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Jacobo Árbenz Guzmán

Jacobo Árbenz Guzmán () fut président du Guatemala de 1951 à 1954, lorsqu'il fut renversé par un coup d'État organisé par la CIA, connu sous le nom de code d'opération PBSUCCESS, et fut remplacé par une junte militaire, dirigée par le colonel Carlos Castillo Armas, plongeant le pays dans une longue période de violente instabilité politique qui culminera avec la guerre civile de 1960 à 1996. Selon l'écrivain uruguayen Eduardo Galeano, la chute d'Árbenz « marqua au fer rouge l'histoire postérieure du pays[1]. »

Jacobo Árbenz Guzmán
Illustration.
Jacobo Árbenz Guzmán à son investiture comme président du Guatemala en 1951.
Fonctions
Président de la république du Guatemala

(3 ans, 3 mois et 12 jours)
Élection 12 novembre 1950 (en)
Prédécesseur Juan José Arévalo
Successeur Carlos Enrique Díaz de León
Ministre de la Défense nationale (en)

(4 ans, 11 mois et 5 jours)
Président Juan José Arévalo
Prédécesseur Daniel Corado (en tant que secrétaire à la Guerre)
Successeur Rafael O'Meany
Membre de la Junte révolutionnaire du Gouvernement du Guatemala

(4 mois et 23 jours)
Avec Francisco Javier Arana (en) et Jorge Toriello Garrido (en)
Prédécesseur Juan Federico Ponce Vaides (en tant que premier nommé dans l'exercice de la présidence)
Successeur Juan José Arévalo (en tant que président de la république)
Biographie
Nom de naissance Juan Jacobo Árbenz Guzmán
Date de naissance
Lieu de naissance Quetzaltenango, Guatemala
Date de décès
Lieu de décès Mexico, Mexique
Nature du décès Infarctus du myocarde
Sépulture Cimetière général de Guatemala (en)
Nationalité Guatémaltèque
Parti politique PAR (en) (1945-1954)
Conjoint
Maria Cristina Vilanova (m. 19391971)
Enfants Arabella Árbenz (en) (fille)
María Leonora Arbenz Vilanova (fille)
Jacobo Árbenz Vilanova (en) (fils)
Diplômé de École polytechnique (es)
Profession Militaire, enseignant
Distinctions Legion of Merit
Ordre du Quetzal

Signature de Jacobo Árbenz Guzmán

Jacobo Árbenz Guzmán
Présidents de la République du Guatemala

Jeunesse

Né à Quetzaltenango, il est le fils d'un pharmacien suisse qui émigra au Guatemala. Ses jeunes années furent marquées par le suicide de son père. Árbenz rejoignit l'armée, intégrant l'académie militaire guatémaltèque, et devint sous-lieutenant en 1935. École qu'il retrouva en 1937 et dans laquelle il occupa un poste de professeur de sciences et d'histoire. En 1939, il rencontra sa future femme, Maria Cristina Vilanova (1915 – 2009), qui lui fit découvrir l'idéologie socialiste. Maria, fille d'un riche propriétaire terrien salvadorien, eut un énorme impact sur sa vie et le poussa à renverser le gouvernement guatémaltèque. Árbenz rejoignit un groupe d'officiers de gauche et participa au renversement du dictateur Jorge Ubico (1878–1946) en 1944. À la suite de ce coup d'État, Árbenz occupa le poste de ministre de la Défense dans le nouveau gouvernement de Juan José Arévalo.

Présidence et renversement

En mars 1951, Árbenz devint président de la République à la suite de la première élection au suffrage universel qu'ait connu le pays, marquant la première transition pacifique du pouvoir politique dans l'histoire du Guatemala. Il fit campagne, en se présentant comme un réformateur, et recueillit 60 % des votes en promettant de rendre le Guatemala économiquement indépendant et de le débarrasser de la dépendance des États-Unis. Son prédécesseur, Juan José Arévalo Bermejo, avait entamé, avec succès, une série de réformes pour permettre à tous les citoyens de participer au processus politique. Le développement du droit de vote et de la législation du travail, obtenu par Arévalo, menaçait la puissance de l'élite traditionnelle et entraîna, selon les propos du président Arévalo lors de son discours de passation de pouvoir, quelque 32 tentatives de coup d'État contre lui.

Conscient de cette adversité, Árbenz énonce, dans son discours d'investiture du : « Jamais dans l’histoire de l’Amérique un pays aussi petit n’a été soumis à une pression aussi grande ». Son programme, dans la lignée du populisme de gauche latino-américain de son prédécesseur, qu'il entend prolonger et amplifier, consiste, énonce-t-il dans ce même discours, à « convertir notre pays d’une nation dépendante et d’une économie semi-coloniale en un pays économiquement indépendant ; convertir le Guatemala d’un pays arriéré et d’une économie à prédominance féodale, en un pays moderne et capitaliste ; et faire que cette transformation soit menée à son terme de façon qu’elle apporte dans son sillage la meilleure élévation possible du niveau de vie de la grande majorité du peuple »[2].

Árbenz poursuivit le programme de réformes d'Arévalo et, en , son gouvernement lança une réforme agraire sur le modèle de l'Homestead Act promulgué en 1862 aux États-Unis. La nouvelle loi permettait au gouvernement d'exproprier uniquement les parties en friche des grandes plantations. Les propriétés de plus de 670 acres (271 hectares) en étaient exclues si au moins les deux tiers de leur surface étaient cultivés ; de même que les terres présentant une déclivité supérieure à 30 degrés (une exemption significative dans le paysage montagneux du Guatemala). La terre était alors accordée à des familles individuelles dans l'intention de créer une nation de yeomen, propriétaire terriens, réminiscence des propres buts des États-Unis dans les années 1800. Les propriétaires des terres expropriées furent dédommagés sur la valeur déclarée, par eux-mêmes, de leurs terres lors du calcul de l'impôt en . Le montant étant payé en bon pour une durée de vingt-cinq ans au taux d'intérêt de 3 %[3]. Árbenz lui-même, propriétaire terrien par sa femme, donna jusqu'à 1 700 acres (688 ha) de ses propres terres au programme de réforme agraire[4].

Après sa prise de fonction, Árbenz rencontra secrètement des membres du Parti guatémaltèque du travail (PGT), d'obédience communiste, afin de concrétiser le programme de réforme agraire. Un tel programme fut proposé par Árbenz comme un moyen de remédier à une distribution de la terre extrêmement inégale dans le pays. On estime qu'en 1945, 2 % de la population du pays contrôlait 72 % de toutes les terres arables, mais seulement 12 % de celles-ci étaient utilisées. C'est une proportion semblable à celle que l'on trouve dans l'agriculture des États-Unis, mais sans la différence de revenu ni la diversité économique : dans les années 1950, au Guatemala, le revenu annuel par habitant des travailleurs agricoles était inférieur à 100 dollars américains et l'économie était à peine industrialisée, alors que celle des États-Unis était fortement industrialisée et diversifiée.

Tandis que l'ordre du jour proposé par Árbenz était accueilli favorablement par les paysans pauvres qui constituaient la majorité de la population guatémaltèque, il suscita la colère des riches propriétaires terriens, des puissants intérêts commerciaux américains et d'une partie de l'armée, qui l'accusèrent de céder à l'influence communiste (l'influence réelle dont disposaient alors les communistes au Guatemala est aujourd'hui encore chaudement débattue). Cette tension créera une grande agitation dans le pays. Carlos Castillo Armas, un officier de l'armée, se rebella à l'aéroport Aurora, fut défait et abattu, il survécut à ses blessures. Armas passa quelque temps dans une prison guatémaltèque avant de s'échapper et de s'exiler au Honduras.

L'instabilité, combinée à la tolérance dont Árbenz faisait preuve à l'égard du PGT et d'autres groupes communistes ou apparentés, poussa la CIA à étudier, en 1951, un plan intitulé Opération PBFortune. Celui-ci suggérait une méthode d'éviction d'Árbenz, s'il venait à être considéré comme une menace communiste dans l'hémisphère.

La United Fruit Company, une multinationale américaine, était également menacée par l'initiative de réforme agraire. En effet, elle était le plus grand propriétaire terrien du Guatemala et, avec 85 % de ses terres non exploitées, susceptible de tomber sous le coup de la réforme. En calculant le montant de ses impôts, la United Fruit avait constamment (et drastiquement) sous-évalué la valeur de ses terres. Pour les impôts de 1952, elle déclara une valeur de $ par acre de surface détenue. Quand, en accord avec la déclaration de revenus rédigée par la United Fruit, le gouvernement Árbenz proposa de dédommager l'entreprise à hauteur de $ l'acre de surface expropriée, la compagnie déclara que la valeur réelle de la terre était désormais de 75 $/acre mais refusa d'expliquer l'augmentation soudaine de sa propre estimation de la valeur des terres qu'elle possédait.

La United Fruit possédait quelques liens avec des personnalités influentes du gouvernement des États-Unis. Le secrétaire d'État américain, John Foster Dulles, et son frère, le directeur de la CIA Allen Dulles, entretenaient d'étroites relations avec la United Fruit, à travers leur ancien cabinet juridique. Le conseiller et sous-secrétaire d'État du président Eisenhower, Walter Bedell Smith, avait également des liens étroits avec elle et avait précédemment postulé un poste de direction en son sein. Tous trois étaient actionnaires de l'entreprise.

En 1952, le Parti guatémaltèque du travail fut légalisé ; l'influence, bien que minoritaire, des communistes, sur les importantes organisations paysannes et sur les syndicats s'accrut considérablement, mais pas sur le parti politique alors au gouvernement, le PGT ne gagnant que quatre sièges sur les cinquante-huit que comptait le congrès. La CIA, ayant conçu l'opération PBFORTUNE, était déjà intéressée par les liens potentiels entre Árbenz et les communistes. La United Fruit avait fait pression auprès de la CIA pour écarter les différents gouvernements réformateurs au pouvoir depuis la période Arevalo, mais ce ne fut pas avant l'arrivée de l'administration Eisenhower que ces idées trouvèrent une oreille attentive à la Maison-Blanche. En 1954, l'administration Eisenhower était toujours sûre de la victoire depuis son opération clandestine (nom de code : Ajax) destinée à renverser le gouvernement Mossadegh en Iran l'année précédente. L'agent de la CIA Kermit « Kim » Roosevelt, Jr., architecte du coup d’État en Iran, décrit une réunion avec le secrétaire d'État Dulles : « [Il] semblait presque enthousiaste. Ses yeux brillaient ; il semblait ronronner comme un chat géant. Clairement il ne savourait pas uniquement ce qu'il entendait, mais mon instinct me disait qu'il planifiait aussi. »[5] En , la CIA lança l'opération WASHTUB, qui consistait à installer une fausse cache d'armes soviétiques au Nicaragua, afin de démontrer les liens entre Moscou et le Guatemala[6].

En , de l'armement de fabrication tchèque arriva au Guatemala à bord du bâtiment suédois, le Alfhem. Les États-Unis déclarèrent qu'il s'agissait de la preuve finale des liens entretenus par Árbenz avec l'Union soviétique. Les partisans d'Árbenz notent, néanmoins, que les Guatémaltèques tentèrent, à plusieurs reprises, d'acheter des armes en Europe de l’Ouest et se tournèrent uniquement vers les Tchèques devant l'impossibilité de s'en procurer ailleurs. Le gouvernement Árbenz était convaincu qu'une invasion soutenue par les États-Unis était imminente : il avait précédemment dévoilé une note détaillée (appelée les « White Papers ») concernant l'opération PBFORTUNE menée par la CIA et perçut les actions des États-Unis lors de la réunion de l'OEA à Caracas cette année comme un moyen de lancer une intervention. L'administration ordonna à la CIA de financer un coup d'État, au nom de code opération PBSUCCESS, qui renversa le gouvernement. Árbenz démissionna le et fut forcé de fuir, trouvant refuge auprès de l'ambassade mexicaine. Dans les premiers mois de contre-révolution, 9 000 personnes sont tuées ou incarcérées. La réforme agraire est abrogée et l'United Fruit récupère non seulement les terres dont elle avait été expropriée mais également des dizaines de milliers d'hectares de terres en friche qui avaient été distribués aux paysans[7].

Fin de sa vie

Il séjourna d'abord au Mexique, puis lui et sa famille partirent pour la Suisse. Les autorités suisses étaient disposées à l'accueillir si celui-ci consentait à renoncer à la citoyenneté guatémaltèque. Refusant, Árbenz se rendit à Paris, puis à Prague. Après seulement trois mois, il déménagea encore, cette fois pour Moscou. Il tenta plusieurs fois de revenir en Amérique latine, et fut finalement autorisé à séjourner en Uruguay en 1957.

En 1960, après la révolution cubaine, Fidel Castro proposa à Árbenz de s'installer à Cuba, ce qu'il accepta immédiatement. En 1965, sa fille aînée, Arabella (en), se suicida à Bogota, en Colombie, et Árbenz en fut profondément affecté. Il fut autorisé à retourner au Mexique pour enterrer sa fille, puis à y rester. Le , Árbenz décéda d'un arrêt cardiaque dans sa salle de bains dans des circonstances extrêmement suspectes (son poste de radio est tombé dans sa baignoire alors qu'il se lavait dedans). Son épouse est décédée en 2009.

Ses cendres sont rapatriées en 1995 sous l’égide de l’université San Carlos. La mémoire de l’ancien président a cependant sombré dans l’oubli et l’indifférence pour une majorité de citoyens, en particulier en ville. Les dictatures militaires successives ont cherché à le faire oublier, tandis que la gauche guatémaltèque a en grande partie disparu pendant les décennies de dictatures, ses membres étant tués ou exilés. Les guérillas qui ont combattu entre les années 1960 et 1990 étaient pour leur part réticentes à faire de lui un modèle, lui reprochant d'avoir refusé d’armer le peuple pour « défendre la révolution » en 1954. L’ancien secrétaire général à la présidence d’Arbenz, Jaime Díaz Rozzotto, observe ainsi que le président déchu jouissait « du rare privilège d’avoir uni contre lui (...) la droite ultramontaine, la droite libérale, la multinationale United Fruit Company, le département d’État américain, le bipartisme yankee, le réformisme latino-américain, et même le foquismo guérillero ». Ce serait surtout auprès des paysans pauvres que son souvenir continue à symboliser un idéal de justice sociale[8].

Notes et références

  1. Eduardo Galeano, Les veines ouvertes de l'Amérique latine : une contre-histoire, Paris, France, Pocket, , 447 p. (ISBN 978-2-266-12088-3), p. 158.
  2. Il y a 70 ans, une autre Révolution d’octobre… sous les tropiques, Mikaël Faujour, Le Comptoir.org.
  3. (en) Stephen G. Rabe, Eisenhower and Latin America: The Foreign Policy of Anticommunism. University of North Carolina Press: Chapel Hill.
  4. (en) Peter H. Smith, Talons of the Eagle: Dynamics of US-Latin American Relations, Oxford University Press, 2000.
  5. Stephen Kinzer, All the Shah's Men: An American Coup and the Roots of Middle East Terror, Wiley, 2003, p. 209.
  6. , février 2006.
  7. Pierre Kalfon, Ernesto Guevara, une légende du siècle, Points, , p. 147
  8. Mikaël Faujour, « Le Guatemala a-t-il oublié Jacobo Arbenz ? », sur Le Monde diplomatique,

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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