Eva PerĂłn
MarĂa Eva Duarte de PerĂłn [maËÉŸia ËeÎČa ËĂ°waÉŸte Ă°e peËÉŸon][1], mieux connue sous le nom dâEva PerĂłn ou dâEvita, nĂ©e le Ă JunĂn ou Los Toldos (province de Buenos Aires)[2] et morte le Ă Buenos Aires, est une actrice et femme politique argentine. Elle Ă©pousa en 1945 le colonel Juan Domingo PerĂłn, un an avant lâaccession de celui-ci Ă la prĂ©sidence de la rĂ©publique argentine.
Eva PerĂłn | ||
Eva PerĂłn en 1951. | ||
Fonctions | ||
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PremiĂšre dame d'Argentine | ||
â (6 ans, 1 mois et 22 jours) |
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Président | Juan Perón | |
Prédécesseur | Conrada Torni de Farrell | |
Successeur | Mercedes AchĂĄval de Lonardi | |
Présidente du Parti péroniste féminin | ||
â (5 ans) |
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Successeur | Delia Parodi | |
Présidente de la Fondation Eva Perón | ||
â (4 ans) |
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Successeur | Juan PerĂłn | |
Biographie | ||
Nom de naissance | MarĂa Eva Duarte | |
Date de naissance | ||
Lieu de naissance | Los Toldos, province de Buenos Aires, Argentine | |
Date de décÚs | ||
Lieu de décÚs | Buenos Aires, Argentine | |
SĂ©pulture | CimetiĂšre de Recoleta, Buenos Aires | |
Nationalité | Argentine | |
Parti politique | Parti péroniste féminin, Parti justicialiste | |
Conjoint | Juan PerĂłn | |
Profession | Actrice | |
Religion | Catholique romaine | |
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Dâorigine modeste, elle alla Ă lâĂąge de quinze ans sâĂ©tablir Ă Buenos Aires, oĂč elle sâinitia au mĂ©tier de comĂ©dienne et acquit un certain renom au thĂ©Ăątre, Ă la radio et au cinĂ©ma. En 1943, elle fut lâun des fondateurs de lâAsociaciĂłn Radial Argentina (ARA, syndicat des travailleurs de la radiodiffusion), dont elle fut Ă©lue prĂ©sidente lâannĂ©e dâaprĂšs. En 1944, lors dâune reprĂ©sentation donnĂ©e au bĂ©nĂ©fice des victimes du tremblement de terre de San Juan de , elle fit la rencontre de Juan PerĂłn, alors secrĂ©taire dâĂtat du gouvernement de facto issu du coup dâĂtat de 1943, et lâĂ©pousa en octobre de lâannĂ©e suivante. Elle eut ensuite une part active dans la campagne Ă©lectorale de son mari en 1946, Ă©tant la premiĂšre femme argentine Ă jouer un tel rĂŽle.
Elle Ćuvra en faveur du droit de vote pour les femmes et en obtint lâadoption juridique en 1947. Cette Ă©galitĂ© politique entre hommes et femmes rĂ©alisĂ©e, elle lutta ensuite pour lâĂ©galitĂ© juridique des conjoints et pour la patria potestas partagĂ©e (c'est-Ă -dire lâĂ©galitĂ© en droit matrimonial), ce qui fut mis en Ćuvre par lâarticle 39 de la constitution de 1949. En 1949 encore, elle fonda le Parti pĂ©roniste fĂ©minin, qu'elle prĂ©sida jusqu'Ă sa mort. Elle dĂ©ploya une ample activitĂ© sociale, au travers notamment de la Fondation Eva PerĂłn, qui visait Ă soulager les descamisados (les sans-chemise), c'est-Ă -dire les plus dĂ©munis de la sociĂ©tĂ©. La Fondation fit ainsi construire des hĂŽpitaux, des asiles et des Ă©coles, favorisa le tourisme social en crĂ©ant des colonies de vacances, diffusa la pratique du sport parmi tous les enfants par l'organisation de championnats accueillant la population tout entiĂšre, accorda des bourses dâĂ©tudes et des aides au logement et sâefforça dâamĂ©liorer le statut de la femme sur diffĂ©rents plans.
Elle joua un rĂŽle actif dans les luttes pour les droits sociaux et pour les droits des travailleurs et fit office de passerelle directe entre le prĂ©sident PerĂłn et le monde syndical. En 1951, en vue de la premiĂšre Ă©lection prĂ©sidentielle au suffrage universel, le mouvement ouvrier proposa quâEvita, comme l'appelait la population, posĂąt sa candidature Ă la vice-prĂ©sidence ; cependant, elle dut y renoncer le , date connue depuis comme Jour du renoncement, en raison de sa santĂ© dĂ©clinante, mais aussi sous la pression des oppositions internes dans la sociĂ©tĂ© argentine, ou encore au sein du pĂ©ronisme lui-mĂȘme, devant lâĂ©ventualitĂ© quâune femme appuyĂ©e par le syndicalisme pĂ»t se hisser Ă la vice-prĂ©sidence.
Elle dĂ©cĂ©da le des suites dâun cancer fulgurant du col de l'utĂ©rus, Ă lâĂąge de 33 ans. Il lui fut alors rendu un hommage, tant officiel â sa dĂ©pouille fut veillĂ©e dans lâĂ©difice du CongrĂšs â que populaire, dâune ampleur sans prĂ©cĂ©dent en Argentine. Son corps fut embaumĂ© et dĂ©posĂ© au siĂšge de la centrale syndicale CGT. Ă lâavĂšnement de la dictature civico-militaire dite RĂ©volution libĂ©ratrice en 1955, son cadavre fut enlevĂ©, sĂ©questrĂ© et profanĂ©, puis dissimulĂ© durant seize ans.
Elle Ă©crivit deux ouvrages, La razĂłn de mi vida (La Raison de ma vie) en 1951 et Mi mensaje (Mon message) publiĂ© en 1952 et fut plusieurs fois honorĂ©e officiellement, notamment par le titre de Jefa Espiritual de la NaciĂłn, par la distinction de Mujer del Bicentenario (Femme du bicentenaire de lâArgentine), par la Gran Cruz de Honor de la Croix rouge argentine, par la DistinciĂłn del Reconocimiento de Primera CategorĂa de la CGT, par la Gran Medalla a la Lealtad Peronista en Grado Extraordinario et par le collier de lâordre du LibĂ©rateur San MartĂn, la plus haute distinction argentine. Son destin a inspirĂ© nombre dâĆuvres cinĂ©matographiques, musicales, thĂ©Ăątrales et littĂ©raires. Cristina Alvarez Rodriguez, petite-niĂšce dâEvita, affirme quâEva PerĂłn nâa jamais quittĂ© la conscience collective des Argentins[3], et Cristina FernĂĄndez de Kirchner, premiĂšre femme Ă ĂȘtre Ă©lue prĂ©sidente de la RĂ©publique argentine, dĂ©clara que les femmes de sa gĂ©nĂ©ration restaient fortement tributaires dâEvita par « son exemple de passion et de combattivitĂ© »[4].
Biographie
Naissance
Selon lâacte de naissance no 728 de lâĂ©tat civil de JunĂn (province de Buenos Aires) naquit en cette ville, le , une fille du nom de MarĂa Eva Duarte. Cependant, les chercheurs sont unanimes Ă considĂ©rer que cet acte est un faux fabriquĂ© sur les instances dâEva PerĂłn elle-mĂȘme en 1945, lorsquâelle se trouvait Ă JunĂn pour y contracter mariage avec Juan Domingo PerĂłn, alors encore colonel[5].
En 1970, les chercheurs Borroni et Vaca[6] ayant Ă©tabli que lâacte de naissance dâEvita avait Ă©tĂ© falsifiĂ©, il devint nĂ©cessaire de dĂ©terminer ses vĂ©ritables date et lieu de naissance. Ă cet Ă©gard, le document le plus important Ă©tait lâacte de baptĂȘme dâEva, consignĂ© dans le feuillet 495 du registre de baptĂȘme du vicariat de Nuestra Señora del Pilar, de 1919, indiquant que le baptĂȘme fut accompli le .
Lâon admet aujourdâhui de maniĂšre quasi unanime quâEvita naquit en rĂ©alitĂ© le , soit trois ans avant la date signalĂ©e par lâĂ©tat civil, avec le nom dâEva MarĂa Ibarguren. Quant au lieu de naissance, certains historiens ont erronĂ©ment Ă©crit quâEvita vit le jour dans la petite agglomĂ©ration de Los Toldos, cette erreur sâexpliquant par le fait que peu dâannĂ©es aprĂšs la naissance dâEva la famille alla sâinstaller dans ce village, dans une maison sise Calle Francia (actuelle Calle Eva PerĂłn) et amĂ©nagĂ©e entre-temps en musĂ©e, le Museo Municipal Solar Natal de MarĂa Eva Duarte de PerĂłn[7].
Concernant le lieu de naissance, deux thÚses ont été retenues par les historiens :
- Naissance sur le domaine La UniĂłn situĂ© en face des toldos (toldo = grande tente dâIndiens) de Coliqueo.
Quelques historiens soutiennent quâEva PerĂłn naquit dans le domaine agricole La UniĂłn[8], sur le territoire de Los Toldos, exactement en face du campement (tolderĂa) de Coliqueo, lequel campement fut Ă lâorigine de ce foyer de peuplement, dans la zone connue pour cette raison sous le nom de La Tribu. Lâendroit se situe Ă une vingtaine de km du village de Los Toldos et Ă 60 km au sud de la ville de JunĂn. Le domaine Ă©tait la propriĂ©tĂ© de Juan Duarte et hĂ©bergeait la famille dâEva au moins depuis 1908 et jusquâĂ 1926. Les historiens Borroni et Vacca, Ă lâorigine de cette hypothĂšse, arguĂšrent que la sage-femme mapuche Juana Rawson de Guayquil assista la mĂšre dâEva lors de lâaccouchement, comme elle lâavait pareillement fait avec ses autres enfants.
- Naissance dans la ville de JunĂn.
Cette hypothĂšse est dĂ©fendue par dâautres historiens, sur la foi de diffĂ©rents tĂ©moignages. Selon eux, Evita naquit Ă JunĂn, aprĂšs que sa mĂšre dut, en raison de problĂšmes liĂ©s Ă sa grossesse, dĂ©mĂ©nager vers la ville de JunĂn pour y recevoir de meilleurs soins. Ă lâĂ©poque de la naissance dâEvita, il Ă©tait dâusage que les femmes qui se trouvaient dans lâaire dâinfluence de JunĂn et Ă©prouvaient des problĂšmes lors de leur grossesse se dĂ©placent vers cette ville en vue dâune meilleure prise en charge mĂ©dicale, et il en est encore souvent de mĂȘme Ă lâheure actuelle. Selon cette hypothĂšse, soutenue principalement par les historiens de JunĂn Roberto Dimarco et HĂ©ctor Daniel Vargas, et par les tĂ©moins quâils citent, Eva serait nĂ©e dans un logement sis au no 82 de lâactuelle rue Calle Remedios Escalada de San MartĂn (pour lors nommĂ©e Calle JosĂ© C. Paz), et une obstĂ©tricienne universitaire du nom de Rosa Stuani aurait aidĂ© Ă lâaccouchement. Peu aprĂšs, la famille se serait installĂ©e dans un logement situĂ© au no 70 de la Calle Lebensohn (appelĂ©e Ă lâorigine Calle San MartĂn), jusquâĂ ce que la mĂšre se fĂ»t entiĂšrement rĂ©tablie.
La famille
Eva Ă©tait la fille de Juan Duarte et de Juana Ibarguren, et Ă©tait inscrite Ă lâĂ©tat civil sous le nom dâEva MarĂa Ibarguren (Ă©tat civil modifiĂ©, comme indiquĂ© supra, avant son mariage avec Juan PerĂłn, par substitution de Duarte Ă son patronyme et par inversion de lâordre de ses deux prĂ©noms).
Juan Duarte (1858 â 1926), surnommĂ© El Vasco (le Basque) dans le voisinage, Ă©tait un propriĂ©taire agricole et une importante personnalitĂ© politique du parti conservateur de Chivilcoy, ville proche de Los Toldos. Certains historiens ont Ă©mis lâhypothĂšse que Juan Duarte ait pu avoir un ascendant français se nommant D'Huarte, Uhart ou Douart, encore que Duarte soit un patronyme parfaitement espagnol. Dans la premiĂšre dĂ©cennie du XXe siĂšcle, Juan Duarte fut lâun de ceux qui bĂ©nĂ©ficiĂšrent des manĆuvres frauduleuses que commença Ă exĂ©cuter le gouvernement Ă lâeffet de spolier de ses terres de Los Toldos la communautĂ© mapuche de Coliqueo, et Ă la faveur desquelles il sâappropria le domaine oĂč naquit Eva.
Juana Ibarguren (1894 â 1971) Ă©tait la fille de lâouvriĂšre agricole crĂ©ole Petrona NĂșñez et du roulier JoaquĂn Ibarguren. Apparemment, elle entretenait peu de rapports avec le village, distant de 20 km, raison pour laquelle lâon sait peu dâelle, hormis que par la proximitĂ© de son domicile avec la tolderĂa de Coliqueo elle avait dâĂ©troits contacts avec la communautĂ© mapuche de Los Toldos, Ă telle enseigne quâelle fut assistĂ©e lors de lâaccouchement de chacun de ses enfants par une sage-femme indienne du nom de Juana Rawson de Guayquil.
Juan Duarte, le pĂšre dâEva, entretenait deux familles, une lĂ©gitime Ă Chivilcoy avec son Ă©pouse lĂ©gale Adela DÂŽHuart (â 1919) et ses six enfants : Adelina, Catalina, Pedro, Magdalena, EloĂsa et Susana ; et une autre illĂ©gitime, Ă Los Toldos, avec Juana Ibarguren. Il sâagissait, dans les campagnes dâavant les annĂ©es 1940, dâune coutume gĂ©nĂ©ralisĂ©e chez les hommes de la classe supĂ©rieure, et qui se maintient encore dans certaines zones rurales en Argentine. Le couple eut ensemble cinq enfants :
- Blanca (1908 â 2005) ;
- Elisa (1910 â 1967) ;
- Juan RamĂłn (1914 â 1953) ;
- Erminda LujĂĄn (1916 â 2012) ;
- Eva MarĂa (1919 â 1952).
Eva vĂ©cut Ă la campagne jusquâĂ 1926, date Ă laquelle, par suite du dĂ©cĂšs de son pĂšre, la famille se retrouva subitement sans aucune protection et fut obligĂ©e de quitter le domaine oĂč elle vivait. Ces circonstances de son enfance et les discriminations qui sâensuivirent, habituelles dans les premiĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle, laissĂšrent une marque profonde dans l'esprit d'Eva.
Ă cette Ă©poque en effet, la loi argentine prĂ©voyait une sĂ©rie de qualifications stigmatisantes pour les personnes, nommĂ©es gĂ©nĂ©riquement « enfants illĂ©gitimes », dont les parents nâavaient pas contractĂ© un mariage lĂ©gal. Une de ces qualifications Ă©tait « enfant adultĂ©rin », mention que lâon consignait dans lâacte de naissance des enfants concernĂ©s. CâĂ©tait le cas Ă©galement dâEvita, qui obtint toutefois en 1945 que son acte de naissance original fĂ»t dĂ©truit afin dâĂ©liminer cette tache infamante[9]. Une fois arrivĂ©s au pouvoir en Argentine, le mouvement pĂ©roniste en gĂ©nĂ©ral et Eva PerĂłn en particulier voulurent faire adopter des lĂ©gislations antidiscriminatoires avancĂ©es, propres Ă instaurer lâĂ©galitĂ© entre hommes et femmes et entre tous les enfants, sans considĂ©ration de la nature des relations entre leurs parents, projets qui furent fortement contrecarrĂ©s par lâopposition politique, par lâĂ©glise catholique et par les forces armĂ©es. Finalement, en 1954, deux ans aprĂšs la mort dâEva PerĂłn, le pĂ©ronisme parvint Ă faire voter une loi portant suppression des dĂ©signations officielles les plus infamantes â enfant adultĂ©rin, enfant sacrilĂšge, mĂĄncer (enfant de femme publique), enfant naturel, etc. â, tout en maintenant toutefois la distinction entre enfant lĂ©gitime et illĂ©gitime[10]. Juan PerĂłn lui-mĂȘme, quâEvita devait plus tard Ă©pouser, avait Ă©tĂ© enregistrĂ© Ă l'Ă©tat civil au titre dâ« enfant illĂ©gitime ».
Les annĂ©es dâenfance Ă Los Toldos
Le , son pĂšre pĂ©rit dans un accident dâautomobile Ă Chivilcoy. Toute la famille d'Eva se rendit alors dans cette ville pour assister Ă la veillĂ©e funĂšbre, mais la famille lĂ©gitime lui interdit lâentrĂ©e au milieu dâun grand esclandre. GrĂące Ă la mĂ©diation dâun frĂšre du pĂšre, homme politique lui aussi, qui Ă©tait alors adjoint Ă la municipalitĂ© de Chivilcoy, la famille dâEva put accompagner le cortĂšge jusquâau cimetiĂšre et assister Ă lâenterrement.
Pour Evita, ĂągĂ©e alors de six ans, lâincident eut une profonde signification Ă©motionnelle et fut vĂ©cu comme un comble dâinjustice, mĂȘme si Eva nâavait eu que peu de contacts avec son pĂšre. Cette sĂ©quence dâĂ©vĂ©nements occupe une place importante dans la comĂ©die musicale Evita dâAndrew Lloyd Webber, ainsi que dans le film rĂ©alisĂ© Ă partir de celle-ci.
Elle-mĂȘme y fera allusion dans son ouvrage la RazĂłn de mi vida :
« Pour expliquer ma vie dâaujourdâhui, c'est-Ă -dire ce que je fais, en accord avec ce que mon Ăąme ressent, je dois aller chercher dans mes premiĂšres annĂ©es, les premiers sentiments⊠Jâai trouvĂ© dans mon cĆur un sentiment fondamental, qui domine depuis lors, de maniĂšre totale, mon esprit et ma vie : ce sentiment est mon indignation face Ă lâinjustice. Aussi loin que je me souvienne, chaque injustice me fait mal Ă lâĂąme comme si lâon y enfonçait un clou. De chaque Ăąge je garde le souvenir de quelque injustice qui me souleva en me dĂ©chirant le cĆur[12]. »
AprĂšs la mort de Juan Duarte, la famille dâEva resta totalement sans ressources et Juana Ibarguren dut dĂ©mĂ©nager avec ses enfants Ă Los Toldos, et emmĂ©nager dans la maisonnette de deux piĂšces situĂ©e Calle Francia no 1021, en bordure du village, oĂč elle se mit Ă travailler comme couturiĂšre pour entretenir ses enfants. Ceux-ci, toujours bien vĂȘtus et jamais privĂ©s de nourriture, reçurent une Ă©ducation trĂšs stricte, en accord avec les sentiments dâorgueil de doña Juana, qui Ă©tait dâautre part trĂšs religieuse et pratiquante[13], ne tolĂ©rait pas la moindre forme de relĂąchement et apprenait Ă ses enfants comment bien se tenir et Ă sâoccuper dâeux-mĂȘmes. Elle avait coutume de prĂ©senter leur pauvretĂ© comme une iniquitĂ© quâils ne mĂ©ritaient pas[14].
Los Toldos, de toldo, grande tente dâIndien, doit son nom au fait quâil fut un campement mapuche, c'est-Ă -dire un village indigĂšne. Plus exactement, la communautĂ© mapuche de Coliqueo sây Ă©tait installĂ©e Ă la suite de la bataille de PavĂłn de 1861, par dĂ©cision du lĂ©gendaire lonco (chef indien) et colonel de lâarmĂ©e argentine Ignacio Coliqueo (1786-1871)[15], lequel Ă©tait arrivĂ© en Argentine depuis le sud du Chili. Entre 1905 et 1936, lâon se servit Ă Los Toldos dâun ensemble dâarguties lĂ©gales pour Ă©carter le peuple mapuche de la propriĂ©tĂ© terrienne. Peu Ă peu, les indigĂšnes furent supplantĂ©s comme propriĂ©taires par des fermiers non indigĂšnes. Juan Duarte, le pĂšre dâEva, fut lâun de ceux-lĂ , ce qui explique pourquoi le domaine agricole oĂč naquit Eva se trouvait prĂ©cisĂ©ment en face du campement (tolderĂa) de Coliqueo.
Durant lâenfance dâEvita (1919-1930), Los Toldos Ă©tait une petite localitĂ© rurale pampĂ©enne vouĂ©e Ă lâactivitĂ© agraire et dâĂ©levage, plus spĂ©cifiquement Ă la culture des cĂ©rĂ©ales et du maĂŻs et Ă l'Ă©levage de bĂȘtes Ă cornes. La structure sociale Ă©tait dominĂ©e par le fermier propriĂ©taire (estanciero), dĂ©tenteur de grandes Ă©tendues de terre, qui entretenait des rapports de type servile avec les ouvriers agricoles et avec ses mĂ©tayers. Le type le plus courant de travailleur dans cette zone Ă©tait le gaucho.
La mort du pĂšre avait fortement dĂ©tĂ©riorĂ© la situation Ă©conomique de la famille. LâannĂ©e suivante, Eva entra Ă lâĂ©cole primaire, dont elle suivit les cours avec difficultĂ©, devant redoubler une annĂ©e en 1929, quand elle avait 10 ans. Ses sĆurs ont relatĂ© que, dĂšs cette Ă©poque, Eva manifestait du goĂ»t pour la dĂ©clamation dramatique et faisait montre de talents de jongleuse. La forme de son visage lui valut le surnom de Chola (mĂ©tisse dâEuropĂ©en et dâIndien), par lequel tous Ă Los Toldos lâappelaient, de mĂȘme que celui de Negrita (nĂ©grillonne), quâelle devait garder toute sa vie[16].
Adolescence Ă JunĂn
En 1930, alors quâEva avait 11 ans, Juana, sa mĂšre, dĂ©cida de dĂ©mĂ©nager avec sa famille pour la ville de JunĂn. Le motif de ce dĂ©mĂ©nagement Ă©tait le changement dâaffectation de la fille aĂźnĂ©e Elisa, qui fut mutĂ©e de la poste de Los Toldos Ă celle de JunĂn, Ă une trentaine de km de distance[14]. LĂ , la famille Duarte commença Ă connaĂźtre une certaine aisance grĂące au travail de Juana et de ses enfants Elisa, Blanca et Juan. Erminda fut inscrite au CollĂšge national (Colegio Nacional) et Evita Ă lâĂ©cole no 1 Catalina Larralt de Estrugamou, dont elle devait sortir en 1934, Ă lâĂąge de 15 ans, dotĂ©e de son certificat dâĂ©tudes primaires complĂštes.
La premiĂšre maison oĂč ils emmĂ©nagĂšrent, au no 86 de la Calle Roque VĂĄzquez, subsiste toujours. Ă mesure que la situation Ă©conomique de la famille sâamĂ©liorait grĂące aux revenus des enfants devenus majeurs, surtout du frĂšre Juan, vendeur pour le compte de lâentreprise dâarticles de toilette Guereño, et bientĂŽt de la sĆur Blanca, qui rĂ©ussit Ă son examen dâinstitutrice[13], les Duarte dĂ©mĂ©nagĂšrent dâabord (en 1932) pour une maison plus grande au no 200 de la rue Lavalle, oĂč Juana mit sur pied un Ă©tablissement de restauration servant des petits dĂ©jeuners, puis changĂšrent encore de domicile (en 1933) pour le no 90 de la Calle Winter, et finalement (en 1934) pour le no 171 de la rue Arias[17]. Il a Ă©tĂ© insinuĂ©[18] quâil y avait dans la maison de Juana Duarte, de la part de la mĂšre et de ses filles, beaucoup de libertinage et de petites intimitĂ©s pour la plus grande joie de la clientĂšle masculine ; cependant, les hĂŽtes de lâĂ©tablissement Ă©taient tous des cĂ©libataires des plus respectables : JosĂ© Ălvarez RodrĂguez, directeur du CollĂšge national, son frĂšre Justo, avocat, futur juge Ă la Cour suprĂȘme, qui devait Ă©pouser lâune des sĆurs dâEva, et le major Alfredo Arrieta, futur sĂ©nateur, qui commandait alors la division cantonnĂ©e dans la ville, et qui Ă©pousera lui aussi lâune des sĆurs dâEva[19]. En 2006, la municipalitĂ© de JunĂn crĂ©a, dans la maison de la Calle Francia (actuelle Calle Eva PerĂłn), le musĂ©e Casa Natal MarĂa Eva Duarte de PerĂłn.
Câest Ă JunĂn que la vocation artistique dâEva se fit jour. Ă lâĂ©cole, oĂč elle eut quelque difficultĂ© Ă suivre, elle se distingua par une passion affirmĂ©e pour la dĂ©clamation et la comĂ©die, et ne manquait de participer aux spectacles organisĂ©s Ă lâĂ©cole, au CollĂšge national ou au cinĂ©ma du village, et Ă des auditions radiophoniques.
Son amie et camarade de collĂšge DĂ©lfida NoemĂ RuĂz de Gentile se souvient :
« Eva aimait rĂ©citer, moi, jâaimais chanter. Ă cette Ă©poque, don Primo Arini avait un magasin de disques et, comme il nây avait pas de radio au village, il plaçait un haut-parleur devant la porte de son magasin. Une fois par semaine, de 19 Ă 20 heures, il invitait les valeurs locales Ă dĂ©filer chez lui pour animer lâĂ©mission La hora selecta. Eva rĂ©citait alors des poĂšmes[20]. »
Câest Ă JunĂn aussi quâelle participa pour la premiĂšre fois Ă une Ćuvre thĂ©Ăątrale, montĂ©e par les Ă©lĂšves et intitulĂ©e Arriba estudiantes (Haut les Ă©tudiants). Elle jouera ensuite dans une autre petite Ćuvre de thĂ©Ăątre, Cortocircuito (Court-circuit), destinĂ©e Ă rĂ©colter des fonds pour une bibliothĂšque scolaire. Ă JunĂn, pour la premiĂšre fois, Eva utilisa un microphone et Ă©couta sa voix sortant de haut-parleurs.
Ă cette mĂȘme Ă©poque, Eva manifesta Ă©galement des prĂ©dispositions de meneuse, sâĂ©rigeant en chef de lâun des groupes de son annĂ©e scolaire. Le , jour du dĂ©cĂšs de lâancien prĂ©sident HipĂłlito Yrigoyen, renversĂ© trois annĂ©es auparavant par un coup dâĂtat, Eva vint Ă lâĂ©cole portant une cocarde noire sur son cache-poussiĂšre[21].
Ă ce moment-lĂ dĂ©jĂ , Eva rĂȘvait de devenir actrice et dâĂ©migrer Ă Buenos Aires. Sa maĂźtresse Palmira Repetti se souvient :
« Une toute jeune fille de 14 ans, inquiĂšte, rĂ©solue, intelligente, que jâeus pour Ă©lĂšve lĂ -bas vers 1933. Elle nâaimait pas les mathĂ©matiques. Mais il nây avait personne de meilleur quâelle quand il sâagissait dâintervenir dans les fĂȘtes du collĂšge. Elle passait pour une excellente camarade. Elle Ă©tait une grande rĂȘveuse. Elle avait lâintuition artistique. Quand elle eut terminĂ© lâĂ©cole, elle vint me raconter ses projets. Elle me dit quâelle voulait devenir actrice et quâil lui faudrait quitter JunĂn. Ă cette Ă©poque-lĂ , il nâĂ©tait pas trĂšs commun quâune gamine de province dĂ©cidĂąt de sâen aller conquĂ©rir la capitale. NĂ©anmoins, je la pris trĂšs au sĂ©rieux, pensant que tout irait bien pour elle. Ma certitude me venait, sans nul doute, par contagion de son enthousiasme. Je compris avec les annĂ©es que lâassurance dâEva Ă©tait naturelle. Elle Ă©manait de chacun de ses actes. Je me souviens quâelle avait un penchant pour la littĂ©rature et la dĂ©clamation. Elle sâĂ©chappait de ma classe chaque fois que lâoccasion se prĂ©sentait dâaller rĂ©citer devant les Ă©lĂšves des autres classes. Avec ses maniĂšres affables, elle entrait dans les bonnes grĂąces de ses maĂźtresses et obtenait la permission de jouer devant dâautres gosses[20]. »
Selon lâhistorienne LucĂa GĂĄlvez, Evita et une de ses amies auraient subi en 1934 une agression sexuelle de la part de deux jeunes gens de la bonne sociĂ©tĂ© qui les avaient invitĂ©es Ă voyager Ă Mar del Plata dans leur voiture. GĂĄlvez affirme quâaprĂšs ĂȘtre sortis de JunĂn, ils tentĂšrent de les violer, sans y parvenir, puis les abandonnĂšrent dĂ©vĂȘtues Ă peu de distance de la ville. Un chauffeur routier les ramena Ă leurs domiciles. Il est probable que cet incident, si on lâadmet comme vĂ©ridique, aura eu une grande influence dans sa vie[22] - [23].
Cette mĂȘme annĂ©e, avant mĂȘme dâavoir achevĂ© ses Ă©tudes primaires, Eva fit le voyage de Buenos Aires, mais, nâayant pas trouvĂ© de travail, dut sâen retourner. Elle termina alors ses Ă©tudes primaires, passa en famille les fĂȘtes de fin dâannĂ©e, puis, le , Evita, ĂągĂ©e de 15 ans seulement, alla sâinstaller dĂ©finitivement Ă Buenos Aires.
Dans un passage de la RazĂłn de mi vida, Eva relate quels Ă©taient Ă ce moment-lĂ ses sentiments :
« Dans le lieu oĂč je passai mon enfance, les pauvres Ă©taient nombreux, plus nombreux que les riches, mais je mâefforçai de me convaincre quâil devait y avoir dâautres endroits dans mon pays et dans le monde oĂč les choses se passaient diffĂ©remment, voire de façon inverse. Je me figurais par exemple que les grandes villes Ă©taient des endroits merveilleux oĂč ne se rencontrait que la richesse ; et tout ce que jâentendais les gens dire confirmait cette mienne croyance. Ils parlaient de la grande ville comme dâun paradis merveilleux oĂč tout Ă©tait beau et extraordinaire et mĂȘme il me sembla comprendre, de tout ce quâils disaient, que les personnes Ă©taient lĂ -bas « plus des personnes » que celles de mon village[24]. »
Le film Evita, ainsi que quelques biographies, soutiennent quâEva Duarte voyagea en train pour Buenos Aires en compagnie du cĂ©lĂšbre chanteur de tango AgustĂn Magaldi, aprĂšs que celui-ci eut effectuĂ© un tour de chant Ă JunĂn. Cependant, les biographes dâEva, Marysa Navarro et Nicholas Fraser, ont soulignĂ© quâil nâexiste aucune indication de ce que Magaldi eĂ»t chantĂ© Ă JunĂn en 1934, et sa sĆur raconte quâEva partit Ă Buenos Aires accompagnĂ©e de sa mĂšre, qui resta ensuite avec elle jusquâĂ ce quâelle eĂ»t trouvĂ© une station de radio ayant un rĂŽle Ă pourvoir pour une jeune adolescente. Elle logea alors chez des amis, tandis que sa mĂšre rentrait courroucĂ©e Ă JunĂn[25].
Arrivée à Buenos Aires et carriÚre de comédienne
Eva Duarte, ĂągĂ©e de 15 ans lorsquâelle arriva Ă Buenos Aires le , Ă©tait alors encore une adolescente. Son voyage sâinscrivait dans la grande vague migratoire intĂ©rieure provoquĂ©e par la crise Ă©conomique de 1929 et le processus dâindustrialisation de lâArgentine. Ce puissant mouvement migratoire, fait marquant de lâhistoire de lâArgentine, avait pour protagonistes les dĂ©nommĂ©es cabecitas negras (tĂȘtes noires), terme dĂ©prĂ©ciatif et raciste utilisĂ© par les classes moyenne et supĂ©rieure de Buenos Aires pour dĂ©signer ces migrants non europĂ©ens, diffĂ©rents de ceux qui avaient jusquâalors dĂ©terminĂ© lâimmigration en Argentine. Cette grande migration intĂ©rieure des dĂ©cennies 1930 et 1940 fournit la main-dâĆuvre dont avait besoin le dĂ©veloppement industriel du pays et qui devait Ă partir de 1943 former la base sociale du pĂ©ronisme.
Peu aprĂšs son arrivĂ©e, Eva Duarte dĂ©crocha un emploi dâactrice, pour un rĂŽle secondaire, au sein de la troupe de thĂ©Ăątre dâEva Franco, lâune des plus importantes de cette Ă©poque. Le , elle fit ses dĂ©buts professionnels dans la piĂšce La señora de los PĂ©rez au Teatro Comedias. Le lendemain figurait dans le journal CrĂtica le premier commentaire public connu sur Evita :
« Eva Duarte, fort correcte dans ses brÚves interventions[26]. »
Dans les annĂ©es suivantes, Eva connaĂźtra un parcours de privations et dâhumiliations, se logeant dans des pensions bon marchĂ© et jouant de façon intermittente de petits rĂŽles pour diverses troupes thĂ©Ăątrales. Sa principale compagnie Ă Buenos Aires fut son frĂšre Juan Duarte, Juancito (Jeannot), de cinq ans son aĂźnĂ©, lâhomme de la famille, avec qui elle garda toujours des rapports Ă©troits et qui avait comme elle, peu auparavant, migrĂ© vers la capitale.
En 1936, alors quâelle allait avoir dix-sept ans, elle signa un contrat avec la CompañĂa Argentina de Comedias CĂłmicas, dirigĂ©e par Pepita Muñoz, JosĂ© Franco et Eloy AlvĂĄrez, en vue de participer Ă une tournĂ©e de quatre mois qui devait la conduire Ă Rosario, Mendoza et CĂłrdoba. Les piĂšces qui figuraient au rĂ©pertoire de la compagnie Ă©taient de pur divertissement et prenaient pour sujet la vie bourgeoise avec ses malentendus et ses divers conflits et frictions. Une des piĂšces jouĂ©es, intitulĂ©e le Baiser mortel, adaptation libre dâune Ćuvre du dramaturge français LoĂŻc Le Gouradiec, traitait du flĂ©au des maladies vĂ©nĂ©riennes et Ă©tait subsidiĂ©e par la SociĂ©tĂ© prophylactique dâArgentine[14]. Pendant cette tournĂ©e, Eva fut briĂšvement mentionnĂ©e dans une chronique du quotidien La Capital de Rosario du , laquelle commentait la premiĂšre de la piĂšce Doña MarĂa del Buen Aire de Luis BayĂłn Herrera, comĂ©die ayant pour sujet la premiĂšre fondation de Buenos Aires :
« Oscar Soldatti, Jacinto Aicardi, Alberto Rella, Fina Bustamante et Eva Duarte ont donné une représentation réussie du spectacle[27]. »
Le dimanche , le mĂȘme journal La Capital de Rosario publia la premiĂšre photo publique connue dâEva, assortie du titre suivant :
« Eva Duarte, jeune actrice qui a rĂ©ussi Ă se distinguer au cours de la saison qui se termine aujourdâhui Ă lâOdeĂłn[27]. »
Dans ces premiĂšres annĂ©es de sacrifices, Eva se lia dâune Ă©troite amitiĂ© avec deux autres comĂ©diennes, comme elle obscures encore, Anita JordĂĄn et Josefina Bustamente, amitiĂ© qui dura tout le reste de sa vie[28]. Les gens qui la connurent alors se la rappellent comme une demoiselle brunette, trĂšs maigre et frĂȘle, qui rĂȘvait de devenir une actrice importante, mais possĂ©dait aussi une grande force dâĂąme, beaucoup de gaietĂ©, et le sens de lâamitiĂ© et de la justice.
Pierina Dealessi, actrice et importante productrice de théùtre, qui engagea Eva en 1937, se souvient :
« Je connus Eva Duarte en 1937. Elle se presenta timidement : elle voulait se consacrer au thĂ©Ăątre. Je vis une petite chose tellement dĂ©licate que je dis Ă JosĂ© GĂłmez, reprĂ©sentant de la troupe dont jâĂ©tais la productrice, quâil lui donnĂąt un rĂŽle dans la distribution. CâĂ©tait une petite chose tellement Ă©thĂ©rĂ©e, que je lui demandai : Ma petite dame, tu veux vraiment ? Sa rĂ©ponse affirmative Ă©tait dite dâune voix trĂšs basse, timidement. Nous jouions la piĂšce Una boĂźte rusa ; je lui fis faire un essai et elle me parut bonne. Dans ses premiers rĂŽles, elle nâeut que quelques paroles Ă dire, mais elle ne fit jamais de remplacements. Sur la scĂšne, qui figurait une boĂźte (cabaret), Eva devait apparaĂźtre avec dâautres filles, bien habillĂ©e. Sa figure Ă©tait des plus chĂ©tives. La gamine sâentendait bien avec toutes. Elle prenait du mate avec ses camarades. Elle le prĂ©parait dans ma resserre. Elle habitait dans des pensions, Ă©tait trĂšs pauvre, trĂšs humble. Elle arrivait de bonne heure au thĂ©Ăątre, bavardait avec tous, riait, goĂ»tait des biscuits. Moi, la voyant si fluette, si faible, je lui disais : il faudra te soigner, manger beaucoup, bois beaucoup de mate, cela te fera beaucoup de bien ! Et je lui rajoutais du lait au mate[20]. »
Les acteurs et actrices engagĂ©s pour de petits rĂŽles pouvaient au maximum gagner cent pesos par mois, c'est-Ă -dire le salaire habituel dâun ouvrier dâusine[14]. Peu Ă peu, Eva parvint Ă une certaine reconnaissance, dâabord en participant Ă des films, comme actrice de deuxiĂšme ligne, et ensuite en travaillant parallĂšlement comme mannequin, apparaissant sur la couverture de quelques revues de spectacle, mais câest surtout en tant que rĂ©citante et actrice dans des dramatiques radiophoniques quâelle rĂ©ussit enfin Ă mener une vĂ©ritable carriĂšre. Elle obtint son premier rĂŽle dans une dramatique en . La piĂšce, diffusĂ©e par Radio Belgrano, sâappelait Oro blanco (Or blanc) et avait pour cadre la vie quotidienne des travailleurs du coton dans le Chaco. Elle participa par ailleurs Ă un concours de beautĂ©, sans succĂšs, et figura comme prĂ©sentatrice dâun concours de tango, oĂč elle annonçait les participants et assurait les transitions entre les prestations des danseurs. Elle vĂ©cut six mois avec un acteur, qui disait vouloir lâĂ©pouser, mais qui lâabandonna brusquement[29].
LâĂ©minent acteur Marcos Zucker, compagnon de travail dâEva, alors que tous deux dĂ©butaient dans le mĂ©tier, se souvient de ces annĂ©es de la façon suivante :
« Je connus Eva Duarte en 1938, au Teatro Liceo, alors que nous travaillions sur la piĂšce La gruta de la Fortuna. La troupe Ă©tait de Pierina Dealessi, et Gregorio Cicarelli, Ernesto Saracino et dâautres y jouaient. Elle avait le mĂȘme Ăąge que moi. CâĂ©tait une fille dĂ©sireuse de se distinguer, agrĂ©able, sympathique et trĂšs bonne amie avec tout le monde, en particulier avec moi, puisque par aprĂšs, quand elle eut lâoccasion de jouer dans une piĂšce radiophonique, Los jazmines del ochenta, elle mâappela pour que je travaille avec elle. Entre lâĂ©poque oĂč je la connus au thĂ©Ăątre et le moment oĂč elle faisait de la radio, une transformation sâĂ©tait produite en elle. Ses angoisses sâĂ©taient calmĂ©es, elle Ă©tait plus sereine, moins tendue. Ă la radio, elle Ă©tait une petite dame jeune, tĂȘte de compagnie. Ses Ă©missions avaient beaucoup dâaudience, marchaient fort bien. Elle commençait dĂ©jĂ Ă avoir du succĂšs comme actrice. Contrairement Ă ce qui se dit par ici, nous autres galants nâavions, Ă lâintĂ©rieur du thĂ©Ăątre, que peu de frĂ©quentation avec les filles. NĂ©anmoins, jâĂ©tais trĂšs ami avec elle et je garde de fort bons souvenirs de cette pĂ©riode de nos vies. Nous Ă©tions tous deux dans la mĂȘme vie, vu que nous dĂ©butions tous les deux et quâil nous fallait nous faire remarquer, nous frayer un chemin[30]. »
Fin 1938, Ă 19 ans, Eva rĂ©ussit Ă figurer comme tĂȘte de liste des comĂ©diens de la troupe CompañĂa de Teatro del Aire rĂ©cemment fondĂ©e, et ce conjointement avec Pascual Pellicciotta, acteur qui comme elle avait travaillĂ© pendant des annĂ©es dans des seconds rĂŽles. La premiĂšre dramatique radiophonique que la troupe mit sur les ondes fut Los jazmines del ochenta, de HĂ©ctor Blomberg, pour le compte de Radio Mitre, diffusĂ©e du lundi au vendredi. Câest vers cette Ă©poque quâelle commença Ă acquĂ©rir de la notoriĂ©tĂ©, non en vendant ses charmes comme il a Ă©tĂ© murmurĂ©, mais en consentant Ă jouer le jeu du vedettariat, battant notamment les antichambres de SintonĂa, revue de cinĂ©ma quâelle avait lue avec aviditĂ© quand elle Ă©tait adolescente, et oĂč elle obtenait que son nom fĂ»t citĂ©, ou quâun reportage ou une photo dâelle parĂ»t dans ses colonnes[31].
Dans le mĂȘme temps, elle commença Ă apparaĂźtre plus assidument au cinĂ©ma, dans des films tels que ÂĄSegundos afuera! (1937), El mĂĄs infeliz del pueblo, avec Luis Sandrini, la Carga de los valientes et Una novia en apuros en 1941.
En 1941, la troupe mit sur ondes la piĂšce radiophonique Los amores de Schubert, de Alejandro Casona, pour Radio Prieto.
En 1942, elle sortit dĂ©finitivement de la prĂ©caritĂ© Ă©conomique grĂące au contrat quâelle signa avec la troupe CompañĂa Candilejas, placĂ©e sous lâĂ©gide de lâentreprise de savonnerie Guerreno oĂč travaillait son frĂšre Juan, laquelle troupe diffuserait tous les matins un cycle de dramatiques pour Radio El Mundo, la principale radio du pays. Cette mĂȘme annĂ©e, Eva fut engagĂ©e pour cinq ans Ă rĂ©aliser quotidiennement, en soirĂ©e, une sĂ©rie radiophonique dramatico-historique appelĂ©e Grandes mujeres de todos los tiempos (Grandes Femmes de tous les temps), Ă©vocations dramatiques de la vie de femmes illustres, dans laquelle elle joua notamment Ălisabeth Ire d'Angleterre, Sarah Bernhardt et Alexandra Fedorovna, derniĂšre tsarine de Russie. Cette sĂ©rie dâĂ©missions, diffusĂ©e par Radio Belgrano, rĂ©colta un grand succĂšs. Le scĂ©nariste de ces Ă©missions, le juriste et historien Francisco JosĂ© Muñoz Azpiri, Ă©tait celui qui devait, quelques annĂ©es plus tard, Ă©crire pour Eva PerĂłn ses premiers discours politiques. Radio Belgrano Ă©tait alors dirigĂ© par Jaime Yankelevich, qui jouera un rĂŽle dĂ©terminant dans la crĂ©ation de la tĂ©lĂ©vision argentine.
Entre thĂ©Ăątre radiophonique et cinĂ©ma, Eva sut finalement se faire une situation Ă©conomique stable et confortable. En 1943, au terme de deux ans de travail au sein de sa propre compagnie dâacteurs, elle gagnait de cinq Ă six mille pesos par mois, ce qui faisait dâelle lâune des actrices radio les mieux payĂ©es du moment[32]. Elle put donc, en 1942, laisser enfin derriĂšre elle les pensions et faire lâacquisition dâun appartement, situĂ© au no 1567 de la rue Posadas, en face des studios de Radio Belgrano, dans le quartier exclusif de Recoleta, appartement dans lequel, trois ans plus tard, elle se mettra en mĂ©nage avec Juan Domingo PerĂłn. Selon un tĂ©moignage, Eva mettait un point dâhonneur, en tant quâactrice exerçant une fonction dirigeante, Ă ne pas ĂȘtre aperçue dans les mĂȘmes cafĂ©s que monsieur Tout le monde, dĂ©clarant notamment un jour : « je propose que nous allions Ă la ConfiterĂa au coin de la rue pour prendre le thĂ©, lĂ oĂč les gens ordinaires ne viennent pas »[33].
Le , Eva se lança Ă©galement dans lâactivitĂ© syndicale, et fut lâune des fondatrices de lâAssociation radiophonique argentine (ARA, AsociaciĂłn Radial Argentina), premier syndicat des travailleurs de la radio.
Le péronisme
Eva fit la rencontre de Juan PerĂłn dans les premiers jours de 1944, alors que lâArgentine traversait une pĂ©riode cruciale de transformation Ă©conomique, sociale et politique.
La situation politique et sociale en 1944
Au point de vue Ă©conomique, le pays avait au cours des annĂ©es prĂ©cĂ©dentes totalement changĂ© sa structure productive par suite dâun fort dĂ©veloppement de son industrie. En 1943, la production industrielle avait pour la premiĂšre fois dĂ©passĂ© la production agricole.
Socialement, lâArgentine connut alors une vaste migration intĂ©rieure, de la campagne vers les villes, impulsĂ©e par le dĂ©veloppement industriel. Ce mouvement entraĂźna un vaste processus dâurbanisation et un notable changement dans la composition de la population des grandes villes, en particulier de Buenos Aires, consĂ©cutif Ă lâirruption dâun nouveau type de travailleurs non europĂ©ens, appelĂ©s dĂ©daigneusement cabecitas negras (tĂȘtes noires) par les classes moyennes et supĂ©rieure, pour avoir la chevelure, le teint et les yeux en moyenne plus sombres que la plupart des immigrĂ©s venant directement dâEurope. La grande migration intĂ©rieure se caractĂ©risait aussi par la prĂ©sence dâun grand nombre de femmes dĂ©sireuses de faire leur entrĂ©e sur le marchĂ© du travail salariĂ© quâavait fait naĂźtre lâindustrialisation.
Sur le plan politique, lâArgentine vivait une crise profonde touchant les partis politiques traditionnels, lesquels avaient validĂ© un systĂšme corrompu ouvertement basĂ© sur la fraude Ă©lectorale et le clientĂ©lisme. Cette pĂ©riode de lâhistoire argentine, connue sous lâappellation de DĂ©cennie infĂąme, qui va de 1930 Ă 1943, vit gouverner une alliance conservatrice nommĂ©e la Concordancia. La corruption du pouvoir conservateur en place entraĂźna le le dĂ©clenchement dâun coup dâĂtat militaire, lequel ouvrit une pĂ©riode confuse de rĂ©organisation et de repositionnement des forces politiques. Le lieutenant-colonel Juan Domingo PerĂłn, 47 ans, fera partie de la troisiĂšme configuration du nouveau gouvernement mis en place aprĂšs le coup dâĂtat militaire.
En 1943, peu aprĂšs le dĂ©but du gouvernement militaire, un groupe de syndicalistes majoritairement socialistes et syndicalistes-revolutionnaires, menĂ©s par le dirigeant syndical socialiste Ăngel Borlenghi, prit lâinitiative dâĂ©tablir des contacts avec de jeunes officiers rĂ©ceptifs aux revendications des travailleurs. Du cĂŽtĂ© militaire, les colonels Juan PerĂłn et Domingo Mercante prirent la tĂȘte du groupe militaire qui dĂ©cida de conclure une alliance avec les syndicats afin de mettre en Ćuvre le programme historique portĂ© par le syndicalisme argentin depuis 1890.
Cette alliance militaro-syndicale dirigĂ©e par PerĂłn et Borlenghi sut rĂ©aliser de grandes avancĂ©es sociales (conventions collectives, statut du travailleur agricole, pension de retraite, etc.), sâassurant ainsi un fort appui populaire qui lui permit de sâemparer de positions importantes au sein du gouvernement. Ce fut prĂ©cisĂ©ment PerĂłn qui occupa le premier une fonction gouvernementale, lorsquâil fut dĂ©signĂ© Ă la tĂȘte de lâinsignifiant dĂ©partement du Travail. Il obtint peu aprĂšs que ledit dĂ©partement fĂ»t Ă©levĂ© au haut rang de secrĂ©tariat dâĂtat.
ParallĂšlement au progrĂšs des droits sociaux et des droits du travail obtenus par le groupe syndicalo-militaire menĂ© par PerĂłn et Borlenghi, et au croissant appui populaire dont bĂ©nĂ©ficiait celui-ci, commença Ă©galement Ă sâorganiser une opposition dirigĂ©e par le patronat, des militaires et des groupements Ă©tudiants traditionnels, avec le soutien ouvert de lâambassade des Ătats-Unis, et qui jouissait dâun appui grandissant dans les classes moyennes et supĂ©rieure. Cet affrontement sera initialement connu sous le nom de les espadrilles contre les livres.
Rencontre avec Juan Domingo PerĂłn
Eva, ĂągĂ©e de 24 ans, fit la connaissance de Juan PerĂłn, veuf depuis 1938, le , lors dâun Ă©vĂ©nement organisĂ© dans le stade Luna Park Ă Buenos Aires par le secrĂ©tariat au Travail et Ă la PrĂ©voyance, lors duquel les actrices qui avaient collectĂ© la plus grande quantitĂ© de fonds en faveur des victimes du tremblement de terre de San Juan de 1944 allaient se voir dĂ©cerner une dĂ©coration. Les actrices en haut de ce classement se trouvaient ĂȘtre NinĂ Marshall, future opposante au pĂ©ronisme, et Libertad Lamarque[34]. Lorsque ces fonds eurent Ă©tĂ© recueillis, Juan PerĂłn demanda Ă Eva de venir travailler au secrĂ©tariat au Travail. Il voulait y attirer quelquâun capable dâĂ©laborer une politique du travail Ă lâintention des femmes et souhaitait que ce fĂ»t une femme qui prĂźt la direction de ce mouvement. Il estimait quâEva, par ses qualitĂ©s de dĂ©vouement et dâinitiative, prĂ©sentait le profil idoine pour remplir cette tĂąche[35].
Peu aprĂšs, en , Juan PerĂłn et Eva sâĂ©taient mis en mĂ©nage dans lâappartement d'Eva rue Posadas. BientĂŽt, PerĂłn, alors encore colonel, satisfaisant la requĂȘte de sa compagne, demanda au secrĂ©taire Ă la radiodiffusion, Miguel Federico Villegas, alors capitaine, de lui trouver un rĂŽle dans quelque piĂšce radiophonique[36].
Entre-temps, Eva poursuivit sa carriĂšre artistique. Au sein du nouveau gouvernement, le major Alberto FarĂas, patriote inflexible dâorigine provinciale, fut chargĂ© de la « communication », sa mission consistant Ă Ă©purer les Ă©missions et messages publicitaires dâĂ©lĂ©ments indĂ©sirables. Toute Ă©mission de radio devait ĂȘtre soumise pour approbation au ministĂšre des Postes et TĂ©lĂ©communications dix jours Ă lâavance. NĂ©anmoins, grĂące Ă la protection du colonel Anibal Imbert, chargĂ© de lâattribution des temps dâantenne, Eva PerĂłn put mener Ă bien, en , son projet dâune sĂ©rie dâĂ©missions intitulĂ©e HĂ©roĂŻnes de lâhistoire (retraçant en rĂ©alitĂ© la vie de maĂźtresses cĂ©lĂšbres), dont les textes Ă©taient rĂ©digĂ©s, une fois encore, par Muñoz Azpiri[37]. Elle signa avec Radio Belgrano un nouveau contrat, Ă hauteur de 35000 pesos, qui Ă©tait, selon ses propres dires, le contrat le plus important de toute lâhistoire de la radiodiffusion[38]
Cette mĂȘme annĂ©e, elle fut Ă©lue prĂ©sidente de son syndicat, lâAsociaciĂłn Radial Argentina (ARA)[26]. Peu aprĂšs, elle ajouta Ă sa programmation sur Radio Belgrano un ensemble de trois nouvelles Ă©missions radio quotidiennes : Hacia un futuro mejor, Ă 10h.30, oĂč elle annonçait les conquĂȘtes sociales et du travail obtenues par le secrĂ©tariat au Travail ; la dramatique Tempestad, Ă 18h.00 ; et Reina de reyes, Ă 20h.30. Elle participa Ă©galement, plus tard dans la soirĂ©e, Ă des Ă©missions plus politiques, oĂč les idĂ©es de PerĂłn Ă©taient explicitement exposĂ©es, dans la perspective dâĂ©ventuelles Ă©lections, et en direction des couches de la population dont il escomptait quâelles le soutiendraient, qui nâavaient jamais Ă©tĂ© ciblĂ©es par la propagande politique et qui ne lisaient pas la presse. Peu fĂ©rue de politique, Eva ne discutait pas alors de sujets politiques, se contentant dâabsorber ce que savait et pensait Juan PerĂłn et se muant en sa plus grande et plus ardente partisane[39].
Elle joua aussi dans trois films, La cabalgata del circo, avec Hugo del Carril et Libertad Lamarque, Amanece sobre las ruinas (Aurore sur les ruines, fin 1944[40]), film de nature propagandiste qui prenait pour dĂ©cor le tremblement de terre de San Juan, et La prĂłdiga, qui ne sortit pas en salle Ă lâĂ©poque de sa rĂ©alisation[41]. Ce dernier film, dont lâaction se situe dans lâEspagne du XIXe siĂšcle et relate la liaison entre une femme mĂ»re et belle encore et un jeune ingĂ©nieur occupĂ© Ă construire un barrage. La femme Ă©tait appelĂ©e la prodigue en raison de sa grande et insouciante libĂ©ralitĂ©, qui la portait Ă dĂ©penser sa fortune pour venir en aide aux villageois pauvres. Le tournage se faisait lorsquâEva PerĂłn pouvait se libĂ©rer de ses autres obligations et se prolongea par consĂ©quent durant de longs mois. Elle affectionnait ce film, qui fut son dernier, Ă cause de lâesprit dâabnĂ©gation et de la souffrance morale, assez stĂ©rĂ©otypĂ©e, qui y Ă©taient dĂ©peints, quoique sa personne sâaccordĂąt difficilement au rĂŽle dâune femme plus ĂągĂ©e. De plus, son jeu manquait de puissance dramatique, sa voix Ă©tait monotone, ses gestes figĂ©s, et son visage restait peu expressif[42]. Du reste, elle confia un jour Ă son confesseur, le jĂ©suite HernĂĄn BenĂtez, que ses performances Ă©taient « mauvaises au cinĂ©ma, mĂ©diocres au thĂ©Ăątre, et passables Ă la radio »[43].
LâannĂ©e 1945
LâannĂ©e 1945 fut une annĂ©e charniĂšre pour lâhistoire argentine. La confrontation entre les diffĂ©rentes fractions sociales sâexacerba, lâopposition entre espadrilles (alpargatas) et livres (libros) se cristallisant dans une opposition entre pĂ©ronisme et antipĂ©ronisme.
Dans la nuit du eut lieu le coup dâĂtat, hĂątif et mal organisĂ©, du gĂ©nĂ©ral Eduardo Ăvalos, qui exigea sur-le-champ, et obtint le lendemain, la dĂ©mission de PerĂłn. LâĂ©lĂ©ment dĂ©clencheur du putsch fut une affaire de nomination Ă une haute fonction de lâĂtat, qui avait Ă©chappĂ© Ă certain secteur de lâarmĂ©e, sur un arriĂšre-plan dâopposition Ă la politique sociale de Juan PerĂłn, Ă quoi sâajoutait lâirritation provoquĂ©e par la vie privĂ©e de celui-ci, spĂ©cifiquement sa vie commune hors mariage avec Eva Duarte, femme dâextraction et dâantĂ©cĂ©dents obscurs. Pendant une semaine, les groupes antipĂ©ronistes eurent certes la maĂźtrise du pays, mais ne se dĂ©cidĂšrent pas Ă prendre effectivement le pouvoir. PerĂłn et Eva restĂšrent ensemble, se rendant chez diverses personnes, parmi lesquelles Elisa Duarte, la deuxiĂšme sĆur dâEva. Peu avant le coup dâĂtat, Juan PerĂłn reçut la visite du gĂ©nĂ©ral Ăvalos, qui lui conseillait en vain de cĂ©der aux desiderata des militaires ; pendant cette vive discussion, Eva prononça, sâadressant Ă Juan PerĂłn, les paroles suivantes : « ce quâil faut que tu fasses, câest tout laisser tomber, partir Ă la retraite et prendre du repos⊠Quâils se dĂ©brouillent tout seuls ». Le , Juan PerĂłn signa sa lettre de dĂ©mission pour les trois fonctions gouvernementales quâil occupait, en plus dâune demande de mise Ă disponibilitĂ©. Le mĂȘme jour, lâon fit part Ă Eva Duarte quâil avait Ă©tĂ© mis fin Ă son contrat avec radio Belgrano[44].
Le , PerĂłn fut assignĂ© Ă rĂ©sidence dans lâappartement de la calle Posadas, puis emmenĂ© en dĂ©tention sur la canonniĂšre Independencia, laquelle mit ensuite le cap sur lâĂźle MartĂn GarcĂa, dans le RĂo de la Plata.
Ce mĂȘme jour, PerĂłn Ă©crivit une lettre Ă son ami le colonel Domingo Mercante, dans laquelle il Ă©voque Eva Duarte, la dĂ©signant par Evita :
« Je te recommande fortement Evita, car la pauvrette est Ă bout de nerfs et je me fais du souci pour sa santĂ©. DĂšs quâon mâaura donnĂ© mon congĂ©, je me marie et je mâen vais au diable. »
Le , de MartĂn GarcĂa, PerĂłn Ă©crivit Ă Eva une lettre dans laquelle il lui confia entre autres :
« ⊠Aujourdâhui, jâai Ă©crit Ă Farrell pour lui demander dâaccĂ©lĂ©rer ma requĂȘte de congĂ©. DĂšs que je serai sorti dâici, nous nous marierons et partirons vivre tranquilles dans quelque endroit⊠Que mâas-tu dit de Farrell et dâĂvalos ? Deux perfides envers leur ami. Ainsi va la vie⊠Je te charge de dire Ă Mercante quâil parle Ă Farrell, pour faire en sorte quâils me laissent tranquille, et nous autres deux partons vers le Chubut⊠Je tĂącherai dâaller Ă Buenos Aires par nâimporte quel moyen, tu peux donc attendre sans inquiĂ©tude et veiller Ă ta santĂ©. Si le congĂ© est accordĂ©, nous nous marierons le jour suivant et sâil nâest pas accordĂ©, jâarrangerai les choses autrement, mais nous mettrons fin Ă cette situation dâinsĂ©curitĂ© oĂč tu te trouves en ce moment⊠Avec ce que jâai fait, jâai une justification devant lâHistoire et je sais que le temps me donnera raison. Je commencerai Ă Ă©crire un livre sur ceci et le publierai dĂšs que possible, et nous verrons alors qui a raison⊠»
Il semblait Ă ce moment que PerĂłn se fĂ»t dĂ©finitivement Ă©loignĂ© de toute activitĂ© politique et que, si les choses se passaient selon sa volontĂ©, il se fĂ»t retirĂ© avec Eva pour sâen aller vivre en Patagonie. Toutefois, Ă partir du , les syndicats se mirent Ă se mobiliser pour exiger la remise en libertĂ© de PerĂłn, jusquâĂ dĂ©clencher la grande manifestation du 17 octobre, laquelle aboutit Ă la libĂ©ration de PerĂłn et permit Ă lâalliance militaro-syndicale de recouvrer tous les postes quâelle dĂ©tenait auparavant dans le gouvernement, ouvrant ainsi la voie Ă la victoire Ă l'Ă©lection prĂ©sidentielle.
Le rĂ©cit traditionnel a voulu attribuer Ă Eva PerĂłn un rĂŽle dĂ©cisif dans la mobilisation des travailleurs qui occupĂšrent la place de Mai le , mais les historiens sâaccordent aujourdâhui Ă dire que son action â si tant est mĂȘme quâil y en eĂ»t une â lors de ces journĂ©es fut en rĂ©alitĂ© trĂšs limitĂ©e. Tout au plus a-t-elle pu participer Ă quelques rĂ©unions syndicales, sans grande incidence sur le cours des Ă©vĂ©nements[45]. Ă ce moment-lĂ en effet, Eva Duarte manquait encore dâidentitĂ© politique, de contacts dans les syndicats et dâun appui solide dans le cercle intime de Juan PerĂłn. Les tĂ©moignages historiques abondent qui indiquent que le mouvement qui libĂ©ra PerĂłn fut dĂ©clenchĂ© directement par les syndicats dans tout le pays, en particulier par la CGT[46]. Le journaliste HĂ©ctor Daniel Vargas a rĂ©vĂ©lĂ© que le , Eva Duarte se trouvait Ă JunĂn, sans doute au domicile de sa mĂšre, et en veut pour preuve un mandat signĂ© par elle dans cette ville le mĂȘme jour. Il semblerait cependant quâelle ait pu ensuite se rendre Ă Buenos Aires et sây trouver le mĂȘme soir encore[47]. Mais haĂŻe autant que PerĂłn lui-mĂȘme, ne se trouvant plus sous la protection de la police, dĂ©criĂ©e dĂ©sormais ouvertement par la presse, chassĂ©e de Radio Belgrano malgrĂ© dix ans de service, elle Ă©tait seule et apeurĂ©e, ne songeant quâĂ libĂ©rer Juan PerĂłn et craignant pour la vie de celui-ci[48]. Le , elle se retrouva malencontreusement au milieu dâune manifestation anti-pĂ©roniste, fut brutalisĂ©e et eut le visage tellement tumĂ©fiĂ© quâelle put rentrer chez elle sans plus ĂȘtre reconnue. Le plus vraisemblable est que, ayant Ă©chouĂ© Ă faire libĂ©rer Juan PerĂłn par lâentremise dâun juge, elle ait choisi de se tenir coite pour ne pas compromettre les chances dâune libĂ©ration[49].
Le moyen conventionnel dâĂȘtre libĂ©rĂ© de prison consistait Ă solliciter un habeas corpus auprĂšs dâun juge fĂ©dĂ©ral : dans la plupart des cas, pourvu quâil nây eĂ»t pas encore dâinculpation, le juge pouvait ordonner la mise en libertĂ©, Ă la condition que lâintĂ©ressĂ© eĂ»t prĂ©alablement manifestĂ©, par voie dâun tĂ©lĂ©gramme envoyĂ© au ministĂšre des Affaires intĂ©rieures, son intention de quitter le pays dans les 24 heures. La procĂ©dure Ă©tait simple et avait du reste Ă©tĂ© utilisĂ©e par maint opposant anti-pĂ©roniste dans les deux annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Eva Duarte se rendit donc Ă lâoffice de lâavocat Juan Atilio Bramuglia, qui la fit jeter Ă la porte. Eva gardera de cet incident une rancune tenace Ă lâendroit de Bramuglia[50].
Juan PerĂłn cependant put bientĂŽt quitter lâĂźle MartĂn GarcĂa en feignant, avec la complicitĂ© du mĂ©decin militaire et sien ami le capitaine Miguel Ăngel Mazza, une pleurĂ©sie, ce qui nĂ©cessitait une hospitalisation, c'est-Ă -dire son transfert (tenu secret) Ă lâhĂŽpital militaire de Buenos Aires. Entre-temps, des grĂšves spontanĂ©es avaient commencĂ© Ă Ă©clater, aussi bien dans la banlieue de la capitale que dans les provinces. Les ouvriers redoutaient que les acquis sociaux de ces deux derniĂšres annĂ©es, dont ils Ă©taient redevables Ă Juan PerĂłn, ne fussent anĂ©antis. Le , la CGT dĂ©cida, aprĂšs de longs dĂ©bats, de proclamer la grĂšve gĂ©nĂ©rale pour le .
Par lâentremise du Dr Mazza, Eva put visiter Juan PerĂłn Ă lâhĂŽpital ; celui-ci lui enjoignit de rester calme et de ne rien entreprendre de dangereux â raison supplĂ©mentaire dâadmettre quâEva PerĂłn ne joua aucun rĂŽle dĂ©terminant dans les Ă©vĂ©nements du .
Quelques jours plus tard, le , Juan PerĂłn Ă©pousa Eva Ă JunĂn, ainsi quâil lâavait annoncĂ© dans ses lettres. LâĂ©vĂ©nement eut lieu dans lâintimitĂ©, Ă lâĂ©tude de notaire Ordiales, laquelle Ă©tait hĂ©bergĂ©e dans une villa, qui existe encore, sise Ă lâangle des rues Arias et Quintana, dans le centre de la ville. Le secrĂ©taire utilisĂ© pour dresser lâacte de mariage civil est actuellement exposĂ© au MusĂ©e historique de JunĂn. Les tĂ©moins Ă©taient le frĂšre dâEva, Juan Duarte, et Domingo Mercante, ami de Juan PerĂłn et pĂ©roniste de la premiĂšre heure. Ă cause dâune tentative dâattentat contre Juan PerĂłn, il fallut surseoir au mariage religieux ; celui-ci fut cĂ©lĂ©brĂ© le dix dĂ©cembre, lors dâune cĂ©rĂ©monie privĂ©e, suivie dâune rĂ©union familiale restreinte, en lâĂ©glise Saint-François-dâAssise[51] de La Plata, choisie sur recommandation dâun frĂšre franciscain de leurs amis et en raison dâune prĂ©dilection dâEva pour lâordre des FrĂšres mineurs. PerĂłn Ă©tait dĂ©jĂ Ă ce moment-lĂ candidat Ă la prĂ©sidence de la RĂ©publique argentine, pays catholique oĂč il Ă©tait impensable quâun homme politique vĂ©cĂ»t avec une femme sans ĂȘtre mariĂ© religieusement avec elle.
ParallĂšlement, Eva sâappliqua Ă faire disparaĂźtre discrĂštement les traces de sa carriĂšre dâactrice, demandant notamment aux stations de radio de lui renvoyer ses photos publicitaires et empĂȘchant la diffusion de son dernier film La prĂłdiga[52].
Parcours politique
Eva PerĂłn exerçant le pouvoir dâune maniĂšre qui apparaissait trĂšs personnelle et sur un mode affectif, il en a Ă©tĂ© abusivement dĂ©duit que son action nâĂ©tait dĂ©terminĂ©e que par ses propres opinions et par les caractĂ©ristiques psychologiques de sa personnalitĂ© ; en rĂ©alitĂ©, elle Ćuvrait toujours dans le cadre politique et idĂ©ologique dĂ©fini par Juan PerĂłn[53].
Lors dâun rassemblement le , Juan PerĂłn lui-mĂȘme, Ă©voquant briĂšvement le rĂŽle politique dâEvita au sein du pĂ©ronisme, y distingua trois volets : sa relation avec les syndicats, sa fondation caritative, et son action auprĂšs des femmes argentines[54].
- Entretenant dâexcellents contacts avec les dirigeants syndicaux, elle permit au pĂ©ronisme de renforcer son emprise sur le monde ouvrier. Celui-ci en effet, tĂ©moin la persistance des grĂšves, nâĂ©tait pas inconditionnellement acquis au rĂ©gime ;
- Par sa fondation caritative (au demeurant plutĂŽt inutile, ses fonctions ayant pu ĂȘtre remplies par des institutions publiques idoines), elle avait mis en place, entre le dirigeant Juan PerĂłn et le peuple, une interface propre Ă donner du pĂ©ronisme un visage charnel, gĂ©nĂ©reux, humain, ce dont une bureaucratie impersonnelle aurait Ă©tĂ© incapable. De mĂȘme, elle usait dans ses discours dâun langage Ă©motionnel et direct, au contraire du caractĂšre plus abstrait du discours politique de Juan PerĂłn. Eva figurait ainsi comme trait dâunion entre le pouvoir pĂ©roniste et les descamisados â « parlant Ă Juan PerĂłn au nom du peuple, et au peuple au nom de Juan PerĂłn ».
- La création du Parti péroniste féminin lui permit de mobiliser une majorité du nouvel électorat féminin en faveur de Juan Perón.
On peut y ajouter son rĂŽle de prĂȘtresse des grands rituels du rĂ©gime pĂ©roniste et dâorchestrateur du culte de la personnalitĂ© de Juan PerĂłn. Il nâĂ©tait guĂšre dâĂ©vĂ©nement susceptible dâattirer lâattention du public (inauguration dâune piscine ou dâune usine, remises de mĂ©daille etc.) oĂč Evita ne fĂ»t prĂ©sente ; toute occasion de ce type Ă©tait prĂ©texte Ă la tenue dâun de ces rituels coutumiers du rĂ©gime, qui sâaccompagnaient immanquablement de force embrassades de bambins et de marques dâamour pour les descamisados et la patrie. Les deux principaux de ces rituels Ă©taient la journĂ©e du premier mai et la cĂ©lĂ©bration du , dans le cĂ©rĂ©monial desquels Eva PerĂłn occupait sa propre place.
Enfin, plus incidemment, elle sâattacha, par sa tournĂ©e europĂ©enne, Ă corriger la mauvaise image du pĂ©ronisme Ă lâĂ©tranger.
Campagne Ă©lectorale de 1946
Eva commença sa carriĂšre politique en accompagnant, en qualitĂ© dâĂ©pouse, Juan PerĂłn dans sa campagne Ă©lectorale en vue de l'Ă©lection prĂ©sidentielle du [55]. Leur tournĂ©e Ă©lectorale les conduisit Ă JunĂn, Rosario, Mendoza et CĂłrdoba. Juan PerĂłn et sa suite portaient des vĂȘtements ordinaires, ornĂ© de badges du nouveau mouvement, afin de prolĂ©tariser la vie politique argentine. Eva, sans jamais prononcer elle-mĂȘme de discours, se tenait auprĂšs de Juan PerĂłn lorsque celui-ci faisait, dâune voix de plus en plus rauque, ses allocutions sur les rĂ©formes agraires quâil projetait comme moyen de briser la puissance de lâoligarchie.
La participation dâEva dans la campagne de Juan PerĂłn reprĂ©sente une nouveautĂ© dans lâhistoire politique de lâArgentine. Ă cette Ă©poque en effet, les femmes Ă©taient (exceptĂ© dans la province de San Juan) privĂ©es de droits politiques et les apparitions publiques des Ă©pouses de candidats Ă la prĂ©sidentielle Ă©tait trĂšs restreintes et ne devaient en principe prĂ©senter aucun caractĂšre politique. Depuis le dĂ©but du siĂšcle, des groupes de fĂ©ministes, parmi lesquelles sâĂ©taient illustrĂ©es des personnalitĂ©s telles que Alicia Moreau de Justo, Julieta Lanteri et Elvira Rawson de Dellepiane, avaient revendiquĂ© en vain que les droits politiques fussent Ă©tendus aux femmes. En gĂ©nĂ©ral, la culture machiste dominante considĂ©rait mĂȘme comme un manque de fĂ©minitĂ© le fait pour une femme dâexprimer une opinion politique.
PerĂłn fut le premier chef dâĂtat argentin Ă mettre la question fĂ©minine Ă lâordre du jour, dĂšs avant quâEvita nâentre en politique. Depuis de longues annĂ©es dĂ©jĂ , les fĂ©ministes et suffragettes argentines exigeaient le droit de vote pour les femmes, mais aussi longtemps que les conservateurs Ă©taient au pouvoir, se voir accorder un tel droit Ă©tait impensable. Cependant, PerĂłn commença en 1943 Ă se prĂ©occcuper de la question, puis, lorsque PerĂłn et Evita eurent ouvert ensemble la voie Ă la participation politique des femmes, les avancĂ©es sur ce plan seront considĂ©rables. Dans la dĂ©cennie 1950, aucun pays au monde nâavait autant de femmes au parlement que lâArgentine[56].
Eva fut la premiĂšre Ă©pouse dâun candidat argentin Ă la prĂ©sidence Ă marquer sa prĂ©sence durant sa campagne et Ă lâaccompagner lors de ses tournĂ©es Ă©lectorales. Selon Pablo VĂĄzquez, PerĂłn proposait dĂšs 1943 dâaccorder le droit de vote aux femmes, mais lâAssemblĂ©e nationale des femmes (en esp. Asamblea Nacional de Mujeres), prĂ©sidĂ©e par Victoria Ocampo, sâalliant de fait aux milieux conservateurs, sâopposa en 1945 Ă ce quâune dictature octroyĂąt le suffrage aux femmes â fidĂšle Ă la formule : « Suffrage fĂ©minin, mais adoptĂ© par un CongrĂšs Ă©lu Ă la suite dâun scrutin honnĂȘte » â et le projet nâaboutit pas[55].
Le , peu avant la fin de la campagne, le Centro Universitario Argentino, la Cruzada de la Mujer Argentina (Croisade de la femme argentine) et la SecretarĂa General Estudiantil organisĂšrent une rĂ©union publique dans le stade Luna Park Ă Buenos Aires pour manifester le soutien des femmes Ă la candidature de PerĂłn. Puisque PerĂłn lui-mĂȘme ne fut pas en Ă©tat dây assister lui-mĂȘme, Ă©tant Ă©puisĂ© par la campagne, il fut annoncĂ© que MarĂa Eva Duarte de PerĂłn prendrait la parole Ă sa place â câeĂ»t Ă©tĂ© la premiĂšre fois quâEvita aurait parlĂ© lors dâun rassemblement politique. Cependant, lâoccasion ne se rĂ©alisa pas, parce que le public rĂ©clama Ă haute voix la prĂ©sence de PerĂłn lui-mĂȘme et empĂȘcha Eva de prononcer son discours[57].
Eva ne put donc guĂšre, durant cette premiĂšre campagne Ă©lectorale, sortir de son strict rĂŽle dâĂ©pouse du candidat PerĂłn. Toutefois, il Ă©tait apparu clairement dĂšs cet instant que son intention Ă©tait de jouer un rĂŽle politique autonome, nonobstant que les activitĂ©s politiques fussent alors interdites aux femmes. La conception quâelle-mĂȘme se faisait de son rĂŽle au sein du pĂ©ronisme sâexprimera dans un discours prononcĂ© par elle quelques annĂ©es plus tard, le :
« Je veux terminer avec une phrase qui est trĂšs Ă moi, et que je dis chaque fois Ă tous les descamisados de ma patrie, mais je ne veux pas que ce ne soit quâune phrase de plus, mais que vous y voyiez le sentiment dâune femme au service des humbles et au service de tous ceux qui souffrent : âJe prĂ©fĂšre ĂȘtre Evita, plutĂŽt que dâĂȘtre lâĂ©pouse du prĂ©sident, si cet Evita est dit pour apaiser quelque douleur en quelque foyer de ma patrieâ[58]. »
DĂ©buts militants
Le eurent lieu les Ă©lections, qui virent le triomphe de lâalliance PerĂłn-Quijano, avec 54 % des voix. Entre la date de son Ă©lection et celle de son investiture le , Juan PerĂłn prit un certain nombre de dĂ©cisions, parmi lesquelles la nomination du frĂšre dâEva, Juan Duarte, comme son secrĂ©taire privĂ©. Cette nomination de Juan Duarte, qui nâavait aucune expĂ©rience politique et de qui des rumeurs disaient quâil sâĂ©tait enrichi sur le marchĂ© noir en 1945, nâeĂ»t jamais eu lieu sans lâintervention dâEva, et permit Ă celle-ci dâexercer une certaine influence en dĂ©cidant, par le biais de son frĂšre, qui devait rencontrer son mari. Quelques concertations politiques eurent lieu dans la rĂ©sidence secondaire des PerĂłn Ă San Vicente, oĂč le couple du reste frappait ses interlocuteurs par la simplicitĂ© de sa vie privĂ©e et le sans-façon de ses contacts, Eva notamment se souciant peu de lâĂ©tiquette vestimentaire[59]. Lors de la cĂ©rĂ©monie dâinvestiture, Eva portait une robe de soie qui laissait dĂ©nudĂ©e une Ă©paule du cĂŽtĂ© oĂč se tenait le cardinal, ce qui provoqua un scandale dans les cercles de lâoligarchie.
Au dĂ©but, le travail politique dâEva consista (outre une fonction purement reprĂ©sentative) Ă visiter des entreprises en compagnie de son mari, puis seule, et bientĂŽt elle eut Ă sa disposition un bureau particulier, dâabord au ministĂšre des TĂ©lĂ©communications, et ensuite dans le bĂątiment du ministĂšre du Travail, Ă©difice auquel sa personne restera indissociable par la suite aux yeux de lâopinion populaire. Elle y recevait des gens du peuple venus lui solliciter certaines faveurs, comme lâadmission Ă lâhĂŽpital dâun enfant malade, ou lâoctroi dâun logement Ă une famille, ou une aide financiĂšre. Elle se faisait assister par des personnes qui avaient auparavant travaillĂ© au ministĂšre avec PerĂłn, en particulier Isabel Ernst, qui avait dâexcellents contacts avec le monde syndical et prenait part Ă toutes les rĂ©unions avec des syndicalistes[60]. Elle aidait les ouvriers Ă fonder des syndicats dans les entreprises oĂč il nây en avait pas encore, ou Ă en crĂ©er de nouveaux, dâobĂ©dience pĂ©roniste, lĂ oĂč seuls existaient des syndicats non agrĂ©Ă©s par le pouvoir, communistes ou autres, ou encore, en cas dâĂ©lections syndicales, apportait son soutien aux pĂ©ronistes face aux anti-pĂ©ronistes.
Juan PerĂłn, en accordant ces libertĂ©s Ă sa femme, poursuivait des buts politiques prĂ©cis. Les grĂšves ouvriĂšres continuaient, et Eva devait, par son ascendant sur le peuple et les syndicats, aider Juan PerĂłn Ă accroĂźtre son emprise sur le mouvement ouvrier. En outre, en couvrant son mari dâĂ©loges spontanĂ©s et sincĂšres, elle prenait Ă sa charge tout un pan de la propagande pĂ©roniste, que validaient ses origines populaires.
En rĂ©action aux critiques de lâopposition sur le rĂŽle politique exact dâEva PerĂłn, le gouvernement publia en une dĂ©claration indiquant quâelle nâavait pas de secrĂ©taire, mais un collaborateur ; que, sans faire partie Ă proprement parler du gouvernement, elle livrait une contribution active Ă la politique sociale de celui-ci en assumant le rĂŽle dâĂ©missaire du gouvernement auprĂšs des descamisados[61].
Pour lâoligarchie toutefois, son action sâexpliquait par une volontĂ© dâimiter ceux qui se trouvaient au-dessus dâelle dans la hiĂ©rarchie sociale, et par un dĂ©sir de vengeance contre ceux quâelle avait essayĂ© dâĂ©galer sans y parvenir. Son ressort rĂ©siderait tout entier dans la chaĂźne de causalitĂ© blessure dâamour propre suivi de vengeance, et dâenvie suivie de rancĆur.
Ămancipation des femmes
Les historiens argentins sont unanimes Ă reconnaĂźtre le rĂŽle dĂ©cisif jouĂ© par Evita dans le processus dâacceptation de lâĂ©galitĂ© entre hommes et femmes au regard des droits politiques et civils en Argentine. Lors de sa tournĂ©e europĂ©enne, elle usa, pour exprimer son point de vue sur cette question, de la formule suivante : « Le prĂ©sent siĂšcle ne passera pas dans lâhistoire sous le nom de siĂšcle de la dĂ©sintĂ©gration atomique, mais avec un autre nom beaucoup plus significatif : siĂšcle du fĂ©minisme victorieux[62]. »
Elle prononça plusieurs discours en faveur du droit de vote des femmes et dans son journal, Democracia, parut une sĂ©rie dâarticles exhortant les pĂ©ronistes masculins Ă abandonner leurs prĂ©jugĂ©s contre les femmes. Pourtant elle ne sâintĂ©ressait que modĂ©rĂ©ment aux aspects thĂ©oriques du fĂ©minisme et il Ă©tait rare que dans ses allocutions elle abordĂąt des questions concernant exclusivement les femmes, et mĂȘme sâexprimait avec dĂ©dain sur le fĂ©minisme militant, dĂ©peignant les fĂ©ministes comme des femmes mĂ©prisables incapables de rĂ©aliser leur fĂ©minitĂ©. NĂ©anmoins, beaucoup de femmes argentines, au dĂ©part indiffĂ©rentes Ă ces questions, sont entrĂ©es en politique Ă cause dâEva PerĂłn[63].
Droit de vote des femmes
Pendant la campagne pour les Ă©lections de 1946, la coalition pĂ©roniste avait inscrit la reconnaissance du suffrage fĂ©minin dans son programme Ă©lectoral. Auparavant dĂ©jĂ , PerĂłn avait, en sa qualitĂ© de vice-prĂ©sident, tentĂ© de faire adopter une loi instaurant le vote des femmes, mais les rĂ©sistances au sein des forces armĂ©es dans le gouvernement, comme celles de lâopposition, qui allĂ©guait des arriĂšre-pensĂ©es Ă©lectoralistes, avaient fait Ă©chouer le projet[65]. Au lendemain du scrutin de 1946, et Ă mesure que grandissait son influence dans le mouvement pĂ©roniste, Evita commença Ă faire ouvertement campagne en faveur du droit de vote des femmes, Ă travers des rĂ©unions publiques et des allocutions radiophoniques. Plus tard, Evita allait mettre sur pied le Parti pĂ©roniste fĂ©minin, groupement de femmes dirigeantes, dotĂ© dâun rĂ©seau de sections locales, chose qui nâexistait nulle part ailleurs au monde. Elle manifesta que les femmes non seulement devaient voter, mais encore quâelles devaient voter pour des femmes ; de fait, il y aura bientĂŽt en Argentine des femmes dĂ©putĂ©es et des sĂ©natrices, dont le nombre devait aller croissant au fil des Ă©lections suivantes, de sorte que lâArgentine apparaissait alors comme fort en avance[56].
Le , trois jours aprĂšs les Ă©lections, Evita, ĂągĂ©e de 26 ans, prononça son premier discours politique lors dâune rĂ©union publique convoquĂ©e pour remercier les femmes argentines de leur soutien Ă la candidature de PerĂłn. Ă cette occasion, Evita exigea lâĂ©galitĂ© de droits entre hommes et femmes, et en particulier le suffrage des femmes :
« La femme argentine a surmontĂ© la pĂ©riode des tutelles civiles. La femme doit affermir son action, la femme doit voter. La femme, ressort moral de son foyer, doit tenir sa place dans le complexe engrenage social du peuple. Câest ce quâexige une nĂ©cessitĂ© nouvelle de sâorganiser en groupes plus Ă©tendus et plus conformes Ă notre temps. Câest en somme ce quâexige la transformation du concept mĂȘme de femme, Ă prĂ©sent que le nombre de ses devoirs sâest accru de maniĂšre sacrificielle, sans que dans le mĂȘme temps elle ait rĂ©clamĂ© le moindre de ses droits. »
Le projet de loi prĂ©voyant le droit de vote pour les femmes fut prĂ©sentĂ© aussitĂŽt aprĂšs lâentrĂ©e en fonction du nouveau gouvernement constitutionnel, le . Les prĂ©jugĂ©s conservateurs cependant firent obstacle Ă lâadoption de la loi, non seulement dans les partis dâopposition, mais aussi au sein des partis soutenant le pĂ©ronisme. Sans dĂ©semparer, Evita fit pression sur les parlementaires pour quâils approuvassent la loi, jusquâĂ finir par susciter leurs protestations par son immixtion.
Bien quâil sâagĂźt dâun texte trĂšs bref, en seulement trois articles, qui ne pouvait pas en pratique donner lieu Ă discussion, le sĂ©nat ne donna le quâune sanction partielle du projet, et il fallut attendre plus dâun an encore pour que la chambre des dĂ©putĂ©s adoptĂąt, le , la loi 13.010 portant Ă©galitĂ© de droits politiques entre hommes et femmes et instituant le suffrage universel en Argentine[66]. La loi 13.010 fut finalement approuvĂ©e Ă lâunanimitĂ©.
Ă la suite de lâadoption cette loi, Evita fit sur la chaĂźne nationale la dĂ©claration suivante :
« Femmes de ma patrie, je viens de recevoir des mains du gouvernement de la nation la loi consacrant nos droits civiques, et je la reçois devant vous avec la certitude que je le fais au nom et en reprĂ©sentation de toutes les femmes argentines, sentant avec jubilation mes mains trembler au contact de cette consĂ©cration qui proclame la victoire. Ici, mes sĆurs, se trouve rĂ©sumĂ©e, dans la typographie serrĂ©e dâarticles peu nombreux, une longue histoire de luttes, contrariĂ©tĂ©s et espĂ©rances, ce pourquoi cette loi est lourde de crispations dâindignation, dâombres de pĂ©ripĂ©ties hostiles, mais aussi du rĂ©veil joyeux dâaurores triomphales, et de ce prĂ©sent triomphe, qui traduit la victoire de la femme sur les incomprĂ©hensions, les refus, et les intĂ©rĂȘts Ă©tablis des castes rĂ©pudiĂ©es par notre rĂ©veil national (âŠ). »
Le Parti péroniste féminin
En 1949, Eva PerĂłn voulut renforcer encore lâinfluence politique des femmes en fondant, le au ThĂ©Ăątre national Cervantes de Buenos Aires, le Parti pĂ©roniste fĂ©minin (Partido Peronista Femenino, PPF), dont elle serait elle-mĂȘme prĂ©sidente. Dans le discours quâelle prononça lors du congrĂšs fondateur, elle fustigea avec vĂ©hĂ©mence lâinjustice faite aux femmes qui travaillent, mais insista dans le mĂȘme temps sur le prĂ©cepte dâune fidĂ©litĂ© totale et inconditionnelle Ă Juan PerĂłn : notre mouvement, dit-elle, est thĂ©oriquement et idĂ©ologiquement inspirĂ© des paroles de PerĂłn ; ĂȘtre pĂ©roniste signifie, pour une femme, ĂȘtre fidĂšle et avoir une foi aveugle en PerĂłn[67]. Le PPF, qui Ă©tait sans lien avec son pendant masculin, permit de faire surgir toute une gĂ©nĂ©ration de femmes loyales au pĂ©ronisme. En 1952, le parti comptait 500 000 membres et 3 600 bureaux, et amena sur le nom de Juan PerĂłn plus de 63 % des suffrages fĂ©minins aux Ă©lections de 1951.
Le PPF Ă©tait organisĂ© autour dâunitĂ©s fĂ©minines de base crĂ©Ă©es dans les quartiers et les villages et au sein des syndicats, canalisant ainsi lâactivitĂ© militante directe des femmes[68]. Les femmes affiliĂ©es au Parti pĂ©roniste fĂ©minin y participaient par le biais de deux types dâunitĂ©s de base :
- Unités de base syndicales, si elles étaient des salariées ;
- Unités de base ordinaires, si elles étaient des femmes au foyer, employées de maison ou ouvriÚres agricoles[69].
Si dans le Parti pĂ©roniste fĂ©minin nâexistait aucune distinction ni hiĂ©rarchie entre ses membres, il Ă©tait exigĂ© de ses affiliĂ©es quâelles fussent de bonnes pĂ©ronistes, c'est-Ă -dire des fanatiques, entiĂšrement dĂ©vouĂ©es au parti, pour qui le parti passait avant toute chose, y compris leur famille et leur carriĂšre. Evita se montra une excellente organisatrice, qui ne se lassait pas dâencourager « ses femmes » et de les pousser Ă aller toujours plus loin[70].
Le eurent lieu des Ă©lections gĂ©nĂ©rales. Evita vota Ă lâhĂŽpital, oĂč elle avait Ă©tĂ© admise en raison du stade avancĂ© du cancer qui devait mettre fin Ă sa vie lâannĂ©e suivante. Pour la premiĂšre fois, des parlementaires fĂ©minines allaient ĂȘtre Ă©lues : 23 dĂ©putĂ©es nationales, 6 sĂ©natrices nationales, et si lâon comptabilise Ă©galement les membres des assemblĂ©es lĂ©gislatives provinciales, les femmes totalisaient 109 Ă©lues[71].
ĂgalitĂ© juridique dans le mariage et patria potestas
LâĂ©galitĂ© politique entre hommes et femmes fut complĂ©tĂ©e par lâĂ©galitĂ© juridique des conjoints et par la patria potestas partagĂ©e, garantie dĂ©sormais par lâarticle 37 (II.1) de la constitution argentine de 1949, lequel article cependant ne fut jamais ensuite transposĂ© en rĂšglements. Câest Eva PerĂłn elle-mĂȘme qui en avait rĂ©digĂ© le texte. Le pouvoir issu du coup dâĂtat militaire de 1955 abrogea ladite constitution, et avec elle la garantie dâĂ©galitĂ© juridique entre hommes et femmes au sein du mariage et au regard de la patria potestas, ce qui fit prĂ©valoir Ă nouveau lâancienne prĂ©sĂ©ance civile de lâhomme sur la femme. La rĂ©forme constitutionnelle de 1957 ne rĂ©tablit pas davantage cette garantie constitutionnelle, et la femme argentine demeura ainsi discriminĂ©e pour le code civil, jusquâĂ ce que la loi de patria potestas partagĂ©e (en esp. Ley de patria potestad compartida) fĂ»t sanctionnĂ©e sous le gouvernement de RaĂșl AlfonsĂn, en 1985.
Relation avec les travailleurs et les syndicats
Eva Perón entretint des rapports forts, étroits et complexes, et trÚs symptomatiques de sa personnalité, avec les travailleurs et avec les syndicats en particulier.
En 1947, PerĂłn ordonna que fussent dissous les trois partis qui lâappuyaient, le Partido Laborista (Parti travailliste), le Parti indĂ©pendant (rĂ©unissant des conservateurs) et lâUniĂłn CĂvica Radical Junta Renovadora (littĂ©r. Union civique radicale ComitĂ© rĂ©novateur, fondĂ©e en 1945 par scission de lâUCR), pour crĂ©er le Parti justicialiste. De cette maniĂšre, si les syndicats perdaient ainsi de leur autonomie au sein du pĂ©ronisme, celui-ci en contrepartie se construisit en sâappuyant dĂ©sormais sur le syndicalisme comme « colonne vertĂ©brale », ce qui en pratique se traduira par la transformation subsĂ©quente du Parti justicialiste en un parti quasi-travailliste.
Dans cet assemblage de pouvoirs et dâintĂ©rĂȘts hĂ©tĂ©rogĂšnes et souvent en conflit qui confluaient dans le pĂ©ronisme, conçu comme un mouvement englobant une multiplicitĂ© de classes et de secteurs, Eva PerĂłn joua un rĂŽle de lien direct et privilĂ©giĂ© entre Juan PerĂłn et les syndicats, ce qui permit Ă ces derniers de consolider leur position de pouvoir, quoique partagĂ©e.
Câest pour cette raison que le mouvement syndical encouragea en 1951 la candidature dâEva PerĂłn Ă la vice-prĂ©sidence, candidature Ă laquelle sâopposĂšrent fortement, y compris dans le Parti pĂ©roniste lui-mĂȘme, les secteurs dĂ©sireux dâĂ©viter une influence accrue des organisations syndicales.
Evita avait une vision rĂ©solument combative des droits sociaux et du travail et pensait que lâoligarchie et lâimpĂ©rialisme sâappliqueraient, y compris en usant de violence, Ă en obtenir lâannulation. En consĂ©quence, Eva impulsa, aux cĂŽtĂ©s des dirigeants syndicaux, la formation de milices ouvriĂšres et, peu avant de mourir, fit lâacquisition dâarmes de guerre quâelle mit aux mains de la CGT[72].
Ces rapports étroits entre Eva Perón et le syndicalisme trouvÚrent, à la mort de celle-ci, leur expression ultime et ostensible en ce que son corps embaumé fut déposé à titre permanent au siÚge de la CGT à Buenos Aires.
Le journal Democracia
Durant la campagne Ă©lectorale, la presse avait, de façon gĂ©nĂ©rale, Ă©tĂ© peu favorable Ă Juan PerĂłn. DĂ©but 1947, Eva PerĂłn acquit Democracia, quotidien alors peu important et de qualitĂ© moyenne. Eva ne disposant pas de fonds propres, il fut fait appel Ă la banque centrale (nationalisĂ©e) pour obtenir un prĂȘt. Pour le reste, Eva ne joua quâun rĂŽle mineur dans les destinĂ©es du journal et laissa libre carriĂšre Ă lâĂ©quipe rĂ©dactionnelle. Cependant, Ă lâoccasion, elle y laissait typiquement son empreinte, comme le relĂšvent N. Fraser et M. Navarro :
« Le journal prĂ©sentait, au format tabloĂŻd, et avec force photographies, un compte rendu trĂšs partial des continuelles cĂ©rĂ©monies du rĂ©gime pĂ©roniste. Les discours de PerĂłn sây trouvaient toujours reproduits en bonne place, et lorsquâEva PerĂłn faisait une sĂ©rie dâĂ©missions de radio, dans lesquelles elle expliquait aux femmes de mĂ©nage comment faire face Ă lâinflation, ces Ă©missions trouvaient aussi bon accueil dans les colonnes de Democracia. Une des lubies dâEvita dut mĂȘme se muer en rĂšgle rĂ©dactionnelle. Cela concernait la personne de Juan Atilio Bramuglia, Ă prĂ©sent ministre des Affaires Ă©trangĂšres, et auparavant lâhomme qui avait refusĂ© Ă Evita dâarranger en faveur de Juan PerĂłn un acte dâhabeas corpus. Bramuglia nâĂ©tait jamais mentionnĂ© par son nom dans le journal. Sâil y avait lieu de se rĂ©fĂ©rer Ă lui, on ne bornait Ă citer sa fonction. Les photos oĂč il figurait Ă©taient retouchĂ©es, soit en lâeffaçant quand il se tenait Ă lâextrĂ©mitĂ© dâun groupe, soit en floutant son visage quand il se trouvait ĂȘtre au milieu[61]. »
En revanche, il y avait plĂ©thore de photos dâEvita, en particulier de ses toilettes lors des soirĂ©es de gala au thĂ©Ăątre ColĂłn de Buenos Aires, galas qui donnaient lieu Ă des Ă©ditions spĂ©ciales nocturnes tirant jusquâĂ 400 000 exemplaires. Le tirage des Ă©ditions ordinaires passa de 6 000 Ă 20 000, puis Ă 40 000.
Tournée européenne
En 1947, Juan PerĂłn, Evita et dâautres dirigeants pĂ©ronistes conçurent lâidĂ©e dâune tournĂ©e internationale pour Evita, laquelle tournĂ©e, inĂ©dite Ă cette Ă©poque pour une femme, serait susceptible de la mettre politiquement au premier plan. Lâobjectif par ailleurs Ă©tait, par une offensive de charme, de sortir lâArgentine de son isolement dâaprĂšs-guerre et de corriger au besoin le soupçon de proximitĂ© avec le fascisme qui collait au pĂ©ronisme. La prĂ©misse du voyage fut une invitation Ă visiter lâEspagne lancĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Francisco Franco Ă lâintention de Juan PerĂłn, que celui-ci cependant hĂ©sitait Ă accepter, dĂ©sireux de rompre son isolement, de reprendre ses relations diplomatiques avec lâUnion soviĂ©tique et dâĂȘtre admis Ă lâONU. Il fut donc convenu quâEva irait seule et que son voyage ne se limiterait pas Ă lâEspagne afin de le dissocier de lâinvitation de Franco. Le voyage fut prĂ©sentĂ© par le gouvernement argentin dans des termes trĂšs gĂ©nĂ©raux : elle apporterait un « message de paix » Ă lâEurope ou jetterait un « arc-en-ciel de beautĂ© » entre lâancien et le nouveau continent.
La tournĂ©e se prolongea pendant 64 jours, entre le et le , et permit Ă Eva PerĂłn de visiter lâEspagne (pendant 18 jours), lâItalie et le Vatican (20 jours), le Portugal (3 jours), la France (12 jours), la Suisse (6 jours), le BrĂ©sil (3 jours) et lâUruguay (2 jours). Son but officiel Ă©tait de remplir un rĂŽle dâambassadrice de bonne volontĂ© et de se renseigner sur les systĂšmes dâaide sociale mis en place en Europe, avec le dessein de se rendre capable, Ă son retour en Argentine, dâimpulser un nouveau systĂšme dâĆuvres sociales. Dans sa suite voyageaient aussi son frĂšre Juan Duarte, en qualitĂ© de membre du secrĂ©tariat de PerĂłn, le coiffeur Julio Alcaraz, qui crĂ©era pour elle les coiffures Pompadour les plus Ă©laborĂ©es, deux journalistes appointĂ©s par le gouvernement, Muñoz Azpiri et un photographe de Democracia, et le pĂšre jĂ©suite HernĂĄn BenĂtez, ami du couple PerĂłn, qui devança Eva Ă Rome et par qui elle se fera conseiller, et qui, la tournĂ©e achevĂ©e, exercera une influence lors de la mise sur pied de la Fondation Eva PerĂłn.
Evita baptisa sa tournée du nom de Tournée arc-en-ciel (en esp. Gira Arco Iris), cette appellation trouvant son origine dans une déclaration que fit Evita, avec candeur, peu aprÚs son arrivée en Europe :
« Je ne suis pas venue pour former un axe, mais seulement comme un arc-en-ciel entre nos deux pays[73]. »
LâEspagne, alors dirigĂ©e par le dictateur Francisco Franco, fut la premiĂšre escale de son voyage. Elle fit halte Ă Villa Cisneros, Madrid (oĂč elle fut acclamĂ©e par une foule de trois millions de MadrilĂšnes[74]), TolĂšde, SĂ©govie, en Galice, Ă SĂ©ville, Grenade, Saragosse et Barcelone. Pendant son sĂ©jour de 15 jours en Espagne, elle fut honorĂ©e par des feux dâartifice, des banquets, des piĂšces de thĂ©Ăątre et des danses folkloriques. Dans toutes les villes, il y eut des foules Ă©normes et des manifestations dâintense affection ; beaucoup dâEspagnols avaient des proches parents Ă©migrĂ©s en Argentine, qui y avaient rĂ©ussi, de sorte que le pays bĂ©nĂ©ficiait dâune bonne image en Espagne. Ă Madrid, en rĂ©ponse Ă une allocution de Franco, oĂč celui-ci fit lâĂ©loge des idĂ©aux du pĂ©ronisme, Evita prononça un hommage assez emphatique Ă Isabelle de Castille, pour enchaĂźner avec un discours improvisĂ© de propagande pĂ©roniste, affirmant que lâArgentine ayant su choisir entre simulacre de dĂ©mocratie et dĂ©mocratie vĂ©ritable, que les grandes idĂ©es y portaient des noms simples, comme alimentation meilleure, logement meilleur, vie meilleure[59].
Il existe des dizaines de tĂ©moignages attestant du dĂ©sappointement dâEva PerĂłn devant la maniĂšre dont en Espagne on traitait les ouvriers et les humbles[75] - [76]. Elle aurait utilisĂ© sa diplomatie et son influence pour obtenir de Franco la grĂące de la militante communiste Juana Doña[77]. Elle eut avec lâĂ©pouse de Franco, Carmen Polo, un contact tendu, en raison de lâapplication de celle-ci Ă ne lui montrer que le Madrid historique des Habsbourgs et des Bourbons, au lieu des hĂŽpitaux publics et des quartiers ouvriers[78] - [75]. De retour en Argentine, elle en fit le rĂ©cit suivant :
« La femme de Franco nâaimait pas les ouvriers, et chaque fois quâelle le pouvait, elle les taxait de rouges, parce quâils avaient participĂ© Ă la guerre civile. Je pus me retenir une paire de fois jusquâĂ ce que je nây tins plus, et je lui dis que son mari nâĂ©tait pas un gouvernant par le vote du peuple, mais par lâimposition dâune victoire. Cela ne fut pas du tout apprĂ©ciĂ© par la grosse[79]. »
NĂ©anmoins, Franco fut satisfait de cette visite, et put lâannĂ©e suivante conclure avec lâArgentine lâaccord commercial quâil avait en vue.
Le voyage se poursuivit en Italie, oĂč elle dĂ©jeuna avec le ministre des Affaires Ă©trangĂšres, visita des garderies dâenfants, mais fut aussi bruyamment critiquĂ©e par les communistes, qui assimilaient le pĂ©ronisme au fascisme et voulaient compromettre la rĂ©alisation de ce qui Ă©tait aussi lâun des enjeux de ce voyage : obtenir des prĂȘts et une hausse du quota dâimmigrants italiens en Argentine ; des manifestations de communistes sous sa fenĂȘtre entraĂźnĂšrent lâarrestation de 27 personnes.
Au Vatican, elle fut reçue par le pape Pie XII, qui eut avec elle une entrevue en tĂȘte Ă tĂȘte de 30 minutes, Ă lâissue de laquelle il lui remit le rosaire dâor et la mĂ©daille pontificale quâelle allait tenir dans les mains Ă lâinstant de mourir. De ce dont sâentretinrent le pape et Eva, il nâest restĂ© aucun tĂ©moignage direct, Ă lâexception dâun bref commentaire ultĂ©rieur de Juan PerĂłn Ă propos de ce que sa femme lui avait racontĂ©. Le journal La RazĂłn de Buenos Aires couvrit ainsi lâĂ©vĂ©nement :
« Le pape lâinvita alors Ă prendre place prĂšs de son bureau-secrĂ©taire et commença lâaudience. Officiellement, il nâa pas Ă©tĂ© communiquĂ© la moindre parole de la conversation quâeurent le Souverain Pontife et madame PerĂłn ; cependant un membre de la maison papale indiqua que Pie XII fit part Ă madame PerĂłn de sa gratitude personnelle pour lâaide accordĂ©e par lâArgentine aux pays europĂ©ens Ă©puisĂ©s par la guerre et pour la collaboration quâa voulu apporter lâArgentine Ă lâĆuvre de secours de la commission pontificale. Au bout de 27 minutes, le Souverain Pontife appuya sur un petit bouton blanc de son secrĂ©taire. Une clochette tinta dans lâantichambre et lâaudience arriva Ă sa fin. Pie XII fit don Ă madame PerĂłn dâun rosaire avec une mĂ©daille dâor commĂ©morative de son pontificat[80]. »
AprĂšs avoir visitĂ© le Portugal, oĂč des multitudes vinrent lâacclamer, et oĂč elle rendit visite au roi dâEspagne en exil, Don Juan de BorbĂłn, elle se dirigea vers la France, oĂč elle fut affectĂ©e par la publication dans lâhebdomadaire France Dimanche dâune photo publicitaire pour une marque de savon, prise quelques annĂ©es auparavant, sur laquelle elle apparaissait avec une jambe dĂ©nudĂ©e, position peu conforme aux normes morales de lâĂ©poque. Elle fut accueillie par le ministre des Affaires Ă©trangĂšres Georges Bidault et eut un entretien avec le prĂ©sident de lâAssemblĂ©e nationale, le socialiste Ădouard Herriot, entre autres personnalitĂ©s politiques. Le programme prĂ©voyait que sa prĂ©sence en France coĂŻncidĂąt avec la signature dâun traitĂ© dâĂ©changes entre la France et lâArgentine, ce qui eut lieu effectivement au quai dâOrsay. Eva se vit ensuite dĂ©cerner la mĂ©daille de la lĂ©gion dâhonneur des mains de Georges Bidault[81].
Elle logea au Ritz et fut promenĂ©e dans Paris Ă bord dâune voiture qui avait appartenu Ă Charles de Gaulle et avait Ă©tĂ© utilisĂ©e par Winston Churchill lors de ses visites Ă Paris. Le PĂšre HernĂĄn BenĂtez la conduisit Ă la cathĂ©drale Notre-Dame de Paris pour sây entretenir avec le nonce apostolique Ă Paris, monseigneur Angelo Giuseppe Roncalli, futur pape Jean XXIII, qui lui fit la recommandation suivante :
« Si vous vous proposez réellement de faire cela, je vous recommande deux choses : que vous vous interdisiez totalement toute paperasserie bureaucratique, et que vous vous consacriez sans restriction à votre tùche[82]. »
BenĂtez dĂ©clara que Roncalli fut impressionnĂ© par la figure dâEvita inclinant la tĂȘte devant lâautel Ă la Vierge Marie tandis que retentissait lâhymne national argentin : « LâimpĂ©ratrice EugĂ©nie de Montijo est revenue ! », se serait exclamĂ© le prĂ©lat, selon BenĂtez[83].
IntĂ©ressĂ©e par la crĂ©ation de mode française, Eva organisa un dĂ©filĂ© de mode privĂ© dans son hĂŽtel, mais, sur conseil de HernĂĄn BenĂtez, qui craignait que cela ne fĂ»t jugĂ© une inacceptable frivolitĂ©, elle prĂ©fĂ©ra lâannuler en derniĂšre minute, dĂ©cision considĂ©rĂ©e par beaucoup comme une indĂ©licatesse. Mais elle fit prendre note de ses mensurations chez Christian Dior et Marcel Rochas, qui seront chargĂ©s ensuite de confectionner nombre de ses robes[81]. Pour clĂŽturer son sĂ©jour en France, une rĂ©ception fut donnĂ©e en son honneur au Cercle dâAmĂ©rique latine, oĂč tout le corps diplomatique de lâAmĂ©rique latine lui prĂ©senta ses hommages et oĂč elle attira les regards par une toilette extravagante, comprenant notamment une robe de soirĂ©e moulante, dĂ©colletĂ©e et terminĂ©e par une traĂźne en forme de queue de poisson.
La tournĂ©e se poursuivit par la Suisse, oĂč elle sâentretint avec des dirigeants politiques et visita un atelier dâhorlogerie. Il y eut Ă propos de son passage par ce pays nombre de spĂ©culations tendant Ă lâassocier Ă des faits de corruption (lâopposition allant jusquâĂ affirmer que le but rĂ©el du voyage Ă©tait de permettre Ă Evita et Ă son frĂšre Juan de dĂ©poser des sommes dâargent sur un compte bancaire), toutefois les historiens nâont trouvĂ© aucune preuve pour les Ă©tayer. Au Royaume-Uni, oĂč les travaillistes Ă©taient au gouvernement, les dĂ©bats sur lâopportunitĂ© dâune visite dâEva PerĂłn furent les plus vifs, mais finalement, la famille royale anglaise (qui avait dâailleurs toujours insistĂ© sur le caractĂšre seulement officieux dâune Ă©ventuelle visite) se trouvant alors en Ăcosse, elle renonça, sans doute par blessure dâamour propre[84], Ă visiter la Grande-Bretagne, mais fit encore escale au BrĂ©sil et en Uruguay avant de rentrer en Argentine.
Si Eva PerĂłn elle-mĂȘme se montra satisfaite de sa prestation, lâopposition fut trĂšs critique, en particulier sur le chapitre des considĂ©rables frais de la tournĂ©e, et deux journaux furent interdits Ă la parution par le gouvernement pour des articles irrĂ©vĂ©rencieux sur Eva PerĂłn[53]. Au regard du but que le gouvernement sâĂ©tait assignĂ©, Ă savoir de rendre le rĂ©gime pĂ©roniste acceptable aux yeux du monde, la tournĂ©e Ă©tait un succĂšs mitigĂ©. Lâimage vĂ©hiculĂ©e par Eva PerĂłn ne rĂ©ussit guĂšre Ă impressionner les sphĂšres progressistes en Europe, et la presse ne lui Ă©tait favorable que dans la mesure oĂč lâon prenait soin de distinguer entre la personne dâEvita et le rĂ©gime politique, avec tous ses cĂŽtĂ©s moins reluisants, dont elle Ă©tait la reprĂ©sentante.
Dans la suite, Eva PerĂłn devint de plus en plus Evita, c'est-Ă -dire une femme se vouant avant tout Ă son Ćuvre politique et sociale. Cela se traduisit entre autres par lâadoption dâune apparence plus sobre, par lâabandon de ses coiffures Pompadour et de ses robes voyantes.
La fondation Eva PerĂłn et lâaide sociale
Ce par quoi Eva PerĂłn se singularisa plus particuliĂšrement sous le gouvernement pĂ©roniste Ă©taient ses activitĂ©s de bienfaisance, destinĂ©es Ă soulager la pauvretĂ© ou toute autre forme de dĂ©tresse sociale. En Argentine, cette activitĂ© Ă©tait traditionnellement confiĂ©e Ă la Sociedad de Beneficencia, association semi-publique dĂ©jĂ fort ancienne crĂ©Ă©e par Bernardino Rivadavia au dĂ©but du XIXe siĂšcle et dirigĂ©e par un groupe choisi de femmes de la haute sociĂ©tĂ©. Les fonds de la sociĂ©tĂ© ne provenaient plus de ces dames elles-mĂȘmes ou des relations dâaffaires de leurs maris, mais de lâĂtat, soit indirectement, par voie dâimpĂŽt prĂ©levĂ© sur la loterie, soit directement, par lâoctroi de subsides. DĂšs la dĂ©cennie 1930, il apparut que la Sociedad de Beneficencia en tant quâorganisation et la bienfaisance en tant quâactivitĂ© Ă©taient devenues obsolĂštes et inadaptĂ©es Ă la sociĂ©tĂ© industrielle urbaine. Ă partir de 1943, lâon commença Ă rĂ©organiser la Sociedad de Beneficencia, laquelle fit lâobjet Ă cet effet, le , dâune intervention fĂ©dĂ©rale ; depuis lors, le pouvoir pĂ©roniste prit en mains le service dâassistance et dâaide sociales en lui donnant un fort contenu populaire. Une partie de cette mission fut accomplie Ă travers le plan de santĂ© publique mis en Ćuvre avec succĂšs par le ministre de la SantĂ© RamĂłn Carrillo ; une autre partie le fut au moyen de nouvelles institutions de sĂ©curitĂ© sociale, telles que le systĂšme gĂ©nĂ©ral de pensions de retraite ; une autre partie enfin sera assumĂ©e par Eva PerĂłn par la voie de la Fondation Eva PerĂłn.
Lors de sa tournĂ©e europĂ©enne, elle avait visitĂ© nombre dâinstitutions dâaide sociale, mais il sâagissait principalement dâorganisations religieuses, gĂ©rĂ©es par les classes possĂ©dantes. Cela lui permit, dira-t-elle plus tard, de savoir ce quâelle devait surtout Ă©viter de faire, ces institutions Ă©tant « rĂ©glĂ©es par des normes fixĂ©es par les riches. Et lorsque les riches pensent aux pauvres, ils ont des idĂ©es misĂ©rables ». SitĂŽt rentrĂ©e en Argentine, elle organisa une Croisade dâaide sociale MarĂa Eva Duarte de PerĂłn visant Ă la prise en charge des personnes ĂągĂ©es et des femmes dĂ©munies au moyen de subsides et de foyers temporaires. Le fut crĂ©Ă©e la Fondation Eva PerĂłn, prĂ©sidĂ©e par Evita, lĂ©galement agrĂ©Ă©e par Juan PerĂłn et le ministre des Finances, laquelle fondation accomplit une Ćuvre sociale considĂ©rable, dont bĂ©nĂ©ficieront quasiment tous les enfants, personnes ĂągĂ©es, mĂšres cĂ©libataires, femmes comme unique soutien de famille, etc. appartenant aux couches les plus dĂ©favorisĂ©es de la population.
La fondation, selon les termes de ses statuts, poursuivait les objectifs suivants :
- Offrir une assistance financiĂšre ou mettre Ă la disposition des moyens en nature et accorder des bourses dâĂ©tudes Ă qui le sollicite et qui, selon le jugement de la fondatrice, le mĂ©rite ;
- Construire des logements au bénéfice de familles nécessiteuses ;
- CrĂ©er des Ă©coles, des hĂŽpitaux, des asiles et dâautres institutions propres Ă servir au mieux les buts de la fondation ;
- Construire des institutions de bien-ĂȘtre social de tous types, lesquelles pourront ultĂ©rieurement ĂȘtre transfĂ©rĂ©es, Ă titre gracieux ou non, aux autoritĂ©s locales, provinciales ou nationales ;
- Contribuer par tous moyens ou coopĂ©rer Ă des activitĂ©s tendant Ă satisfaire le besoin fondamental dâune vie meilleure pour les classes dĂ©favorisĂ©es.
Selon ces mĂȘmes statuts, « lâorganisation Ă©tait et resterait aux mains de la fondatrice, qui exercerait cette responsabilitĂ© pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e et dĂ©tiendrait tous les pouvoirs Ă elle accordĂ©s par lâĂtat et la constitution. »[85]. La fondation, qui avait un personnel fixe de plus de 16 000 personnes, pouvait planifier et accomplir ses propres activitĂ©s, et imposer ses prioritĂ©s au gouvernement. Tout ce qui fut jamais mis sur pied par la fondation, le fut Ă lâinstigation dâEva PerĂłn et sous sa supervision. Une partie de son financement provenait des syndicats ; les dons, dâabord spontanĂ©s et erratiques, furent, au bout dâun an de fonctionnement de la fondation, formalisĂ©s, en ce sens p.ex. que lorsquâun syndicat avait obtenu une hausse de salaire, le montant de cette augmentation Ă©tait retenu pendant les deux premiĂšres semaines, en guise de don Ă la fondation[86].
Face Ă lâaffluence de milliers de demandeurs, une procĂ©dure de sĂ©lection finit par ĂȘtre instituĂ©e. Les demandeurs Ă©taient exhortĂ©s Ă dâabord faire part Ă Evita de leurs besoins par Ă©crit, aprĂšs quoi ils recevaient une invitation Ă une entrevue, avec lieu et date. Evita rĂ©servait ses aprĂšs-midi Ă ses activitĂ©s dâaide directe, et restait invariablement aimable et courtoise envers les sollicitants, Ă qui elle apparaissait, en dĂ©pit de sa position et des bijoux quâelle portait sur une tenue par ailleurs stricte et sobre, comme une des leurs[87]. On lui trouvait des allures de sainte, et son rĂŽle, pourtant laĂŻc, Ă©tait transfigurĂ© par lâatmosphĂšre religieuse qui entourait ses activitĂ©s caritatives et en particulier par ses gestes : elle nâhĂ©sitait pas Ă embrasser ses pauvres et semblait vouloir sacrifier sa vie pour eux. Le fonctionnement de la Fondation restait nĂ©anmoins pragmatique, et moulĂ© sur les besoins individuels des uns et des autres, mieux que nâaurait pu le faire une organisation bureaucratique.
La Fondation dĂ©ploya ainsi un large Ă©ventail dâactivitĂ©s sociales, depuis la construction dâhĂŽpitaux, de refuges, dâĂ©coles, de colonies de vacances, jusquâĂ lâattribution de bourses dâĂ©tude et dâaides au logement et Ă lâĂ©mancipation de la femme Ă divers Ă©gards. La Fondation organisait chaque annĂ©e les cĂ©lĂšbres Jeux Evita (Juegos Infantiles Evita, pour enfants) et Jeux Juan PerĂłn (Juegos Juveniles Juan PerĂłn, pour jeunes gens), auxquels prenaient part des centaines de milliers dâenfants et de jeunes issus de milieux modestes, et qui, en mĂȘme temps quâils encourageaient la pratique du sport, permirent Ă©galement de procĂ©der Ă des contrĂŽles mĂ©dicaux massifs[88]. La Fondation distribuait en outre, Ă la fin de chaque annĂ©e, du cidre et du pain dâĂ©pices en grande quantitĂ© aux familles les plus dĂ©munies, action fort critiquĂ©e alors par les opposants.
Evita eut aussi le souci dâamĂ©liorer les soins de santĂ© en Argentine. La mĂ©decine publique Ă©tait peu satisfaisante : infrastructure hospitaliĂšre vĂ©tuste, personnel infirmier mal formĂ©, etc. Eva PerĂłn fit en sorte que les formations dâinfirmiĂšre, qui avaient dĂ©pendu pour partie de la sus-Ă©voquĂ©e Sociedad de Beneficiencia et venaient de passer sous la tutelle de lâĂtat, fussent regroupĂ©es en un cycle nouveau de formation de quatre ans. Des jeunes filles de tout le pays pouvaient en suivre les cours, frais entiĂšrement couverts par la Fondation. La discipline y Ă©tait quasi militaire ; les bijoux Ă©taient proscrits, et les Ă©tudiantes quittaient lâĂ©tablissement Ă la fin de leur cursus avec une conscience mystique de leur fonction et de leur importance sous lâeffet dâEvita. Celle-ci voulait que les diplĂŽmĂ©es devinssent « ses soldats », quâelles fussent en mesure de remplacer les mĂ©decins et de conduire une jeep. Elles participaient aux parades militaires, revĂȘtues dâuniformes bleu ciel, ornĂ©s du profil et des initiales dâEvita.
Elle sâefforça dâautre part de hisser le niveau de la mĂ©decine gratuite jusquâaux plus hautes normes internationales, notamment en faisant Ă©riger douze hĂŽpitaux publics excellemment Ă©quipĂ©s et dotĂ©s de personnel mĂ©dical compĂ©tent et bien rĂ©munĂ©rĂ©. Les matĂ©riels et les mĂ©dicaments Ă©taient fournis gratuitement par la Fondation. Un train mĂ©dical fut organisĂ©, qui parcourut tout le pays et examina la population gratuitement, administra des vaccins etc[89].
Parmi les rĂ©alisations de la Fondation qui ont subsistĂ© Ă ce jour, lâon peut citer le complexe rĂ©sidentiel Ciudad Evita (es), citĂ©-jardin situĂ©e dans le partido de La Matanza, dans le Grand Buenos Aires ; un grand nombre dâhĂŽpitaux, qui portent toujours le nom dâEva PerĂłn ou dâEvita ; le parc Ă thĂšmes RepĂșblica de los Niños Ă Gonnet, prĂšs de la ville de La Plata (province de Buenos Aires), etc.
La Fondation apporta Ă©galement des assistances solidaires Ă divers pays comme les Ătats-Unis[90] et IsraĂ«l. En 1951, Golda Meir, alors ministre israĂ©lienne du Travail et lâune des rares femmes dans le monde ayant atteint une position politique de haut niveau en dĂ©mocratie, se dĂ©plaça en Argentine pour sâentretenir avec Eva PerĂłn et la remercier de ses dons Ă IsraĂ«l dans les premiers moments dâexistence de cet Ătat[91].
La sollicitude spĂ©ciale dâEva PerĂłn pour les personnes ĂągĂ©es la porta Ă rĂ©diger et Ă proclamer le le dĂ©nommĂ© DĂ©calogue du troisiĂšme Ăąge (DecĂĄlogo de la Ancianidad), un ensemble de droits des personnes ĂągĂ©es, droits qui furent inscrits dans la Constitution argentine de 1949. Ces 10 Droits du troisiĂšme Ăąge Ă©taient : assistance, logement, alimentation, habillement, soins de santĂ© physiques, soins de santĂ© psychiques, divertissement, travail, tranquillitĂ©, et respect. La Fondation mit sur pied et finança un rĂ©gime de retraite, avant que lâĂtat ne prĂźt en charge ce service[92]. La Constitution de 1949 fut abrogĂ©e en 1956 par un dĂ©cret militaire, les droits du troisiĂšme Ăąge cessant alors dĂ©finitivement dâavoir force constitutionnelle.
La Fondation Eva PerĂłn se trouvait hĂ©bergĂ©e dans un grand Ă©difice spĂ©cialement construit Ă cette fin et sis au no 850 de lâavenue Paseo ColĂłn Ă Buenos Aires, Ă un Ăźlot de distance du syndicat CGT. Lorsquâeut lieu le coup dâĂtat militaire de 1955, par lequel le prĂ©sident PerĂłn fut renversĂ©, la Fondation subit plusieurs assauts, lors desquels les grandes statues crĂ©Ă©es par le sculpteur italien Leone Tommasi et apposĂ©es Ă la façade, furent dĂ©truites. Le bĂątiment Ă©chut ensuite Ă lâuniversitĂ© de Buenos Aires (UBA), et Ă lâheure actuelle, lâĂ©difice abrite la facultĂ© polytechnique de cet Ă©tablissement. Un comitĂ© dâenquĂȘte national fut mis sur pied par les nouvelles autoritĂ©s militaires, et le , bien quâaucun abus nâeĂ»t pu ĂȘtre mis au jour, le gouvernement Ă©mit un dĂ©cret disposant que toutes les possessions de la fondation devaient aller au trĂ©sor public, en allĂ©guant que « la fondation avait Ă©tĂ© utilisĂ©e Ă des fins de corruption politique et de collusion, lesquelles constituent le dĂ©ni dâune conception saine de la justice sociale et sont typiques des rĂ©gimes totalitaires »[93].
Candidature à la vice-présidence
Aux Ă©lections gĂ©nĂ©rales de 1951, les femmes furent pour la premiĂšre fois admises non seulement Ă voter, mais aussi Ă se prĂ©senter Ă titre de candidates. En raison de la grande popularitĂ© dâEvita, le syndicat CGT proposa sa candidature Ă la vice-prĂ©sidence de la Nation, aux cĂŽtĂ©s de Juan PerĂłn, proposition qui, outre quâelle impliquait Ă porter une femme au pouvoir exĂ©cutif, tendait aussi Ă conforter la position du monde syndical dans le gouvernement pĂ©roniste. Ce coup dâaudace dĂ©clencha une Ăąpre lutte interne au sein du pĂ©ronisme et donna lieu Ă dâimportantes manĆuvres des diffĂ©rents groupes de pouvoir, par lesquelles les secteurs les plus conservateurs entendaient faire fortement pression pour empĂȘcher cette candidature. En mĂȘme temps que se dĂ©roulaient ces luttes dâinfluence se dĂ©veloppait en Eva PerĂłn un cancer de lâutĂ©rus, cancer qui allait mettre un terme Ă sa vie en moins dâun an.
Câest dans ce contexte que fut tenu, le , le Cabildo ouvert du Justicialisme, convoquĂ© par la CGT. La rĂ©union, qui rassembla des centaines de milliers de travailleurs[94] Ă lâangle de la rue Moreno et de lâavenue du Neuf-Juillet, fut un Ă©vĂ©nement historique hors du commun. Au cours de ce rassemblement, les syndicats, appuyĂ©s par la foule, priĂšrent Evita dâaccepter la candidature Ă la vice-prĂ©sidence. Juan PerĂłn et Evita â cette derniĂšre non sans sâĂȘtre fait prier pour la foule, et feignant la modestie et la rĂ©serve avant de monter sur le podium â, prirent tour Ă tour la parole pour faire observer que les postes nâĂ©taient pas si importants et quâEvita tenait dĂ©jĂ une place supĂ©rieure dans la considĂ©ration de la population. Ă mesure que les paroles de Juan PerĂłn et dâEvita mettaient en Ă©vidence les fortes rĂ©sistances que suscitait au sein du parti pĂ©roniste la candidature dâEva PerĂłn, la multitude commença Ă exiger dâelle quâelle acceptĂąt cette candidature sur-le-champ. Ă un moment donnĂ©, une voix sâĂ©leva dans la foule interpellant Juan PerĂłn :
« Laissez parler la camarade Evita[95] ! »
Câest alors que se noua entre la foule et Evita un vĂ©ritable dialogue, totalement inhabituel lors de grands rassemblements de foule :
- Transcription du dialogue entre Evita et la multitude présente au Cabildo ouvert du
- - Evita (sâadressant Ă la foule et Ă Juan PerĂłn) : Aujourdâhui, mon gĂ©nĂ©ral, lors de ce Cabildo ouvert du Justicialisme, le peuple a dit quâil voulait savoir de quoi il sâagit[96]. Ici, il sait dĂ©jĂ de quoi il sâagit et il veut que le gĂ©nĂ©ral PerĂłn continue de diriger les destinĂ©es de la patrie.
- - Peuple : Avec Evita ! Evita avec PerĂłn !
- - Evita : Moi, je ferai toujours ce que veut le peuple. Mais je vous dis que, de la mĂȘme maniĂšre quâil y a cinq ans jâai dit que je prĂ©fĂ©rais ĂȘtre Evita, plutĂŽt que la femme du prĂ©sident, si cet Evita-lĂ Ă©tait dit pour soulager quelque douleur de ma patrie, maintenant je dis que je prĂ©fĂšre rester Evita. La patrie est sauvĂ©e parce quâelle est gouvernĂ©e par le gĂ©nĂ©ral PerĂłn.
- - Peuple : Quâelle rĂ©ponde ! Quâelle rĂ©ponde !
- - JosĂ© Espejo (CGT) : Madame, le peuple vous prie dâaccepter votre poste.
- - Evita : Je demande Ă la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale du Travail et Ă vous, au nom de lâaffection que nous professons les uns pour les autres, de mâaccorder, pour une dĂ©cision dâune telle portĂ©e dans la vie de lâhumble femme que voici, au moins quatre jours.
- - Peuple : Non, non, mettons-nous en grÚve ! Déclenchons la grÚve générale !
- - Evita : Camarades, camarades⊠je ne renonce pas Ă mon poste de combat. Je renonce aux honneurs. (Pleure). Je ferai, finalement, ce que dĂ©cide le peuple. (Applaudissements et vivats). Croyez-vous que si le poste de vice-prĂ©sidente avait Ă©tĂ© une vraie charge et que si jâavais, moi, Ă©tĂ© une solution, je nâaurais pas dâores et dĂ©jĂ rĂ©pondu oui ?
- - Peuple : Une réponse ! Une réponse !
- - Evita : Camarades, au nom de lâaffection qui nous unit, je vous demande s.v.p. que vous ne me fassiez pas faire ce que je ne veux pas faire. Je vous le demande, Ă vous, comme amie, comme camarade. Je vous demande de vous disperser. (La foule ne se retire pas). Camarades, quand Evita vous a-t-elle trompĂ©s ? Quand Evita nâa-t-elle pas fait ce que vous dĂ©sirez ? Je vous demande une seule chose, attendez jusquâĂ demain.
- - Espejo (CGT) : La camarade Evita nous demande deux heures dâattente. Nous allons rester ici. Nous ne bougerons pas avant quâelle ne nous ait donnĂ© la rĂ©ponse favorable.
- - Evita : Ceci me prend au dĂ©pourvu. Jamais dans mon cĆur dâhumble femme argentine je nâai pensĂ© que je pouvais accepter ce poste⊠Donnez-moi le temps pour annoncer ma dĂ©cision au pays Ă la radio[97].
La foule interprĂ©ta ces paroles comme lâengagement dâEva PerĂłn dâaccepter la candidature et se dispersa. Pourtant, neuf jours plus tard, Eva parla Ă la radio pour faire part de sa dĂ©cision de renoncer Ă la candidature. Les sympathisants pĂ©ronistes ont appelĂ© Jour du Renoncement (DĂa del Renunciamiento) la date de cette annonce radiophonique.
Si câest indĂ©niablement lâĂ©tat de santĂ© dĂ©tĂ©riorĂ© dâEva PerĂłn qui sera finalement le facteur dĂ©terminant dans lâĂ©chec de sa candidature Ă la vice-prĂ©sidence, il apparaĂźt nĂ©anmoins que la proposition de la CGT mit au grand jour les luttes internes au sein du mouvement pĂ©roniste et dans la sociĂ©tĂ© argentine tout entiĂšre face Ă lâĂ©ventualitĂ© quâune femme appuyĂ©e par les syndicats pĂ»t ĂȘtre Ă©lue vice-prĂ©sidente, voire, le cas Ă©chĂ©ant, devenir prĂ©sidente de la Nation. Il apparaĂźt certain, nonobstant ses dĂ©nĂ©gations, quâEva PerĂłn convoitait ce poste. La position de Juan PerĂłn lui-mĂȘme reste sujette Ă spĂ©culation, mais il est probable quâil avait dĂ©cidĂ© quâelle ne pouvait pas ĂȘtre vice-prĂ©sidente. Quoi quâil en soit, lâampleur du soutien populaire Ă Evita et la rĂ©action de la foule lors du Cabildo ouvert les surprirent lâun et lâautre[98].
Quelques semaines plus tard, le , certains secteurs des forces armĂ©es, emmenĂ©s par le gĂ©nĂ©ral BenjamĂn MenĂ©ndez, tentĂšrent un coup dâĂtat, qui avorta. Le lendemain, sans en rĂ©fĂ©rer au gouvernement ou Ă Juan PerĂłn, Evita convoqua trois membres du comitĂ© exĂ©cutif de la CGT, ainsi quâAttilio Renzi et le commandant gĂ©nĂ©ral des forces armĂ©es restĂ©es loyales, JosĂ© Humberto Molina, et passa commande de 5000 mitraillettes et 1500 mitrailleuses, qui seraient financĂ©es par sa fondation, entreposĂ©es dans un arsenal du gouvernement et mises Ă la disposition de la CGT dĂšs quâĂ©claterait une nouvelle rĂ©bellion militaire[99].
Aux Ă©lections du , Evita Ă©tait alitĂ©e, ayant Ă©tĂ© opĂ©rĂ©e six jours auparavant, et dut voter dans son lit dâhĂŽpital.
Maladie et mort
Le cancer du col utĂ©rin quâavait contractĂ© Eva PerĂłn se manifesta pour la premiĂšre fois le par son Ă©vanouissement lors de la rĂ©union fondatrice du Syndicat des taxis[100]. Admise Ă lâhĂŽpital, elle y subit une appendicectomie. Ă cette occasion, le chirurgien Oscar Ivanissevich (pour lors aussi ministre de lâĂducation) constata un cancer du col de lâutĂ©rus et proposa ensuite Ă Eva PerĂłn, sans lui communiquer ouvertement le diagnostic, de pratiquer une hystĂ©rectomie, ce quâelle refusa avec vĂ©hĂ©mence[101]. Le , Juan PerĂłn fut mis au fait de lâĂ©tat de santĂ© de sa femme et sut Ă quoi sâen tenir, attendu que sa premiĂšre Ă©pouse Aurelia avait succombĂ© Ă la mĂȘme maladie au terme de longues souffrances.
DĂ©but 1951, elle eut un nouveau malaise dans le bĂątiment de la Fondation Eva PerĂłn, ce qui lâincita Ă transfĂ©rer son office Ă la rĂ©sidence prĂ©sidentielle, sise alors rues Austria et Libertador, oĂč se trouve aujourdâhui la BibliothĂšque nationale d'Argentine. Les mĂ©dias commençaient maintenant Ă Ă©voquer son Ă©tat de santĂ©, et 92 messes furent cĂ©lĂ©brĂ©es dans toute lâArgentine pour demander son rĂ©tablissement. Les syndicats de leur cĂŽtĂ© imaginĂšrent des manifestations plus laĂŻques, telle que ce cortĂšge de plus de mille camions organisĂ© par les chauffeurs de poids lourds Ă Palermo le [53].
Le , elle fit paraĂźtre son livre La razĂłn de mi vida (trad. fr. La Raison de ma vie), rĂ©digĂ© avec lâaide du journaliste espagnol Manuel Penella de Silva entre autres, avec un premier tirage de 300 000 exemplaires, dont 150 000 furent vendus dĂšs le premier jour de parution. Lâouvrage deviendra aprĂšs sa mort, par dĂ©cret du CongrĂšs, livre de lecture obligatoire dans les Ă©coles argentines.
La progression de son cancer lâaffaiblissait de plus en plus, la contraignant au repos. Ce nonobstant, elle continua de participer aux rassemblements publics. Lâun des plus importants de cette phase finale de sa vie eut lieu le de cette mĂȘme annĂ©e 1951. Le discours que prononça Evita ce jour-lĂ a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme son testament politique ; elle y fera neuf fois allusion Ă sa propre mort.
Le , elle fut opĂ©rĂ©e par le cĂ©lĂšbre mĂ©decin oncologue amĂ©ricain George Pack, venu Ă Buenos Aires dans le plus grand secret, Ă lâhĂŽpital dâAvellaneda (lâactuel Hospital Interzonal General de Agudos Presidente PerĂłn), construit par la Fondation Eva PerĂłn. Câest lĂ aussi que, six jours plus tard, depuis son lit dâhĂŽpital, avec lâaccord de la commission Ă©lectorale et lâassentiment des partis dâopposition, elle Ă©mit son vote pour les Ă©lections gĂ©nĂ©rales, qui assurĂšrent la rĂ©Ă©lection de Juan PerĂłn. La salle dâhĂŽpital a entre-temps Ă©tĂ© amĂ©nagĂ©e en musĂ©e[102].
Dans la pĂ©riode de convalescence qui suivit, il sembla quâelle pĂ»t reprendre ses activitĂ©s. Selon le pĂšre BenĂtez, « personne ne lui avait jamais dit de quoi elle Ă©tait atteinte, mais elle se rendait compte quâelle allait fort mal. Elle souffrait des mĂȘmes douleurs lancinantes, de la mĂȘme absence dâappĂ©tit, et avait les mĂȘmes effroyables cauchemars et accĂšs de dĂ©sespoir »[103]. Ses interventions publiques devinrent plus agressives envers lâoligarchie, sâĂ©maillaient de menaces apocalyptiques et dâallusions messianiques Ă une vie aprĂšs la mort[104]. Entre-temps, Juan PerĂłn avait gagnĂ© lâĂ©lection prĂ©sidentielle, avec une avance sur son adversaire largement plus importante que lors de lâĂ©dition prĂ©cĂ©dente, grĂące Ă lâapport des voix fĂ©minines mobilisĂ©es par Evita.
Ă cette mĂȘme Ă©poque, Eva PerĂłn commença de rĂ©diger son dernier livre, connu sous le titre de Mi mensaje, quâelle dicta au prĂ©sident du syndicat des enseignants, Juan JimĂ©nez DomĂnguez, et rĂ©ussit Ă achever peu de jours avant de mourir. Il sâagit du texte le plus ardent et le plus Ă©mouvant dâEvita, dont il fut donnĂ© lecture dâun extrait aprĂšs sa mort, le , lors du rassemblement sur la place de mai, et qui fut Ă©garĂ© par la suite, pour ĂȘtre retrouvĂ© en 1987. Ses sĆurs, affirmant alors quâil sâagissait dâun texte apocryphe, saisirent le tribunal, lequel rendit son jugement en 2006 en dĂ©clarant le texte authentique[105]. Les fragments suivants de Mi Mensaje donnent une idĂ©e de la nature de sa pensĂ©e dans les derniers jours de sa vie :
« Je me rebelle indignĂ©e, avec tout le venin de ma haine, ou avec tout le feu de mon amour â je ne sais encore â contre le privilĂšge que constituent encore les hautes sphĂšres des forces armĂ©es et du clergĂ©. »
« PerĂłn et notre peuple ont Ă©tĂ© frappĂ©s par le malheur de lâimpĂ©rialisme capitaliste. Je lâai vu de prĂšs Ă travers ses misĂšres et ses crimes. Il se dit dĂ©fenseur de la justice, tout en Ă©tendant les griffes de sa rapacitĂ© sur les biens de tous les peuples soumis Ă sa toute-puissance⊠Mais plus abominables encore que les impĂ©rialistes sont les oligarchies nationales qui se soumettent Ă eux en vendant ou parfois en offrant, pour quelques piĂšces de monnaie ou pour des sourires, le bonheur de leurs peuples. »
Elle subit plusieurs cures de radiothĂ©rapie (un appareil de rayonnement avait Ă©tĂ© installĂ© dans sa chambre), et il existe des Ă©lĂ©ments indiquant que fut pratiquĂ©e sur elle, Ă Buenos Aires, peu avant quâelle ne mourĂ»t, en mai ou en [106], une lobotomie prĂ©frontale, visant Ă combattre la douleur, lâanxiĂ©tĂ© et lâagitation consĂ©cutives au cancer mĂ©tastasĂ© dont elle souffrait, et que câest le neurochirurgien James L. Poppen qui fut chargĂ© de cette intervention[106] - [107], conjointement avec le neurochirurgien George Udvarhelyi[108]. En , elle ne pesait plus que 38 kilos ; le , elle tomba une premiĂšre fois dans le coma.
Elle sâĂ©teignit Ă lâĂąge de 33 ans, le , Ă 20 h 25, selon le certificat de dĂ©cĂšs[109]. Certaines publications soutiennent quâelle mourut deux minutes plus tĂŽt, Ă 20 heures 23[110]. Ă 21 heures 36, le prĂ©sentateur de radio Jorge Furnot lut sur la chaĂźne de radiodiffusion :
« Le secrĂ©tariat Ă lâinformation de la PrĂ©sidence de la Nation remplit le trĂšs pĂ©nible devoir dâinformer le peuple de la RĂ©publique quâĂ 20 heures 25 sâest Ă©teinte madame Eva PerĂłn, Chef spirituel de la Nation. La dĂ©pouille de madame Eva PerĂłn sera transportĂ©e demain au ministĂšre du Travail et de la PrĂ©voyance, oĂč sera amĂ©nagĂ©e la chapelle ardente⊠»
AprĂšs sa mort, la CGT proclama une cessation de travail de trois jours, tandis que le gouvernement dĂ©crĂ©ta un deuil national de 30 jours. Lâon veilla son corps au secrĂ©tariat au Travail et Ă la PrĂ©voyance jusquâau , date Ă laquelle il fut transfĂ©rĂ© Ă lâĂ©difice du CongrĂšs de la Nation, pour y recevoir les honneurs officiels, et ensuite au siĂšge de la CGT. Le cortĂšge fut suivi, au cours dâune semaine pluvieuse, par plus de deux millions de personnes et, Ă son passage par les rues de Buenos Aires, fut reçu par une pluie dâĆillets, dâorchidĂ©es, de chrysanthĂšmes, de giroflĂ©es et de roses, lancĂ©es des balcons proches. Les cĂ©rĂ©monies funĂšbres se prolongĂšrent pendant seize jours. Vingt-huit personnes pĂ©rirent par suite de lâaffluence dans les rues et il y eut plus de trois cents blessĂ©s.
Le gouvernement chargea Edward Cronjager, opĂ©rateur de la 20th Century Fox, qui avait dĂ©jĂ filmĂ© les obsĂšques du marĂ©chal Foch, de produire aussi les images des funĂ©railles dâEvita, images qui permirent ensuite de rĂ©aliser le documentaire Y la Argentina detuvo su corazĂłn[111]. Le gouvernement disposa Ă©galement que les radios rappellent quotidiennement lâheure de la mort dâEvita, en dĂ©plaçant lâheure de dĂ©but du journal parlĂ© de 20 heures 30 Ă 20 heures 25 et en rĂ©pĂ©tant chaque fois la phrase « il est 20 heures 25, heure Ă laquelle Eva PerĂłn passa Ă lâimmortalitĂ© ».
ConformĂ©ment Ă ses derniĂšres volontĂ©s, rĂ©digĂ©es dâune main incertaine, sa fondation devait devenir une partie intĂ©grante de la CGT, et celle-ci serait chargĂ©e dâen gĂ©rer les possessions, au bĂ©nĂ©fice des affiliĂ©s des syndicats. Cependant, avec la mort dâEvita, la Fondation se retrouvait soudain privĂ©e de son cĆur battant et de son ressort, et les fonds baissaient. Sans Evita, le pĂ©ronisme avait perdu de sa puissance rhĂ©torique, et le lien Ă©motionnel entre PerĂłn, Evita et les sans-chemise sâĂ©tait sensiblement affaibli[112].
Son corps fut embaumĂ© par les soins du Dr Pedro Ara et resta ensuite exposĂ© dans les locaux de la CGT. Entre-temps, le gouvernement ordonna le dĂ©but des travaux en vue de la construction du monument au Descamisado, qui avait Ă©tĂ© projetĂ© Ă partir dâune idĂ©e dâEva PerĂłn et qui, suivant un nouveau projet, deviendrait son tombeau dĂ©finitif. Lorsque la dĂ©nommĂ©e RĂ©volution libĂ©ratrice renversa Juan PerĂłn le 23 septembre 1955, le cadavre fut enlevĂ© et disparut durant 14 ans.
LâenlĂšvement du cadavre dâEvita
La mĂ©thode dâembaumement mise en Ćuvre par Pedro Ara, diplĂŽmĂ© de lâuniversitĂ© de Vienne, professeur dâanatomie pathologique, qui avait dĂ©jĂ embaumĂ© le corps de Manuel de Falla, consistait Ă remplacer le sang par de la glycĂ©rine, ce qui permettait de prĂ©server tous les organes â dont du reste aucun, dans le cas dâEva PerĂłn, nâavait Ă©tĂ© prĂ©levĂ© â, et de donner au corps une apparence de vie, pour un rĂ©sultat final qui surprenait par ses qualitĂ©s esthĂ©tiques[113]. Le corps devait ĂȘtre plongĂ© dans des bains de formol, de thymol et dâalcool pur, et recevoir plusieurs injections successives. Lâensemble de la procĂ©dure, qui aurait lieu au siĂšge de la CGT, devait durer un an, aprĂšs quoi le corps pouvait ĂȘtre exposĂ© et touchĂ©.
Sous la dictature militaire dite RĂ©volution libĂ©ratrice (1955-1958), qui renversa le prĂ©sident Juan PerĂłn, un commando sous les ordres du lieutenant-colonel Carlos de Moori Koenig sâempara, le durant la nuit, du corps dâEvita, qui se trouvait toujours dans les locaux de la CGT. Le rĂ©cit de lâancien major Jorge Dansey GazcĂłn diffĂšre de cette version en ceci quâil prĂ©tend que ce fut lui qui transporta le corps[114]. Dans cette affaire, les militaires sâĂ©taient imposĂ© une double ligne de conduite : dâabord, le cadavre devait ĂȘtre traitĂ© avec le plus grand respect (le gĂ©nĂ©ral Pedro Eugenio Aramburu, le nouvel homme fort du pays, Ă©tait trĂšs catholique, ce qui interdisait par ailleurs lâoption de crĂ©mation) ; ensuite, il Ă©tait impĂ©rieux de le maintenir en dehors de la politique, les militaires en redoutant par-dessus tout la valeur symbolique. Lâordre dâenlĂšvement du corps une fois donnĂ© par le gĂ©nĂ©ral Aramburu, le corps suivit un itinĂ©raire macabre et pervers[115]. Moori Koenig dĂ©posa le cadavre Ă lâintĂ©rieur dâune camionnette et lây laissa pendant plusieurs mois, en garant le vĂ©hicule dans diffĂ©rentes rues de Buenos Aires, dans des dĂ©pĂŽts de lâarmĂ©e, et mĂȘme au domicile dâun militaire. Certaine nuit, il advint mĂȘme que les militaires tuĂšrent par mĂ©garde une femme enceinte, quâils avaient prise pour un commando pĂ©roniste tentant de rĂ©cupĂ©rer le cadavre. Ă un moment donnĂ©, Moori Koenig plaça le cercueil contenant le cadavre debout dans son bureau. Une des personnes qui eut alors lâoccasion dâapercevoir le corps dâEvita Ă©tait la cinĂ©aste MarĂa Luisa Bemberg.
Le dictateur Aramburu Ă©carta Moori Koenig, supposĂ©ment au bord de la dĂ©pression nerveuse, et confia au colonel HĂ©ctor Cabanillas la mission de lâensevelir clandestinement. La dĂ©nommĂ©e OpĂ©ration Transfert (OperaciĂłn Traslado) fut planifiĂ©e par le futur dictateur Alejandro AgustĂn Lanusse, alors lieutenant-colonel, avec le concours du prĂȘtre Francisco Paco Rotger, Ă qui incomba la responsabilitĂ© dâassurer la complicitĂ© de lâĂglise par le biais du supĂ©rieur gĂ©nĂ©ral de lâordre des pauliniens, le pĂšre Giovanni Penco, et du pape Pie XII lui-mĂȘme[116].
Le , le cadavre fut transportĂ© en secret Ă GĂȘnes en Italie, Ă bord du navire Conte Biancamano, dans un cercueil dont on fit croire quâil contenait une femme nommĂ©e MarĂa Maggi de Magistris, puis enterrĂ© sous ce nom dans la tombe 41 du champ no 86 du cimetiĂšre principal de Milan.
Il y eut de cette occultation une prolifĂ©ration de versions diffĂ©rentes, amplifiant le mythe. L'une d'elles veut que les militaires ordonnĂšrent de confectionner trois copies de cire de la momie, et quâils en envoyĂšrent une Ă un autre cimetiĂšre en Italie, une en Belgique et la troisiĂšme en Allemagne de lâOuest.
En 1970, lâorganisation de guĂ©rilla Montoneros enleva et sĂ©questra Aramburu, alors retirĂ© de la politique, en rĂ©clamant entre autres la rĂ©apparition du corps dâEvita. Cabanillas se mit alors en route pour le ramener en Argentine, mais, celui-ci nâarrivant pas Ă temps, Aramburu fut mis Ă mort. Le lendemain, un deuxiĂšme communiquĂ© fut envoyĂ© Ă la presse, indiquant que le corps dâAramburu ne serait pas restituĂ© Ă sa famille aussi longtemps que « la dĂ©pouille mortelle de notre chĂšre camarade Evita nâaura pas Ă©tĂ© rendue au peuple »[117].
Un commando Evita fit son apparition ; un autre groupe dĂ©robait des marchandises dans les supermarchĂ©s et les distribuait dans les bidonvilles, selon ce quâils supposaient quâeĂ»t Ă©tĂ© la politique de la Fondation Eva PerĂłn, et croyant quâEvita Ă©tait le trait dâunion entre le peuple et eux-mĂȘmes â « Si Evita vivait, elle serait montonera » (Si Evita viviera, serĂa Montonera) Ă©tait un slogan de lâĂ©poque.
En , le gĂ©nĂ©ral Lanusse, qui gouvernait alors le pays, mais Ă©tait dĂ©sireux de mettre fin Ă lâĂ©tat dâexception commencĂ© en 1955, et voyait la question du cadavre dâEvita comme un obstacle Ă sa volontĂ© de normalisation, ordonna au colonel Cabanillas dâorganiser l'opĂ©ration Retour (Operativo Retorno). Le corps dâEvita fut exhumĂ© de la tombe clandestine Ă Milan et restituĂ© Ă Juan PerĂłn Ă Puerta de Hierro, Ă Madrid. Ă cette action prit part Ă©galement le brigadier Jorge Rojas Silveyra, ambassadeur dâArgentine en Espagne. Il manquait au corps un doigt qui lui avait Ă©tĂ© coupĂ© intentionnellement, mais, hormis un lĂ©ger Ă©crasement du nez et une Ă©gratignure sur le front, le cadavre se trouvait pour le reste en de bonnes conditions gĂ©nĂ©rales.
En 1974, alors que Juan PerĂłn Ă©tait dĂ©jĂ de retour en Argentine, les Montoneros enlevĂšrent le cadavre dâAramburu dans le but de le troquer contre celui dâEvita. Cette mĂȘme annĂ©e, Juan PerĂłn dĂ©jĂ mort, sa troisiĂšme Ă©pouse, Isabel, dĂ©cida de faire rapatrier le corps dâEva PerĂłn, puis de le dĂ©poser dans la propriĂ©tĂ© prĂ©sidentielle. Dans le mĂȘme temps, le gouvernement dâIsabel PerĂłn commença Ă projeter la construction de lâautel de la Patrie (en esp. Altar de la Patria), grand mausolĂ©e destinĂ© Ă accueillir les restes de Juan et Eva PerĂłn, et de toutes les grandes figures de l'histoire argentine.
En 1976, la dictature militaire arrivĂ©e au pouvoir le remit le corps Ă la famille Duarte, laquelle le fit enterrer dans son caveau au cimetiĂšre de la Recoleta Ă Buenos Aires, oĂč il se trouve depuis lors[118].
La cĂ©lĂšbre nouvelle de lâĂ©crivain Rodolfo Walsh, intitulĂ©e Esa mujer[119], a pour sujet la sĂ©questration du cadavre dâEvita.
Le discours politique dâEvita
PrĂ©fĂ©rant sâexprimer non en termes politiques mais en termes de sentiments, Eva PerĂłn Ă©tait douĂ©e dâune capacitĂ© extraordinaire Ă formuler des Ă©motions en public. Ses discours Ă©taient fluides, dramatiques et passionnĂ©s. Souvent, elle Ă©cartait le texte prĂ©parĂ© dâavance et se mettait Ă improviser. Pour illustrer et rendre convaincantes les notions dâamour et de fidĂ©litĂ© envers Juan PerĂłn (qui constituaient pour beaucoup de gens la substance du pĂ©ronisme), son langage faisait appel aux conventions des dramatiques radiophoniques. Si Ă lâorigine, son discours sâappuyait sur une authentique admiration pour Juan PerĂłn, Ă partir de 1949, cette glorification du prĂ©sident devint un culte institutionnalisĂ©, avec Evita dans le rĂŽle de grande prĂȘtresse[120].
Ses discours, Ă forte charge Ă©motionnelle et dâun grand impact populaire, avaient aussi la particularitĂ© de sâapproprier les termes pĂ©joratifs par lesquels les classes supĂ©rieures avaient coutume de dĂ©signer les travailleurs, mais pour leur donner paradoxalement un sens Ă©logieux ; ainsi en Ă©tait-il du terme grasitas, diminutif affectueux de grasa, dĂ©signation dĂ©prĂ©ciative souvent utilisĂ©e pour nommer les couches populaires. Ă lâinstar de son Ă©poux, Eva employait, pour dĂ©signer les travailleurs, le vocable de descamisados (sans-chemise) â qui trouve son origine dans le terme sans-culotte, en vogue pendant la RĂ©volution française â, vocable qui devait devenir emblĂ©matique du pĂ©ronisme et tendait, pour Evita, Ă souligner ses propres origines humbles, comme maniĂšre de se solidariser avec les travailleurs.
Le passage suivant, extrait de Mi Mensaje, Ă©crit peu avant sa mort, apparaĂźt reprĂ©sentatif de la façon dont Evita sâadressait au peuple, tant dans ses allocutions publiques que dans ses Ă©crits :
« Tout ce qui sâoppose au peuple mâindigne jusquâaux limites extrĂȘmes de ma rĂ©bellion et de mes haines, mais Dieu sait aussi que je nâai jamais haĂŻ quiconque pour lui-mĂȘme, ni nâai combattu quiconque avec mĂ©chancetĂ©, mais seulement pour dĂ©fendre mon peuple, mes ouvriers, mes femmes, mes pauvres grasitas, que personne nâa jamais dĂ©fendus avec plus de sincĂ©ritĂ© que PerĂłn et avec plus dâardeur quâEvita. Mais lâamour de PerĂłn pour le peuple est plus grand que mon amour ; parce que lui sut se porter, partant de sa position militaire privilĂ©giĂ©e, Ă la rencontre du peuple, lui sut sâĂ©lever jusquâĂ son peuple, en rompant toutes les chaĂźnes de sa caste. Moi-mĂȘme, en revanche, je suis nĂ©e au sein du peuple et ai souffert parmi le peuple. Jâai la chair et lâĂąme et le sang du peuple. Je ne pouvais faire autre chose que de me livrer Ă mon peuple. Si je meurs avant PerĂłn, je voudrais que cette mienne volontĂ©, la derniĂšre et celle dĂ©finitive de ma vie, soit lue lors dâun rassemblement public sur la place de Mai, sur la place du 17 octobre, devant mes chers sans-chemises. »
Les positions dâEvita tendaient ouvertement Ă la dĂ©fense des valeurs et intĂ©rĂȘts des travailleurs et des femmes, en mettant en Ćuvre un discours Ă©motionnel et socialement trĂšs polarisĂ©, Ă une Ă©poque oĂč la polarisation politique et sociale Ă©tait trĂšs forte. Ainsi Evita fustigeait-elle avec insistance ce quâelle dĂ©signait globalement par lâoligarchie â terme dĂ©jĂ utilisĂ© par les radicaux au temps dâYrigoyen â, y incluant les classes supĂ©rieures de son pays, auxquelles elle imputait des positions favorisant lâinĂ©galitĂ© sociale, de mĂȘme que le capitalisme et lâimpĂ©rialisme, terminologie typique des milieux syndicaux et de gauche. Un spĂ©cimen de ce discours est le passage suivant de Mi mensaje :
« Les dirigeants syndicaux et les femmes qui sont le peuple Ă lâĂ©tat pur ne peuvent, ne doivent jamais se livrer Ă lâoligarchie. Je nâen fais pas une affaire de classes. Je ne plaide pas pour la lutte des classes, mais notre dilemme est des plus clairs : lâoligarchie, qui nous a exploitĂ©s pendant des milliers dâannĂ©es dans le monde, tentera toujours de nous vaincre. »
Le discours dâEvita abondait en Ă©loges inconditionnels de Juan PerĂłn et exhortait le public Ă lâappuyer sans rĂ©serves. La phrase suivante, prononcĂ©e lors du rassemblement du , en est une illustration :
« Nous savons que nous nous trouvons en prĂ©sence dâun homme exceptionnel, nous savons que nous nous trouvons devant le chef des travailleurs, devant le chef de la Patrie mĂȘme, parce que PerĂłn est la patrie et que quiconque nâest pas avec la patrie est un traĂźtre. »
La pensée de Perón lui apparaissait comme une vérité révélée, et dÚs lors fanatisme et sectarisme étaient de rigueur :
« Lâopposition dit que câest du fanatisme, que je suis une fanatique pour PerĂłn et pour le peuple, que je suis dangereuse parce que je suis trop sectaire et trop fanatique pour PerĂłn. Mais je rĂ©ponds avec PerĂłn : le fanatisme est la sagesse du cĆur. Quâimporte que quelquâun soit un fanatique, sâil lâest en compagnie de martyrs et de hĂ©ros. De toute façon, la vie ne prend rĂ©ellement de la valeur que si elle nâest pas vĂ©cue dans un esprit dâĂ©goĂŻsme, uniquement pour soi, mais quand on se voue, complĂštement et fanatiquement, Ă un idĂ©al qui a plus de valeur que la vie elle-mĂȘme. Câest pourquoi je dis : oui, je suis fanatique pour PerĂłn et pour les sans-chemise du pays[121]. »
Relativement Ă ces discours, la chercheuse LucĂa GĂĄlvez observe :
« Les discours que lui Ă©crivait Francisco Muñoz Azpiri parlaient, dâun cĂŽtĂ©, du siĂšcle du fĂ©minisme victorieux, pour retomber aussitĂŽt dans des lieux communs tels que La razĂłn de mi vida, destinĂ©s Ă exalter la grandeur de PerĂłn et la petitesse de sa femme[122]. »
Le pĂšre BenĂtez souligna quâil fallait juger Evita sur ses actes plutĂŽt que sur ses paroles : câest bien elle en effet qui obtint le droit de vote effectif pour les femmes et leur participation Ă la politique, objectifs quâavaient vainement poursuivis les socialistes et fĂ©ministes durant des annĂ©es[123].
Lâun de ses discours les plus citĂ©s, qui traite de la solidaritĂ© et du travail social, fut prononcĂ© dans le port de Vigo, en Espagne, lors de sa tournĂ©e internationale :
« Ce nâest quâen nous impliquant dans la douleur, en vivant et souffrant avec les peuples, quelles que soient leur couleur, leur race ou leurs croyances, que lâon pourra rĂ©aliser lâĂ©norme tĂąche de construire la justice qui nous mĂšne Ă la paix. Cela vaut amplement la peine de brĂ»ler sa vie en faveur de la solidaritĂ© si le fruit en est la paix du monde et son bonheur, lors mĂȘme que peut-ĂȘtre ce fruit nâarriverait Ă maturation quâaprĂšs que nous ayons disparus. »
Influence dâEvita aprĂšs sa mort
AprĂšs sa mort, diffĂ©rents secteurs de la politique argentine eurent Ă cĆur dâintĂ©grer la figure dâEvita dans leur discours.
Ce sont en premier lieu les syndicats, Ă©troitement liĂ©s Ă elle de son vivant, qui brandirent son nom et son image, en mĂȘme temps que ceux de Juan PerĂłn, comme symboles forts du rĂŽle dĂ©terminant des travailleurs dans lâhistoire de lâArgentine. Quelques personnes nĂ©es aprĂšs sa mort lui ont confĂ©rĂ© un caractĂšre rĂ©volutionnaire, jusquâĂ lâassocier parfois avec Che Guevara dans une conjonction symbolique Ă laquelle a pu contribuer sans doute la circonstance que tous deux moururent jeunes.
La gauche pĂ©roniste, et en particulier le groupe guĂ©rillĂ©ro des Montoneros, aimait Ă invoquer la figure dâEvita dans son discours politique, Ă telle enseigne que ces derniers forgĂšrent la formule « si Evita vivait encore, elle serait montonera ». Câest en effet en rĂ©action Ă lâenlĂšvement du cadavre dâEva PerĂłn que cette organisation exĂ©cuta le rapt et la subsĂ©quente mise Ă mort du gĂ©nĂ©ral Pedro Eugenio Aramburu ; si ensuite, en 1974, elle dĂ©roba le corps dâAramburu, câĂ©tait dans le but de faire pression sur le gouvernement constitutionnel pĂ©roniste et contraindre celui-ci Ă restituer le cadavre dâEvita, qui se trouvait alors dans la propriĂ©tĂ© « 17 de octubre » dĂ©tenue par Juan PerĂłn dans la banlieue de Madrid.
Dans son poĂšme Eva, MarĂa Elena Walsh insiste sur la nĂ©cessaire dĂ©cantation pour juger de lâinfluence dâEvita aprĂšs sa mort :
- Quand les vautours tâauront laissĂ©e tranquille
- et que tu auras fui les estampes et lâoutrage
- nous commencerons Ă savoir qui tu fus.
Ă la fin dâun de ses derniers discours, Eva PerĂłn prit congĂ© du public en ces termes :
« Quant Ă moi, je vous laisse mon cĆur, et je serre fort dans mes bras tous les descamisados, mais trĂšs prĂšs de mon cĆur, et je souhaite que vous mesuriez bien combien je vous aime. »
Dans lâune des phrases de son livre La Raison de ma vie, qui fait allusion Ă sa mort, elle dit :
« Peut-ĂȘtre quâun jour, quand je mâen serai allĂ©e dĂ©finitivement, quelquâun dira-t-il de moi ce que beaucoup dâenfants disent dâordinaire dans le village de leur mĂšre quand ils sâen vont, eux aussi dĂ©finitivement : Ă prĂ©sent seulement, nous nous rendons compte combien elle nous aimait ! »
Les multiples noms dâEva PerĂłn
Le nom dâEva PerĂłn changea plusieurs fois au fil du temps. Son nom de baptĂȘme Ă©tait Eva MarĂa Ibarguren, comme il appert de lâacte paroissial. Cependant, depuis toute petite fille elle Ă©tait connue comme Eva MarĂa Duarte et fut inscrite Ă lâĂ©cole de JunĂn sous ce nom. Une fois arrivĂ©e Ă Buenos Aires, Eva adopta le nom de scĂšne Eva Durante, quâelle utilisait en alternance avec celui dâEva Duarte. Lorsquâelle Ă©pousa Juan PerĂłn en 1945, son nom fut officiellement fixĂ© comme MarĂa Eva Duarte de PerĂłn. AprĂšs que Juan PerĂłn eut Ă©tĂ© Ă©lu prĂ©sident, elle prit nom Eva PerĂłn, et donna ce mĂȘme nom Ă sa fondation. Enfin, Ă partir de 1946 environ, le peuple se mit Ă lâappeler Evita. Dans La razĂłn de mi vida, elle Ă©crivit Ă propos de son nom :
« Quand jâai choisi dâĂȘtre Evita, je sais que jâai choisi la voie de mon peuple. Maintenant, quatre ans aprĂšs ce choix, il mâapparaĂźt facile de dĂ©montrer quâil en fut effectivement ainsi. Nul hormis le peuple ne mâappelle Evita. Seuls les descamisados ont appris Ă mâappeler ainsi. Les hommes de gouvernement, les dirigeants politiques, les ambassadeurs, les hommes dâentreprise, des professionnels, des intellectuels, etc. qui me visitent ont coutume de mâappeler Madame (Señora) ; et quelques-uns mĂȘme me disent publiquement ExcelentĂsima ou DignĂsima Señora, voire parfois Señora Presidenta. Eux ne voient pas en moi plus quâEva PerĂłn. Les descamisados, en revanche, ne me connaissent pas autrement que comme Evita. »
« Jâavoue avoir une ambition, une seule et grande ambition personnelle : jâaimerais que le nom dâEvita figure quelque jour dans lâhistoire de ma Patrie. Jâaimerais que lâon dise dâelle, ne serait-ce que dans une petite note, en bas du chapitre merveilleux que lâhistoire consacrera certainement Ă PerĂłn, quelque chose qui serait plus ou moins ceci : « Il y eut aux cĂŽtĂ©s de PerĂłn une femme qui se voua Ă porter au PrĂ©sident les espĂ©rances du peuple, quâensuite PerĂłn transformait en rĂ©alitĂ©s ». Et je me sentirais dĂ»ment, amplement rĂ©compensĂ©e si la note se terminait de cette maniĂšre : « De cette femme nous savons seulement que le peuple lâappelait, affectueusement, Evita ». »
Popularité et culte
Le portrait dâEvita est le seul dâune Ă©pouse de prĂ©sident Ă ĂȘtre suspendu dans le Salon des PrĂ©sidents argentins de la Casa Rosada.
La figure dâEvita se rĂ©pandit trĂšs largement dans les classes populaires dâArgentine, notamment sous la forme dâimages la reprĂ©sentant dâune façon semblable Ă la Vierge Marie, au point dâailleurs que lâĂ©glise catholique sâen formalisa.
En outre, encore de son vivant, un vĂ©ritable culte de la personnalitĂ© fut mis en place par le gouvernement : tableaux et bustes dâEva PerĂłn furent disposĂ©s dans quasiment tous les Ă©difices publics et lâon utilisa son nom et jusquâĂ sa date de naissance pour nommer Ă©tablissements publics, gares de chemin de fer, stations de mĂ©tro, villes, etc., y compris pour changer en Eva PerĂłn le nom de la province de La Pampa et de la ville de La Plata. Son autobiographie La Raison de ma vie fut imposĂ©e comme livre de lecture dans les Ă©coles primaires et secondaires. AprĂšs sa mort, toutes les stations de radio du pays passaient en chaĂźne nationale, et le prĂ©sentateur annonçait quâil Ă©tait « vingt heures vingt-cinq, heure Ă laquelle Eva PerĂłn entra dans lâimmortalitĂ© », avant de commencer Ă prĂ©senter le journal officiel.
Nonobstant son ascendant et pouvoir politique personnels, Evita ne manquait jamais de justifier ses actions en affirmant quâelles lui avaient Ă©tĂ© inspirĂ©es par la sagesse et la passion de Juan PerĂłn.
Dans un de ses ouvrages, lâĂ©crivain Eduardo Galeano fait mention du graffiti « ÂĄViva el cĂĄncer! » (Vive le cancer !) qui aurait Ă©tĂ© apposĂ© sur les murs des beaux quartiers dans les derniers jours de la vie d'Evita[124]. Lâhistorien Hugo Gambini fait toutefois remarquer quâil nây a pas de preuves de lâexistence dâune telle inscription et argue que « si ce mur peint eĂ»t existĂ©, Apold nâeĂ»t pas laissĂ© passer lâoccasion dâen publier la photographie dans les journaux du rĂ©seau officiel, en en accusant lâopposition. Pourtant, personne alors nâen parlait »[111]. Selon Gambini, lâorigine en remonte Ă une histoire inventĂ©e par le romancier Dalmiro SĂĄenz et racontĂ©e lors dâun entretien apparaissant dans le film Evita, quien quiera oĂr que oiga dâEduardo Mignogna, histoire que JosĂ© Pablo Feinmann inclut ensuite dans le scĂ©nario du film Eva PerĂłn mis en scĂšne par Juan Carlos Desanzo[111].
La notice nécrologique rédigée par le dirigeant du parti socialiste, opposant au gouvernement, et parue dans la revue Nuevas Bases, organe officiel du parti, portait ce qui suit :
« La vie de la femme ce jour disparue constitue, Ă notre jugement, un exemple peu commun dans lâhistoire. Les cas ne sont point rares dâhommes politiques ou dâhommes de gouvernement de renom qui ont pu compter, pour leur action publique, sur la collaboration, ouverte ou dissimulĂ©e, de leurs Ă©pouses, mais dans notre cas toute lâĆuvre de notre premier mandataire se trouve tellement imprĂ©gnĂ©e de la pensĂ©e et de lâaction des plus personnelles de son Ă©pouse, quâil en devient impossible de faire nettement le dĂ©part de ce qui revient Ă lâun et de ce qui appartient Ă lâautre. Et ce qui confĂšre un caractĂšre notable et singulier Ă lâeffort de collaboration de lâĂ©pouse, fut lâabnĂ©gation quâelle fit dâelle-mĂȘme, de ses biens et de sa santĂ© ; sa vocation dĂ©terminĂ©e pour lâeffort et le danger ; et sa ferveur quasi fanatique pour la cause pĂ©roniste, qui parfois infusait Ă ses harangues des accents dramatiques de lutte cruelle et dâimpitoyable extermination[125]. »
Le pape Pie XII reçut de la part de particuliers quelque 23 000 demandes de canonisation dâEva PerĂłn.
Postérité et critiques
Argentine et Amérique latine
« Dans toute lâAmĂ©rique latine, une seule autre femme a provoquĂ© une Ă©motion, une dĂ©votion et une foi comparables Ă celles suscitĂ©es par la Vierge de Guadalupe. Dans de nombreuses maisons, lâimage dâEvita cĂŽtoie celle de la Vierge Marie sur le mur[126]. »
Dans son essai intitulĂ© Latin America, publiĂ© dans The Oxford Illustrated History of Christianity, John McManners postule que lâattrait et le succĂšs dâEva PerĂłn sont tributaires de la mythologie et des concepts de divinitĂ© qui ont cours en AmĂ©rique latine. McManners affirme quâEva PerĂłn intĂ©gra sciemment dans son image publique plusieurs aspects de la mythologie de la Vierge Marie et de Marie-Madeleine[127]. Lâhistorien Hubert Herring a dĂ©crit Eva PerĂłn comme « sans doute la femme la plus habile jamais apparue dans la vie publique en AmĂ©rique latine. »[128]
Dans un entretien de 1996, TomĂĄs Eloy MartĂnez dĂ©crivit Eva PerĂłn comme « la Cendrillon du tango et la Belle au bois dormant de lâAmĂ©rique latine. », indiquant que les raisons pour lesquelles elle sâest maintenue comme une importante icĂŽne culturelle sont les mĂȘmes que pour son compatriote Che Guevara :
« Les mythes latino-amĂ©ricains sont plus rĂ©sistants quâil nây paraĂźt. MĂȘme lâexode massif de Cubains sur des radeaux ou la rapide dĂ©composition et lâisolement du rĂ©gime castriste nâont pas pu Ă©roder le mythe triomphal de Che Guevara, qui reste vivant dans les rĂȘves de milliers de jeunes gens en AmĂ©rique latine, en Afrique et en Europe. Le Che, de mĂȘme quâEvita, symbolise certaines croyances naĂŻves, mais efficaces : lâespoir dâun monde meilleur ; une vie sacrifiĂ©e sur lâautel des dĂ©shĂ©ritĂ©s, des humiliĂ©s, des pauvres de la terre. Ce sont des mythes qui de quelque maniĂšre reproduisent lâimage du Christ[129]. »
Beaucoup dâArgentins tiennent Ă marquer chaque annĂ©e lâanniversaire de la mort dâEva PerĂłn, nonobstant que ce ne soit pas un jour fĂ©riĂ© officiel. En outre, lâeffigie dâEva PerĂłn a Ă©tĂ© frappĂ©e sur des piĂšces de monnaie argentines, et un type de devise argentine a Ă©tĂ© appelĂ© Evitas en son honneur[130].
Cristina Kirchner, la premiĂšre femme prĂ©sidente de lâhistoire argentine, est une pĂ©roniste, que lâon dĂ©signe parfois par « la nouvelle Evita ». Kirchner a dĂ©clarĂ© quâelle se refusait Ă se comparer Ă Evita, arguant que celle-ci reprĂ©sentait un phĂ©nomĂšne unique dans lâhistoire de lâArgentine. Kirchner a Ă©galement indiquĂ© que les femmes de sa gĂ©nĂ©ration, arrivĂ©es Ă lâĂąge adulte dans les annĂ©es 1970, sous les dictatures militaires en Argentine, sont redevables Ă Evita, celle-ci ayant en effet constituĂ© pour elles un exemple de passion et de combativitĂ©[4]. Le , Ă lâoccasion du 50e anniversaire de la mort dâEva PerĂłn, un musĂ©e, crĂ©Ă© par sa petite-niĂšce Cristina Alvarez Rodriquez dans un Ă©difice autrefois utilisĂ© par la Fondation Eva PerĂłn, et dĂ©nommĂ© musĂ©e Evita (Museo Evita), fut ouvert en son honneur et abrite une vaste collection de vĂȘtements portĂ©s par elle, de portraits et de reprĂ©sentations artistiques de sa vie. Ce musĂ©e est rapidement devenu lâun des hauts-lieux touristiques de Buenos Aires[131].
Dans son ouvrage Eva PerĂłn: The Myths of a Woman, lâanthropologue culturelle Julie M. Taylor dĂ©montre quâEvita est restĂ©e une figure importante en Argentine en raison de la combinaison de trois facteurs uniques :
« Dans les images Ă©tudiĂ©es ici, les trois Ă©lĂ©ments systĂ©matiquement reliĂ©s entre eux â fĂ©minitĂ©, pouvoir mystique ou spirituel, et stature de chef rĂ©volutionnaire â prĂ©sentent un thĂšme sous-jacent commun. Le fait de sâidentifier Ă lâun quelconque de ces Ă©lĂ©ments place une personne ou un groupe aux marges de la sociĂ©tĂ© Ă©tablie et aux limites de lâautoritĂ© institutionnelle. Quiconque est capable de sâidentifier aux trois images Ă la fois pourra alors poser, au travers de forces ne reconnaissant aucune autoritĂ© dans la sociĂ©tĂ© et aucune de ses rĂšgles, une irrĂ©sistible et retentissante revendication Ă la domination. Seule une femme peut incarner Ă la fois les trois Ă©lĂ©ments de ce pouvoir[132]. »
Taylor affirme que le quatriĂšme facteur prĂ©sidant Ă lâimportance persistante dâEvita en Argentine est liĂ© Ă son statut de femme dĂ©cĂ©dĂ©e et au pouvoir quâexerce la mort sur lâimaginaire public. Taylor observe que le corps embaumĂ© dâEvita est analogue Ă lâincorruptibilitĂ© de plusieurs saints catholiques, tels que Bernadette Soubirous, et possĂšde une puissante charge symbolique dans les cultures largement catholiques dâAmĂ©rique latine.
« Dans une certaine mesure, son importance et popularitĂ© durables peuvent ĂȘtre attribuĂ©es non seulement Ă son pouvoir en tant que femme mais aussi au pouvoir de la mort. Cependant, si la vision quâa une sociĂ©tĂ© sur la vie dans lâau-delĂ peut ĂȘtre structurĂ©e, la mort demeure de par sa nature mĂȘme un mystĂšre, et, jusquâĂ ce que la sociĂ©tĂ© ait formellement dĂ©samorcĂ© la commotion quâelle provoque, une source de trouble et de dĂ©sordre. Les femmes et la mort â mort et nature fĂ©minine â entretiennent des rapports similaires avec les formes sociales structurĂ©es : en dehors des institutions publiques, sans limitation des rĂšgles officielles, et au-delĂ des catĂ©gories formelles. En tant que cadavre fĂ©minin rĂ©itĂ©rant les thĂšmes symboliques Ă la fois de la femme et du martyr, Eva PerĂłn sans doute exprime une double revendication Ă la suprĂ©matie spirituelle[133]. »
Allégations de fascisme
Les biographes Nicholas Fraser et Marysa Navarro indiquent que les opposants Ă Juan PerĂłn avaient dâemblĂ©e accusĂ© celui-ci dâĂȘtre un fasciste. Spruille Braden, diplomate amĂ©ricain fortement appuyĂ© par les opposants Ă Juan PerĂłn, fit campagne contre la premiĂšre candidature de Juan PerĂłn avec un argumentaire selon lequel Juan PerĂłn Ă©tait un fasciste et un nazi. Fraser et Navarro ont conjecturĂ© que (abstraction faite des documents forgĂ©s de toutes piĂšces aprĂšs la chute de PerĂłn en 1955) la perception des PerĂłn comme des fascistes a pu ĂȘtre favorisĂ©e par le fait quâEvita fut hĂŽte dâhonneur de Francisco Franco lors de sa tournĂ©e europĂ©enne de 1947. Pendant ces annĂ©es-lĂ , Franco sâĂ©tait retrouvĂ© politiquement isolĂ© en tant quâun des derniers fascistes Ă occuper encore le pouvoir en Europe, et avait pour cette raison dĂ©sespĂ©rĂ©ment besoin dâun alliĂ© politique. Pourtant, attendu que prĂšs dâun tiers de la population de lâArgentine avait des ascendances espagnoles, il pouvait sembler naturel pour ce pays dâentretenir des relations diplomatiques avec son ancienne mĂ©tropole. Fraser et Navarro, commentant la perception internationale dâEvita pendant sa tournĂ©e europĂ©enne de 1947, notent quâil « Ă©tait inĂ©vitable quâEvita fĂ»t recadrĂ©e dans une sphĂšre fasciste. Câest pourquoi Evita et PerĂłn furent tous deux perçus comme reprĂ©sentant une idĂ©ologie qui, si elle avait fait son temps en Europe, ressurgissait Ă prĂ©sent sous une forme exotique, thĂ©Ăątrale, voire bouffonne, dans un pays Ă lâautre bout du monde »[134].
Laurence Levine, ancien prĂ©sident de la chambre de commerce amĂ©ricano-argentine, relĂšve que les PerĂłn, au contraire de lâidĂ©ologie nazie, nâĂ©taient pas antisĂ©mites. Dans un ouvrage intitulĂ© Inside Argentina from PerĂłn to Menem: 1950â2000 from an American Point of View, Levine Ă©crit :
« Le gouvernement amĂ©ricain ne semblait avoir aucune notion de la profonde admiration de PerĂłn pour lâItalie (et de son dĂ©goĂ»t de lâAllemagne, dont il trouvait la culture trop rigide), ni davantage nâavait discernĂ© que, si lâantisĂ©mitisme existait bel et bien en Argentine, les opinions de PerĂłn lui-mĂȘme et de ses organisations politiques nâĂ©taient pas antisĂ©mites. Il ne prĂȘta aucune attention au fait que PerĂłn choisit en prioritĂ© des personnalitĂ©s issues de la communautĂ© juive dâArgentine pour lâaider Ă mettre en Ćuvre sa politique et que lâun de ses auxiliaires les plus importants en vue de lâorganisation du secteur industriel Ă©tait JosĂ© Ber Gelbard, immigrant juif originaire de Pologne[135]. »
Le biographe Robert D. Crassweller, pour certifier que « le pĂ©ronisme nâĂ©tait pas le fascisme » et que « le pĂ©ronisme nâĂ©tait pas le nazisme », sâappuyait en particulier sur les commentaires faits par lâambassadeur des Ătats-Unis George S. Messersmith, lequel en effet, lorsquâil visita lâArgentine en 1947, fit la dĂ©claration suivante : « Il nây a pas plus de discrimination sociale Ă lâencontre des juifs ici quâil nây en a Ă New York mĂȘme, ou Ă dâautres endroits chez nous »[136].
Dans sa recension du film Evita, sorti en 1996, le critique de cinĂ©ma Roger Ebert critiqua Eva PerĂłn, Ă©crivant : « Elle abandonna Ă leur sort les pauvres sans-chemise, en affublant une dictature fasciste dâune façade miroitante, en faisant main basse sur les fonds caritatifs, et en dĂ©tournant lâattention de la protection tacite offerte par son mari Ă des criminels de guerre nazis »[137]. Le magazine Time publia plus tard un article de lâĂ©crivain et journaliste argentin TomĂĄs Eloy MartĂnez, ancien directeur du programme pour lâAmĂ©rique latine Ă lâuniversitĂ© Rutgers, article intitulĂ© The Woman Behind the Fantasy: Prostitute, Fascist, ProfligateâEva Peron Was Much Maligned, Mostly Unfairly (La Femme derriĂšre le phantasme : prostituĂ©e, fasciste, dilapideuse â Eva PerĂłn fut beaucoup calomniĂ©e, souvent avec mauvaise foi). Dans cet article, MartĂnez rappelle que les allĂ©gations selon lesquelles Eva PerĂłn aurait Ă©tĂ© une fasciste, une nazie et une voleuse, ont Ă©tĂ© lancĂ©es contre elle durant des dĂ©cennies, et dĂ©clare que ces accusations sont fausses :
« Elle nâĂ©tait pas une fasciste â ignorante, peut-ĂȘtre, de ce que cette idĂ©ologie signifiait. Et elle nâĂ©tait pas cupide. Bien quâelle aimĂąt les bijoux, les fourrures et les robes de chez Dior, elle pouvait possĂ©der autant quâelle dĂ©sirait sans pour cela avoir Ă voler les autresâŠ. En 1964, Jorge Luis Borges affirma que « la mĂšre de cette femme [Evita] » Ă©tait la « tenanciĂšre dâune maison close Ă JunĂn ». Il rĂ©pĂ©ta cette calomnie tant de fois que certains le croient encore, ou, plus communĂ©ment, pensent quâEvita elle-mĂȘme, dont tous ceux qui lâont connue ont pourtant dit quâelle nâavait quâune faible charge Ă©rotique, aurait fait son apprentissage dans ce lupanar imaginaire. Vers 1955, le pamphlĂ©taire Silvano Santander usa de la mĂȘme stratĂ©gie pour concocter des lettres dans lesquelles Evita figure comme une complice des nazis. Il est vrai que (Juan) PerĂłn facilita lâentrĂ©e de criminels nazis en Argentine en 1947 et 1948, escomptant par lĂ acquĂ©rir de la technologie avancĂ©e dĂ©veloppĂ©e par les Allemands pendant la guerre. Mais Evita nây joua aucun rĂŽle. Elle Ă©tait loin dâĂȘtre une sainte, nonobstant la vĂ©nĂ©ration de millions dâArgentins, mais elle nâĂ©tait pas non plus une scĂ©lĂ©rate[138]. »
Dans sa thĂšse de doctorat, dĂ©fendue Ă lâuniversitĂ© dâĂtat de lâOhio en 2002, Lawrence D. Bell souligne que les gouvernements qui ont prĂ©cĂ©dĂ© celui de Juan PerĂłn Ă©taient bien, eux, antisĂ©mites, mais quâen revanche son gouvernement Ă lui ne lâĂ©tait pas. Juan PerĂłn sâattacha « avidement et avec enthousiasme » Ă recruter, pour les besoins de son gouvernement, des personnalitĂ©s de la communautĂ© juive, et mit sur pied une branche du parti pĂ©roniste destinĂ©e aux membres juifs, branche connue comme OrganizaciĂłn Israelita Argentina (OIA). Le gouvernement de PerĂłn fut le premier Ă faire appel Ă la communautĂ© juive argentine et le premier Ă nommer des citoyens juifs Ă des postes dans la fonction publique[139]. Kevin Passmore remarque que le rĂ©gime pĂ©roniste, plus quâaucun autre en AmĂ©rique latine, a Ă©tĂ© accusĂ© dâĂȘtre fasciste, mais ajoute quâil ne lâĂ©tait pas, et que ce quâon voulait imputer en matiĂšre de fascisme Ă PerĂłn ne put jamais prendre pied en AmĂ©rique latine. De plus, Ă©tant donnĂ© que le rĂ©gime pĂ©roniste permettait aux partis politiques rivaux dâexister, il ne saurait pas davantage ĂȘtre qualifiĂ© de totalitaire[140].
Publications dâEva PerĂłn
GenĂšse
La razĂłn de mi vida (trad. française sous le titre La Raison de ma vie) est un ouvrage autobiographique quâEva PerĂłn dicta et chargea ensuite de mettre au net. Sa premiĂšre Ă©dition, tirĂ©e Ă 300 000 exemplaires aux Ă©ditions Peuser Ă Buenos Aires, date du , et fut suivie de nombreuses rĂ©Ă©ditions dans les annĂ©es ultĂ©rieures. AprĂšs son Ă©dition argentine, on tenta de publier lâouvrage Ă lâĂ©chelle internationale, mais peu de maisons dâĂ©dition Ă©trangĂšres acceptĂšrent de lâĂ©diter[141].
Peu avant sa tournĂ©e europĂ©enne, Eva PerĂłn avait fait la rencontre de Manuel Pinella de Silva, journaliste et Ă©crivain espagnol Ă©migrĂ© en Argentine, qui lui proposa de rĂ©diger ses mĂ©moires. Ayant reçu lâaccord dâEvita en mĂȘme temps que des honoraires, Pinella se mit au travail. Si les premiers chapitres enthousiasmĂšrent Evita, elle eut par la suite des doutes, ne voulant plus ĂȘtre idĂ©alisĂ©e et dĂ©peinte comme une sainte, car trop consciente de ses insuffisances. En tout Ă©tat de cause, Pinella semble avoir voulu mettre en lumiĂšre la partie fĂ©ministe de son action. Cependant, le manuscrit, transmis fin 1950 Ă Juan PerĂłn, ne plut guĂšre Ă celui-ci, et fut confiĂ© Ă RaĂșl MendĂ© avec mission de le remanier, ce qui fut fait de façon substantielle. Le chapitre sur le fĂ©minisme fut supprimĂ© et remplacĂ© par un autre composĂ© de fragments de discours de Juan PerĂłn. Le rĂ©sultat final, qui nâavait plus que fort peu Ă voir avec le texte initial, fut nĂ©anmoins acceptĂ© et signĂ© par Eva PerĂłn.
Dans un entretien, le pĂšre jĂ©suite HernĂĄn BenĂtez, Ă la fois confesseur et proche collaborateur d'Evita, met en question lâauthenticitĂ© du livre dans les termes suivants :
« Câest Manuel Penella de Silva qui lâa Ă©crit, un gars Ă©tonnant, trĂšs bon Ă©crivain. Elle lâa connu en Europe au cours de son voyage. Ensuite, il est venu Ă Buenos Aires. Jâai eu ses filles Ă mon cours dâanthropologie. Penella avait Ă©crit quelques notes pour une biographie de la femme de Roosevelt, le prĂ©sident amĂ©ricain. Est-ce que vous saviez cela ? Enfin, câest trĂšs peu connu. Elle lui a proposĂ© quâil adapte ces notes pour raconter sa vie Ă elle. Il lâa fait, et câĂ©tait fort rĂ©ussi, du bon boulot. Mais Ă©crit dâune façon trĂšs espagnole. Alors, câest (RaĂșl) MendĂ© qui sây est mis avec ses gommes. Un Ă©crivain simple, sans prĂ©tention et avec un style trĂšs femme, cela dit sans esprit de critique. Cela a donnĂ© un livre trĂšs bien Ă©crit. Mais il contenait beaucoup de choses inventĂ©es, une foule de bobards. MendĂ© lâa Ă©crit avec le souci de rester en bons termes avec PerĂłn. Il en est sorti des choses ridicules. Par exemple, en rapport avec les journĂ©es dâoctobre 45, oĂč il dit : « Nâoublie pas les sans-chemises ». Les sans-chemises, quelle blague ! Il ne se souvenait plus de ce jour-lĂ . Il voulait la retraite et sâen aller. Le livre contient donc beaucoup de faussetĂ©s[142]. »
Contenu
Le livre fut signĂ© par Eva PerĂłn Ă un moment oĂč le cancer qui lui serait fatal se trouvait dĂ©jĂ Ă un stade avancĂ©. Le texte, qui ne prĂ©sente lâhistoire personnelle et chronologique dâEvita que de maniĂšre assez succincte, sera utilisĂ© surtout comme un manifeste pĂ©roniste. Y sont repris tous les thĂšmes rĂ©currents des discours dâEvita, la plupart de surcroĂźt sans rien changer Ă leur formulation ; mais souvent, ce ne sont pas les propres opinions dâEva PerĂłn qui sont exposĂ©es, mais celles de Juan PerĂłn, avec lesquelles Evita toutefois affirme ĂȘtre en parfait accord. Les biographes Nicholas Fraser et Marysa Navarro notent :
« Cette autobiographie Ă©voque Ă peine sa vie avant PerĂłn, donne un compte rendu dĂ©formĂ© des Ă©vĂ©nements du 17 octobre (1945), et contenait des mensonges sur son activitĂ© (telles que p.ex. lâassertion quâelle âne se sâimmisçait pas dans les affaires du gouvernementâ. Le livre consolidait le mythe de PerĂłn homme gĂ©nĂ©reux, bon, travailleur, dĂ©vouĂ© et paternel, et par le biais de ce mythe, il contribua au mythe dâEvita, incarnation de toutes les vertus fĂ©minines, qui nâĂ©tait quâamour, humilitĂ©, et davantage encore, que PerĂłn prĂȘte Ă lâabnĂ©gation. Selon son autobiographie, si Evita nâeut pas dâenfants, câĂ©tait parce que ses protĂ©gĂ©s â les pauvres, les personnes ĂągĂ©es, les dĂ©semparĂ©s dâArgentine â Ă©taient ses vĂ©ritables enfants, quâelle et PerĂłn adoraient. En tant que femme pure et chaste, exempte de dĂ©sir sexuel, elle sâĂ©tait mue en la mĂšre idĂ©ale[143]. »
Le livre se présente comme un long dialogue, tantÎt intime, tantÎt plus rhétorique, et se décompose en trois parties, la premiÚre comportant dix-huit chapitres, la deuxiÚme vingt-sept et la troisiÚme douze[144] - [145].
Les titres des chapitres sont les suivants[145]. Dans la premiĂšre partie : Chap. 1er : Un caso de azar (Un coup du hasard) ; Chap. 2e : Un gran sentimiento (Un grand sentiment) ; Chap. 3e : La causa del «sacrificio incomprensible» (la Cause du « sacrifice incomprĂ©hensible ») ; Chap. 4e : AlgĂșn dĂa todo cambiarĂĄ (Quelque jour tout changera) ; Chap. 5e : No me resignĂ© a ser vĂctima (Je ne me suis pas rĂ©signĂ©e Ă ĂȘtre victime) ; Chap. 6e : Mi dĂa maravilloso (Mon jour merveilleux) ; Chap. 7e : ÂĄSi, Ă©ste es el hombre de mi pueblo! (Oui, voilĂ lâhomme de mon peuple !) ; Chap. 8e : La hora de la soledad (lâHeure de la solitude) ; Chap. 9e : Una gran luz (Une grande lumiĂšre) ; Chap. 10e : VocaciĂłn y destino (Vocation et Destin) ; Chap. 11e : Sobre mi Ă©lection (Sur mon Ă©lection) ; Chap. 12e : Demasiado peronista (Assez pĂ©roniste) ; Chap. 13e : El aprendizaje (lâApprentissage) ; Chap. 14e : ÂżIntuiciĂłn? (Intuition ?) ; Chap. 15e : El camino que elegĂ (le Chemin que jâai choisi) ; Chap. 16e : Eva PerĂłn y Evita (Eva PerĂłn et Evita) ; Chap. 17e : Evita ; Chap. 18e : Pequeños detalles (Petits DĂ©tails).
Dans la deuxiĂšme partie : Chap. 19e : La SecretarĂa (le SecrĂ©tariat) ; Chap. 20e : Una presencia superior (Une prĂ©sence supĂ©rieure) ; Chap. 21e : Los obreros y yo (les Ouvriers et moi) ; Chap. 22e : Una sola clase de hombres (Une seule classe dâhommes) ; Chap. 23e : Descender (Descendre) ; Chap. 24e : La tarde de los miĂ©rcoles (lâAprĂšs-midi des mercredis) ; Chap. 25e : Los grandes dĂas (les Grands Jours) ; Chap. 26e : Donde quiera que este libro se lea (OĂč que ce soit que lâon lise ce livre) ; Chap. 27e : AdemĂĄs de la justicia (En plus de la justice) ; Chap. 28e : El dolor de los humildes (la Douleur des humbles) ; Chap. 29e : Los comienzos (les Commencements) ; Chap. 30e : Las cartas (les Lettres) ; Chap. 31e : Tardes de ayuda social (les AprĂšs-midi dâaide sociale) ; Chap. 32e : Caridad o beneficencia (CharitĂ© ou Bienfaisance) ; Chap. 33e : Una deuda de cariño (Une dette dâaffection) ; Chap. 34e : Finales de jornada (Fins de journĂ©e) ; Chap. 35e : Amigos en desgracia (Amis en disgrĂące) ; Chap. 36e : Mi mayor gloria (Ma plus grande gloire) ; Chap. 37e : Nuestras obras (Nos Ćuvres) ; Chap. 38e : Nochebuena y Navidad (Nouvel-An et NoĂ«l) ; Chap. 39e : Mis obras y la polĂtica (Mes Ćuvres et la politique) ; Chap. 40e : La lecciĂłn europea (la Leçon europĂ©enne) ; Chap. 41e : La medida de mis obras (la Mesure de mes Ćuvres) ; Chap. 42e : Una semana de amargura (Une semaine dâamertume) ; Chap. 43e : Una gota de amor (Une goutte dâamour) ; Chap. 44e : CĂłmo me pagan mi pueblo y PerĂłn (Comment mon peuple et PerĂłn me payent) ; Chap. 45e : Mi gratitud (Ma gratitude) ; Chap. 46e : Un idealista (Un idĂ©aliste).
Dans la troisiĂšme partie : Chap. 47e : Las mujeres y mĂ misiĂłn (les Femmes et ma mission) ; Chap. 48e : El paso de lo sublime a lo ridĂculo (le Passage du sublime au ridicule) ; Chap. 49e : Quisiera mostrarles un camino (Jâaimerais vous montrer un chemin) ; Chap. 50e : El hogar o la fĂĄbrica (le Foyer ou lâUsine) ; Chap. 51e : Una idea (Une idĂ©e) ; Chap. 52e : La gran ausencia (la Grande Absence) ; Chap. 53e : El Partido Peronista Femenino (le Parti pĂ©roniste fĂ©minin) ; Chap. 54e : No importa que ladren (Peu importe quâils aboient) ; Chap. 55e : Las mujeres y la acciĂłn (les Femmes et lâAction) ; Chap. 56e : La vida social (la Vie sociale) ; Chap. 57e : La mujer que no fue elogiada (la Femme qui ne reçut pas dâĂ©loges) ; Chap. 58e : Como cualquier otra mujer (Comme nâimporte quelle autre femme) ; Chap. 59e : No me arrepiento (Je ne me repents pas).
En , la province de Buenos Aires dĂ©crĂ©ta quâil devait ĂȘtre utilisĂ© comme livre de lecture dans les Ă©coles primaires. Les autres provinces suivirent bientĂŽt cet exemple, et la Fondation Eva PerĂłn en distribua des centaines de milliers dâexemplaires gratuitement.
Mon message
Mon message (Mi mensaje), rĂ©digĂ© entre mars et , et achevĂ© quelques semaines seulement avant son dĂ©cĂšs, est le dernier ouvrage dâEva PerĂłn. Celle-ci, en raison du stade avancĂ© de sa maladie, fut rĂ©duite Ă en dicter le contenu Ă quelques personnes de confiance, et ce quâelle put Ă©crire de sa propre main tiendrait sur guĂšre plus dâun feuillet[146]. Lâouvrage est divisĂ© en trente courts chapitres et expose des thĂšses idĂ©ologiques autour de trois axes de base : le fanatisme comme profession de foi, la condamnation des hautes sphĂšres des forces armĂ©es pour complot contre PerĂłn, et la mise en cause de la hiĂ©rarchie de lâĂ©glise catholique en raison du manque de prĂ©occupation de celle-ci pour les souffrances du peuple argentin[147]. Il est prĂ©sentĂ© comme le texte le plus virulent dâEva PerĂłn[148]. Lâon donna lecture dâun fragment du texte lors dâun rassemblement sur la place de mai deux mois et demi aprĂšs la disparition de son auteur[149] - [147].
Dans le testament manuscrit dâEvita, intitulĂ© Mi voluntad suprema (Ma volontĂ© suprĂȘme), tracĂ© dâune main tremblante, lâon peut lire la phrase suivante : « tous mes droits comme auteur de La RazĂłn de mi vida et de Mi Mensaje, sâil est publiĂ©, seront considĂ©rĂ©s comme la propriĂ©tĂ© absolue de PerĂłn et du peuple argentin ». Pourtant, Mi mensaje ne fut pas dâabord publiĂ©, et en 1955, aprĂšs le renversement de PerĂłn, le manuscrit disparut par les soins du Grand Greffier du gouvernement Jorge Garrido, qui avait reçu lâordre de dresser lâinventaire des biens de Juan et Eva PerĂłn, mais qui dĂ©cida dâocculter le manuscrit, convaincu que celui-ci serait dĂ©truit par les militaires arrivĂ©s au pouvoir. Ă la mort de Garrido en 1987, sa famille mit lâouvrage inĂ©dit en vente par lâintermĂ©diaire dâune salle de ventes. Le livre fut ensuite publiĂ©, une premiĂšre fois en 1987, puis une deuxiĂšme en 1994.
Les sĆurs dâEvita cependant contestĂšrent lâauthenticitĂ© du livre et portĂšrent lâaffaire devant les tribunaux, lesquels, aprĂšs une dizaine dâannĂ©es dâenquĂȘte, et sur la foi notamment dâune expertise graphologique et du tĂ©moignage de Juan JimĂ©nez DomĂnguez, lâun des proches collaborateurs dâEvita, Ă qui elle avait dictĂ© une partie du texte, conclurent en 2006 que le texte Ă©tait Ă considĂ©rer comme Ă©tant effectivement dâEva PerĂłn[146] - [150].
Filmographie en tant qu'actrice
- 1937 : ÂĄSegundos afuera! (es) d'Israel Chas de Cruz (es) et Alberto Etchebehere (es)
- 1940 : La carga de los valientes (es) d'Adelqui Migliar
- 1941 : El mĂĄs infeliz del pueblo (es) de Luis BayĂłn Herrera
- 1942 : Una novia en apuros (es) de John Reinhardt
- 1945 : La cabalgata del circo d'Eduardo Boneo et Mario Soffici
- 1945 : La prĂłdiga (es) de Mario Soffici
Ćuvres mettant en scĂšne Eva PerĂłn
La vie dâEvita a livrĂ© la matiĂšre dâun grand nombre dâĆuvres dâart, tant en Argentine que dans le reste du monde. La plus connue est sans nul doute la comĂ©die musicale Evita dâAndrew Lloyd Webber et Tim Rice, de 1975, dont a Ă©tĂ© tirĂ© un film musical homonyme, mis en scĂšne par Alan Parker et interprĂ©tĂ© notamment par la chanteuse Madonna dans le rĂŽle-titre.
Cinéma
- Eva Perón inmortal, 1952, court-métrage mis en scÚne par Luis César Amadori.
- Evita, quien quiera oĂr que oiga (1983), film dâEduardo Mignogna, interprĂ©tĂ© par Flavia Palmiero, accompagnement musical de Lito Nebbia.
- Evita (1996), basĂ© sur la comĂ©die musicale, mis en scĂšne par Alan Parker, partiellement filmĂ© Ă Buenos Aires. Madonna y joue le rĂŽle dâEvita, Antonio Banderas celui de Che ('Che' nâest pas ici Ernesto Che Guevara, mais figure le citoyen argentin lambda) et Jonathan Pryce celui de Juan PerĂłn.
- Une version télévisée de sa vie a été tournée en 1981, avec Faye Dunaway.
- Eva PerĂłn (1996), film argentin. Avec dans la distribution Esther Goris dans le rĂŽle dâEvita et VĂctor Laplace dans celui de PerĂłn, entre autres. Le film, mis en scĂšne par Juan Carlos Desanzo, met plus particuliĂšrement la focale sur les Ă©vĂ©nements de 1951, vus comme une situation de grand embarras pour Evita, le pĂ©ronisme et la politique argentine.
- En 2007, le film argentin La Señal dâEduardo Mignogna, qui met en scĂšne un duo de dĂ©tectives de bas Ă©tage propulsĂ©s dans une histoire de corruption impliquant la Mafia, raconte en toile de fond l'histoire des derniers jours d'Eva Peron, .
- Juan y Eva (2011), film argentin. Avec Julieta DĂaz dans le rĂŽle dâEvita et Osmar Nuñez dans celui de Juan PerĂłn. Mise en scĂšne et scĂ©nario de Paula de Luque, dâaprĂšs le rĂ©cit de Jorge Coscia. DĂ©crit la romance de Juan et Eva, en mettant lâaccent sur El Amor, El Odio (la Haine) et La RevoluciĂłn. Ăvoque les luttes politiques internes, mais davantage encore la passion dâEvita et sa lutte pour PerĂłn. « La mort prĂ©maturĂ©e immortalise les romances ».
- Eva de la Argentina, una bandera a la victoria[151] (2011). Mis en scĂšne par MarĂa Seoane, basĂ© sur les dessins de Francisco Solano LĂłpez, avec musique originale de Gustavo Santaolalla. Film de fiction, qui, en combinant animation et extraits documentaires, narre la vie, lâĆuvre et la mort dâEva PerĂłn.
- Carta a Eva (Lettre Ă Eva, 2012 ; aussi Una carta para Evita), minisĂ©rie espagnole en deux Ă©pisodes, rĂ©alisĂ©e par lâEspagnol AgustĂ Villaronga et interprĂ©tĂ©e par Julieta Cardinali dans le rĂŽle dâEva PerĂłn. La sĂ©rie retrace le destin croisĂ© de Doña Juana, jeune militante communiste condamnĂ©e Ă mort, de Carmen Polo, femme du gĂ©nĂ©ral Franco, et d'Eva PerĂłn lors de sa visite officielle en Espagne en 1947.
- Eva no duerme du rĂ©alisateur Pablo AgĂŒero, sorti en 2016. Le film illustre en 3 tableaux â lâEmbaumeur, le Transporteur, le Dictateur â ce qu'il advient du corps embaumĂ© dâEva Peron au cours des vingt ans qui suivent sa mort.
Musique
- En 2008, le chansonnier argentin Ignacio Copani composa en hommage Ă Eva PerĂłn la chanson MarĂa Eva, dont voici un couplet :
Espagnol | Français |
---|---|
MarĂa Eva naciĂł en Los Toldos, |
MarĂa Eva naquit Ă Los Toldos, |
- Evita (1975), comĂ©die musicale britannique composĂ©e par le musicien anglais Andrew Lloyd Webber, Ă©crite par Tim Rice et interprĂ©tĂ©e par Elaine Paige au Prince Edward Theatre dans le West End londonien, par Patti LuPone Ă Broadway (New York), et par Paloma San Basilio en Espagne et en AmĂ©rique hispanique. La comĂ©die musicale fut reprise Ă Londres en 2006, au thĂ©Ăątre Adelphi, toujours dans le West End, avec dans le rĂŽle dâEvita lâactrice argentine Elena Roger.
- Don't cry for me, Argentina en est le thĂšme principal et reprĂ©sente un Ă©mouvant discours dâEva PerĂłn Ă lâattention des descamisados, prononcĂ© du balcon de la Casa Rosada. La chanson a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e par les mĂȘmes actrices qui ont incarnĂ© Evita lors des reprĂ©sentations thĂ©Ăątrales, c'est-Ă -dire, outre Elaine Paige, Patti LuPone, Paloma San Basilio, RocĂo Banquells et Elena Roger), ainsi que par dâautres, de lâenvergure de Nacha Guevara et Valeria Lynch en espagnol. Lâont Ă©galement chantĂ©e, en anglais, Sarah Brightman, Olivia Newton-John, Joan Baez, Donna Summer, Laura Branigan, Karen Carpenter, Shirley Bassey, Dolores O'Riordan, Suzan Erens, Idina Menzel, Julie Covington, Lea Salonga, Barbara Dickson, Helene Fischer, Stephanie Lawrence, Maria Friedman, Priscilla Chan, Judy Collins, Tina Arena, Cilla Black, Katherine Jenkins, Lea Michele, Amanda Harrison et SinĂ©ad O'Connor ; Rita Pavone la chanta en italien, et Petula Clark en français. De façon insolite, quelques interprĂštes masculins sâessayĂšrent aussi Ă la chanter : Tom Jones, et Il Divo. Lâont chantĂ©e en traduction allemande Angelika Milster, Katja Ebstein, Maya Hakvoort et Pia Douwes. Madonna en enregistra plusieurs versions, parmi lesquelles un remix, qui fut en tĂȘte des listes de vente.
- Quien quiera oĂr que oiga (litt. Que celui qui veut entendre entende, 1983), composĂ© et interprĂ©tĂ© par Lito Nebbia. Fait partie de la bande musicale du film Evita, quien quiera oĂr que oiga (1983).
- Eva (1986 et 2008), comĂ©die musicale interprĂ©tĂ©e par Nacha Guevara, sur des paroles de Pedro Orgambide et une musique dâAlberto Favero. PremiĂšre reprĂ©sentation au thĂ©Ăątre Maipo de Buenos Aires.
- Evita (1990), opĂ©ra de AndrĂ©s Pedro Risso, avec la mezzo-soprano Christina Becker dans le rĂŽle dâEvita et le baryton grave Jorge Sobral dans le rĂŽle de PerĂłn. PremiĂšre au ThĂ©Ăątre ColĂłn Ă Buenos Aires.
- La Duarte (2004), spectacle de danse-thĂ©Ăątre crĂ©Ă© spĂ©cialement par Silvia Vladimivsky Ă lâintention de Eleonora Cassano, dâaprĂšs une idĂ©e originale de Lino Patalano et sur une musique de Sergio Vainikoff. Au thĂ©Ăątre Maipo.
- MarĂa Eva (2008), composĂ© et interprĂ©tĂ© par Ignacio Copani. Fait partie de son Ćuvre Hoy no es dos de Abril (litt. Ce nâest pas aujourdâhui le deux avril).
Théùtre
- Eva PerĂłn, Ćuvre thĂ©Ăątrale Ă©crite en 1969 par RaĂșl Natalio Damonte Taborda, connu sous le nom de Copi. Ćuvre controversĂ©e, dont lâaction se situe dans les derniers jours dâEva PerĂłn et qui prend pour sujet sa lutte contre le cancer.
- Eva y Victoria, piĂšce de thĂ©Ăątre Ă©crite par la dramaturge MĂłnica Ottino, mise en scĂšne par Oscar Barney Finn et interprĂ©tĂ©e par Luisina Brando dans le rĂŽle dâEva PerĂłn et China Zorrilla dans celui de lâĂ©crivaine Victoria Ocampo. Le rĂŽle dâEva PerĂłn fut Ă©galement jouĂ© par lâactrice Soledad Silveyra.
- Eva, Ćuvre thĂ©Ăątrale interprĂ©tĂ©e par Nacha Guevara, reprĂ©sentĂ©e en 1986 et de nouveau pendant la saison 2008-2009, sur une musique dâAlberto Favero.
- En 2009, Alfredo Arias mit en scÚne Eva Perón au théùtre du Rond-Point à Paris dans Tatouage. Il évoque la rencontre avec Miguel de Molina qui fut son protégé fuyant le régime de Francisco Franco.
- La RazĂłn de mi Eva, piĂšce de thĂ©Ăątre, Ă©crite en 2012 par Edo Azzarita, avec une musique de Carlos Zabala. Câest la premiĂšre Ćuvre thĂ©Ăątrale dĂ©clarĂ©e dâintĂ©rĂȘt culturel (de interĂ©s cultural) par le sous-secrĂ©tariat Ă la Culture du gouvernement fĂ©dĂ©ral, par la rĂ©solution no 6953.
- Evita amour, gloire, etc., spectacle de StĂ©phan Druet Ă©crit pour lâacteur argentin SebastiĂĄn Galeota, jouĂ© Ă la ComĂ©die Bastille en 2016 et au thĂ©Ăątre Les 3 Soleils lors du festival d'Avignon[152].
Romans et nouvelles
- Esa mujer (1963), nouvelle de Rodolfo Walsh, sur la relation malsaine que le militaire qui sĂ©questra le cadavre dâEvita entretint avec celui-ci. (lire en ligne ici)
- Evita vive (1975), nouvelle de Néstor Perlongher. Suscita une vive polémique à la suite de sa publication en Argentine par la revue El Porteño en 1989[153]. (lire en ligne ici)
- Roberto y Eva. Historia de un amor argentino (1989), roman de Guillermo Saccomano Ă©voquant intertextuellement Eva PerĂłn et Roberto Arlt.
- Santa Evita (1995), roman de TomĂĄs Eloy MartĂnez, traitant de la disparition du cadavre dâEvita.
- Evita, la loca de la casa (2003, litt. Evita, la folle de la maison), roman de Daniel Herrendorf, qui prĂ©sente cette singularitĂ© que dans les chapitres pairs Evita relate son histoire sur un mode limpide et cohĂ©rent, et dans les chapitres impairs dĂ©lire comme une folle, ce qui permet Ă lâauteur de mettre Ă nu lâimaginaire inconscient dâEvita. Le roman se dĂ©roule entiĂšrement le jour de la mort dâEva, tandis quâelle est couchĂ©e sur son lit de mort. Le roman Ă©tant Ă©crit Ă la premiĂšre personne, James Ivory nâeut pas grandâpeine Ă le porter sur une scĂšne de thĂ©Ăątre britannique. Les monologues sont mĂ©ticuleux et directs, laissant Eva parler dâelle-mĂȘme et de son mari avec une cruautĂ© inhabituelle[154].
- La Señora muerta (1963), nouvelle de David Viñas.
- En 2008, une fiction du journaliste et Ă©crivain français Jacques Kaufmann publiĂ©e aux Ă©ditions de l'Archipel sous le titre El lobo revient sur le fameux trĂ©sor nazi que Martin Bormann aurait transfĂ©rĂ© en Argentine Ă la fin de la Seconde Guerre mondiale. En effet, le mystĂšre relatif Ă ces fonds n'a jamais Ă©tĂ© levĂ©, certains historiens affirmant mĂȘme que PerĂłn s'en serait emparĂ©. Le romancier s'est engouffrĂ© dans la brĂšche et a imaginĂ© que le trĂ©sor avait Ă©tĂ© placĂ© dans le mausolĂ©e d'Evita pour financer le mouvement pĂ©roniste.
- En 1980, lâĂ©crivain trinidadien V. S. Naipaul publia sous le titre The return of Eva PerĂłn. The killings in Trinidad (traduction française sous le titre le Retour d'Eva PerĂłn[155]) un volume regroupant deux essais apparemment sans rapport entre eux, lequel volume, pour deux raisons au moins, nâaurait pas sa place ici : il ne sâagit pas dâune Ćuvre de fiction, et la figure dâEva PerĂłn, en dĂ©pit du titre dâun des essais, ne sây trouve Ă©voquĂ©e que de façon trĂšs accessoire. Dans ledit essai, Naipaul tente, en mettant en lumiĂšre successivement un ensemble de situations ou dâaspects particuliers qui lui paraissent significatifs ou symptomatiques, dâapprĂ©hender lâhistoire et le caractĂšre national de lâArgentine, afin dâĂ©clairer la situation actuelle (des annĂ©es 1970 et 1980) du pays. Il sâen dĂ©gage une vision assez dĂ©sabusĂ©e, peu flatteuse, voire dĂ©nigrante du pĂ©ronisme, mais aussi de lâArgentine en gĂ©nĂ©ral, en tant que le pĂ©ronisme, selon Naipaul, nâa jamais pu ĂȘtre autre chose que lâexpression de la personnalitĂ© profonde, sombre et peu glorieuse, de ce pays, qui pĂątit du « pĂ©chĂ© originel » dâavoir Ă©tĂ© une conquĂȘte espagnole et de nâavoir pas pu se dĂ©pĂȘtrer dâune mentalitĂ© coloniale, et oĂč prĂ©dominent donc lâillusion dâune richesse inĂ©puisable, la cupiditĂ© et lâabsence dâun sentiment de lâintĂ©rĂȘt commun. Eva PerĂłn nâest Ă©voquĂ©e quâen arriĂšre-plan, surtout comme figure mythe quasi religieuse. Le portrait apparaĂźt assez fruste, rĂ©ducteur, comme en tĂ©moigne ce passage :
« Eva PerĂłn allumait le feu. Mais elle ne songeait pas Ă rĂ©former. Elle Ă©tait trop blessĂ©e, trop peu Ă©voluĂ©e ; elle restait trop un produit de son milieu ; et elle restait Ă©videmment toujours une femme parmi des machos. Christophe, lâempereur dâHaĂŻti, fit construire une citadelle au prix dâune quantitĂ© Ă©norme de vies humaines et dâargent : les fortifications anglaises de Brimstone Hill sur lâĂźlot Saint-Christophe, oĂč Christophe Ă©tait nĂ© comme esclave et avait Ă©tĂ© formĂ© Ă devenir tailleur, lui servirent dâexemple. De la mĂȘme façon, en effaçant tout ce qui renvoyait Ă sa propre jeunesse, sans jamais cependant pouvoir sâĂ©lever au-dessus des idĂ©es de cette jeunesse, Eva PerĂłn tenta seulement, lorsquâelle eut le pouvoir, de rivaliser avec les riches en cruautĂ©, en style et en marchandises importĂ©es. Au peuple, elle offrait sa propre personne et son triomphe, Ă ce pueblo au nom duquel elle agissait. »
Bande dessinée
- Evita, vida y obra de Eva PerĂłn, bande dessinĂ©e rĂ©alisĂ©e en 1970 par le scĂ©nariste HĂ©ctor GermĂĄn Oesterheld et le dessinateur Alberto Breccia. Cette Ćuvre nâest pas une BD dans lâacception traditionnelle du terme, attendu quâil nây a pas une succession de vignettes censĂ©e reprĂ©senter une action, et quâĂ aucun moment il nây a de personnages accompagnĂ©s de bulles. LâĆuvre consiste en une sĂ©rie de grandes plages de texte relatant lâhistoire dâEva PerĂłn assorties dâimages allĂ©goriques des moments ou des situations dĂ©crits.
Photographie
Si les principales photographies dâEva PerĂłn ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es par le prof. PinĂ©lides AristĂłbulo Fusco (1913-1991), ce sont celles crĂ©Ă©es par Annemarie Heinrich dans les annĂ©es 1930 et 1940 qui apparaissent comme les plus saisissantes.
Peinture
Le peintre officiel dâEva PerĂłn fut Numa Ayrinhac (1881-1951), Français fixĂ© dĂšs lâenfance Ă PigĂŒĂ©, dans le sud-ouest de la province de Buenos Aires. Ses deux Ćuvres les plus significatives sont le Portrait dâEva PerĂłn de 1950, qui apparut sur la couverture du livre La Raison de ma vie et dont lâoriginal fut dĂ©truit en 1955, et le Portrait de Juan PerĂłn et Eva PerĂłn de 1948, seul portrait officiel du couple, qui est actuellement la propriĂ©tĂ© du gouvernement national et se trouve exposĂ© au musĂ©e des PrĂ©sidents de la Casa Rosada.
Lâartiste plasticien Daniel Santoro a explorĂ©, dans ses ouvrages El mundo se convierte, Luto ou Evita y las tres ramas del movimiento, lâiconographie du premier pĂ©ronisme, plus particuliĂšrement la figure et lâinfluence dâEvita.
Poésie
- Le poĂšte et Ă©crivain argentin JosĂ© MarĂa Castiñeira de Dios fut parmi les fondateurs du justicialisme et composa en 1962 le poĂšme VolverĂ© y serĂ© millones (Je reviendrai et je serai des millions), qui sera Ă lâorigine dâune mĂ©prise gĂ©nĂ©ralisĂ©e attribuant la phrase concernĂ©e Ă Evita. Celle-ci nâa jamais prononcĂ© ladite phrase ; Howard Fast lâa mise dans la bouche de Spartacus dans son roman homonyme et il a Ă©tĂ© suggĂ©rĂ© que ce furent les derniĂšres paroles du chef aimara TĂșpac Catari[156] :
Espagnol | Français |
---|---|
Volveré y seré millones |
Je reviendrai et je serai des millions |
- Eva PerĂłn en la hoguera, poĂšme de LeĂłnidas Lamborghini dans Partitas (1972).
- Eva de MarĂa Elena Walsh (voir le texte du poĂšme)
Hommages et récompenses
Distinctions
Eva PerĂłn est la seule personnalitĂ© Ă laquelle le CongrĂšs national ait jamais dĂ©cernĂ© le titre de Chef spirituel de la Nation (en esp. Jefa Espiritual de la NaciĂłn), le , sous la prĂ©sidence de son mari Juan PerĂłn, le jour oĂč elle eut 33 ans.
Elle reçut le titre de Grand-Croix dâHonneur de la Croix-Rouge argentine, la distinction de la Reconnaissance de premiĂšre catĂ©gorie de la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale du Travail[157], la Grande-MĂ©daille de la LoyautĂ© pĂ©roniste Ă titre extraordinaire le [158] et, le , la plus haute dĂ©coration de la RĂ©publique argentine : le collier de lâordre du LibĂ©rateur GĂ©nĂ©ral San MartĂn[159].
Au cours de sa tournĂ©e Arc-en-ciel de 1947, Eva PerĂłn se vit dĂ©cerner le titre de Grand-Croix de lâordre d'Isabelle la Catholique (Espagne), la MĂ©daille dâor de la PrincipautĂ© de Monaco, et lâordre du MĂ©rite avec le grade de Grand-Croix dâor en reconnaissance de son Ćuvre sociale et de son action en faveur du rapprochement international, dĂ©cernĂ© par la RĂ©publique dominicaine et remis par lâambassade de ce pays en Uruguay[157].
Par ailleurs, elle fut rĂ©cipiendaire de lâordre national du Cruzeiro do Sul avec le grade de Commandeur (BrĂ©sil) ; Grand-Croix dâOrange-Nassau (Pays-Bas) ; Grand-Croix de lâordre de l'Aigle aztĂšque (Mexique) ; Grand-Croix de l'ordre militaire (Malte) ; Grand-Croix de lâordre des Omeyyades (Syrie) ; Grand-Croix de lâordre du MĂ©rite, Grand-Croix de la Croix-Rouge Ă©quatorienne et Grand-Croix de la Fondation internationale Eloy Alfaro (Ăquateur) ; Grand-Croix extraordinaire de lâordre de BoyacĂĄ (Colombie) ; Grand-Croix de lâordre national de l'Honneur et du MĂ©rite (HaĂŻti) ; Grand-Croix de la lâordre du Soleil (PĂ©rou) ; Grand-Croix du Condor des Andes (Bolivie) ; et Grand-Croix du Paraguay (Paraguay)[157].
Femme du Bicentenaire
En 2010, Eva PerĂłn a Ă©tĂ© dĂ©signĂ©e comme lâemblĂšme des 200 ans dâhistoire argentine par le dĂ©cret no 329, annoncĂ© par la prĂ©sidente Cristina Kirchner et publiĂ© au Bulletin officiel, lui octroyant le titre posthume de « Femme du bicentenaire » (Mujer del Bicentenario)[160].
Le projet de 1952
En 1951, Eva PerĂłn commençait Ă songer Ă un monument commĂ©morant la journĂ©e de la LoyautĂ© (soit le ), et lorsquâelle sâavisa de la gravitĂ© de sa maladie, exprima le dĂ©sir de reposer dans la crypte dudit monument. Lâon chargea le sculpteur italien LeĂłn Tomassi dâen concevoir la maquette, avec cette instruction textuelle dâEvita : « Il faut quâil soit le plus grand du monde ». Quand le plan fut prĂȘt fin 1951, elle lui demanda de faire en sorte que lâintĂ©rieur ressemblĂąt davantage au tombeau de NapolĂ©on, quâelle se souvenait avoir vu Ă Paris lors de sa tournĂ©e de 1947[161].
Selon la maquette finalement approuvĂ©e, la figure centrale, de soixante mĂštres de haut, se serait Ă©levĂ©e sur un piĂ©destal de soixante-dix-sept mĂštres. Alentour se serait Ă©tendue une Ă©norme place, dâune superficie Ă©gale Ă trois fois celle du Champ-de-Mars Ă Paris, bordĂ©e de seize statues de marbre figurant lâAmour, la Justice sociale, les Enfants comme PrivilĂ©giĂ©s uniques, et les Droits du Vieil Ăge. Au centre du monument aurait Ă©tĂ© construit un sarcophage semblable Ă celui de NapolĂ©on aux Invalides, mais en argent, et assorti dâune figure de gisant en relief. Lâensemble architectural devait avoir une hauteur qui dĂ©passerait celle de la basilique Saint-Pierre de Rome, correspondrait Ă une fois et demi celle de la statue de la LibertĂ© (91 mĂštres), triplerait celle du Christ RĂ©dempteur des Andes (sur la frontiĂšre argentino-chilienne) et serait du mĂȘme ordre de grandeur que la pyramide de KhĂ©ops ; il devait peser 43 000 tonnes et renfermer quatorze ascenseurs[162]. La loi portant Ă©dification du monument Ă Eva PerĂłn fut approuvĂ©e vingt jours avant sa mort, et lâon choisit de l'Ă©riger dans le quartier de Palermo Ă Buenos Aires. En , alors que les soubassements de bĂ©ton Ă©taient terminĂ©s et que lâon sâapprĂȘtait Ă y encastrer la statue, le pouvoir issu du soulĂšvement militaire qui renversa Juan PerĂłn fit cesser les travaux et dĂ©molir les parties dĂ©jĂ rĂ©alisĂ©es.
Construction du monument en 1999
La loi no 23.376 de 1986 dispose que le monument Ă Eva PerĂłn doit ĂȘtre Ă©rigĂ© sur la place situĂ©e sur l'avenue du LibĂ©rateur, entre les rues AgĂŒero et Austria, sur le terrain de la BibliothĂšque nationale. Le monument, inaugurĂ© par le prĂ©sident Carlos Menem le , est une structure de pierre de prĂšs de 20 mĂštres de haut, conçue et rĂ©alisĂ©e par lâartiste Ricardo Gianetti, en granit pour le socle et en bronze pour la sculpture proprement dite, laquelle reprĂ©sente Eva PerĂłn dans une attitude de marche. La base de la sculpture porte les inscriptions suivantes : « Je sus rendre sa dignitĂ© Ă la femme, protĂ©ger lâenfance et apporter la sĂ©curitĂ© au vieil Ăąge, tout en renonçant aux honneurs » et « Je voulus rester pour toujours simplement Evita, Ă©ternelle dans lâĂąme de notre peuple, pour avoir amĂ©liorĂ© la condition humaine des humbles et des travailleurs, en luttant pour la justice sociale ».
Effigies sur lâavenue du Neuf-Juillet Ă Buenos Aires
En 2011, deux gigantesques effigies dâEvita apposĂ©es sur deux façades du bĂątiment hĂ©bergeant les ministĂšres du DĂ©veloppement social et de la SantĂ© (anciennement bĂątiment du ministĂšre des Travaux publics) sur l'avenue du Neuf-Juillet, Ă l'angle avec la rue Belgrano, sont inaugurĂ©es Ă Buenos Aires.
La premiĂšre est inaugurĂ©e le , jour du 59e anniversaire de sa mort, sur la façade sud du bĂątiment, montrant une Evita souriante, inspirĂ©e de lâimage qui avait illustrĂ© son livre La Raison de ma vie. La seconde, fixĂ©e Ă la façade nord du mĂȘme immeuble, est elle dĂ©voilĂ©e le suivant et donne Ă voir une Evita combative adressant la parole au peuple. Les deux effigies murales, Ćuvres imaginĂ©es par le plasticien argentin Alejandro Marmo, mesurent 31 Ă 24 mĂštres et sont en acier corten.
Initialement, lâidĂ©e de Marmo surgit dans le cadre de son projet de 2006 Arte en las FĂĄbricas (Art dans les usines), sous le nom de Sueños de Victoria (RĂȘves de victoire), tendant Ă revendiquer la figure dâEvita comme icĂŽne culturelle et dâidentitĂ© nationale. Quatre ans plus tard, dans le sillage de la proclamation de MarĂa Eva Duarte de PerĂłn comme Femme du bicentenaire, les deux Ćuvres sont intĂ©grĂ©es, par le dĂ©cret no 329/10, aux façades du ministĂšre.
Effigie dâEvita sur le mur dâun Ă©difice public Ă Buenos Aires. |
Autre effigie dâEvita sur une autre façade du mĂȘme immeuble. |
Billets de banque
Le , Ă lâoccasion de la cĂ©lĂ©bration du soixantiĂšme anniversaire de la mort dâEva PerĂłn, la prĂ©sidente Cristina FernĂĄndez de Kirchner annonça publiquement lâĂ©mission de billets de banque de 100 pesos (lesquels portaient alors le portrait de Julio Argentino Roca) Ă lâeffigie dâEva PerĂłn, ce qui fait de celle-ci la premiĂšre femme rĂ©ellement existante Ă faire son entrĂ©e dans la numismatique argentine[163]. Lâimage retenue pour le billet est dĂ©rivĂ© dâun dessin de 1952 dont lâĂ©bauche fut trouvĂ©e Ă la maison de la Monnaie Ă Buenos Aires, dessin rĂ©alisĂ© par le graveur Sergio Pilosio, avec des retouches de lâartiste Roger Pfund. Nonobstant quâil sâagĂźt dâune Ă©dition commĂ©morative, la prĂ©sidente FernĂĄndez requit que le nouveau billet fĂ»t substituĂ© aux anciens billets Ă lâeffigie de Roca[164] - [165]. En 2016, son successeur, le prĂ©sident de centre-droit Mauricio Macri annonce que la figure d'Eva Peron sur les billets va ĂȘtre remplacĂ©e par celle d'un cerf andin, le taruca, afin notamment de tourner la page de l'hĂ©ritage pĂ©roniste, dont se revendiquait sa prĂ©dĂ©cesseur[166].
Musées
Les principaux musées consacrés à Eva Perón sont :
- le musĂ©e Evita, au no 2988 de la calle Lafinur, Ă Buenos Aires. Il est hĂ©bergĂ© dans une maison qui Ă lâĂ©poque d'Eva PerĂłn servit de foyer pour mĂšres cĂ©libataires de la Fondation Eva PerĂłn ;
- le musĂ©e Casa Natal dans la ville de Los Toldos (province de Buenos Aires). Il est hĂ©bergĂ© dans la maison Ă Los Toldos vers laquelle la famille dâEvita dĂ©mĂ©nagea quand celle-ci avait sept ans. Il est situĂ© au no 1021 de la rue Eva PerĂłn ;
- salle musĂ©e Eva PerĂłn, Ă lâhĂŽpital Juan PerĂłn, dans la ville d'Avellaneda (province de Buenos Aires). Il s'agit de la salle dâhĂŽpital oĂč Eva PerĂłn fut hospitalisĂ©e et opĂ©rĂ©e en 1951, et oĂč elle vota pour les Ă©lections du ;
- le musĂ©e Eva PerĂłn dans lâUnitĂ© touristique Embalse, Ă RĂo Tercero, dans la province de CĂłrdoba. Une colonie de vacances construite par la Fondation Eva PerĂłn, sise Camino a la Cruz S/N Embalse, abrite ce musĂ©e.
Astéroïdes
Quatre astĂ©roĂŻdes ont Ă©tĂ© nommĂ©s en lâhonneur dâEva PerĂłn, Ă savoir : (1569) Evita, (1581) Abanderada, (1588) Descamisada et (1589) Fanatica, tous quatre dĂ©couverts par Miguel Itzigsohn Ă La Plata, respectivement le , , , et [167].
Références
- Prononciation en espagnol d'Amérique retranscrite selon la norme API.
- Certains historiens soutiennent quâelle naquit sur le domaine La UniĂłn, Ă une soixantaine de km au sud de JunĂn et Ă une vingtaine de km de Los Toldos, dâautres affirmant quâelle vit le jour Ă JunĂn mĂȘme.
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- Solar Natal MarĂa Eva Duarte de PerĂłn.
- Borroni et al.
- Cf. MarĂa Flores, pseudonyme de Mary Main, romanciĂšre anglo-argentine, auteur de The Woman With the Whip, biographie tendancieuse dâEva PerĂłn (New York 1952), p. 20.
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- «Perfiles: Eva Perón», article sur le site internet Argenpress, 2002.
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- N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 35.
- N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 15 et 17. Les auteurs sâappuient sur un entretien avec Pablo Raccioppi, ancien collĂšgue dâEva PerĂłn, dans Borroni et Vacca, La vida de Eva PerĂłn, vol. I, p. 90-93.
- « NinĂ, Libertad y los celos de Evita », article dans le journal ClarĂn (Buenos Aires) du 31 dĂ©cembre 2000.
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- N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 40.
- Entretien dans la revue Radiolandia, 5 février 1945.
- N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 52.
- sur La Voz.
- Le film La pródiga connut sa sortie tardive le 16 août 1984.
- N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 56.
- Propos recueillis par N. Fraser et M. Navarro lors dâune entrevue avec BenĂtez, cf. Evita, note 29 du chap. III.
- N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 64.
- «El misterio del 17 de octubre del 45: ÂżcuĂĄl fue el papel de Evita en ese dĂa histĂłrico?», article du journal ClarĂn de Buenos Aires du 26 juillet 2002.
- Les versions sur les vĂ©ritables auteurs du 17 octobre 1945 sont multiples et variĂ©es. Le dirigeant syndical de lâindustrie de la viande, Cipriano Reyes, soutint que « câest lui qui fit le 17 octobre », dans un livre intitulĂ© prĂ©cisĂ©ment Yo hice el 17 de octubre (litt. Câest moi qui ai fait le 17 octobre). Lâhistorienne LucĂa GĂĄlvez pour sa part affirma que la vĂ©ritable instigatrice du 17 octobre fut une femme quasi inconnue, Isabel Ernst, secrĂ©taire et maĂźtresse de Domingo Mercante, qui, mettant Ă profit ses rapports quotidiens avec les militants et dirigeants syndicaux de la CGT, sut les mobiliser Ă engager les protestations. Cf.: Las mujeres y la patria, nuevas historias de amor de la historia argentina (2001), de LucĂa GĂĄlvez. Buenos Aires: Norma, p. 209, 2001.
- « QuĂ© hizo Evita el 17 de octubre: Un documento refuta el mito », article dâHĂ©ctor Daniel Vargas dans le supplĂ©ment « Zona » du journal ClarĂn de Buenos Aires de 1997.
- N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 66.
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- N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 70.
- Sise rue no 12, entre les rues no 68 et 69, lâĂ©glise nĂ©o-romane fut dĂ©clarĂ©e Monument historique provincial en 1975, mais rayĂ©e de la liste en 1955 par le gouvernement militaire, puis rĂ©tablie Ă ce titre en 1987. Restauration lancĂ©e en mai 2014.Cf. Article sur le site Telam.
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- Pour les biographes N. Fraser et M. Navarro, lâadoption du suffrage des femmes ne doit que fort peu Ă lâaction dâEva PerĂłn. Son rĂŽle en la matiĂšre se serait bornĂ© Ă soutenir le projet de loi dâun de ses soutiens, le journaliste et dĂ©putĂ© national Eduardo Colom (Evita, p. 115 et 118).
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- La loi 13.010 dispose : Article 1er : Les femmes argentines auront les mĂȘmes droits politiques et seront soumises aux mĂȘmes obligations que ceux que les lois accordent ou imposent aux hommes argentins. Article 2e : Les femmes Ă©trangĂšres rĂ©sidant dans le pays auront les mĂȘmes droits politiques et seront soumises aux mĂȘmes obligations que ceux que les lois accordent ou imposent aux hommes Ă©trangers, au cas oĂč ceux-ci auraient de tels droits politiques. Article 3e : Ă la femme sâappliquera la mĂȘme loi Ă©lectorale quâĂ lâhomme, et il y aura lieu quâelle reçoive son livret civique correspondant comme document dâidentitĂ© indispensable Ă tous les actes civils et Ă©lectoraux.
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- El pueblo querĂa saber de quĂ© se trata, allusion au Cabildo ouvert de la rĂ©volution de Mai (journĂ©e du vendredi 25 mai 1810), oĂč la foule, lasse dâattendre sur la place de Mai les rĂ©sultats des tractations entre le vice-roi dâEspagne et les rĂ©volutionnaires, marqua par cette phrase son dĂ©sir dâĂȘtre enfin informĂ© sur le sort quâon lui rĂ©servait.
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- Cf. annonce sur le site Théùtres parisiens associés
- Dans le livre Prosa plebeya parut, accompagnant la nouvelle Evita Vive, la note suivante : « Evita vive peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un authentique conte maudit dans lâhistoire de la littĂ©rature argentine. BlasphĂšme, apprĂ©hension aiguisĂ©e du sujet et audace sâunissent dans ce texte, datĂ© 1975 par lâauteur. Avant dâĂȘtre connu en espagnol, il le fut en anglais, sous le titre Evita Lives, traduit par E. A. Lacey et inclus dans My Deep Dark Pain Is Love (choix de textes de Winston Leyland. Gay Sunshine Press, San Francisco, 1983). Ensuite, il fut publiĂ© en SuĂšde comme Evita vive, dans Salto mortal ng 8-9, JĂ€rfĂ€lla, mai 1985 ; et, enfin, chez Cerdos y Peces no 11, avril 1987, puis dans El Porteño no 88, avril 1989. La publication de cette nouvelle Ă Buenos Aires provoqua une controverse publique, Ă laquelle une note Ă©ditoriale signĂ©e par le conseil de rĂ©daction de la revue El Porteño (Un mes movido) dans le numĂ©ro de mai se voulut ĂȘtre une riposte, Ă cĂŽtĂ© dâune rĂ©plique de RaĂșl Barreiros (Evita botarate los dislates), alors directeur de Radio Provincia de Buenos Aires..
- Rosano, Susana. Rostros y mĂĄscaras de Eva PerĂłn: imaginario populista y representaciĂłn. Beatriz Viterbo Editora, 2006. (ISBN 950-845-189-0), 9789508451897. .
- Trad. Isabelle di Natale, Paris, 10/18 n° 2005, 1989. L'original anglais chez Alfred A. Knopf, New York, 1980. La traduction néerlandaise chez Atlas Amsterdam/Anvers 1995 a été opportunément complétée par la traduction d'un article intitulé The End of John Sunday (John Sunday, c.-à -d. Juan Domingo) et paru originellement dans New York Times Book Review vers 1990. Le tableau que l'auteur y brosse de l'Argentine post-dictature militaire n'est guÚre moins déprimant que dans son essai de 1980.
- Los millones de Evita, Juan Sasturain, Pågina 12, 1er décembre 2005.
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- Il est vrai que Manuelita Rosas, fille de Juan Manuel de Rosas, figurait dĂ©jĂ sur les billets de 20 pesos, toutefois câest de maniĂšre fort discrĂšte, cf. (es) « Ya circula el nuevo billete de 20 pesos », ClarĂn, Buenos Aires,â
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Voir aussi
Bibliographie
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- Felipe Pigna, Evita, Buenos Aires, Planeta, (ISBN 978-950-49-1798-4).
- Felipe Pigna, Evita, jirones de su vida, Buenos Aires, Planeta, (ISBN 978-950-49-2879-9).
Liens externes
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- (en) British Museum
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- VisuotinÄ lietuviĆł enciklopedija
- Musée Casa Natal à Los Toldos
- Fondation Eva PerĂłn
- Musée Evita
- Fondation de recherches historiques Evita Perón (site en anglais ; pages en français et espagnol)
- Site consacrĂ© Ă Eva Duarte de PerĂłn du ministĂšre argentin de l'Ăducation.