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Dictature militaire en Argentine (1976-1983)

Le « Processus de rĂ©organisation nationale » (« Proceso de ReorganizaciĂłn Nacional ») est le nom que s'est officiellement donnĂ© la dictature militaire argentine de 1976 Ă  1983, qui imitait ainsi le Proceso de reconstrucciĂłn nacional de la dictature uruguayenne. Elle a fait prĂšs de 30 000 Â« disparus » (desaparecidos), 15 000 fusillĂ©s, 9 000 prisonniers politiques, et 1,5 million d'exilĂ©s pour 32 millions d'habitants[1] - [2], ainsi qu'au moins 500 bĂ©bĂ©s enlevĂ©s aux parents desaparecidos et Ă©levĂ©s par des familles proches du pouvoir[3].

Processus de réorganisation nationale
Proceso de ReorganizaciĂłn Nacional

1976–1983

Drapeau Blason
DĂ©mographie
Population (1975) 25 865 776
‱ 1980 27 949 480
Histoire et événements
Coup d'État
2 avril-14 juin 1982 Guerre des Malouines

Trois ans aprĂšs la fin de la dictature de la RĂ©volution argentine (1966-1973), la junte militaire prit le pouvoir dans un contexte tendu d'affrontements entre les pĂ©ronistes de gauche et de droite, qui culmina dans le massacre d'Ezeiza le jour du retour du gĂ©nĂ©ral Juan PerĂłn, en exil depuis vingt ans en Espagne franquiste. AprĂšs le renversement le par un coup d'État du gouvernement d'Isabel PerĂłn, le gĂ©nĂ©ral Videla dirigea la junte, formĂ©e d'un reprĂ©sentant de la Marine, d'un autre de l'ArmĂ©e de terre et d'un de l'aviation.

Quatre juntes militaires se sont succĂ©dĂ© jusqu'en 1983. Le rĂ©gime fut responsable de la mort ou de la disparition de 30 000 personnes (les desaparecidos), de l'exil de millions d'Argentins et de la guerre des Malouines avec le Royaume-Uni. Nombre de militaires Ă©taient proches du nazisme, certains obligeant ainsi les desaparecidos incarcĂ©rĂ©s dans les centres clandestins de dĂ©tention Ă  Ă©couter des discours d'Hitler ; l'un des tortionnaires, Jorge Antonio Olivera, devint par la suite l'avocat de l'ex-SS Erich Priebke[3].

Le volet militaire du programme nuclĂ©aire argentin dĂ©veloppĂ© sous la dictature sera arrĂȘtĂ© lors du retour Ă  la dĂ©mocratie en 1983 par le prĂ©sident RaĂșl AlfonsĂ­n. Lors de sa prĂ©sidence, pendant la transition dĂ©mocratique, un procĂšs de la junte eut lieu, mais les gĂ©nĂ©raux ont par la suite Ă©tĂ© amnistiĂ©s par le prĂ©sident Carlos Menem.

Quatre juntes successives

L'idéologie national-catholique de la junte

« s'il est sûr qu'en Argentine il y eût une disparition partielle ou totale de certains groupes politiques - certains ont définitivement disparu -, (...) l'objectif central du Processus de réorganisation national (...) fut précisément de transformer le groupe national argentin, de transformer le sens dans lequel se comprend l'autorité, de transformer les relations sociales, la famille, l'éducation, (...) et en ce sens il est beaucoup plus juste de penser que la dictature s'est proposé la transformation du groupe national argentin à travers l'élimination d'une de ses parties. (...) la terreur nous a tous traversés et a laissé des effets à l'intérieur de chacun de nous. »

— Daniel Feirstein, La dictadura se propuso transformar a toda la sociedad[4]

Le putsch avait Ă©tĂ© soutenu par l'Église catholique[5], tandis que la junte reprenait la rhĂ©torique national-catholique de la « RĂ©volution argentine », entrelaçant les thĂšmes du rĂ©tablissement de l'ordre moral chrĂ©tien et de la dĂ©fense de la « civilisation occidentale chrĂ©tienne » avec l'anti-communisme[6]. Les secteurs les plus extrĂ©mistes de l'armĂ©e se reconnaissaient dans la revue intĂ©griste et antisĂ©mite Cabildo; les forces armĂ©es en gĂ©nĂ©ral ont Ă©tĂ© influencĂ©es par le catholicisme intĂ©griste dĂ©veloppĂ© par « des groupes et des individus tels que la CitĂ© catholique, Jean Ousset, Carlos Sacheri, JordĂĄn Bruno Genta, l'abbĂ© Julio Meinvielle ou la CongrĂ©gation des coopĂ©rateurs paroissiaux du Christ-roi[7]. »[8]

Ces groupes ont interprĂ©tĂ© la guerre froide en termes de « choc de civilisation » et leur action en termes de dĂ©fense de la chrĂ©tientĂ©, considĂ©rant par ailleurs toute attitude de rĂ©forme ou de contestation comme symptĂŽme du « mal communiste »[9]. Des penseurs de l'Inquisition ont mĂȘme Ă©tĂ© utilisĂ©s par les thĂ©ologiens nĂ©o-thomistes afin de justifier l'usage de la torture et de l'extermination des « infidĂšles »[10]. Sur quatre-vingt-cinq Ă©vĂȘques, seuls cinq se sont opposĂ©s Ă  la dictature (dont trois seront assassinĂ©s)[11].

Jusqu'Ă  prĂ©sent, l'Église s'est refusĂ©e Ă  reconnaĂźtre son rĂŽle dans la lĂ©gitimation de la dictature et des crimes commis par celle-ci. À l'issue de la condamnation, en , du prĂȘtre Christian von Wernich, accusĂ© d'avoir activement participĂ© aux interrogatoires au cours desquels la torture Ă©tait employĂ©e, le cardinal Jorge Bergoglio (futur pape François) a ainsi dĂ©clarĂ© « si un membre quelconque de l'Église avait cautionnĂ©, par recommandation ou par complicitĂ©, la rĂ©pression violente, il aurait agi sous sa responsabilitĂ©, pĂ©chant ainsi gravement contre Dieu, l'humanitĂ© et sa conscience »[12]. Le pĂšre Ruben Capitanio, lui-mĂȘme victime de la dictature, a Ă©tĂ© l'un des rares Ă  avouer la responsabilitĂ© de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique[12].

Selon le journaliste HernĂĄn Brieza, une trentaine d'autres prĂȘtres, certains Ă©tant dĂ©jĂ  morts, auraient pu ĂȘtre inculpĂ©s d'actes de torture[13]. MalgrĂ© l’orientation antisĂ©mite de la junte, IsraĂ«l lui fournit une assistance militaire contre les mouvements guĂ©rilleros[14].

Contexte et dĂ©roulement du coup d’État du 24 mars 1976

Le coup d’État a lieu le , trois ans aprĂšs le coup d’État en Uruguay tandis que le Chili, la Bolivie et le BrĂ©sil Ă©taient Ă©galement gouvernĂ©s par des juntes militaires. L’Argentine est ainsi le dernier pays du CĂŽne sud Ă  basculer dans la dictature. Cependant, elle n’avait connu que trois ans de dĂ©mocratie dans un contexte fragile de crise politique (huit chefs d'État en 20 ans), prĂ©cĂ©dĂ©s de la dictature catholique-nationaliste de la « RĂ©volution argentine » (1966-73). Les Ă©lections de mars 1973, marquant le triomphe du pĂ©ronisme et le retour au pouvoir du gĂ©nĂ©ral Juan PerĂłn, avaient Ă©tĂ© les premiĂšres Ă©lections vĂ©ritablement dĂ©mocratiques, « sans proscription des secteurs majoritaires [ndlr du pĂ©ronisme] ni limitation grave des libertĂ©s civiques », depuis les Ă©lections de 1946[15]. Cependant, dĂšs , le massacre d'Ezeiza signalait l'intensitĂ© des conflits politiques, qui explose Ă  la mort de PerĂłn (). Le coup d'État de 1976 s'inscrit donc dans un contexte d'une crise politique qui durait depuis trente ans, avec tout au long de ces dĂ©cennies, marquĂ©es par une crise Ă©conomique persistante et l'incapacitĂ© de la dictature du gĂ©nĂ©ral Ongania (1966-70) Ă  y rĂ©pondre, l'influence dĂ©terminante de l'armĂ©e sur la scĂšne politique.

En 1975, l’Argentine s'enfonce dans la spirale de la violence, marquĂ©e par l'action des guĂ©rillas (Montoneros et ERP), de l'extrĂȘme-droite (CNU) et du terrorisme d'État, qui prĂ©existe au putsch de avec l'action de l'escadron de la mort de la Triple A, pilotĂ©e par le ministre JosĂ© LĂłpez Rega, ainsi que par celle des services de police et de l'armĂ©e[16]. DĂšs , le gouvernement d'Isabel PerĂłn ordonne ainsi l'OpĂ©ration IndĂ©pendance (es) contre l'ERP dans la province de Tucuman (qui s'inspire de la bataille d'Alger) et signe en juillet les « dĂ©crets d'annihilation de la subversion » qui Ă©tendent l'Ă©tat d'urgence Ă  tout le pays: la « guerre sale » a dĂ©jĂ  commencĂ©, avec les premiĂšres disparitions forcĂ©es (900 desaparecidos avant [17]). Les mĂ©thodes d'extermination furent toutefois systĂ©matisĂ©es aprĂšs le coup d'État. À cette date, les guĂ©rillas sont dĂ©jĂ  pratiquement dĂ©mantelĂ©es: le dernier assaut de l'ERP fut le , et ses cadres dirigeants furent envoyĂ©s en exil trois mois aprĂšs le coup d'État, bientĂŽt suivis des cadres Montoneros. Peu aprĂšs la rĂ©ussite du putsch, le gĂ©nĂ©ral Iberico Saint-Jean dĂ©clare publiquement « d'abord, nous tuerons tous les subversifs, ensuite leurs collaborateurs, ensuite leurs sympathisants, puis ceux qui demeurent indiffĂ©rents et, enfin, nous tuerons les indĂ©cis[18]. »

Une semaine avant le coup d'État, l'ambassadeur des États-Unis, Robert Hill, informe William D. Rogers, sous-secrĂ©taire d'État chargĂ© de l'AmĂ©rique latine, que l'amiral Emilio Massera lui a demandĂ© d'ĂȘtre mis en contact avec des firmes amĂ©ricaines de relations publiques afin de soigner l'image du futur rĂ©gime militaire[16]: le prĂ©sident Gerald Ford et Henry Kissinger sont donc au courant des prĂ©paratifs du coup d'État, et ce dĂšs le [16]. Cependant, Ă©tant donnĂ© en particulier la mauvaise image de la dictature de Pinochet, ils prĂ©fĂšrent soutenir prudemment l'armĂ©e argentine, tandis que celle-ci dĂ©cide dĂšs le dĂ©but de rĂ©primer la population de façon secrĂšte et en dehors du cadre juridique, afin de ne pas alarmer l'opinion publique[16]. Deux jours aprĂšs le coup d'État, Kissinger dĂ©clare vouloir aider les militaires[16]. Le , le FMI accorde un prĂȘt de 127 millions de dollars Ă  la junte[16].

Le , l'ambassadeur Hill, dĂ©peignant Videla (nommĂ© commandant en chef de l'armĂ©e par Isabel PerĂłn et leader du putsch) comme un « modĂ©rĂ© », dĂ©clare (confidentiellement) Ă  la Maison Blanche : « Ceci est probablement le coup d'État le mieux exĂ©cutĂ© et le plus civilisĂ© de tous les coups d'État de l'histoire argentine »[16]. Il ajoute que les États-Unis doivent se montrer favorables Ă  toute demande d'assistance[16]. DĂ©but , le CongrĂšs accepte la demande de Gerald Ford, rĂ©digĂ©e par Kissinger, de fournir 50 millions de dollars en aide militaire aux gĂ©nĂ©raux[16].

Le , le HCR lance un appel demandant que des visas soient accordés pour permettre aux cibles de la dictature de quitter l'Argentine, la junte s'opposant à leur exil[19].

RĂ©solution no 1

La premiÚre « Résolution » de la junte priva de leurs droits politiques 36 personnalités du Parti justicialiste (PJ), dont Carlos Menem, Carlos Ruckauf, et Juan Abal Medina, le frÚre du Montonero abattu en 1970 et secrétaire général du Conseil du PJ de 1971 à 1972[20].

La « guerre sale » et l'opération Condor

La junte organisa alors, de maniĂšre mĂ©thodique et planifiĂ©e, la rĂ©pression massive et systĂ©matique des opposants en dehors de tout cadre juridique, via la tactique des disparitions forcĂ©es et des vols de la mort. La planification de l'extermination, qualifiĂ©e par les militaires de « guerre sale », fut dĂ©cidĂ©e avant mĂȘme le coup d'État, le contre-amiral Luis MarĂ­a MendĂ­a expliquant par exemple Ă  des marins que, pour sauver l'« idĂ©ologie chrĂ©tienne et occidentale », la marine devrait, vĂȘtue de civil, pratiquer la torture et mettre en place...

« un systÚme d'élimination physique à travers les avions qui, en vol, jetteraient les corps vivants et drogués dans le vide, afin de leur donner ainsi une « mort chrétienne »[21]. »

De mĂȘme, Ă  la fin de 1977, le gĂ©nĂ©ral IbĂ©rico Saint-Jean, gouverneur de Buenos Aires, dĂ©clarait :

« D’abord, nous tuerons tous les agents de la subversion, puis leurs collaborateurs et puis enfin leurs sympathisants ; ensuite viendront les indiffĂ©rents et enfin pour terminer les indĂ©cis[22] »

La prĂ©tendue « guerre sale », qui, de fait, s'apparentait davantage Ă  des opĂ©rations de police politique, Ă  l'aide de quadrillages du territoire, de rafles et d'enlĂšvements, visait ainsi toute personne considĂ©rĂ©e comme subversive par la junte, ce qui allait des jeunes adolescents (mineurs compris) distribuant des tracts ou militant contre la hausse des frais d'inscription universitaires, aux journalistes, syndicalistes et prĂȘtres, et finalement aux militants des Montoneros et de l'ERP, les deux principaux mouvements armĂ©s de l'Ă©poque qui avaient toutefois dĂ©jĂ  Ă©tĂ© pratiquement dĂ©mantelĂ©s, Ă  la suite des diffĂ©rentes opĂ©rations de contre-insurrection menĂ©e par l'armĂ©e sous Isabel PerĂłn, avant le coup d'État. La « nĂ©cessitĂ© » de cibler la sociĂ©tĂ© civile Ă©tait ainsi dĂ©crite, le dans ClarĂ­n, par le gĂ©nĂ©ral Guillermo SuĂĄrez Mason:

« Devant l'avancĂ©e d'une action totale de la part du marxisme, il est indispensable de mettre en Ɠuvre une rĂ©ponse intĂ©grale de l'État. Il serait absurde de supposer que nous avons gagnĂ© la guerre contre la subversion parce que nous avons Ă©liminĂ© son danger armĂ©[23]. »

Les escadrons de la mort (grupos de tareas, littéralement « groupes de travail »), qui profitaient des rafles pour piller leurs victimes, et les différentes techniques de cette répression massive ont été influencées, entre autres, par l'expérience française lors de la guerre d'Algérie, notamment pendant la dite « bataille d'Alger » [24].

L'opération Condor

Buenos Aires, et en particulier la SIDE, coopĂ©ra alors avec la DINA chilienne et l'OCOA uruguayenne, ainsi que les autres services latino-amĂ©ricains, dans le cadre de l'opĂ©ration Condor pour mettre les ressources policiĂšres en commun et poursuivre et assassiner chaque opposant politique. Ainsi, ceux qui croyaient trouver l'asile ou, tout au moins, l'indiffĂ©rence dans les pays voisins, Ă©taient en fait assassinĂ©s par la police locale. Parmi les affaires connues, outre le gĂ©nĂ©ral chilien lĂ©galiste Carlos Prats, assassinĂ© dĂšs 1974, on peut citer, dans les assassinats effectuĂ©s Ă  Buenos Aires dans le cadre de Condor, les parlementaires uruguayens HĂ©ctor GutiĂ©rrez Ruiz et Zelmar Michelini, tuĂ©s en avec les Tupamaros Whitelaw et Carmen Barredo ; l'ex-prĂ©sident bolivien Juan JosĂ© Torres (), le couple uruguayen Zaffaronni, sĂ©questrĂ© par le bataillon 601 en et possibles Tupamaros[16]. Ceux qui s'Ă©chappĂšrent aux États-Unis ou en Europe faisaient l'objet de la « phase 3 » de l'opĂ©ration Condor, qui prĂ©voyait l'envoi de commandos pour assassiner les figures les plus en vue (assassinat le de l'ancien ministre chilien Orlando Letelier Ă  Washington D.C., tentatives d'assassinat Ă  Rome, Paris et Madrid). DĂšs 1976, Washington est parfaitement informĂ© des dĂ©tails de l'opĂ©ration Condor[16].

Les grandes affaires et les MĂšres de la place de Mai

Cependant, malgrĂ© la stratĂ©gie adoptĂ©e par Buenos Aires, qui « innove » par rapport Ă  la dictature uruguayenne, qui emprisonnait un habitant sur 450, ou Ă  celle suivie par Pinochet, en tentant de dissimuler l’ampleur de la rĂ©pression, celle-ci commence rapidement Ă  alerter l’opinion mondiale.

Ainsi, dĂšs le , deux semaines aprĂšs l’enlĂšvement du directeur de La OpiniĂłn, le journaliste Jacobo Timerman, les MĂšres de la place de Mai commencĂšrent leurs marches hebdomadaires. Deux semaines plus tĂŽt, le quotidien espagnol El PaĂ­s citait le rapport de la Commission argentine des droits de l’homme (CADHU), Ă  laquelle appartenait notamment l’avocat Rodolfo Mattarollo (es), exilĂ© Ă  Paris et qui travaillera Ă  l’OFPRA, qui est intitulĂ© Argentina: proceso al genocidio[25]. Ce voile levĂ© sur le processus gĂ©nocidaire de la dictature inquiĂ©ta la junte, qui fit sĂ©questrer et assassiner trois des fondatrices ainsi que deux nonnes françaises, Alice Domon et LĂ©onie Duquet, en . Les enlĂšvements de personnalitĂ©s cĂ©lĂšbres et/ou Ă©trangĂšres contribuĂšrent ainsi Ă  faire connaĂźtre du grand public la nature du rĂ©gime de « rĂ©organisation nationale » ; l’affaire Timerman, conjointe Ă  l’affaire Graiver, renforçait les critiques d’antisĂ©mitisme contre la junte [23], tandis que l’enlĂšvement de nonnes françaises, d’une jeune SuĂ©doise (Dagmar Hagelin), etc., suscitait des tensions importantes avec les consulats Ă©trangers.

AprĂšs la sĂ©questration de certaines des fondatrices, les MĂšres n’abandonnĂšrent toutefois pas la lutte, et devinrent cĂ©lĂšbres lors de la Coupe du monde de football de juin 1978, la tĂ©lĂ©vision hollandaise diffusant alors une de leurs manifestations silencieuses[26].

À la mi-1978, la junte commença Ă  faire secrĂštement le bilan de la rĂ©pression, comptant dĂ©jĂ  22 000 victimes[16] (elle en fera finalement 30 000). Videla, de plus en plus critiquĂ© par l’opinion internationale et embarrassĂ© par les requĂȘtes des familles des desaparecidos, voulait alors « gagner la paix » et s’efforçait de lĂ©gitimer le rĂ©gime, en faisant passer les exĂ©cutions massives pour des « excĂšs » des forces de sĂ©curitĂ©[16]. Au contraire, l’amiral Eduardo Massera recommandait de revendiquer ceux-ci et de rendre publiques les listes de desaparecidos, comptant sur l’appui de l’opinion publique qui, avec l’aide des mĂ©dias (dont El ClarĂ­n et La NaciĂłn), soutient majoritairement la lutte contre la « subversion »[16]. Sous la pression de Washington, Videla dĂ©clare alors publiquement que la junte tient Ă  la disposition de l'exĂ©cutif 3 000 prisonniers[16]. L’ambassadeur des États-Unis, Raul Hector Castro, sait alors que le nombre de desaparecidos est bien plus Ă©levĂ© (en , il cite des informations de la Croix-Rouge, qui vient d’avoir accĂšs Ă  certains centres de dĂ©tention argentins sous la pression internationale, selon lesquelles il y a plus de 20 000 dĂ©tenus-disparus)[16]. Il recommande dans un cĂąble Ă  la Maison Blanche :

« Sans lĂ©gitimer ni pardonner le gouvernement argentin pour la participation aux disparitions, nous ne devons pas appuyer les requĂȘtes visant Ă  les contraindre Ă  rendre compte de celles-ci[16]. »

Le gouvernement de ValĂ©ry Giscard d’Estaing Ă©tait trĂšs probablement Ă©galement au courant des agissements de la junte, puisqu’il intervint en pour faire rendre Ă  leurs grands-parents deux enfants (3 ans et 6 mois) d’une Française assassinĂ©e, Françoise Dauthier[3] - [27]. Ceci leur Ă©vita le sort Ă©chu Ă  500 bĂ©bĂ©s de desaparecidas, placĂ©es dans des familles proches du pouvoir, ceci dans un objectif de purification idĂ©ologique de la population (les enfants ignorant bien entendu leur statut d’enfant adoptĂ©, et Ă©tant Ă©levĂ©s par des personnes proches de l’idĂ©ologie d’extrĂȘme-droite de la junte). Parmi les quelques dizaines de bĂ©bĂ©s volĂ©s identifiĂ©s depuis par les Grands-mĂšres de la place de Mai, on peut citer Tatiana et Mara Laura Ruarte (es), les deux premiĂšres Ă  avoir Ă©tĂ© retrouvĂ©es par les Grands-mĂšres, dĂšs 1980[28], Victoria Donda (aujourd’hui dĂ©putĂ©e), Juan CabandiĂ©, MarĂ­a Eugenia Sampallo BarragĂĄn (qui a intentĂ© un procĂšs Ă  ses parents aprĂšs que ces derniers eurent portĂ© plainte pour faux tĂ©moignage contre elle)[29] - [30], ou encore la petite-niĂšce du poĂšte Juan Gelman, donnĂ©e Ă  des policiers uruguayens.

CongrÚs de la Confédération anticommuniste latino-américaine (1980) et opération Charly

Le Cubain Silvio Rodríguez (à la guitare) avec Víctor Heredia, chanteur argentin proscrit lors de la dictature; sa sƓur fut faite desaparecida. Ici en 2006.

Le IVe CongrĂšs de la ConfĂ©dĂ©ration anticommuniste latino-amĂ©ricaine (CAL) se tient Ă  Buenos Aires en , sous la prĂ©sidence du gĂ©nĂ©ral Guillermo SuĂĄrez Mason, chef du Bataillon d'intelligence 601[31]. La CAL est affiliĂ©e Ă  la Ligue anti-communiste mondiale (WACL), prĂ©sidĂ©e par le CorĂ©en Woo Jae-sung, Ă©galement dirigeant de la secte Moon[31]. À part Woo Jae-Sung, le congrĂšs rĂ©unit le terroriste international Stefano Delle Chiaie[31], le major Roberto d'Aubuisson et Luis Ángel Lagos, fondateurs des escadrons de la mort au Salvador[31], Mario Sandoval AlarcĂłn, aussi chef d'un escadron de la mort au Guatemala[31] et des membres du groupe terroriste anti-castriste Alpha 66[31]. Les AmĂ©ricains John Carbaugh, assistant du sĂ©nateur Jesse Helms, et Margo Carlisle, assistant du sĂ©nateur James McClure, y participĂšrent en tant qu'observateurs[32]. InfluencĂ© par l'intĂ©grisme, ce congrĂšs (auquel Videla participa aussi) s'oppose fortement Ă  l'administration Carter, accusĂ©e d'ĂȘtre « molle » face Ă  la victoire des Sandinistes au Nicaragua, et prĂ©pare l'OpĂ©ration Charly via la thĂ©orisation de la doctrine de la « sĂ©curitĂ© continentale »[31].

Cette continentalisation de la guerre sale avait commencĂ© dĂšs le , le gĂ©nĂ©ral Leopoldo Galtieri appuyant le Cocaine Coup de Luis GarcĂ­a Meza Tejada en Bolivie, oĂč se rĂ©fugia Klaus Barbie, chef de la Gestapo Ă  Lyon. De 200[31] Ă  400[32] assesseurs argentins participent au putsch, dont le lieutenant Antonio Pernia, bourreau de l'ESMA et le lieutenant-colonel Mohamed Ali Seineldin, ex de la Triple A[31]. Delle Chiaie et le « boucher de Lyon » participent aux opĂ©rations[31]. La narco-dictature bolivienne du gĂ©nĂ©ral Luis GarcĂ­a Meza Tejada met sur pied un rĂ©seau d'exportation de cocaĂŻne vers l'AmĂ©rique centrale grĂące Ă  la couverture, sur place, des conseillers argentins. En Ă©change, les narco-trafiquants boliviens financent les groupes paramilitaires de la rĂ©gion, en particulier les contras[11].

À Tegucigalpa (Honduras), on envoie au dictateur Somoza le colonel Riveiro-Rawson (alias Balita) qui dirige trente hommes, issus en majoritĂ© de l'ESMA ou de Campo de Mayo, ou/et de l'extrĂȘme-droite (Juan Martin Ciga Correa, de la Milicia, qui participa Ă  l'assassinat du gĂ©nĂ©ral chilien Carlos Prats)[31].

Selon le tĂ©moignage de Leandro SĂĄnchez Reisse, membre du bataillon 601 des services secrets argentins, fait en 1987 devant le CongrĂšs des États-Unis, plus de 30 millions de dollars, issus en partie du trafic de stupĂ©fiants et du trafic d'armes, ont Ă©tĂ© utilisĂ©s dans ces opĂ©rations d'extension de la « guerre sale » Ă  l'AmĂ©rique centrale[33]. Il dĂ©clara aussi alors qu'une personne ayant participĂ© Ă  l'enlĂšvement du directeur de Fiat France (auparavant Argentine), Luchino Revelli-Beaumont, en 1977, effectuĂ© Ă  Paris (et alors mis sur le compte de la « guĂ©rilla pĂ©roniste »), avait proposĂ© par la suite Ă  la CIA d'engager 50 mercenaires afin d'organiser une opĂ©ration-commando visant Ă  dĂ©livrer les otages amĂ©ricains de TĂ©hĂ©ran, plan abandonnĂ© en raison du refus de leur donner des assurances-vie[32].

En 1980, le rĂ©gime sud-africain, en collaboration avec les services secrets argentins, prĂ©voient de faire dĂ©barquer 1 500 guĂ©rilleros anticommunistes en Yougoslavie (celle-ci soutenait alors les mouvements anti-apartheid en Afrique du Sud). L'opĂ©ration vise Ă  aboutir au renversement de Tito et est prĂ©vue pendant la pĂ©riode des Jeux olympiques afin que les SoviĂ©tiques soient trop occupĂ©s pour rĂ©agir. L’opĂ©ration est finalement abandonnĂ©e en raison de la mort de Tito et alors que les forcĂ©es armĂ©es yougoslaves ont relevĂ© leur niveau d'alerte[34].

Conflit du Beagle et guerre des Malouines

En 1978, l'Argentine mobilisa ses troupes dans le cadre de l'Operación Soberanía, risquant la guerre contre le Chili, alors gouverné par le général Pinochet, pour une dispute territoriale concernant les ßles Lennox, Nueva et Picton. La guerre fut évitée grùce à une médiation du pape Jean-Paul II.

Voyant sa popularité s'effondrer, la junte de Buenos Aires tenta (avec un relatif succÚs) de remobiliser le pays derriÚre elle en déclarant la guerre au Royaume-Uni au sujet de l'archipel des Malouines, qui abrite une base militaire britannique. Surpris par l'intervention immédiate du gouvernement Thatcher, l'armée argentine est rapidement écrasée, défaite militaire qui entraßne à son tour la transition démocratique.

Politique économique et aménagement du territoire

La junte poursuivit une restructuration nĂ©olibĂ©rale de l'Ă©conomie, inspirĂ©e par le monĂ©tarisme, avec Ă  sa tĂȘte le ministre JosĂ© Alfredo MartĂ­nez de Hoz (1976-1981)[35]. La junte pariait alors sur un dĂ©veloppement fondĂ© sur les exportations du secteur agro-industriel[35].

En , le gĂ©nĂ©ral Bignone mit Dagnino Pastore, ex-ministre du gĂ©nĂ©ral OnganĂ­a, Ă  l'Économie, et Domingo Cavallo (futur ministre de l'Économie des annĂ©es 1990) Ă  la prĂ©sidence de la Banque centrale. Dagnino Pastore admit alors que la dette extĂ©rieure s'Ă©lĂšve « Ă  plus » de 35 milliards de dollars[35]. Reconnaissant l'Ă©tat catastrophique de l'Ă©conomie, il affirma qu'on pouvait parler d'une « urgence nationale »[35]. L'hyperinflation avait dĂ©passĂ© les 300 % en 1981, et Ă©tait Ă  plus de 220 % en 1982[35]. En sept ans, la dette extĂ©rieure est multipliĂ©e par quatre[11].

Les deux furent toutefois contraints à la démission 53 jours plus tard, le néolibéral Jorge Wehbe devenant ministre[35]. DÚs , Buenos Aires entama des négociations avec le FMI pour renégocier la dette externe[35]. Le FMI, au lieu de conseiller la traditionnelle « thérapie de choc », s'abstint, craignant que celle-ci ne provoquùt la hausse des contestations sociales[35]. La gestion désastreuse de l'économie - aucun responsable argentin ne pouvait dire dans quelles poches étaient passées 10 des 40 milliards de la dette externe[35] - n'arrangeait pas ces négociations[35].

Par ailleurs, Ă  la fin des annĂ©es 1970, l'État obligea 82 % de la population du bourg de FederaciĂłn, dans la province d'Entre RĂ­os, Ă  dĂ©mĂ©nager, afin de procĂ©der Ă  des travaux d'amĂ©nagement du territoire. L'État plongea alors la ville de FederaciĂłn sous les eaux, la faisant disparaĂźtre, et en crĂ©a une autre, inaugurĂ©e le [36].

Les gĂ©nĂ©raux contraignirent Ă©galement la famille du banquier David Graiver, mystĂ©rieusement dĂ©cĂ©dĂ© dans un accident d'avion en , Ă  cĂ©der ses parts dans l'entreprise de papeterie Papel Prensa aux journaux ClarĂ­n, La NaciĂłn et La RazĂłn, pour un prix dĂ©risoire (seuls 7 000 dollars furent payĂ©s)[37]. Peu de temps aprĂšs, le rĂ©gime fit de la production et de la commercialisation du papier pour la presse un service d'intĂ©rĂȘt public[37]. Au cours de l'Ă©tĂ© 1982, la Banque centrale met en place un ensemble de mesures destinĂ©es Ă  rĂ©duire l’endettement du secteur privĂ© selon le principe de privatisation des profits et socialisation des pertes. L’État argentin reprend Ă  son compte les dettes des entreprises et privatise tous les bĂ©nĂ©fices obtenus par la spĂ©culation financiĂšre[38].

La junte dispose de la collaboration des milieux Ă©conomiques dans la traque de ses opposants, notamment syndicalistes. La branche argentine de Ford remet aux renseignements militaires la liste de ses travailleurs et les donnĂ©es les concernant. Vingt-quatre sont sĂ©questrĂ©s et torturĂ©s au sein mĂȘme de l'entreprise De nombreuses autres entreprises collaborent Ă©galement : le constructeur automobile allemand.Mercedes-Benz, les fabriques de cĂ©ramique Lozadur et CattanĂ©o, l'entreprise mĂ©tallurgique Bopavi, les chantiers navals Astarsa et Mestrina, l'entreprise de transports La Veloz del Norte, la compagnie miniĂšre Aguilar, etc[39].

Politique universitaire

ConsidĂ©rant que la massification de l'enseignement avait Ă©tĂ© une cause de la « subversion » estudiantine, la junte s'employa Ă  diminuer le nombre d'Ă©tudiants en augmentant les frais d'inscription et en diminuant le nombre de cursus, ainsi qu'en diminuant le nombre de facultĂ©s et d'universitĂ©s (fermeture pure et simple de l'Universidad Nacional de LujĂĄn (es) en 1979)[5]. De telles conceptions Ă©taient partagĂ©es par l'Église catholique, l’archevĂȘque de La Plata, Antonio JosĂ© Plaza, dĂ©clarant ainsi que les « ennemis de la patrie » dĂ©ployaient leurs « plans sataniques » et leur« action apatride » dans l'universitĂ©, « foyer de la guĂ©rilla organisĂ©e »[5].

Ces objectifs ont Ă©tĂ© officiellement proclamĂ©s dans la loi no 22 207 de 1980, qui visait Ă  « Ă©radiquer totalement du rĂ©gime universitaire la subversion »[5]. La junte a aussi privilĂ©giĂ© l'enseignement privĂ©[5] et augmentĂ© le contrĂŽle politique sur la recherche scientifique[5]. Ainsi, le ministre de l'Éducation Ricardo Pedro Bruera voulait faire baisser le taux d'Ă©tudiants dans le supĂ©rieur de 25 par 1 000 habitants Ă  3 pour 1 000[5]. D'environ 500 000 Ă©tudiants en 1976, on passa Ă  402 000 en 1981[5]; par ailleurs, de 58 000 Ă©tudiants dans l'enseignement universitaire privĂ© en 1976, on passa Ă  75 000 en 1982[5].

Part de l'Ă©ducation dans le budget de l'État[5]
Année Pourcentage
1970 14,7 %
1971 14,7 %
1972 14,1 %
1973 14,6 %
1974 15,7 %
1975 13,1 %
1976 6,9 %
1977 7,3 %
1978 10,1 %

Les ministres de l'Éducation n'ont pas cessĂ© de changer, leur politique Ă©tant sujette aux changements d'orientation des diffĂ©rentes juntes. Tous les ministres avaient comme point commun de provenir de l'UniversitĂ© et d'ĂȘtre proches des cercles catholiques[5]. Il s'agit de Ricardo Pedro Bruera (- avril et ); Albano Harguindeguy, l'un des plus grands responsables des disparitions forcĂ©es, Ă©galement ministre de l'IntĂ©rieur (mai - ); Juan JosĂ© CatalĂĄn (-); Harguindeguy (aoĂ»t - ); Juan Rafael Llerena Amadeo (-); Carlos A. Burundarena (-) et Cayetano Licciardo (- ).

DĂšs le , deux jours aprĂšs le golpe, les recteurs furent remplacĂ©s par des dĂ©lĂ©guĂ©s de l'armĂ©e, qui restĂšrent en place jusqu'en aoĂ»t-, oĂč ils laissĂšrent la place Ă  des recteurs civils dĂ©signĂ©s par leurs soins (Guillermo G. Gallo Ă  La Plata, qui avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© recteur sous la dictature de la « RĂ©volution argentine », et qui fut prĂ©sident du Conseil national des recteurs, le CRUN, de 1976 Ă  1983, Alberto Constantini Ă  la UBA, qui dĂ©missionna rapidement s'opposant Ă  la mainmise du pouvoir militaire sur l'UniversitĂ©, etc.)[5]. La nomination des recteurs et des postes d'administration universitaire par l'exĂ©cutif militaire fut entĂ©rinĂ©e par la loi de 1980, qui les dĂ©clarait incompatibles avec des responsabilitĂ©s syndicales ou politiques[5]. Cette mĂȘme annĂ©e, le dĂ©partement de philosophie de la UBA organisa un colloque () destinĂ© Ă  lĂ©gitimer Videla devant l'opinion internationale[40].

Des centaines de professeurs dĂ©missionnĂšrent dĂšs le ministĂšre Bruera, qui exigea que tous les noms et CV des membres de l'UniversitĂ© soient remis aux militaires[5]. De nombreux autres soit s'exilĂšrent, soit furent faits desaparecidos[5], tandis que les militants des syndicats Ă©tudiants (JUP, qui faisait partie de la Jeunesse pĂ©roniste, etc.) Ă©taient des cibles privilĂ©giĂ©es du terrorisme d'État, qui considĂ©rait que le simple fait d'avoir des revendications concernant le prix de la cantine Ă©tait un signe de « subversion »[5]. Le recteur Gallo, prĂ©sident du CRUN, exigea que tous les Ă©tudiants voulant s'inscrire pour l'annĂ©e scolaire 1977 demandent un certificat de moralitĂ© Ă  la police[5]. Il s'opposait par ailleurs Ă  la prĂ©sence d'Ă©tudiants et de professeurs Ă©trangers, considĂ©rant qu'ils occupaient des postes qui devraient ĂȘtre attribuĂ©s aux Argentins[5].

SystĂšme national d'informatique juridique

Un décret de créa le SystÚme national d'informatique juridique (Sistema Nacional de Informåtica Jurídica), qui visait à « connaßtre l'information juridique globale, comme moyen auxiliaire pour la création, l'interprétation, l'application et l'exécution des normes en vigueur, depuis les plus générales aux individuelles, ainsi que dans la nécessité de diffuser de façon efficiente le droit positif en vigueur, afin de préserver la sécurité juridique » (sic)[41]. Depuis la condamnation, en , du juge fédéral Victor Brusa pour crimes contre l'humanité, plusieurs magistrats ont été inculpés pour leur complicité active avec la dictature.

ParallÚlement à cette action d'information, les services de renseignements américains, conformément à la promesse du président Obama, publient le des documents déclassifiés[42] issus des archives des présidents américains sur la période 1976-1983.

Poursuites judiciaires et commémoration des victimes de la dictature

Peu avant de se retirer du pouvoir, la Junte s'auto-amnistie. Le prĂ©sident Ă©lu RaĂșl AlfonsĂ­n revient toutefois en partie sur ces mesures d'amnistie, tout en devant accorder certaines concessions aux militaires en raison du risque de soulĂšvement[43].

En 1985, un ProcĂšs de la Junte fut organisĂ©, et quelques hauts responsables de la dictature condamnĂ©s. Cependant, l'amnistie vint vite recouvrir cette premiĂšre tentative d'obtenir justice : la loi du Point final (1986) puis, aprĂšs un soulĂšvement des Carapintadas (militaires d'extrĂȘme-droite), la loi de l'ObĂ©issance due (1987), interdirent les poursuites au pĂ©nal. Enfin, le prĂ©sident Carlos Menem amnistia personnellement, par dĂ©cret, des centaines de militaires.

Les poursuites ne purent ĂȘtre relancĂ©es qu'aprĂšs l'annulation de ces lois en 2003, sous la prĂ©sidence du pĂ©roniste de gauche NĂ©stor Kirchner. Entre 2005 et 2009, une soixantaine de personnes ont Ă©tĂ© condamnĂ©es. Le CongrĂšs argentin dĂ©crĂ©ta en 2002 la date du comme jour de la MĂ©moire pour la VĂ©ritĂ© et la Justice, en commĂ©moration des victimes de la « guerre sale », jour qui a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© fĂ©riĂ© en 2006, sous la prĂ©sidence de NĂ©stor Kirchner.

En 2017, la Cour suprĂȘme fait bĂ©nĂ©ficier de la loi « deux pour un » (appliquĂ©e entre 1994 pour 2001 pour rĂ©soudre le problĂšme de la surpopulation carcĂ©rale, dĂ©finissant que chaque jour passĂ© en dĂ©tention provisoire au moment d'appliquer la peine prononcĂ©e en jugement compte double) Ă  Luis Muina, ancien agent paramilitaire condamnĂ© Ă  13 ans de prison pour enlĂšvement et torture d'opposants politiques pendant la dictature. Des centaines d'ex tortionnaires pourraient potentiellement bĂ©nĂ©ficier de cette dĂ©cision, dont Alfredo Astiz (alors que l'Argentine a Ă©tĂ© mondialement saluĂ©e pour avoir rĂ©ussi Ă  faire condamner des dizaines de bourreaux depuis les annĂ©es 2000). Cette dĂ©cision provoque la colĂšre de nombreux Argentins, une manifestation de 500 000 personnes se rĂ©unissant devant la Cour suprĂȘme. Pour la dĂ©putĂ©e Victoria Donda, nĂ©e dans un centre clandestin et qui n'a pas connu ses parents biologiques, tuĂ©s par des militaires : « Notre prĂ©sident [Mauricio Macri] a publiquement dĂ©clarĂ© qu'il ne connaissait pas le nombre de disparus pendant la dictature. Il a rĂ©cemment voulu supprimer le jour fĂ©riĂ© commĂ©morant le dĂ©but de la dictature militaire, la pĂ©riode la plus noires qu'ait connue notre pays. La Cour suprĂȘme n'aurait jamais pris cette dĂ©cision hors de ce contexte politique »[44].

Notes et références

  1. Martine DĂ©otte, « L’effacement des traces, la mĂšre, le politique », Socio-anthropologie no 12, 2002, mis en ligne le 15 mai 2004
  2. José Del Pozo, Histoire de l'Amérique latine et des Caraïbes, de 1825 à nos jours, Septentrion, , p. 259.
  3. Thierry Oberlé, Dictature argentine : un procÚs pour les victimes françaises, Le Figaro, 8 décembre 2009
  4. Daniel Ferstein (auteur de El genocidio como prĂĄctica social, 2008), La dictadura se propuso transformar a toda la sociedad, interview sur 8300 web, 30 juin 2009
  5. Laura Graciela Rodríguez et Germån Soprano (2009), « La política universitaria de la dictadura militar en la Argentina: proyectos de reestructuración del sistema de educación superior (1976-1983) », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, Cuestiones del tiempo presente, 2009
  6. Cyrus Stephens Cousins (Université du Texas, 2008), General Ongania and the Argentine (Military) Revolution of the Right: Anti-Communism and Morality, 1966-1970, Historia Actual, no 17 (automne 2008), p. 65-79, publié en ligne le 15 octobre 2008 [PDF]
  7. Mario Ranalletti (2010), « Aux origines du terrorisme d'État en Argentine », VingtiĂšme SiĂšcle. Revue d'histoire, no 105, janvier-mars 2010, p. 45-57 (citation p. 46)
  8. Sur la Cité catholique et les liens avec l'OAS et l'Argentine, voir chapitre spécifique in Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l'école française [détail des éditions], 2008
  9. Mario Ranalletti (2010), « Aux origines du terrorisme d'État en Argentine », VingtiĂšme SiĂšcle. Revue d'histoire, no 105, janvier-mars 2010, p. 45-57
  10. Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l'école française [détail des éditions], 2008
  11. Maurice Lemoine, Les enfants cachĂ©s du gĂ©nĂ©ral Pinochet. PrĂ©cis de coups d’Etat modernes et autres tentatives de dĂ©stabilisation, Don Quichotte, , p. 126,127 et 181
  12. Monique Mas, Prison Ă  vie pour un prĂȘtre collaborateur de la dictature, RFI, 10 octobre 2007
  13. Alexei Barrionuevo, Argentine Church Faces ‘Dirty War’ Past, New York Times, 17 septembre 2007
  14. « La traßnée sanglante d'Israël en Amérique Latine », sur Chronique de Palestine,
  15. Alain Rouquié, « Le vote péroniste en 1973 », in Revue française de science politique, 24e année, no 3, 1974. p. 469-499.
  16. 30 ANIVERSARIO DEL GOLPE MILITAR EN ARGENTINA ; DOCUMENTOS MUESTRAN APOYO DE EEUU Y LA BRUTAL REPRESION DE LA DICTADURA (disponible en anglais), documents et analyse de la National Security Archive (George Washington University), 30 mars 2006
  17. HipĂłlito Solari Yrigoyen, primera victima de la Triple A. Isabel y LĂłpez Rega vinieron a verme cuando estaba internado, ClarĂ­n, 19 janvier 2007
  18. Maurice Lemoine, Les enfants cachĂ©s du gĂ©nĂ©ral Pinochet. PrĂ©cis de coups d’Etat modernes et autres tentatives de dĂ©stabilisation, Don Quichotte, , p. 93
  19. Fiche 8/12 du dossier : Réflexions sur la constitution de réseaux de solidarité autour des exilés argentins dans les années 1970, sur le site d'Irénées.net
  20. Habla Juan Manuel Abal Medina; Recuerdos de la muerte, ClarĂ­n, 7 avril 1996
  21. Diego MartĂ­nez, Para reabrir las causas en BahĂ­a Blanca, PĂĄgina/12, 23 janvier 2006
  22. . Cette phrase souvent citĂ©e peut-ĂȘtre trouvĂ©e par exemple chez I. Barki, Pour ces yeux-lĂ . La face cachĂ©e du drame argentin. Les enfants disparus, Paris, La DĂ©couverte, 1988, p. 70.
  23. Jorge Saborido, « El antisemitismo en la Historia argentina reciente: la revista Cabildo y la conspiración judía », Revista Complutense de Historia de América (ISSN 1132-8312), 2004, vol. 30 209-223 [PDF]
  24. Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l'école française [détail des éditions]
  25. El genocidio argentino, El Pais, 10 avril 1977
  26. Entretien avec Hebe de Bonafini, Pagina digital, février 2002
  27. Dix-huit français ont disparu sous la dictature. Argentine : justice pour les suppliciés, Le Nouvel Observateur, 12 novembre 2009
  28. La primera nieta recuperada: con la verdad de origen, La Capital, 19 mars 2006
  29. Tibio fallo por el robo de un bebé durante la dictadura argentina, El Periódico de Catalunya, 4 avril 2008
  30. StĂ©phanie SchĂŒler, Dictature : justice pour des « bĂ©bĂ©s volĂ©s », RFI, 4 avril 2008
  31. Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l'école française [détail des éditions], 2008, p. 390-392
  32. Samuel Blixen, Le Condor Ă  l'export : trafic de drogues, terrorisme d'État et dĂ©mocratie militarisĂ©e, Transnational Institute, 11 mars 2003 (en anglais)
  33. El hombre de los negocios sucios, ClarĂ­n, 24 mars 2006
  34. Jean-Arnault DĂ©rens, « Au temps de la Yougoslavie anticoloniale », Le Monde diplomatique,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  35. Philip J. O'Brien et Paul Anthony Cammack (1985), Generals in retreat: the crisis of military rule in Latin America, 208 p., p. 63-66
  36. (es) FederaciĂłn y muerte, Carlos Gamerro, PĂĄgina/12, 30 avril 2008
  37. Sebastiån Premici, Negocios y dictadura: testimonios y documentos, Pagina/12, 27 août 2010
  38. StĂ©phane Boisard, Mariana Heredia, « Laboratoires de la mondialisation Ă©conomique », VingtiĂšme SiĂšcle. Revue d'histoire,‎ (lire en ligne)
  39. Maurice Lemoine, Les enfants cachĂ©s du gĂ©nĂ©ral Pinochet. PrĂ©cis de coups d’Etat modernes et autres tentatives de dĂ©stabilisation, Don Quichotte, , p. 162
  40. Nestor Kohan, Carta de despedida de Nestor Kohan a Ebe de Bonafini., Indymedia Argentine, 19 juin 2007.
  41. Horacio Verbitsky, El Mago de la Picana, Pagina/12, 17 janvier 2010, republié le 20 mars 2010
  42. « US National Intelligence Office »
  43. Maurice Lemoine, Les enfants cachĂ©s du gĂ©nĂ©ral Pinochet. PrĂ©cis de coups d’Etat modernes et autres tentatives de dĂ©stabilisation, Don Quichotte, , p. 172
  44. Marthe Rubio, « Argentine : le lien d'Ɠil de la Cour suprĂȘme Ă  la dictature », samedi 13 / dimanche 14 mai 2017, page 8.

La dictature dans la culture

Bibliographie

Liste d’Ɠuvres littĂ©raires traitant des dictatures militaires dans les pays latino-amĂ©ricains au XXe siĂšcle

  • Elsa Osorio, Luz ou le temps sauvage (publiĂ© en français en 2002 aux Ă©ditions MĂ©tailiĂ©, Paris)

L'histoire des enfants volés apparait également dans le roman Si c'était à refaire de Marc Lévy (2012).

Vies volées de Matz et Mayalen Goust, édition Rue de SÚvres, 2018

Filmographie

  • Garage Olimpo, film argentin de Marco Bechis sorti en 1999.
  • Les deux Papes, un film rĂ©alisĂ© par Fernando Meirelles avec Anthony Hopkins et Jonathan Pryce, sorti en 2019.
  • OperaciĂłn masacre, de Jorge Cedron d'aprĂšs le livre de Rodolfo Walsh tournĂ© durant la dictature de Alejandro AgustĂ­n Lanusse en 1972.

Chanson

Voir aussi

Articles connexes

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