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RĂ©volution de 1943

L’historiographie argentine nomme RĂ©volution de 1943 (en esp. RevoluciĂłn del 43) le coup d’État militaire du 4 juin 1943 qui, en renversant le gouvernement de RamĂłn Castillo, mit fin Ă  la dĂ©nommĂ©e DĂ©cennie infĂąme, mais dĂ©signe aussi sous ce mĂȘme nom la pĂ©riode de dictature militaire qui suivit ce coup d’État et qui se prolongera jusqu’à l’investiture, trois ans plus tard, du gouvernement constitutionnel Ă©lu de Juan Domingo PerĂłn.

RĂ©volution de 1943
RevoluciĂłn del 43
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Les généraux Arturo Rawson, Pedro Pablo Ramírez et Edelmiro Farrell, les trois présidents dictateurs de la Révolution de 1943.
Date (coup d’État) –
(élections présidentielles)
Lieu Drapeau de l'Argentine Argentine
Résultat Dictature militaire, montée en puissance du syndicalisme,
ascension de Juan PerĂłn.
Chronologie
Coup d’État et accession au pouvoir de Rawson
Prise de pouvoir par RamĂ­rez
DĂ©mission de RamĂ­rez et gouvernement du duo Farrell/PerĂłn
Manifestation de masse anti-Farrell/PerĂłn Ă  Buenos Aires
Coup de force des conservateurs, arrestation de PerĂłn
Mobilisation ouvriÚre massive pour exiger la libération de Perón (jour de la Loyauté)
Élections prĂ©sidentielles, victoire de PerĂłn

Le moteur derriĂšre ce putsch, qui avait Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© la veille et Ă©tait largement improvisĂ©, fut le GOU, Groupe d’officiers unis, organisation militaire secrĂšte (« loge ») rĂ©unissant une vingtaine d’officiers supĂ©rieurs, qui, sans idĂ©ologie bien dĂ©finie, ne s’accordaient guĂšre que sur une vision nationaliste et anticommuniste, sur la nĂ©cessitĂ© de prĂ©server la neutralitĂ© de l’Argentine dans la Seconde Guerre mondiale, et aussi sans doute sur la mise en cause du pouvoir alors en place, Ă©manation de la vieille aristocratie latifundiste et de la bourgeoisie commerciale et financiĂšre, alliĂ©es Ă  l’impĂ©rialisme britannique, qui tendait Ă  exclure de la reprĂ©sentation politique les forces sociales nouvelles — petit et moyen patronat industriel et vaste prolĂ©tariat urbain — nĂ©es depuis une dizaine d’annĂ©es d’une intense industrialisation du pays. Le coup d’État devait donc faire valoir les intĂ©rĂȘts d’un nationalisme bourgeois Ă©mergent face Ă  l’ancienne rĂ©publique oligarchique de la DĂ©cennie infĂąme et Ă  sa classe dirigeante faible, contradictoire, axĂ©e sur l’exportation de productions agricoles, dĂ©nuĂ©e d’une conscience qui dĂ©passĂąt l’horizon de ses intĂ©rĂȘts purement corporatistes, et devait mettre un coup d’arrĂȘt aux pratiques patentes de corruption politique des gouvernements conservateurs de la pĂ©riode prĂ©cĂ©dente.

Toutefois, les contradictions politiques ne tardĂšrent pas Ă  se faire jour au sein du nouveau pouvoir militaire, oĂč allaient s’affronter, schĂ©matiquement, deux factions : l’une, emmenĂ©e par le prĂ©sident RamĂ­rez, s’adossait au nationalisme catholico-hispaniste de droite, mais rĂ©ussit Ă  attirer d’autres secteurs, aux appartenances disparates, qui s’inquiĂ©taient des avancĂ©es syndicales permises par le gouvernement ; l’autre, dirigĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Farrell et le colonel PerĂłn, qui appliquait une stratĂ©gie visant Ă  doter la RĂ©volution de 1943 d’une base populaire, d’une part par une alliance avec les syndicats, en vue de forger un nationalisme travailliste, et d’autre part en cherchant des appuis dans les partis politiques existants, principalement certaines fractions de l’UCR, afin de consolider le nationalisme Ă©conomique. Cette antagonisme interne aura pour effet de faire alterner, au grĂ© des rĂ©volutions de palais, tantĂŽt la tendance rĂ©actionnaire des nationalistes oligarchiques (en particulier aprĂšs la nomination de RamĂ­rez comme prĂ©sident en juin 1943), tantĂŽt la tendance progressiste (aprĂšs la dĂ©mission forcĂ©e de RamĂ­rez et la prise de pouvoir du duo Farrell / PerĂłn fin fĂ©vrier 1944). Cependant, dĂšs novembre 1943, et pour la premiĂšre fois dans l’histoire du pays, le mouvement syndical argentin eut part Ă  la prise de dĂ©cision politique grĂące Ă  une alliance composĂ©e principalement des courants socialiste et syndicaliste rĂ©volutionnaire, alliance qu’animeront PerĂłn et Mercante et qui sera Ă  la base du Parti travailliste et donnera naissance au pĂ©ronisme.

Des mois d’une polarisation exacerbĂ©e entre pĂ©ronistes et anti-pĂ©ronistes, marquĂ©e notamment par une manifestation de masse contre le pouvoir dictatorial de Farrell le 19 septembre 1945, aboutiront au putsch militaire d’octobre 1945 et Ă  l’emprisonnement de PerĂłn ; ce coup de force des conservateurs donnera lieu Ă  son tour Ă  une ample mobilisation ouvriĂšre en faveur du dĂ©tenu sur la place de Mai le 17 octobre 1945, jour fatidique de l’histoire argentine, qui se solda par la libĂ©ration de PerĂłn et la promesse d’élections pour le mois de fĂ©vrier de l’annĂ©e suivante. Ce scrutin donna, contre toute attente, une nette victoire au camp pĂ©roniste, et permit l’accession de PerĂłn Ă  la prĂ©sidence le 4 juin 1946, soit trois ans jour pour jour aprĂšs le putsch initial de 1943.

Antécédents

Deux grandes circonstances aident Ă  expliquer le coup d’État du 4 juin 1943 : la DĂ©cennie infĂąme, qui le prĂ©cĂ©da, et la Seconde Guerre mondiale.

La DĂ©cennie infĂąme (1930-1943)

Les quatre présidents de la Décennie infùme : Uriburu, Justo, Ortiz et Castillo.

La dĂ©nommĂ©e DĂ©cennie infĂąme commença avec le coup d’État du 6 septembre 1930 dirigĂ© par le gĂ©nĂ©ral corporatiste, nationaliste et catholique JosĂ© FĂ©lix Uriburu, qui renversa le prĂ©sident HipĂłlito Yrigoyen, de l’Union civique radicale (UCR), Ă©lu dĂ©mocratiquement en 1928 pour un second mandat. Le 10 septembre, Uriburu fut reconnu prĂ©sident de facto par la Cour suprĂȘme de la nation argentine, laquelle s’autorisa Ă  cet effet d’un prĂ©cĂ©dent jurisprudentiel qui servira de fondement Ă  la doctrine des gouvernements de facto et sera utilisĂ© ensuite pour lĂ©gitimer tous les coups d’État militaires ultĂ©rieurs[1]. Le nouveau pouvoir dĂ©cida d’interdire l’Union civique radicale.

Le 5 avril 1931 eurent lieu les Ă©lections provinciales de Buenos Aires, dont le rĂ©sultat n’avait pas Ă©tĂ© prĂ©vu par le gouvernement : bien que le radicalisme eĂ»t Ă©tĂ© proclamĂ© totalement « sorti de l’histoire », et que ce mouvement n’eĂ»t pas menĂ© de campagne Ă©lectorale et ne bĂ©nĂ©ficiĂąt d’aucun appui dans la presse, le candidat radical Honorio PueyrredĂłn remporta le scrutin. Lors mĂȘme qu’il manquait au radicalisme plusieurs voix au sein du collĂšge Ă©lectoral et qu’il dut nĂ©gocier avec les socialistes pour se hisser au gouvernorat provincial, le gouvernement s’en effraya et la plupart des ministres prĂ©sentĂšrent leur dĂ©mission. Uriburu fut ainsi amenĂ© Ă  rĂ©organiser son cabinet, et nomma des ministres issus du secteur « liberal ». Le 8 mai, il suspendit le collĂšge Ă©lectoral provincial, et dĂ©signa Manuel RamĂłn Alvarado gouverneur de facto de la province de Buenos Aires[2].

Peu de semaines plus tard, une rĂ©volution emmenĂ©e par le lieutenant-colonel Gregorio Pomar Ă©clata dans la province de Corrientes ; bien que promptement rĂ©primĂ©e, elle procura Ă  Uriburu le prĂ©texte qu’il cherchait : il fit fermer tous les locaux de l’UCR, donna ordre d’arrĂȘter des dizaines de dirigeants et fit interdiction aux collĂšges Ă©lectoraux d’élire des politiciens liĂ©s directement ou indirectement Ă  Yrigoyen ; PueyrredĂłn ayant Ă©tĂ© ministre d’Yrigoyen, il ne pouvait par consĂ©quent plus ĂȘtre Ă©lu, et fut en outre expulsĂ© du pays en mĂȘme temps qu’Alvear. En plus, Uriburu suspendit les Ă©lections au poste de gouverneur prĂ©vues dans les provinces de CĂłrdoba et de Santa Fe[3]. En septembre, il convoqua des Ă©lections pour le mois de novembre, et peu aprĂšs annula les Ă©lections provinciales de Buenos Aires[4].

À la suite de l’échec du projet corporatiste, l’Argentine sera gouvernĂ©e par une nouvelle alliance politique qui se donna pour nom Concordancia et devait ĂȘtre l’incarnation du libĂ©ralisme conservateur traditionnel de l’Argentine[5] ; cette alliance se composait du Parti dĂ©mocrate national (aussi connu simplement sous le nom de Parti conservateur), de l’Union civique radicale antipersonnaliste et du Parti socialiste indĂ©pendant, et allait ensuite gouverner le pays durant la DĂ©cennie infĂąme entre 1932 et 1943, par le biais des prĂ©sidents AgustĂ­n P. Justo (1932-1938), Roberto Ortiz (1938-1940), et enfin RamĂłn Castillo (1940-1943), qui dut supplĂ©er le prĂ©sident Ortiz dĂ©cĂ©dĂ© entre-temps. Cette pĂ©riode se caractĂ©rise par la mise en place du nouveau modĂšle Ă©conomique connu sous le nom d’industrialisation par substitution aux importations.

En 1943 devaient se tenir des Ă©lections prĂ©sidentielles, oĂč l’on escomptait pouvoir monter une nouvelle fraude Ă©lectorale qui donnerait la prĂ©sidence au douteux entrepreneur sucrier Robustiano PatrĂłn Costas, l’homme fort de la province de Salta pendant les quatre dĂ©cennies prĂ©cĂ©dentes. L’arrivĂ©e au pouvoir de PatrĂłn Costas comme prĂ©sident devait assurer la continuitĂ© et la consolidation du rĂ©gime frauduleux.

Seconde Guerre mondiale

La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) eut une influence dĂ©cisive et complexe sur les Ă©vĂ©nements politiques en Argentine, en particulier sur le coup d’État du 4 juin 1943.

Au moment oĂč Ă©clata la Seconde Guerre mondiale, le Royaume-Uni exerçait une influence Ă©conomique dĂ©terminante en Argentine. Toutefois, les États-Unis avaient su acquĂ©rir une position prĂ©pondĂ©rante sur tout le continent et Ă©tait en passe de supplanter dĂ©finitivement la Grande-Bretagne comme pouvoir hĂ©gĂ©monique en Argentine. La guerre apparut comme un moment optimal pour y parvenir, plus particuliĂšrement Ă  partir de l’instant oĂč les États-Unis eurent renoncĂ© Ă  leur neutralitĂ© par suite de l’attaque de Pearl Harbor par le Japon en 1941.

L’Argentine avait une longue tradition de neutralitĂ© vis-Ă -vis des guerres europĂ©ennes, tradition respectĂ©e et dĂ©fendue par tous les partis politiques depuis le XIXe siĂšcle. Les raisons de la neutralitĂ© de l’Argentine sont complexes, mais l’une des principales est liĂ©e Ă  sa qualitĂ© de fournisseur de produits vivriers aux Britanniques, et Ă  l’Europe de façon gĂ©nĂ©rale. Tant lors de la premiĂšre que de la deuxiĂšme guerre, la Grande-Bretagne avait besoin d’assurer l’approvisionnement en denrĂ©es alimentaires (cĂ©rĂ©ales et viande) de sa population et de ses troupes, ce qui n’eĂ»t pas Ă©tĂ© possible si l’Argentine n’avait pas maintenu sa neutralitĂ©, attendu que dans le cas contraire les navires de transport eussent Ă©tĂ© les cibles prioritaires de l’Allemagne et que les lignes d’approvisionnement eussent alors Ă©tĂ© coupĂ©es[6] - [7]. Dans le mĂȘme temps, l’Argentine avait adoptĂ© une position traditionnellement rĂ©ticente envers la vision hĂ©gĂ©monique du panamericanisme promue par les États-Unis depuis la fin du XIXe siĂšcle.

En dĂ©cembre 1939, le gouvernement argentin consulta avec la Grande-Bretagne sur l’éventualitĂ© d’abandonner sa neutralitĂ© et de rejoindre le camp des AlliĂ©s. Le gouvernement britannique repoussa catĂ©goriquement cette proposition, en rappelant ce principe : la principale contribution de l’Argentine Ă©tait le ravitaillement, et pour le garantir, il Ă©tait nĂ©cessaire qu’elle restĂąt neutre. Au demeurant, les États-Unis aussi avaient jusque-lĂ  soutenu une position neutre, raffermie encore par les lois sur la neutralitĂ© de 1935-1939, en plus de leur traditionnel isolationnisme, encore que cette position basculĂąt radicalement aprĂšs que leurs bases militaires dans le Pacifique eurent Ă©tĂ© attaquĂ©es par le Japon le 7 dĂ©cembre 1941[7].

Dans le sillage de Pearl Harbor, pendant la IIIe RĂ©union de consultation des ministres des Affaires Ă©trangĂšres (la ConfĂ©rence de Rio de 1942) tenue en janvier 1942, les États-Unis s’efforcĂšrent d’obtenir que tous les pays du continent amĂ©ricain rejoignissent en bloc leurs rangs et entrassent en guerre. Pour les États-Unis, qui n’étaient en rien affectĂ©s par l’interruption du commerce entre l’Argentine et l’Europe, la Seconde Guerre mondiale apparut comme une excellente occasion d’achever d’imposer son hĂ©gĂ©monie continentale, aussi bien politique (incarnĂ©e dans le panamĂ©ricanisme) qu’économique, et d’évincer definitivement la Grande-Bretagne de sa tĂȘte de pont en AmĂ©rique. Cependant, l’Argentine, par la voix de son chancelier, Enrique Ruiz GuiñazĂș, s’opposa Ă  l’entrĂ©e en guerre collective des États amĂ©ricains, contrariant ainsi la proposition amĂ©ricaine. Par la suite, la pression nord-amĂ©ricaine ne cessera de prendre de l’ampleur jusqu’à devenir irrĂ©sistible.

Face Ă  cette entrĂ©e en guerre, la population argentine Ă©tait divisĂ©e en deux grands groupes : les « aliadĂłfilos » et les « neutralistas », favorable, pour le premier, Ă  l’entrĂ©e en guerre de l’Argentine aux cĂŽtĂ©s des AlliĂ©s, ou prĂŽnant, pour le second groupe, le maintien de la neutralitĂ© du pays. Un troisiĂšme groupe, les « germanophiles », minoritaires, conscients de l’impossibilitĂ© que l’Argentine entrĂąt jamais en guerre aux cĂŽtĂ©s des puissances de l'Axe, s’était rĂ©signĂ© Ă  se joindre aux neutralistes.

Si le prĂ©sident du Parti radical antipersonnaliste, Roberto Marcelino Ortiz (1938-1942), autant que le conservateur RamĂłn Castillo (1942-1943), avait prĂ©servĂ© la neutralitĂ©, il Ă©tait certain en revanche que le candidat officiel Robustiano PatrĂłn Costas dĂ©clarerait la guerre Ă  l’Axe. Cette circonstance pesa d’un poids trĂšs lourd sur les Forces armĂ©es, d’autant que dans les rangs de l’armĂ©e argentine la position favorable au maintien de la neutralitĂ© Ă©tait majoritaire.

Situation Ă©conomique et sociale

L’annĂ©e 1943 fut une annĂ©e de forte expansion de l’industrie et de la classe ouvriĂšre. Les mutations socio-Ă©conomiques annonçaient les grands bouleversements socio-politiques Ă  venir.

Une des consĂ©quences directes de la Seconde Guerre mondiale sur la rĂ©alitĂ© argentine fut l’accĂ©lĂ©ration du processus d’industrialisation. En 1943, pour la premiĂšre fois, l’indice de la production industrielle depassa celui de l’activitĂ© agricole[8]. Les exportations industrielles avaient augmentĂ© de 2,9 % du total des exportations en 1939, Ă  19,4 % en 1943, le poste le plus important Ă©tant les produits textiles[9].

Entre 1941 et 1946, la classe ouvriĂšre industrielle accrut ses effectifs de 38 %, passant de 677 517 Ă  938 387 travailleurs[10]. Les usines se concentraient principalement dans l’agglomĂ©ration portĂšgne, laquelle en 1946 rĂ©unissait 56 % des Ă©tablissements industriels et 61 % de l’ensemble des ouvriers du pays[11].

D’autre part, la Grande DĂ©pression de 1929 avait diminuĂ© le courant migratoire en provenance d’Europe, et fait place Ă  un nouveau courant de migrations intĂ©rieures, qui transforma profondĂ©ment, quantitativement et culturellement, la classe ouvriĂšre argentine. Si en 1936, 36 % de la population de la ville de Buenos Aires Ă©tait d’origine Ă©trangĂšre et 12 % seulement provenait de l’intĂ©rieur du pays (c’est-Ă -dire des zones rurales et de petites villes), en 1947 la proportion d’étrangers Ă©tait retombĂ©e Ă  26 % et celle des migrants intĂ©rieurs avait doublĂ©, atteignant Ă  prĂ©sent 29 %[12]. La moyenne annuelle du nombre de provinciaux venant s’installer Ă  Buenos Aires, qui n’était encore que de 8 000 entre 1896 et 1936, monta Ă  72 000 entre 1936 et 1943 et Ă  117 000 entre 1943 et 1947[13].

Les nouvelles conditions socio-Ă©conomiques et la concentration gĂ©ographique d’un nouveau prolĂ©tariat laissaient prĂ©sager de grands changements socio-politiques, avec Buenos Aires comme Ă©picentre.

Le coup d’État du 4 juin 1943

Les gĂ©nĂ©raux Arturo Rawson et Pedro Pablo RamĂ­rez saluant la foule sur la place de Mai le jour du coup d’État, le 4 juin 1943.

Quoique les forces armĂ©es aient Ă©tĂ© l’un des piliers de soutien des gouvernements successifs de la DĂ©cennie infĂąme, les rapports entre armĂ©e et pouvoir Ă©taient allĂ©s, au cours des derniĂšres annĂ©es du rĂ©gime, en se dĂ©tĂ©riorant progressivement, par l’effet de l’avĂšnement d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration de militaires, diffĂ©rente par sa composition, et surtout par l’effet du processus d’industrialisation engagĂ© de façon soutenue dans le pays tout au long de cette dĂ©cennie. Le dĂ©veloppement de l’industrie en Argentine s’était produite en relation intime avec les Forces armĂ©es et en fonction des besoins de la dĂ©fense nationale.

Le prĂ©sident RamĂłn Castillo avait eu Ă  affronter plusieurs conspirations militaires et tentatives avortĂ©es de coup d’État, et tout derniĂšrement avaient Ă©tĂ© tramĂ©es plusieurs conspirations civico-militaires (comme celle du GOU, dirigĂ©e par le radical Ernesto Sanmartino et le gĂ©nĂ©ral Arturo Rawson[14], ou les opĂ©rations que menait le radical unioniste Emilio Ravignani, etc.)[14]. Pourtant, le coup d’État du 4 juin 1943 n’avait Ă©tĂ© prĂ©vu par personne et fut exĂ©cutĂ© avec une grande dose d’improvisation et, Ă  la diffĂ©rence de tous les coups d’État qui s’étaient produits en Argentine, quasiment sans la participation de civils[15]. JosĂ© Luis Romero le considĂ©rait comme une « manƓuvre de sauvetage du groupe compromis dans l’infiltration nazie, compliquĂ© par la prĂ©vention d’un virage de Castillo vers les États-Unis »[16].

Le fait concret qui dĂ©clencha le coup d’État militaire fut la dĂ©mission que, le 3 juin, le prĂ©sident Castillo exigea de son ministre de la Guerre, le gĂ©nĂ©ral Pedro Pablo RamĂ­rez, au motif que celui-ci s’était entretenu le 26 mai avec un groupe de dirigeants de l’Union civique radicale, lesquels lui offraient la candidature Ă  la prĂ©sidence de la rĂ©publique en vue des Ă©lections prochaines, oĂč il devait prendre la tĂȘte de l’Union dĂ©mocratique[17], alliance que l’aile modĂ©rĂ©e du radicalisme (les unionistes) s’efforçait alors de mettre sur pied, aux cĂŽtĂ©s du Parti socialiste et du Parti dĂ©mocrate progressiste, et avec l’appui des communistes[18].

Le putsch fut dĂ©cidĂ© la veille lors d’une rĂ©union Ă  Campo de Mayo prĂ©sidĂ©e par les gĂ©nĂ©raux Arturo Rawson et Pedro RamĂ­rez. Il est un fait d’intĂ©rĂȘt historique que ni le gĂ©nĂ©ral Edelmiro Farrell, ni le colonel Juan PerĂłn, qui seront par la suite les principaux dirigeants de la RĂ©volution de 1943, n’assistĂšrent Ă  ladite rĂ©union ― Farrell, qui s’excusa de ne pouvoir faire partie du groupe putschiste pour raisons personnelles lorsqu’il y fut invitĂ© par le gĂ©nĂ©ral Rawson, et PerĂłn, parce qu’on n’était pas parvenu Ă  le trouver[19].

Dans la matinĂ©e du 4 juin sortit de Campo de Mayo, au nord-ouest de Buenos Aires, une force militaire de 8 000 soldats emmenĂ©e par les chefs du soulĂšvement, savoir : les gĂ©nĂ©raux Arturo Rawson et Elbio Anaya, les colonels Emilio RamĂ­rez et Fortunato Giovannoni, et le lieutenant-colonel TomĂĄs A. DucĂł (cĂ©lĂšbre prĂ©sident du Club AtlĂ©tico HuracĂĄn). Une fois parvenue Ă  l’École de Union dĂ©mocrae de la marine (ESMA), dans le quartier de NĂșñez, la colonne fut attaquĂ©e par des forces loyales qui s’y Ă©taient retranchĂ©es, les combats se soldant par 30 morts et 100 blessĂ©s[20]. AprĂšs que l’ESMA se fut rendue, le prĂ©sident Castillo s’embarqua sur la corvette Drummond[21], avec ordre de s’éloigner en direction de l’Uruguay, laissant vide la Casa Rosada, qu’allĂšrent alors occuper les gĂ©nĂ©raux Juan Pistarini, Armando Verdagauer, Pedro Pablo RamĂ­rez et Edelmiro Farrell, et les amiraux SabĂĄ H. Sueyro et Guisasola ; les nouveaux occupants accueillirent la colonne rebelle peu aprĂšs midi, et le gĂ©nĂ©ral Arturo Rawson prit le titre de prĂ©sident de la rĂ©publique[22].

Dans un premier temps, toutes les forces politiques et sociales appuyĂšrent le coup d’État, avec plus ou moins d’enthousiasme, Ă  la seule exception du Parti communiste[23]. Il en fut de mĂȘme de la Grande-Bretagne et des États-Unis, qui, aux dires de David Kelly (en), ambassadeur du Royaume-Uni en Argentine Ă  cette Ă©poque, reçurent le putsch « avec des cris de satisfaction »[24]. L’ambassade d’Allemagne au contraire eut soin dĂšs la veille de brĂ»ler ses archives[25].

Les organisateurs du coup d’État et le rîle du GOU

À ce moment, l’armĂ©e argentine se composait de seulement deux forces : l’armĂ©e (ejĂ©rcito) et la marine (armada). Les officiers de la marine Ă©taient gĂ©nĂ©ralement issus des secteurs aristocratiques et des classes supĂ©rieures. L’armĂ©e, au contraire, venait de subir d’importants changements dans sa composition ; y avaient fait leur apparition en effet des groupes d’officiers issus des classes moyennes et moyennes infĂ©rieures, porteurs de nouvelles idĂ©es en matiĂšre de dĂ©fense, idĂ©es prĂ©conisant l’industrialisation des productions militaires et un rĂŽle actif de l’État dans la promotion de ces activitĂ©s.

L’armĂ©e Ă©tait divisĂ©e en deux grandes factions : les nationalistes et les libĂ©raux. Sans pour autant ĂȘtre des groupes homogĂšnes, les premiers avaient en commun une prĂ©occupation particuliĂšre sur le dĂ©veloppement de l’industrie nationale, sur les relations avec l’Église catholique et sur l’adoption d’une position internationale autonome ; beaucoup parmi eux entretenaient des rapports Ă©troits avec le radicalisme et Ă©taient originaires des classes moyennes. Les seconds, les libĂ©raux, partageaient une commune volontĂ© de rapprochement avec les grands groupes de pouvoir Ă©conomique, majoritairement britanniques ou amĂ©ricains, adhĂ©raient Ă  la prĂ©misse que l’Argentine devait avoir une structure productive essentiellement agricole, et appartenaient gĂ©nĂ©ralement aux classes supĂ©rieures.

Les bouleversements politiques, Ă©conomiques et sociaux survenus durant la dĂ©cennie 1930 avaient Ă©tĂ© Ă  l’origine de l’apparition d’une multiplicitĂ© de groupes diffĂ©rents animĂ©s de nouvelles aspirations, non seulement dans les forces armĂ©es, mais aussi dans tous les secteurs politiques et sociaux. Cette hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© Ă©tait jugulĂ©e par la stature dirigeante indiscutĂ©e dont jouissait le gĂ©nĂ©ral AgustĂ­n P. Justo dans le milieu militaire. Cependant Justo mourut prĂ©cisĂ©ment le 11 janvier 1943, laissant l’armĂ©e sans la contention de son autoritĂ© et mettant ainsi en train un processus de rĂ©alignements et de luttes internes entre les diffĂ©rents groupes de militaires.

La majoritĂ© des historiens de toutes tendances considĂšrent que le Groupe d’officiers unis, mieux connu sous son sigle GOU, sociĂ©tĂ© militaire secrĂšte crĂ©Ă©e le 10 mars 1943 et dissoute le 23 fĂ©vrier 1944, joua un rĂŽle dĂ©cisif dans l’organisation du coup d’État et dans le gouvernement militaire issu de celui-ci[26]. Toutefois, quelques historiens ont plus rĂ©cemment mis en doute l’ampleur supposĂ©e de l’influence du GOU, la qualifiant de « mythe »[27] ; l’historien amĂ©ricain Robert Potash, qui a Ă©tudiĂ© en dĂ©tail le rĂŽle de l’armĂ©e dans l’histoire argentine moderne, a fortement relativisĂ© la participation du GOU dans le putsch du 4 juin, dĂ©clarant :

« La direction du GOU n’avait pas directement sous la main les ressources militaires nĂ©cesaires Ă  rĂ©aliser une rĂ©volution [...]. Le mouvement militaire du 4 juin ne fut pas le rĂ©sultat d’un plan Ă©laborĂ© mĂ©ticuleusement par le GOU, ni mĂȘme par quelque autre groupe d’officiers[...]. Bien plutĂŽt, il fut une rapide improvisation dont les participants s’étaient Ă  peine concertĂ©s pour s’accorder sur des objectifs spĂ©cifiques, hormis celui du renversement du prĂ©sident Castillo[28]. »

Si les historiens sont en dĂ©saccord sur nombre de circonstances qui entourent le GOU, toutefois un consensus existe pour affirmer qu’il s’agit d’un groupe restreint d’officiers, avec une notable proportion d’officiers moins hauts gradĂ©s, surtout de colonels et de lieutenants-colonels. Il manquait au GOU une idĂ©ologie prĂ©cise, mais tous ses membres partageaient une vision nationaliste et anticommuniste, adoptaient une position « neutraliste » vis-Ă -vis de la guerre, et Ă©taient trĂšs dĂ©sireux d’en terminer avec les pratiques de corruption politique patentes des gouvernements conservateurs.

Les noms des officiers qui fondĂšrent le GOU en mai 1943 s’énumĂšrent comme suit[29] :

  • les colonels : Miguel Ángel Montes, Enrique P. GonzĂĄlez, Juan PerĂłn[30] et Emilio RamĂ­rez (fils du gĂ©nĂ©ral Pedro Pablo RamĂ­rez). À la mi-juillet vint s’y joindre Eduardo Ávalos, complĂ©tant ainsi le groupe de commandement. Les derniers citĂ©s seront connus sous l’appellation de « les quatre colonels »[31].
  • les lieutenants-colonels : Urbano de la Vega, Domingo Mercante, Oscar A. Uriondo, Julio Lagos (qui sera l’un des chefs de la RĂ©volution libĂ©ratrice de 1955), Severo Eizaguirre, TomĂĄs A. DucĂł (cĂ©lĂšbre dirigeant de football), Arturo Saavedra, AristĂłbulo Mittelbach, Bernardo MenĂ©ndez[32], AgustĂ­n de la Vega et Bernardo Guillanteguey.
  • les majors : HerĂĄclito Ferrazano, Fernando GonzĂĄlez et HĂ©ctor Ladvocat.
  • le capitaine : Francisco Filippi (gendre du gĂ©nĂ©ral Pedro Pablo RamĂ­rez).

Robert Potash et FĂ©lix Luna considĂšrent que Juan Carlos Montes et Urbano de la Vega furent Ă  l’initiative du groupe. L’on sait aussi que les frĂšres Montes Ă©taient des radicaux et des yrigoyĂ©nistes actifs, entretenant d’étroites relations avec Amadeo Sabattini (UCR), qui, Ă  son tour, Ă©tait liĂ© d’amitiĂ© avec Eduardo Ávalos[33]. L’historien Roberto Ferrero cependant soutient pour sa part que les deux cerveaux du GOU Ă©taient Enrique P. GonzĂĄlez et Emilio RamĂ­rez[34]. Enfin, les gĂ©nĂ©raux Pedro Pablo RamĂ­rez et Edelmiro Farrell maintenaient d’étroits contacts avec le GOU ; le premier, futur prĂ©sident, Ă©tait le pĂšre du colonel RamĂ­rez et le beau-pĂšre du capitaine Filippi.

Les historiens ne s’accordent pas davantage quant au rĂŽle jouĂ© par PerĂłn au sein du GOU. Quelques-uns, comme Hugo Gambini et FermĂ­n ChĂĄvez, Ă  partir d’angles de vue politiques divergents, estiment que PerĂłn, quoique d’un grade militaire relativement bas, fut le cerveau et le vrai chef du GOU. D’autres, comme FĂ©lix Luna et Roberto Ferrero, attribuent Ă  PerĂłn un rĂŽle de second plan, du moins au dĂ©but. Potash pense que s’il joua un rĂŽle important dans l’organisation du groupe, il le partageait avec d’autres dirigeants tels que RamĂ­rez, GonzĂĄlez et Montes. Rogelio GarcĂ­a Lupo pour sa part tient que le GOU Ă©tait dans une large mesure un mythe, une opĂ©ration de renseignement militaire[35]. Il est certain en tous cas que PerĂłn n’occupera pas de charges politiques importantes dans le gouvernement avant fin 1943, lorsqu’il entra en fonction en tant que secrĂ©taire au Travail.

L’existence du GOU traduisait les ambitions des officiers plus jeunes, de qui beaucoup Ă©taient issus des couches moyennes et infĂ©rieures peu influentes de la sociĂ©tĂ© argentine, et qui se virent devant une occasion historique d'ascension sociale lorsqu’en 1943 vint Ă  mourir le gĂ©nĂ©ral AgustĂ­n P. Justo, qui avait dominĂ© l’armĂ©e pendant prĂšs de deux dĂ©cennies. Du reste, la RĂ©volution de 1943 se caractĂ©risa justement par l’absence d’une instance dirigeante bien dĂ©finie.

Par delĂ  le dĂ©bat Ă  propos de la vĂ©ritable influence du GOU dans la RĂ©volution de 1943, les forces armĂ©es agentines, en particulier aprĂšs la mort du general Justo, Ă©taient une conjonction instable de groupes Ă  l’idĂ©ologie imprĂ©cise et relativement autonomes, qui entretenaient des relations avec les centres de pouvoir tant anciens que nouveaux, mais dont les positions devaient se prĂ©ciser au fur et Ă  mesure que le processus politique irait se dĂ©veloppant.

L’éphĂ©mĂšre dictature du gĂ©nĂ©ral Rawson

L’hĂŽtel Jousten, sis Ă  l’angle de l’avenue Corrientes et de la rue 25 de Mayo, Ă  Buenos Aires[36]. C’est lĂ  qu’avait coutume de se rĂ©unir le groupe de conspirateurs connu comme les GĂ©nĂ©raux du Jousten et dirigĂ© par le gĂ©nĂ©ral Arturo Rawson.

Le gĂ©nĂ©ral Arturo Rawson Ă©tait un fervent catholique, membre du trĂšs conservateur Parti dĂ©mocrate national et issu d’une famille traditionnelle de l’aristocratie argentine. Il dirigeait un groupe de conspirateurs que sera appelĂ© « les gĂ©nĂ©raux du Jousten », en rĂ©fĂ©rence Ă  l’hĂŽtel-restaurant du mĂȘme nom sis Avenida Corrientes (angle rue 25 de Mayo), oĂč ils avaient coutume de se rĂ©unir.

Le groupe se composait de militaires qui allaient occuper de hauts postes dans le gouvernement issu du coup d’État : le gĂ©nĂ©ral Diego I. Mason (Ă  l’agriculture) et les contre-amiraux Benito Sueyro (Ă  la marine) et son frĂšre SabĂĄ Sueyro (vice-prĂ©sident de la rĂ©publique). Faisait Ă©galement partie du groupe, en tant qu’« opĂ©rateur civil », l’homme politique Ernesto Sammartino (de l’UCR), qui fut convoquĂ© par Rawson au lendemain du coup d’État pour organiser le cabinet ministĂ©riel ; cependant, quand il arriva Ă  la Casa Rosada, dans le dĂ©sordre de la jeune rĂ©volution, personne n’eut l’idĂ©e d’avertir Rawson de sa prĂ©sence dans l’antichambre, en raison de quoi Sammartino, aprĂšs un temps d’attente diplomatique, finit par rentrer chez lui[37].

La dissension politique se fit jour le lendemain lorsque Rawson communiqua aux dirigeants militaires le nom des personnes appelĂ©es Ă  faire partie de son cabinet. Parmi elles figuraient trois amis personnels liĂ©s au rĂ©gime dĂ©chu et d’appartenance droitiĂšre reconnue, Ă  savoir le gĂ©nĂ©ral Domingo MartĂ­nez, JosĂ© MarĂ­a Rosa (fils) et Horacio CalderĂłn. Les dĂ©cideurs militaires, qui resteront en Ă©tat de dĂ©libĂ©ration permanente tout au long de la rĂ©volution, rejetĂšrent pĂ©remptoirement ces noms, et l’insistance de Rawson Ă  maintenir les personnalitĂ©s contestĂ©es entraĂźnĂšrent sa dĂ©mission le 6 juin. Il fut relayĂ© par le gĂ©nĂ©ral Pedro Pablo RamĂ­rez, celui justement qui avait dĂ©clenchĂ© le putsch aprĂšs qu’il eut Ă©tĂ© Ă©cartĂ© par Castillo Ă  la suite de sa rĂ©union avec les radicaux en vue de se voir offrir la candidature pour le compte de l’Union dĂ©mocratique[38].

Deux annĂ©es aprĂšs, en 1945, le gĂ©nĂ©ral Rawson tentera de monter depuis CĂłrdoba un coup d’État contre Farrell et PerĂłn, lequel Ă©choua mais ouvrit la voie Ă  la mise en Ɠuvre du dessein caressĂ© par le gĂ©nĂ©ral Ávalos et par plusieurs officiers de Campo de Mayo et visant au congĂ©diement et Ă  la mise en dĂ©tention de PerĂłn, dans la semaine avant les mobilisations populaires du 17 octobre 1945[39].

Dictature du général Pedro Pablo Ramírez

Le général Pedro Pablo Ramírez lors de sa prestation de serment en vue de son premier cabinet, le 7 juin 1943. Il sera président pendant les huit premiers mois de la révolution de 1943.

Le 7 juin, le gĂ©nĂ©ral Pedro Pablo RamĂ­rez fut investi prĂ©sident de la rĂ©publique et SabĂĄ Sueyro vice-prĂ©sident. RamĂ­rez sera prĂ©sident durant les huit premiers mois de la RĂ©volution de 1943. Il avait Ă©tĂ© ministre de la Guerre sous Castillo et, peu de jours avant le putsch, avait Ă©tĂ© proposĂ© par un secteur du radicalisme Ă  la tĂȘte du binĂŽme prĂ©sidentiel formĂ© pour le compte d’une alliance d’opposition en gestation, nommĂ©e UniĂłn DemocrĂĄtica[40]. Son premier cabinet ministĂ©riel Ă©tait intĂ©gralement constituĂ© de militaires, Ă  l’exception du ministre des Finances[41] :

  • ministĂšre des Finances : Jorge Santamarina ;
  • ministĂšre de l’intĂ©rieur : le colonel Alberto Gilbert ;
  • ministĂšre des Relations extĂ©rieures : le contre-amiral Segundo Storni ;
  • ministĂšre de la Justice et ministĂšre de l’Instruction publique : le colonel Elbio Anaya ;
  • ministĂšre de la Marine : le contre-amiral Benito Sueyro ;
  • ministĂšre de l’armĂ©e : le gĂ©nĂ©ral Edelmiro J. Farrell ;
  • ministĂšre de l’Agriculture : le gĂ©nĂ©ral de brigade Diego I. Mason ;
  • ministĂšre des Travaux publics : le vice-amiral Ismael GalĂ­ndez.

Si le cabinet ne comprenait aucun des membres du GOU, deux d’entre eux furent nommĂ©s Ă  des postes stratĂ©giques : les colonels Enrique P. GonzĂĄlez au secrĂ©tariat privĂ© de la prĂ©sidence, et Emilio RamĂ­rez, fils du prĂ©sident, Ă  la fonction de chef de la police de la Buenos Aires. Ces deux personnalitĂ©s, ainsi que le colonel Gilbert et le contre-amiral Sueyro, s’assembleront pour former le cercle politique intime du prĂ©sident RamĂ­rez. Le colonel Juan PerĂłn fut chargĂ© du secrĂ©tariat du ministĂšre de l’ArmĂ©e, sous tutelle du ministre Farrell, fonction certes importante, mais de moindre portĂ©e[41].

PremiĂšres mesures

Les premiĂšres mesures adoptĂ©es par les gouvernements de Rawson et de RamĂ­rez furent pour limiter les libertĂ©s individuelles et museler les diffĂ©rents secteurs politiques et sociaux. DĂšs le 4 juin 1943, jour de la rĂ©volution, les nouvelles autoritĂ©s procĂ©dĂšrent Ă  des dĂ©tentions de dirigeants et militants communistes, qui pour la plupart furent incarcĂ©rĂ©s dans des prisons de Patagonie, comme celle dans la ville de NeuquĂ©n, pour autant qu’ils n’eussent pas rĂ©ussi Ă  s’échapper en plongeant dans la clandestinitĂ© ou en prenant le chemin de l’exil en Uruguay[42].

Ainsi, le 6 juin, les dirigeants de la FĂ©dĂ©ration ouvriĂšre de l’industrie de la viande (la FOIC, selon son sigle espagnol) furent-ils dĂ©tenus et envoyĂ©s dans le sud du pays, et virent-ils leurs locaux fermĂ©s et leur secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral JosĂ© Peter retenu prisonnier sans jugement pendant un an et 4 mois. En juillet, le gouvernement dĂ©clara dissoute la CGT no 2, dans lequel s’étaient, dĂšs aprĂšs la scission de la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale du Travail (CGT) survenue en octobre 1942, regroupĂ©s les syndicats appuyant les partis socialiste et communiste[43].

Le 15 juin, le gouvernement dĂ©crĂ©ta la dissolution de l’association pro-AlliĂ©s AcciĂłn Argentina, et en aoĂ»t un rĂ©gime d’associations professionnelles fut approuvĂ© tendant Ă  accentuer le contrĂŽle de l’État sur les syndicats[44]. Le 23 aoĂ»t fut nommĂ© un interventeur militaire chargĂ© de placer sous tutelle de l’État le syndicat de cheminots UniĂłn Ferroviaria, en Ă©cartant ses responsables. En outre, le gouvernement dĂ©cida de dissoudre le CongrĂšs national et de faire subir une intervention Ă  l’universitĂ© nationale du Litoral. Toutes ces mesures seront la cause d’une vaste confrontation du gouvernement avec d’amples secteurs politiques et sociaux, en particulier avec le mouvement Ă©tudiant.

Concomitamment avec ces mesures, le gouvernement de Rawson prescrit le gel des fermages et mĂ©tayages ruraux, ce qui fut ressenti positivement par les travailleurs et les chacareros (petits et moyens exploitants agricoles), et mit sur pied une Commission d’enquĂȘte, composĂ©e de MatĂ­as RodrĂ­guez Conde, Juan Sabato et Juan P. Oliver, chargĂ©e de se pencher sur le scandale de la CHADE (es), mais qui eut Ă©galement pour mission de renforcer la lutte contre la corruption et qui produisit le rapport RodrĂ­guez Conde. Ce rapport, achevĂ© de rĂ©diger le 27 mai 1944, proposait de prendre deux dĂ©crets tendant Ă  retirer Ă  la CHADE sa personnalitĂ© juridique, d’annuler les prorogations et de rĂ©duire les tarifs. Cependant, le rapport ne fut pas publiĂ© avant 1956 et, par dĂ©cision de Juan PerĂłn, alors vice-prĂ©sident de facto, les propositions ne seront mĂȘme pas examinĂ©es[45]. La CHADE fut l’une des rares entreprises Ă  ne pas ĂȘtre nationalisĂ©es sous le gouvernement de PerĂłn (1946-1955), sans doute en raison de ce qu’elle avait soutenu financiĂšrement sa campagne Ă©lectorale[46].

La dĂ©mission de l’amiral Storni

Cordell Hull, secrĂ©taire d’État amĂ©ricain, provoqua la dĂ©mission du ministre argentin pro-AlliĂ©s des affaires Ă©trangĂšres, l’amiral Segundo Storni, et son remplacement par le colonel neutraliste Alberto Gilbert.

Dans les premiers mois aprĂšs le coup d’État survint aussi l’incident qui conduisit Ă  la dĂ©mission du ministre des Affaires Ă©trangĂšres, l’amiral Segundo Storni. Storni Ă©tait l’un des rares militaires argentins qui Ă  cette Ă©poque avaient des sympathies pour les États-Unis, oĂč d’ailleurs il avait vĂ©cu plusieurs annĂ©es. Bien qu’il fĂ»t nationaliste, il Ă©tait en mĂȘme temps « aliadĂłfilo », c’est-Ă -dire favorable Ă  l’entrĂ©e en guerre de l’Argentine aux cĂŽtĂ©s des AlliĂ©s. Le 5 aoĂ»t 1943, il envoya en ce sens une lettre personnelle au secrĂ©taire d’État des États-Unis, Cordell Hull, lui laisant entendre que l’Argentine se proposait de rompre ses relations diplomatiques avec les puissances de l'Axe, mais tout en lui demandant quelque patience, le temps de mettre en place un climat de rupture en Argentine, et sollicitant en mĂȘme temps les États-Unis de faire un geste en matiĂšre de fourniture d’armements qui serait propre Ă  isoler les neutralistes. Dans le but de faire pression sur le gouvernement argentin, Cordell Hull rendit publique la lettre de Storni, fustigeant en outre, en termes Ăąpres, le traditionnel neutralisme argentin[47].

La manƓuvre produisit l’effet contraire Ă  celui escomptĂ©, provoquant une recrudescence du sentiment anti-nordamĂ©ricain, dĂ©jĂ  fort sans cela, surtout au sein des forces armĂ©es, et entraĂźnant la dĂ©mission de Storni et son remplacement par un neutraliste, le colonel Alberto Gilbert, qui avait jusque-lĂ  occupĂ© le poste de ministre de l’IntĂ©rieur. Pour le supplĂ©er dans cette fonction, RamĂ­rez dĂ©signa un membre du GOU, le colonel Luis CĂ©sar Perlinger, nationaliste catholico-hispaniste, qui devait l’annĂ©e suivante prendre la tĂȘte de la rĂ©action de droite contre le duo Farrell-PerĂłn.

La dĂ©mission de Storni entraĂźna celle de Santamarina (aux Finances), de GalĂ­ndez (Travaux publics) et d’Anaya (Justice), et ouvrit les portes du gouvernement au secteur de l’ultradroite nationaliste et catholico-hispaniste, lequel mettra aussi la main sur le nouveau ministĂšre de l’Éducation nationale, par la personne du cĂ©lĂšbre Ă©crivain Gustavo MartĂ­nez ZuvirĂ­a, dit Hugo Wast. Jusqu’à cette date, en dĂ©pit des pressions des nationalistes, RamĂ­rez avait maintenu Ă  leurs postes les dirigeants libĂ©raux ; mais la chute de Storni et l’ascension de Perlinger donna aux narionalistes l’hĂ©gĂ©monie au sein du gouvernement.

La politique Ă©ducative et l’opposition estudiantine

La rĂ©volution de 1943 confia ainsi l’enseignement au secteur nationaliste catholico-hispaniste de droite. Ce processus dĂ©buta le 28 juillet 1943, lorsque le gouvernement mit sous sa tutelle directe l’universitĂ© nationale du Litoral, nommant interventeur JordĂĄn Bruno Genta. La FĂ©dĂ©ration universitaire du Litoral (FUL) protesta Ă©nergiquement contre la dĂ©signation de Genta, Ă  quoi le gouvernement militaire rĂ©pliqua en mettant son secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral en dĂ©tention et en expulsant les Ă©tudiants et les professeurs qui manifestaient leur opposition.

L’universitĂ© argentine Ă©tait rĂ©gie par les principes de la RĂ©forme universitaire de 1918, laquelle avait instaurĂ© l’autonomie universitaire, la participation Ă©tudiante dans la direction des universitĂ©s, et la libertĂ© d'enseignement. Genta, connu pour ses idĂ©es d’ultra-droite et hostiles Ă  ladite RĂ©forme universitaire, soutint, Ă  peine fut-il investi dans sa fonction, que le pays avait besoin de crĂ©er « une aristocratie de l’intelligence, nourrie sur le tronc romain et hispanique »[48]. Ces dĂ©clarations dĂ©clenchĂšrent le premier affrontement au sein mĂȘme des forces ayant soutenu la RĂ©volution de 1943, aprĂšs que le groupe nationaliste radical FORJA, qui appuyait la RĂ©volution de 1943, eut durement critiquĂ© le discours de Genta, considĂ©rant que celui-ci comportait « la suprĂȘme adulation du banditisme universitaire qui a trafiquĂ© avec tous les biens de la nation »[49]. RĂ©agissant Ă  ces propos, le gouvernement militaire dĂ©cida d’emprisonner le penseur radical et futur pĂ©roniste Arturo Jauretche[50].

Quoique Genta fĂ»t finalement contraint de dĂ©missionner, la confrontation du gouvernement avec le mouvement Ă©tudiant se gĂ©nĂ©ralisa et vint Ă  se polariser Ă  l’extrĂȘme, tandis que dans le mĂȘme temps le secteur nationaliste catholico-hispaniste continuait sa progression en accaparant les positions importantes dans le gouvernement militaire. En octobre, RamĂ­rez avait mis sous tutelle directe la totalitĂ© des universitĂ©s et amplifiĂ© plus avant encore la participation politique du nationalisme catholique de droite, par la nomination, dĂ©jĂ  mentionnĂ©e, des ministres Perlinger et MartĂ­nez ZuvirĂ­a, tout en proclamant hors la loi la FĂ©dĂ©ration universitaire argentine (FUA).

L’idĂ©ologie de ce groupe (ultra-catholique, hispaniste, Ă©litiste, antidĂ©mocratique et antifĂ©ministe) s’exprimera Ă  cette Ă©poque Ă  travers un ensemble de dĂ©clarations provocatrices :

« Sarmiento[51] amena trois fléaux dans le pays : les Italiens, les moineaux et les institutrices[52]. »

« L’école laĂŻque est une invention diabolique[53]. »

« Nous devons cultiver notre personnalité différenciée et la maintenir dans le tronc fondateur, qui est criollo, par là hispanique, catholique, apostolique et romain[54]. »

« La dignification de la femme consiste à ne pas la soustraire à sa vocation spécifique[54]. »

Parmi les fonctionnaires se rĂ©clamant du nationalisme catholico-hispaniste de droite et occupant des fonctions de gouvernement durant la RĂ©volution de 1943, l’on relĂšve les noms de : Gustavo MartĂ­nez ZuvirĂ­a (alias Hugo Wast, ministre de l’Éducation nationale), Alberto Baldrich (idem), JosĂ© Ignacio Olmedo (Conseil national de l’éducation), JordĂĄn Bruno Genta puis Salvador Dana Montaño (interventeur dans l’universitĂ© nationale du Litoral, UNL), TomĂĄs D. Casares (interventeur dans l’universitĂ© de Buenos Aires, UBA), Santiago de Estrada (interventeur dans l’universitĂ© nationale de TucumĂĄn, UNT), Lisardo Novillo Saravia (interventeur dans l’universitĂ© nationale de CĂłrdoba, UNC), Alfredo L. Labougle (recteur de l’universitĂ© nationale de La Plata, UNLP), Juan R. Sepich (directeur du Colegio Nacional de Buenos Aires, rebaptisĂ© Ă  son ancien nom colonial Colegio Universitario San Carlos).

Le 14 octobre 1943, un groupe de 150 personnalitĂ©s politiques et culturelles, emmenĂ© par le scientifique Bernardo Houssay, signa une DĂ©claration Ă  propos de la dĂ©mocratie effective et de la solidaritĂ© latinoamĂ©ricaine demandant la convocation d’élections et l’entrĂ©e en guerre de l’Argentine contre l’Axe[55]. RamĂ­rez rĂ©agit par une mise Ă  pied de ceux des signataires qui appartenaient Ă  la fonction publique.

Novembre 1943 : avĂšnement de PerĂłn et rĂŽle accru des syndicats

Revue du syndicat des cheminots appuyant Perón. Le colonel Perón conclut une alliance avec un large éventail de syndicats de différentes tendances, alliance qui se constitua en courant travailliste-nationaliste et parvint à influer notablement sur le cours de la Révolution de 1943.

Les historiens ont des opinions divergentes quant au degrĂ© d’influence qu’avait Juan PerĂłn sur la politique argentine avant le 27 octobre 1943, date Ă  laquelle il prit la direction d’une subdivision insignifiante du gouvernement : le dĂ©partement du Travail[56]. Il est certain que cette fonction fut la premiĂšre fonction officielle qu’exerça PerĂłn et que c’est Ă  partir de cette date que sa figure commença Ă  acquĂ©rir une importance publique, en particulier par le biais de l’arrivĂ©e des syndicats sur l’avant-scĂšne de la vie politique nationale.

Le gouvernement de RamĂ­rez avait adoptĂ© envers les syndicats une attitude similaire Ă  celle des gouvernements antĂ©rieurs : rĂŽle politique et institutionnel rĂ©duit, absence gĂ©nĂ©ralisĂ©e de mise en Ɠuvre de la lĂ©gislation du travail, sympathie pro-patronale et rĂ©pressions ponctuelles.

En 1943, le mouvement ouvrier argentin, le plus dĂ©veloppĂ© d’AmĂ©rique latine Ă  cette Ă©poque, Ă©tait divisĂ© en quatre centrales syndicales : la CGT no 1, majoritairement socialiste et syndicaliste rĂ©volutionnaire, et englobant les puissants syndicats de cheminots ; la CGT no 2, comprenant des socialistes et des communistes ; la petite Union syndicale argentine (en abrĂ©gĂ© USA), composĂ©e de syndicalistes rĂ©volutionnaires ; et la quasi inexistante FĂ©dĂ©ration ouvriĂšre rĂ©gionale argentine (FORA), de tendance anarchiste. L’une des premiĂšres mesures de RamĂ­rez sera de dissoudre la CGT no 2, dirigĂ©e par le socialiste Francisco PĂ©rez LeirĂłs, et qui regroupait d’importants syndicats tels que la FĂ©dĂ©ration argentine des employĂ©s de commerce et de services (FAECYS), dirigĂ©e par le socialiste Ángel Borlenghi, et les syndicats communistes (construction, industrie de la viande, etc.), que RamĂ­rez taxa d’extrĂ©mistes. Paradoxalement, la mesure eut pour effet immĂ©diat le passage de nombreux syndicats auparavant intĂ©grĂ©s Ă  la CGT no 2 vers la nouvelle centrale syndicale unique CGT, dirigĂ©e par le socialiste JosĂ© Domenech, qui s’emploiera Ă  la renforcer.

Peu aprĂšs, le gouvernement fit passer une lĂ©gislation sur les syndicats, laquelle, si elle rĂ©pondait Ă  quelques attentes syndicales, permettait aussi la mise sous tutelle directe (intervention) des organisations syndicales par l’État. BientĂŽt d’ailleurs, le gouvernement de RamĂ­rez fit usage de cette loi pour intervenir dans les puissants syndicats de cheminots, le cƓur de la CGT, qu’étaient l’UniĂłn Ferroviaria et La Fraternidad. En octobre, les autoritĂ©s rĂ©pliquĂšrent Ă  une sĂ©rie de grĂšves par l’arrestation de dizaines de dirigeants ouvriers. Il devint rapidement Ă©vident que le gouvernement militaire renfermait dans ses rangs d’influents groupes anti-syndicaux.

DĂšs que le coup d’État s’était produit, le mouvement syndical avait commencĂ© Ă  se concerter sur la meilleure stratĂ©gie Ă  adopter pour ses relations avec le gouvernement militaire. Plusieurs historiens, parmi lesquels on note en particulier Samuel Baily[57], Julio Godio et Hiroshi Matsushita[58], ont dĂ©montrĂ© que depuis la fin de la dĂ©cennie 1920 le mouvement ouvrier argentin avait progressivement Ă©voluĂ© vers un nationalisme travailliste[59], qui impliquait un engagement plus Ă©troit des syndicats dans l’appareil d’État.

Le premier pas fut franchi par les dirigeants de la CGT no 2, avec Ă  leur tĂȘte Francisco PĂ©rez LeirĂłs, Ă  travers l’entrevue qu’ils eurent avec le ministre de l’IntĂ©rieur, le gĂ©nĂ©ral Alberto Gilbert. Les syndicalistes demandĂšrent au gouvernement de convoquer des Ă©lections, lui offrant l’appui d’une marche syndicale sur la Casa Rosada, mais le gouvernement repoussa cette offre et dĂ©cida de dissoudre la CGT no 2[60].

Le dirigeant syndical socialiste Ángel Borlenghi, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la ConfĂ©dĂ©ration des employĂ©s de commerce (FAECYS), Ă©tait Ă  la tĂȘte du groupe syndical qui se mit en contact avec PerĂłn et qui donna naissance au nouveau courant syndical travailliste-nationaliste. Sous la prĂ©sidence de PerĂłn, Borlenghi deviendra ministre de l’IntĂ©rieur et le deuxiĂšme homme du gouvernement. Il fut le premier syndicaliste en Argentine Ă  occuper une fonction gouvernementale.

Peu aprĂšs, un autre groupe syndical, emmenĂ© cette fois par Ángel Borlenghi (socialiste et secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la puissante ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale des employĂ©s de commerce au sein de la CGT no 2), Francisco Pablo Capozzi (La Fraternidad) et Juan Atilio Bramuglia (UniĂłn Ferroviaria), choisit, quoique sous rĂ©serve et avec mĂ©fiance, d’établir des relations avec un secteur du gouvernement militaire plus enclin Ă  accepter les revendications syndicales, et consentit Ă  faire partie d’une alliance susceptible d’influer sur le cours des Ă©vĂ©nements. La personne dĂ©signĂ©e pour le contact initial Ă©tait le colonel Domingo Mercante, fils d’un important responsable syndical ferroviaire et membre du GOU. Mercante Ă  son tour associa Ă  la dĂ©marche son compagnon politique et ami intime, le colonel Juan PerĂłn[61].

Les syndicalistes proposĂšrent aux militaires de crĂ©er un secrĂ©tariat au Travail, de renforcer la CGT et d’adopter un ensemble de lois sur le travail prenant en compte les revendications historiques du mouvement ouvrier argentin. Lors de cette rĂ©union, PerĂłn synthĂ©tisa ces revendications en les dĂ©finissant comme une politique visant Ă  « dignifier le travail »[62].

Depuis lors, les colonels PerĂłn et Mercante se rĂ©unissaient rĂ©guliĂšrement avec les syndicats. Le 30 septembre 1943, ils tinrent une rĂ©union publique aux cĂŽtĂ©s de 70 dirigeants syndicaux, Ă  la suite d’un prĂ©avis de grĂšve gĂ©nĂ©rale rĂ©volutionnaire formulĂ© par la CGT pour octobre et appuyĂ© par toute l’opposition. Pendant ladite rĂ©union, les syndicalistes communistes exigĂšrent comme condition prĂ©alable Ă  tout dialogue avec le gouvernement la libĂ©ration de JosĂ© Peter, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du syndicat de l’Industrie de la viande, qui venait d’ĂȘtre emprisonnĂ© en raison d’une grĂšve dĂ©clarĂ©e dans les entrepĂŽts frigorifiques. PerĂłn intervint personnellement dans le conflit, fit pression sur les entreprises pour qu’elles conclussent une convention collective avec le syndicat (le premier en date dans ce secteur) et obtint l’élargissement du dirigeant communiste[63]. D’autre part, Alain RouquiĂ© signale que les tractations menĂ©es par les colonels PerĂłn et Mercante aboutirent Ă  ce qu’un accord fut signĂ© avec le fougueux Sindicato AutĂłnomo de la Carne de Berisso y Ensenada, qui Ă©tait en opposition ouverte avec le syndicat communiste FederaciĂłn Obrera de la Industria de la Carne (FOIC), plus reprĂ©sentatif pourtant et d’importance nationale[64].

La rĂ©percussion sur le mouvement ouvrier fut notable et le groupe de syndicalistes favorable Ă  une alliance avec ce secteur du gouvernement militaire connut une forte croissance et accueillit en son sein d’autres socialistes tels que JosĂ© Domenech (cheminots), David Diskin (employĂ©s de commerce), Alcides Montiel (industrie de la biĂšre) et Lucio Bonilla (textile), mais aussi des syndicalistes rĂ©volutionnaires provenant de l’Union syndicale argentine (USA), tels que Luis Gay (compagnies de tĂ©lĂ©phone) et Modesto Orozo (idem), et mĂȘme quelques communistes comme RenĂ© Stordeur (industries graphiques) et Aurelio HernĂĄndez (santĂ©)[65], et jusqu’à des trotskystes comme Ángel Perelman (mĂ©tallurgie). Un des premiers effets de la nouvelle relation Ă©tablie entre syndicalistes et militaires sera la non participation de la majoritĂ© des syndicats Ă  la grĂšve gĂ©nĂ©rale rĂ©volutionnaire prĂ©vue, qui ainsi passa inaperçue.

Peu de temps plus tard, le 27 octobre 1943[56], la prĂ©caire alliance entre syndicalistes et militaires rĂ©ussit Ă  obtenir que RamĂ­rez dĂ©signĂąt PerĂłn directeur du dĂ©partement du Travail, poste apparemment sans valeur aucune. L’une des premiĂšres mesures de PerĂłn fut de retirer les interventeurs des syndicats de cheminots et de nommer Ă  leur place le colonel Mercante. Dans le mĂȘme temps, le ComitĂ© central confĂ©dĂ©ral de la CGT, composĂ© de socialistes, dĂ©cida de crĂ©er une Commission pour l’unitĂ© syndicale Ă  l’effet de rĂ©tablir une centrale unique, objectif traditionnel du mouvement ouvrier argentin[66].

Un mois aprĂšs, le 27 novembre 1943, PerĂłn, avec l’appui du gĂ©nĂ©ral Farrell, obtint que le prĂ©sident RamĂ­rez approuvĂąt l’instauration du secrĂ©tariat au Travail et Ă  la PrĂ©voyance, dotĂ© d’un statut semblable Ă  un ministĂšre, et placĂ© sous la dĂ©pendance directe du prĂ©sident de la Nation[56].

En sa qualitĂ© de secrĂ©taire au Travail, PerĂłn rĂ©alisa une Ɠuvre notable, faisant adopter les lois sur le travail rĂ©clamĂ©es historiquement par le mouvement ouvrier argentin (Ă  savoir : la gĂ©nĂ©ralisation de l’indemnitĂ© de licenciement dont bĂ©nĂ©ficiaient depuis 1934 les employĂ©s de commerce, la retraite pour les employĂ©s de commerce, le statut d’ouvrier agricole, l’hĂŽpital polyclinique pour les cheminots, les Ă©coles techniques pour ouvriers, l’interdiction des agences de placement, la crĂ©ation d’une juridiction de prud'hommes, le treiziĂšme mois), rendant plus efficace l’inspection du travail existante pour garantir l’application de la nouvelle lĂ©gislation, et mettant en place pour la premiĂšre fois la nĂ©gociation collective, qui se gĂ©nĂ©ralisera ensuite comme outil de rĂ©gulation de base des rapports entre capital et travail. En outre, il laissa sans effet le dĂ©cret-loi sur les associations syndicales sanctionnĂ© par RamĂ­rez dans les premiĂšres semaines de la rĂ©volution, et qui Ă©tait critiquĂ© par tout le mouvement ouvrier.

ParallĂšlement Ă  cette activitĂ© lĂ©gislative, PerĂłn, Mercante et le groupe initial de syndicalistes partie prenante de l’alliance (les socialistes Borlenghi et Bramuglia, principalement) commencĂšrent Ă  fonder un nouveau courant syndical appelĂ© Ă  revĂȘtir une identitĂ© travailliste-nationaliste. Le groupe adopta un positionnement anticommuniste, dĂ©jĂ  prĂ©sent Ă  la CGT no 1, et, s’appuyant sur le pouvoir du secrĂ©tariat au Travail, mit sur pied de nouveaux syndicats dans les branches oĂč il n’y en avait pas encore (chimie, Ă©lectricitĂ©, tabac) et en fonda d’autres parallĂšles destinĂ©s principalement Ă  affaiblir les syndicats communistes (viande, construction, textile, metallurgie).

Abandon de la neutralité et crise du gouvernement de Ramírez

DĂ©but 1944, l’alliance de PerĂłn avec les syndicats provoqua la premiĂšre grande division interne chez les militaires. Sommairement, deux groupes s’étaient constituĂ©s :

  • le premier, emmenĂ© par le prĂ©sident RamĂ­rez, le gĂ©nĂ©ral Juan Sanguinetti (interventeur dans la cruciale province de Buenos Aires), et les colonels Luis CĂ©sar Perlinger, Enrique P. GonzĂĄlez et Emilio RamĂ­rez (fils du prĂ©sident), s’adossait au nationalisme catholico-hispaniste de droite et mettait en cause la politique sociale pro-ouvriĂšre de PerĂłn. Ce groupe rĂ©ussit Ă  attirer d’autres secteurs, aux appartenances disparates, qui s’inquiĂ©taient des avancĂ©es syndicales dans le gouvernement et qui, schĂ©matiquement, se proposaient de destituer Farrell pour le remplacer par le gĂ©nĂ©ral Anaya[67].
  • le second, dirigĂ© par le gĂ©nĂ©ral Farrell et le colonel PerĂłn. Ce groupe ne soutenait pas RamĂ­rez ni son projet de se perpĂ©tuer au gouvernement, et avait mis en action une stratĂ©gie visant Ă  doter la RĂ©volution de 1943 d’un soubassement populaire, d’une part en approfondissant l’efficace alliance avec les syndicats en vue de forger un nationalisme travailliste, et d’autre part en cherchant des appuis dans les partis politiques, principalement les radicaux intransigeants, et spĂ©cifiquement Amadeo Sabattini, dans le but de consolider le nationalisme Ă©conomique dĂ©jĂ  prĂ©sent dans l’yrigoyĂ©nisme de la premiĂšre heure[67].

Ferrero soutient que le duo Farrell-Perón tenta de façonner un « nationalisme populaire » orienté vers une sortie démocratique hors du régime dictatorial, et apte à affronter le « nationalisme élitiste » non démocratique que soutenait Ramírez[68].

À cette division interne du pouvoir militaire se superposait une situation internationale clairement dĂ©favorable au gouvernement, qui s’était retrouvĂ© totalement isolĂ©. DĂ©but 1944, il Ă©tait devenu Ă©vident que l’Allemagne perdrait la guerre, tandis qu’il Ă©tait de plus en plus difficile pour l’Argentine de rĂ©sister Ă  la pression exercĂ©e par les États-Unis pour la faire renoncer Ă  sa neutralitĂ©.

La chaĂźne des Ă©vĂ©nements se dĂ©clencha le 3 janvier 1944, lorsque RamĂ­rez reconnut le nouveau gouvernement bolivien, issu d’un coup d’État menĂ© par Gualberto Villarroel. La Bolivie se dĂ©clara en faveur de la neutralitĂ© et proposa de crĂ©er un « bloc austral » neutre, aux cĂŽtĂ©s de l’Argentine et du Chili, les seuls États restĂ©s neutres d’AmĂ©rique. S’y ajouta le scandale causĂ© par la mise en dĂ©tention par les Britanniques du marin Osmar Helmuth, agent secret allemand que RamĂ­rez, Gilbert et Sueyro avaient missionnĂ© d’acheter des armes en Allemagne.

Les États-Unis rĂ©agirent fermement, accusant l’Argentine d’avoir fomentĂ© le putsch bolivien, et dĂ©pĂȘchĂšrent, en guise de menace, un porte-avions dans le RĂ­o de la Plata, qui mit l’ancre devant Montevideo. La rĂ©action amĂ©ricaine produisit une volte-face immĂ©diate des dirigeants militaires argentins et le 26 janvier 1944, l’Argentine rompit ses relations avec l’Allemagne et le Japon[69].

Cette rupture des relations provoqua une crise au sein du gouvernement, sur fond de mĂ©contentement gĂ©nĂ©ralisĂ© dans les forces armĂ©es, plus particuliĂšrement dans le groupe nationaliste catholico-hispaniste de droite, principal appui du prĂ©sident RamĂ­rez. Gustavo MartĂ­nez ZuvirĂ­a dĂ©missionna du ministĂšre de l’Éducation, bientĂŽt suivi de TomĂĄs D. Casares en tant qu’interventeur dans l’UBA. Peu aprĂšs, le 15 fĂ©vrier, remettront Ă©galement leur dĂ©mission les principaux appuis de RamĂ­rez, les colonels GonzĂĄlez et son fils Emilio, puis le lendemain le colonel Gilbert. Les heures du prĂ©sident dĂšs lors Ă©taient comptĂ©es.

Chute de RamĂ­rez

DĂšs le 22 fĂ©vrier, en raison de la rupture des relations avec l’Axe, le GOU avait dĂ©cidĂ© de renverser RamĂ­rez ; cependant, comme ils avaient fait serment de soutenir le prĂ©sident, ils rĂ©solurent la question par l’autodissolution du GOU, qui les affranchirait formellement de leur serment. Le lendemain, les mĂȘmes officiers se rĂ©unirent Ă  nouveau pour exiger la dĂ©mission de RamĂ­rez. Ensuite, deux semaines durant, la situation resta indĂ©cise, jusqu’à la dĂ©mission du prĂ©sident le 9 mars 1944[70].

Dans une tentative de devancer les Ă©vĂ©nements, RamĂ­rez, tĂŽt le matin le 24 fĂ©vrier, sollicita le gĂ©nĂ©ral Farrell, vice-prĂ©sident et ministre de la Guerre, de dĂ©missionner. Celui-ci riposta en convoquant Ă  son office les commandants des principales garnisons et en leur ordonnant de cerner la rĂ©sidence prĂ©sidentielle. Dans la soirĂ©e de ce mĂȘme jour, les chefs des garnisons proches de Buenos Aires se prĂ©sentĂšrent devant RamĂ­rez et le requirent de dĂ©missionner. RamĂ­rez prĂ©senta alors le texte de dĂ©mission suivant, rĂ©digĂ© par le colonel Enrique P. GonzĂĄlez :

« Au peuple de la RĂ©publique : Comme j’ai cessĂ© de mĂ©riter la confiance des chefs et des officiers des garnisons de la Capitale fĂ©dĂ©rale, Campo de Mayo, Palomar et La Plata, selon ce que viennent de me communiquer personnellement lesdits chefs, et comme je ne souhaite pas compromettre le destin du pays, je m’incline devant l’imposition de la force et prĂ©sente ma dĂ©mission de mon poste. »

— Pedro P. RamĂ­rez, gĂ©nĂ©ral de division.
Buenos Aires, le 24 février 1944[71]

Le texte de la dĂ©mission comportait un piĂšge, attendu que l’utilisation des mots « je m’incline devant l’imposition de la force » signalait une rĂ©volution, et non une succession dans le cadre du mĂȘme rĂ©gime. Pour de pareils cas de figure, la rĂ©cente doctrine Guani panamĂ©ricaniste impulsĂ©e par les États-Unis, prescrivait que

« [...] tout gouvernement Ă©tabli par la force pendant la guerre ne doit pas ĂȘtre reconnu avant que les autres pays amĂ©ricains ne se fussent concertĂ©s afin de dĂ©terminer si [ce gouvernement] paraĂźt disposĂ© Ă  respecter les engagements interamĂ©ricains. »

Par consĂ©quent, le nouveau gouvernement resterait privĂ© de reconnaissance et par suite internationalement isolĂ©, ce qui d’ailleurs finit par arriver[72].

Les chefs militaires rejetĂšrent les termes de la dĂ©mission de RamĂ­rez, lequel finalement accepta d’invoquer la « fatigue » comme motif de « dĂ©lĂ©guer » la charge de prĂ©sident au vice-prĂ©sident Farrell[73] ; celui-ci accĂ©da au poste le lendemain 25 fĂ©vrier, « Ă  titre intĂ©rimaire ».

Ce nonobstant, d’un point de vue formel, RamĂ­rez continuait d’ĂȘtre prĂ©sident, et en effet continua de diriger avec l’assistance de son cercle le plus proche. Le soir du 29 fĂ©vrier 1944, vingt-et-un gĂ©nĂ©raux se rĂ©unirent pour analyser la possibilitĂ© d’une sortie de crise par des Ă©lections (parmi lesquels Ă©taient Arturo Rawson, Manuel Savio, Elbio Anaya, etc.). Ce mĂȘme jour, le lieutenant-colonel TomĂĄs A. DucĂł, croyant que la rĂ©union de ces gĂ©nĂ©raux Ă©tait l’amorce d’un coup d’État en appui Ă  RamĂ­rez, souleva le stratĂ©gique rĂ©giment no 3 d’infanterie[74] et le dirigea sur le faubourg de Lomas de Zamora, oĂč il s’empara des bĂątiments et positions clefs, puis s’y retrancha. DĂšs le lendemain cependant, il se rendit[75].

Les rĂ©unions des gĂ©nĂ©raux se poursuivirent, auxquelles vinrent Ă©galement se joindre des amiraux et des radicaux et socialistes. Le 4 mars 1944, RamĂ­rez chargea le dirigeant politique radical Ernesto Sammartino d’organiser un soulĂšvement civil, qui Ă©choua[76].

Finalement, le 9 mars, le gĂ©nĂ©ral RamĂ­rez prĂ©senta sa dĂ©mission dans un long document, diffusĂ© publiquement, dans lequel il relata toutes les Ă©tapes ayant conduit Ă  sa dĂ©position[77]. Les États-Unis, s’autorisant de cette dĂ©claration de dĂ©mission du prĂ©sident RamĂ­rez, ne voulurent pas reconnaĂźtre le nouveau gouvernement et rappelĂšrent leur ambassadeur en poste Ă  Buenos Aires, tout en faisant pression sur le reste des pays latino-amĂ©ricains et sur la Grande-Bretagne pour qu’ils fissent de mĂȘme[72]. Il s’ensuivit que le 25 fĂ©vrier 1944, le vice-prĂ©sident, le gĂ©nĂ©ral Edelmiro Farrell, accĂ©da Ă  la prĂ©sidence, d’abord Ă  titre intĂ©rimaire, puis, Ă  partir du 9 mars, Ă  titre dĂ©finitif[78].

Dictature du général Edelmiro Farrell

Le gĂ©nĂ©ral Edelmiro Farrell exerça la prĂ©sidence de l’Argentine pendant les deux derniĂšres annĂ©es de la rĂ©volution de 1943. Il Ă©tablit une Ă©troite alliance avec le colonel Juan PerĂłn.

Le gĂ©nĂ©ral Edelmiro JuliĂĄn Farrell avait Ă©tĂ© dĂ©signĂ© vice-prĂ©sident le 15 octobre 1943, Ă  la suite du dĂ©cĂšs de SabĂĄ Sueyro et d’une tentative de RamĂ­rez de l’évincer du gouvernement au moyen d’une opĂ©ration militaire emmenĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Santos V. Rossi[79]. Son gouvernement se caractĂ©risera notamment par ceci qu’il sera tiraillĂ© entre son mandat de reprĂ©senter une armĂ©e majoritairement neutraliste et l’impossibilitĂ© de rĂ©sister aux pressions des États-Unis pour que l’Argentine se rangeĂąt inconditionnellement aux cĂŽtĂ©s des alliĂ©s, pressions qui se renforceraient Ă  mesure que la dĂ©faite de l’Allemagne et du Japon apparaissait irrĂ©versible.

DĂšs le dĂ©but, Farrell dut affronter le gĂ©nĂ©ral Luis CĂ©sar Perlinger, ministre de l’IntĂ©rieur et reprĂ©sentant type du nationalisme catholico-hispaniste de droite. Le principal appui de Farrell sera Juan PerĂłn avec son efficace politique sociale, qu’il parvint Ă  faire nommer simultanĂ©ment ministre de la Guerre, en dĂ©pit de l’opposition de la majoritĂ© des anciens membres du GOU qui, alarmĂ©s par les relations de PerĂłn avec les syndicats, avaient dĂ©signĂ© le gĂ©nĂ©ral Juan C. Sanguinetti Ă  ce poste, dĂ©signation rĂ©voquĂ©e par l’insistance rĂ©solue de Farrell[80].

Fin mai, le gĂ©nĂ©ral Perlinger s’engagea sur la voie d’une tentative d’évincement du duo Farrell-PerĂłn, en s’offrant lui-mĂȘme, parmi les anciens membres du GOU, Ă  occuper la charge devenue ainsi vacante de vice-prĂ©sident. Toutefois, contre toute attente, il sortit perdant du vote interne chez les officiers. Le 6 juin 1944, PerĂłn, aussitĂŽt appuyĂ© par Farrell, mit Ă  profit le faux pas de Perlinger pour rĂ©clamer sa dĂ©mission. Sans autre possibilitĂ©, Perlinger dut dĂ©missionner et ce fut alors PerĂłn lui-mĂȘme qui fut nommĂ© vice-prĂ©sident, sans pour autant renoncer Ă  ses autres attributions. Le duo Farrell-PerĂłn acquit ainsi un pouvoir maximum, qui servira dans les mois qui suivront Ă  expulser du gouvernement les autres hommes issus du nationalisme de droite : Bonifacio del Carril, Francisco Ramos MejĂ­a, Julio Lagos, Miguel Iñiguez, Juan Carlos Poggi, Celestino Genta, entre autres[81].

Pression des États-Unis

Farrell et son cabinet ministériel. Dans la premiÚre rangée, de gauche à droite : Alberto Tessaire, Diego Mason, Juan Perón, Peluffo et Juan Pistarini.

Pendant ce temps, les États-Unis accrurent leur pression sur l’Argentine, la prĂ©sentant comme une « menace contre la dĂ©mocratie », dans le double but que l’Argentine dĂ©clarĂąt la guerre Ă  l’Axe et quittĂąt l’orbite britannico-europĂ©enne, deux objectifs intimement liĂ©s entre eux.

Le 22 juin 1944, les États-Unis rappelĂšrent leur ambassadeur, en quoi ils seront imitĂ©s ensuite par tous les autres gouvernements latino-amĂ©ricains. Seule la Grande-Bretagne dĂ©cida de maintenir son ambassadeur David Kelly Ă  Buenos Aires. La Grande-Bretagne rĂ©cusa la caractĂ©risation du rĂ©gime argentin faite par les États-Unis et considĂ©rait la neutralitĂ© de l’Argentine comme la condition nĂ©cessaire Ă  assurer l’approvisionnement de sa population et de ses troupes. Mais, par-dessus tout, la Grande-Bretagne Ă©tait consciente que le dessein rĂ©el des États-Unis Ă©tait de la supplanter comme pouvoir Ă©conomique dominant et d’imposer en Argentine un gouvernement pro-nord-amĂ©ricain, ce qu’elle n’était pas disposĂ©e Ă  faciliter (du reste, il se passera encore prĂšs de deux dĂ©cennies avant que les États-Unis instaurent leur hĂ©gĂ©monie sur l’Argentine). Il fallut que le prĂ©sident Franklin Delano Roosevelt s’entretĂźnt personnellement avec Winston Churchill pour que la Grande-Bretagne se rĂ©signĂąt enfin Ă  retirer son ambassadeur. Le secrĂ©taire d’État amĂ©ricain, Cordell Hull, qui Ă©voqua le fait dans ses MĂ©moires, rapporta que si Churchill finit par accepter cette exigence, ce fut « de trĂšs mauvaise grĂące et presque avec rĂ©pugnance »[82].

Les Britanniques soutinrent que les États-Unis « dĂ©formaient intentionnellement les faits » quand ils dĂ©peignaient l’Argentine comme un « danger pour la dĂ©mocratie ». John Victor Perowne, chef du dĂ©partement pour l’AmĂ©rique du Sud au sein du Foreign Office, avertit :

« Si l’Argentine peut effectivement ĂȘtre soumise, la domination du dĂ©partement d’État sur l’hĂ©misphĂšre occidental sera totale. Cela contribuera en mĂȘme temps Ă  attĂ©nuer les possibles dangers de l’influence russe et europĂ©enne sur l’AmĂ©rique latine et Ă  Ă©loigner l’Argentine de ce qui est censĂ© constituer notre orbite[83]. »

En aoĂ»t, les États-Unis bloquĂšrent dans leurs banques les rĂ©serves de change argentines, et annulĂšrent en septembre tous les permis d’exportation d’acier, de bois et de produits chimiques vers l’Argentine, interdisant Ă  tout navire battant pavillon amĂ©ricain d’amarrer dans les ports argentins. En outre, les États-Unis apportĂšrent leur plein appui et aidĂšrent Ă  la militarisation du BrĂ©sil, paradoxalement gouvernĂ© Ă  cette Ă©poque par la dictature du philofasciste GetĂșlio Vargas. Les mesures prises par les États-Unis eurent pour effet d’isoler l’Argentine, mais dans le mĂȘme temps suscitĂšrent un renforcement de la politique industrialiste et sociale du gouvernement argentin.

Politique sociale et du travail

La crĂ©ation d’écoles techniques par Juan PerĂłn procĂ©dait tant de la volontĂ© de satisfaire Ă  une revendication syndicale, que d’une politique d’industrialisation. Entre 1941 et 1946, la classe ouvriĂšre industrielle s’était accrue de 38 %, passant de 677 517 Ă  938 387 travailleurs[10].

Au cours de l’annĂ©e 1944, Farrell mit rĂ©solument en Ɠuvre les rĂ©formes du travail que proposait le secrĂ©tariat au Travail. Cette annĂ©e-lĂ , le gouvernement convoqua les syndicats et les employeurs Ă  venir nĂ©gocier des conventions collectives, ce qui en Argentine Ă©tait encore sans prĂ©cĂ©dent. Ainsi furent conclues 123 conventions collectives touchant plus de 1 400 000 ouvriers et employĂ©s. L’annĂ©e suivante furent signĂ©es 347 conventions supplĂ©mentaires, oĂč 2 186 868 travailleurs Ă©taient concernĂ©s.

Le 18 novembre 1944 fut promulguĂ© le dĂ©cret-loi no 28.194, adoptĂ© le mois prĂ©cĂ©dent, fixant le statut de l’ouvrier agricole (peĂłn de campo) et modernisant la situation semi-fĂ©odale oĂč se trouvaient encore les travailleurs des campagnes argentines. Cette mesure alarma les propriĂ©taires de grands domaines agricoles (les estancieros ou latifundistes), qui Ă©taient maĂźtres des exportations argentines. Le 30 novembre, les tribunaux de prud’hommes furent Ă©tablis, malgrĂ© la forte rĂ©sistance du secteur patronal et des groupes conservateurs[84].

Dans le domaine de la santĂ© publique, le prĂ©sident Farrel Ă©mit le dĂ©cret no 10.638/1944 portant rĂ©gulation du travail sexuel, par lequel la mise en place de locaux pour l’exercice de la prostitution Ă©tait tolĂ©rĂ© moyennant l’autorisation prĂ©alable de la direction de la SantĂ© et de l’Assistance sociale, l’approbation du ministĂšre de l’IntĂ©rieur et l’acceptation d’un contrĂŽle sanitaire[85] - [86]. La rĂ©glementation n’affectait pas les poursuites criminelles Ă  l’encontre du proxĂ©nĂ©tisme, puni par la loi no 9143.

Le 4 dĂ©cembre 1944 fut approuvĂ© le rĂ©gime de retraite pour les employĂ©s de commerce, approbation suivie d’une manifestation syndicale de soutien Ă  PerĂłn, la premiĂšre en date, organisĂ©e par le socialiste Ángel Borlenghi, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du syndicat, qui rĂ©unit une vaste foule estimĂ©e Ă  200 000 personnes et lors de laquelle PerĂłn prit la parole en public[87].

ParallĂšlement, le taux de syndicalisation des travailleurs partait en hausse : alors qu’en 1941, il y avait 356 syndicats avec 441 412 affiliĂ©s, ce nombre avait augmentĂ© en 1945 Ă  969 syndicats avec 528 523 affiliĂ©s[88].

Le duo Farrel-PerĂłn, avec l’appui d’une fraction considĂ©rable du syndicalisme, s’appliqua Ă  rĂ©former en profondeur la culture qui sous-tendait les rapports de travail en Argentine, rapports marquĂ©s jusque-lĂ  par le paternalisme caractĂ©ristique de l’estancia, la grande propriĂ©tĂ© agricole. Un exposant du secteur patronal opposĂ© aux rĂ©formes pĂ©ronistes du travail soutint alors que le plus grave Ă©tait qu’à cause de ces rĂ©formes les travailleurs avaient « commencĂ© Ă  regarder [leurs employeurs] dans les yeux »[89]. Entre-temps, la classe ouvriĂšre ne cessait de prendre de l’ampleur par suite de l’industrialisation accĂ©lĂ©rĂ©e du pays. Cette importante transformation socio-Ă©conomique fut Ă  la base du nationalisme travailliste qui prit forme entre la seconde moitiĂ© de 1944 et la premiĂšre moitiĂ© de 1945, et qui allait adopter l’appellation de pĂ©ronisme[90].

Politique industrielle

Hauts fourneaux Zapla, dans la province de Jujuy, dans le nord-ouest de l’Argentine.

RamĂ­rez, et surtout Farrell, poursuivirent la politique d’industrialisation, menĂ©e de conserve avec la politique sociale. Ces deux politiques dĂ©terminĂšrent une transformation rapide de la sociĂ©tĂ© argentine, provoquant un accroissement gĂ©omĂ©trique de la classe ouvriĂšre et du salariat, et s’accompagnant de la prĂ©sence croissante des femmes sur le marchĂ© du travail, de l’apparition d’un grand nombre de PME, et d’une migration intĂ©rieure considĂ©rable vers Buenos Aires d’un nouveau prolĂ©tariat, d’une composition culturelle diffĂ©rente de celle de la grande vague d’immigration europĂ©enne de 1850 Ă  1950, et dĂ©daigneusement surnommĂ© cabecitas negras (tĂȘtes noires).

Les principales mesures de politique industrielle prises par la dictature s’énumĂšrent comme suit :

  • crĂ©ation du secrĂ©tariat Ă  l’Industrie, avec statut de ministĂšre (RamĂ­rez, 1943) ;
  • remaniement des tarifs douaniers dans un sens protectionniste ;
  • nationalisation des silos Ă  grains et de la sociĂ©tĂ© gaziĂšre Compañía Primitiva de Gas ;
  • mise sous tutelle directe de l’État (intervenciĂłn) de la CorporaciĂłn de Transporte de Buenos Aires (CTCBA), symbole de la corruption sous la DĂ©cennie infĂąme, et dont l’État argentin Ă©tait d’ores et dĂ©jĂ  le principal actionnaire en raison de son dĂ©ficit chronique ;
  • acquisition par l’État du chemin de fer Rosario ― Mendoza ;
  • rĂ©tablissement du service du chemin de fer transandin, fermĂ© sous la DĂ©cennie infĂąme, mais de grande importance pour l’économie de Cuyo ;
  • crĂ©ation de la Banque de crĂ©dit industriel, dĂ©cisive pour la stimulation de l’industrie (Farrell, 1944)[91] ;
  • prĂ©sentation en juin 1944 d’un prototype du premier char de combat moyen de fabrication argentine, conçu par le lieutenant-colonel Alfredo Baisi et baptisĂ© Nahuel ;
  • achĂšvement des travaux de construction du premier haut fourneau sidĂ©rurgique Ă  Altos Hornos Zapla, dans la province de Jujuy, et premiĂšre coulĂ©e de fonte le 11 octobre 1945 ;
  • dissolution des comitĂ©s rĂ©gulateurs et de l’Instituto Movilizador, fondĂ©s pendant la DĂ©cennie infĂąme et destinĂ©s Ă  protĂ©ger les intĂ©rĂȘts corporatistes des entreprises.

L’annĂ©e 1945

Farrell et Perón constituÚrent un axe politique qui détermina le cours de la révolution de 1943 dans les deux derniÚres années.

L’annĂ©e 1945 fut l’une des plus importantes dans l’histoire de l’Argentine[92]. Elle commença par la mise en Ɠuvre de l’évident dessein de Farrell et PerĂłn de crĂ©er un terrain propice Ă  la dĂ©claration de guerre de l’Argentine Ă  l’Allemagne et au Japon, afin de sortir le pays de sa situation de total isolement et d’ouvrir la voie Ă  la tenue d’élections.

DĂšs octobre de l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, la dictature avait sollicitĂ© une rĂ©union Ă  l’Union panamĂ©ricaine afin de dĂ©finir une position commune. AussitĂŽt neuf membres du groupe nationaliste de droite quittĂšrent le gouvernement : le ministre des Relations extĂ©rieures Orlando L. Peluffo, l’interventeur dans la province de Corrientes David Uriburu, et surtout le gĂ©nĂ©ral Sanguinetti, Ă©cartĂ© de la cruciale charge d’interventeur dans la Province de Buenos Aires, laquelle charge sera, Ă  l’issue d’un bref interrĂšgne, assumĂ©e par Juan Atilio Bramuglia, l’avocat socialiste de l’UniĂłn Ferroviaria, l’une des personnalitĂ©s du monde syndical Ă  l’origine du rapprochement du mouvement ouvrier avec les militaires du groupe de PerĂłn.

En fĂ©vrier 1945, PerĂłn entreprit un voyage secret pour les États-Unis afin de trouver un accord sur la dĂ©claration de guerre de l’Argentine, la levĂ©e de l’embargo, la reconnaissance du gouvernement argentin, et l’adhĂ©sion de celui-ci Ă  la confĂ©rence interamĂ©ricaine de Chapultepec prĂ©vue pour le 21 fĂ©vrier[93]. BientĂŽt, ce fut au tour du nationaliste de droite RĂłmulo Etcheverry Boneo de dĂ©missionner du ministĂšre de l’Éducation, pour ĂȘtre remplacĂ© par Antonio J. BenĂ­tez, homme du groupe de Farrell-PerĂłn.

Le 27 mars, au mĂȘme moment que la plupart des autres pays latino-amĂ©ricains, l’Argentine dĂ©clara la guerre Ă  l’Allemagne et au Japon et une semaine plus tard signa l’acte de Chapultepec. Elle fut ensuite habilitĂ©e Ă  participer le 26 juin 1945 Ă  la confĂ©rence de San Francisco, oĂč fut fondĂ©e l’organisation des Nations unies, et fera partie ainsi du groupe des 51 pays fondateurs[94].

Concomitamment avec ce revirement international, le gouvernement procĂ©da Ă  un revirement d’importance Ă©quivalente sur le plan intĂ©rieur avec pour objectif la tenue d’élections. Le 4 janvier 1945, le ministre de l’IntĂ©rieur, l’amiral Tessaire, annonça la lĂ©galisation du Parti communiste. Les journaux pro-nazis Cabildo et El Pampero furent interdits, et il fut mis un terme Ă  la mise sous tutelle des universitĂ©s pour en revenir au systĂšme issu de la rĂ©forme universitaire en cours prĂ©cĂ©demment et impliquant notamment l’autonomie universitaire, en mĂȘme temps que furent rĂ©tablis Ă  leurs postes d’enseignant les professeurs rĂ©cemment mis Ă  pied. Horacio Rivarola et JosuĂ© GollĂĄn furent Ă©lus par la communautĂ© universitaire recteurs respectivement de l’UBA et de l’UNL, et procĂ©deront Ă  leur tour au limogeage des enseignants compromis avec l’ancien pouvoir.

Péronisme contre anti-péronisme

Spruille Braden, nouvel ambassadeur des États-Unis en Argentine, arriva Ă  Buenos Aires le 19 mai 1945. Il sera le principal organisateur de l’anti-pĂ©ronisme.

La caractĂ©ristique principale de l’annĂ©e politique 1945 en Argentine est l’exacerbation de la polarisation entre pĂ©ronisme et anti-pĂ©ronisme, ce dernier impulsĂ© dans une large mesure par les États-Unis, Ă  travers leur ambassadeur Spruille Braden. DorĂ©navant, la population argentine sera divisĂ©e en deux camps frontalement opposĂ©s : une classe ouvriĂšre majoritairement pĂ©roniste, et un secteur anti-pĂ©roniste, majoritaire dans les classes moyennes (surtout portĂšgnes) et dans les classes supĂ©rieures.

Le 19 mai 1945, Spruille Braden, le nouvel ambassadeur amĂ©ricain, arriva Ă  Buenos Aires et occupera ce poste jusqu’en novembre de la mĂȘme annĂ©e. Braden, l’un des propriĂ©taires de l’entreprise miniĂšre Braden Copper Company au Chili, Ă©tait partisan de la politique impĂ©rialiste dure dite du « gros gourdin », avait une position ouvertement anti-syndicale et s’opposait Ă  l’industrialisation de l’Argentine[95]. Auparavant, il avait jouĂ© un rĂŽle important dans la guerre du Chaco entre la Bolivie et le Paraguay, s’efforçant de prĂ©server les intĂ©rĂȘts de la Standard Oil[96], et Ă  Cuba en 1942, Ɠuvrant Ă  ce que ce pays rompĂźt ses relations diplomatiques avec l’Espagne[97]. UltĂ©rieurement, il devint le sous-secrĂ©taire des Affaires latino-amĂ©ricaines des États-Unis, puis commença Ă  intervenir en tant qu’agent d’influence pour le compte de la United Fruit Company, favorisant notamment le coup d’État contre Jacobo Arbenz au Guatemala en 1954[98].

Selon l’ambassadeur de Grande-Bretagne, Braden Ă©tait possĂ©dĂ© par « l’idĂ©e fixe qu’il avait Ă©tĂ© Ă©lu par la Providence pour renverser le rĂ©gime Farrell-PerĂłn »[83]. DĂšs le dĂ©but, Braden se mit ouvertement Ă  organiser et Ă  coordonner l’opposition, en exaspĂ©rant l’antagonisme politique intĂ©rieur.

Le 16 juin 1945, l’opposition lança l’offensive par son fameux Manifeste du commerce et de l’industrie, dans lequel 321 organisations patronales, avec Ă  leur tĂȘte la bourse de commerce de Buenos Aires et la Chambre de commerce d’Argentine, mettaient Ăąprement en cause la politique du travail du gouvernement. La principale dolĂ©ance du secteur entrepreneurial concernait l’instauration d’« un climat de mĂ©fiance, de provocation et de rĂ©bellion, qui attise le ressentiment et un esprit permanent d’hostilitĂ© et de revendication »[99].

Le mouvement syndical, au sein duquel un appui franc et ouvert Ă  PerĂłn n’avait pas prĂ©dominĂ© jusque-lĂ [100], ne fut pas long Ă  rĂ©agir en dĂ©fense de la politique sociale menĂ©e par le gouvernement, et la CGT organisa le 12 juillet une manifestation de foule sous le mot d’ordre « Contre la rĂ©action capitaliste »[101]. D’aprĂšs l’historien radical FĂ©lix Luna, ce fut la premiĂšre fois que les travailleurs s’identifiaient comme « pĂ©ronistes »[102].

La polarisation sociale et politique cependant ne cessa de s’exacerber. L’anti-pĂ©ronisme se saisit du drapeau de la dĂ©mocratie et critiqua violemment chez ses adversaires ce qu’elle qualifia d’attitudes anti-dĂ©mocratiques ; les pĂ©ronistes pour leur part se drapĂšrent de la banniĂšre de la justice sociale et blĂąmaient vertement chez leurs adversaires leur dĂ©dain envers les travailleurs. En Ă©cho Ă  cette polarisation, le mouvement Ă©tudiant exprima son opposition avec le slogan « Non Ă  la dictature des espadrilles »[103], Ă  quoi le mouvement syndical rĂ©pliqua par « Espadrilles oui, livres non »[104].

Le 19 septembre 1945, l’opposition anti-pĂ©roniste rĂ©ussit Ă  rassembler une vaste foule pour sa Marche pour la constitution et la libertĂ©.

Le 19 septembre 1945, l’opposition se prĂ©senta unie pour la premiĂšre fois, sous la forme d’une Ă©norme manifestation de plus de 200 000 personnes, appelĂ©e Marche pour la constitution et la libertĂ©, qui se dirigea du palais du CongrĂšs jusqu’au quartier de la Recoleta. Une cinquantaine de personnalitĂ©s de l’opposition ouvrirent la marche, parmi lesquelles les radicaux JosĂ© P. Tamborini, Enrique Mosca, Ernesto Sammartino et Gabriel Oddone, le socialiste NicolĂĄs Repetto, les radicaux antipersonnalistes JosĂ© M. Cantilo et DiĂłgenes Taboada, le conservateur (PDN) Laureano Landaburu, les dĂ©mocrates chrĂ©tiens Manuel Ordóñez et Rodolfo MartĂ­nez, le philocommuniste Luis Reissig, le dĂ©mocrate progressiste Juan JosĂ© DĂ­az Arana et le recteur de l’UBA Horacio Rivarola.

L’historien Miguel Ángel Scenna commente ainsi cet Ă©vĂ©nement :

« La marche fut une spectaculaire dĂ©monstration de force de l’opposition. Une longue et compacte masse de 200 000 personnes ― quelque chose qui ne s’était vu que peu de fois, voire jamais ― couvrit les trottoirs et la chaussĂ©e[105]. »

Il a Ă©tĂ© dit que la manifestation se composait majoritairement de personnes issues des classes moyennes et supĂ©rieures, ce qui est historiquement indiscutable[106] ; cela toutefois n’enlĂšve rien Ă  sa signification historique, Ă  son amplitude sociale et Ă  sa pluralitĂ© politique. Il serait sans doute possible, avec le recul, de considĂ©rer que ne s’y exprimait que l’une de ces deux moitiĂ©s en lesquelles la population se trouvait alors partagĂ©e, mais au moment mĂȘme la marche apparut comme l’unitĂ© de la quasi-totalitĂ© des forces politiques et sociales actives dans le pays.

La marche de l’opposition eut une forte rĂ©percussion sur le pouvoir de Farrell-PerĂłn et dĂ©chaĂźna une succession de rĂ©bellions militaires antipĂ©ronistes, qui atteignirent leur point culminant le 8 octobre 1945, lorsque les forces militaires de Campo de Mayo, sous le commandement du gĂ©nĂ©ral Eduardo Ávalos (l’un des chefs de file du GOU), exigĂšrent la dĂ©mission et la dĂ©tention de PerĂłn. Le 11 octobre, les États-Unis sollicitĂšrent la Grande-Bretagne de cesser d’acheter des biens argentins pendant deux semaines pour provoquer la chute du gouvernement[107]. Le 12 octobre, PerĂłn fut apprĂ©hendĂ© et conduit sur l’üle MartĂ­n GarcĂ­a, Ă  la suite de quoi les dirigeants du mouvement d’opposition eurent le pays et le gouvernement Ă  leur disposition ; en effet, « PerĂłn Ă©tait un cadavre politique »[108], et le gouvernement, formellement encore prĂ©sidĂ© par Farrell, se trouvait en rĂ©alitĂ© aux mains du gĂ©nĂ©ral Ávalos, qui accĂ©da au poste de ministre de la Guerre en remplacement de PerĂłn et n’avait d’autre intention dĂ©sormais que de remettre le pouvoir aux civils dĂšs que possible.

À la vice-prĂ©sidence, PerĂłn fut remplacĂ© par le ministre des Travaux publics, le gĂ©nĂ©ral Juan Pistarini, qui assuma les deux fonctions, tandis que le chef de la marine, le contre-amiral HĂ©ctor Vernengo Lima, fut mis Ă  la tĂȘte du ministĂšre de la Marine. La tension monta Ă  un point tel que le dirigeant radical Amadeo Sabattini fut chahutĂ© et traitĂ© de nazi Ă  la Maison radicale, qu’un gigantesque rassemblement civil attaqua le CĂ­rculo Militar (le 12 octobre), et qu’un commando paramilitaire planifia l’assassinat de PerĂłn[109].

La Maison radicale de la rue TucumĂĄn Ă  Buenos Aires Ă©tait devenue le centre de dĂ©libĂ©ration de l’opposition. Cependant, les jours s’écoulaient sans qu’aucune rĂ©solution ne fĂ»t prise, et les dirigeants de l’opposition commirent quelques graves erreurs, dont celle de ne pas s’organiser et d’attendre passivement que les forces armĂ©es agissent d’elles-mĂȘmes, et celle encore, beaucoup plus grave, d’accepter et maintes fois d’encourager le revanchisme patronal. Le mercredi 16 octobre Ă©tait jour de paie :

« En allant toucher leur quinzaine, les ouvriers s’aperçurent que le salaire pour le jour fĂ©riĂ© du 12 octobre n’était pas payĂ©, en dĂ©pit du dĂ©cret signĂ© quelques jours auparavant par PerĂłn. Les boulangers et les travailleurs du textile Ă©taient les plus frappĂ©s par la rĂ©action patronale. – Allez donc le rĂ©clamer chez PerĂłn !, Ă©tait la sarcastique rĂ©ponse[110]. »

La journée du 17 octobre 1945

« Les pattes dans la fontaine », photo célÚbre prise le jour de la mobilisation pro-Perón, connue sous le nom de Día de la Lealtad (jour de la Loyauté, le 17 octobre 1945), par laquelle fut obtenue la libération de Juan Perón.

Le lendemain 17 octobre 1945 se produisit l’un des Ă©vĂ©nements fatidiques de l’histoire argentine. Un secteur inconnu de la sociĂ©tĂ©, restĂ© jusque-lĂ  totalement absent de l’histoire argentine, fit subitement irruption sur la scĂšne politique en s’emparant de Buenos Aires et en exigeant la remise en libertĂ© de PerĂłn. La ville fut prise par des dizaines de milliers d’ouvriers, provenant des quartiers industriels qui se dĂ©veloppaient Ă  la pĂ©riphĂ©rie de la ville. La multitude, qui prit position sur la place de Mai, dans le centre de Buenos Aires, se caractĂ©risait par la grande proportion de jeunes et surtout de femmes, ainsi que par la prĂ©dominance de personnes qui avaient la chevelure et la peau plus sombres que ceux qui prenaient part aux traditionnels rassemblements politiques de l’époque. L’opposition antipĂ©roniste, ayant remarquĂ© ces diffĂ©rences, fera usage, pour se rĂ©fĂ©rer aux sympathisants du pĂ©ronisme, de termes dĂ©prĂ©ciatifs tels que « noirs », « rustauds », « sans-chemise » (descamisados, vocable qui fera fortune), « tĂȘtes noires » etc. Ce fut le dirigeant radical unioniste, Ernesto Sammartino, qui deux annĂ©es plus tard usera d’un terme trĂšs controversĂ© : « alluvion zoologique »[111].

CrisĂłlogo Larralde, important dirigeant de l’Union civique radicale, qui est traditionnellement identifiĂ© avec le courant de pensĂ©e social du radicalisme, critiqua sĂ©vĂšrement l’attitude de mĂ©pris envers les couches populaires dont faisait montre les tenants de l’opposition, sans exclure ses propres camarades de parti. À la suite des mobilisations ouvriĂšres du 17 octobre 1945, Larralde dĂ©clara :

« Nous assistons Ă  la rĂ©probation des manifestations populaires des 17 et 18 octobre ; nous observons que la presse, les comitĂ©s, les institutions et les partis s’évertuent Ă  dĂ©montrer que les manifestants n’étaient pas le peuple ni les ouvriers authentiques. Le citoyen qui Ă©crit le prĂ©sent article, fils d’une immigrante qui travailla comme servante, et d’un ouvrier qui perdit la vie il y a 8 ans pendant qu’il conduisait un chariot, dĂ©clare que dans cette foule qui dĂ©filait il a trouvĂ© des gens du peuple. L’auteur du prĂ©sent article s’est retrouvĂ© lui-mĂȘme dans les enfants aux souliers usĂ©s et mal habillĂ©s ― dans beaucoup de cas voire dans tous, ceux qui ont Ă©tĂ© dĂ©nigrĂ©s comme sans-chemise. Lui-mĂȘme connut, avec ses 5 frĂšres et sƓurs, l’entassement dans une seule piĂšce d’habitation et la promiscuitĂ© des immeubles Ă  appartements ; il sut ce que c’est que de manquer de moyens, de vĂȘtements, de chaussures, et ― quelque jour ― commença ses Ă©tudes secondaires en enfilant les pantalons longs de su pĂšre, un sac raccommodĂ© par sa mĂšre, une chemise et un chapeau rĂąpĂ©s, fournis par quelque gĂ©nĂ©reux voisin.
Le 17 octobre, le peuple est sorti dans la rue et a posĂ© un acte d’adhĂ©sion au colonel PerĂłn. Il croyait que les dĂ©nommĂ©es conquĂȘtes sociales couraient le risque de disparaĂźtre et a affirmĂ© son droit de les maintenir, en acclamant le colonel PerĂłn. Dans ce patronyme, les jeunes ont vu le rĂ©alisateur d’un programme social. Le peuple parla, cria, dĂ©fila, commit des agressions, remplit d’inscriptions les murs, dit ce qui lui paraissait juste[112]. »

Les manifestants Ă©taient accompagnĂ©s de toute une nouvelle gĂ©nĂ©ration de jeunes dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux de base appartenant aux syndicats de la CGT, qui deux jours auparavant dĂ©jĂ  avaient commencĂ© Ă  rĂ©agir, par la grĂšve de la FOTIA (industrie sucriĂšre). Ce fut du reste une mobilisation totalement pacifique, mais la commotion politique et culturelle fut d’une telle ampleur que la certitude de la victoire du mouvement antipĂ©roniste, dont nul ne doutait il y avait encore seulement une semaine, se dissipa en quelques heures, de la mĂȘme maniĂšre que le pouvoir qui restait au gouvernement militaire.

Au cours de cette journĂ©e, les autoritĂ©s militaires avisĂšrent Ă  la façon de contenir la multitude. Le ministre de la Marine, l’amiral HĂ©ctor Vernengo Lima, proposa de rĂ©primer les manifestants par l’usage d’armes Ă  feu, mais le gĂ©nĂ©ral Ávalos s’y opposa[113]. À l’issue d’intenses nĂ©gociations, lors desquelles se distingua le radical Armando Antille en tant que dĂ©lĂ©guĂ© de PerĂłn, celui-ci fut remis en libertĂ© et le soir du mĂȘme jour s’adressa Ă  ses sympathisants depuis l’un des balcons de la Casa Rosada. Peu de jours plus tard sera fixĂ©e la date des Ă©lections : le 24 fĂ©vrier 1946.

Les élections présidentielles de 1946

Le radical unioniste JosĂ© P. Tamborini, candidat Ă  la prĂ©sidence pour l’Union dĂ©mocratique aux Ă©lections prĂ©sidentielles de 1946.

Les forces politiques en présence

AprĂšs le 17 octobre 1945, les deux camps s’organisĂšrent en vue des Ă©lections.

Le pĂ©ronisme, avec les candidatures de Juan PerĂłn et du radical Hortensio Quijano, ne pouvait s’associer Ă  aucun des partis politiques existants et dut se structurer rapidement sur la base de trois partis nouveaux ; ce sont :

Les trois partis coordonnĂšrent leur action politique Ă  travers un ComitĂ© national de coordination politique (Junta Nacional de CoordinaciĂłn PolĂ­tica, sigle JCP), que prĂ©sidait Juan Atilio Bramuglia, avocat du syndicat des cheminots. Il y fut convenu que chaque parti se choisirait ses propres candidats et que 50 % des postes reviendraient au Parti travailliste, les 50 % restants devant se partager en parts Ă©gales entre l’UniĂłn CĂ­vica Radical Junta Renovadora et le Parti indĂ©pendant[115].

L’antipĂ©ronisme quant Ă  lui s’organisa dans l’Union dĂ©mocratique (en abrĂ©gĂ© UD), qui prĂ©senta les candidats radicaux JosĂ© P. Tamborini et Enrique Mosca et se composait de :

Le Parti dĂ©mocrate national (PDN), de tendance conservatrice et principal appui des gouvernements de la DĂ©cennie infĂąme, ne put rejoindre l’Union dĂ©mocratique en raison de l’opposition de l’UCR. Le PDN donna comme consigne de voter pour le binĂŽme (« fĂłrmula ») Tamborini-Mosca, mais son exclusion de l’alliance antipĂ©roniste devait accĂ©lĂ©rer sa fragmentation. Dans quelques cas nĂ©anmoins, notamment dans la province de CĂłrdoba, le PDN s’intĂ©gra formellement dans l’alliance[116]. Au sein de l’UCR, il se constitua cette mĂȘme annĂ©e une fraction interne, qui se donna pour nom Movimiento de Intransigencia y RenovaciĂłn (le MIR ; appelĂ©s aussi les intransigeants) et adopta une position contraire Ă  l’Union dĂ©mocratique et aux secteurs du radicalisme qui l’appuyaient, savoir les radicaux unionistes.

Rejoignirent Ă©galement l’UD un ensemble de petits partis, tels que le Parti populaire catholique et l’Union Centre-IndĂ©pendants, ainsi que d’importantes organisations Ă©tudiantes (la FĂ©dĂ©ration universitaire d'Argentine ou FUA, la FĂ©dĂ©ration universitaire de Buenos Aires ou FUBA, etc.), patronales (l’Union industrielle argentine, la SociĂ©tĂ© rurale argentine, la Chambre argentine de commerce, etc.), et professionnelles (Centre des ingĂ©nieurs, l’Association des avocats, la SociĂ©tĂ© argentine des Ă©crivains, etc.).

L’UD prĂ©senta des candidats d’union pour l’élection prĂ©sidentielle, mais consentit Ă  ce que chacun des partis membres prĂ©sentĂąt sĂ©parĂ©ment des candidats dans les circonscriptions. L’UCR entra effectivement en lice avec ses propres candidats dans tous les cas, mais les autres forces eurent recours Ă  diffĂ©rentes variantes. Les dĂ©mocrates progressistes et communistes constituĂšrent dans la Capitale fĂ©dĂ©rale une alliance nommĂ©e UnitĂ© et RĂ©sistance (Unidad y Resistencia), qui nomma pour ses candidats les senateurs Rodolfo Ghioldi (PC) et Julio Noble (PDP) ; dans la province de CĂłrdoba, l’alliance inclut les conservateurs du PDN. Les socialistes s’efforcĂšrent aussi de prĂ©senter leurs propres candidats.

La campagne

Le pĂ©ronisme, qui constatait une importante participation fĂ©minine aux marches syndicales, proposa que les droits politiques fussent reconnus aux femmes . L’AssemblĂ©e nationale des femmes, prĂ©sidĂ©e par Victoria Ocampo, qui avait adhĂ©rĂ© Ă  l’Union dĂ©mocratique et Ɠuvrait depuis longtemps en faveur du droit de vote des femmes, s’opposa Ă  l’initiative au motif que la rĂ©forme devait ĂȘtre rĂ©alisĂ©e par un gouvernement dĂ©mocratique et non par une dictature, et rejeta finalement la proposition[117]. PerĂłn eut soin de se laisser accompagner durant la campagne Ă©lectorale par son Ă©pouse, Eva PerĂłn, chose inĂ©dite dans la culture politique argentine.

Pendant la campagne, le gouvernement fit adopter le dĂ©cret-loi 33.302/45 portant crĂ©ation de la Solde annuelle complĂ©mentaire (Sueldo Anual Complementario, sorte de prime de fin d’annĂ©e, en abrĂ©gĂ© SAC), ainsi que d’autres mesures sociales. Les organisations patronales firent ouvertement opposition Ă  cette mesure et fin dĂ©cembre 1945 aucune entreprise n’avait encore versĂ© le SAC. En rĂ©action, la CGT dĂ©clara une grĂšve gĂ©nĂ©rale, Ă  laquelle le patronat Ă  son tour rĂ©pliqua par un lock-out dans les grandes entreprises commerciales. L’Union dĂ©mocratique, y compris les partis ouvriers (socialiste et communiste) qui en faisaient partie, soutint dans le conflit le secteur patronal en s’opposant au SAC, alors que le pĂ©ronisme appuyait ouvertement les syndicats dans leur lutte pour l’obtenir. Peu de jours plus tard, les syndicats remportĂšrent une importante victoire, qui renforça le pĂ©ronisme et provoqua la dislocation des forces antipĂ©ronistes, aprĂšs que celles-ci eurent nĂ©gociĂ© avec le patronat la reconnaissance du SAC et son versement en deux tranches[118].

Un autre fait important survenu pendant la campagne fut la publication du Livre bleu. Moins de deux semaines avant les Ă©lections, le 11 fĂ©vrier 1946, fut rendue publique une initiative officielle du gouvernement des États-Unis, intitulĂ©e Consultation entre les rĂ©publiques amĂ©ricaines relativement Ă  la situation argentine, mieux connue sous la dĂ©nomination de Livre bleu. Ladite initiative avait Ă©tĂ© conçue par Spruille Braden et consistait dans la tentative par les États-Unis d’obtenir une mise sous occupation militaire internationale de l’Argentine, en application de la dĂ©nommĂ©e doctrine RodrĂ­guez Larreta. L’Union dĂ©mocratique appuya le Livre bleu et l’immĂ©diate occupation militaire de l’Argentine par des forces armĂ©es sous les ordres des États-Unis, et exigea de surcroĂźt l’inĂ©ligibilitĂ© lĂ©gale de PerĂłn Ă  la prĂ©sidence. PerĂłn contre-attaqua en publiant le Libro Azul y Blanco (le Livre bleu et blanc, en rĂ©fĂ©rence aux couleurs du drapeau argentin), et lança un slogan Ă©tablissant de façon percutante l’alternative en prĂ©sence, « Braden ou PerĂłn », qui eut une forte influence sur l’opinion publique au moment du scrutin[105].

Les Ă©lections

De façon gĂ©nĂ©rale, les forces politiques et sociales de l’époque prĂ©voyaient une victoire ample et certaine de l’Union dĂ©mocratique aux Ă©lections du 24 fĂ©vrier 1946. Le journal CrĂ­tica calcula que Tamborini obtiendrait 332 Ă©lecteurs contre seulement 44 pour PerĂłn[119]. En fĂ©vrier 1946, les dĂ©mocrates progressistes et les communistes avaient envisagĂ© de tenter un coup d’État sous la conduite du colonel SuĂĄrez, coup de force que l’Union civique radicale jugea cependant superflu, attendu que la victoire Ă  l’élection Ă©tait selon eux acquise[120].

Le jour mĂȘme des Ă©lections, peu aprĂšs la fermeture des bureaux de vote, le dirigeant socialiste NicolĂĄs Repetto exprima comme suit cette assurance dans la victoire, en mĂȘme temps qu’il louangeait la transparence du scrutin :

« L’on peut ĂȘtre assurĂ© que le rĂ©gime en place a Ă©tĂ© battu de façon Ă©crasante par les forces dĂ©mocratiques, pendant une journĂ©e civique oĂč il y a lieu de reconnaĂźtre que les forces armĂ©es ont tenu leur parole de garantir la puretĂ© du processus Ă©lectoral[121]. »

À l’encontre de tels pronostics, PerĂłn obtint 1 527 231 voix (55 %) contre 1 207 155 voix en faveur de Tamborini (45 %), et de plus sortit vainqueur dans toutes les provinces moins celle de Corrientes[122].

Au sein du camp pĂ©roniste, le secteur syndical, constituĂ© en Parti travailliste, obtint 85 % des suffrages. Du cĂŽtĂ© antipĂ©roniste, la dĂ©faite fut particuliĂšrement cuisante pour les partis socialiste et communiste, qui n’eurent aucune reprĂ©sentation au CongrĂšs national.

Marche du 4 juin

En commĂ©moration de la RĂ©volution de 1943, une marche militaire fut composĂ©e en 1944, dont l’auteur des paroles Ă©tait Francisco Lomuto et qui fut mis en musique par Alberto Rivera et Carlos Galarce[123].

« 4 DE JUNIO

RenaciĂł la esperanza en los hogares
brilla el sol con mĂĄs fuerza y esplendor
ondea majestuosa en tierra y mares
la bella y arrogante bicolor

La justicia apoyada en fuerte brazo
une al grande y al pobre en su equidad
cobarde si no habeĂ­s de dar el paso
invencible de la argentinidad

4 de Junio, jornada redendora de la patria
el civil de bien y el soldado leal
guardan tu gloria inmortal...
4 de Junio, olĂ­mpico episodio de la historia
triunfe la razĂłn, grite el corazĂłn:
ÂĄHonradez, libertad y honor!

»

« LE 4 JUIN

L’espĂ©rance renaquit dans les foyers
le soleil brille avec plus de force et de splendeur
la belle et arrogante banniĂšre bicolore
ondoie majestueuse sur terre et sur mers

La justice appuyée sur un bras vigoureux
unit dans son équité le grand et le pauvre
pleutre qui ne rejoint les rangs
invincibles de l’argentinitĂ©

Quatre-Juin, journée rédemptrice de la patrie
le civil de bien et le soldat loyal
gardent ta gloire immortelle...
Quatre-Juin, olympique Ă©pisode de l’histoire
que triomphe la raison, que crie le cƓur :
Probité, liberté et honneur !

»

Notes et références

  1. Historia Integral Argentina, Partidos, ideologĂ­as e intereses, tome 7, El sistema en crisis, Ă©d. CELA, Buenos Aires, p. 88-89.
  2. BĂ©jar (1983): 33-36.
  3. Richard J. Walther, La provincia de Buenos Aires en la política argentina (1912-1943), Emecé, , p. 150-154
  4. Cattaruzza (2012): 118-119.
  5. Entretien « Copie archivée » (version du 15 octobre 2016 sur Internet Archive) avec Rosendo Fraga par Felipe Pigna.
  6. Luis C. AllĂ©n Lascano, Argentina y la gran guerra, cahier 12, La soberanĂ­a, dans la revue Todo es Historia, Buenos Aires 1977, p. 71-113 ; Leonardo Senkam, El nacionalismo y el campo liberal argentinos ante el neutralismo: 1939-1943, dans la revue Estudios Interdisciplinarios de AmĂ©rica Latina y el Caribe, vol. 6 n.Âș 1, janv.-juin 1995, universitĂ© de Tel Aviv.
  7. Carlos EscudĂ© : «Un enigma: la “irracionalidad” argentina frente a la Segunda Guerra Mundial», dans la revue Estudios Interdisciplinarios de AmĂ©rica Latina y el Caribe, vol. 6 n.Âș 2, juil.-dĂ©c. 1995, universitĂ© de Tel Aviv
  8. Troncoso (1976), 20.
  9. Gerchunoff et al, 159 ; Schvarzer, 190.
  10. Milcíades Peña, Industrialización y clases sociales en la Argentina, éd. Hyspamérica, Buenos Aires 1986, p. 16.
  11. Diego Dåvila, El 17 de octubre de 1945, dans Historia integral argentina; El peronismo en el poder, Centro Editor de América Latina, Buenos Aires 1976, p. 88.
  12. Samuel L. Baily, Movimiento obrero, nacionalismo y política en Argentina, éd. Hyspamérica, Buenos Aires 1985, p. 90.
  13. Baily, id.
  14. Potash (1981) : 275.
  15. Daniel Rodríguez Lamas, Rawson, Ramírez, Farrell, Centro Editor de América Latina, , p. 13-21
  16. (es) José Luis Romero, Las ideas políticas en Argentina, Fondo de Cultura Económica, , p. 250
  17. Se garder de confondre l’Union dĂ©mocratique de 1942, restĂ©e sans suite, et l’Union dĂ©mocratique constituĂ©e en 1945, qui sera en lice dans les Ă©lections de 1946.
  18. Félix Luna, Alvear, las luchas populares en la década del 30, éd. Schapire, Buenos Aires 1975, p. 318-319 ; Potash (p. 274-275) relate que le 26 mai 1943, le général Pedro Pablo Ramírez eut un entretien au domicile du colonel Enrique P. Gonzålez, membre du GOU, avec sept dirigeants radicaux, parmi lesquels les députés nationaux Mario Castex et Juan Carlos Våzquez.
  19. Potash (1981) : 280-282.
  20. Ferrero (1976) : 253.
  21. Buques de la Armada Argentina 1900-2006, sur le site de la marine argentine.
  22. RodrĂ­guez Lamas (1983) : 17-19.
  23. RodrĂ­guez Lamas (1983) : 65-72.
  24. David Kelly, El poder detrĂĄs del trono, Ă©d. CoyoacĂĄn, Buenos Aires1962, p. 34.
  25. Potash (1981) : 277 (note 22).
  26. Ferrero (1976) : 286.
  27. Rogelio García Lupo, Cada vez hay mås generales indígenas en Sudamérica, entretien avec Juan Salinas, Causa Popular, 23 septembre 2006.
  28. Potash (1981): 273, 276-277
  29. Liste d’aprĂšs Potash, 217. Troncoso (p. 13) dresse une liste du « corps directeur » du GOU. Ferrero donne les noms de quelques membres aux pages 252, 259 et 283.
  30. Il fut promu colonel en 1941, cf. Biografía de Juan Perón, sur le site de l’Instituto Nacional Juan D. Perón.
  31. Potash (1981) : 307 et 327.
  32. Des doutes existent sur sa participation effective. Cf. Potasch, 271.
  33. Potash (1981) : 268.
  34. Ferrero (1976) : 259.
  35. « Le GOU est, dans une large mesure, un mythe. Une grande création du Renseignement. », Rogelio García Lupo. Cf. Cada vez hay mås generales indígenas en Sudamérica, entretien avec Juan Salinas, Causa Popular, 23 septembre 2006.
  36. L’hĂŽtel-restaurant Jousten se trouve au no 200 de l’Avenida Corrientes, entre le Paseo ColĂłn et la rue 25 de Mayo, c’est-Ă -dire Ă  un endroit central, Ă  quatre Ăźlots de la place de Mai, et Ă  un demi-Ăźlot de la Bourse de commerce, en plein cƓur de la dĂ©nommĂ©e City portĂšgne, le centre des opĂ©rations financiĂšres du pays.
  37. Potash (1981) : 275-276 et 279.
  38. RodrĂ­guez Lamas (1983) : 22-24.
  39. RodrĂ­guez Lamas (1983) : 48-49.
  40. Depuis le dĂ©but de la dĂ©cennie 1940, certains secteurs de l’Union civique radicale, appelĂ©s depuis lors unionistes, avaient commencĂ© Ă  Ă©tablir des contacts avec le Parti socialiste et avec le Parti dĂ©mocrate progressiste (derriĂšre lequel manƓuvrait le Parti communiste), en vue de former une alliance Ă©lectorale, dĂ©nommĂ©e de façon informelle UniĂłn democrĂĄtica. Cette alliance, qui ne fut jamais concrĂ©tisĂ©e, ne doit pas ĂȘtre confondue avec l’Union dĂ©mocratique formĂ©e en 1945 pour affronter Juan PerĂłn.
  41. RodrĂ­guez Lamas (1983) : 24-25.
  42. Alain Rouquié, Poder militar y sociedad política en la Argentina II 1943-1973, Buenos Aires, Emecé Editores S.A., , 459 p. (ISBN 950-04-0119-3), p. 27/28
  43. Hugo Del Campo, Sindicalismo y peronismo, Buenos Aires, Siglo Veintiuno, 2012 (1re Ă©d. 2005) (ISBN 978-987-629-250-4), p. 180-181
  44. Rouquié 1982, p. 32/3.
  45. Del RĂ­o, 211-212.
  46. FĂ©lix Luna, Breve historia de los argentinos, Planeta / Espejo de la Argentina, Buenos Aires 1994. (ISBN 950-742-415-6).
  47. RodrĂ­guez Lamas (1983) : 32-33.
  48. Ferrero (1976) : 265.
  49. La falsa opción de los dos colonialismos, FORJA, cité par A. Jauretche dans FORJA, éd. Coyoacån, Buenos Aires 1962, p. 102-107.
  50. Fabricio Loja, El arte de la injuria y el humor en la ensayística argentina. Ramón Doll y Arturo Jauretche. Vidas paralelas. Vidas divergentes, conférence prononcée lors des Jornadas de Pensamiento Argentino, organisées à Rosario en novembre 2003.
  51. Domingo Faustino Sarmiento, prĂ©sident de l’Argentine entre 1868 et 1874, se signala notamment par sa promotion de l’instruction publique et laĂŻque. Il fonda des Ă©coles normales pour la formation des maĂźtres, lesquels seront en majoritĂ© des femmes. Ce fut, dans l’histoire de l’Argentine, la premiĂšre activitĂ© en date (hors sphĂšre privĂ©e) oĂč les femmes joueront un rĂŽle de premier plan.
  52. Ignacio B. Anzoåtegui, secrétaire du ministre de la Justicea. Source : Ferrero (1983) : 264
  53. Galo Moret, Juan Scavia, Instrucción religiosa y cien lecciones de historia sagrada, Consejo Nacional de Educación, Buenos Aires 1944. Cité par Ferrero (1983) : 269.
  54. Phrase Ă©crite sur le tableau des Ă©coles sur ordre d’Ignacio B. Olmedo, interventeur du Conseil national de l’éducation. Source : Ferrero (1983) : 293-294.
  55. Declaración sobre democracia efectiva y solidaridad latinoamericana, 15 octobre 1943, Écrits et discours du Dr B. A. Houssay, sur le site de Bernardo Houssay.
  56. Julio Godio, Historia del movimiento obrero argentino (1870-2000), tome II (2000), p. 812.
  57. Samuel L. Baily, Movimiento obrero, nacionalismo y política en Argentina, éd. Hyspamérica, Buenos Aires 1985.
  58. Hiroshi Matsushita, Movimiento obrero argentino. 1930-1945, éd. Hyspamérica, Buenos Aires1986:.
  59. Le terme de « nacionalismo laborista » a été forgé par Julio Godio, op. cit., p. 803.
  60. Matsushita, op. cit., p. 258.
  61. Samuel L. Baily, Movimiento obrero, nacionalismo y política en la Argentina, éd. Paidós, Buenos Aires 1984, p. 84 ; Alfredo López, Historia del movimiento social y la clase obrera argentina, éd. A. Peña Lillo, Buenos Aires 1975, p. 401.
  62. Alfredo López, Historia del movimiento social y la clase obrera argentina, A. Peña Lillo, Buenos Aires 1975, p. 401.
  63. Ferrero (1976) : 271-272.
  64. Rouquié
  65. Matsushita, 279.
  66. Ferrero (1976) : 273.
  67. Ferrero (1976) : 285-286.
  68. Ferrero (1976) : 290-291.
  69. Potash (1981) : 319-320, 329-331.
  70. RodrĂ­guez Lamas (1986) : 34-35.
  71. Potash (1981) : 338-339.
  72. RodrĂ­guez Lamas (1986) : 38-39.
  73. Le texte de la délégation de la charge du président Pedro Pablo Ramírez porte :
    « Au peuple de la Nation argentine. FatiguĂ© par les intenses tĂąches de gouvernement, qui m’imposent de prendre du repos, je dĂ©lĂšgue ce jour la charge que je remplis Ă  la personne de l’honorĂ© vice-prĂ©sident de la Nation, le gĂ©nĂ©ral de brigade Edelmiro Farrell. P.P. RamĂ­rez, gĂ©n. de division, Buenos Aires, le 24 fĂ©v. 1944. »
  74. Le rĂ©giment no 3 d’infanterie avait son siĂšge dans la ville de Buenos Aires, Ă  l’angle de la rue RincĂłn et de l’avenue Juan de Garay, Ă  30 Ăźlots de la Casa Rosada.
  75. Rosa (1979) : 102-104.
  76. Potash (1981) : 340.
  77. RodrĂ­guez Lamas (1986) : 35.
  78. La caída de Ramírez « Copie archivée » (version du 16 décembre 2014 sur Internet Archive), sur le site El Historiador de Felipe Pigna.
  79. Potash (1981) : 309-310 et 321.
  80. La caída del Presidente Ramírez « Copie archivée » (version du 16 décembre 2014 sur Internet Archive), sur le site El Historiador.
  81. Ferrero (1976) : 295-296.
  82. Ferrero (1976) : 297.
  83. David Kelly, cité dans Charles Escudé et Andrés Cisneros, La campaña del embajador Braden y la consolidación del poder de Perón, Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, CARI 2000.
  84. Les tribunaux des prud’hommes furent crĂ©Ă©es par le dĂ©cret-loi no 32.347 du 30 novembre 1944.
  85. Le dĂ©cret no 10.638/1944 modifia les articles 15 et 17 de la loi no 12.331, connue comme la loi de Prophyllaxie des maladies vĂ©nĂ©rienes. Initialement, l’on autorisa les maisons closes Ă  proximitĂ© des casernes, puis les autorisations furent Ă©tendues au pays entier. Le dĂ©cret no 10.683/1944 fut ratifiĂ© par la loi 12.912 de 1946. Cf. RaĂșl A. Schnabel, « Historia de la trata de personas en Argentina como persistencia de la esclavitud » [archive du ], Ministerio de Justicia y Seguridad de la Provincia de Buenos Aires (consultĂ© le ) : « La fermeture des maisons closes eut deux rĂ©sultats inattendus : 1) la prostitution que nous pourrions appeler ‘grande’, d’ĂȘtre auparavant contrĂŽlĂ©e par les organisations proxĂ©nĂštes, vint Ă  ĂȘtre contrĂŽlĂ©e par la mafia ; 2) l’on vit surgir une infinitĂ© de variantes mineures, pour accueillir l’activitĂ© de nombreuses femmes qui se retrouvaient dans la possibilitĂ© de travailler pour leur compte (AndrĂ©s Carretero, ProstituciĂłn en Buenos Aires, 2e Ă©d., Corregidor, 1998, p. 169). ». La prostitution s’exerçait de façon dissimulĂ©e dans les cabarets, cafĂ©s, restaurants, et les femmes concluaient des arrangements avec les hĂŽtels du centre-ville. L’absence de contrĂŽles sanitaires, la mauvaise alimentation et la crise sociale provoquĂšrent une forte hausse des cas de syphilis, qui Ă©tait, jusqu’à l’apparition de la pĂ©nicilline en 1945, une maladie sexuellement transmissible grave.
  86. Héctor Recalde, Prostitutas reglamentadas. Buenos Aires 1875-1934, publié dans la revue Todo es Historia, Buenos Aires, mars 1991, année 24, no 285, p. 72.
  87. Ferrero (1976) : 302-303
  88. Osvaldo Barsky, Edgardo J. Ferrer et Carlos A. Yensina, Los sindicatos y el poder en el período peronista, dans Historia integral argentina. El peronismo en el poder, Centro Editor de América Latina, Buenos Aires 1976, p. 257.
  89. Alberto José Robles, Breve historia del movimiento obrero argentino 1852-1987: el rol de la unidad y protagonismo de los trabajadores, 9 de julio, Buenos Aires 1987.
  90. Julio Godio, Historia del movimiento obrero argentino (1870-2000), tome II, 2000, p. 803.
  91. Samuel GorbĂĄn explique que les particularitĂ©s du cycle industriel sont telles que les banques ordinaires ne sont pas aptes Ă  financer l’industrie, cette activitĂ© requĂ©rant en effet des institutions spĂ©cialisĂ©es. Cf. Samuel GorbĂĄn, El desarrollo industrial entre 1930 y 1963. El crĂ©dito y la industria, dans Historia integral argentina. El sistema en crisis, Centro Editor de AmĂ©rica Latina, Buenos Aires 1976, p. 212-213.
  92. FĂ©lix Luna, El 45, Ă©d. Sudamericana, Buenos Aires 1971.
  93. Ferrero (1976): 311.
  94. 60e anniversaire de la conférence de San Francisco, sur le site des Nations unies, 2007.
  95. La campaña del embajador Braden y la consolidación del poder de Perón, article de Carlos Escudé et Andrés Cisneros (2000), dans Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, CARI ; Jorge Schvarzer, La industria que supimos conseguir. Una historia político-social de la industria argentina, éd. Planeta, Buenos Aires 1996, p. 194.
  96. Ferrero (1976): 318.
  97. Antifascismo en América Latina: España, Cuba y Estados Unidos durante la Segunda Guerra Mundial, article de Rosa María Pardo Sanz, paru dans Estudios Interdisciplinarios de América Latina y el Caribe, vol. 6, no 1, janvier-juin 1995, université de Tel Aviv.
  98. Guatemala en el siglo del viento, articles d’Eduardo Galeano, parus dans le quotidien La Hora de Guatemala, du 2 au 8 novembre 2002.
  99. Godio, id. 823.
  100. Hiroshi Matsushita, Movimiento obrero argentino. 1930-1945, éd. Hyspamérica, Buenos Aires 1986, p. 289.
  101. Matsushita, id., p. 287.
  102. Luna, 219.
  103. Alfredo López, Historia del movimiento social y la clase obrera argentina, éd. A. Peña Lillo, Buenos Aires 1975, p. 410.
  104. (es) NoĂ© Jitrik, « Exquisitos y Justos », PĂĄgina 12, Buenos Aires,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  105. (es) Miguel Ángel Scenna, Braden y Perón, Buenos Aires, éd. Korrigan, , p. 76
  106. Luna, El 45, p. 219.
  107. (es) Jorge Schvarzer, La industria que supimos conseguir. Una historia polĂ­tico-social de la industria argentina, Buenos Aires, Planeta, , p. 194
  108. Miguel A. Scenna, Braden y PerĂłn, p. 81.
  109. Entrevista al coronel HĂ©ctor Cabanillas, par TomĂĄs Eloy MartĂ­nez, dans le quotidien La NaciĂłn, 28 juillet 2002.
  110. Luna, 280.
  111. CitĂ© par Hugo Gambini dans son Historia del peronismo . L’expression polĂ©mique de Sammartino fut prononcĂ©e Ă  la Chambredes dĂ©putĂ©s le 7 aoĂ»t 1947. Textuellement, Sammartino dit : « L’alluvion zoologique du 24 fĂ©vrier semble avoir emportĂ© sur son banc un certain dĂ©putĂ©, pour que de lĂ  il miaule aux astres pour une indemnitĂ© de 2500 pesos. Qu’il continue de miauler, cela ne me gĂȘne pas...».
  112. Homenaje a Crisólogo Larralde a 45 años de su fallecimiento, Territorio Digital, 23 février 2007.
  113. Ferrero (1976): 341.
  114. « A 60 años de la fundaciĂłn del Partido Laborista »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?), par Mercedes Petit, El Socialista, 9 novembre 2005, no 014.
  115. GĂ©nesis, apogeo y disoluciĂłn del Partido Laborista, par GastĂłn Raggio et Marcelo Borrelli, sur le site MonografĂ­as.com, 1999.
  116. Rosa, 216.
  117. Evita y la participaciĂłn de la mujer, par Pablo VĂĄzquez, Rebanadas de Realidad, 23 mai 2006. Le slogan de l’AssemblĂ©e nationale des femmes Ă©tait : « Suffrage fĂ©minin oui, mais sanctionnĂ© par un parlement Ă©lu Ă  la suite d’élections honnĂȘtes ».
  118. Godio, II, 272.
  119. Rosa, 225
  120. Rosa, 231.
  121. Juan José Real, 30 años de historia argentina, Actualidad, Buenos Aires-Montevideo 1962, p. 90.
  122. « A 60 años del primer triunfo electoral de PerĂłn »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?), art. dans la journal La Gaceta de TucumĂĄn, 24 fĂ©vrier 2006.
  123. 4 de junio, par Francisco Lomuto.

Bibliographie

  • Roberto A. Ferrero, Del fraude a la soberanĂ­a popular, Buenos Aires, La Bastilla,
  • FĂ©lix Luna, El 45, Buenos Aires, Sudamericana, (ISBN 84-499-7474-7)
  • Alain RouquiĂ©, Poder Militar y Sociedad PolĂ­tica en la Argentina - 1943/1973, EmecĂ©, , 459 p. (ISBN 978-950-04-0119-7 et 950-04-0119-3)
  • Robert A.Potash, El ejĂ©rcito y la polĂ­tica en la Argentina; 1928-1945, Buenos Aires, Sudamericana,
  • JosĂ© MarĂ­a Rosa, Historia Argentina. OrĂ­genes de la Argentina ContemporĂĄnea. Tome 13. La SoberanĂ­a (1943-1946)., Buenos Aires, Oriente,
  • Leonardo Senkam, « El nacionalismo y el campo liberal argentinos ante el neutralismo: 1939-1943 », Estudios Interdisciplinarios de AmĂ©rica Latina y el Caribe, vol. VI, no I,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  • Oscar A.Troncoso, Historia integral argentina; El peronismo en el poder, Buenos Aires, Centro Editor de AmĂ©rica Latina, , « La revoluciĂłn del 4 de junio de 1943 »
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