 novembre]. Seul Marc Ferro, dans La rĂ©volution de 1917, a su faire un peu de place aux actions et aux idĂ©es des moscovites et de Boukharine.
  37. On trouve l’essentiel des articles publiĂ©s par Boukharine en 1917 dans un recueil Ă©ditĂ© en URSS : Na podstupach k Oktjabrju [En route vers Octobre], Moscou, 1926. En 1917, Boukharine a publiĂ© 111 titres.
  38. Sotzial demokrat, no 46, 03 [16] mai 1917. C’est le premier article publiĂ© par Boukharine Ă  son arrivĂ©e Ă  Moscou.
  39. Le livre lui-mĂȘme n’est pas encore publiĂ© : envoyĂ© en Russie en 1916 pour une Ă©dition lĂ©gale, le manuscrit a Ă©tĂ© Ă©garĂ©. RetrouvĂ© et envoyĂ© Ă  l’imprimerie du parti bolchevik, il a Ă©tĂ© trĂšs abimĂ© dans une intervention policiĂšre aprĂšs les journĂ©es de Juillet. Remis en Ă©tat, il sera envoyĂ© Ă  l’impression le 25 novembre [8 dĂ©cembre] 1917, un mois aprĂšs la prise du Palais d’Hiver et 5 jours avant l’impression de L’État et la rĂ©volution de LĂ©nine.
  40. « La dĂ©sintĂ©gration de l'Ă©conomie et la guerre », Spartak, no 3,‎ 25-06 [ 08-07] -1917.
  41. Textes disponibles partiellement sur MIA fr.
  42. Formule de Sokolnikov rapportée par A. Rabinowitch, Les bolcheviks prennent le pouvoir, 2016, p.154.
  43. LĂ©nine, À propos du mot d’ordre des États-Unis d’Europe, ƒuvres, T. 21.
  44. VIe congrĂšs du POSDR(b), 2. Rapport sur la situation actuelle, citĂ© par S. F. Cohen, Nicolas Boukharine, 1979, p. 77. La guerre rĂ©volutionnaire serait ainsi – lorsque le pouvoir appartient au parti du prolĂ©tariat – l’équivalent de la fraternisation pacifique des classes « infĂ©rieures » envoyĂ©es au front.
  45. Proletari, no 1, 13 [26] -08-1917, À tous les travailleurs, tous les ouvriers, soldats et paysans de Russie !
  46. Boukharine publie ses propositions dans Spartak, no 4, 10 [23-08]-1917, Sur la révision du programme du parti.
  47. Discours de Boukharine Ă  une commĂ©moration d’Octobre en 1921, publiĂ© par la revue de l’Institut Marx Engels, Proletarskaia revoljuciyaMoscou, 1922, no 10, p. 319.
  48. Trotsky, Histoire de la révolution russe, Le Seuil, coll. Politique, 1967, tome 2, p. 452.
  49. Stukov in, Oktiabr’skoe vostanie v Moskve, Ă©ditĂ© par N. Ovsiannikov, Moscou, 1922, p. 45, citĂ© par Stephen F. Cohen, Nicolas Boukharine, 1979, p. 79.
  50. John Reed, Dix jours qui ébranlÚrent le monde, traduction de Martin-Stahl, Editions Sociales Internationales, sans date [années 30], p. 239 et p. 245.
  51. Stephen Cohen, Nicolas Boukharine, la vie d’un bolchevik, [trad. fr. 1979], p. 78.
  52. De la dictature de l’impĂ©rialisme Ă  la dictature du prolĂ©tariat, MIA fr. p. 5.
  53. Sotzial Demokrat, 27 octobre [9 novembre] 1917 : L'effondrement du gouvernement impérialiste et Au socialisme !
  54. Cf. Stephen Cohen, Nicolas Boukharine, la vie d’un bolchevik, [trad. fr. 1979], pp. 86-87.
  55. Pravda, no 227, (31-12-1917) 13-01-1918, Bilan et perspectives. Cité par Orlando Figes, La Révolution Russe, Denoël, 2007, p.647.
  56. Orlando Figes, La Révolution Russe, Denoël, 2007, p.637.
  57. Social-demokrat, (11) 24-01-1918, Discours Ă  la rĂ©union de la constituante (6-01) – traduction sur MIA fr.
  58. Chronologie tirĂ©e d’Orlando Figes, La RĂ©volution Russe, op. cit., pp. 668-678.
  59. Le gouvernement révolutionnaire a décrété que la Russie passerait au calendrier grégorien aprÚs le 31 janvier1918. En Russie, le mois de février 1918 commence ainsi le 14.
  60. LĂ©nine, ƒuvres, t. 27, pp. 305-306.
  61. Les communistes de gauche, soulignons-le, constituent la seule opposition Ă  avoir eu un instant la majoritĂ© des cadres du parti bolchevik avec elle. Mais le parti leur a rapidement Ă©chappĂ©. DĂšs le mois de mars, ils ont perdu l’appui de Petrograd oĂč la ConfĂ©rence du parti s’est opposĂ©e Ă  la parution du quotidien Kommunist. Moscou est restĂ©e la principale base des communistes de gauche, mais seulement pour deux mois. Kommunist y est dĂ©placĂ© et devient un « hebdomadaire » qui ne sortira que quatre fois entre avril et juin.
  62. Tous ces textes sont disponibles sur MIA fr.
  63. LĂ©nine, Sur l’infantilisme de gauche : ƒuvres, t. 27, p. 357.
  64. Cette pĂ©ripĂ©tie n’est pas restĂ©e secrĂšte. Boukharine lui-mĂȘme l’évoque en 1923. L’accusation, au procĂšs spectacle de 1938, essaiera d’en faire un complot criminel contre LĂ©nine, mais Boukharine saura rĂ©sister et Ă©carter cette accusation.
  65. LĂ©nine Ă©crit le 2 juin une lettre Ă  IoffĂ©, alors reprĂ©sentant diplomatique Ă  Berlin pour lui annoncer l’arrivĂ©e de la dĂ©lĂ©gation. « Boukharine est loyal », Ă©crit-il, « mais il s’est lancĂ© Ă  fond dans le "nigaudchisme"
 Prenez-garde ! » (LĂ©nine, ƒuvres, t. 44, pp. 76-77).
  66. Textes disponibles sur MIA fr, intĂ©gralement pour Le programme des communistes et De la dictature de l’impĂ©rialisme Ă  la dictature du prolĂ©tariat, partiellement pour Les luttes de classes et la rĂ©volution russe.
  67. De la dictature de l’impĂ©rialisme Ă  la dictature du prolĂ©tariat, op. cit, p. 5 du PDF disponible sur MIA fr.
  68. Idem, p. 34.
  69. Au mĂȘme moment Trotsky a profitĂ© de quelques instants de repos pendant les nĂ©gociations de Brest-Litovsk pour Ă©crire un bref rĂ©cit de l’annĂ©e 1917 (L’avĂšnement du bolchevisme, disponible sur MIA fr). On peut le lire et le relire : le mot « rĂ©volution permanente » n’y apparaĂźt pas et, surtout, on ne verra nulle part que Trotsky n’est entrĂ© qu’en juillet dans le parti bolchevik

  70. LĂ©nine, ƒuvres, t. 27, p. 142. La commission spĂ©ciale dĂ©signĂ©e comprend pour la majoritĂ© LĂ©nine, Staline, Zinoviev et Trotsky ; la minoritĂ© est reprĂ©sentĂ©e par des moscovites : Boukharine, Sokolnikov et Smirnov.
  71. LĂ©nine, ƒuvres, t. 27, pp. 148-149.
  72. « Le PCR s’efforcera de prendre aussi rapidement que possible les mesures les plus radicales pour prĂ©parer la suppression de la monnaie ». LĂ©nine, ƒuvres, t. 29, p. 134.
  73. Cf. Pierre Broué, Révolution en Allemagne, 1971, p. 187.
  74. Plate-forme accessible sur MIA fr.
  75. Cf. La correspondance Internationale, 4 janvier 1923, supplément donnant le compte-rendu du IVe CongrÚs de l'IC. Rapport de Boukharine sur le Programme. La formule choisie par Boukharine exprime assez bien la dimension réformiste de sa pensée : il parle de "prolongement".
  76. Voir Stephen Cohen, Nicolas Boukharine, la vie d’un bolchevik, Ă©dition française, MaspĂ©ro, BibliothĂšque socialiste, 1979, p. 343. Stephen Cohen cite le mĂ©morandum de Kamenev relatant sa rencontre avec Boukharine le 11 juillet 1928.
  77. S. Cohen op. cit., p. 343
  78. Robert Service, Stalin : A Biography rapporte que Staline faisait enregistrer les conversations privĂ©es de Boukharine et qu’il ne croyait pas Ă  la sincĂ©ritĂ© de ses dĂ©clarations de repentir, ni Ă  celle des lettres personnelles appelant au pardon et Ă  la rĂ©habilitation qu’il avait reçu de lui.
  79. Il participe alors à la commission qui prépare le second plan quinquennal (Cf. Stephen Cohen, op. cit., p. 430).
  80. À condition de ne pas tenir compte des suicides, comme ceux de JoffĂ© ou de LominadzĂ©.
  81. C’est le troisiĂšme mariage de Boukharine, qui avait eu, en 1924, une fille, Svetlana, avec une Ă©conomiste membre du Parti, Esfir Issaevna Gourvitch. Boukharine a conservĂ© toute sa vie des relations avec sa cousine et premiĂšre compagne, Nadejda Mikhailovna Loukina, qui Ă©tait gravement handicapĂ©e par une maladie l’obligeant Ă  porter un corset mĂ©dical, et il la logeait dans son appartement du Kremlin. ArrĂȘtĂ©e le , elle a Ă©tĂ© fusillĂ©e le .
  82. Textes et entretiens rassemblés dans : Boris I. Nicolaevski, Les Dirigeants soviétiques et la lutte pour le pouvoir : essai, Paris, Collection Dossiers des Lettres nouvelles, Denoël, 1969.
  83. Larina Boukharina 1990 (Ă©dition russe, L’inoubliable, dans la revue Znamia en 1988, aux Ă©ditions de l’Agence de Presse Novosti en 1989).
  84. AndrĂ© Malraux, Les ChĂȘnes qu’on abat, Paris, Gallimard, 1971.
  85. Larina Boukharina 1990, p. 288.
  86. Larina Boukharina 1990, p. 271.
  87. C’est ce que lui recommande son ami OrdjonikidzĂ©, par l’intermĂ©diaire d’Anna MikhaĂŻlovna. Mais Sergo se suicide (ou est « suicidĂ© », on ne sait pas) le 18 fĂ©vrier 1937.
  88. Staline rĂ©pond spontanĂ©ment : « Et pour nous c’est facile ? ».
  89. Extraits du compte rendu du Plenum du CC du PC(b)US du 23 fĂ©vrier 1937, citĂ© par MikhaĂŻl Guefter, dans la post-face, Le dit de la dignitĂ©, du livre de Larina Boukharina 1990. Staline fait une fausse promesse (« personne n’a l’intention de t’exclure », affirme-t-il) pour obtenir l’arrĂȘt la grĂšve de la faim.
  90. Note citĂ©e par Svetlana Gourvitch-Boukharina dans l’adresse Au lecteur qui introduit le premier manuscrit Ă©crit par Boukharine dans sa prison, Le socialisme et sa culture. La note est conservĂ©e dans les archives du prĂ©sident de la fĂ©dĂ©ration de Russie, collection 3, liste d’inventaire 24, article 431, feuille 12.
  91. Cf. la lettre de Boukharine Ă  Staline du 10 dĂ©cembre 1937, dans la revue Communisme, no 61, 2000, p. 32-36. Cette promesse faite Ă  Staline est tenue et le sort fait Ă  N. Krestinski au dĂ©but du procĂšs montre ce qu’il en coĂ»te de tenter de dire la vĂ©ritĂ©. Krestinski se dĂ©clare non coupable le premier jour, mais il avoue tout le lendemain aprĂšs avoir Ă©tĂ© torturĂ©.
  92. L’ambassadeur britannique, le vicomte Chilston, note Ă  l’intention du vicomte Hallifax, son ministre (rapport no 141, Moscou, 21 mars 1938) que Boukharine a « rĂ©ussi Ă  dĂ©molir, ou plutĂŽt montrĂ© qu’il pouvait trĂšs facilement dĂ©molir toute l’affaire ». Tous les observateurs ne sont pas aussi perspicaces.
  93. Le procĂšs du « bloc des droitiers et des trotskistes » antisoviĂ©tiques, reproduction en fac simile de l’édition soviĂ©tique de 1938, rĂ©Ă©ditĂ© par les Éditions d’Aujourd’hui, 1983, p. 826.
  94. Cf. Lettre de Romain Rolland Ă  Staline du 18 mars 1937, Nouvelles Fondations, revue de la Fondation Gabriel PĂ©ri, no 3-4, 2006, p. 273. Romain Rolland, on le voit, n’imagine pas ce que seront les accusations et il concĂšde la possibilitĂ© d’une culpabilitĂ©. Il Ă©tait difficile d’ĂȘtre totalement lucide quand on voulait influencer Staline.
  95. Cf. MikhaĂŻl Guefter, postface Ă  Larina Boukharina 1990, p. 374.
  96. Cf. JaurĂšs et Roy Medvedev, Staline inconnu, chap 14, p. 296 [en anglais].
  97. Larina Boukharina 1990, p. 55.
  98. Larina Boukharina 1990, p. 208-209.
  99. Montefiore, la cour du tsar rouge, t. I.
  100. Montefiore, la cour du tsar rouge, t. I, p. 120.
  101. LĂ©nine, ƒuvres, t. 36, p. 607.
  102. Larina Boukharina 1990, p. 346.
  103. Montefiore, la cour du tsar rouge, t. I, p. 97.
  104. Dessine-moi un bolchevik, les caricaturistes du Kremlin, 1923-1937, édité par Alexandre Vatline et Larissa Malachenko, Paris, Taillandier, 2007.
  105. Entretien avec Iouri Larine, 7 août 2008, Russkiy Mir. Iouri Larine est peintre.

Bibliographie

  • Stephen Cohen, Nicolas Boukharine : la vie d'un bolchevik (1888-1938), Paris, Maspero, 1979.
  • Anna Larina Boukharina, Boukharine ma passion, Paris, Gallimard, (contient la Lettre Ă  la gĂ©nĂ©ration future des dirigeants du Parti, de 1937).
  • Boris I. Nicolaevski, Les dirigeants soviĂ©tiques et la lutte pour le pouvoir : essai, Paris, Collection : Dossiers des Lettres nouvelles, DenoĂ«l, 1969
  • Christian Salmon, Le RĂȘve mathĂ©matique de NicolaĂŻ Boukharine, Paris, Le Sycomore, 1980.
  • Charles Bettelheim, Les luttes de classes en URSS , (vol.1: 1917-1923, vol.2: 1924-1930) Paris, Seuil-Maspero, 1974 et 1977.
  • Wladislaw Hedeler, N. I. Bucharin, Bibliographie seiner Schriften und Korrespondenzen, 1912-1938, Berlin, Akademie Verlag, 2005.
  • Simon Sebag Montefiore (trad. de l'anglais par Florence La BruyĂšre et Antonina Roubichou-Stretz), Staline : La cour du tsar rouge, vol. I. 1929-1941, Paris, Perrin, , 723 p. (ISBN 978-2-262-03434-4). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article

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