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Gustave Hervé

Gustave Hervé, né à Brest le et mort à Paris le , est un homme politique socialiste, antimilitariste puis nationaliste et enfin fasciste français.

Gustave Hervé
Biographie
Naissance
Décès
(Ă  73 ans)
Paris
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Parti politique

Biographie

Un dirigeant socialiste antimilitariste (jusqu'en 1912)

Gustave Alexandre Hervé naît à Brest, dans le quartier de Recouvrance, fils d'un sergent fourrier à l'arsenal ayant eu six enfants[1], et qui mourut en 1881 en laissant sa famille dans une certaine détresse sociale.

Boursier, il fait de bonnes études secondaires, inscrit au lycée Henri-IV, où il a comme condisciples en classe de philosophie Léon Blum et Élie Faure. Il devient répétiteur dans plusieurs lycées successifs[2], enseigne à Lesneven dans un établissement privé, puis est reçu à l'agrégation d'histoire en 1897. Il est alors affecté à Rodez, puis Alençon et enfin en 1899 au lycée de Sens (Yonne) où il commence une carrière de journaliste, collaborant au Travailleur socialiste de l'Yonne. Ses premiers articles antimilitaristes signés « Sans Patrie » sont remarqués. C'est dans ce journal socialiste qu'il publie, le , un article violemment antimilitariste, « L'anniversaire de Wagram », qui lui vaut d'être révoqué de l'enseignement. Militant successivement au Parti socialiste français, puis au Parti socialiste de France, il participe en 1905 à la création de la SFIO en étant délégué au congrès d'unification dit « du Globe ». Il milite aussi à la CGT.

Sa collaboration au journal Le Pioupiou de l'Yonne lui vaut des procès en correctionnelle et même devant la cour d'assises, où il est défendu avec succès par Aristide Briand. En , Jacques Lardy signale dans Les Annales politiques et littéraires que l'antimilitariste Hervé, après avoir échappé par trois fois à des poursuites en province pour des provocations à la désobéissance militaire[3], est condamné par les juges parisiens à une année d'emprisonnement pour injures et diffamations envers l'armée.

Gustave Hervé, leader de La Guerre Sociale et antimilitariste, fraternise avec Lucien Lacour, Camelot du Roi, tous deux emprisonnés en 1911.

Sa doctrine, fondĂ©e sur le recours Ă  l'insurrection en cas de guerre, acquiert une audience nationale, Jean Jaurès partageant en partie sa radicalitĂ© mais se dĂ©marquant rĂ©gulièrement de ses positions, minoritaires dans le parti ; on parle alors d'« hervĂ©isme Â», qui mĂŞle antimilitarisme et antiparlementarisme. Ces positions de Gustave HervĂ©, revĂŞtues de l’autoritĂ© morale de Jaurès et d’un grand parti, sont alors violemment condamnĂ©es en 1910 par Charles PĂ©guy, dans Notre Jeunesse : « Ceux qui ont fait et endossĂ© HervĂ© sont ceux qui ont portĂ© un coup mortel Ă  la croyance publique Ă  l’innocence de Dreyfus. […] Les antidreyfusistes professionnels disaient : Il ne faut pas ĂŞtre un traĂ®tre et Dreyfus est un traĂ®tre. Nous les dreyfusistes professionnels nous disions : Il ne faut pas ĂŞtre un traĂ®tre et Dreyfus n’est pas un traĂ®tre. HervĂ© est un qui dit, et Jaurès laisse dire Ă  HervĂ© […] : Il faut ĂŞtre un traĂ®tre. NommĂ©ment il faut ĂŞtre un traĂ®tre militaire[4]. »

Ses démêlés judiciaires lui ayant fait perdre sa qualité de fonctionnaire de l’Instruction publique, il peut se consacrer entièrement au militantisme. Il participe à l'Association internationale antimilitariste (AIA), ce qui lui vaut une condamnation à quatre ans de prison fin , l'AIA ayant publié une affiche appelant à la grève insurrectionnelle en cas de mobilisation. À partir de 1907, il dirige le journal La Guerre sociale qu'il a fondé. Régulièrement condamné pour délits de presse à de lourdes peines de prison, il prend des positions de plus en plus radicales entre 1910 et 1914, allant jusqu'à prôner l'action directe et des sabotages[5]. Il vit alors difficilement, à Paris, tout en gardant des liens très forts avec la fédération socialiste de l'Yonne.

Son antimilitarisme lui fait prendre des positions, très en pointe pour l'époque, sur la colonisation, qu'il dénonce avec véhémence.

Du socialisme national au fascisme (1912-1944)

La Guerre sociale, journal fondé par Gustave Hervé, Miguel Almereyda et Eugène Merle en 1906.

En aoĂ»t 1914, Gustave HervĂ© retourne « sa veste rouge pour en montrer la doublure tricolore » (selon Charles Fraval). Dès 1912, il a entamĂ© sa marche vers le patriotisme de cĹ“ur et de raison, et il se range, en juillet 1914, contre les partisans de la grève gĂ©nĂ©rale (lui qui en avait dĂ©fendu le principe), comme moyen d'empĂŞcher la guerre qui vient. Constatant, en 1910, l'Ă©chec de la grève des chemins de fer en France mais le succès de la rĂ©volution portugaise, obtenu grâce au ralliement d'une partie de l'armĂ©e, il renonce progressivement Ă  l'antimilitarisme et propose une stratĂ©gie de propagande rĂ©volutionnaire au sein de l'armĂ©e. Ă€ la diffĂ©rence de la majoritĂ© des rĂ©volutionnaires de cette Ă©poque qui considèrent l'armĂ©e comme une « Ă©cole du crime Â», il considère les soldats comme des prolĂ©taires en uniforme. Il incite notamment les rĂ©volutionnaires Ă  essayer d'atteindre des postes de sous-officiers, lĂ  oĂą ils seront les plus utiles en cas de rĂ©volution[6]. Il est pourtant restĂ© pour beaucoup le symbole d'une certaine intransigeance doctrinale et pratique. Pour d'autres, comme Alfred Rosmer, en revanche, c'Ă©tait un gauchiste de paroles, multipliant les folies verbales dans son journal.

Il ne fut pas le seul socialiste à substituer au mot d'ordre « Non à la guerre » celui de « Défense nationale d'abord » (à l'instar de Mussolini en Italie, avec qui on l'a comparé). Il passe d'un ultra-pacifisme à un ultra-patriotisme. Il transforme le titre La Guerre sociale en La Victoire, le [7]. Son cheminement apparaît à certains comme un reniement et sa conversion est considérée par les pacifistes comme une trahison. En , à la demande d'Alice Regnault, il rédige le faux « Testament politique d'Octave Mirbeau » et prononce, sur la tombe du grand écrivain, un discours jugé récupérateur qui fait fuir les véritables amis de Mirbeau. Il est exclu de la fédération de l'Yonne de la SFIO en septembre 1918[8].

En 1919, Gustave Hervé tente de fonder un petit Parti socialiste national[9], avec Alexandre Zévaès[10], ancien député guesdiste devenu l'avocat de l'assassin de Jaurès, et Jean Allemane[11], figure historique du mouvement ouvrier français et communard de 1871, ou encore Émile Tissier qui fut marxiste guesdiste. Le « socialisme national » de Gustave Hervé virera vite au fascisme français. Lors de la marche sur Rome (1922), il salue son « vaillant camarade Mussolini ».

Gustave Hervé tente de créer en 1925 le Parti de la République autoritaire[12] (PRA, 1925), recrée sans grand succès un Parti socialiste national (PSN, 1927[13]), animé notamment par un ancien communiste, Albert Crémieux, puis la Milice socialiste nationale (MSN, 1932-1933)[14] dont il confie la direction au futur collaborateur Marcel Bucard[15]. Ce sont des groupuscules, moqués par ses adversaires et ses rivaux. Fin 1933, Bucard part avec l'équipe de la Milice socialiste nationale pour fonder le francisme. Hervé soutient aussi le national-socialisme allemand.

La diffusion de son périodique, La Victoire, est financée par des industriels comme les cotonniers vosgiens René Laederich, régent de la Banque de France et président du syndicat général de l'industrie cotonnière, et son fils Georges Laederich, actionnaires du journal à partir de 1924 ou 1925. Ils distribuent ce journal à leurs ouvriers jusqu'en 1938. Georges Laederich et d'autres patrons cessent de le financer au moment de la crise des Sudètes du fait de leur pacifisme anticommuniste puisqu'Hervé préconise alors l'alliance avec l'URSS contre l'Allemagne d'Hitler. Laederich demeure cependant en relation avec lui, lui écrivant en : « Je suis personnellement plus que sceptique sur la matérialité de l’aide que la Russie peut nous apporter actuellement. […] La Russie ne va-t-elle pas nous engager dans une croisade idéologique où elle ne nous accompagnera que de la voix et non du geste ? Si les communistes français sont les patriotes que vous pensez – et je le souhaite très vivement – l’opinion publique n’aura pas besoin d’être soutenue »[16].

Un fasciste philo-sémite

En 1933, Hervé s'en prend à l'antisémitisme des nationaux-socialistes allemands dont il jugeait positivement d'autres options politiques et avertit Hitler[17] :

« Adolf Hitler, à quelles catastrophes, malgré vos bonnes intentions, votre inexpérience politique et votre fureur antisémite conduisent-elles la patrie allemande que vous avez si bien sauvée de la gangrène marxiste ? »

Hervé, qui ne veut pas la guerre avec l'Allemagne et est prêt, pour l'éviter, à l'abandon des colonies françaises à Berlin, ne renonce pas à son philo-sémitisme, comme le montre l'éditorial qu'il publie après la nuit de Cristal et qui est, selon l'historien israélien Simon Epstein, un des plus beaux textes protestataires de la période[18] :

« En ce jour affreux pour les Juifs de toute la terre, combien nous sommes de cœur, en particulier avec nos compatriotes israélites. Ils étaient mêlés avec tous les autres Français dans les tranchées, il y a vingt ans, payant de leur part de sacrifice la joie et l'honneur d'être des citoyens français. […] Comme, en des heures comme celles-ci, on regrette de n'être pas juif, pour souffrir avec eux et partager leurs peines ! »

Hervé vitupère l'Allemagne :

« Honte au peuple allemand de voir l'antisémitisme, cette lèpre, empoisonner son esprit et son cœur ! Honte à Hitler d'avoir organisé et couvert ces ignobles représailles pour le crime d'un gamin de 17 ans, dont la persécution, la misère et l'exil avaient détraqué les nerfs et la cervelle ! »

En 1938, Gustave Hervé est une exception : il est l'un des rares sympathisants du national-socialisme à avoir renoncé à ses préférences idéologiques au vu des persécutions anti-juives et des menaces pesant sur la France[19].

Dans les années qui précédent la guerre, il continue à dénoncer les faiblesses du régime parlementaire et à vouloir fonder une république autoritaire dont il souhaiterait que le maréchal Pétain assume la présidence (« C'est Pétain qu'il nous faut » écrit-il alors).

Divers témoignages font ressortir qu'il se détacha du pétainisme et de ses appels à une réconciliation avec l'Allemagne : son journal fut supprimé dès et ses activités lui valurent d'être inquiété par la police française et par la Gestapo[20].

Il meurt le [5] au no 89 de la rue de Vaugirard[21]. Peu de temps avant sa mort, il se décrivait comme le premier bolcheviste, le premier fasciste, le premier pétainiste, le premier membre de la Résistance et le premier gaulliste[22].

Publications

  • Histoire de la France et de l'Europe, l'enseignement pacifique par l'histoire, illustrĂ© par ValĂ©ry MĂĽller, Paris, Bibliothèque d'Ă©ducation, 1903.
  • Leur Patrie, La Guerre sociale, Paris, 1905.
  • Mes crimes, ou onze ans de prison pour dĂ©lits de presse. Modeste contribution Ă  l'histoire de la libertĂ© de la presse sous la 3e RĂ©publique, La Guerre sociale, Paris, 1912.RĂ©union des articles qui lui valurent des condamnations pour dĂ©lit de presse.
  • La ConquĂŞte de l'armĂ©e, La Guerre sociale, Paris, 1913.
  • L'Alsace Lorraine, La Guerre sociale, Paris, 1913.
  • Propos d'après guerre, La Guerre sociale, Paris (1919 ?).
  • Après la Marne (recueil in extenso des articles de Gustave HervĂ© dans La Guerre sociale du au 1er fĂ©vrier), 1915.
  • La Patrie en danger (recueil in extenso des articles de Gustave HervĂ©), Bibliothèque des ouvrages documentaires, 1915.
  • Nouvelle histoire de France[23], Fayard, 1930.
  • France-Allemagne, la rĂ©conciliation ou la guerre, La Victoire, Paris, 1931.
  • Nouvelle histoire de l'Europe, La Victoire, Paris, 1931.
  • C'est PĂ©tain qu'il nous faut, La Victoire, Paris, 1935, avec bandeau publicitaire (« Je m'en remets Ă  la France »).

Notes et références

  1. Parmi lesquels le commandant d'artillerie coloniale Alfred Gaston Hervé, officier de la Légion d'honneur, né à Brest en 1872 et tué à l'ennemi dans la Somme en 1916.
  2. Au lycée de Laval, et de Quimper.
  3. « « Si vous recevez l'ordre de mobilisation, - l'insurrection ! Â» a redit M. Gustave HervĂ© dans une confĂ©rence Ă  Pauillac. » FĂ©nĂ©on, 1906, p. 107.
  4. Charles Péguy, Œuvres en prose complètes, tome III, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1992, p. 110-112.
  5. Gilles Heuré, « Gustave Hervé, cas pratique de biographie », Le Mouvement social : bulletin trimestriel de l'Institut français d'histoire sociale, janvier 1999, consultable sur gallica.bnf.fr.
  6. Guillaume d'Avranches, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre, L'Insomniaque/Libertalia, .
  7. Notice de la BNF
  8. Le Radical, 26 septembre 1918
  9. La France, 9 juillet 1919, L'Heure, 2 août 1919
  10. Le Siècle, 6 août 1919
  11. La Lanterne, 3 août 1919
  12. La Croix, 28 octobre 1925
  13. Journal des débats politiques et littéraires, 10 novembre 1927, La Liberté, 10 novembre 1927, La Lanterne, 10 novembre 1927
  14. L’Œuvre, 20 décembre 1932
  15. L'Action française, 16 décembre 1932
  16. Jean-François Colas, Georges René Laederich (1898-1969), un industriel en politique. De l’engagement volontaire contre l’Allemagne en 1916 à l’acceptation du Marché commun, dans Jean El Gammal, Jérôme Pozzi (dir.), Le Grand Est (1870-2019). Forces et cultures politiques, Presses universitaires de Nancy - Editions Universitaires de Lorraine, 2019, pp. 145-146
  17. Simon Epstein, Les Dreyfusards sous l'Occupation, Ă©d. Albin Michel, 2001, p. 83.
  18. Simon Epstein, op. cit., p. 84.
  19. Simon Epstein, op. cit., p. 88.
  20. Simon Epstein, op. cit., p. 85.
  21. Archives de Paris, état civil du 6e arrondissement, registre des décès de 1944, acte no 1175 (vue 30 sur 31).
  22. Loughlin 2001, p. 27.
  23. L'ouvrage commence par cette courte phrase :
    « — Vous ne parliez pas ainsi autrefois ?
    — C'est vrai, mais depuis, vous l'avez peut-être oublié, il y a eu la guerre. »

Voir aussi

Bibliographie

  • W. Gougnard, Neutres devant le crime ? Lettre ouverte Ă  Monsieur Gustave HervĂ© rĂ©dacteur en chef de La Victoire Ă  Paris, Genève, Sonor, vers 1917.
  • Victor Meric, Ă€ travers la jungle politique et littĂ©raire. Première sĂ©rie (Laurent Tailhade, Gustave HervĂ©, Camille Pelletan), Librairie Valois, 1930.
  • FĂ©lix FĂ©nĂ©on, Nouvelles en trois lignes, 1906 , Ă©diteur Libella, collection Libretto, 162 pages, Paris, 2019 (ISBN 978-2-36914-446-5).
  • Gilles HeurĂ©, Gustave HervĂ©. ItinĂ©raire d'un provocateur. De l'antipatriotisme au pĂ©tainisme, Paris, La DĂ©couverte, collection L'espace de l'histoire, 1997.
  • Gilles HeurĂ©, "ItinĂ©raire de l'antipatriotisme au pĂ©tainisme", Vingtième siècle, revue d'histoire, 1997 (Tome 55), p16-28.
  • (en) Michael B. Loughlin, « Gustave HervĂ©'s Transition from Socialism to National Socialism: Another Example of French Fascism ? », Journal of Contemporary History, vol. 36, no 1,‎ , p. 5-39 (JSTOR 261129).
  • (en) Michael B. Loughlin, « Gustave HervĂ©'s Transition from Socialism to National Socialism: Continuity and Ambivalence », Journal of Contemporary History, vol. 38, no 4,‎ , p. 515-538 (JSTOR 3180707).
  • FrĂ©dĂ©ric Lavignette, L'Affaire Liabeuf. Histoires d'une vengeance, Éditions Fage, 2011.

Articles connexes

Liens externes

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