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PĂ©ronisme

Le Mouvement national justicialiste ou pĂ©ronisme (en espagnol Peronismo et Justicialismo) Ă©tait un mouvement de masse argentin fondĂ© au milieu des annĂ©es 1940 autour de la figure de Juan PerĂłn, devenu ensuite un acteur politique majeur en Argentine. La dĂ©nomination de justicialisme s’explique par l’importance qu’accordait ce mouvement Ă  la justice sociale. Le Parti justicialiste, qui fut interdit aprĂšs la RĂ©volution libĂ©ratrice de 1955 Ă  1972, reprĂ©sentait l'organe officiel du mouvement, mais l'influence du pĂ©ronisme fut aussi forte dans le monde syndical, en particulier dans la CGT argentine.

Juan Domingo Perón, fondateur du mouvement péroniste.

En 1949, deux annĂ©es aprĂšs qu'eut Ă©tĂ© adoptĂ©e la loi sur le suffrage des femmes, le pĂ©ronisme s’organisa Ă©galement dans le Parti pĂ©roniste fĂ©minin, fondĂ© par Eva PerĂłn et composĂ© de femmes uniquement, et qui fut dissous par la dictature militaire aprĂšs 1955. Traditionnellement, l’organisation du mouvement se fondait sur trois « branches » — politique, syndicale et fĂ©minine— auxquelles viendra s’ajouter Ă  partir de la dĂ©cennie 1970 la jeunesse (Jeunesse pĂ©roniste).

Le mouvement pĂ©roniste englobe un Ă©ventail de courants diffĂ©rents qui ne sont ni bien dĂ©finis, ni constants au long de son histoire, voire s’affrontĂšrent parfois mutuellement, y compris Ă©lectoralement. Parmi les principaux courants pĂ©ronistes, l’on note en particulier le pĂ©ronisme orthodoxe, le nĂ©opĂ©ronisme, le pĂ©ronisme rĂ©volutionnaire (la Tendencia), le pĂ©ronisme syndical, le mĂ©nĂ©misme (du nom de Carlos Menem), le kirchnĂ©risme (du nom des Ă©poux NĂ©stor Kirchner et Cristina FernĂĄndez de Kirchner) et le pĂ©ronisme dissident (ou pĂ©ronisme fĂ©dĂ©ral). L’opposition au pĂ©ronisme engendra un mouvement connu sous le nom d’antipĂ©ronisme, peu organisĂ© mais de grande influence politique[1].

Entre 1946 et 2019, le justicialisme remporta dix Ă©lections prĂ©sidentielles en Argentine : en 1946 (PerĂłn), 1951 (PerĂłn Ă  nouveau), les deux scrutins de 1973 (CĂĄmpora, puis PerĂłn), 1989 (Menem), 1995 (Menem Ă  nouveau), 2003 (Kirchner), 2007 (FernĂĄndez de Kirchner, Ă©pouse du prĂ©cĂ©dent), 2011 (FernĂĄndez de Kirchner) et 2019 (Alberto FernĂĄndez), mais perdit les Ă©lections de 1983, 1999 et 2015. Il fut renversĂ© deux fois par des coups d’État militaires — en 1955 et 1976 — et dĂ©clarĂ© illĂ©gal par la dictature instaurĂ©e en 1955 et autodĂ©nommĂ©e RĂ©volution libĂ©ratrice, cette mesure de proscription restant en vigueur jusqu’en 1972, et pour PerĂłn lui-mĂȘme jusqu’en 1973.

Parfois qualifiĂ© de mouvement populiste, le pĂ©ronisme est malaisĂ© Ă  dĂ©finir idĂ©ologiquement en raison de la diversitĂ© des politiques adoptĂ©es au cours de son histoire et de la trĂšs grande diversitĂ© des personnes et des mouvements se rĂ©clamant du pĂ©ronisme, qui ont pu couvrir, en particulier pendant les annĂ©es 1970, tout le spectre politique, de l’extrĂȘme gauche (Montoneros) Ă  l’extrĂȘme droite (JosĂ© LĂłpez Rega). Cette diversitĂ© dure encore aujourd'hui, peu de choses rapprochant par exemple les deux anciens prĂ©sidents Carlos Menem et Cristina FernĂĄndez de Kirchner, qui sont pourtant tous deux membres du Parti justicialiste. NĂ©anmoins, le pĂ©ronisme dans sa version historique prĂ©sente un certain nombre de dĂ©nominateurs communs, qui peuvent s’énumĂ©rer comme suit : le nationalisme ; l’anticommunisme ; le protectionnisme, l’industrialisation par substitution aux importations et le dirigisme d’État, en matiĂšre Ă©conomique ; le corporatisme ; la promotion d’une justice sociale avec redistribution des richesses et mise en place d’un vaste État-providence ; et, politiquement, le personnalisme, s’efforçant d’établir un rapport direct entre chef d’État et peuple, via un dense rĂ©seau de structures de base, et tendant Ă  court-circuiter le parti et le parlement et Ă  identifier le lĂ­der au peuple.

Histoire du péronisme

Antécédents

Le pĂ©ronisme est l'hĂ©ritier direct du coup d'État de 1943 effectuĂ© par le Groupe des Officiers Unis (GOU), qui s'opposa Ă  la participation de l'Argentine durant la Seconde Guerre mondiale au cĂŽtĂ© des AlliĂ©s.

La structure économique du pays avait changé profondément durant les années 1930, à cause de la Grande Dépression qui provoqua une réduction importante du commerce international. Cela affecta l'économie argentine, basée sur une agriculture destinée à l'exportation. Le pays choisit d'organiser un contrÎle du marché de la viande et des grains, et une industrialisation accélérée basée sur la substitution des importations par des produits manufacturés. Ce processus fut accompagné d'importants flux migratoires internes des zones rurales de l'intérieur vers la périphérie des grandes villes (principalement Buenos Aires, Rosario et Córdoba). Ces masses populaires, nouvellement employées dans les nouvelles industries et sans antécédents de syndicalisation, constituÚrent la base du mouvement péroniste.

La premiĂšre campagne Ă©lectorale

On peut dater la naissance du mouvement pĂ©roniste au quand les mobilisations populaires organisĂ©es par la CGT d'Ángel Borlenghi rĂ©ussirent Ă  libĂ©rer Juan PerĂłn, qui avait Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ© par des militaires opposĂ©s Ă  son influence croissante dans le gouvernement. À partir de ce moment, PerĂłn devint le candidat officiel du rĂ©gime pour l'Ă©lection prĂ©sidentielle de 1946. PerĂłn se prĂ©senta comme candidat du Parti travailliste, introduisant comme vice-prĂ©sident Hortensio Quijano, un radical de la dissidente Junta Renovadora. Les Ă©lections polarisĂšrent le pays : d'un cĂŽtĂ© le pĂ©ronisme, soutenu par le gouvernement militaire, les syndicalistes de la CGT et des groupes radicaux, l'UCR, la Junta Renovadora (ou la FORJA oĂč se cĂŽtoyaient personnalitĂ©s reconnues comme Arturo Jauretche, RaĂșl Scalabrini Ortiz, etc.), et des conservateurs des provinces de l'intĂ©rieur, et de l'autre cĂŽtĂ© l'Union dĂ©mocratique qui comptait dans ses rangs l'UCR et les partis socialistes et dĂ©mocrates progressistes avec l'appui du Parti communiste, les conservateurs de la Province de Buenos Aires, et l'ambassadeur des États-Unis, Spruille Braden. Ce dernier fournit le thĂšme rĂ©current de la campagne pĂ©roniste, basĂ© sur le nationalisme et la justice sociale : Braden ou PerĂłn. Peron triompha, avec 56 % des votes.

La premiÚre présidence de Perón

Juan PerĂłn

PerĂłn commence rapidement Ă  consolider son pouvoir. À l'intĂ©rieur, il dissout le Parti travailliste et intĂšgre le nouveau parti (appelĂ© briĂšvement Parti unique de la RĂ©volution), qui comptera trois branches :

  • la syndicale (la CGT, unique association syndicale autorisĂ©e),
  • la politique
  • À partir de 1952, avec l'octroi du vote aux femmes, la branche fĂ©minine, qui constitue, selon les mots d'Eva PerĂłn, un parti « logiquement liĂ© au mouvement pĂ©roniste Â» mais « indĂ©pendant en tant que parti de celui qui intĂšgre les hommes Â»[2]: le Parti pĂ©roniste fĂ©minin.
  • Plus tard on considĂ©rera les Jeunesses pĂ©ronistes comme quatriĂšme branche du Mouvement.

D'autre part il procĂšde Ă  un remue-mĂ©nage via le jugement politique des membres de la Cour suprĂȘme et en 1949 il provoque des Ă©lections pour l'AssemblĂ©e constituante qui dicta une nouvelle constitution en accord avec les principes du pĂ©ronisme.

De multiples réformes dans les domaines de la santé, de l'éducation et du droit du travail sont réalisées, assurant au gouvernement un soutien inflexible des classes populaires.

Bien que le rĂ©gime pĂ©roniste ait conservĂ© les traits essentiels d'une dĂ©mocratie libĂ©rale (multipartisme, Ă©lections frĂ©quentes), un certain degrĂ© de rĂ©pression n'affectait pas moins les activitĂ©s des partis d'opposition, dont les membres les plus connus Ă©taient sujets Ă  des arrestations plus ou moins prolongĂ©es. Dans les universitĂ©s nationales, devenues gratuitement accessibles et dont le nombre d'Ă©tudiants s'Ă©tait fortement accru, on fit de la CGU (ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale universitaire) la reprĂ©sentante des Ă©tudiants en opposition Ă  la majoritaire FUA (FĂ©dĂ©ration universitaire d'Argentine). Pour des raisons similaires, on crĂ©a l’UES (Union des Ă©tudiants du secondaire).

À partir du dĂ©but des annĂ©es 1950, la situation Ă©conomique commença Ă  se dĂ©grader et un nouveau ministre des Affaires Économiques, Alfredo GĂłmez Morales, fut nommĂ© qui appliqua des mesures orthodoxes. Et encore, PerĂłn triompha Ă  l’élection prĂ©sidentielle de 1951 (un peu plus de 62 % des voix contre son adversaire de l'UCR).

PerĂłn avait de l'admiration pour Benito Mussolini. Le pays accueillit plusieurs milliers de responsables nazis, dont certains furent toutefois expulsĂ©s. Juan PerĂłn a mis en place un rĂ©seau organisant la fuite des nazis en Argentine. MĂȘme s'il fut influencĂ© par le corporatisme du fascisme italien, PerĂłn fut plus pragmatique qu'idĂ©ologue, et sa motivation pour l'accueil des nazis de l'aprĂšs-guerre fut qu'il Ă©tait, comme beaucoup Ă  l'Ă©poque, intĂ©ressĂ© par la compĂ©tence scientifique et technique des Allemands. Il ne s'agissait pas tant, pour l'Argentine, d'accueillir des criminels nazis, mais de profiter du savoir-faire de techniciens et de savants allemands[3].

Années 1955-1973

AprĂšs la chute de PerĂłn causĂ©e par la dite « RevoluciĂłn Libertadora Â» de , un coup d'État militaire national-catholique, et son exil en Espagne, le Parti justicialiste fut interdit jusqu'en 1973, date du retour de PerĂłn, marquĂ© par le massacre d'Ezeiza. Le terme mĂȘme de « pĂ©ronisme Â» fut complĂštement interdit, mais des ouvertures se produisirent par la suite, permettant au mouvement pĂ©roniste de prĂ©senter des candidats, tandis que PerĂłn lui-mĂȘme Ă©tait interdit de se prĂ©senter et de revenir au pays. Selon le sociologue Alain RouquiĂ© (1974), les classes dirigeantes et une partie des classes moyennes s'accordent dans le rejet du pĂ©ronisme, stigmatisĂ© davantage pour son dirigisme Ă©conomique que pour ses aspects autoritaires et personnalisĂ©s, ces classes condamnant une Ă©poque « oĂč les ouvriers se croyaient tout permis Â»[4].

Juste aprÚs 1955, le mouvement se divise rapidement sur la question de l'usage des moyens légaux: au début, la majorité des péronistes refusent la mascarade dictatoriale et prÎnent la résistance armée. Toutefois, dÚs 1955, l'ex-ministre de Peron Juan Atilio Bramuglia fonde un nouveau parti, l'Unión Popular (es), qui vise à soutenir la doctrine justicialiste sans Perón. Il n'obtiendra pas le soutien du général, son parti étant l'un des premiers du mouvement néo-péroniste que tente de créer le général Eduardo Lonardi, en essayant de donner des gages à la classe ouvriÚre afin de mieux couper l'herbe sous le pied du général Perón, et d'exclure celui-ci définitivement de la scÚne nationale. Toutefois, Lonardi est poussé vers la sortie moins de trois mois aprÚs sa prise de fonctions, remplacé par le général Aramburu, qui représente la faction la plus viscéralement antipéroniste de l'armée.

L'annĂ©e suivante, le soulĂšvement de 1956 du gĂ©nĂ©ral Juan JosĂ© Valle est rĂ©primĂ© dans le sang (es). Par ailleurs, la Jeunesse pĂ©roniste (JP) est fondĂ©e en 1957, prĂŽnant aussi la rĂ©sistance Ă  la dictature du gĂ©nĂ©ral Aramburu. Toutefois, plusieurs membres de la CGT proposant une voie lĂ©galiste, tandis que la dictature enclenche un processus de normalisation. Depuis son exil Ă  Montevideo, John William Cooke, intellectuel d’influence marxiste et considĂ©rĂ© comme le principal reprĂ©sentant de la mouvance pĂ©roniste aprĂšs PerĂłn lui-mĂȘme, dĂ©cide d'aller avec le courant et d'utiliser cette opportunitĂ© lĂ©gale « en tant que moyen Â»[5]. La nouvelle tactique combine ainsi lĂ©galitĂ© et violence, avec un « horizon insurrectionnel Â» et, comme but, le retour de PerĂłn[5].

Progressivement, la majoritĂ© du pĂ©ronisme syndical, en particulier dans les grandes organisations, se concentra sur les objectifs de lutte Ă©conomique - le climat de la dictature Ă©tant particuliĂšrement dĂ©favorable aux intĂ©rĂȘts des travailleurs - quitte Ă  perdre de vue les objectifs politiques (le renversement du rĂ©gime et le retour de PerĂłn)[5]. Une ligne plus conciliante avec le rĂ©gime, prĂȘte Ă  nĂ©gocier, se renforça ainsi, devenant majoritaire dans les annĂ©es 1960[5]. La figure du dirigeant syndical Augusto Vandor symbolise alors cette ligne, le mĂ©tallurgiste lançant le slogan d'un « pĂ©ronisme sans PerĂłn Â» et devenant le principal adversaire, au sein du mouvement pĂ©roniste, de PerĂłn lui-mĂȘme, lui disputant la direction de celui-ci.

La ligne plus « dure Â» souffrit, quant Ă  elle, des dĂ©faites des grĂšves de 1959-1960, de la crise Ă©conomique, du plan contre-insurrectionnel CONINTES du gouvernement radical d'Arturo Frondizi (1958-1962) en , et de l'influence grandissante de la bureaucratie syndicale, reprĂ©sentĂ©e par Augusto Vandor[5].

De 1973 Ă  la dictature

Durant toutes ses annĂ©es, le pĂ©ronisme est restĂ© marquĂ© par son caractĂšre hĂ©tĂ©rogĂšne[6] , rassemblant de l'extrĂȘme-gauche (les Montoneros, qui disputent la direction du mouvement Ă  PerĂłn dans les annĂ©es 1970, tout en s'y dĂ©clarant fidĂšle; les Fuerzas Armadas Peronistas, FAP, et les Fuerzas Armadas Revolucionarias, FAR... tous furent soutenus, Ă  un moment ou un autre, par PerĂłn) Ă  l'extrĂȘme-droite (ConcentraciĂłn Nacional Universitaria, Triple A), en passant par des organisations plus centristes, telles que l'OrganizaciĂłn Única del Trasvasamiento Generacional (OUTG), considĂ©rĂ©e par PerĂłn comme l'arriĂšre-garde du mouvement et intĂ©grant des figures telles que Jorge Bergoglio, l'actuel pape François, ou la philosophe Amelia Podetti[7].

TrĂšs affaiblie par la contestation sociale, symbolisĂ©e par le Cordobazo de 1969 et d'autres soulĂšvements similaires, la dictature dite de la « RĂ©volution argentine » est contrainte d'accepter la tenue d'Ă©lections, qui se tiennent en mars 1973[4]. Le candidat pĂ©roniste HĂ©ctor JosĂ© CĂĄmpora est Ă©lu, le pĂ©ronisme remportant par ailleurs la majoritĂ© des siĂšges, Ă  l'exception notable de Buenos Aires oĂč le candidat radical Fernando de la RĂșa l'emporte face au candidat du FREJULI, Marcelo SĂĄnchez Sorondo, probablement en raison du passĂ© fasciste de ce dernier, qui ne s'en cache guĂšre[4] - [8] - [9].

Dans le mĂȘme temps, les tensions internes au mouvement pĂ©roniste s'intensifient, avec la prise du pouvoir au sein du Parti justicialiste par l'extrĂȘme-droite d'Isabel MartĂ­nez de PerĂłn et de JosĂ© LĂłpez Rega, le fondateur de l'escadron de la mort dĂ©nommĂ© « Triple A Â». De fĂȘte espĂ©rĂ©e, le retour du gĂ©nĂ©ral se transforme en tragĂ©die lors du massacre d'Ezeiza de . AprĂšs la dĂ©mission de Campora, le gĂ©nĂ©ral PerĂłn est Ă©lu prĂ©sident en , avec sa femme Isabel comme vice-prĂ©sidente. Plusieurs nationalistes rejoignent alors le mouvement pĂ©roniste: outre Marcelo Sanchez Sorondo, on peut citer Basilio Serrano et l'historien JosĂ© MariĂĄ Rosa, nommĂ©s ambassadeurs aprĂšs [9].

AprÚs la mort de Perón, le , certains péronistes, proches des Montoneros, fondÚrent le Parti péroniste authentique, dont Oscar Bidegain, gouverneur de la province de Buenos Aires de 1973 à 1974, Ricardo Obregón Cano (es), gouverneur de la province de Córdoba de 1973 à 1974, et proche d'Héctor José Cåmpora, ou encore Miguel Bonasso (es) (aujourd'hui député) ou le poÚte Juan Gelman.

La transition démocratique

, le prĂ©sident NĂ©stor Kirchner assiste au retrait du portrait du gĂ©nĂ©ral Reynaldo Bignone Ă  l'École de MĂ©canique de la Marine (ESMA), le plus grand centre de torture de la « guerre sale Â».

AprĂšs les Ă©lections de 1983, remportĂ©es haut la main par l'Union civique radicale (UCR), RaĂșl AlfonsĂ­n accĂ©dant Ă  la prĂ©sidence, le Parti justicialiste se rĂ©organisa, Ă©loignant en particulier certains pĂ©ronistes de droite, tels que Herminio Iglesias (es), candidat Ă  la gouvernance de Buenos Aires en 1983, qui avait brĂ»lĂ© Ă  la fin de la campagne de 1983 un cercueil recouvert d'un drapeau de l'UCR, suscitant l'indignation publique. Le courant rĂ©formateur Ă©tait dirigĂ© par Carlos Grosso, Carlos Menem et Antonio Cafiero, qui profitĂšrent du peu de participation de la base pour mettre en avant un programme libĂ©ral qui tendait, sinon Ă  achever, du moins Ă  vider de tout contenu rĂ©el - pour autant que celui-ci en ait eu un, de contenu univoque[10] - le pĂ©ronisme.

Dans les années 1990 et 2000, y compris aprÚs la crise de 1998-2001 et le cacerolazo, plusieurs tentatives furent faites pour recréer la Jeunesse péroniste, mais aucune ne parvint à regrouper l'ensemble des organisations de jeunesse péronistes, toutes se limitant à suivre un courant ou un autre du Parti justicialiste.

En 2008, l'ex-militant de la JP Néstor Kirchner, qui laissa la place aprÚs l'élection présidentielle d'octobre 2007 à sa femme Cristina, devint présidente du Parti, et y créa le Secrétariat à la Jeunesse, dont la création avait été plusieurs fois proposée et repoussée. Celui-ci est dirigé par Juan Cabandié, un militant né dans les locaux de l'ESMA (école militaire), ayant été l'un des bébés kidnappés de la dictature, qui ne connut ses parents réels, des militants assassinés, qu'à l'ùge de 26 ans.

Dirigeants du Parti Justicialiste

Caractérisation du Péronisme

Considérations générales

Le pĂ©ronisme est un mouvement politique ample, embrassant une grande variĂ©tĂ© de tendances, parfois opposĂ©es, Ă  l’égal sans doute d’autres idĂ©ologies politiques internationales, comme le socialisme, le libĂ©ralisme, le communisme, l’anarchisme ou la dĂ©mocratie chrĂ©tienne, ou comme d’autres idĂ©ologies politiques argentines, telle que le radicalisme.

DĂšs son apparition sur la scĂšne politique nationale argentine, le pĂ©ronisme fut dĂ©fini par PerĂłn comme un « mouvement national » s’adressant au secteur social dĂ©nommĂ© « classes laborieuses » (clase trabajadora). Ce dernier terme, utilisĂ© au dĂ©but pour distinguer sa conception « nationale et populaire » d’avec le concept marxiste de « prolĂ©taires », servit bientĂŽt Ă  signaler une position doctrinale singuliĂšre et Ă  exprimer l’opposition du pĂ©ronisme au concept de lutte des classes.

« Avant que nous ayons proclamĂ© notre doctrine, se dressait triomphant devant nous l’individualisme capitaliste et le collectivisme communiste Ă©tendant l’ombre de ses ailes impĂ©riales sur tous les chemins de l’humanitĂ© [
]. Ainsi naquit le Justicialisme, sous la suprĂȘme aspiration d’un haut idĂ©al — le Justicialisme crĂ©Ă© par nous et pour nos enfants, comme une troisiĂšme position idĂ©ologique, propre Ă  nous libĂ©rer du capitalisme sans tomber entre les griffes du collectivisme. »

— Juan Domingo PerĂłn, devant l'AssemblĂ©e lĂ©gislative en 1952[11].

Le cadre ainsi posĂ©, le mouvement pĂ©roniste devait (idĂ©alement) rassembler tous ceux pouvant souscrire aux concepts de justice sociale, de souverainetĂ© politique et d’indĂ©pendance Ă©conomique. Cette interprĂ©tation de PerĂłn permit la croissance inattendue de son organisation politique et Ă©leva celle-ci Ă  des niveaux de reprĂ©sentativitĂ© populaire jamais atteints jusque-lĂ  en AmĂ©rique hispanique. Cependant, pour perpĂ©tuer cette situation, il Ă©tait nĂ©cessaire de concentrer en permanence en des mains uniques toute la production doctrinale, attendu que la massivitĂ© du mouvement requĂ©rait de pouvoir contenter et contenir des secteurs aux intĂ©rĂȘts contradictoires. DĂšs lors, l’interprĂ©tation de la rĂ©alitĂ© ne pouvait ĂȘtre confiĂ©e Ă  une structure collĂ©giale, laquelle eĂ»t immanquablement engendrĂ© des conflits et des dissidences internes et externes susceptibles de fragmenter Ă  moyen terme la base de pouvoir du mouvement. PerĂłn concentrera cette tĂąche exclusivement sur lui-mĂȘme, en mettant sur pied un Conseil supĂ©rieur, dont il Ă©tait en pratique le seul membre ayant droit de parole et de vote. Ainsi, s’il existait des intermĂ©diaires entre le Conseil supĂ©rieur et la base du mouvement, c’était pour mettre la doctrine en adĂ©quation avec celui-ci et avec ses diffĂ©rents intĂ©rĂȘts sectoriels, ce qui finit par corseter PerĂłn lui-mĂȘme.

C’est ainsi que fut adoptĂ©e le modĂšle de communication directe entre le lĂ­der et les masses, soit un mouvement absolument horizontal, avec une seule figure Ă©mergente. Pour Ă©tayer cette analyse, il suffit d’invoquer l’exemple d’Evita, qui en peu de temps se mit Ă  remplir ce rĂŽle d’intermĂ©diaire entre le conductor[12] et le peuple. Le discours et l’action d’Evita, destinĂ©s Ă  servir de vecteurs Ă  la doctrine, eurent pour effet de sectorialiser rapidement le mouvement et mettre au jour la division des intĂ©rĂȘts, ce que justement PerĂłn s’efforçait d’éviter. L’ostensible inclination d’Evita pour les « grasitas », « descamisados », suscitera la rancƓur, la peur et l’indignation aussi bien chez les militaires qu’au sein de l’Église et dans les classes moyennes — secteurs de la sociĂ©tĂ© qui pourtant avaient initialement acceptĂ© PerĂłn, pour autant que son projet restĂąt diffusĂ©ment humaniste et justicialiste.

Son mode de gouvernement a Ă©tĂ© rapprochĂ© par ses adversaires avec le fascisme, notamment en raison de son culte de la personnalitĂ©. Toutefois, Ă  la diffĂ©rence majeure du fascisme, le rĂ©gime pĂ©roniste a maintenu le multipartisme. Il fut plĂ©biscitĂ© de façon permanente entre 1945 et 1955 Ă  travers des Ă©lections prĂ©sidentielles, rĂ©gionales ou municipales qui confirmaient presque tous les deux ans l’appui massif des Ă©lecteurs au rĂ©gime. MalgrĂ© des tentations de dĂ©rive autoritaire de la part du pĂ©ronisme, la Constitution fut respectĂ©e tout comme la sĂ©paration entre les pouvoirs exĂ©cutif, lĂ©gislatif et judiciaire. Par ailleurs, le gouvernement pĂ©roniste n’a jamais introduit de dimension antisĂ©mite ou raciste dans le discours national, et l’Argentine concentrait la plus importante communautĂ© juive d’AmĂ©rique latine. Enfin, fascisme et pĂ©ronisme donnent Ă  leurs gestions respectives de l’économie une orientation radicalement opposĂ©e : malgrĂ© quelques mesures sociales produites de temps Ă  autre, le rĂ©gime mussolinien appliquait une politique fondamentalement libĂ©rale sous la conduite de son ministre Alberto De Stefani (en) dont les pĂ©ronistes se distingueront nettement pour orienter au contraire l’économie argentine vers une voie plus proche du socialisme.

NĂ©anmoins, la DĂ©claration de 1947, fondatrice de l'Organisation dĂ©mocrate-chrĂ©tienne d'AmĂ©rique (ODCA), se rĂ©fĂ©rait implicitement au pĂ©ronisme lorsqu’elle critiquait le nĂ©ofascisme[13] ; de façon peut-ĂȘtre ironique, l’ODCA, tout comme le pĂ©ronisme, prĂ©tendait alors dĂ©finir une « troisiĂšme voie » entre capitalisme et communisme[13], ce qui en faisait des rivaux Ă©vidents. À l’inverse, l’abbĂ© intĂ©griste Julio Meinvielle, antisĂ©mite et proche du national-catholicisme, considĂ©rait que le rĂ©gime de PerĂłn prĂ©parait la voie au communisme, en raison de sa politique sociale[14].

Le pĂ©ronisme connaĂźtra un large succĂšs Ă  l’étranger dans le contexte de la dĂ©colonisation et de l’émancipation du tiers monde par le biais de la crĂ©ation du mouvement des non-alignĂ©s. Evita PerĂłn dĂ©clara alors : « Dieu est argentin
 et c'est pourquoi il nous a envoyĂ© PerĂłn ».

La dichotomie péroniste entre « mouvement » et « parti »

Au plan organisationnel, le mouvement pĂ©roniste consiste en un Parti justicialiste (PJ) et en un ensemble de syndicats pĂ©ronistes, regroupĂ©s (et mis au pas) dans la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale du travail de la RĂ©publique argentine (CGT), laquelle cependant se dĂ©composera bientĂŽt en plusieurs petites fĂ©dĂ©rations syndicales. Sous la direction de PerĂłn, le PJ se bornait Ă  ĂȘtre le bras politique du mouvement pĂ©roniste, sa reprĂ©sentation parlementaire, le but Ă©tant de mobiliser les services de l’État pour les intĂ©rĂȘts du mouvement[15], tout en bridant le pouvoir d’influence que les institutions du parti pourraient avoir sur les objectifs politiques. Le parti n’était, en comparaison des organisations de base qui lui Ă©taient liĂ©es, dotĂ© que d’une organisation faible ; les structures de base en revanche exerçaient, par leurs dirigeants fortement personnalisĂ©s, une influence massive sur le parti et dĂ©finissaient son orientation[16].

AprĂšs la chute de PerĂłn en 1955, le mouvement pĂ©roniste et les dirigeants des syndicats loyalistes s’émanciperont, mais ne cesseront dans le mĂȘme temps d’invoquer leur chef exilĂ© et voudront poursuivre sa politique en son nom[17]. À cĂŽtĂ© des syndicats orthodoxes surgirent une multiplicitĂ© de groupes dissidents, dont les motifs allaient de marxistes Ă  nationalistes et qui en partie se combattaient entre eux. Le mouvement pĂ©roniste apparaissait dorĂ©navant trĂšs hĂ©tĂ©rogĂšne, divisĂ© en plusieurs fractions qui rivalisaient entre elles et poursuivaient des buts politiques trĂšs divergents, le plus puissant de ces groupes restant cependant l’aile syndicale[18]. Il apparut clairement Ă  prĂ©sent que « le pĂ©ronisme en tant que mouvement historique [
] ne disposait d’aucune ligne idĂ©ologique claire, le parti pas davantage que le mouvement »[19].

Fut ainsi mis sur pied un Commandement tactique (Comando TĂĄctico), chargĂ© de conduire la politique sur le territoire argentin et dirigĂ© par un dĂ©lĂ©guĂ© personnel de PerĂłn (dont le premier en date fut John William Cooke, nommĂ© par PerĂłn de sa rĂ©sidence Ă  Caracas le ). Sous l’effet de cette procuration, l’on assista Ă  une inĂ©vitable fragmentation tant de la doctrine que du mouvement, oĂč combativos, dialoguistas, participacionistas entendaient tous interprĂ©ter PerĂłn Ă  leur maniĂšre. Si « l’organisation vainc le temps », nĂ©anmoins cette transformation Ă  la suite de 1955 devait changer substantiellement la rĂ©alitĂ© horizontale du mouvement. Cependant, du point de vue du peuple, tous les intermĂ©diaires se trouvaient privĂ©s de pouvoir personnel ; leur pouvoir Ă©tait exercĂ© « par dĂ©lĂ©gation » et leur Ă©tait octroyĂ© ou retirĂ© selon ce qui apparaissait opportun aux yeux exclusifs du Commandement supĂ©rieur, et dĂšs que survenait une vellĂ©itĂ© d’opposition, une intervention sommaire y mettait bientĂŽt un terme (p.ex. l’envoi d’Isabel PerĂłn en Argentine pour contrer le pĂ©ril du vandorisme en 1965[20]).

Rassemblement de masse sur la place du CongrĂšs Ă  Buenos Aires Ă  l’occasion de l’investiture prĂ©sidentielle d’HĂ©ctor CĂĄmpora en 1973.

Il en rĂ©sulta que le Mouvement pĂ©roniste aborda l’annĂ©e 1973 sans structure organisationnelle globale. Il y a une ribambelle de fractions internes qui luttent pour le pouvoir dĂ©lĂ©guĂ©, chacune supposant que sa propre interprĂ©tation des intentions du conducteur Ă©tait celle correcte ― chose Ă©videmment impossible ; PerĂłn n’était pas « interprĂ©table » et sa mort en 1974 laissa le mouvement pĂ©roniste sans structuration, sans projet de prise de pouvoir, et placĂ© aux mains d’un parti politique manƓuvrĂ© par les secteurs de la classe moyenne, dont l’unique objectif Ă©tait de prĂ©server ses privilĂšges. Le rĂ©sultat fut que, dans la pratique, le mouvement se fractura et se transforma en un groupement de factions partageant tous, au-delĂ  de conceptions stratĂ©giques diffĂ©rentes, une mĂȘme identification politique tactique, sous la forme du Parti justicialiste. Maintenir vivante cette identification sera un objectif central pour l’ensemble du justicialisme, compte tenu que, une fois abandonnĂ© l’objectif commun d’accession au pouvoir du mouvement pĂ©roniste, la seule chose qui subsistait Ă©tait le projet politicien de conquĂ©rir le gouvernement ou de s’y maintenir.

La classe moyenne au sein du parti se lança alors dans une lutte interne visant Ă  rĂ©duire le pouvoir des mouvementistes et Ă  civiliser le parti, pour le rendre acceptable pour l’establishment. AprĂšs la dĂ©mocratisation de l’Argentine en 1983, et avec la dĂ©faite Ă©lectorale de 1983 (oĂč le binĂŽme justicialiste composĂ© de Luder et de Bittel perdit face Ă  la fĂłrmula de l’UCRl rĂ©unissant AlfonsĂ­n et MartĂ­nez), le mouvement acheva de se rompre tout Ă  fait. Cependant, par la RĂ©novation de 1985 (oĂč Carlos Menem, Antonio Cafiero, Carlos Grosso, entre autres, Ă©vincĂšrent le comitĂ© directeur du PJ, dont Herminio Iglesias), le parti sut s’emparer de la direction politique aux dĂ©pens des syndicats et n’entretint plus avec la base que des liens plus ou moins distendus, au grĂ© des factions rĂ©gnant au sein du parti[21]. Cette transformation de la structure d’organisation du pĂ©ronisme trouve son origine d’une part dans le processus de dĂ©mocratisation, qui visait Ă  l’instauration d’une dĂ©mocratie reprĂ©sentative par le dĂ©veloppement d’un secteur partidaire renforcĂ©[22], d’autre part dans l’image traditionnelle devenue impopulaire d’un monde syndical divisĂ©, impopularitĂ© qui s’était traduite par la dĂ©faite Ă©lectorale de 1983. Sous la banniĂšre du nĂ©o-pĂ©ronisme, Menem poussa dans la dĂ©cennie 1980 les grandes fĂ©dĂ©rations syndicales Ă  se ranger sur sa ligne[23] . Le parti rĂ©ussit ainsi Ă  prendre dĂ©finitivement le contrĂŽle politique (en adoptant l’idĂ©ologie nĂ©o-dĂ©veloppementaliste libĂ©rale), ce qui dĂ©bouchera en 1989 sur la victoire de Carlos Menem, qui avait Ă©mergĂ© d’une situation interne oĂč les dĂ©clamations supposĂ©ment justicialistes s’étaient substituĂ©es au pĂ©ronisme rĂ©volutionnaire des origines et de la RĂ©sistance pĂ©roniste (1955-1972).

En mĂȘme temps que sa transformation en un parti parlementaire normal aprĂšs 1983, le PJ se priva dans une grande mesure de sa lĂ©gitimation populaire traditionnelle. Les rĂ©formes libĂ©rales de Menem, effectuĂ©es en opposition Ă  la base de son propre mouvement, mirent au jour la scission entre PJ et syndicats et, par lĂ , entre l’élite du parti et la base populaire. Depuis PerĂłn, invoquer sa propre base et s’y rĂ©fĂ©rer directement avait constituĂ© pour la direction pĂ©roniste le principal pilier du mouvement. Comme indiquĂ© ci-haut, avec l’avĂšnement du nĂ©o- pĂ©ronisme, le PJ servait avant tout de cadre d’organisation aux diffĂ©rents camps rivaux qui s’opposaient au sein du parti. En tant que plus grand parti d’Argentine, le PJ disposait des ressources nĂ©cessaires et d’un Ă©lectorat captif fidĂšle, encore qu’il n’y eĂ»t guĂšre de ligne politique commune ni d’esprit unitaire. Lors d’élections, il Ă©tait courant que plusieurs pĂ©ronistes se prĂ©sentent en concurrents l’un de l’autre. Les candidats appartenant Ă  des mouvances diffĂ©rentes sollicitaient les suffrages souvent sous des dĂ©nominations distinctes, parfois mĂȘme pour dissimuler leur appartenance au Parti justicialiste. Le PJ, devenu ainsi un parti populaire englobant un large Ă©ventail politique, manquait de cohĂ©rence et Ă©tait amenĂ© Ă  porter dans l’arĂšne Ă©lectorale ses luttes de position internes, perpĂ©tuant l’habituelle revendication pour soi seul de la reprĂ©sentativitĂ© par chacune des factions.

Base de mobilisation

PerĂłn Ă©tait appuyĂ© au dĂ©part par une large coalition rassemblant des forces conservatrices et nationalistes, d’anciens partisans du radicalisme et des personnalitĂ©s de la gauche modĂ©rĂ©e. En mĂȘme temps que le pĂ©ronisme Ă©tait dispersĂ© en un large Ă©ventail de tendances politiques diverses, une polarisation de la politique argentine entre pĂ©ronistes et anti-pĂ©ronistes survint assez rapidement, dĂ©terminant une configuration qui continue jusqu’à aujourd’hui Ă  imprĂ©gner le systĂšme politique argentin. PerĂłn ne disposant pas au moment de son accession au pouvoir d’un parti structurĂ©, apte Ă  lui offrir une instance d’appui et de mĂ©diation, il fut contraint de se fonder sur une base partisane hĂ©tĂ©rogĂšne et ne prĂ©sentant, Ă  ses dĂ©buts, qu’une faible cohĂ©sion. Pour s’assurer leur soutien, il misa sur son charisme personnel comme figure dirigeante et sur une large base dans la population, tout en Ă©vitant tout positionnement idĂ©ologique clair, qui eĂ»t pu lui coĂ»ter des dĂ©fections parmi ses partisans, lesquels dans une certaine mesure se contredisaient mutuellement[24]. Bien plutĂŽt, son gouvernement se caractĂ©risera par le pragmatisme et une proximitĂ© au peuple, et Ă  mesure que son pouvoir augmentait, il dĂ©veloppera un style gouvernemental autoritaire.

Le large soutien dont il jouissait au sein du peuple Ă©tait tributaire de la mobilisation des syndicats pĂ©ronistes et du secteur ouvrier, auquel PerĂłn avait donnĂ© pour la premiĂšre fois en Argentine une reconnaissance politique et sociale. Il Ă©difia un appareil d’État rigidement interventionniste et Ă©tatique, un État-providence conservateur s’imposant d’en haut, dotĂ© d’une forte composante corporatiste[25]. La politique sociale qu’il mit en Ɠuvre devint la base de lĂ©gitimation essentielle du gouvernement populiste pĂ©roniste, qui visait Ă  s’incorporer, sous la direction incontestĂ©e de PerĂłn, les secteurs ouvriers principalement urbains. Les classes laborieuses se firent ainsi Ă  la fois l’épine dorsale du pĂ©ronisme et le pilier essentiel du pouvoir pĂ©roniste[25].

Sous la domination sans restriction de PerĂłn, l’intĂ©gration politique des masses s’opĂ©ra par le biais de syndicats verticalement permĂ©ables et hiĂ©rarchiquement organisĂ©s et Ă  travers un ensemble d’organisations de base. Ces structures poursuivaient chacune des intĂ©rĂȘts diffĂ©rents, tant du fait de leur orientation politique propre que par les intĂ©rĂȘts de leur clientĂšle respective ou par leur ancrage rĂ©gional. Ces orientations politiques divergentes procĂ©daient chacune de l’orientation personnelle des dirigeants concernĂ©s, lesquels cependant restaient, du vivant de PerĂłn, toujours dans l’ombre de celui-ci et se subordonnaient Ă  lui. PerĂłn sut, en grand conciliateur et en tant que plus petit dĂ©nominateur commun, et comme figure symbolique fondatrice de la communautĂ©, fĂ©dĂ©rer les intĂ©rĂȘts divergents en un mouvement commun.

AprĂšs la mort de PerĂłn, l’élĂ©ment rassembleur ayant ainsi disparu, les dirigeants des diffĂ©rentes organisations se trouvĂšrent affranchis des limitations imposĂ©es Ă  eux par le tout-puissant lĂ­der et s’entredĂ©chirĂšrent, parfois dans des conflits violents, pour l’obtention du rĂŽle de chef du mouvement. Dans le mĂȘme temps, Ă  partir de la dĂ©cennie 1960 et dans une mesure croissante, des forces politiques rĂ©ussirent Ă  s’insinuer dans le parti, qui n’étaient pas issues des organisations de base classiques, et qui par consĂ©quent Ă©taient privĂ©s du lien avec la base et de la proximitĂ© au peuple, seules capables de leur confĂ©rer la traditionnelle lĂ©gitimitĂ© pĂ©roniste.

La dĂ©faite Ă©lectorale de 1983 est imputable principalement aux forces orthodoxes au sein du PJ. L’aile syndicale dominante, dont les orientations s’enracinaient dans la tradition, Ă©tait vue dĂ©sormais comme un anachronisme ; cette aile, quoique porteuse de l’hĂ©ritage populiste du pĂ©ronisme et bien qu’ayant Ă©tĂ© sous PerĂłn l’ñme du parti, apparaissait Ă  prĂ©sent dĂ©passĂ©e, et perdit son influence dans le parti, au profit des rĂ©formateurs, dĂ©liĂ©s de l’ancienne rhĂ©torique et de l’enracinement dans la base. Depuis lors, le parti est dominĂ© par des personnalitĂ©s politiques qui se voient et se dĂ©finissent comme une Ă©lite dirigeante.

Buts politiques

L’idĂ©e de base essentielle du pĂ©ronisme Ă©tait le justicialisme, concept censĂ© reprĂ©senter une troisiĂšme voie entre capitalisme et socialisme, en vue de rĂ©aliser une plus grande justice sociale. L’industrialisation Ă  marche forcĂ©e, la rĂ©partition Ă©quitable des revenus et l’instauration d’un État-providence mettant en Ɠuvre une vaste politique sociale Ă©taient mises en avant comme les buts premiers du mouvement[26]. À cet effet fut suivie une politique exempte de tout dogmatisme et qui veilla, en dĂ©pit de ses prĂ©misses rĂ©formatrices, Ă  ne pas porter prĂ©judice aux classes moyennes et aux Ă©lites sociales, grĂące Ă  quoi PerĂłn entendait assurer leur appui dans la lutte contre les forces politiques du radicalisme[27]. Cette attitude pragmatique Ă©tait cependant contredite par une rhĂ©torique dirigĂ©e contre l’« oligarchie », en particulier contre l’aristocratie agraire traditionnelle des grands propriĂ©taires terriens et des estancieros (grands Ă©leveurs), ainsi que contre l’impĂ©rialisme amĂ©ricain.

La politique sociale de PerĂłn s’inspirait du modĂšle corporatiste propre Ă  certains États autoritaires, et l’on ne pouvait manquer d’y voir quelque similitude avec le rĂ©gime franquiste en Espagne et avec le fascisme italien[28]. Par ailleurs, le pĂ©ronisme Ă©tait imprĂ©gnĂ© d’un fort nationalisme, entendait mener une politique Ă©trangĂšre situĂ©e en dehors des grands blocs, souvent anti-amĂ©ricaine et anti-impĂ©rialiste dans sa premiĂšre phase et Ă  ambition mondiale, mais adoptait dans le mĂȘme temps un positionnement fondamentalement anticommuniste[28]. Cependant, l’inflĂ©chissement de la croissance Ă©conomique au dĂ©but de la dĂ©cennie 1950 portera PerĂłn Ă  se rapprocher des États-Unis.

Le pĂ©ronisme a une double gĂ©nĂ©alogie fasciste se rapportant, d’une part, aux goĂ»ts europĂ©ens de PerĂłn, Ă  son admiration pour Mussolini et pour l’Italie fasciste qu’il visita et « Ă©tudia », d’autre part, Ă  la formation nationaliste de PerĂłn, c’est-Ă -dire Ă  l’influence que les idĂ©es du fascisme argentin eurent sur sa forma mentis. PerĂłn n’était pas fasciste mais, comme l’a suggĂ©rĂ© Tulio HalperĂ­n Donghi, sa mentalitĂ© et sa vocation l’étaient bien. La perception, par les classes moyennes, du pĂ©ronisme comme Ă©tant fasciste est perspicace mais anachronique, en ceci que le pĂ©ronisme s’est dĂ©veloppĂ© en un fascisme d’un genre particulier, adaptĂ© aux rĂ©alitĂ©s du monde de l’aprĂšs-guerre, et par lĂ  substantiellement diffĂ©rent des fascismes originels. Si pour le fascisme l’ennemi doit ĂȘtre Ă©liminĂ©, pour le pĂ©ronisme il doit ĂȘtre ridiculisĂ©, voire persĂ©cutĂ©, mais jamais exterminĂ©. Pas davantage le pĂ©ronisme n’a de vellĂ©itĂ©s impĂ©rialistes ni ne recherche la guerre, comme font tous les fascismes, et en matiĂšre de redistribution, son attitude diffĂšre aussi des politiques corporatistes nĂ©oclassiques du fascisme. Les politiques fascistes sont clairement identifiĂ©es, avec la concentration du capital en quelques mains peu nombreuses, et, alors qu’en gĂ©nĂ©ral les fascismes sont le produit des classes moyennes, le pĂ©ronisme a une base ouvriĂšre que n’eut jamais le fascisme historique. Quoique son origine se situe dans un rĂ©gime protofasciste tel que l’était la dictature de 1943-1945, le pĂ©ronisme, en s’efforçant de modĂ©rer le rĂŽle de l’Église et de l’armĂ©e, se dĂ©marque de l’idĂ©ologie nationaliste de ladite dictature. L’idĂ©e que le putschisme militaire et la religion devaient servir de fondement Ă  la rĂ©alitĂ© politique du pays avait Ă©tĂ© rĂ©duite au minimum par PerĂłn, qui prĂ©fĂšre que ce fondement soit identifiĂ© avec sa propre personne. L’idĂ©e fasciste, originellement argentine, que l’armĂ©e et surtout l’Église devaient jouer un rĂŽle central comme arbitres de la politique, n’est pas tellement importante dans le pĂ©ronisme.

Federico Finchelstein[29]

AprĂšs la chute de PerĂłn, son retour au pouvoir restera pendant longtemps l’objectif prioritaire du mouvement pĂ©roniste, Ă  dĂ©faut sans doute de buts politiques aptes Ă  unifier les diffĂ©rentes mouvances du parti. Toutefois, le fondement de la politique pĂ©roniste restera invariablement l’invocation au peuple. Dans les annĂ©es 1990, la solution de la crise Ă©conomique de l’Argentine devint la prĂ©occupation principale du mouvement, mais cette solution sera envisagĂ©e de façons trĂšs diverses par ses diffĂ©rentes fractions internes.

Catégorisation idéologique

La caractĂ©risation idĂ©ologique du pĂ©ronisme est compliquĂ©e quand on cherche Ă  le dĂ©finir Ă  partir de notions europĂ©ennes qui ne s'appliquent pas forcĂ©ment Ă  l'Argentine. Le mouvement intĂ©gra en son sein de nombreuses convictions politiques diffĂ©rentes et subit au long de son histoire plusieurs transformations fondamentales. La proximitĂ© de PerĂłn avec le fascisme europĂ©en et son admiration pour la dicature franquiste apparaissent incontestables[30]. Nombre de traits du pĂ©ronisme ― notamment son caractĂšre de mouvement, le style caudillo de PerĂłn, et le nationalisme que celui-ci professait ― constituent autant de similitudes avec les rĂ©gimes susmentionnĂ©s, et comparer le pĂ©ronisme avec l’austrofascisme et le fascisme italien permet de mettre au jour des concordances significatives. Cette proximitĂ© apparente du pĂ©ronisme avec le fascisme europĂ©en s’explique toutefois Ă©galement par un ensemble de parallĂ©lismes et de coĂŻncidences temporels et culturels[31].

Le fait que les rĂ©gimes fascistes de l’époque avaient eux aussi intĂ©grĂ© des Ă©lĂ©ments les plus divers ajoute encore Ă  la difficultĂ© d’évaluer politiquement le pĂ©ronisme. Beaucoup de ces Ă©lĂ©ments sont Ă©galement prĂ©sents dans d’autres mouvements politiques, sans que pour autant ils doivent nĂ©cessairement ĂȘtre qualifiĂ©s de fascistes. La rĂ©ponse Ă  la question de savoir si le gouvernement de PerĂłn reprĂ©sente un rĂ©gime fasciste dĂ©pend dans une large mesure de la conception plus ou moins large du fascisme que l’on choisit de prendre comme terme de comparaison. La lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique infaillible des diffĂ©rents gouvernements de PerĂłn et la parentĂ© de sa politique rĂ©elle avec le socialisme davantage qu’avec le nationalisme ne sont assurĂ©ment pas typiques des rĂ©gimes fascistes de cette Ă©poque, tandis qu’une idĂ©ologie totalitaire et omniprĂ©sente fait dĂ©faut dans le cas du pĂ©ronisme. À cela s’ajoute le rĂŽle du catholicisme, qui marquait de sa forte empreinte la sociĂ©tĂ© argentine. Dans les faits, PerĂłn ne parvint jamais Ă  confĂ©rer au pĂ©ronisme une forme idĂ©ologiquement homogĂšne, ce qui ne laissera de se manifester au grand jour Ă  la suite de sa chute, quand son mouvement se dĂ©veloppera dans des directions opposĂ©es. Si nĂ©anmoins le rĂ©gime de PerĂłn a pu prĂ©senter des traits fascistoĂŻdes, il serait abusif de les gĂ©nĂ©raliser au mouvement pĂ©roniste tout entier, qui Ă©tait certes fortement axĂ© sur la personnalitĂ© de PerĂłn comme chef, mais n’était pas idĂ©ologisĂ© incessamment. Souvent, le gouvernement de PerĂłn a pu ĂȘtre taxĂ© de forme moderne de bonapartisme, mais dans l’ensemble, c’est avec la dictature conservatrice et autoritaire de Franco ― mĂątinĂ©e certes d’une philosophie de base (en partie contradictoire) populiste, solidaire et orientĂ©e Ă  la modernitĂ© ― que le pĂ©ronisme sous PerĂłn prĂ©sente la similitude la plus marquĂ©e[32].

Le nĂ©o-pĂ©ronisme ultĂ©rieur se compose de plusieurs groupes, en partie trĂšs disparates idĂ©ologiquement, avec Ă  leur tĂȘte des personnalitĂ©s dirigeantes diverses qui se sont donnĂ© eux-mĂȘmes cette appellation. Carlos Menem, qui fut prĂ©sident entre 1989 et 1999, mena avec son mĂ©nĂ©misme une politique plutĂŽt conservatrice et libĂ©rale, tandis que le prĂ©sident NĂ©stor Kirchner, en poste jusqu’à 2007, tendait plutĂŽt vers la social-dĂ©mocratie.

Les Vingt Vérités Péronistes

Les dĂ©nommĂ©es Veinte Verdades Peronistas (Vingt VĂ©ritĂ©s PĂ©ronistes), qui furent communiquĂ©es au public par Juan PerĂłn le , lors d’un rassemblement organisĂ© sur la place de Mai en commĂ©moration du cinquiĂšme anniversaire du Jour de la LoyautĂ©, figurent parmi les prĂ©misses sous-tendant la doctrine pĂ©roniste. PerĂłn en donna lecture depuis le balcon de la Casa Rosada.

Les Vingt VĂ©ritĂ©s PĂ©ronistes devinrent trĂšs populaires et le principe de plusieurs d’entre elles allait mĂȘme s’enraciner dans la culture populaire. La premiĂšre vĂ©ritĂ© se rĂ©fĂšre Ă  la dĂ©mocratie, dĂ©finie comme un mode de gouvernement « qui fait ce que veut le peuple et ne dĂ©fend qu’un seul intĂ©rĂȘt : celui du peuple ». Les troisiĂšme et quatriĂšme vĂ©ritĂ©s traitent du travail, qu’elles affirment ĂȘtre « un droit » et « un devoir ». La cinquiĂšme vĂ©ritĂ© (« pour un pĂ©roniste, il ne saurait y avoir rien de meilleur qu’un autre pĂ©roniste ») fut rĂ©visĂ©e en 1974 et reformulĂ©e en « pour un Argentin, il ne saurait y avoir rien de meilleur qu’un autre Argentin »[33]. La huitiĂšme vĂ©ritĂ© Ă©nonce qu’il est du devoir de chacun de placer la patrie au-dessus du mouvement, les individus ne devant venir qu’en troisiĂšme lieu ; elle se conjugue avec la vĂ©ritĂ© nÂș15 qui ordonne d’équilibrer les droits de l’individu et ceux de la communautĂ©. La vĂ©ritĂ© nÂș12, Ă  consonance Ă©galitariste, qui se diffusera largement, proclame que « les uniques privilĂ©giĂ©s sont les enfants ». Les vĂ©ritĂ©s nÂș16 et 17 prĂŽnent l’économie sociale (le capital au service du bien-ĂȘtre social) et la justice sociale, respectivement.

Ci-dessous les Vingt VĂ©ritĂ©s PĂ©ronistes telles qu’en donna lecture Juan PerĂłn le :

  1. La vĂ©ritable DĂ©mocratie est celle oĂč le gouvernement fait ce que le peuple veut et dĂ©fend un seul intĂ©rĂȘt : celui du peuple.
  2. Le Péronisme est essentiellement populaire. Tout cercle politique est antipopulaire et, par conséquent, non péroniste.
  3. Le péroniste travaille pour le Mouvement. Celui qui, en son nom, sert un cercle ou un caudillo, ne l'est que de nom.
  4. Il n’existe pour le pĂ©ronisme qu’une seule classe d’Hommes : ceux qui travaillent.
  5. Dans la nouvelle Argentine de PerĂłn, le travail est un droit qui crĂ©e la dignitĂ© de l’Homme et est un devoir, parce qu’il est juste que chacun produise au moins ce qu’il consomme.
  6. Pour un pĂ©roniste de bien, il ne peut y avoir rien de meilleur qu’un autre pĂ©roniste.
  7. Aucun pĂ©roniste ne doit se sentir plus que ce qu’il est ni moins que ce qu’il doit ĂȘtre. Quand un pĂ©roniste commence Ă  se sentir plus que ce qu’il est, il commence Ă  devenir un oligarque.
  8. Dans l’action politique, l’échelle de valeurs de tout pĂ©roniste est la suivante : d’abord la Patrie, puis le Mouvement et ensuite les Hommes.
  9. La politique n’est pas pour nous une fin, sinon seulement le moyen pour le bien de la Patrie, qui est le bonheur de ses enfants et la grandeur nationale.
  10. Les deux bras du pĂ©ronisme sont la justice sociale et l’aide sociale. Avec ceux-lĂ , nous donnons au peuple une Ă©treinte de justice et amour.
  11. Le PĂ©ronisme aspire Ă  l’unitĂ© nationale et non la lutte. Il dĂ©sire des hĂ©ros, mais non des martyrs.
  12. Dans la nouvelle Argentine, les uniques privilégiés sont les enfants.
  13. Un gouvernement sans doctrine est un corps sans Ăąme. C’est pourquoi le PĂ©ronisme a une doctrine politique, Ă©conomique et sociale : le Justicialisme.
  14. Le Justicialisme est une nouvelle philosophie de la vie, simple, pratique, populaire, profondément chrétienne et profondément humaniste.
  15. Comme doctrine politique, le Justicialisme rĂ©alise l’équilibre entre le droit de l’individu et celui de la communautĂ©.
  16. Comme doctrine Ă©conomique, le Justicialisme rĂ©alise l’économie sociale, en mettant le capital au service de l’économie et celle-ci au service du bien-ĂȘtre social.
  17. Comme doctrine sociale, le Justicialisme réalise la justice sociale, qui donne à chaque personne son droit dans sa fonction sociale.
  18. Nous voulons une Argentine socialement Juste, Ă©conomiquement Libre et politiquement Souveraine.
  19. Nous constituons un gouvernement centralisĂ©, un État organisĂ© et un peuple libre.
  20. Sur cette terre, ce que nous avons de meilleur est le peuple.

La constitution justicialiste de 1949

Une source importante de la doctrine justicialiste est la constitution de 1949, connue aussi sous le nom de constitution justicialiste, rĂ©sultat d’une rĂ©forme constitutionnelle qui, ancrĂ©e dans le courant du constitutionnalisme social[34], incorpora dans la constitution de l'Argentine plusieurs des principes du pĂ©ronisme.

Les principaux éléments doctrinaux péronistes inscrits dans la constitution sont les suivants :

  • L’objectif de « constituer une nation socialement juste, Ă©conomiquement libre et politiquement souveraine » (dans le Prologue).
  • Droits du travailleur, de la famille, des personnes ĂągĂ©es, droit Ă  l’instruction et Ă  la culture (art. 37)
  • La fonction sociale de la propriĂ©tĂ©, du capital et de l’activitĂ© Ă©conomique (art. 38-40)

Le principal thĂ©oricien de la constitution justicialiste fut le juriste Arturo Sampay, auteur, entre autres livres, de ConstituciĂłn y pueblo, de 1974, ouvrage oĂč il expose sa conception du droit constitutionnel appuyĂ©e sur l’idĂ©e de bien commun[35].

Respect des principes démocratiques

Sous la premiĂšre prĂ©sidence de PerĂłn, le systĂšme dĂ©mocratique se caractĂ©risait par un prĂ©sidentialisme trĂšs prononcĂ© et par une conception autocratique de l’État[28]. L’assemblĂ©e parlementaire tendait Ă  s’effacer derriĂšre la figure de PerĂłn comme chef de l’État, lequel puisait sa lĂ©gitimitĂ© directement auprĂšs du peuple et du parti[36]. La dĂ©mocratie sous la prĂ©sidence de PerĂłn peut assurĂ©ment ĂȘtre qualifiĂ©e de hautement dĂ©fectueuse, nonobstant qu’il ait Ă©tĂ© chaque fois Ă©lu dĂ©mocratiquement. Le pĂ©ronisme s’entendait comme le reprĂ©sentant de l’ensemble du peuple argentin, les adversaires politiques faisant par consĂ©quent figure d’ennemis, et le fait que la vie politique Ă©tait largement orientĂ©e sur le chef PerĂłn favorisait une conception illibĂ©rale et dĂ©lĂ©gative de la dĂ©mocratie[37]. Les pĂ©ronistes se voyaient, dans leur auto-apprĂ©hension historique, comme formant un parti qui est « soit au gouvernement, soit interdit »[38].

La forte prĂ©gnance des organisations de base pĂ©ronistes et leur pouvoir au sein de la sociĂ©tĂ© argentine durant plusieurs dĂ©cennies seront d’une part l’une des causes des dĂ©faillances de la dĂ©mocratie argentine, et agiront d’autre part, en raison de la menace qu’ils reprĂ©sentaient pour le fonctionnement rĂ©gulier de l’État, Ă  plusieurs reprises comme dĂ©clencheurs d’interventions antidĂ©mocratiques des militaires. Les rĂ©alisations sociales attachĂ©es au nom de PerĂłn eurent pour effet de faire naĂźtre, dans les syndicats organisĂ©s par lui, l’idĂ©e que les droits civiques et politiques seraient Ă  tenir pour moins importants que les droits sociaux[39], cela expliquant pourquoi les Ă©volutions illibĂ©rales et dĂ©lĂ©gatives survenues sous le gouvernement de PerĂłn furent acceptĂ©es par le mouvement, voire encouragĂ©es. Dans ce contexte se forma dans le pĂ©ronisme une perception dĂ©lĂ©tĂšre de la dĂ©mocratie, qui se traduira par des dĂ©ficits dĂ©mocratiques ; sous PerĂłn en effet, l’État de droit et la dĂ©mocratie libĂ©rale tendaient ainsi Ă  s’effacer derriĂšre la sĂ©curitĂ© sociale, tradition poursuivie sous le gouvernement de Menem. Ce dernier prit certes, en partie sous l’effet de la crise Ă©conomique, ses distances vis-Ă -vis des idĂ©aux du pĂ©ronisme, mais maintint pour atteindre ses objectifs le traditionnel style autoritaire de gouvernement.

L’abandon progressif par le Parti justicialiste des stratĂ©gies populistes fut sans doute un soulagement pour la dĂ©mocratie, en revanche, l’on assista sous le mandat de Menem Ă  une inversion des positions en ce sens que Menem, Ă  l’opposĂ© de ses prĂ©dĂ©cesseurs, n’agit plus de façon autoritaire Ă  partir de stratĂ©gies populistes, mais au contraire dans le but de mettre en Ɠuvre des mesures impopulaires, pour partie en dĂ©pit de sa propre base Ă©lectorale. La prĂ©sidence de Menem apparut ainsi vouloir en revenir Ă  l’époque de la dĂ©mocratie dĂ©ficitaire et amener un recul par rapport Ă  la consolidation de la dĂ©mocratie argentine opĂ©rĂ©e dans les annĂ©es suivant 1983. Outre le style de gouvernement dĂ©lĂ©gatif et autoritaire, il y eut aussi des violations de l’État de droit[40]. Son successeur pĂ©roniste NĂ©stor Kirchner aussi se verra reprocher plus d’une fois des tendances populistes, cependant celui-ci observera, bien davantage que ses prĂ©dĂ©cesseurs, les rĂšgles du jeu dĂ©mocratiques.

Populisme

Le pĂ©ronisme passe pour ĂȘtre un mouvement populiste classique, dirigĂ©, sous l’invocation du peuple, contre l’oligarchie Ă©tablie. PerĂłn exploita sciemment les « mouvements de masse » et « la suggestion de masse »[28] comme modes de gouvernement. Dans sa forme prĂ©coce, le pĂ©ronisme se prĂ©senta essentiellement comme un populisme d’émancipation, dirigĂ© contre la domination de la vieille oligarchie conservatrice, qui avait, par le coup d’État de 1930, repris le pouvoir et mis un terme Ă  la premiĂšre expĂ©rience dĂ©mocratique en Argentine entre 1916 et 1930. Avec l’ascension de PerĂłn dans la suite du coup d’État de 1943, le rĂ©gime pĂ©roniste mettra en Ɠuvre une politique dĂ©daignant, par une agitation populiste, les institutions discrĂ©ditĂ©es de l’État ou ne faisant appel Ă  elles que dans la mesure oĂč elles pouvaient servir les objectifs de PerĂłn. Les ressources publiques furent employĂ©es en prioritĂ© pour prĂ©server les relations avec la base et pour rĂ©pondre Ă  ses attentes[41]. Cela n’excluait pas une politique de l’État fort, mais celui-ci ne se prĂ©sentait pas dans la forme telle que prĂ©vue par la constitution, et dĂ©rivait son autoritĂ© directement du peuple et du parti, en contournant le parlement[36].

Le pĂ©ronisme trouva sa base dans le prolĂ©tariat industriel des villes, en particulier de Buenos Aires, prolĂ©tariat dont les effectifs Ă©taient en croissance rapide mais non encore intĂ©grĂ©s politiquement. La redistribution des richesses au moyen de la sĂ©curitĂ© sociale devait fournir Ă  PerĂłn sa base de lĂ©gitimitĂ©, en vue de rĂ©aliser ses objectifs, qui Ă©taient la justice sociale, incessamment mise en avant, et la poursuite de l’industrialisation, conjuguĂ©e Ă  un protectionnisme inspirĂ© par des mobiles nationalistes et anti-impĂ©rialistes face au marchĂ© mondial[42]. À la diffĂ©rence de mouvements populistes similaires actifs en AmĂ©rique latine Ă  la mĂȘme Ă©poque, le prolĂ©tariat rural — et donc les revendications portant sur une rĂ©forme agraire — ne joua pas dans le pĂ©ronisme un rĂŽle de premier plan. Si les populistes classiques aspiraient au pouvoir afin de faire des ressources de l’État un outil au service de leur politique, les nĂ©o-populistes tels que Carlos Menem chercheront davantage, pour poursuivre leurs objectifs, Ă  faire l’impasse sur l’État et ses institutions[43]. Le gouvernement de Menem tendra cependant Ă  s’éloigner de la pratique populiste Ă  mesure qu’il mĂšnera sa politique malgrĂ© sa clientĂšle Ă©lectorale et en la contournant.

Nationalisme

Le nationalisme pĂ©roniste s’adossait au fonds nationaliste blanc, catholique et hispanique de ses prĂ©dĂ©cesseurs[44]. Les sociĂ©tĂ©s des pays voisins Ă©taient considĂ©rĂ©es comme racialement mixtes, et des idĂ©ologĂšmes racistes et antisĂ©mites faisaient la jonction avec les reprĂ©sentations antisĂ©mites d’une Ă©lite nationaliste et catholiciste[44]. La population en majoritĂ© de souche hispanique Ă©prouvait beaucoup de sympathie pour la dictature de Franco en Espagne et continuait de se voir comme faisant partie d’une tradition purement espagnole, qui dans sa conception la distinguait des autres pays d’AmĂ©rique latine. Cependant, le racisme et le nationalisme ne dĂ©terminaient la politique rĂ©elle que dans une mesure limitĂ©e ; la position fondamentale anti-impĂ©rialiste et anticommuniste, inspirĂ©e certes du nationalisme, exerça une influence bien plus grande par ceci qu’elle sous-tendait des rĂ©formes et des bouleversements dans l’économie et la sociĂ©tĂ© destinĂ©s Ă  renforcer l’Argentine au travers d’une communautĂ© nationale unificatrice, selon une conception essentiellement empruntĂ©e au fascisme europĂ©en. Le sociologue et politologue amĂ©ricain Seymour Martin Lipset a caractĂ©risĂ© le pĂ©ronisme comme « populisme national anti-capitaliste », formule qui renferme un certain nombre d’élĂ©ments essentiels de la gestion pĂ©roniste, mais qui tend Ă  surĂ©valuer la composante anti-capitaliste, laquelle fut certes fortement mise en exergue, mais ne fut dans les faits appliquĂ©e que de façon vellĂ©itaire et peu efficace[45].

Condition et émancipation féminines

Eva PerĂłn Ă©mettant son vote dans sa chambre d’hĂŽpital en 1951.

Le pouvoir pĂ©roniste prit un ensemble de mesures propres Ă  rĂ©aliser l’égalitĂ© de droits entre homme et femme. En , en adoptant la loi qui instaurait le suffrage universel (y compris fĂ©minin) en Argentine et qui devait prendre effet Ă  partir des Ă©lections de 1951, le pĂ©ronisme reconnut les droits politiques de la femme. Il fonda dans la foulĂ©e le Parti pĂ©roniste fĂ©minin, qui s’attachera Ă  favoriser une ample participation des femmes Ă  la vie politique, non seulement en tant que militantes, mais aussi Ă  des postes de direction. La position Ă©levĂ©e qu’occupait Eva PerĂłn elle-mĂȘme au sein du pĂ©ronisme Ă©tait le parangon de cette accession des femmes aux plus hauts Ă©chelons du mouvement.

Le scrutin de 1951 vit l’élection de 23 dĂ©putĂ©es nationales (fĂ©minines), toutes sous l’étiquette du Parti pĂ©roniste, aucune n’ayant en effet Ă©tĂ© Ă©lue dans les partis d’opposition[46]. L’une d’elles Ă©tait Delia Parodi, Ă©lue ensuite, en 1953, premiĂšre vice-prĂ©sidente de la Chambre des dĂ©putĂ©s[47]. À la chute de PerĂłn en 1955, plusieurs d’entre elles seront contraintes par la dictature civico-militaire dite RĂ©volution libĂ©ratrice de quitter leurs postes d’élues[46].

En 1949, le pĂ©ronisme instaura d’autre part, au moyen d’une rĂ©forme constitutionnelle, l’égalitĂ© juridique entre homme et femme, en proclamant que cette Ă©galitĂ© prĂ©vaudrait dĂ©sormais aussi « entre les conjoints et au regard de la patria potestad » (article 37, II, 1). En 1950 fut instituĂ© en complĂ©ment le dĂ©lit de « non accomplissement des devoirs d’assistance familiale » (c’est-Ă -dire le versement de la pension alimentaire), afin de lutter contre la propension des pĂšres Ă  s’affranchir de la prise en charge Ă©conomique de ses enfants. Lorsque la Constitution de 1949 eut Ă©tĂ© rendue sans effet par la dictature militaire issue du coup d’État de septembre 1955, la femme mariĂ©e argentine retomba Ă  un statut infĂ©rieur pour plusieurs dĂ©cennies encore ; jusqu’en 1968, elle sera considĂ©rĂ©e au point de vue lĂ©gal comme une personne Ă  incapacitĂ© juridique relative, semblable au statut du mineur d’ñge, et ce n’est qu’en 1985, sous le gouvernement d’AlfonsĂ­n, que sera rĂ©tablie l’égalitĂ© juridique des conjoints au regard de la patria potestad des enfants.

PĂ©ronisme et christianisme

Le pĂ©ronisme sut s’attirer l’appui de plusieurs fractions du christianisme catholique, celles en particulier liĂ©es Ă  la doctrine sociale de l’Église, par le biais du concept central de ladite doctrine : la justice sociale. La chercheuse MarĂ­a Soledad Catoggio a identifiĂ© quatre grandes mouvances chrĂ©tiennes ayant apportĂ© leur soutien au premier pĂ©ronisme : a) le groupe nationaliste autour du pĂšre jĂ©suite et Ă©crivain Leonardo Castellani ; b) un groupe significatif de cadres issus de la section argentine de l’Action catholique et de la Juventud Obrera CatĂłlica (Jeunesse ouvriĂšre catholique, en abrĂ©gĂ© JOC) et de syndicalistes catholiques, tels que p.ex. Emilio Mignone ; c) des intellectuels catholiques ayant assistĂ© aux Cours de culture catholique de l’universitĂ© catholique pontificale Sainte-Marie-de-los-Buenos-Aires, intellectuels liĂ©s Ă  la revue Criterio, parmi lesquels figurait Pablo A. Ramella, membre de la convention constituante, et liĂ©s Ă©galement aux secteurs gagnĂ©s aux idĂ©es de Jacques Maritain, notamment Arturo Sampay ; d) le groupe fondĂ© par le prĂȘtre HernĂĄn BenĂ­tez, qui avait travaillĂ© Ă  la Fondation Eva PerĂłn et allait publier plus tard, durant la rĂ©sistance pĂ©roniste, la revue RebeldĂ­a[48].

Comme l’explique María Soledad Catoggio :

« Pour plusieurs analystes, l’originalitĂ© du pĂ©ronisme fut celle d’avoir fondĂ© sa propre conception du religieux appuyĂ©e sur l’émancipation des travailleurs, sur le culte civico-religieux Ă  sa femme Eva, et sur la construction d’un lignage, oĂč il [Juan PerĂłn] se proposait lui-mĂȘme comme continuateur du « christianisme primitif » (Lila Caimari, 1995 ; Humberto Cuchetti, 2005). Ce lignage eut le double effet de donner lieu Ă  une diffĂ©renciation dogmatique vis-Ă -vis de l’autoritĂ© ecclĂ©siastique et de maintenir dans le mĂȘme temps un appel identitaire Ă  l’intention des fractions du catholicisme s’identifiant avec ce modĂšle historico-utopique. En ce sens, la dislocation que produisit la rencontre — et le choc— avec le pĂ©ronisme Ă©roda la solidaritĂ© corporative d’une institution [l’Église catholique] qui jusqu’alors avait opĂ©rĂ© selon des principes fortement verticaux[48]. »

La confrontation entre pĂ©ronistes et Église catholique survenue en 1954 et 1955 provoqua un Ăąpre dĂ©bat et suscita des prises de positions, tant au sein du pĂ©ronisme que du catholicisme. Cependant, l’étroite relation entre le pĂ©ronisme et le christianisme subsistera aprĂšs le renversement de PerĂłn, tout en prenant des formes nouvelles Ă  la suite du Concile Vatican II et de l’avĂšnement de la ThĂ©ologie de la libĂ©ration, centrĂ©e sur l’option prĂ©fĂ©rentielle pour les pauvres, et imprĂ©gnera les divers mouvements sociaux catholiques argentins tels que la ThĂ©ologie du peuple, dont un des animateurs Ă©tait Lucio Gera, le Mouvement des prĂȘtres pour le tiers monde (en esp. Movimiento de Sacerdotes para el Tercer Mundo), et le mouvement des Curas villeros, proche des prĂȘtres ouvriers[48]. Le pape François, sympathisant du pĂ©ronisme, fut formĂ©, et construisit sa vision pastorale, sous l’influence de ces mouvements[49].

Attitude pĂ©roniste envers la communautĂ© juive d’Argentine et IsraĂ«l

Le pĂ©ronisme, doctrine centrĂ©e essentiellement sur l’économique et le politique, ne prĂ©sentait pas de traits antisĂ©mites ou nazis. Avant l’arrivĂ©e au pouvoir de PerĂłn, l’Argentine comptait la plus grande population juive d’AmĂ©rique latine. Élu prĂ©sident, PerĂłn n’hĂ©sita pas Ă  solliciter des membres de la communautĂ© juive Ă  participer Ă  son gouvernement ; ainsi, sous son troisiĂšme mandat (1973), l’un de ses principaux conseillers Ă©tait JosĂ© Ber Gelbard, Argentin juif d’origine polonaise[50]. Dans son ouvrage Inside Argentina from PerĂłn to Menem, l’auteur Laurence Levine, ancienne prĂ©sidente de la Chambre de commerce amĂ©ricano-argentine, a tenu Ă  souligner que « nonobstant l’existence d’un antisĂ©mitisme en Argentine, les points de vue de PerĂłn et ses connexions politiques n’étaient pas anti-sĂ©mites »[51]. La Jewish Virtual Library amĂ©ricaine reconnaĂźt que si Juan PerĂłn avait pu sympathiser pendant la guerre avec les puissances de l'Axe, « PerĂłn se disait aussi attachĂ© aux droits des Juifs et Ă©tablit des relations diplomatiques avec IsraĂ«l dĂšs 1949. Par la suite, plus de 45 000 Juifs ont immigrĂ© en Israel depuis l’Argentine ». Pourtant, l’accession au pouvoir de PerĂłn en 1946 ne laissa pas d’inquiĂ©ter nombre de Juifs, en raison de ses supposĂ©s sympathies nazies et penchants fascistes[52]. Il est vrai que PerĂłn fit cesser pendant un temps l’immigration juive en Argentine, introduisit l’instruction religieuse catholique dans les Ă©coles publiques et permit que l’Argentine devĂźnt dans l’immĂ©diat aprĂšs-guerre un refuge pour personnalitĂ©s nazies en fuite[52].

Le prĂ©sident PerĂłn aux cĂŽtĂ©s de JosĂ© Ber Gelbard, juif d’origine polonaise et son ministre de l’économie de mai 1973 Ă  octobre 1974.

Ces Ă©lĂ©ments — la neutralitĂ© de l’Argentine durant la DeuxiĂšme Guerre mondiale, l’admission dans le pays de criminels de guerre comme Eichmann, certains appuis d’extrĂȘme droite pendant la campagne Ă©lectorale de PerĂłn, etc. —, qui concoururent Ă  cristalliser cette image d’un PerĂłn d’extrĂȘme droite, peuvent cependant, affirme l’historien israĂ©lien Raanan Rein, s’expliquer par le contexte historique[53]. En ce qui concerne la politique de neutralitĂ©, il y a lieu de tenir compte que quatre prĂ©sidents diffĂ©rents, deux civils et deux militaires, appuyĂšrent tour Ă  tour cette politique de neutralitĂ© ; il ne s’agissait donc pas d’une politique spĂ©cifiquement pĂ©roniste, mais d’une politique argentine, qui du reste jouissait alors d’une assez large adhĂ©sion. Le fait que lors de sa campagne Ă©lectorale, il fut soutenu par quelques organisations d’extrĂȘme droite, telles que l’Alliance libĂ©ratrice nationaliste (Alianza Libertadora Nacionalista), et son alliance avec l’Église catholique, ont pu crĂ©er de lui une image dĂ©favorable dans certains cercles juifs argentins et susciter des craintes quant Ă  son attitude vis-Ă -vis des Juifs. En ce qui concerne l’entrĂ©e d’immigrants allemands fuyant l’Europe aprĂšs la Seconde Guerre et en particulier l’accueil fait Ă  quelques criminels de guerre, il y a lieu de situer ces entrĂ©es dans une perspective comparative et rappeler que de tels personnages avaient trouvĂ© refuge dans d’autres pays Ă©galement ; de plus, la majoritĂ© de ces transfuges pĂ©nĂ©trĂšrent sur le territoire Ă  l’aide de faux documents, et parfois Ă  la faveur de la pression exercĂ©e par le Vatican sur les autoritĂ©s argentines. Dans certains cas, comme celui d’Eichmann justement, il est inexact qu’une fois entrĂ©es dans le pays, ces personnes eussent Ă©tĂ© accueillies les bras ouverts. Un examen de l’attitude en la matiĂšre des gouvernements argentins ultĂ©rieurs permet de constater qu’une politique de maintien de la souverainetĂ© Ă  tout prix, se traduisant notamment par un rejet des demandes d’extradition, caractĂ©risera de mĂȘme les autres gouvernements. Il demeure nĂ©anmoins qu’existait effectivement le dessein d’attirer dans le pays des scientifiques et techniciens allemands, de qui il Ă©tait escomptĂ© qu’ils contribueraient au dĂ©veloppement industriel et scientifique ; toutefois, l’Argentine n’était pas en cela un cas unique[53].

Cette rĂ©putation d’antisĂ©mitisme qui reste attachĂ©e Ă  la personne de PerĂłn s’explique sans doute aussi en partie par l’attitude de la fraction dirigeante de la communautĂ© juive argentine, qui, aussitĂŽt PerĂłn Ă©vincĂ© du pouvoir en septembre 1955, ne mĂ©nagea pas ses efforts pour effacer de la mĂ©moire collective l’appui que des personnalitĂ©s juives et des groupements juifs avaient donnĂ© au premier pĂ©ronisme — attitude qui Ă©tait en partie une rĂ©percussion de la politique des nouvelles autoritĂ©s nationales, appliquĂ©es Ă  dĂ©pĂ©roniser la sociĂ©tĂ© argentine. En quelque sorte, le rĂ©sultat obtenu sur ce plan par les dirigeants juifs communautaires a surpassĂ© celui des autoritĂ©s nationales, attendu que la majoritĂ© des Juifs argentins, et aussi des non juifs, tiennent aujourd’hui encore (2015) pour acquis que la communautĂ© juive Ă©tait en sa grande majoritĂ© hostile au pĂ©ronisme[53].

Si PerĂłn autorisa de nombreux criminels nazis Ă  trouver refuge en Argentine, il attira dans le mĂȘme temps nombre d’immigrants juifs. L’Argentine hĂ©berge une population juive de plus de 200 000 personnes, la plus grande d’AmĂ©rique latine, et l’une des plus grandes au monde[54]. Les Ă©lites argentines avaient une position trĂšs ambivalente, voire contradictoire, envers les immigrants, en particulier envers les immigrants non catholiques et non europĂ©ens, en raison de quoi il Ă©tait assez malaisĂ© pour les Argentins d’origine juive, arabe, japonaise etc. de s’intĂ©grer dans les diffĂ©rents milieux de la sociĂ©tĂ© argentine. Sous le premier pĂ©ronisme, l’accent mis auparavant sur le creuset de races, dans lequel les immigrants Ă©taient tenus de mettre de cĂŽtĂ© toutes leurs caractĂ©ristiques ethniques et tous leurs anciens liens, leur langue, pour se transformer en Argentins, fut abandonnĂ© par PerĂłn, celui-ci cessant en effet, sans doute en accord avec son rejet de beaucoup d’idĂ©es libĂ©rales, de mettre au premier plan les droits individuels, et privilĂ©giant dĂ©sormais au contraire les droits collectifs, raison pour laquelle il lĂ©gitima les tentatives des diffĂ©rents groupes d’immigrants de prĂ©server, parallĂšlement Ă  l’argentinitĂ©, quelque composante identitaire ethnique ; PerĂłn ne vit aucune contradiction entre leur qualitĂ© d’Argentins et leur identitĂ© d’Arabes, de Japonais, de Juifs etc. Selon l’historien Raanan Rein, le PerĂłn des annĂ©es 1940 et 1950 ne percevait aucun antagonisme dans cette double allĂ©geance et s’employa au contraire Ă  instrumentaliser et Ă  mettre Ă  profit les attaches gardĂ©es par ces groupes d’immigrants avec leurs mĂšres-patries — mieux encore : dans un discours, il dĂ©clara qu’un bon Juif en Argentine se devait appuyer le sionisme et l’État d’IsraĂ«l[53].

Eva Perón recevant la PremiÚre ministre israélienne Golda Meir à la Casa Rosada en 1951.

Le , l’Argentine s’abstint lors du vote Ă  l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de l’ONU sur le plan de partage de la Palestine, vote qui fut suivi peu aprĂšs par la fondation de l’État d’IsraĂ«l. NĂ©anmoins, l’État hĂ©breu une fois Ă©tabli, l’Argentine sera le premier pays latino-amĂ©ricain Ă  ouvrir une ambassade en IsraĂ«l, et PerĂłn enverra Ă  Tel Aviv le premier ambassadeur argentin juif, Pablo Manguel, dirigeant de l’OIA (OrganizaciĂłn Israelita Argentina) et cultivera des liens trĂšs Ă©troits et de grande importance avec l’État nouvellement crĂ©Ă©. En outre, la Fondation Eva PerĂłn expĂ©dia des couvertures et des mĂ©dicaments aux campements d’immigrants en IsraĂ«l. Le premier pĂ©ronisme fut, du point de vue des relations bilatĂ©rales israĂ©lo-argentines, une des meilleures dĂ©cennies et l’une de celles prĂ©sentant le plus petit nombre d’incidents antisĂ©mites de toute l’histoire de l’Argentine. À aucun moment, PerĂłn ne vit d’antinomie entre la condition d’Argentin et de Juif[53].

Selon Raanan Rein encore, le pĂ©ronisme « catapulta la communautĂ© juive dans la sphĂšre publique argentine ». Parmi les personnalitĂ©s juives illustrant cette promotion sociale, il cite le cas d’Amram Blum, rabin orthodoxe originaire de JĂ©rusalem, membre de la communautĂ© judĂ©o-syrienne argentine, qui jouissait d’un grand ascendant au sein de la collectivitĂ© juive, et qui devint un des conseillers de PerĂłn et Ă  ce titre agit comme un trait-d’union entre PerĂłn et la communautĂ© juive d’Argentine. Cela gĂȘnait grandement les opposants Ă  PerĂłn et contribua mĂȘme Ă  crĂ©er une image philosĂ©mite du pĂ©ronisme. Pendant le conflit entre PerĂłn et l’Église qui Ă©clata fin 1954 et se prolongea en 1955, les factions nationalistes-catholiques aimaient Ă  relever l’influence que le judaĂŻsme exercerait sur le pĂ©ronisme. Parmi les nombreux autres intellectuels juifs ayant appuyĂ© PerĂłn et bĂ©nĂ©ficiaires de cette promotion sociale inĂ©dite, Raanan Rein cite en particulier la figure du journaliste, Ă©crivain et scĂ©nariste CĂ©sar Tiempo, un des intellectuels juifs les plus importants d’Argentine au XXe siĂšcle ; aprĂšs qu’il eut acceptĂ© le poste de directeur de rĂ©daction du supplĂ©ment culturel du quotidien La Prensa, rĂ©cemment expropriĂ© par le gouvernement pĂ©roniste, il y publiera sur deux ou trois ans plus d’auteurs juifs que le journal La NaciĂłn en un demi-siĂšcle. L’historien Raanan Rein conclut qu’« avec le pĂ©ronisme, de nouvelles possibilitĂ©s se sont ouvertes pour les Juifs dans ce pays [
] ; ainsi, sans vouloir insinuer par lĂ  qu’ils auraient Ă©tĂ© exclus dans l’Argentine prĂ©-pĂ©roniste, l’accĂšs qu’ils eurent depuis lors Ă  diverses fonctions dans les diffĂ©rentes entitĂ©s de l’État reprĂ©sente un changement non seulement quantitatif, mais aussi qualitatif »[53].

Idéologues du péronisme

  • Juan PerĂłn
Les discours, les actes et l’Ɠuvre politique de PerĂłn constituent une source de premiĂšre importance pour la doctrine pĂ©roniste. Chez les historiens et chez les pĂ©ronistes eux-mĂȘmes, il est d’usage de distinguer le premier PerĂłn, correspondant au premier pĂ©ronisme, et le dernier PerĂłn, renvoyant Ă  celui qui de son exil espagnol revint en Argentine en 1973. On peut discerner chez PerĂłn un autre cycle idĂ©ologique encore, correspondant Ă  sa pĂ©riode d’exil entre 1955 et 1972, oĂč il Ă©tait dĂ©clarĂ© hors la loi et proscrit politiquement.
  • Eva PerĂłn
Eva PerĂłn a pour la doctrine pĂ©roniste une importance semblable Ă  celle de PerĂłn. Certains courants du pĂ©ronisme accordent plus d’importance Ă  la pensĂ©e d’Eva PerĂłn qu’à celle de Juan PerĂłn, de qui ils critiquent certaines positions et actions, en particulier ses rapports avec le groupe parapolicier Triple A. Apparaissent importants Ă  cet Ă©gard les discours d’Eva PerĂłn, son Ɠuvre politique et les deux ouvrages qu’elle rĂ©digea, La razĂłn de mi vida (1951, traduction française la Raison de ma vie) et Mi mensaje (1952, Mon message).
  • Autres idĂ©ologues du pĂ©ronisme
D’autres idĂ©ologues du pĂ©ronisme occupent, en fonction des diffĂ©rents courants, une place plus ou moins grande. Parmi ceux pour lesquels existe un certain consensus figurent Arturo Jauretche et RaĂșl Scalabrini Ortiz.
Apparaissent Ă©galement comme des idĂ©ologues importants du pĂ©ronisme les prĂ©sidents pĂ©ronistes successifs, quoiqu’avec d’importantes discordances attribuables aux diffĂ©rents courants pĂ©ronistes auxquels ils appartenaient : HĂ©ctor J. CĂĄmpora, Carlos Menem, Eduardo Duhalde, NĂ©stor Kirchner et Cristina FernĂĄndez de Kirchner. L’ancienne prĂ©sidente MarĂ­a Estela MartĂ­nez de PerĂłn n’a pas d’adeptes dans le pĂ©ronisme.
Il existe encore d’autres rĂ©fĂ©rences idĂ©ologiques, importantes par leur influence au sein du pĂ©ronisme, que ce soit par leurs idĂ©es ou par leur Ɠuvre ; ce sont en particulier : Miguel Miranda, John William Cooke, RamĂłn Carrillo, AndrĂ©s Framini, Raimundo Ongaro, Juan JosĂ© HernĂĄndez Arregui, le prĂȘtre Carlos Mugica, Rodolfo Walsh, Arturo Sampay, Rodolfo PuiggrĂłs, SaĂșl Ubaldini, FermĂ­n ChĂĄvez, Julio Godio, Norberto Galasso, Jorge Abelardo Ramos, Antonio Cafiero, Julio BĂĄrbaro, Horacio Verbitsky, Salvador Treber, Jorge Castro, Juan Tedesco, Aldo Ferrer, Adriana PuiggrĂłs, Pino Solanas, Leonardo Favio, Miguel Bonasso et Eduardo Anguita (es).

Positionnement international

Dans le domaine des relations internationales, PerĂłn se faisait incessamment l’avocat d’une troisiĂšme position Ă©quidistante entre le communisme soviĂ©tique et le capitalisme amĂ©ricain, ce qui le conduisit Ă  appuyer le Mouvement des pays non alignĂ©s et Ă  Ă©tablir des points de convergence avec Nasser et avec Nehru, mais ne l’empĂȘchera pas toutefois de ratifier l’acte de Chapultepec le , cĂ©dant sur ce point aux pressions nord-amĂ©ricaines, au grand dĂ©pit et Ă  la colĂšre des fractions nationalistes de son mouvement.

PerĂłn ne manquait jamais de faire profession de sa foi hispano-amĂ©ricaniste (« l’annĂ©e 2000 nous trouvera unis ou dominĂ©s »), dont une des manifestations fut l’impulsion qu’il donna au Pacte ABC (signĂ© entre l’Argentine, le BrĂ©sil et le Chili), et cultiva de bonnes relations avec tous les chefs d’État de la rĂ©gion, c’est-Ă -dire nommĂ©ment : les gouvernements constitutionnels de Carlos Ibåñez del Campo au Chili, d’Enrique Hertzog en Bolivie[55], aussi bien que les gouvernements dictatoriaux comme celui d’Alfredo Stroessner au Paraguay et de Marcos PĂ©rez JimĂ©nez au Venezuela, qui lui accorderont d’ailleurs l’asile aprĂšs le coup d’État de 1955, et celui de Manuel A. OdrĂ­a au PĂ©rou, de mĂȘme que ceux, Ă©galement dictatoriaux, d’Anastasio Somoza GarcĂ­a du Nicaragua, d’Eurico Gaspar Dutra au BrĂ©sil, et, plus tard, d’Augusto Pinochet au Chili. En 1954, il restitua au Paraguay les trophĂ©es de guerre de la guerre de la Triple-Alliance : drapeaux, armes et autres reliques[55].

En 1947, aprĂšs que le gouvernement guatĂ©maltĂšque de Juan JosĂ© ArĂ©valo eut adoptĂ© son code du travail, les compagnies de navigation nord-amĂ©ricaines cessĂšrent de desservir les ports de ce pays. Cela Ă©quivalait en pratique Ă  un blocus maritime, attendu que le Guatemala ne disposait pas de sa propre marine marchande. ArĂ©valo se rendit alors auprĂšs de PerĂłn en mission secrĂšte, Ă  la suite de quoi le prĂ©sident justicialiste ordonna au directeur de la Flotte marchande d’Argentine qu’à partir de ce moment tous les navires battant pavillon national fissent escale au Guatemala. Dans le mĂȘme temps, furtivement, les navires marchands argentins transporteront vers le Guatemala des armes pour permettre Ă  la rĂ©volution populaire guatĂ©maltĂšque de se dĂ©fendre[55].

Six ans plus tard, lors de la DixiĂšme ConfĂ©rence interamĂ©ricaine de 1954, quand les États-Unis faisaient pression pour que fĂ»t approuvĂ© un projet de dĂ©claration lĂ©gitimant leur intervention au Guatemala, les reprĂ©sentants argentins adoptĂšrent une attitude dĂ©libĂ©rĂ©ment ambiguĂ«, et s’abstinrent, aux cĂŽtĂ©s du Mexique, de voter pour une motion de condamnation du rĂ©gime d’Árbenz[56]. DĂ©jĂ  pendant la NeuviĂšme ConfĂ©rence interamĂ©ricaine de 1948, les reprĂ©sentants argentins et guatĂ©maltĂšques s’étaient accordĂ©s sur une position conjointe, condamnant le colonialisme amĂ©ricain Ă  Porto Rico, et rĂ©ussissant Ă  faire approuver la rĂ©solution XXXIII, par laquelle Ă©taient proposĂ©es des « mĂ©thodes pacifiques pour l’abolition du colonialisme »[55]. AprĂšs le coup d’État exĂ©cutĂ© par la CIA contre le gouvernement d'Árbenz, PerĂłn envoie des avions militaires au Guatemala pour ramener en Argentine les rĂ©fugiĂ©s, de toutes tendances politiques ou nationalitĂ©s, mais les communistes sont nĂ©anmoins fichĂ©s par la police[57].

Accueil de criminels nazis en fuite

PerĂłn avec Rodolfo Freude (2e Ă  partir de la gauche).

Le recueil de criminels nazis fugitifs aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, dont notamment Josef Mengele et Adolf Eichmann, eut lieu avec la complaisance, voire le soutien de PerĂłn. Avec l’aide de l’Église catholique[58] et des services secrets, parmi lesquels le service de renseignements argentin DivisiĂłn de Informaciones sous la direction de Rodolfo Freude, d’ascendance allemande, un grand nombre de criminels nazis parvinrent en AmĂ©rique du Sud, plus particuliĂšrement en Argentine. À l’égal d’autres gouvernants sud-amĂ©ricains, PerĂłn sympathisait avec les puissances de l'Axe. D’autre part, les militaires autant que les pĂ©ronistes souhaitaient faire de l’Argentine une troisiĂšme superpuissance et rivalisaient avec les AlliĂ©s de la Seconde Guerre mondiale dans la course pour le recrutement de scientifiques et d’experts en armement allemands, qu’ils dĂ©siraient utiliser au service du dĂ©veloppement de leur propre puissance[59]. Avec en arriĂšre-plan la Guerre froide Ă  ses dĂ©buts, la possibilitĂ© Ă©tait envisagĂ©e d’une TroisiĂšme Guerre mondiale, lors de laquelle incomberait Ă  l’Argentine et au catholicisme un rĂŽle essentiel dans la perspective d’un futur nouvel ordre mondial[44] - [59].

Conséquences et résultats de la politique péroniste

Conformation de la scĂšne politique en Argentine

Le caractĂšre ouvert du pĂ©ronisme et son aptitude Ă  intĂ©grer en son sein une multiplicitĂ© de courants politiques conduisirent Ă  la formation d’un ample mouvement populaire qui, tant qu’il n’était pas frappĂ© d’interdiction, domina tout l’éventail des partis en Argentine. Par cette politique d’accueil, et aidĂ© par la concomitante interdiction de nombreux groupes radicaux, le pĂ©ronisme sut bientĂŽt s’attacher tout le mouvement ouvrier et ses chefs de file, qui voyaient quelque avantage dans le pĂ©ronisme en comparaison de leurs anciennes allĂ©geances. Nombre de leurs revendications purent ainsi, Ă  l’aide d’une organisation forte et avec l’appui de l’État, trouver satisfaction[23].

Pour l’UCR au contraire ― l’autre parti argentin traditionnel, grande championne du respect de la lĂ©galitĂ© constitutionnelle[60], prĂŽnant une dĂ©mocratie plutĂŽt libĂ©rale, et se comprenant comme un parti clientĂ©liste de l’élite[61]―, le pĂ©ronisme incarnait le pĂŽle opposĂ© inconciliable. Le parti radical avait luttĂ© pour la dĂ©mocratie en Argentine et l’avait obtenue en 1916, mais s’était peu souciĂ© de mettre sur pied un ample mouvement organisĂ© dans la population, et par lĂ  demeura largement un club politique Ă©litaire.

Le PJ put ainsi dominer la scĂšne politique de façon ininterrompue, aussi longtemps du moins qu’il n’était pas interdit ; mais mĂȘme proscrit, il continua de manifester sa prĂ©sence. Du reste, les Ă©lections en temps de proscription du PJ ne reprĂ©sentaient pas la volontĂ© des citoyens argentins, comme en tĂ©moignent les votes blancs Ă©mis par les partisans des pĂ©ronistes, qui, additionnĂ©s, eussent remportĂ© la majoritĂ© dans les scrutins. L’UCR ne pouvait par consĂ©quent accĂ©der au pouvoir que par des interventions irrĂ©guliĂšres, que ce fĂ»t au sein mĂȘme du systĂšme dĂ©mocratique ou dans des circonstances de crise, ce qui finit par dĂ©terminer dans le chef de l’électeur une corrĂ©lation entre UCR d’une part et manigances et crises politiques d’autre part, ce qui Ă  son tour contribua peut-ĂȘtre Ă  renforcer encore la popularitĂ© du PJ et Ă  lui donner une position dominante durable.

Conséquences sociales

Le pĂ©ronisme, par son ubiquitĂ©, mais aussi par la polarisation entre pĂ©ronistes et anti-pĂ©ronistes, transforma en profondeur la sociĂ©tĂ© argentine. Il n’y a guĂšre de domaine de la vie publique qui ne fĂ»t touchĂ© par les bouleversements opĂ©rĂ©s par la politique pĂ©roniste. Les institutions publiques et sociales, les organisations de travailleurs, les Ă©tablissements scolaires et les institutions de santĂ© publique et une grande part de l’économie Ă©taient contrĂŽlĂ©s par les pĂ©ronistes, vu que sous PerĂłn tous les postes Ă  responsabilitĂ© furent Ă©purĂ©s de toute force politiquement hostile. L’infrastructure sociale, les institutions et la prĂ©voyance sociale, instaurĂ©es sous le gouvernement de PerĂłn, se trouvaient depuis lors assujetties aux organisations pĂ©ronistes, en particulier les syndicats. Cette pĂ©nĂ©tration de la sociĂ©tĂ© par le pĂ©ronisme dĂ©termina dans la population un haut degrĂ© de politisation susceptible d’ĂȘtre perçu par certains secteurs comme un danger pour l’État argentin et sa constitution. À ce pĂ©ril, les militaires rĂ©agiront de façon rĂ©pĂ©tĂ©e par des interventions ; ainsi y eut-il, y compris lorsque le PJ Ă©tait interdit, une configuration politique en Argentine impliquant deux importants acteurs clef, les forces armĂ©es d’une part et les partisans du pĂ©ronisme d’autre part, entre lesquels les gouvernements successifs durent s’employer Ă  maintenir l’équilibre. Ce jeu politique portera la sociĂ©tĂ© argentine Ă  se figer, exacerbant les problĂšmes Ă©conomiques et sociaux[62].

Les villes constituaient le centre de gravitĂ© du mouvement pĂ©roniste, et le prolĂ©tariat urbain en formait le cƓur de cible, tandis que les travailleurs agricoles continuaient de se mouvoir dans le cadre clientĂ©liste traditionnel dominĂ© par les propriĂ©taires terriens. Le fait de privilĂ©gier les mĂ©tropoles urbaines, en tout premier lieu Buenos Aires, et le rejet Ă  l’arriĂšre-plan des zones rurales, constituaient un point de friction supplĂ©mentaire dans la sociĂ©tĂ© argentine.

Transformations Ă©conomiques

Les grands projets industriels du pĂ©ronisme concernaient Ă©galement l’industrie militaire, tĂ©moin la production nationale d’avions de combat dans les ateliers de la FĂĄbrica Argentina de Aviones (FAdeA) Ă  CĂłrdoba.

Sous la direction de PerĂłn, l’économie argentine sera marquĂ©e par l’instauration de l’État-providence et par un dirigisme d’État prononcĂ© se traduisant par des nationalisations, des mesures protectionnistes et un systĂšme Ă©conomique corporatiste. L’État-providence, trĂšs Ă©laborĂ©, l’un des piliers sur lequel s’appuyait le pouvoir pĂ©roniste, eut des consĂ©quences considĂ©rables pour l’économie argentine.

La crise Ă©conomique amorcĂ©e au dĂ©but des annĂ©es 1950, provoquĂ©e par la faiblesse du capitalisme argentin et par les dĂ©penses sociales en forte croissance, frappa un pays Ă©conomiquement sous-dĂ©veloppĂ© et fondamentalement non encore rĂ©formĂ©, restĂ© dans une large mesure tributaire des marchĂ©s internationaux et sous la tutelle des grands propriĂ©taires fonciers, et restera un lourd fardeau y compris pour les gouvernements ultĂ©rieurs. Par suite, les conditions d’existence des masses se dĂ©gradĂšrent, ce qui ne fit du reste qu’augmenter l’attrait de PerĂłn[63].

MalgrĂ© l’industrialisation accĂ©lĂ©rĂ©e menĂ©e par PerĂłn, la situation Ă©conomique de l’Argentine se dĂ©grada rapidement. Les exportations Ă©taient composĂ©es Ă  87 pour cent de productions agraires, mais mĂȘme celles-ci tendaient Ă  diminuer en importance : en 1940, les exportations argentines de cĂ©rĂ©ales reprĂ©sentaient 36 pour cent de la production mondiale, contre seulement 15 pour cent en 1955. Les gouvernements ultĂ©rieurs s’efforceront de rĂ©tablir la situation en rĂ©orientant la politique Ă©conomique par des rĂ©formes radicales, notamment par l’annulation des mesures sociales prises par PerĂłn. Nombre d’hĂŽpitaux, d’écoles et d’institutions sociales furent alors fermĂ©s et les missions publiques restreintes. Les prix Ă  la consommation, maintenus artificiellement stables sous PerĂłn, augmentĂšrent en peu d’annĂ©es jusqu’à plus de 100 pour cent, et des licenciements massifs furent dĂ©cidĂ©s dans la fonction publique. Par la suite, l’inflation galopante fit baisser les salaires rĂ©els de 50 pour cent, pendant qu’en mĂȘme temps il fut dĂ©crĂ©tĂ© que les salaires ne pouvaient augmenter que de 15 pour cent maximum. Ces Ă©volutions eurent pour rĂ©sultat d’augmenter le chĂŽmage, de hausser le coĂ»t de la vie et de prĂ©cipiter dans la misĂšre de larges pans de la population, et seront la cause d’une dĂ©stabilisation Ă©conomique et politique Ă  la fin de la dĂ©cennie 1950, hĂ©ritage de PerĂłn que les gouvernements successivement aux affaires ne seront pas en mesure de gĂ©rer. Paradoxalement, ces Ă©volutions auront pour effet de renforcer encore le dĂ©sir du retour de PerĂłn, dont les rĂ©formes avaient pourtant Ă©tĂ© Ă  l’origine de tous ces dĂ©sĂ©quilibres[64]. AprĂšs de premiĂšres tentatives libĂ©rales de rĂ©forme engagĂ©es dans la seconde moitiĂ© de la dĂ©cennie 1970 par la dictature militaire dite Processus de rĂ©organisation nationale, tentatives qui Ă©chouĂšrent Ă  cause du strict contrĂŽle de la dictature sur l'Ă©conomie et de la sĂ©paration de la junte militaire entre libĂ©raux et interventionnistes, Carlos Menem, confrontĂ© Ă  une hyperinflation continue, poursuivit cette politique au dĂ©but des annĂ©es 1990, et mit en place une politique anti-inflationniste stricte, qui, en supprimant radicalement les prestations sociales, provoqua une forte diminution des dĂ©penses publiques et de l'hyperinflation causĂ©e par l'intervention de l'État argentin, mais aussi l’ire des syndicats et de la base pĂ©roniste[28]. Cependant, ses rĂ©formes, qui Ă©taient plus libĂ©rales que les autres, mais qui restaient trĂšs interventionnistes, se rĂ©vĂ©lĂšrent vaines, au vu de la crise argentine qui suivit, causĂ©e par le contrĂŽle monĂ©taire de l'État. En effet, on vit augmenter la dette interne du pays et l’apparition de privilĂšges octroyĂ©s Ă  certaines entreprises qui avaient Ă©tĂ© privatisĂ©es sous le gouvernement de Menem. Finalement, Carlos Menem Ă©tait plus libĂ©ral que PĂ©ron et que Martinez de la Hoz, mais n'Ă©tait quand mĂȘme pas libĂ©ral, violant la dĂ©finition du libĂ©ralisme Ă©conomique Ă  plusieurs reprises.

État-providence

L’État-providence (en espagnol estado de bienestar) Ă©difiĂ© sous les deux premiers gouvernements de PerĂłn est sans doute l’Ɠuvre la plus souvent mise en avant par les sympathisants du pĂ©ronisme[65]. À l’opposĂ©, une des observations critiques les plus frĂ©quentes des antipĂ©ronistes est de faire remarquer que les lois sociales n’étaient pas l’Ɠuvre de PerĂłn, mais des socialistes[66] ; Ă  quoi les pĂ©ronistes ont coutume de rĂ©pliquer que si certes ces lois existaient dĂ©jĂ , elles n’avaient pas Ă©tĂ© mises en application[67]. Dans une large mesure, les deux positions sont dĂ©fendables[68]. Quoi qu’il en soit, il demeure que le pĂ©ronisme adopta d’importantes lois pour garantir les droits des travailleurs — constitution de 1949, statut de l’ouvrier agricole (peĂłn rural), statuts professionnels, dĂ©parts Ă  la retraite —, et qu’un des aspects centraux de sa politique en la matiĂšre fut de crĂ©er un État-providence apte Ă  garantir que la lĂ©gislation du travail et les lois de sĂ©curitĂ© sociale fussent effectivement appliquĂ©es.

L’État-providence pĂ©roniste s’appuyait principalement sur les piliers suivants :

  1. CrĂ©ation en 1949 du ministĂšre du Travail et de la PrĂ©voyance sociale (Ministerio de Trabajo y PrevisiĂłn Social), qui avait Ă  sa disposition un corps d’inspecteurs du travail ayant compĂ©tence d’intervention sur l’ensemble du territoire national (jusqu’en 1943, le ministĂšre avait Ă©tĂ© un dĂ©partement national aux pouvoirs rĂ©duits et Ă  la capacitĂ© d’action limitĂ©e en dehors de la ville de Buenos Aires ; cette mĂȘme annĂ©e 1943, PerĂłn avait dĂ©jĂ  Ă©levĂ© ledit dĂ©partement au rang de secrĂ©tariat d’État) ;
  2. CrĂ©ation de la Fondation Eva PerĂłn en 1948, destinĂ©e Ă  canaliser l’aide sociale vers les plus dĂ©munis, au premier chef desquels les enfants, les femmes et les vieillards ;
  3. CrĂ©ation des tribunaux de prud’hommes en 1944 ;
  4. Renforcement des syndicats et des conventions collectives (loi n°14.250 de 1952) ;
  5. Mise en place des institutions clef du systĂšme de sĂ©curitĂ© sociale, Ă  savoir les caisses de prĂ©voyance et de retraite, lesquelles seront gĂ©rĂ©es par le biais des syndicats organisĂ©s. Le nombre des assurĂ©s sociaux s’accrut bientĂŽt Ă  5 millions de personnes[25] - [69].

Les autres mesures sociales importantes prises sous le premier pĂ©ronisme comprennent : la crĂ©ation en 1947 du Conseil Ă©conomique social composĂ© de reprĂ©sentants du gouvernement et des organisations syndicales et patronales ; la fondation par la loi nÂș13.229 de l’UniversitĂ© ouvriĂšre nationale (Universidad Obrera National) en 1948 ; l’adoption du Plan de tourisme pour enfants (Plan de Turismo Infantil) de 1950 ; et la gratuitĂ© de l’enseignement secondaire public () et universitaire (dĂ©cret n°29.337 du ). S’y ajouteront d’autres mesures encore, telles que le contrĂŽle des prix des denrĂ©es de base et les hausses de salaire, dĂ©cisions qui permirent Ă  PerĂłn de consolider sa base de pouvoir dans les classes laborieuses. Les dĂ©penses sociales augmentĂšrent pour atteindre 10 pour cent du PIB. Le systĂšme socio-politique ainsi crĂ©Ă© plaça l’Argentine Ă  la pointe sociale des pays d’AmĂ©rique latine[70].

Le rĂ©sultat de cette politique sociale de PerĂłn, qui visait Ă  amĂ©liorer non seulement le salaire direct, mais aussi celui indirect (enseignement public, santĂ© publique, tourisme social, etc.), sera une considĂ©rable redistribution de la richesse en faveur des classes laborieuses et des secteurs les plus dĂ©favorisĂ©s. Les Ă©conomistes Pablo Gerchunoff et Lucas Lach ont rĂ©sumĂ© comme suit l’évolution favorable du salaire rĂ©el sous le premier pĂ©ronisme :

« En dĂ©pit des bonnes relations entre gouvernement et syndicats dans la pĂ©riode antĂ©rieure Ă  PerĂłn, les salaires rĂ©els n’avaient guĂšre augmentĂ© entre 1943 et 1945. À partir de cette derniĂšre annĂ©e, les salaires s’accrurent Ă  un taux record, augmentant de 62% entre la derniĂšre de ces annĂ©es et 1949
 La hausse des salaires rĂ©els entraĂźna une distribution plus Ă©quitable du revenu national. Il a Ă©tĂ© calculĂ© que la composante salariale du revenu national dĂ©passa, pour la premiĂšre fois dans l’histoire, la rĂ©tribution obtenue au titre de gains, prises d’intĂ©rĂȘts et rente fonciĂšre. En 1948, celle-lĂ  s’accrut Ă  53%, contre 47% pour celle-ci, ce qui se compare favorablement avec la situation prĂ©valant un lustre seulement plus tĂŽt, quand les travailleurs percevaient 44,4% et les entrepreneurs, capitalistes et rentiers recevaient 55,6%[71]. »

Dans le mĂȘme temps, le rĂ©gime pĂ©roniste se servit des caisses de retraite pour se procurer un financement peu coĂ»teux de la dette publique, dont le montant s’accroissait rapidement sous l’effet d’un modĂšle Ă©conomique expansif de substitution aux importations et d’industrialisation, basĂ© sur les nationalisations et le protectionnisme, et par suite de l’expansion du systĂšme social[72]. À cet effet, les cotisations perçues furent dans une mesure croissante investies dans les emprunts d’État Ă©mis en 1946 Ă  bas taux d’intĂ©rĂȘt (Ă  hauteur de 54 pour cent des cotisations en 1949, et de 77 pour cent en 1955)[73]. Les caisses de retraite publiques apparaissaient rentables du temps de PerĂłn, et seront de plus en plus mises Ă  contribution pour financer le dĂ©ficit croissant du budget de l’État et pour faire bĂ©nĂ©ficier de subventionnements croisĂ©s les autres systĂšmes sociaux ; la rentabilitĂ© apparente s’expliquait principalement par l’inclusion et l’intĂ©gration d’un nombre sans cesse plus Ă©levĂ© de cotisants[74].

Alors que les taux d’intĂ©rĂȘt de ces emprunts se maintenaient Ă  un niveau faible, aux alentours de 4 pour cent, l’inflation augmenta pendant la mĂȘme pĂ©riode Ă  plus de 20 pour cent par an, ce qui donna lieu Ă  une rapide dĂ©prĂ©ciation des fonds de pension, les versements au titre des retraites restant par ailleurs inchangĂ©s. Au dĂ©but des annĂ©es 1950, le capital de couverture du systĂšme se trouva Ă©puisĂ©, et le systĂšme avait dans les faits Ă©tĂ© converti en un systĂšme financĂ© par prĂ©lĂšvements, oĂč les dĂ©penses courantes devaient ĂȘtre refinancĂ©es par des recettes rĂ©alisĂ©es au cours de la mĂȘme pĂ©riode (en 1958, il y eut en outre une modification du rĂ©gime de retraite, s’écartant d’une rĂ©partition progressive et s’acheminant vers un taux de substitution fixe du salaire). Le changement de mode de financement fut officiellement actĂ© en 1954[74]. Face aux difficultĂ©s de financement advenues, l’on s’éloigna des prĂ©misses bismarckiennes d’origine et l’on rĂ©duisit sensiblement les prestations du systĂšme de pension, et ce au bĂ©nĂ©fice de la lutte contre la pauvretĂ©, la prioritĂ© n’étant plus dĂ©sormais la crĂ©ation de patrimoine mais la fonction de rĂ©partition et de solidaritĂ©[74].

Quoique la configuration politique eĂ»t Ă©tĂ© bouleversĂ©e au lendemain de la chute de PerĂłn, les syndicats resteront le partenaire de nĂ©gociation dĂ©terminant pour les nouveaux gouvernants et exploiteront leur influence pour obtenir des avantages et prĂ©server les intĂ©rĂȘts de leur clientĂšle. Cela se traduisit par une extension toujours plus grande, en sens vertical et horizontal, des prestations sociales, de sorte qu’au plus haut du systĂšme, plus de 80 pour cent de la population au travail Ă©tait partie prenante aux assurances sociales. Les charges dĂ©rivĂ©es des prestations sociales montĂšrent jusqu’à 20 pour cent du PIB, les pensions de retraite publiques formant le principal poste de dĂ©pense[17]. SimultanĂ©ment, Ă  partir des annĂ©es 1950, le contexte Ă©conomique se dĂ©grada sensiblement, mettant Ă  nu les faiblesses structurelles du modĂšle d’État-providence[70], lesquelles toutefois furent acceptĂ©es pour prix de la paix intĂ©rieure. Nonobstant les diverses allocations, les conditions de vie effectives de la population se dĂ©tĂ©riorĂšrent continuellement par suite des taux d’inflation Ă©levĂ©s.

L’État-providence s’enlisa dans une crise durable, et « au lieu de patrimoine, ce sont des dĂ©ficits [
] qui, Ă  partir de la fin de la dĂ©cennie 1950 et dans une mesure croissante, furent accumulĂ©s dans les caisses de retraite »[74]. Les causes de la crise qui allait suivre et s’étendre sur plusieurs dĂ©cennies Ă©taient dĂšs ce moment identifiables. L’évolution dĂ©mographique, en particulier l’espĂ©rance de vie en hausse, entraĂźna le versement de prestations sur de plus longues pĂ©riodes, pendant que la baisse du taux d’activitĂ© et les salaires rĂ©els en chute faisaient baisser les recettes issues de cotisations, Ă  quoi s’ajouta une expansion du secteur informel entraĂźnant une baisse des cotisations obligatoires perçues par l’État. Sous l’effet de cette situation Ă©conomique en constante dĂ©gradation, la spirale de crise devait s’accĂ©lĂ©rer davantage encore[75].

Industrialisation par substitution aux importations et nationalisations

PerĂłn lança en 1948 une sĂ©rie de nationalisations de grandes entreprises opĂ©rant dans le domaine des infrastructures, Ă  commencer par les chemins de fer, qui appartenaient alors Ă  des sociĂ©tĂ©s britanniques et françaises. Alors que PerĂłn lui-mĂȘme aimait Ă  Ă©voquer l’expropriation d’« impĂ©rialistes Ă©trangers », dans les faits, les nationalisations de valeurs patrimoniales Ă©trangĂšres s’accompagnaient du versement de dĂ©dommagements considĂ©rables, voire gĂ©nĂ©reuses.

En vue d’édifier une industrie nationale, PerĂłn misait sur le capitalisme national en dĂ©veloppement et sur la classe ouvriĂšre, et s’attacha Ă  trouver un Ă©quilibre des intĂ©rĂȘts, qu’il escomptait atteindre par un dirigisme d’État et par le corporatisme. Aux entreprises privĂ©es, il garantissait la propriĂ©tĂ©, pour autant qu’elles Ɠuvraient dans le sens de l’économie argentine et prenaient en considĂ©ration les intĂ©rĂȘts des travailleurs. Le dĂ©veloppement industriel fut stimulĂ© aux dĂ©pens de l’oligarchie rurale et le gouvernement pĂ©roniste fonda un monopole public chargĂ© d’acheter les cĂ©rĂ©ales et la viande Ă  prix fixes pour ensuite les Ă©couler Ă  des prix plus Ă©levĂ©s sur le marchĂ© mondial. Une importante corruption rĂ©gnait Ă  l’intĂ©rieur du systĂšme, et les bouleversements rĂ©volutionnaires, volontiers annoncĂ©s par PerĂłn, ne verront jamais le jour ; ainsi, aucune rĂ©forme agraire ni aucune mesure anti-impĂ©rialiste rĂ©elle ne sera Ă  l’ordre du jour. Les fractions dĂ©sillusionnĂ©es, qui souhaitaient une politique plus radicale, iront jusqu’à faire alliance avec les militaires, qui en septembre 1955 finiront par renverser PerĂłn.

Sous Menem, dans les annĂ©es 1990, on procĂ©da, dans le cadre de sa politique anti-inflationniste radicale, Ă  des privatisations massives, par lesquelles l’État se sĂ©para d’une grande portion de ses entreprises. ConsidĂ©rĂ©es par les critiques comme hĂątives et souvent entachĂ©es de corruption, de plus menĂ©es par une personnalitĂ© proche des intĂ©rĂȘts amĂ©ricains, les privatisations passent au contraire pour des rĂ©ussites aux yeux de leurs avocats, compte tenu notamment de l’état dĂ©plorable dans lequel se trouvait l’industrie argentine[76].

Symboles et dates

PerĂłn « inĂ©branlable », affiche commĂ©morative publiĂ©e en 1947 Ă  l’occasion du deuxiĂšme anniversaire du Jour de la LoyautĂ©, lorsque cet anniversaire fut cĂ©lĂ©brĂ© pour la premiĂšre fois (affiche conservĂ©e au musĂ©e du Bicentenaire Ă  Buenos Aires).

Les principaux symboles du pĂ©ronisme sont les suivants : la Marche pĂ©roniste ; Evita Capitana (ou Marcha de las muchachas peronistas) ; le geste des doigts en V ; et le blason pĂ©roniste. Les couleurs du pĂ©ronisme sont le bleu ciel et le blanc, qui symbolisent la nation argentine. Entonner l’hymne national argentin fait Ă©galement partie du rituel des rassemblements pĂ©ronistes.

Les principales dates commĂ©moratives ou festives du pĂ©ronisme s’énumĂšrent comme suit :

  • le : Jour de la LoyautĂ©, oĂč est commĂ©morĂ©e la mobilisation ouvriĂšre sur la place de Mai le , qui permit d’obtenir la libĂ©ration de PerĂłn.
  • le 1er mai : cĂ©lĂ©bration de la fĂȘte du Travail.
  • le : Jour du Militantisme, destinĂ© Ă  commĂ©morer la mobilisation populaire du pendant la dictature de Lanusse, pour accueillir le gĂ©nĂ©ral PerĂłn, aprĂšs 17 annĂ©es passĂ©es en exil.
  • le 1er juillet : commĂ©moration de la mort de Juan PerĂłn.
  • le : commĂ©moration de la mort d’Eva PerĂłn.
  • le : commĂ©moration de la mort de NĂ©stor Kirchner ; pourrait Ă©galement s’appeler jour de la Jeunesse pĂ©roniste, attendu que la date coĂŻncide avec le premier CongrĂšs national de la Jeunesse pĂ©roniste tenu le .
  • le : date anniversaire du bombardement de la place de Mai perpĂ©trĂ© en 1955 par des avions de la l’aĂ©ronavale, avec l’appui de dirigeants civils anti-pĂ©ronistes, et lors duquel pĂ©rirent plus de 360 personnes.
  • le : commĂ©moration du soulĂšvement civico-militaire pĂ©roniste de 1956 emmenĂ© par le gĂ©nĂ©ral Juan JosĂ© Valle contre la dictature autodĂ©nommĂ©e RĂ©volution libĂ©ratrice, et des subsĂ©quentes exĂ©cutions ordonnĂ©es par ladite dictature, y compris les exĂ©cutions clandestines de JosĂ© LeĂłn SuĂĄrez.
  • le : commĂ©moration de la victoire aux Ă©lections prĂ©sidentielles de 1973, au terme de 18 annĂ©es de proscription du pĂ©ronisme.

Pour les pĂ©ronistes est importante Ă©galement la commĂ©moration de deux dates qui dĂ©passent le strict cadre du mouvement : le , rappelant le souvenir des desaparecidos de la derniĂšre dictature militaire, commencĂ©e Ă  cette date en 1976, et le , occasion de fĂȘter la restauration de la dĂ©mocratie advenue ce jour en 1983 et de condamner le terrorisme d'État. Enfin, donnent lieu aussi Ă  cĂ©lĂ©bration dans les milieux pĂ©ronistes trois dates patriotes : le (avĂšnement du premier gouvernement patriote), le (indĂ©pendance nationale proclamĂ©e au CongrĂšs de TucumĂĄn en 1816) et le (bataille de la Vuelta de Obligado de 1845 contre l’Angleterre et la France).

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Articles connexes

Références

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  6. Pour une Ă©tude comparĂ©e des diffĂ©rents mouvements se rĂ©clamant du pĂ©ronisme, on peut consulter le site (en castillan) Ruinas Digitales qui prĂ©sente sous forme numĂ©risĂ©e des revues proches des Montoneros (El Descamisado et La Causa Peronista) ou mĂȘme son organe officiel (Evita Montonera) . De l'autre cĂŽtĂ© du spectre politique, on consultera El Caudillo(droite pĂ©roniste). La lecture de Moviemiento permettra de complĂ©ter le tour d'horizon des revues pĂ©ronistes en prĂ©sentant des opinions de centre-gauche. Le site Ruinas Digitales est un projet rĂ©alisĂ© par des Ă©tudiants en sciences politiques de l'UniversitĂ© de Buenos Aires.
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  10. Voir la thĂšse rĂ©cente d'Ernesto Laclau, qui compare le pĂ©ronisme Ă  un signifiant vide, lequel fait l'objet d'affrontements politiques et idĂ©ologiques pour lui donner un contenu effectif (E. Laclau, La razĂłn populista, FCE, Buenos Aires, 2005 (version fr. : La Raison populiste, Paris, Seuil, 2008. Compte-rendu par Évelyne Grossman dans La Vie des idĂ©es, Vous avez dit « populisme » ?, . Voir aussi Marc Saint-UpĂ©ry, Margot Geiger, Argentine: le retour Ă  la normale, (originellement publiĂ© en français dans Mouvements, no 47/48, septembre-dĂ©cembre 2006.
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  71. Pablo Gerchunoff et Lucas Llach, El ciclo de la ilusiĂłn y el desencanto. Un siglo de polĂ­ticas econĂłmicas argentinas, Ariel Sociedad EconĂłmica, , 490 p. (ISBN 950-9122-57-2), p. 181-182.
  72. Cf. notamment Hujo (2004), p. 148 ; Sottoli (1999), p. 26.
  73. Colin M. Lewis, Social Insurance: Ideology and Policy in the Argentine. C. 1920–66, dans : Christopher Abel et Colin Lewis (Ă©diteurs) : Welfare, Poverty and Development in Latin America, p. 190.
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