AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Eva PerĂłn

MarĂ­a Eva Duarte de PerĂłn [maˈɟia ˈeÎČa ˈðwaÉŸte Ă°e peˈɟon][1], mieux connue sous le nom d’Eva PerĂłn ou d’Evita, nĂ©e le Ă  JunĂ­n ou Los Toldos (province de Buenos Aires)[2] et morte le Ă  Buenos Aires, est une actrice et femme politique argentine. Elle Ă©pousa en 1945 le colonel Juan Domingo PerĂłn, un an avant l’accession de celui-ci Ă  la prĂ©sidence de la rĂ©publique argentine.

Eva PerĂłn
Illustration.
Eva PerĂłn en 1951.
Fonctions
PremiĂšre dame d'Argentine
–
(6 ans, 1 mois et 22 jours)
Président Juan Perón
Prédécesseur Conrada Torni de Farrell
Successeur Mercedes AchĂĄval de Lonardi
Présidente du Parti péroniste féminin
–
(5 ans)
Successeur Delia Parodi
Présidente de la Fondation Eva Perón
–
(4 ans)
Successeur Juan PerĂłn
Biographie
Nom de naissance MarĂ­a Eva Duarte
Date de naissance
Lieu de naissance Los Toldos, province de Buenos Aires, Argentine
Date de décÚs
Lieu de décÚs Buenos Aires, Argentine
SĂ©pulture CimetiĂšre de Recoleta, Buenos Aires
Nationalité Drapeau de l'Argentine Argentine
Parti politique Parti péroniste féminin, Parti justicialiste
Conjoint Juan PerĂłn
Profession Actrice
Religion Catholique romaine

Signature de Eva PerĂłn

D’origine modeste, elle alla Ă  l’ñge de quinze ans s’établir Ă  Buenos Aires, oĂč elle s’initia au mĂ©tier de comĂ©dienne et acquit un certain renom au thĂ©Ăątre, Ă  la radio et au cinĂ©ma. En 1943, elle fut l’un des fondateurs de l’AsociaciĂłn Radial Argentina (ARA, syndicat des travailleurs de la radiodiffusion), dont elle fut Ă©lue prĂ©sidente l’annĂ©e d’aprĂšs. En 1944, lors d’une reprĂ©sentation donnĂ©e au bĂ©nĂ©fice des victimes du tremblement de terre de San Juan de , elle fit la rencontre de Juan PerĂłn, alors secrĂ©taire d’État du gouvernement de facto issu du coup d’État de 1943, et l’épousa en octobre de l’annĂ©e suivante. Elle eut ensuite une part active dans la campagne Ă©lectorale de son mari en 1946, Ă©tant la premiĂšre femme argentine Ă  jouer un tel rĂŽle.

Elle Ɠuvra en faveur du droit de vote pour les femmes et en obtint l’adoption juridique en 1947. Cette Ă©galitĂ© politique entre hommes et femmes rĂ©alisĂ©e, elle lutta ensuite pour l’égalitĂ© juridique des conjoints et pour la patria potestas partagĂ©e (c'est-Ă -dire l’égalitĂ© en droit matrimonial), ce qui fut mis en Ɠuvre par l’article 39 de la constitution de 1949. En 1949 encore, elle fonda le Parti pĂ©roniste fĂ©minin, qu'elle prĂ©sida jusqu'Ă  sa mort. Elle dĂ©ploya une ample activitĂ© sociale, au travers notamment de la Fondation Eva PerĂłn, qui visait Ă  soulager les descamisados (les sans-chemise), c'est-Ă -dire les plus dĂ©munis de la sociĂ©tĂ©. La Fondation fit ainsi construire des hĂŽpitaux, des asiles et des Ă©coles, favorisa le tourisme social en crĂ©ant des colonies de vacances, diffusa la pratique du sport parmi tous les enfants par l'organisation de championnats accueillant la population tout entiĂšre, accorda des bourses d’études et des aides au logement et s’efforça d’amĂ©liorer le statut de la femme sur diffĂ©rents plans.

Elle joua un rĂŽle actif dans les luttes pour les droits sociaux et pour les droits des travailleurs et fit office de passerelle directe entre le prĂ©sident PerĂłn et le monde syndical. En 1951, en vue de la premiĂšre Ă©lection prĂ©sidentielle au suffrage universel, le mouvement ouvrier proposa qu’Evita, comme l'appelait la population, posĂąt sa candidature Ă  la vice-prĂ©sidence ; cependant, elle dut y renoncer le , date connue depuis comme Jour du renoncement, en raison de sa santĂ© dĂ©clinante, mais aussi sous la pression des oppositions internes dans la sociĂ©tĂ© argentine, ou encore au sein du pĂ©ronisme lui-mĂȘme, devant l’éventualitĂ© qu’une femme appuyĂ©e par le syndicalisme pĂ»t se hisser Ă  la vice-prĂ©sidence.

Elle dĂ©cĂ©da le des suites d’un cancer fulgurant du col de l'utĂ©rus, Ă  l’ñge de 33 ans. Il lui fut alors rendu un hommage, tant officiel ‒ sa dĂ©pouille fut veillĂ©e dans l’édifice du CongrĂšs ‒ que populaire, d’une ampleur sans prĂ©cĂ©dent en Argentine. Son corps fut embaumĂ© et dĂ©posĂ© au siĂšge de la centrale syndicale CGT. À l’avĂšnement de la dictature civico-militaire dite RĂ©volution libĂ©ratrice en 1955, son cadavre fut enlevĂ©, sĂ©questrĂ© et profanĂ©, puis dissimulĂ© durant seize ans.

Elle Ă©crivit deux ouvrages, La razĂłn de mi vida (La Raison de ma vie) en 1951 et Mi mensaje (Mon message) publiĂ© en 1952 et fut plusieurs fois honorĂ©e officiellement, notamment par le titre de Jefa Espiritual de la NaciĂłn, par la distinction de Mujer del Bicentenario (Femme du bicentenaire de l’Argentine), par la Gran Cruz de Honor de la Croix rouge argentine, par la DistinciĂłn del Reconocimiento de Primera CategorĂ­a de la CGT, par la Gran Medalla a la Lealtad Peronista en Grado Extraordinario et par le collier de l’ordre du LibĂ©rateur San MartĂ­n, la plus haute distinction argentine. Son destin a inspirĂ© nombre d’Ɠuvres cinĂ©matographiques, musicales, thĂ©Ăątrales et littĂ©raires. Cristina Alvarez Rodriguez, petite-niĂšce d’Evita, affirme qu’Eva PerĂłn n’a jamais quittĂ© la conscience collective des Argentins[3], et Cristina FernĂĄndez de Kirchner, premiĂšre femme Ă  ĂȘtre Ă©lue prĂ©sidente de la RĂ©publique argentine, dĂ©clara que les femmes de sa gĂ©nĂ©ration restaient fortement tributaires d’Evita par « son exemple de passion et de combattivitĂ© »[4].

Biographie

Naissance

Lieux de naissance possibles d’Eva PerĂłn: la ville de JunĂ­n, ou le campement La UniĂłn, 60 km plus au sud, Ă  20 km de Los Toldos.
Acte de baptĂȘme d’Eva MarĂ­a Duarte datĂ© du 21 novembre 1919.

Selon l’acte de naissance no 728 de l’état civil de JunĂ­n (province de Buenos Aires) naquit en cette ville, le , une fille du nom de MarĂ­a Eva Duarte. Cependant, les chercheurs sont unanimes Ă  considĂ©rer que cet acte est un faux fabriquĂ© sur les instances d’Eva PerĂłn elle-mĂȘme en 1945, lorsqu’elle se trouvait Ă  JunĂ­n pour y contracter mariage avec Juan Domingo PerĂłn, alors encore colonel[5].

En 1970, les chercheurs Borroni et Vaca[6] ayant Ă©tabli que l’acte de naissance d’Evita avait Ă©tĂ© falsifiĂ©, il devint nĂ©cessaire de dĂ©terminer ses vĂ©ritables date et lieu de naissance. À cet Ă©gard, le document le plus important Ă©tait l’acte de baptĂȘme d’Eva, consignĂ© dans le feuillet 495 du registre de baptĂȘme du vicariat de Nuestra Señora del Pilar, de 1919, indiquant que le baptĂȘme fut accompli le .

L’on admet aujourd’hui de maniĂšre quasi unanime qu’Evita naquit en rĂ©alitĂ© le , soit trois ans avant la date signalĂ©e par l’état civil, avec le nom d’Eva MarĂ­a Ibarguren. Quant au lieu de naissance, certains historiens ont erronĂ©ment Ă©crit qu’Evita vit le jour dans la petite agglomĂ©ration de Los Toldos, cette erreur s’expliquant par le fait que peu d’annĂ©es aprĂšs la naissance d’Eva la famille alla s’installer dans ce village, dans une maison sise Calle Francia (actuelle Calle Eva PerĂłn) et amĂ©nagĂ©e entre-temps en musĂ©e, le Museo Municipal Solar Natal de MarĂ­a Eva Duarte de PerĂłn[7].

Concernant le lieu de naissance, deux thÚses ont été retenues par les historiens :

  • Naissance sur le domaine La UniĂłn situĂ© en face des toldos (toldo = grande tente d’Indiens) de Coliqueo.

Quelques historiens soutiennent qu’Eva PerĂłn naquit dans le domaine agricole La UniĂłn[8], sur le territoire de Los Toldos, exactement en face du campement (tolderĂ­a) de Coliqueo, lequel campement fut Ă  l’origine de ce foyer de peuplement, dans la zone connue pour cette raison sous le nom de La Tribu. L’endroit se situe Ă  une vingtaine de km du village de Los Toldos et Ă  60 km au sud de la ville de JunĂ­n. Le domaine Ă©tait la propriĂ©tĂ© de Juan Duarte et hĂ©bergeait la famille d’Eva au moins depuis 1908 et jusqu’à 1926. Les historiens Borroni et Vacca, Ă  l’origine de cette hypothĂšse, arguĂšrent que la sage-femme mapuche Juana Rawson de Guayquil assista la mĂšre d’Eva lors de l’accouchement, comme elle l’avait pareillement fait avec ses autres enfants.

  • Naissance dans la ville de JunĂ­n.

Cette hypothĂšse est dĂ©fendue par d’autres historiens, sur la foi de diffĂ©rents tĂ©moignages. Selon eux, Evita naquit Ă  JunĂ­n, aprĂšs que sa mĂšre dut, en raison de problĂšmes liĂ©s Ă  sa grossesse, dĂ©mĂ©nager vers la ville de JunĂ­n pour y recevoir de meilleurs soins. À l’époque de la naissance d’Evita, il Ă©tait d’usage que les femmes qui se trouvaient dans l’aire d’influence de JunĂ­n et Ă©prouvaient des problĂšmes lors de leur grossesse se dĂ©placent vers cette ville en vue d’une meilleure prise en charge mĂ©dicale, et il en est encore souvent de mĂȘme Ă  l’heure actuelle. Selon cette hypothĂšse, soutenue principalement par les historiens de JunĂ­n Roberto Dimarco et HĂ©ctor Daniel Vargas, et par les tĂ©moins qu’ils citent, Eva serait nĂ©e dans un logement sis au no 82 de l’actuelle rue Calle Remedios Escalada de San MartĂ­n (pour lors nommĂ©e Calle JosĂ© C. Paz), et une obstĂ©tricienne universitaire du nom de Rosa Stuani aurait aidĂ© Ă  l’accouchement. Peu aprĂšs, la famille se serait installĂ©e dans un logement situĂ© au no 70 de la Calle Lebensohn (appelĂ©e Ă  l’origine Calle San MartĂ­n), jusqu’à ce que la mĂšre se fĂ»t entiĂšrement rĂ©tablie.

La famille

Evita (Ă  droite) Ă  l’ñge de deux ans, avec ses frĂšres, fĂȘtant le carnaval (1921).

Eva Ă©tait la fille de Juan Duarte et de Juana Ibarguren, et Ă©tait inscrite Ă  l’état civil sous le nom d’Eva MarĂ­a Ibarguren (Ă©tat civil modifiĂ©, comme indiquĂ© supra, avant son mariage avec Juan PerĂłn, par substitution de Duarte Ă  son patronyme et par inversion de l’ordre de ses deux prĂ©noms).

Juan Duarte (1858 ‒ 1926), surnommĂ© El Vasco (le Basque) dans le voisinage, Ă©tait un propriĂ©taire agricole et une importante personnalitĂ© politique du parti conservateur de Chivilcoy, ville proche de Los Toldos. Certains historiens ont Ă©mis l’hypothĂšse que Juan Duarte ait pu avoir un ascendant français se nommant D'Huarte, Uhart ou Douart, encore que Duarte soit un patronyme parfaitement espagnol. Dans la premiĂšre dĂ©cennie du XXe siĂšcle, Juan Duarte fut l’un de ceux qui bĂ©nĂ©ficiĂšrent des manƓuvres frauduleuses que commença Ă  exĂ©cuter le gouvernement Ă  l’effet de spolier de ses terres de Los Toldos la communautĂ© mapuche de Coliqueo, et Ă  la faveur desquelles il s’appropria le domaine oĂč naquit Eva.

Juana Ibarguren (1894 ‒ 1971) Ă©tait la fille de l’ouvriĂšre agricole crĂ©ole Petrona NĂșñez et du roulier JoaquĂ­n Ibarguren. Apparemment, elle entretenait peu de rapports avec le village, distant de 20 km, raison pour laquelle l’on sait peu d’elle, hormis que par la proximitĂ© de son domicile avec la tolderĂ­a de Coliqueo elle avait d’étroits contacts avec la communautĂ© mapuche de Los Toldos, Ă  telle enseigne qu’elle fut assistĂ©e lors de l’accouchement de chacun de ses enfants par une sage-femme indienne du nom de Juana Rawson de Guayquil.

Juan Duarte, le pĂšre d’Eva, entretenait deux familles, une lĂ©gitime Ă  Chivilcoy avec son Ă©pouse lĂ©gale Adela DÂŽHuart (‒ 1919) et ses six enfants : Adelina, Catalina, Pedro, Magdalena, EloĂ­sa et Susana ; et une autre illĂ©gitime, Ă  Los Toldos, avec Juana Ibarguren. Il s’agissait, dans les campagnes d’avant les annĂ©es 1940, d’une coutume gĂ©nĂ©ralisĂ©e chez les hommes de la classe supĂ©rieure, et qui se maintient encore dans certaines zones rurales en Argentine. Le couple eut ensemble cinq enfants :

  • Blanca (1908 ‒ 2005) ;
  • Elisa (1910 ‒ 1967) ;
  • Juan RamĂłn (1914 ‒ 1953) ;
  • Erminda LujĂĄn (1916 ‒ 2012) ;
  • Eva MarĂ­a (1919 ‒ 1952).

Eva vĂ©cut Ă  la campagne jusqu’à 1926, date Ă  laquelle, par suite du dĂ©cĂšs de son pĂšre, la famille se retrouva subitement sans aucune protection et fut obligĂ©e de quitter le domaine oĂč elle vivait. Ces circonstances de son enfance et les discriminations qui s’ensuivirent, habituelles dans les premiĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle, laissĂšrent une marque profonde dans l'esprit d'Eva.

À cette Ă©poque en effet, la loi argentine prĂ©voyait une sĂ©rie de qualifications stigmatisantes pour les personnes, nommĂ©es gĂ©nĂ©riquement « enfants illĂ©gitimes », dont les parents n’avaient pas contractĂ© un mariage lĂ©gal. Une de ces qualifications Ă©tait « enfant adultĂ©rin », mention que l’on consignait dans l’acte de naissance des enfants concernĂ©s. C’était le cas Ă©galement d’Evita, qui obtint toutefois en 1945 que son acte de naissance original fĂ»t dĂ©truit afin d’éliminer cette tache infamante[9]. Une fois arrivĂ©s au pouvoir en Argentine, le mouvement pĂ©roniste en gĂ©nĂ©ral et Eva PerĂłn en particulier voulurent faire adopter des lĂ©gislations antidiscriminatoires avancĂ©es, propres Ă  instaurer l’égalitĂ© entre hommes et femmes et entre tous les enfants, sans considĂ©ration de la nature des relations entre leurs parents, projets qui furent fortement contrecarrĂ©s par l’opposition politique, par l’église catholique et par les forces armĂ©es. Finalement, en 1954, deux ans aprĂšs la mort d’Eva PerĂłn, le pĂ©ronisme parvint Ă  faire voter une loi portant suppression des dĂ©signations officielles les plus infamantes ‒ enfant adultĂ©rin, enfant sacrilĂšge, mĂĄncer (enfant de femme publique), enfant naturel, etc. ‒, tout en maintenant toutefois la distinction entre enfant lĂ©gitime et illĂ©gitime[10]. Juan PerĂłn lui-mĂȘme, qu’Evita devait plus tard Ă©pouser, avait Ă©tĂ© enregistrĂ© Ă  l'Ă©tat civil au titre d’« enfant illĂ©gitime ».

Les annĂ©es d’enfance Ă  Los Toldos

Maison d’Eva Duarte dans la localitĂ© de Los Toldos, oĂč elle passa son enfance. La maison a Ă©tĂ© amĂ©nagĂ©e en un musĂ©e[11].

Le , son pĂšre pĂ©rit dans un accident d’automobile Ă  Chivilcoy. Toute la famille d'Eva se rendit alors dans cette ville pour assister Ă  la veillĂ©e funĂšbre, mais la famille lĂ©gitime lui interdit l’entrĂ©e au milieu d’un grand esclandre. GrĂące Ă  la mĂ©diation d’un frĂšre du pĂšre, homme politique lui aussi, qui Ă©tait alors adjoint Ă  la municipalitĂ© de Chivilcoy, la famille d’Eva put accompagner le cortĂšge jusqu’au cimetiĂšre et assister Ă  l’enterrement.

Pour Evita, ĂągĂ©e alors de six ans, l’incident eut une profonde signification Ă©motionnelle et fut vĂ©cu comme un comble d’injustice, mĂȘme si Eva n’avait eu que peu de contacts avec son pĂšre. Cette sĂ©quence d’évĂ©nements occupe une place importante dans la comĂ©die musicale Evita d’Andrew Lloyd Webber, ainsi que dans le film rĂ©alisĂ© Ă  partir de celle-ci.

Elle-mĂȘme y fera allusion dans son ouvrage la RazĂłn de mi vida :

« Pour expliquer ma vie d’aujourd’hui, c'est-Ă -dire ce que je fais, en accord avec ce que mon Ăąme ressent, je dois aller chercher dans mes premiĂšres annĂ©es, les premiers sentiments
 J’ai trouvĂ© dans mon cƓur un sentiment fondamental, qui domine depuis lors, de maniĂšre totale, mon esprit et ma vie : ce sentiment est mon indignation face Ă  l’injustice. Aussi loin que je me souvienne, chaque injustice me fait mal Ă  l’ñme comme si l’on y enfonçait un clou. De chaque Ăąge je garde le souvenir de quelque injustice qui me souleva en me dĂ©chirant le cƓur[12]. »

PremiĂšre communion d’Eva, ĂągĂ©e de 7 ans (1926).

AprĂšs la mort de Juan Duarte, la famille d’Eva resta totalement sans ressources et Juana Ibarguren dut dĂ©mĂ©nager avec ses enfants Ă  Los Toldos, et emmĂ©nager dans la maisonnette de deux piĂšces situĂ©e Calle Francia no 1021, en bordure du village, oĂč elle se mit Ă  travailler comme couturiĂšre pour entretenir ses enfants. Ceux-ci, toujours bien vĂȘtus et jamais privĂ©s de nourriture, reçurent une Ă©ducation trĂšs stricte, en accord avec les sentiments d’orgueil de doña Juana, qui Ă©tait d’autre part trĂšs religieuse et pratiquante[13], ne tolĂ©rait pas la moindre forme de relĂąchement et apprenait Ă  ses enfants comment bien se tenir et Ă  s’occuper d’eux-mĂȘmes. Elle avait coutume de prĂ©senter leur pauvretĂ© comme une iniquitĂ© qu’ils ne mĂ©ritaient pas[14].

Los Toldos, de toldo, grande tente d’Indien, doit son nom au fait qu’il fut un campement mapuche, c'est-Ă -dire un village indigĂšne. Plus exactement, la communautĂ© mapuche de Coliqueo s’y Ă©tait installĂ©e Ă  la suite de la bataille de PavĂłn de 1861, par dĂ©cision du lĂ©gendaire lonco (chef indien) et colonel de l’armĂ©e argentine Ignacio Coliqueo (1786-1871)[15], lequel Ă©tait arrivĂ© en Argentine depuis le sud du Chili. Entre 1905 et 1936, l’on se servit Ă  Los Toldos d’un ensemble d’arguties lĂ©gales pour Ă©carter le peuple mapuche de la propriĂ©tĂ© terrienne. Peu Ă  peu, les indigĂšnes furent supplantĂ©s comme propriĂ©taires par des fermiers non indigĂšnes. Juan Duarte, le pĂšre d’Eva, fut l’un de ceux-lĂ , ce qui explique pourquoi le domaine agricole oĂč naquit Eva se trouvait prĂ©cisĂ©ment en face du campement (tolderĂ­a) de Coliqueo.

Durant l’enfance d’Evita (1919-1930), Los Toldos Ă©tait une petite localitĂ© rurale pampĂ©enne vouĂ©e Ă  l’activitĂ© agraire et d’élevage, plus spĂ©cifiquement Ă  la culture des cĂ©rĂ©ales et du maĂŻs et Ă  l'Ă©levage de bĂȘtes Ă  cornes. La structure sociale Ă©tait dominĂ©e par le fermier propriĂ©taire (estanciero), dĂ©tenteur de grandes Ă©tendues de terre, qui entretenait des rapports de type servile avec les ouvriers agricoles et avec ses mĂ©tayers. Le type le plus courant de travailleur dans cette zone Ă©tait le gaucho.

La mort du pĂšre avait fortement dĂ©tĂ©riorĂ© la situation Ă©conomique de la famille. L’annĂ©e suivante, Eva entra Ă  l’école primaire, dont elle suivit les cours avec difficultĂ©, devant redoubler une annĂ©e en 1929, quand elle avait 10 ans. Ses sƓurs ont relatĂ© que, dĂšs cette Ă©poque, Eva manifestait du goĂ»t pour la dĂ©clamation dramatique et faisait montre de talents de jongleuse. La forme de son visage lui valut le surnom de Chola (mĂ©tisse d’EuropĂ©en et d’Indien), par lequel tous Ă  Los Toldos l’appelaient, de mĂȘme que celui de Negrita (nĂ©grillonne), qu’elle devait garder toute sa vie[16].

Adolescence Ă  JunĂ­n

Maison au no 86 de la rue Roque VĂĄzquez Ă  JunĂ­n, oĂč Eva habita au dĂ©but des annĂ©es 1930.

En 1930, alors qu’Eva avait 11 ans, Juana, sa mĂšre, dĂ©cida de dĂ©mĂ©nager avec sa famille pour la ville de JunĂ­n. Le motif de ce dĂ©mĂ©nagement Ă©tait le changement d’affectation de la fille aĂźnĂ©e Elisa, qui fut mutĂ©e de la poste de Los Toldos Ă  celle de JunĂ­n, Ă  une trentaine de km de distance[14]. LĂ , la famille Duarte commença Ă  connaĂźtre une certaine aisance grĂące au travail de Juana et de ses enfants Elisa, Blanca et Juan. Erminda fut inscrite au CollĂšge national (Colegio Nacional) et Evita Ă  l’école no 1 Catalina Larralt de Estrugamou, dont elle devait sortir en 1934, Ă  l’ñge de 15 ans, dotĂ©e de son certificat d’études primaires complĂštes.

La premiĂšre maison oĂč ils emmĂ©nagĂšrent, au no 86 de la Calle Roque VĂĄzquez, subsiste toujours. À mesure que la situation Ă©conomique de la famille s’amĂ©liorait grĂące aux revenus des enfants devenus majeurs, surtout du frĂšre Juan, vendeur pour le compte de l’entreprise d’articles de toilette Guereño, et bientĂŽt de la sƓur Blanca, qui rĂ©ussit Ă  son examen d’institutrice[13], les Duarte dĂ©mĂ©nagĂšrent d’abord (en 1932) pour une maison plus grande au no 200 de la rue Lavalle, oĂč Juana mit sur pied un Ă©tablissement de restauration servant des petits dĂ©jeuners, puis changĂšrent encore de domicile (en 1933) pour le no 90 de la Calle Winter, et finalement (en 1934) pour le no 171 de la rue Arias[17]. Il a Ă©tĂ© insinuĂ©[18] qu’il y avait dans la maison de Juana Duarte, de la part de la mĂšre et de ses filles, beaucoup de libertinage et de petites intimitĂ©s pour la plus grande joie de la clientĂšle masculine ; cependant, les hĂŽtes de l’établissement Ă©taient tous des cĂ©libataires des plus respectables : JosĂ© Álvarez RodrĂ­guez, directeur du CollĂšge national, son frĂšre Justo, avocat, futur juge Ă  la Cour suprĂȘme, qui devait Ă©pouser l’une des sƓurs d’Eva, et le major Alfredo Arrieta, futur sĂ©nateur, qui commandait alors la division cantonnĂ©e dans la ville, et qui Ă©pousera lui aussi l’une des sƓurs d’Eva[19]. En 2006, la municipalitĂ© de JunĂ­n crĂ©a, dans la maison de la Calle Francia (actuelle Calle Eva PerĂłn), le musĂ©e Casa Natal MarĂ­a Eva Duarte de PerĂłn.

C’est Ă  JunĂ­n que la vocation artistique d’Eva se fit jour. À l’école, oĂč elle eut quelque difficultĂ© Ă  suivre, elle se distingua par une passion affirmĂ©e pour la dĂ©clamation et la comĂ©die, et ne manquait de participer aux spectacles organisĂ©s Ă  l’école, au CollĂšge national ou au cinĂ©ma du village, et Ă  des auditions radiophoniques.

Son amie et camarade de collĂšge DĂ©lfida NoemĂ­ RuĂ­z de Gentile se souvient :

« Eva aimait rĂ©citer, moi, j’aimais chanter. À cette Ă©poque, don Primo Arini avait un magasin de disques et, comme il n’y avait pas de radio au village, il plaçait un haut-parleur devant la porte de son magasin. Une fois par semaine, de 19 Ă  20 heures, il invitait les valeurs locales Ă  dĂ©filer chez lui pour animer l’émission La hora selecta. Eva rĂ©citait alors des poĂšmes[20]. »

École no 1 Catalina Larralt de Estrugamou Ă  JunĂ­n, oĂč Eva acheva ses Ă©tudes primaires en 1934.

C’est Ă  JunĂ­n aussi qu’elle participa pour la premiĂšre fois Ă  une Ɠuvre thĂ©Ăątrale, montĂ©e par les Ă©lĂšves et intitulĂ©e Arriba estudiantes (Haut les Ă©tudiants). Elle jouera ensuite dans une autre petite Ɠuvre de thĂ©Ăątre, Cortocircuito (Court-circuit), destinĂ©e Ă  rĂ©colter des fonds pour une bibliothĂšque scolaire. À JunĂ­n, pour la premiĂšre fois, Eva utilisa un microphone et Ă©couta sa voix sortant de haut-parleurs.

À cette mĂȘme Ă©poque, Eva manifesta Ă©galement des prĂ©dispositions de meneuse, s’érigeant en chef de l’un des groupes de son annĂ©e scolaire. Le , jour du dĂ©cĂšs de l’ancien prĂ©sident HipĂłlito Yrigoyen, renversĂ© trois annĂ©es auparavant par un coup d’État, Eva vint Ă  l’école portant une cocarde noire sur son cache-poussiĂšre[21].

Photo de classe du « 5e degré », dont fait partie Eva Duarte, Junín 1933. Eva est assise à gauche.

À ce moment-lĂ  dĂ©jĂ , Eva rĂȘvait de devenir actrice et d’émigrer Ă  Buenos Aires. Sa maĂźtresse Palmira Repetti se souvient :

« Une toute jeune fille de 14 ans, inquiĂšte, rĂ©solue, intelligente, que j’eus pour Ă©lĂšve lĂ -bas vers 1933. Elle n’aimait pas les mathĂ©matiques. Mais il n’y avait personne de meilleur qu’elle quand il s’agissait d’intervenir dans les fĂȘtes du collĂšge. Elle passait pour une excellente camarade. Elle Ă©tait une grande rĂȘveuse. Elle avait l’intuition artistique. Quand elle eut terminĂ© l’école, elle vint me raconter ses projets. Elle me dit qu’elle voulait devenir actrice et qu’il lui faudrait quitter JunĂ­n. À cette Ă©poque-lĂ , il n’était pas trĂšs commun qu’une gamine de province dĂ©cidĂąt de s’en aller conquĂ©rir la capitale. NĂ©anmoins, je la pris trĂšs au sĂ©rieux, pensant que tout irait bien pour elle. Ma certitude me venait, sans nul doute, par contagion de son enthousiasme. Je compris avec les annĂ©es que l’assurance d’Eva Ă©tait naturelle. Elle Ă©manait de chacun de ses actes. Je me souviens qu’elle avait un penchant pour la littĂ©rature et la dĂ©clamation. Elle s’échappait de ma classe chaque fois que l’occasion se prĂ©sentait d’aller rĂ©citer devant les Ă©lĂšves des autres classes. Avec ses maniĂšres affables, elle entrait dans les bonnes grĂąces de ses maĂźtresses et obtenait la permission de jouer devant d’autres gosses[20]. »

Selon l’historienne LucĂ­a GĂĄlvez, Evita et une de ses amies auraient subi en 1934 une agression sexuelle de la part de deux jeunes gens de la bonne sociĂ©tĂ© qui les avaient invitĂ©es Ă  voyager Ă  Mar del Plata dans leur voiture. GĂĄlvez affirme qu’aprĂšs ĂȘtre sortis de JunĂ­n, ils tentĂšrent de les violer, sans y parvenir, puis les abandonnĂšrent dĂ©vĂȘtues Ă  peu de distance de la ville. Un chauffeur routier les ramena Ă  leurs domiciles. Il est probable que cet incident, si on l’admet comme vĂ©ridique, aura eu une grande influence dans sa vie[22] - [23].

Cette mĂȘme annĂ©e, avant mĂȘme d’avoir achevĂ© ses Ă©tudes primaires, Eva fit le voyage de Buenos Aires, mais, n’ayant pas trouvĂ© de travail, dut s’en retourner. Elle termina alors ses Ă©tudes primaires, passa en famille les fĂȘtes de fin d’annĂ©e, puis, le , Evita, ĂągĂ©e de 15 ans seulement, alla s’installer dĂ©finitivement Ă  Buenos Aires.

Dans un passage de la RazĂłn de mi vida, Eva relate quels Ă©taient Ă  ce moment-lĂ  ses sentiments :

« Dans le lieu oĂč je passai mon enfance, les pauvres Ă©taient nombreux, plus nombreux que les riches, mais je m’efforçai de me convaincre qu’il devait y avoir d’autres endroits dans mon pays et dans le monde oĂč les choses se passaient diffĂ©remment, voire de façon inverse. Je me figurais par exemple que les grandes villes Ă©taient des endroits merveilleux oĂč ne se rencontrait que la richesse ; et tout ce que j’entendais les gens dire confirmait cette mienne croyance. Ils parlaient de la grande ville comme d’un paradis merveilleux oĂč tout Ă©tait beau et extraordinaire et mĂȘme il me sembla comprendre, de tout ce qu’ils disaient, que les personnes Ă©taient lĂ -bas « plus des personnes » que celles de mon village[24]. »

Le film Evita, ainsi que quelques biographies, soutiennent qu’Eva Duarte voyagea en train pour Buenos Aires en compagnie du cĂ©lĂšbre chanteur de tango AgustĂ­n Magaldi, aprĂšs que celui-ci eut effectuĂ© un tour de chant Ă  JunĂ­n. Cependant, les biographes d’Eva, Marysa Navarro et Nicholas Fraser, ont soulignĂ© qu’il n’existe aucune indication de ce que Magaldi eĂ»t chantĂ© Ă  JunĂ­n en 1934, et sa sƓur raconte qu’Eva partit Ă  Buenos Aires accompagnĂ©e de sa mĂšre, qui resta ensuite avec elle jusqu’à ce qu’elle eĂ»t trouvĂ© une station de radio ayant un rĂŽle Ă  pourvoir pour une jeune adolescente. Elle logea alors chez des amis, tandis que sa mĂšre rentrait courroucĂ©e Ă  JunĂ­n[25].

Arrivée à Buenos Aires et carriÚre de comédienne

Eva Duarte à 15 ans, tout juste débarquée à Buenos Aires.
Premiùre photographie de presse d’Eva Duarte, parue dans le journal La Capital de Rosario, le 26 juillet 1936.

Eva Duarte, ĂągĂ©e de 15 ans lorsqu’elle arriva Ă  Buenos Aires le , Ă©tait alors encore une adolescente. Son voyage s’inscrivait dans la grande vague migratoire intĂ©rieure provoquĂ©e par la crise Ă©conomique de 1929 et le processus d’industrialisation de l’Argentine. Ce puissant mouvement migratoire, fait marquant de l’histoire de l’Argentine, avait pour protagonistes les dĂ©nommĂ©es cabecitas negras (tĂȘtes noires), terme dĂ©prĂ©ciatif et raciste utilisĂ© par les classes moyenne et supĂ©rieure de Buenos Aires pour dĂ©signer ces migrants non europĂ©ens, diffĂ©rents de ceux qui avaient jusqu’alors dĂ©terminĂ© l’immigration en Argentine. Cette grande migration intĂ©rieure des dĂ©cennies 1930 et 1940 fournit la main-d’Ɠuvre dont avait besoin le dĂ©veloppement industriel du pays et qui devait Ă  partir de 1943 former la base sociale du pĂ©ronisme.

Peu aprĂšs son arrivĂ©e, Eva Duarte dĂ©crocha un emploi d’actrice, pour un rĂŽle secondaire, au sein de la troupe de thĂ©Ăątre d’Eva Franco, l’une des plus importantes de cette Ă©poque. Le , elle fit ses dĂ©buts professionnels dans la piĂšce La señora de los PĂ©rez au Teatro Comedias. Le lendemain figurait dans le journal CrĂ­tica le premier commentaire public connu sur Evita :

« Eva Duarte, fort correcte dans ses brÚves interventions[26]. »

Dans les annĂ©es suivantes, Eva connaĂźtra un parcours de privations et d’humiliations, se logeant dans des pensions bon marchĂ© et jouant de façon intermittente de petits rĂŽles pour diverses troupes thĂ©Ăątrales. Sa principale compagnie Ă  Buenos Aires fut son frĂšre Juan Duarte, Juancito (Jeannot), de cinq ans son aĂźnĂ©, l’homme de la famille, avec qui elle garda toujours des rapports Ă©troits et qui avait comme elle, peu auparavant, migrĂ© vers la capitale.

En 1939, photographie d’Annemarie Heinrich.

En 1936, alors qu’elle allait avoir dix-sept ans, elle signa un contrat avec la Compañía Argentina de Comedias CĂłmicas, dirigĂ©e par Pepita Muñoz, JosĂ© Franco et Eloy AlvĂĄrez, en vue de participer Ă  une tournĂ©e de quatre mois qui devait la conduire Ă  Rosario, Mendoza et CĂłrdoba. Les piĂšces qui figuraient au rĂ©pertoire de la compagnie Ă©taient de pur divertissement et prenaient pour sujet la vie bourgeoise avec ses malentendus et ses divers conflits et frictions. Une des piĂšces jouĂ©es, intitulĂ©e le Baiser mortel, adaptation libre d’une Ɠuvre du dramaturge français LoĂŻc Le Gouradiec, traitait du flĂ©au des maladies vĂ©nĂ©riennes et Ă©tait subsidiĂ©e par la SociĂ©tĂ© prophylactique d’Argentine[14]. Pendant cette tournĂ©e, Eva fut briĂšvement mentionnĂ©e dans une chronique du quotidien La Capital de Rosario du , laquelle commentait la premiĂšre de la piĂšce Doña MarĂ­a del Buen Aire de Luis BayĂłn Herrera, comĂ©die ayant pour sujet la premiĂšre fondation de Buenos Aires :

« Oscar Soldatti, Jacinto Aicardi, Alberto Rella, Fina Bustamante et Eva Duarte ont donné une représentation réussie du spectacle[27]. »

Le dimanche , le mĂȘme journal La Capital de Rosario publia la premiĂšre photo publique connue d’Eva, assortie du titre suivant :

« Eva Duarte, jeune actrice qui a rĂ©ussi Ă  se distinguer au cours de la saison qui se termine aujourd’hui Ă  l’OdeĂłn[27]. »

Dans ces premiĂšres annĂ©es de sacrifices, Eva se lia d’une Ă©troite amitiĂ© avec deux autres comĂ©diennes, comme elle obscures encore, Anita JordĂĄn et Josefina Bustamente, amitiĂ© qui dura tout le reste de sa vie[28]. Les gens qui la connurent alors se la rappellent comme une demoiselle brunette, trĂšs maigre et frĂȘle, qui rĂȘvait de devenir une actrice importante, mais possĂ©dait aussi une grande force d’ñme, beaucoup de gaietĂ©, et le sens de l’amitiĂ© et de la justice.

PremiĂšre photo de couverture pour Eva, dans le magazine SintonĂ­a du , avec Alberto Vila.

Pierina Dealessi, actrice et importante productrice de théùtre, qui engagea Eva en 1937, se souvient :

« Je connus Eva Duarte en 1937. Elle se presenta timidement : elle voulait se consacrer au thĂ©Ăątre. Je vis une petite chose tellement dĂ©licate que je dis Ă  JosĂ© GĂłmez, reprĂ©sentant de la troupe dont j’étais la productrice, qu’il lui donnĂąt un rĂŽle dans la distribution. C’était une petite chose tellement Ă©thĂ©rĂ©e, que je lui demandai : Ma petite dame, tu veux vraiment ? Sa rĂ©ponse affirmative Ă©tait dite d’une voix trĂšs basse, timidement. Nous jouions la piĂšce Una boĂźte rusa ; je lui fis faire un essai et elle me parut bonne. Dans ses premiers rĂŽles, elle n’eut que quelques paroles Ă  dire, mais elle ne fit jamais de remplacements. Sur la scĂšne, qui figurait une boĂźte (cabaret), Eva devait apparaĂźtre avec d’autres filles, bien habillĂ©e. Sa figure Ă©tait des plus chĂ©tives. La gamine s’entendait bien avec toutes. Elle prenait du mate avec ses camarades. Elle le prĂ©parait dans ma resserre. Elle habitait dans des pensions, Ă©tait trĂšs pauvre, trĂšs humble. Elle arrivait de bonne heure au thĂ©Ăątre, bavardait avec tous, riait, goĂ»tait des biscuits. Moi, la voyant si fluette, si faible, je lui disais : il faudra te soigner, manger beaucoup, bois beaucoup de mate, cela te fera beaucoup de bien ! Et je lui rajoutais du lait au mate[20]. »

Les acteurs et actrices engagĂ©s pour de petits rĂŽles pouvaient au maximum gagner cent pesos par mois, c'est-Ă -dire le salaire habituel d’un ouvrier d’usine[14]. Peu Ă  peu, Eva parvint Ă  une certaine reconnaissance, d’abord en participant Ă  des films, comme actrice de deuxiĂšme ligne, et ensuite en travaillant parallĂšlement comme mannequin, apparaissant sur la couverture de quelques revues de spectacle, mais c’est surtout en tant que rĂ©citante et actrice dans des dramatiques radiophoniques qu’elle rĂ©ussit enfin Ă  mener une vĂ©ritable carriĂšre. Elle obtint son premier rĂŽle dans une dramatique en . La piĂšce, diffusĂ©e par Radio Belgrano, s’appelait Oro blanco (Or blanc) et avait pour cadre la vie quotidienne des travailleurs du coton dans le Chaco. Elle participa par ailleurs Ă  un concours de beautĂ©, sans succĂšs, et figura comme prĂ©sentatrice d’un concours de tango, oĂč elle annonçait les participants et assurait les transitions entre les prestations des danseurs. Elle vĂ©cut six mois avec un acteur, qui disait vouloir l’épouser, mais qui l’abandonna brusquement[29].

L’éminent acteur Marcos Zucker, compagnon de travail d’Eva, alors que tous deux dĂ©butaient dans le mĂ©tier, se souvient de ces annĂ©es de la façon suivante :

« Je connus Eva Duarte en 1938, au Teatro Liceo, alors que nous travaillions sur la piĂšce La gruta de la Fortuna. La troupe Ă©tait de Pierina Dealessi, et Gregorio Cicarelli, Ernesto Saracino et d’autres y jouaient. Elle avait le mĂȘme Ăąge que moi. C’était une fille dĂ©sireuse de se distinguer, agrĂ©able, sympathique et trĂšs bonne amie avec tout le monde, en particulier avec moi, puisque par aprĂšs, quand elle eut l’occasion de jouer dans une piĂšce radiophonique, Los jazmines del ochenta, elle m’appela pour que je travaille avec elle. Entre l’époque oĂč je la connus au thĂ©Ăątre et le moment oĂč elle faisait de la radio, une transformation s’était produite en elle. Ses angoisses s’étaient calmĂ©es, elle Ă©tait plus sereine, moins tendue. À la radio, elle Ă©tait une petite dame jeune, tĂȘte de compagnie. Ses Ă©missions avaient beaucoup d’audience, marchaient fort bien. Elle commençait dĂ©jĂ  Ă  avoir du succĂšs comme actrice. Contrairement Ă  ce qui se dit par ici, nous autres galants n’avions, Ă  l’intĂ©rieur du thĂ©Ăątre, que peu de frĂ©quentation avec les filles. NĂ©anmoins, j’étais trĂšs ami avec elle et je garde de fort bons souvenirs de cette pĂ©riode de nos vies. Nous Ă©tions tous deux dans la mĂȘme vie, vu que nous dĂ©butions tous les deux et qu’il nous fallait nous faire remarquer, nous frayer un chemin[30]. »

Evita (Ă  gauche) et Libertad Lamarque dans La cabalgata del circo, 1945.

Fin 1938, Ă  19 ans, Eva rĂ©ussit Ă  figurer comme tĂȘte de liste des comĂ©diens de la troupe Compañía de Teatro del Aire rĂ©cemment fondĂ©e, et ce conjointement avec Pascual Pellicciotta, acteur qui comme elle avait travaillĂ© pendant des annĂ©es dans des seconds rĂŽles. La premiĂšre dramatique radiophonique que la troupe mit sur les ondes fut Los jazmines del ochenta, de HĂ©ctor Blomberg, pour le compte de Radio Mitre, diffusĂ©e du lundi au vendredi. C’est vers cette Ă©poque qu’elle commença Ă  acquĂ©rir de la notoriĂ©tĂ©, non en vendant ses charmes comme il a Ă©tĂ© murmurĂ©, mais en consentant Ă  jouer le jeu du vedettariat, battant notamment les antichambres de SintonĂ­a, revue de cinĂ©ma qu’elle avait lue avec aviditĂ© quand elle Ă©tait adolescente, et oĂč elle obtenait que son nom fĂ»t citĂ©, ou qu’un reportage ou une photo d’elle parĂ»t dans ses colonnes[31].

Dans le mĂȘme temps, elle commença Ă  apparaĂźtre plus assidument au cinĂ©ma, dans des films tels que ÂĄSegundos afuera! (1937), El mĂĄs infeliz del pueblo, avec Luis Sandrini, la Carga de los valientes et Una novia en apuros en 1941.

En 1941, la troupe mit sur ondes la piĂšce radiophonique Los amores de Schubert, de Alejandro Casona, pour Radio Prieto.

En 1942, elle sortit dĂ©finitivement de la prĂ©caritĂ© Ă©conomique grĂące au contrat qu’elle signa avec la troupe Compañía Candilejas, placĂ©e sous l’égide de l’entreprise de savonnerie Guerreno oĂč travaillait son frĂšre Juan, laquelle troupe diffuserait tous les matins un cycle de dramatiques pour Radio El Mundo, la principale radio du pays. Cette mĂȘme annĂ©e, Eva fut engagĂ©e pour cinq ans Ă  rĂ©aliser quotidiennement, en soirĂ©e, une sĂ©rie radiophonique dramatico-historique appelĂ©e Grandes mujeres de todos los tiempos (Grandes Femmes de tous les temps), Ă©vocations dramatiques de la vie de femmes illustres, dans laquelle elle joua notamment Élisabeth Ire d'Angleterre, Sarah Bernhardt et Alexandra Fedorovna, derniĂšre tsarine de Russie. Cette sĂ©rie d’émissions, diffusĂ©e par Radio Belgrano, rĂ©colta un grand succĂšs. Le scĂ©nariste de ces Ă©missions, le juriste et historien Francisco JosĂ© Muñoz Azpiri, Ă©tait celui qui devait, quelques annĂ©es plus tard, Ă©crire pour Eva PerĂłn ses premiers discours politiques. Radio Belgrano Ă©tait alors dirigĂ© par Jaime Yankelevich, qui jouera un rĂŽle dĂ©terminant dans la crĂ©ation de la tĂ©lĂ©vision argentine.

Entre thĂ©Ăątre radiophonique et cinĂ©ma, Eva sut finalement se faire une situation Ă©conomique stable et confortable. En 1943, au terme de deux ans de travail au sein de sa propre compagnie d’acteurs, elle gagnait de cinq Ă  six mille pesos par mois, ce qui faisait d’elle l’une des actrices radio les mieux payĂ©es du moment[32]. Elle put donc, en 1942, laisser enfin derriĂšre elle les pensions et faire l’acquisition d’un appartement, situĂ© au no 1567 de la rue Posadas, en face des studios de Radio Belgrano, dans le quartier exclusif de Recoleta, appartement dans lequel, trois ans plus tard, elle se mettra en mĂ©nage avec Juan Domingo PerĂłn. Selon un tĂ©moignage, Eva mettait un point d’honneur, en tant qu’actrice exerçant une fonction dirigeante, Ă  ne pas ĂȘtre aperçue dans les mĂȘmes cafĂ©s que monsieur Tout le monde, dĂ©clarant notamment un jour : « je propose que nous allions Ă  la ConfiterĂ­a au coin de la rue pour prendre le thĂ©, lĂ  oĂč les gens ordinaires ne viennent pas »[33].

Le , Eva se lança Ă©galement dans l’activitĂ© syndicale, et fut l’une des fondatrices de l’Association radiophonique argentine (ARA, AsociaciĂłn Radial Argentina), premier syndicat des travailleurs de la radio.

Le péronisme

Eva Duarte et Juan PerĂłn se rencontrĂšrent en 1944 et se mariĂšrent le 22 octobre 1945.

Eva fit la rencontre de Juan PerĂłn dans les premiers jours de 1944, alors que l’Argentine traversait une pĂ©riode cruciale de transformation Ă©conomique, sociale et politique.

La situation politique et sociale en 1944

Au point de vue Ă©conomique, le pays avait au cours des annĂ©es prĂ©cĂ©dentes totalement changĂ© sa structure productive par suite d’un fort dĂ©veloppement de son industrie. En 1943, la production industrielle avait pour la premiĂšre fois dĂ©passĂ© la production agricole.

Socialement, l’Argentine connut alors une vaste migration intĂ©rieure, de la campagne vers les villes, impulsĂ©e par le dĂ©veloppement industriel. Ce mouvement entraĂźna un vaste processus d’urbanisation et un notable changement dans la composition de la population des grandes villes, en particulier de Buenos Aires, consĂ©cutif Ă  l’irruption d’un nouveau type de travailleurs non europĂ©ens, appelĂ©s dĂ©daigneusement cabecitas negras (tĂȘtes noires) par les classes moyennes et supĂ©rieure, pour avoir la chevelure, le teint et les yeux en moyenne plus sombres que la plupart des immigrĂ©s venant directement d’Europe. La grande migration intĂ©rieure se caractĂ©risait aussi par la prĂ©sence d’un grand nombre de femmes dĂ©sireuses de faire leur entrĂ©e sur le marchĂ© du travail salariĂ© qu’avait fait naĂźtre l’industrialisation.

Sur le plan politique, l’Argentine vivait une crise profonde touchant les partis politiques traditionnels, lesquels avaient validĂ© un systĂšme corrompu ouvertement basĂ© sur la fraude Ă©lectorale et le clientĂ©lisme. Cette pĂ©riode de l’histoire argentine, connue sous l’appellation de DĂ©cennie infĂąme, qui va de 1930 Ă  1943, vit gouverner une alliance conservatrice nommĂ©e la Concordancia. La corruption du pouvoir conservateur en place entraĂźna le le dĂ©clenchement d’un coup d’État militaire, lequel ouvrit une pĂ©riode confuse de rĂ©organisation et de repositionnement des forces politiques. Le lieutenant-colonel Juan Domingo PerĂłn, 47 ans, fera partie de la troisiĂšme configuration du nouveau gouvernement mis en place aprĂšs le coup d’État militaire.

En 1943, peu aprĂšs le dĂ©but du gouvernement militaire, un groupe de syndicalistes majoritairement socialistes et syndicalistes-revolutionnaires, menĂ©s par le dirigeant syndical socialiste Ángel Borlenghi, prit l’initiative d’établir des contacts avec de jeunes officiers rĂ©ceptifs aux revendications des travailleurs. Du cĂŽtĂ© militaire, les colonels Juan PerĂłn et Domingo Mercante prirent la tĂȘte du groupe militaire qui dĂ©cida de conclure une alliance avec les syndicats afin de mettre en Ɠuvre le programme historique portĂ© par le syndicalisme argentin depuis 1890.

Cette alliance militaro-syndicale dirigĂ©e par PerĂłn et Borlenghi sut rĂ©aliser de grandes avancĂ©es sociales (conventions collectives, statut du travailleur agricole, pension de retraite, etc.), s’assurant ainsi un fort appui populaire qui lui permit de s’emparer de positions importantes au sein du gouvernement. Ce fut prĂ©cisĂ©ment PerĂłn qui occupa le premier une fonction gouvernementale, lorsqu’il fut dĂ©signĂ© Ă  la tĂȘte de l’insignifiant dĂ©partement du Travail. Il obtint peu aprĂšs que ledit dĂ©partement fĂ»t Ă©levĂ© au haut rang de secrĂ©tariat d’État.

ParallĂšlement au progrĂšs des droits sociaux et des droits du travail obtenus par le groupe syndicalo-militaire menĂ© par PerĂłn et Borlenghi, et au croissant appui populaire dont bĂ©nĂ©ficiait celui-ci, commença Ă©galement Ă  s’organiser une opposition dirigĂ©e par le patronat, des militaires et des groupements Ă©tudiants traditionnels, avec le soutien ouvert de l’ambassade des États-Unis, et qui jouissait d’un appui grandissant dans les classes moyennes et supĂ©rieure. Cet affrontement sera initialement connu sous le nom de les espadrilles contre les livres.

Rencontre avec Juan Domingo PerĂłn

Evita et PerĂłn en 1950.

Eva, ĂągĂ©e de 24 ans, fit la connaissance de Juan PerĂłn, veuf depuis 1938, le , lors d’un Ă©vĂ©nement organisĂ© dans le stade Luna Park Ă  Buenos Aires par le secrĂ©tariat au Travail et Ă  la PrĂ©voyance, lors duquel les actrices qui avaient collectĂ© la plus grande quantitĂ© de fonds en faveur des victimes du tremblement de terre de San Juan de 1944 allaient se voir dĂ©cerner une dĂ©coration. Les actrices en haut de ce classement se trouvaient ĂȘtre NinĂ­ Marshall, future opposante au pĂ©ronisme, et Libertad Lamarque[34]. Lorsque ces fonds eurent Ă©tĂ© recueillis, Juan PerĂłn demanda Ă  Eva de venir travailler au secrĂ©tariat au Travail. Il voulait y attirer quelqu’un capable d’élaborer une politique du travail Ă  l’intention des femmes et souhaitait que ce fĂ»t une femme qui prĂźt la direction de ce mouvement. Il estimait qu’Eva, par ses qualitĂ©s de dĂ©vouement et d’initiative, prĂ©sentait le profil idoine pour remplir cette tĂąche[35].

Peu aprĂšs, en , Juan PerĂłn et Eva s’étaient mis en mĂ©nage dans l’appartement d'Eva rue Posadas. BientĂŽt, PerĂłn, alors encore colonel, satisfaisant la requĂȘte de sa compagne, demanda au secrĂ©taire Ă  la radiodiffusion, Miguel Federico Villegas, alors capitaine, de lui trouver un rĂŽle dans quelque piĂšce radiophonique[36].

Entre-temps, Eva poursuivit sa carriĂšre artistique. Au sein du nouveau gouvernement, le major Alberto FarĂ­as, patriote inflexible d’origine provinciale, fut chargĂ© de la « communication », sa mission consistant Ă  Ă©purer les Ă©missions et messages publicitaires d’élĂ©ments indĂ©sirables. Toute Ă©mission de radio devait ĂȘtre soumise pour approbation au ministĂšre des Postes et TĂ©lĂ©communications dix jours Ă  l’avance. NĂ©anmoins, grĂące Ă  la protection du colonel Anibal Imbert, chargĂ© de l’attribution des temps d’antenne, Eva PerĂłn put mener Ă  bien, en , son projet d’une sĂ©rie d’émissions intitulĂ©e HĂ©roĂŻnes de l’histoire (retraçant en rĂ©alitĂ© la vie de maĂźtresses cĂ©lĂšbres), dont les textes Ă©taient rĂ©digĂ©s, une fois encore, par Muñoz Azpiri[37]. Elle signa avec Radio Belgrano un nouveau contrat, Ă  hauteur de 35000 pesos, qui Ă©tait, selon ses propres dires, le contrat le plus important de toute l’histoire de la radiodiffusion[38]

Cette mĂȘme annĂ©e, elle fut Ă©lue prĂ©sidente de son syndicat, l’AsociaciĂłn Radial Argentina (ARA)[26]. Peu aprĂšs, elle ajouta Ă  sa programmation sur Radio Belgrano un ensemble de trois nouvelles Ă©missions radio quotidiennes : Hacia un futuro mejor, Ă  10h.30, oĂč elle annonçait les conquĂȘtes sociales et du travail obtenues par le secrĂ©tariat au Travail ; la dramatique Tempestad, Ă  18h.00 ; et Reina de reyes, Ă  20h.30. Elle participa Ă©galement, plus tard dans la soirĂ©e, Ă  des Ă©missions plus politiques, oĂč les idĂ©es de PerĂłn Ă©taient explicitement exposĂ©es, dans la perspective d’éventuelles Ă©lections, et en direction des couches de la population dont il escomptait qu’elles le soutiendraient, qui n’avaient jamais Ă©tĂ© ciblĂ©es par la propagande politique et qui ne lisaient pas la presse. Peu fĂ©rue de politique, Eva ne discutait pas alors de sujets politiques, se contentant d’absorber ce que savait et pensait Juan PerĂłn et se muant en sa plus grande et plus ardente partisane[39].

Elle joua aussi dans trois films, La cabalgata del circo, avec Hugo del Carril et Libertad Lamarque, Amanece sobre las ruinas (Aurore sur les ruines, fin 1944[40]), film de nature propagandiste qui prenait pour dĂ©cor le tremblement de terre de San Juan, et La prĂłdiga, qui ne sortit pas en salle Ă  l’époque de sa rĂ©alisation[41]. Ce dernier film, dont l’action se situe dans l’Espagne du XIXe siĂšcle et relate la liaison entre une femme mĂ»re et belle encore et un jeune ingĂ©nieur occupĂ© Ă  construire un barrage. La femme Ă©tait appelĂ©e la prodigue en raison de sa grande et insouciante libĂ©ralitĂ©, qui la portait Ă  dĂ©penser sa fortune pour venir en aide aux villageois pauvres. Le tournage se faisait lorsqu’Eva PerĂłn pouvait se libĂ©rer de ses autres obligations et se prolongea par consĂ©quent durant de longs mois. Elle affectionnait ce film, qui fut son dernier, Ă  cause de l’esprit d’abnĂ©gation et de la souffrance morale, assez stĂ©rĂ©otypĂ©e, qui y Ă©taient dĂ©peints, quoique sa personne s’accordĂąt difficilement au rĂŽle d’une femme plus ĂągĂ©e. De plus, son jeu manquait de puissance dramatique, sa voix Ă©tait monotone, ses gestes figĂ©s, et son visage restait peu expressif[42]. Du reste, elle confia un jour Ă  son confesseur, le jĂ©suite HernĂĄn BenĂ­tez, que ses performances Ă©taient « mauvaises au cinĂ©ma, mĂ©diocres au thĂ©Ăątre, et passables Ă  la radio »[43].

L’annĂ©e 1945

La cĂ©lĂšbre « foto de las patas », gens pataugeant dans l’eau de la fontaine de la place de Mai le 17 octobre 1945.

L’annĂ©e 1945 fut une annĂ©e charniĂšre pour l’histoire argentine. La confrontation entre les diffĂ©rentes fractions sociales s’exacerba, l’opposition entre espadrilles (alpargatas) et livres (libros) se cristallisant dans une opposition entre pĂ©ronisme et antipĂ©ronisme.

Dans la nuit du eut lieu le coup d’État, hĂątif et mal organisĂ©, du gĂ©nĂ©ral Eduardo Ávalos, qui exigea sur-le-champ, et obtint le lendemain, la dĂ©mission de PerĂłn. L’élĂ©ment dĂ©clencheur du putsch fut une affaire de nomination Ă  une haute fonction de l’État, qui avait Ă©chappĂ© Ă  certain secteur de l’armĂ©e, sur un arriĂšre-plan d’opposition Ă  la politique sociale de Juan PerĂłn, Ă  quoi s’ajoutait l’irritation provoquĂ©e par la vie privĂ©e de celui-ci, spĂ©cifiquement sa vie commune hors mariage avec Eva Duarte, femme d’extraction et d’antĂ©cĂ©dents obscurs. Pendant une semaine, les groupes antipĂ©ronistes eurent certes la maĂźtrise du pays, mais ne se dĂ©cidĂšrent pas Ă  prendre effectivement le pouvoir. PerĂłn et Eva restĂšrent ensemble, se rendant chez diverses personnes, parmi lesquelles Elisa Duarte, la deuxiĂšme sƓur d’Eva. Peu avant le coup d’État, Juan PerĂłn reçut la visite du gĂ©nĂ©ral Ávalos, qui lui conseillait en vain de cĂ©der aux desiderata des militaires ; pendant cette vive discussion, Eva prononça, s’adressant Ă  Juan PerĂłn, les paroles suivantes : « ce qu’il faut que tu fasses, c’est tout laisser tomber, partir Ă  la retraite et prendre du repos
 Qu’ils se dĂ©brouillent tout seuls ». Le , Juan PerĂłn signa sa lettre de dĂ©mission pour les trois fonctions gouvernementales qu’il occupait, en plus d’une demande de mise Ă  disponibilitĂ©. Le mĂȘme jour, l’on fit part Ă  Eva Duarte qu’il avait Ă©tĂ© mis fin Ă  son contrat avec radio Belgrano[44].

Le , PerĂłn fut assignĂ© Ă  rĂ©sidence dans l’appartement de la calle Posadas, puis emmenĂ© en dĂ©tention sur la canonniĂšre Independencia, laquelle mit ensuite le cap sur l’üle MartĂ­n GarcĂ­a, dans le RĂ­o de la Plata.

Ce mĂȘme jour, PerĂłn Ă©crivit une lettre Ă  son ami le colonel Domingo Mercante, dans laquelle il Ă©voque Eva Duarte, la dĂ©signant par Evita :

« Je te recommande fortement Evita, car la pauvrette est Ă  bout de nerfs et je me fais du souci pour sa santĂ©. DĂšs qu’on m’aura donnĂ© mon congĂ©, je me marie et je m’en vais au diable. »

Le , de MartĂ­n GarcĂ­a, PerĂłn Ă©crivit Ă  Eva une lettre dans laquelle il lui confia entre autres :

« 
 Aujourd’hui, j’ai Ă©crit Ă  Farrell pour lui demander d’accĂ©lĂ©rer ma requĂȘte de congĂ©. DĂšs que je serai sorti d’ici, nous nous marierons et partirons vivre tranquilles dans quelque endroit
 Que m’as-tu dit de Farrell et d’Ávalos ? Deux perfides envers leur ami. Ainsi va la vie
 Je te charge de dire Ă  Mercante qu’il parle Ă  Farrell, pour faire en sorte qu’ils me laissent tranquille, et nous autres deux partons vers le Chubut
 Je tĂącherai d’aller Ă  Buenos Aires par n’importe quel moyen, tu peux donc attendre sans inquiĂ©tude et veiller Ă  ta santĂ©. Si le congĂ© est accordĂ©, nous nous marierons le jour suivant et s’il n’est pas accordĂ©, j’arrangerai les choses autrement, mais nous mettrons fin Ă  cette situation d’insĂ©curitĂ© oĂč tu te trouves en ce moment
 Avec ce que j’ai fait, j’ai une justification devant l’Histoire et je sais que le temps me donnera raison. Je commencerai Ă  Ă©crire un livre sur ceci et le publierai dĂšs que possible, et nous verrons alors qui a raison
 »

Il semblait Ă  ce moment que PerĂłn se fĂ»t dĂ©finitivement Ă©loignĂ© de toute activitĂ© politique et que, si les choses se passaient selon sa volontĂ©, il se fĂ»t retirĂ© avec Eva pour s’en aller vivre en Patagonie. Toutefois, Ă  partir du , les syndicats se mirent Ă  se mobiliser pour exiger la remise en libertĂ© de PerĂłn, jusqu’à dĂ©clencher la grande manifestation du 17 octobre, laquelle aboutit Ă  la libĂ©ration de PerĂłn et permit Ă  l’alliance militaro-syndicale de recouvrer tous les postes qu’elle dĂ©tenait auparavant dans le gouvernement, ouvrant ainsi la voie Ă  la victoire Ă  l'Ă©lection prĂ©sidentielle.

L’étude de notaire Ordiales Ă  JunĂ­n, qui fut chargĂ©e de dresser l’acte de mariage civil entre Eva Duarte et Juan Domingo PerĂłn en 1945. L’édifice hĂ©berge Ă  l’heure actuelle le siĂšge du conseil de prud'hommes. La maison de la famille Duarte se trouvait en face.

Le rĂ©cit traditionnel a voulu attribuer Ă  Eva PerĂłn un rĂŽle dĂ©cisif dans la mobilisation des travailleurs qui occupĂšrent la place de Mai le , mais les historiens s’accordent aujourd’hui Ă  dire que son action ‒ si tant est mĂȘme qu’il y en eĂ»t une ‒ lors de ces journĂ©es fut en rĂ©alitĂ© trĂšs limitĂ©e. Tout au plus a-t-elle pu participer Ă  quelques rĂ©unions syndicales, sans grande incidence sur le cours des Ă©vĂ©nements[45]. À ce moment-lĂ  en effet, Eva Duarte manquait encore d’identitĂ© politique, de contacts dans les syndicats et d’un appui solide dans le cercle intime de Juan PerĂłn. Les tĂ©moignages historiques abondent qui indiquent que le mouvement qui libĂ©ra PerĂłn fut dĂ©clenchĂ© directement par les syndicats dans tout le pays, en particulier par la CGT[46]. Le journaliste HĂ©ctor Daniel Vargas a rĂ©vĂ©lĂ© que le , Eva Duarte se trouvait Ă  JunĂ­n, sans doute au domicile de sa mĂšre, et en veut pour preuve un mandat signĂ© par elle dans cette ville le mĂȘme jour. Il semblerait cependant qu’elle ait pu ensuite se rendre Ă  Buenos Aires et s’y trouver le mĂȘme soir encore[47]. Mais haĂŻe autant que PerĂłn lui-mĂȘme, ne se trouvant plus sous la protection de la police, dĂ©criĂ©e dĂ©sormais ouvertement par la presse, chassĂ©e de Radio Belgrano malgrĂ© dix ans de service, elle Ă©tait seule et apeurĂ©e, ne songeant qu’à libĂ©rer Juan PerĂłn et craignant pour la vie de celui-ci[48]. Le , elle se retrouva malencontreusement au milieu d’une manifestation anti-pĂ©roniste, fut brutalisĂ©e et eut le visage tellement tumĂ©fiĂ© qu’elle put rentrer chez elle sans plus ĂȘtre reconnue. Le plus vraisemblable est que, ayant Ă©chouĂ© Ă  faire libĂ©rer Juan PerĂłn par l’entremise d’un juge, elle ait choisi de se tenir coite pour ne pas compromettre les chances d’une libĂ©ration[49].

Le moyen conventionnel d’ĂȘtre libĂ©rĂ© de prison consistait Ă  solliciter un habeas corpus auprĂšs d’un juge fĂ©dĂ©ral : dans la plupart des cas, pourvu qu’il n’y eĂ»t pas encore d’inculpation, le juge pouvait ordonner la mise en libertĂ©, Ă  la condition que l’intĂ©ressĂ© eĂ»t prĂ©alablement manifestĂ©, par voie d’un tĂ©lĂ©gramme envoyĂ© au ministĂšre des Affaires intĂ©rieures, son intention de quitter le pays dans les 24 heures. La procĂ©dure Ă©tait simple et avait du reste Ă©tĂ© utilisĂ©e par maint opposant anti-pĂ©roniste dans les deux annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Eva Duarte se rendit donc Ă  l’office de l’avocat Juan Atilio Bramuglia, qui la fit jeter Ă  la porte. Eva gardera de cet incident une rancune tenace Ă  l’endroit de Bramuglia[50].

Juan PerĂłn cependant put bientĂŽt quitter l’üle MartĂ­n GarcĂ­a en feignant, avec la complicitĂ© du mĂ©decin militaire et sien ami le capitaine Miguel Ángel Mazza, une pleurĂ©sie, ce qui nĂ©cessitait une hospitalisation, c'est-Ă -dire son transfert (tenu secret) Ă  l’hĂŽpital militaire de Buenos Aires. Entre-temps, des grĂšves spontanĂ©es avaient commencĂ© Ă  Ă©clater, aussi bien dans la banlieue de la capitale que dans les provinces. Les ouvriers redoutaient que les acquis sociaux de ces deux derniĂšres annĂ©es, dont ils Ă©taient redevables Ă  Juan PerĂłn, ne fussent anĂ©antis. Le , la CGT dĂ©cida, aprĂšs de longs dĂ©bats, de proclamer la grĂšve gĂ©nĂ©rale pour le .

Par l’entremise du Dr Mazza, Eva put visiter Juan PerĂłn Ă  l’hĂŽpital ; celui-ci lui enjoignit de rester calme et de ne rien entreprendre de dangereux — raison supplĂ©mentaire d’admettre qu’Eva PerĂłn ne joua aucun rĂŽle dĂ©terminant dans les Ă©vĂ©nements du .

Quelques jours plus tard, le , Juan PerĂłn Ă©pousa Eva Ă  JunĂ­n, ainsi qu’il l’avait annoncĂ© dans ses lettres. L’évĂ©nement eut lieu dans l’intimitĂ©, Ă  l’étude de notaire Ordiales, laquelle Ă©tait hĂ©bergĂ©e dans une villa, qui existe encore, sise Ă  l’angle des rues Arias et Quintana, dans le centre de la ville. Le secrĂ©taire utilisĂ© pour dresser l’acte de mariage civil est actuellement exposĂ© au MusĂ©e historique de JunĂ­n. Les tĂ©moins Ă©taient le frĂšre d’Eva, Juan Duarte, et Domingo Mercante, ami de Juan PerĂłn et pĂ©roniste de la premiĂšre heure. À cause d’une tentative d’attentat contre Juan PerĂłn, il fallut surseoir au mariage religieux ; celui-ci fut cĂ©lĂ©brĂ© le dix dĂ©cembre, lors d’une cĂ©rĂ©monie privĂ©e, suivie d’une rĂ©union familiale restreinte, en l’église Saint-François-d’Assise[51] de La Plata, choisie sur recommandation d’un frĂšre franciscain de leurs amis et en raison d’une prĂ©dilection d’Eva pour l’ordre des FrĂšres mineurs. PerĂłn Ă©tait dĂ©jĂ  Ă  ce moment-lĂ  candidat Ă  la prĂ©sidence de la RĂ©publique argentine, pays catholique oĂč il Ă©tait impensable qu’un homme politique vĂ©cĂ»t avec une femme sans ĂȘtre mariĂ© religieusement avec elle.

ParallĂšlement, Eva s’appliqua Ă  faire disparaĂźtre discrĂštement les traces de sa carriĂšre d’actrice, demandant notamment aux stations de radio de lui renvoyer ses photos publicitaires et empĂȘchant la diffusion de son dernier film La prĂłdiga[52].

Parcours politique

Eva PerĂłn exerçant le pouvoir d’une maniĂšre qui apparaissait trĂšs personnelle et sur un mode affectif, il en a Ă©tĂ© abusivement dĂ©duit que son action n’était dĂ©terminĂ©e que par ses propres opinions et par les caractĂ©ristiques psychologiques de sa personnalitĂ© ; en rĂ©alitĂ©, elle Ɠuvrait toujours dans le cadre politique et idĂ©ologique dĂ©fini par Juan PerĂłn[53].

Lors d’un rassemblement le , Juan PerĂłn lui-mĂȘme, Ă©voquant briĂšvement le rĂŽle politique d’Evita au sein du pĂ©ronisme, y distingua trois volets : sa relation avec les syndicats, sa fondation caritative, et son action auprĂšs des femmes argentines[54].

  • Entretenant d’excellents contacts avec les dirigeants syndicaux, elle permit au pĂ©ronisme de renforcer son emprise sur le monde ouvrier. Celui-ci en effet, tĂ©moin la persistance des grĂšves, n’était pas inconditionnellement acquis au rĂ©gime ;
  • Par sa fondation caritative (au demeurant plutĂŽt inutile, ses fonctions ayant pu ĂȘtre remplies par des institutions publiques idoines), elle avait mis en place, entre le dirigeant Juan PerĂłn et le peuple, une interface propre Ă  donner du pĂ©ronisme un visage charnel, gĂ©nĂ©reux, humain, ce dont une bureaucratie impersonnelle aurait Ă©tĂ© incapable. De mĂȘme, elle usait dans ses discours d’un langage Ă©motionnel et direct, au contraire du caractĂšre plus abstrait du discours politique de Juan PerĂłn. Eva figurait ainsi comme trait d’union entre le pouvoir pĂ©roniste et les descamisados — « parlant Ă  Juan PerĂłn au nom du peuple, et au peuple au nom de Juan PerĂłn ».
  • La crĂ©ation du Parti pĂ©roniste fĂ©minin lui permit de mobiliser une majoritĂ© du nouvel Ă©lectorat fĂ©minin en faveur de Juan PerĂłn.

On peut y ajouter son rĂŽle de prĂȘtresse des grands rituels du rĂ©gime pĂ©roniste et d’orchestrateur du culte de la personnalitĂ© de Juan PerĂłn. Il n’était guĂšre d’évĂ©nement susceptible d’attirer l’attention du public (inauguration d’une piscine ou d’une usine, remises de mĂ©daille etc.) oĂč Evita ne fĂ»t prĂ©sente ; toute occasion de ce type Ă©tait prĂ©texte Ă  la tenue d’un de ces rituels coutumiers du rĂ©gime, qui s’accompagnaient immanquablement de force embrassades de bambins et de marques d’amour pour les descamisados et la patrie. Les deux principaux de ces rituels Ă©taient la journĂ©e du premier mai et la cĂ©lĂ©bration du , dans le cĂ©rĂ©monial desquels Eva PerĂłn occupait sa propre place.

Enfin, plus incidemment, elle s’attacha, par sa tournĂ©e europĂ©enne, Ă  corriger la mauvaise image du pĂ©ronisme Ă  l’étranger.

Campagne Ă©lectorale de 1946

Evita saluant Ă  partir d'un train lors de la campagne en vue des Ă©lections de 1946.

Eva commença sa carriĂšre politique en accompagnant, en qualitĂ© d’épouse, Juan PerĂłn dans sa campagne Ă©lectorale en vue de l'Ă©lection prĂ©sidentielle du [55]. Leur tournĂ©e Ă©lectorale les conduisit Ă  JunĂ­n, Rosario, Mendoza et CĂłrdoba. Juan PerĂłn et sa suite portaient des vĂȘtements ordinaires, ornĂ© de badges du nouveau mouvement, afin de prolĂ©tariser la vie politique argentine. Eva, sans jamais prononcer elle-mĂȘme de discours, se tenait auprĂšs de Juan PerĂłn lorsque celui-ci faisait, d’une voix de plus en plus rauque, ses allocutions sur les rĂ©formes agraires qu’il projetait comme moyen de briser la puissance de l’oligarchie.

La participation d’Eva dans la campagne de Juan PerĂłn reprĂ©sente une nouveautĂ© dans l’histoire politique de l’Argentine. À cette Ă©poque en effet, les femmes Ă©taient (exceptĂ© dans la province de San Juan) privĂ©es de droits politiques et les apparitions publiques des Ă©pouses de candidats Ă  la prĂ©sidentielle Ă©tait trĂšs restreintes et ne devaient en principe prĂ©senter aucun caractĂšre politique. Depuis le dĂ©but du siĂšcle, des groupes de fĂ©ministes, parmi lesquelles s’étaient illustrĂ©es des personnalitĂ©s telles que Alicia Moreau de Justo, Julieta Lanteri et Elvira Rawson de Dellepiane, avaient revendiquĂ© en vain que les droits politiques fussent Ă©tendus aux femmes. En gĂ©nĂ©ral, la culture machiste dominante considĂ©rait mĂȘme comme un manque de fĂ©minitĂ© le fait pour une femme d’exprimer une opinion politique.

PerĂłn fut le premier chef d’État argentin Ă  mettre la question fĂ©minine Ă  l’ordre du jour, dĂšs avant qu’Evita n’entre en politique. Depuis de longues annĂ©es dĂ©jĂ , les fĂ©ministes et suffragettes argentines exigeaient le droit de vote pour les femmes, mais aussi longtemps que les conservateurs Ă©taient au pouvoir, se voir accorder un tel droit Ă©tait impensable. Cependant, PerĂłn commença en 1943 Ă  se prĂ©occcuper de la question, puis, lorsque PerĂłn et Evita eurent ouvert ensemble la voie Ă  la participation politique des femmes, les avancĂ©es sur ce plan seront considĂ©rables. Dans la dĂ©cennie 1950, aucun pays au monde n’avait autant de femmes au parlement que l’Argentine[56].

Eva fut la premiĂšre Ă©pouse d’un candidat argentin Ă  la prĂ©sidence Ă  marquer sa prĂ©sence durant sa campagne et Ă  l’accompagner lors de ses tournĂ©es Ă©lectorales. Selon Pablo VĂĄzquez, PerĂłn proposait dĂšs 1943 d’accorder le droit de vote aux femmes, mais l’AssemblĂ©e nationale des femmes (en esp. Asamblea Nacional de Mujeres), prĂ©sidĂ©e par Victoria Ocampo, s’alliant de fait aux milieux conservateurs, s’opposa en 1945 Ă  ce qu’une dictature octroyĂąt le suffrage aux femmes ‒ fidĂšle Ă  la formule : « Suffrage fĂ©minin, mais adoptĂ© par un CongrĂšs Ă©lu Ă  la suite d’un scrutin honnĂȘte » ‒ et le projet n’aboutit pas[55].

Le , peu avant la fin de la campagne, le Centro Universitario Argentino, la Cruzada de la Mujer Argentina (Croisade de la femme argentine) et la SecretarĂ­a General Estudiantil organisĂšrent une rĂ©union publique dans le stade Luna Park Ă  Buenos Aires pour manifester le soutien des femmes Ă  la candidature de PerĂłn. Puisque PerĂłn lui-mĂȘme ne fut pas en Ă©tat d’y assister lui-mĂȘme, Ă©tant Ă©puisĂ© par la campagne, il fut annoncĂ© que MarĂ­a Eva Duarte de PerĂłn prendrait la parole Ă  sa place — c’eĂ»t Ă©tĂ© la premiĂšre fois qu’Evita aurait parlĂ© lors d’un rassemblement politique. Cependant, l’occasion ne se rĂ©alisa pas, parce que le public rĂ©clama Ă  haute voix la prĂ©sence de PerĂłn lui-mĂȘme et empĂȘcha Eva de prononcer son discours[57].

Eva ne put donc guĂšre, durant cette premiĂšre campagne Ă©lectorale, sortir de son strict rĂŽle d’épouse du candidat PerĂłn. Toutefois, il Ă©tait apparu clairement dĂšs cet instant que son intention Ă©tait de jouer un rĂŽle politique autonome, nonobstant que les activitĂ©s politiques fussent alors interdites aux femmes. La conception qu’elle-mĂȘme se faisait de son rĂŽle au sein du pĂ©ronisme s’exprimera dans un discours prononcĂ© par elle quelques annĂ©es plus tard, le :

« Je veux terminer avec une phrase qui est trĂšs Ă  moi, et que je dis chaque fois Ă  tous les descamisados de ma patrie, mais je ne veux pas que ce ne soit qu’une phrase de plus, mais que vous y voyiez le sentiment d’une femme au service des humbles et au service de tous ceux qui souffrent : “Je prĂ©fĂšre ĂȘtre Evita, plutĂŽt que d’ĂȘtre l’épouse du prĂ©sident, si cet Evita est dit pour apaiser quelque douleur en quelque foyer de ma patrie”[58]. »

DĂ©buts militants

Le eurent lieu les Ă©lections, qui virent le triomphe de l’alliance PerĂłn-Quijano, avec 54 % des voix. Entre la date de son Ă©lection et celle de son investiture le , Juan PerĂłn prit un certain nombre de dĂ©cisions, parmi lesquelles la nomination du frĂšre d’Eva, Juan Duarte, comme son secrĂ©taire privĂ©. Cette nomination de Juan Duarte, qui n’avait aucune expĂ©rience politique et de qui des rumeurs disaient qu’il s’était enrichi sur le marchĂ© noir en 1945, n’eĂ»t jamais eu lieu sans l’intervention d’Eva, et permit Ă  celle-ci d’exercer une certaine influence en dĂ©cidant, par le biais de son frĂšre, qui devait rencontrer son mari. Quelques concertations politiques eurent lieu dans la rĂ©sidence secondaire des PerĂłn Ă  San Vicente, oĂč le couple du reste frappait ses interlocuteurs par la simplicitĂ© de sa vie privĂ©e et le sans-façon de ses contacts, Eva notamment se souciant peu de l’étiquette vestimentaire[59]. Lors de la cĂ©rĂ©monie d’investiture, Eva portait une robe de soie qui laissait dĂ©nudĂ©e une Ă©paule du cĂŽtĂ© oĂč se tenait le cardinal, ce qui provoqua un scandale dans les cercles de l’oligarchie.

Au dĂ©but, le travail politique d’Eva consista (outre une fonction purement reprĂ©sentative) Ă  visiter des entreprises en compagnie de son mari, puis seule, et bientĂŽt elle eut Ă  sa disposition un bureau particulier, d’abord au ministĂšre des TĂ©lĂ©communications, et ensuite dans le bĂątiment du ministĂšre du Travail, Ă©difice auquel sa personne restera indissociable par la suite aux yeux de l’opinion populaire. Elle y recevait des gens du peuple venus lui solliciter certaines faveurs, comme l’admission Ă  l’hĂŽpital d’un enfant malade, ou l’octroi d’un logement Ă  une famille, ou une aide financiĂšre. Elle se faisait assister par des personnes qui avaient auparavant travaillĂ© au ministĂšre avec PerĂłn, en particulier Isabel Ernst, qui avait d’excellents contacts avec le monde syndical et prenait part Ă  toutes les rĂ©unions avec des syndicalistes[60]. Elle aidait les ouvriers Ă  fonder des syndicats dans les entreprises oĂč il n’y en avait pas encore, ou Ă  en crĂ©er de nouveaux, d’obĂ©dience pĂ©roniste, lĂ  oĂč seuls existaient des syndicats non agrĂ©Ă©s par le pouvoir, communistes ou autres, ou encore, en cas d’élections syndicales, apportait son soutien aux pĂ©ronistes face aux anti-pĂ©ronistes.

Juan PerĂłn, en accordant ces libertĂ©s Ă  sa femme, poursuivait des buts politiques prĂ©cis. Les grĂšves ouvriĂšres continuaient, et Eva devait, par son ascendant sur le peuple et les syndicats, aider Juan PerĂłn Ă  accroĂźtre son emprise sur le mouvement ouvrier. En outre, en couvrant son mari d’éloges spontanĂ©s et sincĂšres, elle prenait Ă  sa charge tout un pan de la propagande pĂ©roniste, que validaient ses origines populaires.

En rĂ©action aux critiques de l’opposition sur le rĂŽle politique exact d’Eva PerĂłn, le gouvernement publia en une dĂ©claration indiquant qu’elle n’avait pas de secrĂ©taire, mais un collaborateur ; que, sans faire partie Ă  proprement parler du gouvernement, elle livrait une contribution active Ă  la politique sociale de celui-ci en assumant le rĂŽle d’émissaire du gouvernement auprĂšs des descamisados[61].

Pour l’oligarchie toutefois, son action s’expliquait par une volontĂ© d’imiter ceux qui se trouvaient au-dessus d’elle dans la hiĂ©rarchie sociale, et par un dĂ©sir de vengeance contre ceux qu’elle avait essayĂ© d’égaler sans y parvenir. Son ressort rĂ©siderait tout entier dans la chaĂźne de causalitĂ© blessure d’amour propre suivi de vengeance, et d’envie suivie de rancƓur.

Émancipation des femmes

Eva Perón vers le milieu des années 1940.

Les historiens argentins sont unanimes Ă  reconnaĂźtre le rĂŽle dĂ©cisif jouĂ© par Evita dans le processus d’acceptation de l’égalitĂ© entre hommes et femmes au regard des droits politiques et civils en Argentine. Lors de sa tournĂ©e europĂ©enne, elle usa, pour exprimer son point de vue sur cette question, de la formule suivante : « Le prĂ©sent siĂšcle ne passera pas dans l’histoire sous le nom de siĂšcle de la dĂ©sintĂ©gration atomique, mais avec un autre nom beaucoup plus significatif : siĂšcle du fĂ©minisme victorieux[62]. »

Elle prononça plusieurs discours en faveur du droit de vote des femmes et dans son journal, Democracia, parut une sĂ©rie d’articles exhortant les pĂ©ronistes masculins Ă  abandonner leurs prĂ©jugĂ©s contre les femmes. Pourtant elle ne s’intĂ©ressait que modĂ©rĂ©ment aux aspects thĂ©oriques du fĂ©minisme et il Ă©tait rare que dans ses allocutions elle abordĂąt des questions concernant exclusivement les femmes, et mĂȘme s’exprimait avec dĂ©dain sur le fĂ©minisme militant, dĂ©peignant les fĂ©ministes comme des femmes mĂ©prisables incapables de rĂ©aliser leur fĂ©minitĂ©. NĂ©anmoins, beaucoup de femmes argentines, au dĂ©part indiffĂ©rentes Ă  ces questions, sont entrĂ©es en politique Ă  cause d’Eva PerĂłn[63].

Droit de vote des femmes
Portrait officiel de Juan Domingo PerĂłn aux cĂŽtĂ©s de son Ă©pouse Eva, par Numa Ayrinhac. Ce tableau, aujourd’hui exposĂ© au musĂ©e du Bicentenaire Ă  Buenos Aires, est le seul portrait officiel d’un prĂ©sident argentin en compagnie de la premiĂšre dame[64].

Pendant la campagne pour les Ă©lections de 1946, la coalition pĂ©roniste avait inscrit la reconnaissance du suffrage fĂ©minin dans son programme Ă©lectoral. Auparavant dĂ©jĂ , PerĂłn avait, en sa qualitĂ© de vice-prĂ©sident, tentĂ© de faire adopter une loi instaurant le vote des femmes, mais les rĂ©sistances au sein des forces armĂ©es dans le gouvernement, comme celles de l’opposition, qui allĂ©guait des arriĂšre-pensĂ©es Ă©lectoralistes, avaient fait Ă©chouer le projet[65]. Au lendemain du scrutin de 1946, et Ă  mesure que grandissait son influence dans le mouvement pĂ©roniste, Evita commença Ă  faire ouvertement campagne en faveur du droit de vote des femmes, Ă  travers des rĂ©unions publiques et des allocutions radiophoniques. Plus tard, Evita allait mettre sur pied le Parti pĂ©roniste fĂ©minin, groupement de femmes dirigeantes, dotĂ© d’un rĂ©seau de sections locales, chose qui n’existait nulle part ailleurs au monde. Elle manifesta que les femmes non seulement devaient voter, mais encore qu’elles devaient voter pour des femmes ; de fait, il y aura bientĂŽt en Argentine des femmes dĂ©putĂ©es et des sĂ©natrices, dont le nombre devait aller croissant au fil des Ă©lections suivantes, de sorte que l’Argentine apparaissait alors comme fort en avance[56].

Le , trois jours aprĂšs les Ă©lections, Evita, ĂągĂ©e de 26 ans, prononça son premier discours politique lors d’une rĂ©union publique convoquĂ©e pour remercier les femmes argentines de leur soutien Ă  la candidature de PerĂłn. À cette occasion, Evita exigea l’égalitĂ© de droits entre hommes et femmes, et en particulier le suffrage des femmes :

« La femme argentine a surmontĂ© la pĂ©riode des tutelles civiles. La femme doit affermir son action, la femme doit voter. La femme, ressort moral de son foyer, doit tenir sa place dans le complexe engrenage social du peuple. C’est ce qu’exige une nĂ©cessitĂ© nouvelle de s’organiser en groupes plus Ă©tendus et plus conformes Ă  notre temps. C’est en somme ce qu’exige la transformation du concept mĂȘme de femme, Ă  prĂ©sent que le nombre de ses devoirs s’est accru de maniĂšre sacrificielle, sans que dans le mĂȘme temps elle ait rĂ©clamĂ© le moindre de ses droits. »

Manifestation de femmes devant le CongrĂšs national en faveur de la loi accordant le droit de vote aux femmes, 1948.

Le projet de loi prĂ©voyant le droit de vote pour les femmes fut prĂ©sentĂ© aussitĂŽt aprĂšs l’entrĂ©e en fonction du nouveau gouvernement constitutionnel, le . Les prĂ©jugĂ©s conservateurs cependant firent obstacle Ă  l’adoption de la loi, non seulement dans les partis d’opposition, mais aussi au sein des partis soutenant le pĂ©ronisme. Sans dĂ©semparer, Evita fit pression sur les parlementaires pour qu’ils approuvassent la loi, jusqu’à finir par susciter leurs protestations par son immixtion.

Bien qu’il s’agĂźt d’un texte trĂšs bref, en seulement trois articles, qui ne pouvait pas en pratique donner lieu Ă  discussion, le sĂ©nat ne donna le qu’une sanction partielle du projet, et il fallut attendre plus d’un an encore pour que la chambre des dĂ©putĂ©s adoptĂąt, le , la loi 13.010 portant Ă©galitĂ© de droits politiques entre hommes et femmes et instituant le suffrage universel en Argentine[66]. La loi 13.010 fut finalement approuvĂ©e Ă  l’unanimitĂ©.

À la suite de l’adoption cette loi, Evita fit sur la chaĂźne nationale la dĂ©claration suivante :

« Femmes de ma patrie, je viens de recevoir des mains du gouvernement de la nation la loi consacrant nos droits civiques, et je la reçois devant vous avec la certitude que je le fais au nom et en reprĂ©sentation de toutes les femmes argentines, sentant avec jubilation mes mains trembler au contact de cette consĂ©cration qui proclame la victoire. Ici, mes sƓurs, se trouve rĂ©sumĂ©e, dans la typographie serrĂ©e d’articles peu nombreux, une longue histoire de luttes, contrariĂ©tĂ©s et espĂ©rances, ce pourquoi cette loi est lourde de crispations d’indignation, d’ombres de pĂ©ripĂ©ties hostiles, mais aussi du rĂ©veil joyeux d’aurores triomphales, et de ce prĂ©sent triomphe, qui traduit la victoire de la femme sur les incomprĂ©hensions, les refus, et les intĂ©rĂȘts Ă©tablis des castes rĂ©pudiĂ©es par notre rĂ©veil national (
). »

Le Parti péroniste féminin
Monumento a Evita, Ɠuvre de Ricardo Gianetti, dans le quartier de la Recoleta Ă  Buenos Aires, prĂšs du lieu oĂč se trouvait la maison prĂ©sidentielle et oĂč mourut Eva PerĂłn.

En 1949, Eva PerĂłn voulut renforcer encore l’influence politique des femmes en fondant, le au ThĂ©Ăątre national Cervantes de Buenos Aires, le Parti pĂ©roniste fĂ©minin (Partido Peronista Femenino, PPF), dont elle serait elle-mĂȘme prĂ©sidente. Dans le discours qu’elle prononça lors du congrĂšs fondateur, elle fustigea avec vĂ©hĂ©mence l’injustice faite aux femmes qui travaillent, mais insista dans le mĂȘme temps sur le prĂ©cepte d’une fidĂ©litĂ© totale et inconditionnelle Ă  Juan PerĂłn : notre mouvement, dit-elle, est thĂ©oriquement et idĂ©ologiquement inspirĂ© des paroles de PerĂłn ; ĂȘtre pĂ©roniste signifie, pour une femme, ĂȘtre fidĂšle et avoir une foi aveugle en PerĂłn[67]. Le PPF, qui Ă©tait sans lien avec son pendant masculin, permit de faire surgir toute une gĂ©nĂ©ration de femmes loyales au pĂ©ronisme. En 1952, le parti comptait 500 000 membres et 3 600 bureaux, et amena sur le nom de Juan PerĂłn plus de 63 % des suffrages fĂ©minins aux Ă©lections de 1951.

Le PPF Ă©tait organisĂ© autour d’unitĂ©s fĂ©minines de base crĂ©Ă©es dans les quartiers et les villages et au sein des syndicats, canalisant ainsi l’activitĂ© militante directe des femmes[68]. Les femmes affiliĂ©es au Parti pĂ©roniste fĂ©minin y participaient par le biais de deux types d’unitĂ©s de base :

  • UnitĂ©s de base syndicales, si elles Ă©taient des salariĂ©es ;
  • UnitĂ©s de base ordinaires, si elles Ă©taient des femmes au foyer, employĂ©es de maison ou ouvriĂšres agricoles[69].

Si dans le Parti pĂ©roniste fĂ©minin n’existait aucune distinction ni hiĂ©rarchie entre ses membres, il Ă©tait exigĂ© de ses affiliĂ©es qu’elles fussent de bonnes pĂ©ronistes, c'est-Ă -dire des fanatiques, entiĂšrement dĂ©vouĂ©es au parti, pour qui le parti passait avant toute chose, y compris leur famille et leur carriĂšre. Evita se montra une excellente organisatrice, qui ne se lassait pas d’encourager « ses femmes » et de les pousser Ă  aller toujours plus loin[70].

Le eurent lieu des Ă©lections gĂ©nĂ©rales. Evita vota Ă  l’hĂŽpital, oĂč elle avait Ă©tĂ© admise en raison du stade avancĂ© du cancer qui devait mettre fin Ă  sa vie l’annĂ©e suivante. Pour la premiĂšre fois, des parlementaires fĂ©minines allaient ĂȘtre Ă©lues : 23 dĂ©putĂ©es nationales, 6 sĂ©natrices nationales, et si l’on comptabilise Ă©galement les membres des assemblĂ©es lĂ©gislatives provinciales, les femmes totalisaient 109 Ă©lues[71].

ÉgalitĂ© juridique dans le mariage et patria potestas

L’égalitĂ© politique entre hommes et femmes fut complĂ©tĂ©e par l’égalitĂ© juridique des conjoints et par la patria potestas partagĂ©e, garantie dĂ©sormais par l’article 37 (II.1) de la constitution argentine de 1949, lequel article cependant ne fut jamais ensuite transposĂ© en rĂšglements. C’est Eva PerĂłn elle-mĂȘme qui en avait rĂ©digĂ© le texte. Le pouvoir issu du coup d’État militaire de 1955 abrogea ladite constitution, et avec elle la garantie d’égalitĂ© juridique entre hommes et femmes au sein du mariage et au regard de la patria potestas, ce qui fit prĂ©valoir Ă  nouveau l’ancienne prĂ©sĂ©ance civile de l’homme sur la femme. La rĂ©forme constitutionnelle de 1957 ne rĂ©tablit pas davantage cette garantie constitutionnelle, et la femme argentine demeura ainsi discriminĂ©e pour le code civil, jusqu’à ce que la loi de patria potestas partagĂ©e (en esp. Ley de patria potestad compartida) fĂ»t sanctionnĂ©e sous le gouvernement de RaĂșl AlfonsĂ­n, en 1985.

Relation avec les travailleurs et les syndicats

Amparo de los humildes (refuge des humbles), affiche de propagande officielle autour de la figure d’Eva Perón.

Eva Perón entretint des rapports forts, étroits et complexes, et trÚs symptomatiques de sa personnalité, avec les travailleurs et avec les syndicats en particulier.

En 1947, PerĂłn ordonna que fussent dissous les trois partis qui l’appuyaient, le Partido Laborista (Parti travailliste), le Parti indĂ©pendant (rĂ©unissant des conservateurs) et l’UniĂłn CĂ­vica Radical Junta Renovadora (littĂ©r. Union civique radicale ComitĂ© rĂ©novateur, fondĂ©e en 1945 par scission de l’UCR), pour crĂ©er le Parti justicialiste. De cette maniĂšre, si les syndicats perdaient ainsi de leur autonomie au sein du pĂ©ronisme, celui-ci en contrepartie se construisit en s’appuyant dĂ©sormais sur le syndicalisme comme « colonne vertĂ©brale », ce qui en pratique se traduira par la transformation subsĂ©quente du Parti justicialiste en un parti quasi-travailliste.

Dans cet assemblage de pouvoirs et d’intĂ©rĂȘts hĂ©tĂ©rogĂšnes et souvent en conflit qui confluaient dans le pĂ©ronisme, conçu comme un mouvement englobant une multiplicitĂ© de classes et de secteurs, Eva PerĂłn joua un rĂŽle de lien direct et privilĂ©giĂ© entre Juan PerĂłn et les syndicats, ce qui permit Ă  ces derniers de consolider leur position de pouvoir, quoique partagĂ©e.

C’est pour cette raison que le mouvement syndical encouragea en 1951 la candidature d’Eva PerĂłn Ă  la vice-prĂ©sidence, candidature Ă  laquelle s’opposĂšrent fortement, y compris dans le Parti pĂ©roniste lui-mĂȘme, les secteurs dĂ©sireux d’éviter une influence accrue des organisations syndicales.

Evita avait une vision rĂ©solument combative des droits sociaux et du travail et pensait que l’oligarchie et l’impĂ©rialisme s’appliqueraient, y compris en usant de violence, Ă  en obtenir l’annulation. En consĂ©quence, Eva impulsa, aux cĂŽtĂ©s des dirigeants syndicaux, la formation de milices ouvriĂšres et, peu avant de mourir, fit l’acquisition d’armes de guerre qu’elle mit aux mains de la CGT[72].

Ces rapports étroits entre Eva Perón et le syndicalisme trouvÚrent, à la mort de celle-ci, leur expression ultime et ostensible en ce que son corps embaumé fut déposé à titre permanent au siÚge de la CGT à Buenos Aires.

Le journal Democracia

Durant la campagne Ă©lectorale, la presse avait, de façon gĂ©nĂ©rale, Ă©tĂ© peu favorable Ă  Juan PerĂłn. DĂ©but 1947, Eva PerĂłn acquit Democracia, quotidien alors peu important et de qualitĂ© moyenne. Eva ne disposant pas de fonds propres, il fut fait appel Ă  la banque centrale (nationalisĂ©e) pour obtenir un prĂȘt. Pour le reste, Eva ne joua qu’un rĂŽle mineur dans les destinĂ©es du journal et laissa libre carriĂšre Ă  l’équipe rĂ©dactionnelle. Cependant, Ă  l’occasion, elle y laissait typiquement son empreinte, comme le relĂšvent N. Fraser et M. Navarro :

« Le journal prĂ©sentait, au format tabloĂŻd, et avec force photographies, un compte rendu trĂšs partial des continuelles cĂ©rĂ©monies du rĂ©gime pĂ©roniste. Les discours de PerĂłn s’y trouvaient toujours reproduits en bonne place, et lorsqu’Eva PerĂłn faisait une sĂ©rie d’émissions de radio, dans lesquelles elle expliquait aux femmes de mĂ©nage comment faire face Ă  l’inflation, ces Ă©missions trouvaient aussi bon accueil dans les colonnes de Democracia. Une des lubies d’Evita dut mĂȘme se muer en rĂšgle rĂ©dactionnelle. Cela concernait la personne de Juan Atilio Bramuglia, Ă  prĂ©sent ministre des Affaires Ă©trangĂšres, et auparavant l’homme qui avait refusĂ© Ă  Evita d’arranger en faveur de Juan PerĂłn un acte d’habeas corpus. Bramuglia n’était jamais mentionnĂ© par son nom dans le journal. S’il y avait lieu de se rĂ©fĂ©rer Ă  lui, on ne bornait Ă  citer sa fonction. Les photos oĂč il figurait Ă©taient retouchĂ©es, soit en l’effaçant quand il se tenait Ă  l’extrĂ©mitĂ© d’un groupe, soit en floutant son visage quand il se trouvait ĂȘtre au milieu[61]. »

En revanche, il y avait plĂ©thore de photos d’Evita, en particulier de ses toilettes lors des soirĂ©es de gala au thĂ©Ăątre ColĂłn de Buenos Aires, galas qui donnaient lieu Ă  des Ă©ditions spĂ©ciales nocturnes tirant jusqu’à 400 000 exemplaires. Le tirage des Ă©ditions ordinaires passa de 6 000 Ă  20 000, puis Ă  40 000.

Tournée européenne

Eva Perón et le président brésilien Dutra en visite au Brésil, 1947

En 1947, Juan PerĂłn, Evita et d’autres dirigeants pĂ©ronistes conçurent l’idĂ©e d’une tournĂ©e internationale pour Evita, laquelle tournĂ©e, inĂ©dite Ă  cette Ă©poque pour une femme, serait susceptible de la mettre politiquement au premier plan. L’objectif par ailleurs Ă©tait, par une offensive de charme, de sortir l’Argentine de son isolement d’aprĂšs-guerre et de corriger au besoin le soupçon de proximitĂ© avec le fascisme qui collait au pĂ©ronisme. La prĂ©misse du voyage fut une invitation Ă  visiter l’Espagne lancĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Francisco Franco Ă  l’intention de Juan PerĂłn, que celui-ci cependant hĂ©sitait Ă  accepter, dĂ©sireux de rompre son isolement, de reprendre ses relations diplomatiques avec l’Union soviĂ©tique et d’ĂȘtre admis Ă  l’ONU. Il fut donc convenu qu’Eva irait seule et que son voyage ne se limiterait pas Ă  l’Espagne afin de le dissocier de l’invitation de Franco. Le voyage fut prĂ©sentĂ© par le gouvernement argentin dans des termes trĂšs gĂ©nĂ©raux : elle apporterait un « message de paix » Ă  l’Europe ou jetterait un « arc-en-ciel de beautĂ© » entre l’ancien et le nouveau continent.

La tournĂ©e se prolongea pendant 64 jours, entre le et le , et permit Ă  Eva PerĂłn de visiter l’Espagne (pendant 18 jours), l’Italie et le Vatican (20 jours), le Portugal (3 jours), la France (12 jours), la Suisse (6 jours), le BrĂ©sil (3 jours) et l’Uruguay (2 jours). Son but officiel Ă©tait de remplir un rĂŽle d’ambassadrice de bonne volontĂ© et de se renseigner sur les systĂšmes d’aide sociale mis en place en Europe, avec le dessein de se rendre capable, Ă  son retour en Argentine, d’impulser un nouveau systĂšme d’Ɠuvres sociales. Dans sa suite voyageaient aussi son frĂšre Juan Duarte, en qualitĂ© de membre du secrĂ©tariat de PerĂłn, le coiffeur Julio Alcaraz, qui crĂ©era pour elle les coiffures Pompadour les plus Ă©laborĂ©es, deux journalistes appointĂ©s par le gouvernement, Muñoz Azpiri et un photographe de Democracia, et le pĂšre jĂ©suite HernĂĄn BenĂ­tez, ami du couple PerĂłn, qui devança Eva Ă  Rome et par qui elle se fera conseiller, et qui, la tournĂ©e achevĂ©e, exercera une influence lors de la mise sur pied de la Fondation Eva PerĂłn.

Evita baptisa sa tournée du nom de Tournée arc-en-ciel (en esp. Gira Arco Iris), cette appellation trouvant son origine dans une déclaration que fit Evita, avec candeur, peu aprÚs son arrivée en Europe :

« Je ne suis pas venue pour former un axe, mais seulement comme un arc-en-ciel entre nos deux pays[73]. »

L’Espagne, alors dirigĂ©e par le dictateur Francisco Franco, fut la premiĂšre escale de son voyage. Elle fit halte Ă  Villa Cisneros, Madrid (oĂč elle fut acclamĂ©e par une foule de trois millions de MadrilĂšnes[74]), TolĂšde, SĂ©govie, en Galice, Ă  SĂ©ville, Grenade, Saragosse et Barcelone. Pendant son sĂ©jour de 15 jours en Espagne, elle fut honorĂ©e par des feux d’artifice, des banquets, des piĂšces de thĂ©Ăątre et des danses folkloriques. Dans toutes les villes, il y eut des foules Ă©normes et des manifestations d’intense affection ; beaucoup d’Espagnols avaient des proches parents Ă©migrĂ©s en Argentine, qui y avaient rĂ©ussi, de sorte que le pays bĂ©nĂ©ficiait d’une bonne image en Espagne. À Madrid, en rĂ©ponse Ă  une allocution de Franco, oĂč celui-ci fit l’éloge des idĂ©aux du pĂ©ronisme, Evita prononça un hommage assez emphatique Ă  Isabelle de Castille, pour enchaĂźner avec un discours improvisĂ© de propagande pĂ©roniste, affirmant que l’Argentine ayant su choisir entre simulacre de dĂ©mocratie et dĂ©mocratie vĂ©ritable, que les grandes idĂ©es y portaient des noms simples, comme alimentation meilleure, logement meilleur, vie meilleure[59].

Il existe des dizaines de tĂ©moignages attestant du dĂ©sappointement d’Eva PerĂłn devant la maniĂšre dont en Espagne on traitait les ouvriers et les humbles[75] - [76]. Elle aurait utilisĂ© sa diplomatie et son influence pour obtenir de Franco la grĂące de la militante communiste Juana Doña[77]. Elle eut avec l’épouse de Franco, Carmen Polo, un contact tendu, en raison de l’application de celle-ci Ă  ne lui montrer que le Madrid historique des Habsbourgs et des Bourbons, au lieu des hĂŽpitaux publics et des quartiers ouvriers[78] - [75]. De retour en Argentine, elle en fit le rĂ©cit suivant :

« La femme de Franco n’aimait pas les ouvriers, et chaque fois qu’elle le pouvait, elle les taxait de rouges, parce qu’ils avaient participĂ© Ă  la guerre civile. Je pus me retenir une paire de fois jusqu’à ce que je n’y tins plus, et je lui dis que son mari n’était pas un gouvernant par le vote du peuple, mais par l’imposition d’une victoire. Cela ne fut pas du tout apprĂ©ciĂ© par la grosse[79]. »

Evita arrivant Ă  Madrid, oĂč elle est reçue par vingt-et-un coups de canon et une foule composĂ©e d’ouvriers espagnols.

NĂ©anmoins, Franco fut satisfait de cette visite, et put l’annĂ©e suivante conclure avec l’Argentine l’accord commercial qu’il avait en vue.

Le voyage se poursuivit en Italie, oĂč elle dĂ©jeuna avec le ministre des Affaires Ă©trangĂšres, visita des garderies d’enfants, mais fut aussi bruyamment critiquĂ©e par les communistes, qui assimilaient le pĂ©ronisme au fascisme et voulaient compromettre la rĂ©alisation de ce qui Ă©tait aussi l’un des enjeux de ce voyage : obtenir des prĂȘts et une hausse du quota d’immigrants italiens en Argentine ; des manifestations de communistes sous sa fenĂȘtre entraĂźnĂšrent l’arrestation de 27 personnes.

Au Vatican, elle fut reçue par le pape Pie XII, qui eut avec elle une entrevue en tĂȘte Ă  tĂȘte de 30 minutes, Ă  l’issue de laquelle il lui remit le rosaire d’or et la mĂ©daille pontificale qu’elle allait tenir dans les mains Ă  l’instant de mourir. De ce dont s’entretinrent le pape et Eva, il n’est restĂ© aucun tĂ©moignage direct, Ă  l’exception d’un bref commentaire ultĂ©rieur de Juan PerĂłn Ă  propos de ce que sa femme lui avait racontĂ©. Le journal La RazĂłn de Buenos Aires couvrit ainsi l’évĂ©nement :

« Le pape l’invita alors Ă  prendre place prĂšs de son bureau-secrĂ©taire et commença l’audience. Officiellement, il n’a pas Ă©tĂ© communiquĂ© la moindre parole de la conversation qu’eurent le Souverain Pontife et madame PerĂłn ; cependant un membre de la maison papale indiqua que Pie XII fit part Ă  madame PerĂłn de sa gratitude personnelle pour l’aide accordĂ©e par l’Argentine aux pays europĂ©ens Ă©puisĂ©s par la guerre et pour la collaboration qu’a voulu apporter l’Argentine Ă  l’Ɠuvre de secours de la commission pontificale. Au bout de 27 minutes, le Souverain Pontife appuya sur un petit bouton blanc de son secrĂ©taire. Une clochette tinta dans l’antichambre et l’audience arriva Ă  sa fin. Pie XII fit don Ă  madame PerĂłn d’un rosaire avec une mĂ©daille d’or commĂ©morative de son pontificat[80]. »

AprĂšs avoir visitĂ© le Portugal, oĂč des multitudes vinrent l’acclamer, et oĂč elle rendit visite au roi d’Espagne en exil, Don Juan de BorbĂłn, elle se dirigea vers la France, oĂč elle fut affectĂ©e par la publication dans l’hebdomadaire France Dimanche d’une photo publicitaire pour une marque de savon, prise quelques annĂ©es auparavant, sur laquelle elle apparaissait avec une jambe dĂ©nudĂ©e, position peu conforme aux normes morales de l’époque. Elle fut accueillie par le ministre des Affaires Ă©trangĂšres Georges Bidault et eut un entretien avec le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, le socialiste Édouard Herriot, entre autres personnalitĂ©s politiques. Le programme prĂ©voyait que sa prĂ©sence en France coĂŻncidĂąt avec la signature d’un traitĂ© d’échanges entre la France et l’Argentine, ce qui eut lieu effectivement au quai d’Orsay. Eva se vit ensuite dĂ©cerner la mĂ©daille de la lĂ©gion d’honneur des mains de Georges Bidault[81].

Elle logea au Ritz et fut promenĂ©e dans Paris Ă  bord d’une voiture qui avait appartenu Ă  Charles de Gaulle et avait Ă©tĂ© utilisĂ©e par Winston Churchill lors de ses visites Ă  Paris. Le PĂšre HernĂĄn BenĂ­tez la conduisit Ă  la cathĂ©drale Notre-Dame de Paris pour s’y entretenir avec le nonce apostolique Ă  Paris, monseigneur Angelo Giuseppe Roncalli, futur pape Jean XXIII, qui lui fit la recommandation suivante :

« Si vous vous proposez réellement de faire cela, je vous recommande deux choses : que vous vous interdisiez totalement toute paperasserie bureaucratique, et que vous vous consacriez sans restriction à votre tùche[82]. »

BenĂ­tez dĂ©clara que Roncalli fut impressionnĂ© par la figure d’Evita inclinant la tĂȘte devant l’autel Ă  la Vierge Marie tandis que retentissait l’hymne national argentin : « L’impĂ©ratrice EugĂ©nie de Montijo est revenue ! », se serait exclamĂ© le prĂ©lat, selon BenĂ­tez[83].

IntĂ©ressĂ©e par la crĂ©ation de mode française, Eva organisa un dĂ©filĂ© de mode privĂ© dans son hĂŽtel, mais, sur conseil de HernĂĄn BenĂ­tez, qui craignait que cela ne fĂ»t jugĂ© une inacceptable frivolitĂ©, elle prĂ©fĂ©ra l’annuler en derniĂšre minute, dĂ©cision considĂ©rĂ©e par beaucoup comme une indĂ©licatesse. Mais elle fit prendre note de ses mensurations chez Christian Dior et Marcel Rochas, qui seront chargĂ©s ensuite de confectionner nombre de ses robes[81]. Pour clĂŽturer son sĂ©jour en France, une rĂ©ception fut donnĂ©e en son honneur au Cercle d’AmĂ©rique latine, oĂč tout le corps diplomatique de l’AmĂ©rique latine lui prĂ©senta ses hommages et oĂč elle attira les regards par une toilette extravagante, comprenant notamment une robe de soirĂ©e moulante, dĂ©colletĂ©e et terminĂ©e par une traĂźne en forme de queue de poisson.

La tournĂ©e se poursuivit par la Suisse, oĂč elle s’entretint avec des dirigeants politiques et visita un atelier d’horlogerie. Il y eut Ă  propos de son passage par ce pays nombre de spĂ©culations tendant Ă  l’associer Ă  des faits de corruption (l’opposition allant jusqu’à affirmer que le but rĂ©el du voyage Ă©tait de permettre Ă  Evita et Ă  son frĂšre Juan de dĂ©poser des sommes d’argent sur un compte bancaire), toutefois les historiens n’ont trouvĂ© aucune preuve pour les Ă©tayer. Au Royaume-Uni, oĂč les travaillistes Ă©taient au gouvernement, les dĂ©bats sur l’opportunitĂ© d’une visite d’Eva PerĂłn furent les plus vifs, mais finalement, la famille royale anglaise (qui avait d’ailleurs toujours insistĂ© sur le caractĂšre seulement officieux d’une Ă©ventuelle visite) se trouvant alors en Écosse, elle renonça, sans doute par blessure d’amour propre[84], Ă  visiter la Grande-Bretagne, mais fit encore escale au BrĂ©sil et en Uruguay avant de rentrer en Argentine.

Si Eva PerĂłn elle-mĂȘme se montra satisfaite de sa prestation, l’opposition fut trĂšs critique, en particulier sur le chapitre des considĂ©rables frais de la tournĂ©e, et deux journaux furent interdits Ă  la parution par le gouvernement pour des articles irrĂ©vĂ©rencieux sur Eva PerĂłn[53]. Au regard du but que le gouvernement s’était assignĂ©, Ă  savoir de rendre le rĂ©gime pĂ©roniste acceptable aux yeux du monde, la tournĂ©e Ă©tait un succĂšs mitigĂ©. L’image vĂ©hiculĂ©e par Eva PerĂłn ne rĂ©ussit guĂšre Ă  impressionner les sphĂšres progressistes en Europe, et la presse ne lui Ă©tait favorable que dans la mesure oĂč l’on prenait soin de distinguer entre la personne d’Evita et le rĂ©gime politique, avec tous ses cĂŽtĂ©s moins reluisants, dont elle Ă©tait la reprĂ©sentante.

Dans la suite, Eva Perón devint de plus en plus Evita, c'est-à-dire une femme se vouant avant tout à son Ɠuvre politique et sociale. Cela se traduisit entre autres par l’adoption d’une apparence plus sobre, par l’abandon de ses coiffures Pompadour et de ses robes voyantes.

La fondation Eva Perón et l’aide sociale

BĂątiment Ă©rigĂ© spĂ©cialement pour la Fondation Eva PerĂłn, au no 850 de l’avenue Paseo ColĂłn, abritant aujourd’hui l’école d’ingĂ©nieurs de l’universitĂ© de Buenos Aires (UBA).
Eva PerĂłn travaillait personnellement dans sa fondation, notamment en accueillant des gens et des familles en quĂȘte d’aide sociale.

Ce par quoi Eva PerĂłn se singularisa plus particuliĂšrement sous le gouvernement pĂ©roniste Ă©taient ses activitĂ©s de bienfaisance, destinĂ©es Ă  soulager la pauvretĂ© ou toute autre forme de dĂ©tresse sociale. En Argentine, cette activitĂ© Ă©tait traditionnellement confiĂ©e Ă  la Sociedad de Beneficencia, association semi-publique dĂ©jĂ  fort ancienne crĂ©Ă©e par Bernardino Rivadavia au dĂ©but du XIXe siĂšcle et dirigĂ©e par un groupe choisi de femmes de la haute sociĂ©tĂ©. Les fonds de la sociĂ©tĂ© ne provenaient plus de ces dames elles-mĂȘmes ou des relations d’affaires de leurs maris, mais de l’État, soit indirectement, par voie d’impĂŽt prĂ©levĂ© sur la loterie, soit directement, par l’octroi de subsides. DĂšs la dĂ©cennie 1930, il apparut que la Sociedad de Beneficencia en tant qu’organisation et la bienfaisance en tant qu’activitĂ© Ă©taient devenues obsolĂštes et inadaptĂ©es Ă  la sociĂ©tĂ© industrielle urbaine. À partir de 1943, l’on commença Ă  rĂ©organiser la Sociedad de Beneficencia, laquelle fit l’objet Ă  cet effet, le , d’une intervention fĂ©dĂ©rale ; depuis lors, le pouvoir pĂ©roniste prit en mains le service d’assistance et d’aide sociales en lui donnant un fort contenu populaire. Une partie de cette mission fut accomplie Ă  travers le plan de santĂ© publique mis en Ɠuvre avec succĂšs par le ministre de la SantĂ© RamĂłn Carrillo ; une autre partie le fut au moyen de nouvelles institutions de sĂ©curitĂ© sociale, telles que le systĂšme gĂ©nĂ©ral de pensions de retraite ; une autre partie enfin sera assumĂ©e par Eva PerĂłn par la voie de la Fondation Eva PerĂłn.

Lors de sa tournĂ©e europĂ©enne, elle avait visitĂ© nombre d’institutions d’aide sociale, mais il s’agissait principalement d’organisations religieuses, gĂ©rĂ©es par les classes possĂ©dantes. Cela lui permit, dira-t-elle plus tard, de savoir ce qu’elle devait surtout Ă©viter de faire, ces institutions Ă©tant « rĂ©glĂ©es par des normes fixĂ©es par les riches. Et lorsque les riches pensent aux pauvres, ils ont des idĂ©es misĂ©rables ». SitĂŽt rentrĂ©e en Argentine, elle organisa une Croisade d’aide sociale MarĂ­a Eva Duarte de PerĂłn visant Ă  la prise en charge des personnes ĂągĂ©es et des femmes dĂ©munies au moyen de subsides et de foyers temporaires. Le fut crĂ©Ă©e la Fondation Eva PerĂłn, prĂ©sidĂ©e par Evita, lĂ©galement agrĂ©Ă©e par Juan PerĂłn et le ministre des Finances, laquelle fondation accomplit une Ɠuvre sociale considĂ©rable, dont bĂ©nĂ©ficieront quasiment tous les enfants, personnes ĂągĂ©es, mĂšres cĂ©libataires, femmes comme unique soutien de famille, etc. appartenant aux couches les plus dĂ©favorisĂ©es de la population.

La fondation, selon les termes de ses statuts, poursuivait les objectifs suivants :

  • Offrir une assistance financiĂšre ou mettre Ă  la disposition des moyens en nature et accorder des bourses d’études Ă  qui le sollicite et qui, selon le jugement de la fondatrice, le mĂ©rite ;
  • Construire des logements au bĂ©nĂ©fice de familles nĂ©cessiteuses ;
  • CrĂ©er des Ă©coles, des hĂŽpitaux, des asiles et d’autres institutions propres Ă  servir au mieux les buts de la fondation ;
  • Construire des institutions de bien-ĂȘtre social de tous types, lesquelles pourront ultĂ©rieurement ĂȘtre transfĂ©rĂ©es, Ă  titre gracieux ou non, aux autoritĂ©s locales, provinciales ou nationales ;
  • Contribuer par tous moyens ou coopĂ©rer Ă  des activitĂ©s tendant Ă  satisfaire le besoin fondamental d’une vie meilleure pour les classes dĂ©favorisĂ©es.

Selon ces mĂȘmes statuts, « l’organisation Ă©tait et resterait aux mains de la fondatrice, qui exercerait cette responsabilitĂ© pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e et dĂ©tiendrait tous les pouvoirs Ă  elle accordĂ©s par l’État et la constitution. »[85]. La fondation, qui avait un personnel fixe de plus de 16 000 personnes, pouvait planifier et accomplir ses propres activitĂ©s, et imposer ses prioritĂ©s au gouvernement. Tout ce qui fut jamais mis sur pied par la fondation, le fut Ă  l’instigation d’Eva PerĂłn et sous sa supervision. Une partie de son financement provenait des syndicats ; les dons, d’abord spontanĂ©s et erratiques, furent, au bout d’un an de fonctionnement de la fondation, formalisĂ©s, en ce sens p.ex. que lorsqu’un syndicat avait obtenu une hausse de salaire, le montant de cette augmentation Ă©tait retenu pendant les deux premiĂšres semaines, en guise de don Ă  la fondation[86].

Face Ă  l’affluence de milliers de demandeurs, une procĂ©dure de sĂ©lection finit par ĂȘtre instituĂ©e. Les demandeurs Ă©taient exhortĂ©s Ă  d’abord faire part Ă  Evita de leurs besoins par Ă©crit, aprĂšs quoi ils recevaient une invitation Ă  une entrevue, avec lieu et date. Evita rĂ©servait ses aprĂšs-midi Ă  ses activitĂ©s d’aide directe, et restait invariablement aimable et courtoise envers les sollicitants, Ă  qui elle apparaissait, en dĂ©pit de sa position et des bijoux qu’elle portait sur une tenue par ailleurs stricte et sobre, comme une des leurs[87]. On lui trouvait des allures de sainte, et son rĂŽle, pourtant laĂŻc, Ă©tait transfigurĂ© par l’atmosphĂšre religieuse qui entourait ses activitĂ©s caritatives et en particulier par ses gestes : elle n’hĂ©sitait pas Ă  embrasser ses pauvres et semblait vouloir sacrifier sa vie pour eux. Le fonctionnement de la Fondation restait nĂ©anmoins pragmatique, et moulĂ© sur les besoins individuels des uns et des autres, mieux que n’aurait pu le faire une organisation bureaucratique.

En 1951, Golda Meir en visite en Argentine pour remercier la Fondation Eva PerĂłn de l’appui apportĂ© Ă  IsraĂ«l.

La Fondation dĂ©ploya ainsi un large Ă©ventail d’activitĂ©s sociales, depuis la construction d’hĂŽpitaux, de refuges, d’écoles, de colonies de vacances, jusqu’à l’attribution de bourses d’étude et d’aides au logement et Ă  l’émancipation de la femme Ă  divers Ă©gards. La Fondation organisait chaque annĂ©e les cĂ©lĂšbres Jeux Evita (Juegos Infantiles Evita, pour enfants) et Jeux Juan PerĂłn (Juegos Juveniles Juan PerĂłn, pour jeunes gens), auxquels prenaient part des centaines de milliers d’enfants et de jeunes issus de milieux modestes, et qui, en mĂȘme temps qu’ils encourageaient la pratique du sport, permirent Ă©galement de procĂ©der Ă  des contrĂŽles mĂ©dicaux massifs[88]. La Fondation distribuait en outre, Ă  la fin de chaque annĂ©e, du cidre et du pain d’épices en grande quantitĂ© aux familles les plus dĂ©munies, action fort critiquĂ©e alors par les opposants.

InfirmiÚres-soldates formées à la nouvelle école d'infirmiÚres d'Eva Perón.

Evita eut aussi le souci d’amĂ©liorer les soins de santĂ© en Argentine. La mĂ©decine publique Ă©tait peu satisfaisante : infrastructure hospitaliĂšre vĂ©tuste, personnel infirmier mal formĂ©, etc. Eva PerĂłn fit en sorte que les formations d’infirmiĂšre, qui avaient dĂ©pendu pour partie de la sus-Ă©voquĂ©e Sociedad de Beneficiencia et venaient de passer sous la tutelle de l’État, fussent regroupĂ©es en un cycle nouveau de formation de quatre ans. Des jeunes filles de tout le pays pouvaient en suivre les cours, frais entiĂšrement couverts par la Fondation. La discipline y Ă©tait quasi militaire ; les bijoux Ă©taient proscrits, et les Ă©tudiantes quittaient l’établissement Ă  la fin de leur cursus avec une conscience mystique de leur fonction et de leur importance sous l’effet d’Evita. Celle-ci voulait que les diplĂŽmĂ©es devinssent « ses soldats », qu’elles fussent en mesure de remplacer les mĂ©decins et de conduire une jeep. Elles participaient aux parades militaires, revĂȘtues d’uniformes bleu ciel, ornĂ©s du profil et des initiales d’Evita.

Elle s’efforça d’autre part de hisser le niveau de la mĂ©decine gratuite jusqu’aux plus hautes normes internationales, notamment en faisant Ă©riger douze hĂŽpitaux publics excellemment Ă©quipĂ©s et dotĂ©s de personnel mĂ©dical compĂ©tent et bien rĂ©munĂ©rĂ©. Les matĂ©riels et les mĂ©dicaments Ă©taient fournis gratuitement par la Fondation. Un train mĂ©dical fut organisĂ©, qui parcourut tout le pays et examina la population gratuitement, administra des vaccins etc[89].

Parmi les rĂ©alisations de la Fondation qui ont subsistĂ© Ă  ce jour, l’on peut citer le complexe rĂ©sidentiel Ciudad Evita (es), citĂ©-jardin situĂ©e dans le partido de La Matanza, dans le Grand Buenos Aires ; un grand nombre d’hĂŽpitaux, qui portent toujours le nom d’Eva PerĂłn ou d’Evita ; le parc Ă  thĂšmes RepĂșblica de los Niños Ă  Gonnet, prĂšs de la ville de La Plata (province de Buenos Aires), etc.

La Fondation apporta Ă©galement des assistances solidaires Ă  divers pays comme les États-Unis[90] et IsraĂ«l. En 1951, Golda Meir, alors ministre israĂ©lienne du Travail et l’une des rares femmes dans le monde ayant atteint une position politique de haut niveau en dĂ©mocratie, se dĂ©plaça en Argentine pour s’entretenir avec Eva PerĂłn et la remercier de ses dons Ă  IsraĂ«l dans les premiers moments d’existence de cet État[91].

La sollicitude spĂ©ciale d’Eva PerĂłn pour les personnes ĂągĂ©es la porta Ă  rĂ©diger et Ă  proclamer le le dĂ©nommĂ© DĂ©calogue du troisiĂšme Ăąge (DecĂĄlogo de la Ancianidad), un ensemble de droits des personnes ĂągĂ©es, droits qui furent inscrits dans la Constitution argentine de 1949. Ces 10 Droits du troisiĂšme Ăąge Ă©taient : assistance, logement, alimentation, habillement, soins de santĂ© physiques, soins de santĂ© psychiques, divertissement, travail, tranquillitĂ©, et respect. La Fondation mit sur pied et finança un rĂ©gime de retraite, avant que l’État ne prĂźt en charge ce service[92]. La Constitution de 1949 fut abrogĂ©e en 1956 par un dĂ©cret militaire, les droits du troisiĂšme Ăąge cessant alors dĂ©finitivement d’avoir force constitutionnelle.

La Fondation Eva PerĂłn se trouvait hĂ©bergĂ©e dans un grand Ă©difice spĂ©cialement construit Ă  cette fin et sis au no 850 de l’avenue Paseo ColĂłn Ă  Buenos Aires, Ă  un Ăźlot de distance du syndicat CGT. Lorsqu’eut lieu le coup d’État militaire de 1955, par lequel le prĂ©sident PerĂłn fut renversĂ©, la Fondation subit plusieurs assauts, lors desquels les grandes statues crĂ©Ă©es par le sculpteur italien Leone Tommasi et apposĂ©es Ă  la façade, furent dĂ©truites. Le bĂątiment Ă©chut ensuite Ă  l’universitĂ© de Buenos Aires (UBA), et Ă  l’heure actuelle, l’édifice abrite la facultĂ© polytechnique de cet Ă©tablissement. Un comitĂ© d’enquĂȘte national fut mis sur pied par les nouvelles autoritĂ©s militaires, et le , bien qu’aucun abus n’eĂ»t pu ĂȘtre mis au jour, le gouvernement Ă©mit un dĂ©cret disposant que toutes les possessions de la fondation devaient aller au trĂ©sor public, en allĂ©guant que « la fondation avait Ă©tĂ© utilisĂ©e Ă  des fins de corruption politique et de collusion, lesquelles constituent le dĂ©ni d’une conception saine de la justice sociale et sont typiques des rĂ©gimes totalitaires »[93].

Candidature à la vice-présidence

Deux millions de personnes assistÚrent à la réunion de présentation de la formule Perón-Eva Perón.

Aux Ă©lections gĂ©nĂ©rales de 1951, les femmes furent pour la premiĂšre fois admises non seulement Ă  voter, mais aussi Ă  se prĂ©senter Ă  titre de candidates. En raison de la grande popularitĂ© d’Evita, le syndicat CGT proposa sa candidature Ă  la vice-prĂ©sidence de la Nation, aux cĂŽtĂ©s de Juan PerĂłn, proposition qui, outre qu’elle impliquait Ă  porter une femme au pouvoir exĂ©cutif, tendait aussi Ă  conforter la position du monde syndical dans le gouvernement pĂ©roniste. Ce coup d’audace dĂ©clencha une Ăąpre lutte interne au sein du pĂ©ronisme et donna lieu Ă  d’importantes manƓuvres des diffĂ©rents groupes de pouvoir, par lesquelles les secteurs les plus conservateurs entendaient faire fortement pression pour empĂȘcher cette candidature. En mĂȘme temps que se dĂ©roulaient ces luttes d’influence se dĂ©veloppait en Eva PerĂłn un cancer de l’utĂ©rus, cancer qui allait mettre un terme Ă  sa vie en moins d’un an.

C’est dans ce contexte que fut tenu, le , le Cabildo ouvert du Justicialisme, convoquĂ© par la CGT. La rĂ©union, qui rassembla des centaines de milliers de travailleurs[94] Ă  l’angle de la rue Moreno et de l’avenue du Neuf-Juillet, fut un Ă©vĂ©nement historique hors du commun. Au cours de ce rassemblement, les syndicats, appuyĂ©s par la foule, priĂšrent Evita d’accepter la candidature Ă  la vice-prĂ©sidence. Juan PerĂłn et Evita — cette derniĂšre non sans s’ĂȘtre fait prier pour la foule, et feignant la modestie et la rĂ©serve avant de monter sur le podium —, prirent tour Ă  tour la parole pour faire observer que les postes n’étaient pas si importants et qu’Evita tenait dĂ©jĂ  une place supĂ©rieure dans la considĂ©ration de la population. À mesure que les paroles de Juan PerĂłn et d’Evita mettaient en Ă©vidence les fortes rĂ©sistances que suscitait au sein du parti pĂ©roniste la candidature d’Eva PerĂłn, la multitude commença Ă  exiger d’elle qu’elle acceptĂąt cette candidature sur-le-champ. À un moment donnĂ©, une voix s’éleva dans la foule interpellant Juan PerĂłn :

« Laissez parler la camarade Evita[95] ! »

Eva en pleurs serrant Juan PerĂłn dans ses bras lors d’un rassemblement le . Sur la photo on aperçoit Ă©galement le ministre de l’IntĂ©rieur Ángel Borlenghi, le prĂ©sident de la Chambre des dĂ©putĂ©s et futur prĂ©sident de la Nation HĂ©ctor J. CĂĄmpora, et, tout Ă  droite, le frĂšre d’Evita, Juan Duarte.

C’est alors que se noua entre la foule et Evita un vĂ©ritable dialogue, totalement inhabituel lors de grands rassemblements de foule :

Transcription du dialogue entre Evita et la multitude présente au Cabildo ouvert du
- Evita (s’adressant Ă  la foule et Ă  Juan PerĂłn) : Aujourd’hui, mon gĂ©nĂ©ral, lors de ce Cabildo ouvert du Justicialisme, le peuple a dit qu’il voulait savoir de quoi il s’agit[96]. Ici, il sait dĂ©jĂ  de quoi il s’agit et il veut que le gĂ©nĂ©ral PerĂłn continue de diriger les destinĂ©es de la patrie.
- Peuple : Avec Evita ! Evita avec PerĂłn !
- Evita : Moi, je ferai toujours ce que veut le peuple. Mais je vous dis que, de la mĂȘme maniĂšre qu’il y a cinq ans j’ai dit que je prĂ©fĂ©rais ĂȘtre Evita, plutĂŽt que la femme du prĂ©sident, si cet Evita-lĂ  Ă©tait dit pour soulager quelque douleur de ma patrie, maintenant je dis que je prĂ©fĂšre rester Evita. La patrie est sauvĂ©e parce qu’elle est gouvernĂ©e par le gĂ©nĂ©ral PerĂłn.
- Peuple : Qu’elle rĂ©ponde ! Qu’elle rĂ©ponde !
- JosĂ© Espejo (CGT) : Madame, le peuple vous prie d’accepter votre poste.
- Evita : Je demande Ă  la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale du Travail et Ă  vous, au nom de l’affection que nous professons les uns pour les autres, de m’accorder, pour une dĂ©cision d’une telle portĂ©e dans la vie de l’humble femme que voici, au moins quatre jours.
- Peuple : Non, non, mettons-nous en grÚve ! Déclenchons la grÚve générale !
- Evita : Camarades, camarades
 je ne renonce pas Ă  mon poste de combat. Je renonce aux honneurs. (Pleure). Je ferai, finalement, ce que dĂ©cide le peuple. (Applaudissements et vivats). Croyez-vous que si le poste de vice-prĂ©sidente avait Ă©tĂ© une vraie charge et que si j’avais, moi, Ă©tĂ© une solution, je n’aurais pas d’ores et dĂ©jĂ  rĂ©pondu oui ?
- Peuple : Une réponse ! Une réponse !
- Evita : Camarades, au nom de l’affection qui nous unit, je vous demande s.v.p. que vous ne me fassiez pas faire ce que je ne veux pas faire. Je vous le demande, Ă  vous, comme amie, comme camarade. Je vous demande de vous disperser. (La foule ne se retire pas). Camarades, quand Evita vous a-t-elle trompĂ©s ? Quand Evita n’a-t-elle pas fait ce que vous dĂ©sirez ? Je vous demande une seule chose, attendez jusqu’à demain.
- Espejo (CGT) : La camarade Evita nous demande deux heures d’attente. Nous allons rester ici. Nous ne bougerons pas avant qu’elle ne nous ait donnĂ© la rĂ©ponse favorable.
- Evita : Ceci me prend au dĂ©pourvu. Jamais dans mon cƓur d’humble femme argentine je n’ai pensĂ© que je pouvais accepter ce poste
 Donnez-moi le temps pour annoncer ma dĂ©cision au pays Ă  la radio[97].
Evita Ă©mettant son vote Ă  l’hĂŽpital en 1951. C’était la premiĂšre fois que les femmes votaient lors d’un scrutin national en Argentine. À cet effet, Evita reçut le carnet d’électeur no 00.000.001.

La foule interprĂ©ta ces paroles comme l’engagement d’Eva PerĂłn d’accepter la candidature et se dispersa. Pourtant, neuf jours plus tard, Eva parla Ă  la radio pour faire part de sa dĂ©cision de renoncer Ă  la candidature. Les sympathisants pĂ©ronistes ont appelĂ© Jour du Renoncement (DĂ­a del Renunciamiento) la date de cette annonce radiophonique.

Si c’est indĂ©niablement l’état de santĂ© dĂ©tĂ©riorĂ© d’Eva PerĂłn qui sera finalement le facteur dĂ©terminant dans l’échec de sa candidature Ă  la vice-prĂ©sidence, il apparaĂźt nĂ©anmoins que la proposition de la CGT mit au grand jour les luttes internes au sein du mouvement pĂ©roniste et dans la sociĂ©tĂ© argentine tout entiĂšre face Ă  l’éventualitĂ© qu’une femme appuyĂ©e par les syndicats pĂ»t ĂȘtre Ă©lue vice-prĂ©sidente, voire, le cas Ă©chĂ©ant, devenir prĂ©sidente de la Nation. Il apparaĂźt certain, nonobstant ses dĂ©nĂ©gations, qu’Eva PerĂłn convoitait ce poste. La position de Juan PerĂłn lui-mĂȘme reste sujette Ă  spĂ©culation, mais il est probable qu’il avait dĂ©cidĂ© qu’elle ne pouvait pas ĂȘtre vice-prĂ©sidente. Quoi qu’il en soit, l’ampleur du soutien populaire Ă  Evita et la rĂ©action de la foule lors du Cabildo ouvert les surprirent l’un et l’autre[98].

Quelques semaines plus tard, le , certains secteurs des forces armĂ©es, emmenĂ©s par le gĂ©nĂ©ral BenjamĂ­n MenĂ©ndez, tentĂšrent un coup d’État, qui avorta. Le lendemain, sans en rĂ©fĂ©rer au gouvernement ou Ă  Juan PerĂłn, Evita convoqua trois membres du comitĂ© exĂ©cutif de la CGT, ainsi qu’Attilio Renzi et le commandant gĂ©nĂ©ral des forces armĂ©es restĂ©es loyales, JosĂ© Humberto Molina, et passa commande de 5000 mitraillettes et 1500 mitrailleuses, qui seraient financĂ©es par sa fondation, entreposĂ©es dans un arsenal du gouvernement et mises Ă  la disposition de la CGT dĂšs qu’éclaterait une nouvelle rĂ©bellion militaire[99].

Aux Ă©lections du , Evita Ă©tait alitĂ©e, ayant Ă©tĂ© opĂ©rĂ©e six jours auparavant, et dut voter dans son lit d’hĂŽpital.

Maladie et mort

Juan PerĂłn soutenant Evita lors du rassemblement du . On reconnaĂźt Ă  droite, un peu en retrait, le secrĂ©taire Ă  la Presse RaĂșl Apold.

Le cancer du col utĂ©rin qu’avait contractĂ© Eva PerĂłn se manifesta pour la premiĂšre fois le par son Ă©vanouissement lors de la rĂ©union fondatrice du Syndicat des taxis[100]. Admise Ă  l’hĂŽpital, elle y subit une appendicectomie. À cette occasion, le chirurgien Oscar Ivanissevich (pour lors aussi ministre de l’Éducation) constata un cancer du col de l’utĂ©rus et proposa ensuite Ă  Eva PerĂłn, sans lui communiquer ouvertement le diagnostic, de pratiquer une hystĂ©rectomie, ce qu’elle refusa avec vĂ©hĂ©mence[101]. Le , Juan PerĂłn fut mis au fait de l’état de santĂ© de sa femme et sut Ă  quoi s’en tenir, attendu que sa premiĂšre Ă©pouse Aurelia avait succombĂ© Ă  la mĂȘme maladie au terme de longues souffrances.

DĂ©but 1951, elle eut un nouveau malaise dans le bĂątiment de la Fondation Eva PerĂłn, ce qui l’incita Ă  transfĂ©rer son office Ă  la rĂ©sidence prĂ©sidentielle, sise alors rues Austria et Libertador, oĂč se trouve aujourd’hui la BibliothĂšque nationale d'Argentine. Les mĂ©dias commençaient maintenant Ă  Ă©voquer son Ă©tat de santĂ©, et 92 messes furent cĂ©lĂ©brĂ©es dans toute l’Argentine pour demander son rĂ©tablissement. Les syndicats de leur cĂŽtĂ© imaginĂšrent des manifestations plus laĂŻques, telle que ce cortĂšge de plus de mille camions organisĂ© par les chauffeurs de poids lourds Ă  Palermo le [53].

Le , elle fit paraĂźtre son livre La razĂłn de mi vida (trad. fr. La Raison de ma vie), rĂ©digĂ© avec l’aide du journaliste espagnol Manuel Penella de Silva entre autres, avec un premier tirage de 300 000 exemplaires, dont 150 000 furent vendus dĂšs le premier jour de parution. L’ouvrage deviendra aprĂšs sa mort, par dĂ©cret du CongrĂšs, livre de lecture obligatoire dans les Ă©coles argentines.

La progression de son cancer l’affaiblissait de plus en plus, la contraignant au repos. Ce nonobstant, elle continua de participer aux rassemblements publics. L’un des plus importants de cette phase finale de sa vie eut lieu le de cette mĂȘme annĂ©e 1951. Le discours que prononça Evita ce jour-lĂ  a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme son testament politique ; elle y fera neuf fois allusion Ă  sa propre mort.

Le , elle fut opĂ©rĂ©e par le cĂ©lĂšbre mĂ©decin oncologue amĂ©ricain George Pack, venu Ă  Buenos Aires dans le plus grand secret, Ă  l’hĂŽpital d’Avellaneda (l’actuel Hospital Interzonal General de Agudos Presidente PerĂłn), construit par la Fondation Eva PerĂłn. C’est lĂ  aussi que, six jours plus tard, depuis son lit d’hĂŽpital, avec l’accord de la commission Ă©lectorale et l’assentiment des partis d’opposition, elle Ă©mit son vote pour les Ă©lections gĂ©nĂ©rales, qui assurĂšrent la rĂ©Ă©lection de Juan PerĂłn. La salle d’hĂŽpital a entre-temps Ă©tĂ© amĂ©nagĂ©e en musĂ©e[102].

Dans la pĂ©riode de convalescence qui suivit, il sembla qu’elle pĂ»t reprendre ses activitĂ©s. Selon le pĂšre BenĂ­tez, « personne ne lui avait jamais dit de quoi elle Ă©tait atteinte, mais elle se rendait compte qu’elle allait fort mal. Elle souffrait des mĂȘmes douleurs lancinantes, de la mĂȘme absence d’appĂ©tit, et avait les mĂȘmes effroyables cauchemars et accĂšs de dĂ©sespoir »[103]. Ses interventions publiques devinrent plus agressives envers l’oligarchie, s’émaillaient de menaces apocalyptiques et d’allusions messianiques Ă  une vie aprĂšs la mort[104]. Entre-temps, Juan PerĂłn avait gagnĂ© l’élection prĂ©sidentielle, avec une avance sur son adversaire largement plus importante que lors de l’édition prĂ©cĂ©dente, grĂące Ă  l’apport des voix fĂ©minines mobilisĂ©es par Evita.

À cette mĂȘme Ă©poque, Eva PerĂłn commença de rĂ©diger son dernier livre, connu sous le titre de Mi mensaje, qu’elle dicta au prĂ©sident du syndicat des enseignants, Juan JimĂ©nez DomĂ­nguez, et rĂ©ussit Ă  achever peu de jours avant de mourir. Il s’agit du texte le plus ardent et le plus Ă©mouvant d’Evita, dont il fut donnĂ© lecture d’un extrait aprĂšs sa mort, le , lors du rassemblement sur la place de mai, et qui fut Ă©garĂ© par la suite, pour ĂȘtre retrouvĂ© en 1987. Ses sƓurs, affirmant alors qu’il s’agissait d’un texte apocryphe, saisirent le tribunal, lequel rendit son jugement en 2006 en dĂ©clarant le texte authentique[105]. Les fragments suivants de Mi Mensaje donnent une idĂ©e de la nature de sa pensĂ©e dans les derniers jours de sa vie :

« Je me rebelle indignĂ©e, avec tout le venin de ma haine, ou avec tout le feu de mon amour — je ne sais encore — contre le privilĂšge que constituent encore les hautes sphĂšres des forces armĂ©es et du clergĂ©. »

FunĂ©railles d’Eva PerĂłn.

« PerĂłn et notre peuple ont Ă©tĂ© frappĂ©s par le malheur de l’impĂ©rialisme capitaliste. Je l’ai vu de prĂšs Ă  travers ses misĂšres et ses crimes. Il se dit dĂ©fenseur de la justice, tout en Ă©tendant les griffes de sa rapacitĂ© sur les biens de tous les peuples soumis Ă  sa toute-puissance
 Mais plus abominables encore que les impĂ©rialistes sont les oligarchies nationales qui se soumettent Ă  eux en vendant ou parfois en offrant, pour quelques piĂšces de monnaie ou pour des sourires, le bonheur de leurs peuples. »

Elle subit plusieurs cures de radiothĂ©rapie (un appareil de rayonnement avait Ă©tĂ© installĂ© dans sa chambre), et il existe des Ă©lĂ©ments indiquant que fut pratiquĂ©e sur elle, Ă  Buenos Aires, peu avant qu’elle ne mourĂ»t, en mai ou en [106], une lobotomie prĂ©frontale, visant Ă  combattre la douleur, l’anxiĂ©tĂ© et l’agitation consĂ©cutives au cancer mĂ©tastasĂ© dont elle souffrait, et que c’est le neurochirurgien James L. Poppen qui fut chargĂ© de cette intervention[106] - [107], conjointement avec le neurochirurgien George Udvarhelyi[108]. En , elle ne pesait plus que 38 kilos ; le , elle tomba une premiĂšre fois dans le coma.

Elle s’éteignit Ă  l’ñge de 33 ans, le , Ă  20 h 25, selon le certificat de dĂ©cĂšs[109]. Certaines publications soutiennent qu’elle mourut deux minutes plus tĂŽt, Ă  20 heures 23[110]. À 21 heures 36, le prĂ©sentateur de radio Jorge Furnot lut sur la chaĂźne de radiodiffusion :

« Le secrĂ©tariat Ă  l’information de la PrĂ©sidence de la Nation remplit le trĂšs pĂ©nible devoir d’informer le peuple de la RĂ©publique qu’à 20 heures 25 s’est Ă©teinte madame Eva PerĂłn, Chef spirituel de la Nation. La dĂ©pouille de madame Eva PerĂłn sera transportĂ©e demain au ministĂšre du Travail et de la PrĂ©voyance, oĂč sera amĂ©nagĂ©e la chapelle ardente
 »

AprĂšs sa mort, la CGT proclama une cessation de travail de trois jours, tandis que le gouvernement dĂ©crĂ©ta un deuil national de 30 jours. L’on veilla son corps au secrĂ©tariat au Travail et Ă  la PrĂ©voyance jusqu’au , date Ă  laquelle il fut transfĂ©rĂ© Ă  l’édifice du CongrĂšs de la Nation, pour y recevoir les honneurs officiels, et ensuite au siĂšge de la CGT. Le cortĂšge fut suivi, au cours d’une semaine pluvieuse, par plus de deux millions de personnes et, Ă  son passage par les rues de Buenos Aires, fut reçu par une pluie d’Ɠillets, d’orchidĂ©es, de chrysanthĂšmes, de giroflĂ©es et de roses, lancĂ©es des balcons proches. Les cĂ©rĂ©monies funĂšbres se prolongĂšrent pendant seize jours. Vingt-huit personnes pĂ©rirent par suite de l’affluence dans les rues et il y eut plus de trois cents blessĂ©s.

Le gouvernement chargea Edward Cronjager, opĂ©rateur de la 20th Century Fox, qui avait dĂ©jĂ  filmĂ© les obsĂšques du marĂ©chal Foch, de produire aussi les images des funĂ©railles d’Evita, images qui permirent ensuite de rĂ©aliser le documentaire Y la Argentina detuvo su corazĂłn[111]. Le gouvernement disposa Ă©galement que les radios rappellent quotidiennement l’heure de la mort d’Evita, en dĂ©plaçant l’heure de dĂ©but du journal parlĂ© de 20 heures 30 Ă  20 heures 25 et en rĂ©pĂ©tant chaque fois la phrase « il est 20 heures 25, heure Ă  laquelle Eva PerĂłn passa Ă  l’immortalitĂ© ».

ConformĂ©ment Ă  ses derniĂšres volontĂ©s, rĂ©digĂ©es d’une main incertaine, sa fondation devait devenir une partie intĂ©grante de la CGT, et celle-ci serait chargĂ©e d’en gĂ©rer les possessions, au bĂ©nĂ©fice des affiliĂ©s des syndicats. Cependant, avec la mort d’Evita, la Fondation se retrouvait soudain privĂ©e de son cƓur battant et de son ressort, et les fonds baissaient. Sans Evita, le pĂ©ronisme avait perdu de sa puissance rhĂ©torique, et le lien Ă©motionnel entre PerĂłn, Evita et les sans-chemise s’était sensiblement affaibli[112].

Son corps fut embaumĂ© par les soins du Dr Pedro Ara et resta ensuite exposĂ© dans les locaux de la CGT. Entre-temps, le gouvernement ordonna le dĂ©but des travaux en vue de la construction du monument au Descamisado, qui avait Ă©tĂ© projetĂ© Ă  partir d’une idĂ©e d’Eva PerĂłn et qui, suivant un nouveau projet, deviendrait son tombeau dĂ©finitif. Lorsque la dĂ©nommĂ©e RĂ©volution libĂ©ratrice renversa Juan PerĂłn le 23 septembre 1955, le cadavre fut enlevĂ© et disparut durant 14 ans.

L’enlùvement du cadavre d’Evita

Le corps d'Eva Perón fut embaumé par le Dr Pedro Ara.
Evita repose actuellement au cimetiĂšre de la Recoleta Ă  Buenos Aires.

La mĂ©thode d’embaumement mise en Ɠuvre par Pedro Ara, diplĂŽmĂ© de l’universitĂ© de Vienne, professeur d’anatomie pathologique, qui avait dĂ©jĂ  embaumĂ© le corps de Manuel de Falla, consistait Ă  remplacer le sang par de la glycĂ©rine, ce qui permettait de prĂ©server tous les organes — dont du reste aucun, dans le cas d’Eva PerĂłn, n’avait Ă©tĂ© prĂ©levĂ© —, et de donner au corps une apparence de vie, pour un rĂ©sultat final qui surprenait par ses qualitĂ©s esthĂ©tiques[113]. Le corps devait ĂȘtre plongĂ© dans des bains de formol, de thymol et d’alcool pur, et recevoir plusieurs injections successives. L’ensemble de la procĂ©dure, qui aurait lieu au siĂšge de la CGT, devait durer un an, aprĂšs quoi le corps pouvait ĂȘtre exposĂ© et touchĂ©.

Sous la dictature militaire dite RĂ©volution libĂ©ratrice (1955-1958), qui renversa le prĂ©sident Juan PerĂłn, un commando sous les ordres du lieutenant-colonel Carlos de Moori Koenig s’empara, le durant la nuit, du corps d’Evita, qui se trouvait toujours dans les locaux de la CGT. Le rĂ©cit de l’ancien major Jorge Dansey GazcĂłn diffĂšre de cette version en ceci qu’il prĂ©tend que ce fut lui qui transporta le corps[114]. Dans cette affaire, les militaires s’étaient imposĂ© une double ligne de conduite : d’abord, le cadavre devait ĂȘtre traitĂ© avec le plus grand respect (le gĂ©nĂ©ral Pedro Eugenio Aramburu, le nouvel homme fort du pays, Ă©tait trĂšs catholique, ce qui interdisait par ailleurs l’option de crĂ©mation) ; ensuite, il Ă©tait impĂ©rieux de le maintenir en dehors de la politique, les militaires en redoutant par-dessus tout la valeur symbolique. L’ordre d’enlĂšvement du corps une fois donnĂ© par le gĂ©nĂ©ral Aramburu, le corps suivit un itinĂ©raire macabre et pervers[115]. Moori Koenig dĂ©posa le cadavre Ă  l’intĂ©rieur d’une camionnette et l’y laissa pendant plusieurs mois, en garant le vĂ©hicule dans diffĂ©rentes rues de Buenos Aires, dans des dĂ©pĂŽts de l’armĂ©e, et mĂȘme au domicile d’un militaire. Certaine nuit, il advint mĂȘme que les militaires tuĂšrent par mĂ©garde une femme enceinte, qu’ils avaient prise pour un commando pĂ©roniste tentant de rĂ©cupĂ©rer le cadavre. À un moment donnĂ©, Moori Koenig plaça le cercueil contenant le cadavre debout dans son bureau. Une des personnes qui eut alors l’occasion d’apercevoir le corps d’Evita Ă©tait la cinĂ©aste MarĂ­a Luisa Bemberg.

Le dictateur Aramburu Ă©carta Moori Koenig, supposĂ©ment au bord de la dĂ©pression nerveuse, et confia au colonel HĂ©ctor Cabanillas la mission de l’ensevelir clandestinement. La dĂ©nommĂ©e OpĂ©ration Transfert (OperaciĂłn Traslado) fut planifiĂ©e par le futur dictateur Alejandro AgustĂ­n Lanusse, alors lieutenant-colonel, avec le concours du prĂȘtre Francisco Paco Rotger, Ă  qui incomba la responsabilitĂ© d’assurer la complicitĂ© de l’Église par le biais du supĂ©rieur gĂ©nĂ©ral de l’ordre des pauliniens, le pĂšre Giovanni Penco, et du pape Pie XII lui-mĂȘme[116].

Le , le cadavre fut transportĂ© en secret Ă  GĂȘnes en Italie, Ă  bord du navire Conte Biancamano, dans un cercueil dont on fit croire qu’il contenait une femme nommĂ©e MarĂ­a Maggi de Magistris, puis enterrĂ© sous ce nom dans la tombe 41 du champ no 86 du cimetiĂšre principal de Milan.

Il y eut de cette occultation une prolifĂ©ration de versions diffĂ©rentes, amplifiant le mythe. L'une d'elles veut que les militaires ordonnĂšrent de confectionner trois copies de cire de la momie, et qu’ils en envoyĂšrent une Ă  un autre cimetiĂšre en Italie, une en Belgique et la troisiĂšme en Allemagne de l’Ouest.

En 1970, l’organisation de guĂ©rilla Montoneros enleva et sĂ©questra Aramburu, alors retirĂ© de la politique, en rĂ©clamant entre autres la rĂ©apparition du corps d’Evita. Cabanillas se mit alors en route pour le ramener en Argentine, mais, celui-ci n’arrivant pas Ă  temps, Aramburu fut mis Ă  mort. Le lendemain, un deuxiĂšme communiquĂ© fut envoyĂ© Ă  la presse, indiquant que le corps d’Aramburu ne serait pas restituĂ© Ă  sa famille aussi longtemps que « la dĂ©pouille mortelle de notre chĂšre camarade Evita n’aura pas Ă©tĂ© rendue au peuple »[117].

Un commando Evita fit son apparition ; un autre groupe dĂ©robait des marchandises dans les supermarchĂ©s et les distribuait dans les bidonvilles, selon ce qu’ils supposaient qu’eĂ»t Ă©tĂ© la politique de la Fondation Eva PerĂłn, et croyant qu’Evita Ă©tait le trait d’union entre le peuple et eux-mĂȘmes — « Si Evita vivait, elle serait montonera » (Si Evita viviera, serĂ­a Montonera) Ă©tait un slogan de l’époque.

En , le gĂ©nĂ©ral Lanusse, qui gouvernait alors le pays, mais Ă©tait dĂ©sireux de mettre fin Ă  l’état d’exception commencĂ© en 1955, et voyait la question du cadavre d’Evita comme un obstacle Ă  sa volontĂ© de normalisation, ordonna au colonel Cabanillas d’organiser l'opĂ©ration Retour (Operativo Retorno). Le corps d’Evita fut exhumĂ© de la tombe clandestine Ă  Milan et restituĂ© Ă  Juan PerĂłn Ă  Puerta de Hierro, Ă  Madrid. À cette action prit part Ă©galement le brigadier Jorge Rojas Silveyra, ambassadeur d’Argentine en Espagne. Il manquait au corps un doigt qui lui avait Ă©tĂ© coupĂ© intentionnellement, mais, hormis un lĂ©ger Ă©crasement du nez et une Ă©gratignure sur le front, le cadavre se trouvait pour le reste en de bonnes conditions gĂ©nĂ©rales.

En 1974, alors que Juan PerĂłn Ă©tait dĂ©jĂ  de retour en Argentine, les Montoneros enlevĂšrent le cadavre d’Aramburu dans le but de le troquer contre celui d’Evita. Cette mĂȘme annĂ©e, Juan PerĂłn dĂ©jĂ  mort, sa troisiĂšme Ă©pouse, Isabel, dĂ©cida de faire rapatrier le corps d’Eva PerĂłn, puis de le dĂ©poser dans la propriĂ©tĂ© prĂ©sidentielle. Dans le mĂȘme temps, le gouvernement d’Isabel PerĂłn commença Ă  projeter la construction de l’autel de la Patrie (en esp. Altar de la Patria), grand mausolĂ©e destinĂ© Ă  accueillir les restes de Juan et Eva PerĂłn, et de toutes les grandes figures de l'histoire argentine.

En 1976, la dictature militaire arrivĂ©e au pouvoir le remit le corps Ă  la famille Duarte, laquelle le fit enterrer dans son caveau au cimetiĂšre de la Recoleta Ă  Buenos Aires, oĂč il se trouve depuis lors[118].

La cĂ©lĂšbre nouvelle de l’écrivain Rodolfo Walsh, intitulĂ©e Esa mujer[119], a pour sujet la sĂ©questration du cadavre d’Evita.

Le discours politique d’Evita

Evita tenait un discours simple et Ă©motionnel.

PrĂ©fĂ©rant s’exprimer non en termes politiques mais en termes de sentiments, Eva PerĂłn Ă©tait douĂ©e d’une capacitĂ© extraordinaire Ă  formuler des Ă©motions en public. Ses discours Ă©taient fluides, dramatiques et passionnĂ©s. Souvent, elle Ă©cartait le texte prĂ©parĂ© d’avance et se mettait Ă  improviser. Pour illustrer et rendre convaincantes les notions d’amour et de fidĂ©litĂ© envers Juan PerĂłn (qui constituaient pour beaucoup de gens la substance du pĂ©ronisme), son langage faisait appel aux conventions des dramatiques radiophoniques. Si Ă  l’origine, son discours s’appuyait sur une authentique admiration pour Juan PerĂłn, Ă  partir de 1949, cette glorification du prĂ©sident devint un culte institutionnalisĂ©, avec Evita dans le rĂŽle de grande prĂȘtresse[120].

Ses discours, Ă  forte charge Ă©motionnelle et d’un grand impact populaire, avaient aussi la particularitĂ© de s’approprier les termes pĂ©joratifs par lesquels les classes supĂ©rieures avaient coutume de dĂ©signer les travailleurs, mais pour leur donner paradoxalement un sens Ă©logieux ; ainsi en Ă©tait-il du terme grasitas, diminutif affectueux de grasa, dĂ©signation dĂ©prĂ©ciative souvent utilisĂ©e pour nommer les couches populaires. À l’instar de son Ă©poux, Eva employait, pour dĂ©signer les travailleurs, le vocable de descamisados (sans-chemise) — qui trouve son origine dans le terme sans-culotte, en vogue pendant la RĂ©volution française —, vocable qui devait devenir emblĂ©matique du pĂ©ronisme et tendait, pour Evita, Ă  souligner ses propres origines humbles, comme maniĂšre de se solidariser avec les travailleurs.

Le passage suivant, extrait de Mi Mensaje, Ă©crit peu avant sa mort, apparaĂźt reprĂ©sentatif de la façon dont Evita s’adressait au peuple, tant dans ses allocutions publiques que dans ses Ă©crits :

« Tout ce qui s’oppose au peuple m’indigne jusqu’aux limites extrĂȘmes de ma rĂ©bellion et de mes haines, mais Dieu sait aussi que je n’ai jamais haĂŻ quiconque pour lui-mĂȘme, ni n’ai combattu quiconque avec mĂ©chancetĂ©, mais seulement pour dĂ©fendre mon peuple, mes ouvriers, mes femmes, mes pauvres grasitas, que personne n’a jamais dĂ©fendus avec plus de sincĂ©ritĂ© que PerĂłn et avec plus d’ardeur qu’Evita. Mais l’amour de PerĂłn pour le peuple est plus grand que mon amour ; parce que lui sut se porter, partant de sa position militaire privilĂ©giĂ©e, Ă  la rencontre du peuple, lui sut s’élever jusqu’à son peuple, en rompant toutes les chaĂźnes de sa caste. Moi-mĂȘme, en revanche, je suis nĂ©e au sein du peuple et ai souffert parmi le peuple. J’ai la chair et l’ñme et le sang du peuple. Je ne pouvais faire autre chose que de me livrer Ă  mon peuple. Si je meurs avant PerĂłn, je voudrais que cette mienne volontĂ©, la derniĂšre et celle dĂ©finitive de ma vie, soit lue lors d’un rassemblement public sur la place de Mai, sur la place du 17 octobre, devant mes chers sans-chemises. »

Les positions d’Evita tendaient ouvertement Ă  la dĂ©fense des valeurs et intĂ©rĂȘts des travailleurs et des femmes, en mettant en Ɠuvre un discours Ă©motionnel et socialement trĂšs polarisĂ©, Ă  une Ă©poque oĂč la polarisation politique et sociale Ă©tait trĂšs forte. Ainsi Evita fustigeait-elle avec insistance ce qu’elle dĂ©signait globalement par l’oligarchie ‒ terme dĂ©jĂ  utilisĂ© par les radicaux au temps d’Yrigoyen ‒, y incluant les classes supĂ©rieures de son pays, auxquelles elle imputait des positions favorisant l’inĂ©galitĂ© sociale, de mĂȘme que le capitalisme et l’impĂ©rialisme, terminologie typique des milieux syndicaux et de gauche. Un spĂ©cimen de ce discours est le passage suivant de Mi mensaje :

« Les dirigeants syndicaux et les femmes qui sont le peuple Ă  l’état pur ne peuvent, ne doivent jamais se livrer Ă  l’oligarchie. Je n’en fais pas une affaire de classes. Je ne plaide pas pour la lutte des classes, mais notre dilemme est des plus clairs : l’oligarchie, qui nous a exploitĂ©s pendant des milliers d’annĂ©es dans le monde, tentera toujours de nous vaincre. »

Evita prononçant un discours le 1er mai 1951.

Le discours d’Evita abondait en Ă©loges inconditionnels de Juan PerĂłn et exhortait le public Ă  l’appuyer sans rĂ©serves. La phrase suivante, prononcĂ©e lors du rassemblement du , en est une illustration :

« Nous savons que nous nous trouvons en prĂ©sence d’un homme exceptionnel, nous savons que nous nous trouvons devant le chef des travailleurs, devant le chef de la Patrie mĂȘme, parce que PerĂłn est la patrie et que quiconque n’est pas avec la patrie est un traĂźtre. »

La pensée de Perón lui apparaissait comme une vérité révélée, et dÚs lors fanatisme et sectarisme étaient de rigueur :

« L’opposition dit que c’est du fanatisme, que je suis une fanatique pour PerĂłn et pour le peuple, que je suis dangereuse parce que je suis trop sectaire et trop fanatique pour PerĂłn. Mais je rĂ©ponds avec PerĂłn : le fanatisme est la sagesse du cƓur. Qu’importe que quelqu’un soit un fanatique, s’il l’est en compagnie de martyrs et de hĂ©ros. De toute façon, la vie ne prend rĂ©ellement de la valeur que si elle n’est pas vĂ©cue dans un esprit d’égoĂŻsme, uniquement pour soi, mais quand on se voue, complĂštement et fanatiquement, Ă  un idĂ©al qui a plus de valeur que la vie elle-mĂȘme. C’est pourquoi je dis : oui, je suis fanatique pour PerĂłn et pour les sans-chemise du pays[121]. »

Relativement Ă  ces discours, la chercheuse LucĂ­a GĂĄlvez observe :

« Les discours que lui Ă©crivait Francisco Muñoz Azpiri parlaient, d’un cĂŽtĂ©, du siĂšcle du fĂ©minisme victorieux, pour retomber aussitĂŽt dans des lieux communs tels que La razĂłn de mi vida, destinĂ©s Ă  exalter la grandeur de PerĂłn et la petitesse de sa femme[122]. »

Le pĂšre BenĂ­tez souligna qu’il fallait juger Evita sur ses actes plutĂŽt que sur ses paroles : c’est bien elle en effet qui obtint le droit de vote effectif pour les femmes et leur participation Ă  la politique, objectifs qu’avaient vainement poursuivis les socialistes et fĂ©ministes durant des annĂ©es[123].

L’un de ses discours les plus citĂ©s, qui traite de la solidaritĂ© et du travail social, fut prononcĂ© dans le port de Vigo, en Espagne, lors de sa tournĂ©e internationale :

« Ce n’est qu’en nous impliquant dans la douleur, en vivant et souffrant avec les peuples, quelles que soient leur couleur, leur race ou leurs croyances, que l’on pourra rĂ©aliser l’énorme tĂąche de construire la justice qui nous mĂšne Ă  la paix. Cela vaut amplement la peine de brĂ»ler sa vie en faveur de la solidaritĂ© si le fruit en est la paix du monde et son bonheur, lors mĂȘme que peut-ĂȘtre ce fruit n’arriverait Ă  maturation qu’aprĂšs que nous ayons disparus. »

Influence d’Evita aprùs sa mort

AprĂšs sa mort, diffĂ©rents secteurs de la politique argentine eurent Ă  cƓur d’intĂ©grer la figure d’Evita dans leur discours.

Ce sont en premier lieu les syndicats, Ă©troitement liĂ©s Ă  elle de son vivant, qui brandirent son nom et son image, en mĂȘme temps que ceux de Juan PerĂłn, comme symboles forts du rĂŽle dĂ©terminant des travailleurs dans l’histoire de l’Argentine. Quelques personnes nĂ©es aprĂšs sa mort lui ont confĂ©rĂ© un caractĂšre rĂ©volutionnaire, jusqu’à l’associer parfois avec Che Guevara dans une conjonction symbolique Ă  laquelle a pu contribuer sans doute la circonstance que tous deux moururent jeunes.

La gauche pĂ©roniste, et en particulier le groupe guĂ©rillĂ©ro des Montoneros, aimait Ă  invoquer la figure d’Evita dans son discours politique, Ă  telle enseigne que ces derniers forgĂšrent la formule « si Evita vivait encore, elle serait montonera ». C’est en effet en rĂ©action Ă  l’enlĂšvement du cadavre d’Eva PerĂłn que cette organisation exĂ©cuta le rapt et la subsĂ©quente mise Ă  mort du gĂ©nĂ©ral Pedro Eugenio Aramburu ; si ensuite, en 1974, elle dĂ©roba le corps d’Aramburu, c’était dans le but de faire pression sur le gouvernement constitutionnel pĂ©roniste et contraindre celui-ci Ă  restituer le cadavre d’Evita, qui se trouvait alors dans la propriĂ©tĂ© « 17 de octubre » dĂ©tenue par Juan PerĂłn dans la banlieue de Madrid.

Dans son poĂšme Eva, MarĂ­a Elena Walsh insiste sur la nĂ©cessaire dĂ©cantation pour juger de l’influence d’Evita aprĂšs sa mort :

Quand les vautours t’auront laissĂ©e tranquille
et que tu auras fui les estampes et l’outrage
nous commencerons Ă  savoir qui tu fus.

À la fin d’un de ses derniers discours, Eva PerĂłn prit congĂ© du public en ces termes :

« Quant Ă  moi, je vous laisse mon cƓur, et je serre fort dans mes bras tous les descamisados, mais trĂšs prĂšs de mon cƓur, et je souhaite que vous mesuriez bien combien je vous aime. »

Dans l’une des phrases de son livre La Raison de ma vie, qui fait allusion à sa mort, elle dit :

« Peut-ĂȘtre qu’un jour, quand je m’en serai allĂ©e dĂ©finitivement, quelqu’un dira-t-il de moi ce que beaucoup d’enfants disent d’ordinaire dans le village de leur mĂšre quand ils s’en vont, eux aussi dĂ©finitivement : Ă  prĂ©sent seulement, nous nous rendons compte combien elle nous aimait ! »

Les multiples noms d’Eva Perón

Le nom d’Eva PerĂłn changea plusieurs fois au fil du temps. Son nom de baptĂȘme Ă©tait Eva MarĂ­a Ibarguren, comme il appert de l’acte paroissial. Cependant, depuis toute petite fille elle Ă©tait connue comme Eva MarĂ­a Duarte et fut inscrite Ă  l’école de JunĂ­n sous ce nom. Une fois arrivĂ©e Ă  Buenos Aires, Eva adopta le nom de scĂšne Eva Durante, qu’elle utilisait en alternance avec celui d’Eva Duarte. Lorsqu’elle Ă©pousa Juan PerĂłn en 1945, son nom fut officiellement fixĂ© comme MarĂ­a Eva Duarte de PerĂłn. AprĂšs que Juan PerĂłn eut Ă©tĂ© Ă©lu prĂ©sident, elle prit nom Eva PerĂłn, et donna ce mĂȘme nom Ă  sa fondation. Enfin, Ă  partir de 1946 environ, le peuple se mit Ă  l’appeler Evita. Dans La razĂłn de mi vida, elle Ă©crivit Ă  propos de son nom :

« Quand j’ai choisi d’ĂȘtre Evita, je sais que j’ai choisi la voie de mon peuple. Maintenant, quatre ans aprĂšs ce choix, il m’apparaĂźt facile de dĂ©montrer qu’il en fut effectivement ainsi. Nul hormis le peuple ne m’appelle Evita. Seuls les descamisados ont appris Ă  m’appeler ainsi. Les hommes de gouvernement, les dirigeants politiques, les ambassadeurs, les hommes d’entreprise, des professionnels, des intellectuels, etc. qui me visitent ont coutume de m’appeler Madame (Señora) ; et quelques-uns mĂȘme me disent publiquement ExcelentĂ­sima ou DignĂ­sima Señora, voire parfois Señora Presidenta. Eux ne voient pas en moi plus qu’Eva PerĂłn. Les descamisados, en revanche, ne me connaissent pas autrement que comme Evita. »

« J’avoue avoir une ambition, une seule et grande ambition personnelle : j’aimerais que le nom d’Evita figure quelque jour dans l’histoire de ma Patrie. J’aimerais que l’on dise d’elle, ne serait-ce que dans une petite note, en bas du chapitre merveilleux que l’histoire consacrera certainement Ă  PerĂłn, quelque chose qui serait plus ou moins ceci : « Il y eut aux cĂŽtĂ©s de PerĂłn une femme qui se voua Ă  porter au PrĂ©sident les espĂ©rances du peuple, qu’ensuite PerĂłn transformait en rĂ©alitĂ©s ». Et je me sentirais dĂ»ment, amplement rĂ©compensĂ©e si la note se terminait de cette maniĂšre : « De cette femme nous savons seulement que le peuple l’appelait, affectueusement, Evita ». »

Popularité et culte

Le portrait d’Evita est le seul d’une Ă©pouse de prĂ©sident Ă  ĂȘtre suspendu dans le Salon des PrĂ©sidents argentins de la Casa Rosada.

La figure d’Evita se rĂ©pandit trĂšs largement dans les classes populaires d’Argentine, notamment sous la forme d’images la reprĂ©sentant d’une façon semblable Ă  la Vierge Marie, au point d’ailleurs que l’église catholique s’en formalisa.

En outre, encore de son vivant, un vĂ©ritable culte de la personnalitĂ© fut mis en place par le gouvernement : tableaux et bustes d’Eva PerĂłn furent disposĂ©s dans quasiment tous les Ă©difices publics et l’on utilisa son nom et jusqu’à sa date de naissance pour nommer Ă©tablissements publics, gares de chemin de fer, stations de mĂ©tro, villes, etc., y compris pour changer en Eva PerĂłn le nom de la province de La Pampa et de la ville de La Plata. Son autobiographie La Raison de ma vie fut imposĂ©e comme livre de lecture dans les Ă©coles primaires et secondaires. AprĂšs sa mort, toutes les stations de radio du pays passaient en chaĂźne nationale, et le prĂ©sentateur annonçait qu’il Ă©tait « vingt heures vingt-cinq, heure Ă  laquelle Eva PerĂłn entra dans l’immortalitĂ© », avant de commencer Ă  prĂ©senter le journal officiel.

Nonobstant son ascendant et pouvoir politique personnels, Evita ne manquait jamais de justifier ses actions en affirmant qu’elles lui avaient Ă©tĂ© inspirĂ©es par la sagesse et la passion de Juan PerĂłn.

Dans un de ses ouvrages, l’écrivain Eduardo Galeano fait mention du graffiti « ÂĄViva el cĂĄncer! » (Vive le cancer !) qui aurait Ă©tĂ© apposĂ© sur les murs des beaux quartiers dans les derniers jours de la vie d'Evita[124]. L’historien Hugo Gambini fait toutefois remarquer qu’il n’y a pas de preuves de l’existence d’une telle inscription et argue que « si ce mur peint eĂ»t existĂ©, Apold n’eĂ»t pas laissĂ© passer l’occasion d’en publier la photographie dans les journaux du rĂ©seau officiel, en en accusant l’opposition. Pourtant, personne alors n’en parlait »[111]. Selon Gambini, l’origine en remonte Ă  une histoire inventĂ©e par le romancier Dalmiro SĂĄenz et racontĂ©e lors d’un entretien apparaissant dans le film Evita, quien quiera oĂ­r que oiga d’Eduardo Mignogna, histoire que JosĂ© Pablo Feinmann inclut ensuite dans le scĂ©nario du film Eva PerĂłn mis en scĂšne par Juan Carlos Desanzo[111].

La notice nécrologique rédigée par le dirigeant du parti socialiste, opposant au gouvernement, et parue dans la revue Nuevas Bases, organe officiel du parti, portait ce qui suit :

« La vie de la femme ce jour disparue constitue, Ă  notre jugement, un exemple peu commun dans l’histoire. Les cas ne sont point rares d’hommes politiques ou d’hommes de gouvernement de renom qui ont pu compter, pour leur action publique, sur la collaboration, ouverte ou dissimulĂ©e, de leurs Ă©pouses, mais dans notre cas toute l’Ɠuvre de notre premier mandataire se trouve tellement imprĂ©gnĂ©e de la pensĂ©e et de l’action des plus personnelles de son Ă©pouse, qu’il en devient impossible de faire nettement le dĂ©part de ce qui revient Ă  l’un et de ce qui appartient Ă  l’autre. Et ce qui confĂšre un caractĂšre notable et singulier Ă  l’effort de collaboration de l’épouse, fut l’abnĂ©gation qu’elle fit d’elle-mĂȘme, de ses biens et de sa santĂ© ; sa vocation dĂ©terminĂ©e pour l’effort et le danger ; et sa ferveur quasi fanatique pour la cause pĂ©roniste, qui parfois infusait Ă  ses harangues des accents dramatiques de lutte cruelle et d’impitoyable extermination[125]. »

Le pape Pie XII reçut de la part de particuliers quelque 23 000 demandes de canonisation d’Eva PerĂłn.

Postérité et critiques

Argentine et Amérique latine

Tombeau d’Eva Perón.

« Dans toute l’AmĂ©rique latine, une seule autre femme a provoquĂ© une Ă©motion, une dĂ©votion et une foi comparables Ă  celles suscitĂ©es par la Vierge de Guadalupe. Dans de nombreuses maisons, l’image d’Evita cĂŽtoie celle de la Vierge Marie sur le mur[126]. »

Dans son essai intitulĂ© Latin America, publiĂ© dans The Oxford Illustrated History of Christianity, John McManners postule que l’attrait et le succĂšs d’Eva PerĂłn sont tributaires de la mythologie et des concepts de divinitĂ© qui ont cours en AmĂ©rique latine. McManners affirme qu’Eva PerĂłn intĂ©gra sciemment dans son image publique plusieurs aspects de la mythologie de la Vierge Marie et de Marie-Madeleine[127]. L’historien Hubert Herring a dĂ©crit Eva PerĂłn comme « sans doute la femme la plus habile jamais apparue dans la vie publique en AmĂ©rique latine. »[128]

Dans un entretien de 1996, TomĂĄs Eloy MartĂ­nez dĂ©crivit Eva PerĂłn comme « la Cendrillon du tango et la Belle au bois dormant de l’AmĂ©rique latine. », indiquant que les raisons pour lesquelles elle s’est maintenue comme une importante icĂŽne culturelle sont les mĂȘmes que pour son compatriote Che Guevara :

« Les mythes latino-amĂ©ricains sont plus rĂ©sistants qu’il n’y paraĂźt. MĂȘme l’exode massif de Cubains sur des radeaux ou la rapide dĂ©composition et l’isolement du rĂ©gime castriste n’ont pas pu Ă©roder le mythe triomphal de Che Guevara, qui reste vivant dans les rĂȘves de milliers de jeunes gens en AmĂ©rique latine, en Afrique et en Europe. Le Che, de mĂȘme qu’Evita, symbolise certaines croyances naĂŻves, mais efficaces : l’espoir d’un monde meilleur ; une vie sacrifiĂ©e sur l’autel des dĂ©shĂ©ritĂ©s, des humiliĂ©s, des pauvres de la terre. Ce sont des mythes qui de quelque maniĂšre reproduisent l’image du Christ[129]. »

Beaucoup d’Argentins tiennent Ă  marquer chaque annĂ©e l’anniversaire de la mort d’Eva PerĂłn, nonobstant que ce ne soit pas un jour fĂ©riĂ© officiel. En outre, l’effigie d’Eva PerĂłn a Ă©tĂ© frappĂ©e sur des piĂšces de monnaie argentines, et un type de devise argentine a Ă©tĂ© appelĂ© Evitas en son honneur[130].

Cristina Kirchner, la premiĂšre femme prĂ©sidente de l’histoire argentine, est une pĂ©roniste, que l’on dĂ©signe parfois par « la nouvelle Evita ». Kirchner a dĂ©clarĂ© qu’elle se refusait Ă  se comparer Ă  Evita, arguant que celle-ci reprĂ©sentait un phĂ©nomĂšne unique dans l’histoire de l’Argentine. Kirchner a Ă©galement indiquĂ© que les femmes de sa gĂ©nĂ©ration, arrivĂ©es Ă  l’ñge adulte dans les annĂ©es 1970, sous les dictatures militaires en Argentine, sont redevables Ă  Evita, celle-ci ayant en effet constituĂ© pour elles un exemple de passion et de combativitĂ©[4]. Le , Ă  l’occasion du 50e anniversaire de la mort d’Eva PerĂłn, un musĂ©e, crĂ©Ă© par sa petite-niĂšce Cristina Alvarez Rodriquez dans un Ă©difice autrefois utilisĂ© par la Fondation Eva PerĂłn, et dĂ©nommĂ© musĂ©e Evita (Museo Evita), fut ouvert en son honneur et abrite une vaste collection de vĂȘtements portĂ©s par elle, de portraits et de reprĂ©sentations artistiques de sa vie. Ce musĂ©e est rapidement devenu l’un des hauts-lieux touristiques de Buenos Aires[131].

Dans son ouvrage Eva PerĂłn: The Myths of a Woman, l’anthropologue culturelle Julie M. Taylor dĂ©montre qu’Evita est restĂ©e une figure importante en Argentine en raison de la combinaison de trois facteurs uniques :

« Dans les images Ă©tudiĂ©es ici, les trois Ă©lĂ©ments systĂ©matiquement reliĂ©s entre eux — fĂ©minitĂ©, pouvoir mystique ou spirituel, et stature de chef rĂ©volutionnaire — prĂ©sentent un thĂšme sous-jacent commun. Le fait de s’identifier Ă  l’un quelconque de ces Ă©lĂ©ments place une personne ou un groupe aux marges de la sociĂ©tĂ© Ă©tablie et aux limites de l’autoritĂ© institutionnelle. Quiconque est capable de s’identifier aux trois images Ă  la fois pourra alors poser, au travers de forces ne reconnaissant aucune autoritĂ© dans la sociĂ©tĂ© et aucune de ses rĂšgles, une irrĂ©sistible et retentissante revendication Ă  la domination. Seule une femme peut incarner Ă  la fois les trois Ă©lĂ©ments de ce pouvoir[132]. »

Taylor affirme que le quatriĂšme facteur prĂ©sidant Ă  l’importance persistante d’Evita en Argentine est liĂ© Ă  son statut de femme dĂ©cĂ©dĂ©e et au pouvoir qu’exerce la mort sur l’imaginaire public. Taylor observe que le corps embaumĂ© d’Evita est analogue Ă  l’incorruptibilitĂ© de plusieurs saints catholiques, tels que Bernadette Soubirous, et possĂšde une puissante charge symbolique dans les cultures largement catholiques d’AmĂ©rique latine.

« Dans une certaine mesure, son importance et popularitĂ© durables peuvent ĂȘtre attribuĂ©es non seulement Ă  son pouvoir en tant que femme mais aussi au pouvoir de la mort. Cependant, si la vision qu’a une sociĂ©tĂ© sur la vie dans l’au-delĂ  peut ĂȘtre structurĂ©e, la mort demeure de par sa nature mĂȘme un mystĂšre, et, jusqu’à ce que la sociĂ©tĂ© ait formellement dĂ©samorcĂ© la commotion qu’elle provoque, une source de trouble et de dĂ©sordre. Les femmes et la mort — mort et nature fĂ©minine — entretiennent des rapports similaires avec les formes sociales structurĂ©es : en dehors des institutions publiques, sans limitation des rĂšgles officielles, et au-delĂ  des catĂ©gories formelles. En tant que cadavre fĂ©minin rĂ©itĂ©rant les thĂšmes symboliques Ă  la fois de la femme et du martyr, Eva PerĂłn sans doute exprime une double revendication Ă  la suprĂ©matie spirituelle[133]. »

Allégations de fascisme

Les biographes Nicholas Fraser et Marysa Navarro indiquent que les opposants Ă  Juan PerĂłn avaient d’emblĂ©e accusĂ© celui-ci d’ĂȘtre un fasciste. Spruille Braden, diplomate amĂ©ricain fortement appuyĂ© par les opposants Ă  Juan PerĂłn, fit campagne contre la premiĂšre candidature de Juan PerĂłn avec un argumentaire selon lequel Juan PerĂłn Ă©tait un fasciste et un nazi. Fraser et Navarro ont conjecturĂ© que (abstraction faite des documents forgĂ©s de toutes piĂšces aprĂšs la chute de PerĂłn en 1955) la perception des PerĂłn comme des fascistes a pu ĂȘtre favorisĂ©e par le fait qu’Evita fut hĂŽte d’honneur de Francisco Franco lors de sa tournĂ©e europĂ©enne de 1947. Pendant ces annĂ©es-lĂ , Franco s’était retrouvĂ© politiquement isolĂ© en tant qu’un des derniers fascistes Ă  occuper encore le pouvoir en Europe, et avait pour cette raison dĂ©sespĂ©rĂ©ment besoin d’un alliĂ© politique. Pourtant, attendu que prĂšs d’un tiers de la population de l’Argentine avait des ascendances espagnoles, il pouvait sembler naturel pour ce pays d’entretenir des relations diplomatiques avec son ancienne mĂ©tropole. Fraser et Navarro, commentant la perception internationale d’Evita pendant sa tournĂ©e europĂ©enne de 1947, notent qu’il « Ă©tait inĂ©vitable qu’Evita fĂ»t recadrĂ©e dans une sphĂšre fasciste. C’est pourquoi Evita et PerĂłn furent tous deux perçus comme reprĂ©sentant une idĂ©ologie qui, si elle avait fait son temps en Europe, ressurgissait Ă  prĂ©sent sous une forme exotique, thĂ©Ăątrale, voire bouffonne, dans un pays Ă  l’autre bout du monde »[134].

Laurence Levine, ancien prĂ©sident de la chambre de commerce amĂ©ricano-argentine, relĂšve que les PerĂłn, au contraire de l’idĂ©ologie nazie, n’étaient pas antisĂ©mites. Dans un ouvrage intitulĂ© Inside Argentina from PerĂłn to Menem: 1950–2000 from an American Point of View, Levine Ă©crit :

« Le gouvernement amĂ©ricain ne semblait avoir aucune notion de la profonde admiration de PerĂłn pour l’Italie (et de son dĂ©goĂ»t de l’Allemagne, dont il trouvait la culture trop rigide), ni davantage n’avait discernĂ© que, si l’antisĂ©mitisme existait bel et bien en Argentine, les opinions de PerĂłn lui-mĂȘme et de ses organisations politiques n’étaient pas antisĂ©mites. Il ne prĂȘta aucune attention au fait que PerĂłn choisit en prioritĂ© des personnalitĂ©s issues de la communautĂ© juive d’Argentine pour l’aider Ă  mettre en Ɠuvre sa politique et que l’un de ses auxiliaires les plus importants en vue de l’organisation du secteur industriel Ă©tait JosĂ© Ber Gelbard, immigrant juif originaire de Pologne[135]. »

Juan PerĂłn avec Ă  ses cĂŽtĂ©s le futur ministre de l’Économie JosĂ© Ber Gelbard.

Le biographe Robert D. Crassweller, pour certifier que « le pĂ©ronisme n’était pas le fascisme » et que « le pĂ©ronisme n’était pas le nazisme », s’appuyait en particulier sur les commentaires faits par l’ambassadeur des États-Unis George S. Messersmith, lequel en effet, lorsqu’il visita l’Argentine en 1947, fit la dĂ©claration suivante : « Il n’y a pas plus de discrimination sociale Ă  l’encontre des juifs ici qu’il n’y en a Ă  New York mĂȘme, ou Ă  d’autres endroits chez nous »[136].

Dans sa recension du film Evita, sorti en 1996, le critique de cinĂ©ma Roger Ebert critiqua Eva PerĂłn, Ă©crivant : « Elle abandonna Ă  leur sort les pauvres sans-chemise, en affublant une dictature fasciste d’une façade miroitante, en faisant main basse sur les fonds caritatifs, et en dĂ©tournant l’attention de la protection tacite offerte par son mari Ă  des criminels de guerre nazis »[137]. Le magazine Time publia plus tard un article de l’écrivain et journaliste argentin TomĂĄs Eloy MartĂ­nez, ancien directeur du programme pour l’AmĂ©rique latine Ă  l’universitĂ© Rutgers, article intitulĂ© The Woman Behind the Fantasy: Prostitute, Fascist, Profligate—Eva Peron Was Much Maligned, Mostly Unfairly (La Femme derriĂšre le phantasme : prostituĂ©e, fasciste, dilapideuse — Eva PerĂłn fut beaucoup calomniĂ©e, souvent avec mauvaise foi). Dans cet article, MartĂ­nez rappelle que les allĂ©gations selon lesquelles Eva PerĂłn aurait Ă©tĂ© une fasciste, une nazie et une voleuse, ont Ă©tĂ© lancĂ©es contre elle durant des dĂ©cennies, et dĂ©clare que ces accusations sont fausses :

« Elle n’était pas une fasciste — ignorante, peut-ĂȘtre, de ce que cette idĂ©ologie signifiait. Et elle n’était pas cupide. Bien qu’elle aimĂąt les bijoux, les fourrures et les robes de chez Dior, elle pouvait possĂ©der autant qu’elle dĂ©sirait sans pour cela avoir Ă  voler les autres
. En 1964, Jorge Luis Borges affirma que « la mĂšre de cette femme [Evita] » Ă©tait la « tenanciĂšre d’une maison close Ă  JunĂ­n ». Il rĂ©pĂ©ta cette calomnie tant de fois que certains le croient encore, ou, plus communĂ©ment, pensent qu’Evita elle-mĂȘme, dont tous ceux qui l’ont connue ont pourtant dit qu’elle n’avait qu’une faible charge Ă©rotique, aurait fait son apprentissage dans ce lupanar imaginaire. Vers 1955, le pamphlĂ©taire Silvano Santander usa de la mĂȘme stratĂ©gie pour concocter des lettres dans lesquelles Evita figure comme une complice des nazis. Il est vrai que (Juan) PerĂłn facilita l’entrĂ©e de criminels nazis en Argentine en 1947 et 1948, escomptant par lĂ  acquĂ©rir de la technologie avancĂ©e dĂ©veloppĂ©e par les Allemands pendant la guerre. Mais Evita n’y joua aucun rĂŽle. Elle Ă©tait loin d’ĂȘtre une sainte, nonobstant la vĂ©nĂ©ration de millions d’Argentins, mais elle n’était pas non plus une scĂ©lĂ©rate[138]. »

Dans sa thĂšse de doctorat, dĂ©fendue Ă  l’universitĂ© d’État de l’Ohio en 2002, Lawrence D. Bell souligne que les gouvernements qui ont prĂ©cĂ©dĂ© celui de Juan PerĂłn Ă©taient bien, eux, antisĂ©mites, mais qu’en revanche son gouvernement Ă  lui ne l’était pas. Juan PerĂłn s’attacha « avidement et avec enthousiasme » Ă  recruter, pour les besoins de son gouvernement, des personnalitĂ©s de la communautĂ© juive, et mit sur pied une branche du parti pĂ©roniste destinĂ©e aux membres juifs, branche connue comme OrganizaciĂłn Israelita Argentina (OIA). Le gouvernement de PerĂłn fut le premier Ă  faire appel Ă  la communautĂ© juive argentine et le premier Ă  nommer des citoyens juifs Ă  des postes dans la fonction publique[139]. Kevin Passmore remarque que le rĂ©gime pĂ©roniste, plus qu’aucun autre en AmĂ©rique latine, a Ă©tĂ© accusĂ© d’ĂȘtre fasciste, mais ajoute qu’il ne l’était pas, et que ce qu’on voulait imputer en matiĂšre de fascisme Ă  PerĂłn ne put jamais prendre pied en AmĂ©rique latine. De plus, Ă©tant donnĂ© que le rĂ©gime pĂ©roniste permettait aux partis politiques rivaux d’exister, il ne saurait pas davantage ĂȘtre qualifiĂ© de totalitaire[140].

Publications d’Eva Perón

GenĂšse

La razĂłn de mi vida (trad. française sous le titre La Raison de ma vie) est un ouvrage autobiographique qu’Eva PerĂłn dicta et chargea ensuite de mettre au net. Sa premiĂšre Ă©dition, tirĂ©e Ă  300 000 exemplaires aux Ă©ditions Peuser Ă  Buenos Aires, date du , et fut suivie de nombreuses rĂ©Ă©ditions dans les annĂ©es ultĂ©rieures. AprĂšs son Ă©dition argentine, on tenta de publier l’ouvrage Ă  l’échelle internationale, mais peu de maisons d’édition Ă©trangĂšres acceptĂšrent de l’éditer[141].

Peu avant sa tournĂ©e europĂ©enne, Eva PerĂłn avait fait la rencontre de Manuel Pinella de Silva, journaliste et Ă©crivain espagnol Ă©migrĂ© en Argentine, qui lui proposa de rĂ©diger ses mĂ©moires. Ayant reçu l’accord d’Evita en mĂȘme temps que des honoraires, Pinella se mit au travail. Si les premiers chapitres enthousiasmĂšrent Evita, elle eut par la suite des doutes, ne voulant plus ĂȘtre idĂ©alisĂ©e et dĂ©peinte comme une sainte, car trop consciente de ses insuffisances. En tout Ă©tat de cause, Pinella semble avoir voulu mettre en lumiĂšre la partie fĂ©ministe de son action. Cependant, le manuscrit, transmis fin 1950 Ă  Juan PerĂłn, ne plut guĂšre Ă  celui-ci, et fut confiĂ© Ă  RaĂșl MendĂ© avec mission de le remanier, ce qui fut fait de façon substantielle. Le chapitre sur le fĂ©minisme fut supprimĂ© et remplacĂ© par un autre composĂ© de fragments de discours de Juan PerĂłn. Le rĂ©sultat final, qui n’avait plus que fort peu Ă  voir avec le texte initial, fut nĂ©anmoins acceptĂ© et signĂ© par Eva PerĂłn.

Dans un entretien, le pĂšre jĂ©suite HernĂĄn BenĂ­tez, Ă  la fois confesseur et proche collaborateur d'Evita, met en question l’authenticitĂ© du livre dans les termes suivants :

« C’est Manuel Penella de Silva qui l’a Ă©crit, un gars Ă©tonnant, trĂšs bon Ă©crivain. Elle l’a connu en Europe au cours de son voyage. Ensuite, il est venu Ă  Buenos Aires. J’ai eu ses filles Ă  mon cours d’anthropologie. Penella avait Ă©crit quelques notes pour une biographie de la femme de Roosevelt, le prĂ©sident amĂ©ricain. Est-ce que vous saviez cela ? Enfin, c’est trĂšs peu connu. Elle lui a proposĂ© qu’il adapte ces notes pour raconter sa vie Ă  elle. Il l’a fait, et c’était fort rĂ©ussi, du bon boulot. Mais Ă©crit d’une façon trĂšs espagnole. Alors, c’est (RaĂșl) MendĂ© qui s’y est mis avec ses gommes. Un Ă©crivain simple, sans prĂ©tention et avec un style trĂšs femme, cela dit sans esprit de critique. Cela a donnĂ© un livre trĂšs bien Ă©crit. Mais il contenait beaucoup de choses inventĂ©es, une foule de bobards. MendĂ© l’a Ă©crit avec le souci de rester en bons termes avec PerĂłn. Il en est sorti des choses ridicules. Par exemple, en rapport avec les journĂ©es d’octobre 45, oĂč il dit : « N’oublie pas les sans-chemises ». Les sans-chemises, quelle blague ! Il ne se souvenait plus de ce jour-lĂ . Il voulait la retraite et s’en aller. Le livre contient donc beaucoup de faussetĂ©s[142]. »

Contenu

Le livre fut signĂ© par Eva PerĂłn Ă  un moment oĂč le cancer qui lui serait fatal se trouvait dĂ©jĂ  Ă  un stade avancĂ©. Le texte, qui ne prĂ©sente l’histoire personnelle et chronologique d’Evita que de maniĂšre assez succincte, sera utilisĂ© surtout comme un manifeste pĂ©roniste. Y sont repris tous les thĂšmes rĂ©currents des discours d’Evita, la plupart de surcroĂźt sans rien changer Ă  leur formulation ; mais souvent, ce ne sont pas les propres opinions d’Eva PerĂłn qui sont exposĂ©es, mais celles de Juan PerĂłn, avec lesquelles Evita toutefois affirme ĂȘtre en parfait accord. Les biographes Nicholas Fraser et Marysa Navarro notent :

« Cette autobiographie Ă©voque Ă  peine sa vie avant PerĂłn, donne un compte rendu dĂ©formĂ© des Ă©vĂ©nements du 17 octobre (1945), et contenait des mensonges sur son activitĂ© (telles que p.ex. l’assertion qu’elle ‘ne se s’immisçait pas dans les affaires du gouvernement’. Le livre consolidait le mythe de PerĂłn homme gĂ©nĂ©reux, bon, travailleur, dĂ©vouĂ© et paternel, et par le biais de ce mythe, il contribua au mythe d’Evita, incarnation de toutes les vertus fĂ©minines, qui n’était qu’amour, humilitĂ©, et davantage encore, que PerĂłn prĂȘte Ă  l’abnĂ©gation. Selon son autobiographie, si Evita n’eut pas d’enfants, c’était parce que ses protĂ©gĂ©s — les pauvres, les personnes ĂągĂ©es, les dĂ©semparĂ©s d’Argentine — Ă©taient ses vĂ©ritables enfants, qu’elle et PerĂłn adoraient. En tant que femme pure et chaste, exempte de dĂ©sir sexuel, elle s’était mue en la mĂšre idĂ©ale[143]. »

Le livre se présente comme un long dialogue, tantÎt intime, tantÎt plus rhétorique, et se décompose en trois parties, la premiÚre comportant dix-huit chapitres, la deuxiÚme vingt-sept et la troisiÚme douze[144] - [145].

Les titres des chapitres sont les suivants[145]. Dans la premiĂšre partie : Chap. 1er : Un caso de azar (Un coup du hasard) ; Chap. 2e : Un gran sentimiento (Un grand sentiment) ; Chap. 3e : La causa del «sacrificio incomprensible» (la Cause du « sacrifice incomprĂ©hensible ») ; Chap. 4e : AlgĂșn dĂ­a todo cambiarĂĄ (Quelque jour tout changera) ; Chap. 5e : No me resignĂ© a ser vĂ­ctima (Je ne me suis pas rĂ©signĂ©e Ă  ĂȘtre victime) ; Chap. 6e : Mi dĂ­a maravilloso (Mon jour merveilleux) ; Chap. 7e : ÂĄSi, Ă©ste es el hombre de mi pueblo! (Oui, voilĂ  l’homme de mon peuple !) ; Chap. 8e : La hora de la soledad (l’Heure de la solitude) ; Chap. 9e : Una gran luz (Une grande lumiĂšre) ; Chap. 10e : VocaciĂłn y destino (Vocation et Destin) ; Chap. 11e : Sobre mi Ă©lection (Sur mon Ă©lection) ; Chap. 12e : Demasiado peronista (Assez pĂ©roniste) ; Chap. 13e : El aprendizaje (l’Apprentissage) ; Chap. 14e : ÂżIntuiciĂłn? (Intuition ?) ; Chap. 15e : El camino que elegĂ­ (le Chemin que j’ai choisi) ; Chap. 16e : Eva PerĂłn y Evita (Eva PerĂłn et Evita) ; Chap. 17e : Evita ; Chap. 18e : Pequeños detalles (Petits DĂ©tails).

Dans la deuxiĂšme partie : Chap. 19e : La SecretarĂ­a (le SecrĂ©tariat) ; Chap. 20e : Una presencia superior (Une prĂ©sence supĂ©rieure) ; Chap. 21e : Los obreros y yo (les Ouvriers et moi) ; Chap. 22e : Una sola clase de hombres (Une seule classe d’hommes) ; Chap. 23e : Descender (Descendre) ; Chap. 24e : La tarde de los miĂ©rcoles (l’AprĂšs-midi des mercredis) ; Chap. 25e : Los grandes dĂ­as (les Grands Jours) ; Chap. 26e : Donde quiera que este libro se lea (OĂč que ce soit que l’on lise ce livre) ; Chap. 27e : AdemĂĄs de la justicia (En plus de la justice) ; Chap. 28e : El dolor de los humildes (la Douleur des humbles) ; Chap. 29e : Los comienzos (les Commencements) ; Chap. 30e : Las cartas (les Lettres) ; Chap. 31e : Tardes de ayuda social (les AprĂšs-midi d’aide sociale) ; Chap. 32e : Caridad o beneficencia (CharitĂ© ou Bienfaisance) ; Chap. 33e : Una deuda de cariño (Une dette d’affection) ; Chap. 34e : Finales de jornada (Fins de journĂ©e) ; Chap. 35e : Amigos en desgracia (Amis en disgrĂące) ; Chap. 36e : Mi mayor gloria (Ma plus grande gloire) ; Chap. 37e : Nuestras obras (Nos Ɠuvres) ; Chap. 38e : Nochebuena y Navidad (Nouvel-An et NoĂ«l) ; Chap. 39e : Mis obras y la polĂ­tica (Mes Ɠuvres et la politique) ; Chap. 40e : La lecciĂłn europea (la Leçon europĂ©enne) ; Chap. 41e : La medida de mis obras (la Mesure de mes Ɠuvres) ; Chap. 42e : Una semana de amargura (Une semaine d’amertume) ; Chap. 43e : Una gota de amor (Une goutte d’amour) ; Chap. 44e : CĂłmo me pagan mi pueblo y PerĂłn (Comment mon peuple et PerĂłn me payent) ; Chap. 45e : Mi gratitud (Ma gratitude) ; Chap. 46e : Un idealista (Un idĂ©aliste).

Dans la troisiĂšme partie : Chap. 47e : Las mujeres y mĂ­ misiĂłn (les Femmes et ma mission) ; Chap. 48e : El paso de lo sublime a lo ridĂ­culo (le Passage du sublime au ridicule) ; Chap. 49e : Quisiera mostrarles un camino (J’aimerais vous montrer un chemin) ; Chap. 50e : El hogar o la fĂĄbrica (le Foyer ou l’Usine) ; Chap. 51e : Una idea (Une idĂ©e) ; Chap. 52e : La gran ausencia (la Grande Absence) ; Chap. 53e : El Partido Peronista Femenino (le Parti pĂ©roniste fĂ©minin) ; Chap. 54e : No importa que ladren (Peu importe qu’ils aboient) ; Chap. 55e : Las mujeres y la acciĂłn (les Femmes et l’Action) ; Chap. 56e : La vida social (la Vie sociale) ; Chap. 57e : La mujer que no fue elogiada (la Femme qui ne reçut pas d’éloges) ; Chap. 58e : Como cualquier otra mujer (Comme n’importe quelle autre femme) ; Chap. 59e : No me arrepiento (Je ne me repents pas).

En , la province de Buenos Aires dĂ©crĂ©ta qu’il devait ĂȘtre utilisĂ© comme livre de lecture dans les Ă©coles primaires. Les autres provinces suivirent bientĂŽt cet exemple, et la Fondation Eva PerĂłn en distribua des centaines de milliers d’exemplaires gratuitement.

Mon message

Mon message (Mi mensaje), rĂ©digĂ© entre mars et , et achevĂ© quelques semaines seulement avant son dĂ©cĂšs, est le dernier ouvrage d’Eva PerĂłn. Celle-ci, en raison du stade avancĂ© de sa maladie, fut rĂ©duite Ă  en dicter le contenu Ă  quelques personnes de confiance, et ce qu’elle put Ă©crire de sa propre main tiendrait sur guĂšre plus d’un feuillet[146]. L’ouvrage est divisĂ© en trente courts chapitres et expose des thĂšses idĂ©ologiques autour de trois axes de base : le fanatisme comme profession de foi, la condamnation des hautes sphĂšres des forces armĂ©es pour complot contre PerĂłn, et la mise en cause de la hiĂ©rarchie de l’église catholique en raison du manque de prĂ©occupation de celle-ci pour les souffrances du peuple argentin[147]. Il est prĂ©sentĂ© comme le texte le plus virulent d’Eva PerĂłn[148]. L’on donna lecture d’un fragment du texte lors d’un rassemblement sur la place de mai deux mois et demi aprĂšs la disparition de son auteur[149] - [147].

Dans le testament manuscrit d’Evita, intitulĂ© Mi voluntad suprema (Ma volontĂ© suprĂȘme), tracĂ© d’une main tremblante, l’on peut lire la phrase suivante : « tous mes droits comme auteur de La RazĂłn de mi vida et de Mi Mensaje, s’il est publiĂ©, seront considĂ©rĂ©s comme la propriĂ©tĂ© absolue de PerĂłn et du peuple argentin ». Pourtant, Mi mensaje ne fut pas d’abord publiĂ©, et en 1955, aprĂšs le renversement de PerĂłn, le manuscrit disparut par les soins du Grand Greffier du gouvernement Jorge Garrido, qui avait reçu l’ordre de dresser l’inventaire des biens de Juan et Eva PerĂłn, mais qui dĂ©cida d’occulter le manuscrit, convaincu que celui-ci serait dĂ©truit par les militaires arrivĂ©s au pouvoir. À la mort de Garrido en 1987, sa famille mit l’ouvrage inĂ©dit en vente par l’intermĂ©diaire d’une salle de ventes. Le livre fut ensuite publiĂ©, une premiĂšre fois en 1987, puis une deuxiĂšme en 1994.

Les sƓurs d’Evita cependant contestĂšrent l’authenticitĂ© du livre et portĂšrent l’affaire devant les tribunaux, lesquels, aprĂšs une dizaine d’annĂ©es d’enquĂȘte, et sur la foi notamment d’une expertise graphologique et du tĂ©moignage de Juan JimĂ©nez DomĂ­nguez, l’un des proches collaborateurs d’Evita, Ă  qui elle avait dictĂ© une partie du texte, conclurent en 2006 que le texte Ă©tait Ă  considĂ©rer comme Ă©tant effectivement d’Eva PerĂłn[146] - [150].

Filmographie en tant qu'actrice

ƒuvres mettant en scùne Eva Perón

La vie d’Evita a livrĂ© la matiĂšre d’un grand nombre d’Ɠuvres d’art, tant en Argentine que dans le reste du monde. La plus connue est sans nul doute la comĂ©die musicale Evita d’Andrew Lloyd Webber et Tim Rice, de 1975, dont a Ă©tĂ© tirĂ© un film musical homonyme, mis en scĂšne par Alan Parker et interprĂ©tĂ© notamment par la chanteuse Madonna dans le rĂŽle-titre.

Cinéma

  • Eva PerĂłn inmortal, 1952, court-mĂ©trage mis en scĂšne par Luis CĂ©sar Amadori.
  • Evita, quien quiera oĂ­r que oiga (1983), film d’Eduardo Mignogna, interprĂ©tĂ© par Flavia Palmiero, accompagnement musical de Lito Nebbia.
  • Evita (1996), basĂ© sur la comĂ©die musicale, mis en scĂšne par Alan Parker, partiellement filmĂ© Ă  Buenos Aires. Madonna y joue le rĂŽle d’Evita, Antonio Banderas celui de Che ('Che' n’est pas ici Ernesto Che Guevara, mais figure le citoyen argentin lambda) et Jonathan Pryce celui de Juan PerĂłn.
  • Une version tĂ©lĂ©visĂ©e de sa vie a Ă©tĂ© tournĂ©e en 1981, avec Faye Dunaway.
  • Eva PerĂłn (1996), film argentin. Avec dans la distribution Esther Goris dans le rĂŽle d’Evita et VĂ­ctor Laplace dans celui de PerĂłn, entre autres. Le film, mis en scĂšne par Juan Carlos Desanzo, met plus particuliĂšrement la focale sur les Ă©vĂ©nements de 1951, vus comme une situation de grand embarras pour Evita, le pĂ©ronisme et la politique argentine.
  • En 2007, le film argentin La Señal d’Eduardo Mignogna, qui met en scĂšne un duo de dĂ©tectives de bas Ă©tage propulsĂ©s dans une histoire de corruption impliquant la Mafia, raconte en toile de fond l'histoire des derniers jours d'Eva Peron, .
  • Juan y Eva (2011), film argentin. Avec Julieta DĂ­az dans le rĂŽle d’Evita et Osmar Nuñez dans celui de Juan PerĂłn. Mise en scĂšne et scĂ©nario de Paula de Luque, d’aprĂšs le rĂ©cit de Jorge Coscia. DĂ©crit la romance de Juan et Eva, en mettant l’accent sur El Amor, El Odio (la Haine) et La RevoluciĂłn. Évoque les luttes politiques internes, mais davantage encore la passion d’Evita et sa lutte pour PerĂłn. « La mort prĂ©maturĂ©e immortalise les romances ».
  • Eva de la Argentina, una bandera a la victoria[151] (2011). Mis en scĂšne par MarĂ­a Seoane, basĂ© sur les dessins de Francisco Solano LĂłpez, avec musique originale de Gustavo Santaolalla. Film de fiction, qui, en combinant animation et extraits documentaires, narre la vie, l’Ɠuvre et la mort d’Eva PerĂłn.
  • Carta a Eva (Lettre Ă  Eva, 2012 ; aussi Una carta para Evita), minisĂ©rie espagnole en deux Ă©pisodes, rĂ©alisĂ©e par l’Espagnol AgustĂ­ Villaronga et interprĂ©tĂ©e par Julieta Cardinali dans le rĂŽle d’Eva PerĂłn. La sĂ©rie retrace le destin croisĂ© de Doña Juana, jeune militante communiste condamnĂ©e Ă  mort, de Carmen Polo, femme du gĂ©nĂ©ral Franco, et d'Eva PerĂłn lors de sa visite officielle en Espagne en 1947.
  • Eva no duerme du rĂ©alisateur Pablo AgĂŒero, sorti en 2016. Le film illustre en 3 tableaux — l’Embaumeur, le Transporteur, le Dictateur — ce qu'il advient du corps embaumĂ© d’Eva Peron au cours des vingt ans qui suivent sa mort.

Musique

  • En 2008, le chansonnier argentin Ignacio Copani composa en hommage Ă  Eva PerĂłn la chanson MarĂ­a Eva, dont voici un couplet :
Espagnol Français

MarĂ­a Eva naciĂł en Los Toldos,
no en una Ăłpera de ficciĂłn,
después Evita en los barrios rotos,
por cada fĂĄbrica renaciĂł.
Eva no es un cuento
 Es revolución.
MarĂ­a Eva naciĂł en Los Toldos;
Evita, en vos.

MarĂ­a Eva naquit Ă  Los Toldos,
Non dans un opéra de fiction,
Ensuite Evita dans les bas quartiers,
Pour chaque usine renaquit.
Eva n’est pas un conte
 Elle est rĂ©volution.
MarĂ­a Eva naquit Ă  Los Toldos;
Evita, en toi.

Don't cry for me, Argentina en est le thĂšme principal et reprĂ©sente un Ă©mouvant discours d’Eva PerĂłn Ă  l’attention des descamisados, prononcĂ© du balcon de la Casa Rosada. La chanson a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e par les mĂȘmes actrices qui ont incarnĂ© Evita lors des reprĂ©sentations thĂ©Ăątrales, c'est-Ă -dire, outre Elaine Paige, Patti LuPone, Paloma San Basilio, RocĂ­o Banquells et Elena Roger), ainsi que par d’autres, de l’envergure de Nacha Guevara et Valeria Lynch en espagnol. L’ont Ă©galement chantĂ©e, en anglais, Sarah Brightman, Olivia Newton-John, Joan Baez, Donna Summer, Laura Branigan, Karen Carpenter, Shirley Bassey, Dolores O'Riordan, Suzan Erens, Idina Menzel, Julie Covington, Lea Salonga, Barbara Dickson, Helene Fischer, Stephanie Lawrence, Maria Friedman, Priscilla Chan, Judy Collins, Tina Arena, Cilla Black, Katherine Jenkins, Lea Michele, Amanda Harrison et SinĂ©ad O'Connor ; Rita Pavone la chanta en italien, et Petula Clark en français. De façon insolite, quelques interprĂštes masculins s’essayĂšrent aussi Ă  la chanter : Tom Jones, et Il Divo. L’ont chantĂ©e en traduction allemande Angelika Milster, Katja Ebstein, Maya Hakvoort et Pia Douwes. Madonna en enregistra plusieurs versions, parmi lesquelles un remix, qui fut en tĂȘte des listes de vente.
  • Quien quiera oĂ­r que oiga (litt. Que celui qui veut entendre entende, 1983), composĂ© et interprĂ©tĂ© par Lito Nebbia. Fait partie de la bande musicale du film Evita, quien quiera oĂ­r que oiga (1983).
  • Eva (1986 et 2008), comĂ©die musicale interprĂ©tĂ©e par Nacha Guevara, sur des paroles de Pedro Orgambide et une musique d’Alberto Favero. PremiĂšre reprĂ©sentation au thĂ©Ăątre Maipo de Buenos Aires.
  • Evita (1990), opĂ©ra de AndrĂ©s Pedro Risso, avec la mezzo-soprano Christina Becker dans le rĂŽle d’Evita et le baryton grave Jorge Sobral dans le rĂŽle de PerĂłn. PremiĂšre au ThĂ©Ăątre ColĂłn Ă  Buenos Aires.
  • La Duarte (2004), spectacle de danse-thĂ©Ăątre crĂ©Ă© spĂ©cialement par Silvia Vladimivsky Ă  l’intention de Eleonora Cassano, d’aprĂšs une idĂ©e originale de Lino Patalano et sur une musique de Sergio Vainikoff. Au thĂ©Ăątre Maipo.
  • MarĂ­a Eva (2008), composĂ© et interprĂ©tĂ© par Ignacio Copani. Fait partie de son Ɠuvre Hoy no es dos de Abril (litt. Ce n’est pas aujourd’hui le deux avril).

Théùtre

  • Eva PerĂłn, Ɠuvre thĂ©Ăątrale Ă©crite en 1969 par RaĂșl Natalio Damonte Taborda, connu sous le nom de Copi. ƒuvre controversĂ©e, dont l’action se situe dans les derniers jours d’Eva PerĂłn et qui prend pour sujet sa lutte contre le cancer.
  • Eva y Victoria, piĂšce de thĂ©Ăątre Ă©crite par la dramaturge MĂłnica Ottino, mise en scĂšne par Oscar Barney Finn et interprĂ©tĂ©e par Luisina Brando dans le rĂŽle d’Eva PerĂłn et China Zorrilla dans celui de l’écrivaine Victoria Ocampo. Le rĂŽle d’Eva PerĂłn fut Ă©galement jouĂ© par l’actrice Soledad Silveyra.
  • Eva, Ɠuvre thĂ©Ăątrale interprĂ©tĂ©e par Nacha Guevara, reprĂ©sentĂ©e en 1986 et de nouveau pendant la saison 2008-2009, sur une musique d’Alberto Favero.
  • En 2009, Alfredo Arias mit en scĂšne Eva PerĂłn au thĂ©Ăątre du Rond-Point Ă  Paris dans Tatouage. Il Ă©voque la rencontre avec Miguel de Molina qui fut son protĂ©gĂ© fuyant le rĂ©gime de Francisco Franco.
  • La RazĂłn de mi Eva, piĂšce de thĂ©Ăątre, Ă©crite en 2012 par Edo Azzarita, avec une musique de Carlos Zabala. C’est la premiĂšre Ɠuvre thĂ©Ăątrale dĂ©clarĂ©e d’intĂ©rĂȘt culturel (de interĂ©s cultural) par le sous-secrĂ©tariat Ă  la Culture du gouvernement fĂ©dĂ©ral, par la rĂ©solution no 6953.
  • Evita amour, gloire, etc., spectacle de StĂ©phan Druet Ă©crit pour l’acteur argentin SebastiĂĄn Galeota, jouĂ© Ă  la ComĂ©die Bastille en 2016 et au thĂ©Ăątre Les 3 Soleils lors du festival d'Avignon[152].

Romans et nouvelles

  • Esa mujer (1963), nouvelle de Rodolfo Walsh, sur la relation malsaine que le militaire qui sĂ©questra le cadavre d’Evita entretint avec celui-ci. (lire en ligne ici)
  • Evita vive (1975), nouvelle de NĂ©stor Perlongher. Suscita une vive polĂ©mique Ă  la suite de sa publication en Argentine par la revue El Porteño en 1989[153]. (lire en ligne ici)
  • Roberto y Eva. Historia de un amor argentino (1989), roman de Guillermo Saccomano Ă©voquant intertextuellement Eva PerĂłn et Roberto Arlt.
  • Santa Evita (1995), roman de TomĂĄs Eloy MartĂ­nez, traitant de la disparition du cadavre d’Evita.
  • Evita, la loca de la casa (2003, litt. Evita, la folle de la maison), roman de Daniel Herrendorf, qui prĂ©sente cette singularitĂ© que dans les chapitres pairs Evita relate son histoire sur un mode limpide et cohĂ©rent, et dans les chapitres impairs dĂ©lire comme une folle, ce qui permet Ă  l’auteur de mettre Ă  nu l’imaginaire inconscient d’Evita. Le roman se dĂ©roule entiĂšrement le jour de la mort d’Eva, tandis qu’elle est couchĂ©e sur son lit de mort. Le roman Ă©tant Ă©crit Ă  la premiĂšre personne, James Ivory n’eut pas grand’peine Ă  le porter sur une scĂšne de thĂ©Ăątre britannique. Les monologues sont mĂ©ticuleux et directs, laissant Eva parler d’elle-mĂȘme et de son mari avec une cruautĂ© inhabituelle[154].
  • La Señora muerta (1963), nouvelle de David Viñas.
  • En 2008, une fiction du journaliste et Ă©crivain français Jacques Kaufmann publiĂ©e aux Ă©ditions de l'Archipel sous le titre El lobo revient sur le fameux trĂ©sor nazi que Martin Bormann aurait transfĂ©rĂ© en Argentine Ă  la fin de la Seconde Guerre mondiale. En effet, le mystĂšre relatif Ă  ces fonds n'a jamais Ă©tĂ© levĂ©, certains historiens affirmant mĂȘme que PerĂłn s'en serait emparĂ©. Le romancier s'est engouffrĂ© dans la brĂšche et a imaginĂ© que le trĂ©sor avait Ă©tĂ© placĂ© dans le mausolĂ©e d'Evita pour financer le mouvement pĂ©roniste.
  • En 1980, l’écrivain trinidadien V. S. Naipaul publia sous le titre The return of Eva PerĂłn. The killings in Trinidad (traduction française sous le titre le Retour d'Eva PerĂłn[155]) un volume regroupant deux essais apparemment sans rapport entre eux, lequel volume, pour deux raisons au moins, n’aurait pas sa place ici : il ne s’agit pas d’une Ɠuvre de fiction, et la figure d’Eva PerĂłn, en dĂ©pit du titre d’un des essais, ne s’y trouve Ă©voquĂ©e que de façon trĂšs accessoire. Dans ledit essai, Naipaul tente, en mettant en lumiĂšre successivement un ensemble de situations ou d’aspects particuliers qui lui paraissent significatifs ou symptomatiques, d’apprĂ©hender l’histoire et le caractĂšre national de l’Argentine, afin d’éclairer la situation actuelle (des annĂ©es 1970 et 1980) du pays. Il s’en dĂ©gage une vision assez dĂ©sabusĂ©e, peu flatteuse, voire dĂ©nigrante du pĂ©ronisme, mais aussi de l’Argentine en gĂ©nĂ©ral, en tant que le pĂ©ronisme, selon Naipaul, n’a jamais pu ĂȘtre autre chose que l’expression de la personnalitĂ© profonde, sombre et peu glorieuse, de ce pays, qui pĂątit du « pĂ©chĂ© originel » d’avoir Ă©tĂ© une conquĂȘte espagnole et de n’avoir pas pu se dĂ©pĂȘtrer d’une mentalitĂ© coloniale, et oĂč prĂ©dominent donc l’illusion d’une richesse inĂ©puisable, la cupiditĂ© et l’absence d’un sentiment de l’intĂ©rĂȘt commun. Eva PerĂłn n’est Ă©voquĂ©e qu’en arriĂšre-plan, surtout comme figure mythe quasi religieuse. Le portrait apparaĂźt assez fruste, rĂ©ducteur, comme en tĂ©moigne ce passage :

« Eva PerĂłn allumait le feu. Mais elle ne songeait pas Ă  rĂ©former. Elle Ă©tait trop blessĂ©e, trop peu Ă©voluĂ©e ; elle restait trop un produit de son milieu ; et elle restait Ă©videmment toujours une femme parmi des machos. Christophe, l’empereur d’HaĂŻti, fit construire une citadelle au prix d’une quantitĂ© Ă©norme de vies humaines et d’argent : les fortifications anglaises de Brimstone Hill sur l’ülot Saint-Christophe, oĂč Christophe Ă©tait nĂ© comme esclave et avait Ă©tĂ© formĂ© Ă  devenir tailleur, lui servirent d’exemple. De la mĂȘme façon, en effaçant tout ce qui renvoyait Ă  sa propre jeunesse, sans jamais cependant pouvoir s’élever au-dessus des idĂ©es de cette jeunesse, Eva PerĂłn tenta seulement, lorsqu’elle eut le pouvoir, de rivaliser avec les riches en cruautĂ©, en style et en marchandises importĂ©es. Au peuple, elle offrait sa propre personne et son triomphe, Ă  ce pueblo au nom duquel elle agissait. »

Bande dessinée

  • Evita, vida y obra de Eva PerĂłn, bande dessinĂ©e rĂ©alisĂ©e en 1970 par le scĂ©nariste HĂ©ctor GermĂĄn Oesterheld et le dessinateur Alberto Breccia. Cette Ɠuvre n’est pas une BD dans l’acception traditionnelle du terme, attendu qu’il n’y a pas une succession de vignettes censĂ©e reprĂ©senter une action, et qu’à aucun moment il n’y a de personnages accompagnĂ©s de bulles. L’Ɠuvre consiste en une sĂ©rie de grandes plages de texte relatant l’histoire d’Eva PerĂłn assorties d’images allĂ©goriques des moments ou des situations dĂ©crits.

Photographie

Si les principales photographies d’Eva PerĂłn ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es par le prof. PinĂ©lides AristĂłbulo Fusco (1913-1991), ce sont celles crĂ©Ă©es par Annemarie Heinrich dans les annĂ©es 1930 et 1940 qui apparaissent comme les plus saisissantes.

Peinture

Le peintre officiel d’Eva PerĂłn fut Numa Ayrinhac (1881-1951), Français fixĂ© dĂšs l’enfance Ă  PigĂŒĂ©, dans le sud-ouest de la province de Buenos Aires. Ses deux Ɠuvres les plus significatives sont le Portrait d’Eva PerĂłn de 1950, qui apparut sur la couverture du livre La Raison de ma vie et dont l’original fut dĂ©truit en 1955, et le Portrait de Juan PerĂłn et Eva PerĂłn de 1948, seul portrait officiel du couple, qui est actuellement la propriĂ©tĂ© du gouvernement national et se trouve exposĂ© au musĂ©e des PrĂ©sidents de la Casa Rosada.

L’artiste plasticien Daniel Santoro a explorĂ©, dans ses ouvrages El mundo se convierte, Luto ou Evita y las tres ramas del movimiento, l’iconographie du premier pĂ©ronisme, plus particuliĂšrement la figure et l’influence d’Evita.

Poésie

  • Le poĂšte et Ă©crivain argentin JosĂ© MarĂ­a Castiñeira de Dios fut parmi les fondateurs du justicialisme et composa en 1962 le poĂšme VolverĂ© y serĂ© millones (Je reviendrai et je serai des millions), qui sera Ă  l’origine d’une mĂ©prise gĂ©nĂ©ralisĂ©e attribuant la phrase concernĂ©e Ă  Evita. Celle-ci n’a jamais prononcĂ© ladite phrase ; Howard Fast l’a mise dans la bouche de Spartacus dans son roman homonyme et il a Ă©tĂ© suggĂ©rĂ© que ce furent les derniĂšres paroles du chef aimara TĂșpac Catari[156] :
Espagnol Français

Volveré y seré millones

Yo he de volver como el dĂ­a
para que el amor no muera
con PerĂłn en mi bandera
con el pueblo en mi alegrĂ­a.
¿Qué pasó en la tierra mía
desgarrada de aflicciones?
¿Por qué estån las ilusiones
quebradas de mis hermanos?
Cuando se junten sus manos
volveré y seré millones.

Je reviendrai et je serai des millions

Il me faut revenir comme revient le jour
pour que jamais ne meure l’amour
avec PerĂłn dans mon Ă©tendard
avec le peuple dans ma allégresse.
Que s’est-il passĂ© dans la mienne terre
ainsi accablĂ©e d’afflictions ?
Pourquoi les espérances de mes frÚres
se sont-elles donc brisées ?
Quand se joindront leurs mains
je reviendrai et je serai des millions.

Hommages et récompenses

Distinctions

Collier de l’ordre du LibĂ©rateur San MartĂ­n, dĂ©cernĂ© Ă  Evita.

Eva PerĂłn est la seule personnalitĂ© Ă  laquelle le CongrĂšs national ait jamais dĂ©cernĂ© le titre de Chef spirituel de la Nation (en esp. Jefa Espiritual de la NaciĂłn), le , sous la prĂ©sidence de son mari Juan PerĂłn, le jour oĂč elle eut 33 ans.

Elle reçut le titre de Grand-Croix d’Honneur de la Croix-Rouge argentine, la distinction de la Reconnaissance de premiĂšre catĂ©gorie de la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale du Travail[157], la Grande-MĂ©daille de la LoyautĂ© pĂ©roniste Ă  titre extraordinaire le [158] et, le , la plus haute dĂ©coration de la RĂ©publique argentine : le collier de l’ordre du LibĂ©rateur GĂ©nĂ©ral San MartĂ­n[159].

Au cours de sa tournĂ©e Arc-en-ciel de 1947, Eva PerĂłn se vit dĂ©cerner le titre de Grand-Croix de l’ordre d'Isabelle la Catholique (Espagne), la MĂ©daille d’or de la PrincipautĂ© de Monaco, et l’ordre du MĂ©rite avec le grade de Grand-Croix d’or en reconnaissance de son Ɠuvre sociale et de son action en faveur du rapprochement international, dĂ©cernĂ© par la RĂ©publique dominicaine et remis par l’ambassade de ce pays en Uruguay[157].

Par ailleurs, elle fut rĂ©cipiendaire de l’ordre national du Cruzeiro do Sul avec le grade de Commandeur (BrĂ©sil) ; Grand-Croix d’Orange-Nassau (Pays-Bas) ; Grand-Croix de l’ordre de l'Aigle aztĂšque (Mexique) ; Grand-Croix de l'ordre militaire (Malte) ; Grand-Croix de l’ordre des Omeyyades (Syrie) ; Grand-Croix de l’ordre du MĂ©rite, Grand-Croix de la Croix-Rouge Ă©quatorienne et Grand-Croix de la Fondation internationale Eloy Alfaro (Équateur) ; Grand-Croix extraordinaire de l’ordre de BoyacĂĄ (Colombie) ; Grand-Croix de l’ordre national de l'Honneur et du MĂ©rite (HaĂŻti) ; Grand-Croix de la l’ordre du Soleil (PĂ©rou) ; Grand-Croix du Condor des Andes (Bolivie) ; et Grand-Croix du Paraguay (Paraguay)[157].

Femme du Bicentenaire

En 2010, Eva PerĂłn a Ă©tĂ© dĂ©signĂ©e comme l’emblĂšme des 200 ans d’histoire argentine par le dĂ©cret no 329, annoncĂ© par la prĂ©sidente Cristina Kirchner et publiĂ© au Bulletin officiel, lui octroyant le titre posthume de « Femme du bicentenaire » (Mujer del Bicentenario)[160].

Le projet de 1952

En 1951, Eva PerĂłn commençait Ă  songer Ă  un monument commĂ©morant la journĂ©e de la LoyautĂ© (soit le ), et lorsqu’elle s’avisa de la gravitĂ© de sa maladie, exprima le dĂ©sir de reposer dans la crypte dudit monument. L’on chargea le sculpteur italien LeĂłn Tomassi d’en concevoir la maquette, avec cette instruction textuelle d’Evita : « Il faut qu’il soit le plus grand du monde ». Quand le plan fut prĂȘt fin 1951, elle lui demanda de faire en sorte que l’intĂ©rieur ressemblĂąt davantage au tombeau de NapolĂ©on, qu’elle se souvenait avoir vu Ă  Paris lors de sa tournĂ©e de 1947[161].

Selon la maquette finalement approuvĂ©e, la figure centrale, de soixante mĂštres de haut, se serait Ă©levĂ©e sur un piĂ©destal de soixante-dix-sept mĂštres. Alentour se serait Ă©tendue une Ă©norme place, d’une superficie Ă©gale Ă  trois fois celle du Champ-de-Mars Ă  Paris, bordĂ©e de seize statues de marbre figurant l’Amour, la Justice sociale, les Enfants comme PrivilĂ©giĂ©s uniques, et les Droits du Vieil Âge. Au centre du monument aurait Ă©tĂ© construit un sarcophage semblable Ă  celui de NapolĂ©on aux Invalides, mais en argent, et assorti d’une figure de gisant en relief. L’ensemble architectural devait avoir une hauteur qui dĂ©passerait celle de la basilique Saint-Pierre de Rome, correspondrait Ă  une fois et demi celle de la statue de la LibertĂ© (91 mĂštres), triplerait celle du Christ RĂ©dempteur des Andes (sur la frontiĂšre argentino-chilienne) et serait du mĂȘme ordre de grandeur que la pyramide de KhĂ©ops ; il devait peser 43 000 tonnes et renfermer quatorze ascenseurs[162]. La loi portant Ă©dification du monument Ă  Eva PerĂłn fut approuvĂ©e vingt jours avant sa mort, et l’on choisit de l'Ă©riger dans le quartier de Palermo Ă  Buenos Aires. En , alors que les soubassements de bĂ©ton Ă©taient terminĂ©s et que l’on s’apprĂȘtait Ă  y encastrer la statue, le pouvoir issu du soulĂšvement militaire qui renversa Juan PerĂłn fit cesser les travaux et dĂ©molir les parties dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ©es.

Construction du monument en 1999

La loi no 23.376 de 1986 dispose que le monument Ă  Eva PerĂłn doit ĂȘtre Ă©rigĂ© sur la place situĂ©e sur l'avenue du LibĂ©rateur, entre les rues AgĂŒero et Austria, sur le terrain de la BibliothĂšque nationale. Le monument, inaugurĂ© par le prĂ©sident Carlos Menem le , est une structure de pierre de prĂšs de 20 mĂštres de haut, conçue et rĂ©alisĂ©e par l’artiste Ricardo Gianetti, en granit pour le socle et en bronze pour la sculpture proprement dite, laquelle reprĂ©sente Eva PerĂłn dans une attitude de marche. La base de la sculpture porte les inscriptions suivantes : « Je sus rendre sa dignitĂ© Ă  la femme, protĂ©ger l’enfance et apporter la sĂ©curitĂ© au vieil Ăąge, tout en renonçant aux honneurs » et « Je voulus rester pour toujours simplement Evita, Ă©ternelle dans l’ñme de notre peuple, pour avoir amĂ©liorĂ© la condition humaine des humbles et des travailleurs, en luttant pour la justice sociale ».

Effigies sur l’avenue du Neuf-Juillet à Buenos Aires

En 2011, deux gigantesques effigies d’Evita apposĂ©es sur deux façades du bĂątiment hĂ©bergeant les ministĂšres du DĂ©veloppement social et de la SantĂ© (anciennement bĂątiment du ministĂšre des Travaux publics) sur l'avenue du Neuf-Juillet, Ă  l'angle avec la rue Belgrano, sont inaugurĂ©es Ă  Buenos Aires.

La premiĂšre est inaugurĂ©e le , jour du 59e anniversaire de sa mort, sur la façade sud du bĂątiment, montrant une Evita souriante, inspirĂ©e de l’image qui avait illustrĂ© son livre La Raison de ma vie. La seconde, fixĂ©e Ă  la façade nord du mĂȘme immeuble, est elle dĂ©voilĂ©e le suivant et donne Ă  voir une Evita combative adressant la parole au peuple. Les deux effigies murales, Ɠuvres imaginĂ©es par le plasticien argentin Alejandro Marmo, mesurent 31 Ă— 24 mĂštres et sont en acier corten.

Initialement, l’idĂ©e de Marmo surgit dans le cadre de son projet de 2006 Arte en las FĂĄbricas (Art dans les usines), sous le nom de Sueños de Victoria (RĂȘves de victoire), tendant Ă  revendiquer la figure d’Evita comme icĂŽne culturelle et d’identitĂ© nationale. Quatre ans plus tard, dans le sillage de la proclamation de MarĂ­a Eva Duarte de PerĂłn comme Femme du bicentenaire, les deux Ɠuvres sont intĂ©grĂ©es, par le dĂ©cret no 329/10, aux façades du ministĂšre.

Effigie d’Evita sur le mur d’un Ă©difice public Ă  Buenos Aires.
Autre effigie d’Evita sur une autre façade du mĂȘme immeuble.

Billets de banque

Le , Ă  l’occasion de la cĂ©lĂ©bration du soixantiĂšme anniversaire de la mort d’Eva PerĂłn, la prĂ©sidente Cristina FernĂĄndez de Kirchner annonça publiquement l’émission de billets de banque de 100 pesos (lesquels portaient alors le portrait de Julio Argentino Roca) Ă  l’effigie d’Eva PerĂłn, ce qui fait de celle-ci la premiĂšre femme rĂ©ellement existante Ă  faire son entrĂ©e dans la numismatique argentine[163]. L’image retenue pour le billet est dĂ©rivĂ© d’un dessin de 1952 dont l’ébauche fut trouvĂ©e Ă  la maison de la Monnaie Ă  Buenos Aires, dessin rĂ©alisĂ© par le graveur Sergio Pilosio, avec des retouches de l’artiste Roger Pfund. Nonobstant qu’il s’agĂźt d’une Ă©dition commĂ©morative, la prĂ©sidente FernĂĄndez requit que le nouveau billet fĂ»t substituĂ© aux anciens billets Ă  l’effigie de Roca[164] - [165]. En 2016, son successeur, le prĂ©sident de centre-droit Mauricio Macri annonce que la figure d'Eva Peron sur les billets va ĂȘtre remplacĂ©e par celle d'un cerf andin, le taruca, afin notamment de tourner la page de l'hĂ©ritage pĂ©roniste, dont se revendiquait sa prĂ©dĂ©cesseur[166].

Musées

Les principaux musées consacrés à Eva Perón sont :

  • le musĂ©e Evita, au no 2988 de la calle Lafinur, Ă  Buenos Aires. Il est hĂ©bergĂ© dans une maison qui Ă  l’époque d'Eva PerĂłn servit de foyer pour mĂšres cĂ©libataires de la Fondation Eva PerĂłn ;
  • le musĂ©e Casa Natal dans la ville de Los Toldos (province de Buenos Aires). Il est hĂ©bergĂ© dans la maison Ă  Los Toldos vers laquelle la famille d’Evita dĂ©mĂ©nagea quand celle-ci avait sept ans. Il est situĂ© au no 1021 de la rue Eva PerĂłn ;
  • salle musĂ©e Eva PerĂłn, Ă  l’hĂŽpital Juan PerĂłn, dans la ville d'Avellaneda (province de Buenos Aires). Il s'agit de la salle d’hĂŽpital oĂč Eva PerĂłn fut hospitalisĂ©e et opĂ©rĂ©e en 1951, et oĂč elle vota pour les Ă©lections du ;
  • le musĂ©e Eva PerĂłn dans l’UnitĂ© touristique Embalse, Ă  RĂ­o Tercero, dans la province de CĂłrdoba. Une colonie de vacances construite par la Fondation Eva PerĂłn, sise Camino a la Cruz S/N Embalse, abrite ce musĂ©e.

Astéroïdes

Quatre astĂ©roĂŻdes ont Ă©tĂ© nommĂ©s en l’honneur d’Eva PerĂłn, Ă  savoir : (1569) Evita, (1581) Abanderada, (1588) Descamisada et (1589) Fanatica, tous quatre dĂ©couverts par Miguel Itzigsohn Ă  La Plata, respectivement le , , , et [167].

Références

  1. Prononciation en espagnol d'Amérique retranscrite selon la norme API.
  2. Certains historiens soutiennent qu’elle naquit sur le domaine La UniĂłn, Ă  une soixantaine de km au sud de JunĂ­n et Ă  une vingtaine de km de Los Toldos, d’autres affirmant qu’elle vit le jour Ă  JunĂ­n mĂȘme.
  3. A nation seeks salvation in Evita By Scotsman.com: "On 26 July 1952, a hushed Argentina heard Eva PerĂłn, the 'spiritual leader of the nation', had died, aged 33.".
  4. « Time Magazine. Entretien : Cristina Fernandez de Kirchner d’Argentine », Time.com, (consultĂ© le ).
  5. Borroni et al, 23/24.
  6. Borroni et al, CEAL, 1970.
  7. Museo Municipal Casa Natal MarĂ­a Eva Duarte de PerĂłn..
  8. Le domaine oĂč a pu naĂźtre Evita se nommait en 2006 La Cautiva (litt. la Captive).
  9. Borroni et al, CEAL, 24/26.
  10. Abril de 1919 o mayo de 1922, Eva PerĂłn.
  11. un musée
  12. La razĂłn de mi vida, Un gran sentimiento.
  13. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 15.
  14. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 12.
  15. «Coliqueo», article de Manuel Andrés, 2006.
  16. Solar Natal MarĂ­a Eva Duarte de PerĂłn.
  17. Borroni et al.
  18. Cf. María Flores, pseudonyme de Mary Main, romanciùre anglo-argentine, auteur de The Woman With the Whip, biographie tendancieuse d’Eva Perón (New York 1952), p. 20.
  19. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 15 et 17.
  20. «Historias, anécdotas y testimonios», documents sur Eva Duarte de Perón.
  21. « Eva Perón, cronología », article dans le Rincón del Vago.
  22. LucĂ­a GĂĄlvez: Las mujeres y la patria, nuevas historias de amor de la historia argentina (p. 206). Buenos Aires: Norma, 2001.
  23. « Eva Duarte de Perón », article de Matías Calabrese.
  24. Eva PerĂłn : La razĂłn de mi vida, El dolor de los humildes, 1951.
  25. Marysa Navarro et Nicholas Fraser: Evita: the real life of Eva PerĂłn, 1981, p. 11.
  26. «Perfiles: Eva Perón», article sur le site internet Argenpress, 2002.
  27. «Cuando Evita anduvo por Rosario: la gira teatral de Eva Duarte en 1936», article d’HĂ©ctor Roberto Paruzzo dans le journal La Capital de Rosario du 29 mai 1997 (« Completaron con acierto el espectĂĄculo Oscar Soldatti, Jacinto Aicardi, Alberto Rella, Fina Bustamante y Eva Duarte »).
  28. Borroni, CEAL, 32.
  29. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 31.
  30. «Historias, anécdotas y testimonios», documents relatifs à Eva Duarte de Perón.
  31. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 33.
  32. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 35.
  33. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 15 et 17. Les auteurs s’appuient sur un entretien avec Pablo Raccioppi, ancien collùgue d’Eva Perón, dans Borroni et Vacca, La vida de Eva Perón, vol. I, p. 90-93.
  34. « Niní, Libertad y los celos de Evita », article dans le journal Clarín (Buenos Aires) du 31 décembre 2000.
  35. J. PerĂłn, Del poder al exilio, p. 54.
  36. Universidad de Buenos Aires et Instituto de Economía de los Transportes, dans La radiodifusión en la Argentina, (p. 9, Éd. UBA, Buenos Aires, 166 p.., 1944).
  37. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 40.
  38. Entretien dans la revue Radiolandia, 5 février 1945.
  39. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 52.
  40. sur La Voz.
  41. Le film La pródiga connut sa sortie tardive le 16 août 1984.
  42. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 56.
  43. Propos recueillis par N. Fraser et M. Navarro lors d’une entrevue avec Benítez, cf. Evita, note 29 du chap. III.
  44. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 64.
  45. «El misterio del 17 de octubre del 45: ¿cuål fue el papel de Evita en ese día histórico?», article du journal Clarín de Buenos Aires du 26 juillet 2002.
  46. Les versions sur les vĂ©ritables auteurs du 17 octobre 1945 sont multiples et variĂ©es. Le dirigeant syndical de l’industrie de la viande, Cipriano Reyes, soutint que « c’est lui qui fit le 17 octobre », dans un livre intitulĂ© prĂ©cisĂ©ment Yo hice el 17 de octubre (litt. C’est moi qui ai fait le 17 octobre). L’historienne LucĂ­a GĂĄlvez pour sa part affirma que la vĂ©ritable instigatrice du 17 octobre fut une femme quasi inconnue, Isabel Ernst, secrĂ©taire et maĂźtresse de Domingo Mercante, qui, mettant Ă  profit ses rapports quotidiens avec les militants et dirigeants syndicaux de la CGT, sut les mobiliser Ă  engager les protestations. Cf.: Las mujeres y la patria, nuevas historias de amor de la historia argentina (2001), de LucĂ­a GĂĄlvez. Buenos Aires: Norma, p. 209, 2001.
  47. « QuĂ© hizo Evita el 17 de octubre: Un documento refuta el mito », article d’HĂ©ctor Daniel Vargas dans le supplĂ©ment « Zona » du journal ClarĂ­n de Buenos Aires de 1997.
  48. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 66.
  49. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 68.
  50. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 70.
  51. Sise rue no 12, entre les rues no 68 et 69, l’église nĂ©o-romane fut dĂ©clarĂ©e Monument historique provincial en 1975, mais rayĂ©e de la liste en 1955 par le gouvernement militaire, puis rĂ©tablie Ă  ce titre en 1987. Restauration lancĂ©e en mai 2014.Cf. Article sur le site Telam.
  52. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 80.
  53. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 110.
  54. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 160.
  55. (es) Pablo A. Våzquez, « Evita y la participación de la mujer », Instituto Nacional de Investigaciones Históricas Eva Perón, (consulté le ).
  56. (es) JosĂ© Natanson, « Evita descubriĂł las mujeres a travĂ©s de PerĂłn (entretien avec l’historienne Marysa Navarro) », PĂĄgina 12,‎ (lire en ligne)
  57. Borroni et al, Ă©d. CEAL, p. 73-74.
  58. Discours d’Eva Perón du 1er mai 1949 sur la place de Mai, sur le site internet PJBonaerense.
  59. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 101.
  60. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 90.
  61. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 93.
  62. Eva Perón, discours, Madrid, le 15 juin 1947, cité sur Eva Perón: Obra política, article sur le site internet du Parti justicialiste de la province de Buenos Aires.
  63. Pour les biographes N. Fraser et M. Navarro, l’adoption du suffrage des femmes ne doit que fort peu Ă  l’action d’Eva PerĂłn. Son rĂŽle en la matiĂšre se serait bornĂ© Ă  soutenir le projet de loi d’un de ses soutiens, le journaliste et dĂ©putĂ© national Eduardo Colom (Evita, p. 115 et 118).
  64. Ana María Battistozzi, « Una muestra peronista », Clarín.com, (consulté le ).
  65. (es) Amanda Paltrinieri, « Setenta años de voto femenino: San Juan, la pionera », Nueva, (version du 25 août 2006 sur Internet Archive).
  66. La loi 13.010 dispose : Article 1er : Les femmes argentines auront les mĂȘmes droits politiques et seront soumises aux mĂȘmes obligations que ceux que les lois accordent ou imposent aux hommes argentins. Article 2e : Les femmes Ă©trangĂšres rĂ©sidant dans le pays auront les mĂȘmes droits politiques et seront soumises aux mĂȘmes obligations que ceux que les lois accordent ou imposent aux hommes Ă©trangers, au cas oĂč ceux-ci auraient de tels droits politiques. Article 3e : À la femme s’appliquera la mĂȘme loi Ă©lectorale qu’à l’homme, et il y aura lieu qu’elle reçoive son livret civique correspondant comme document d’identitĂ© indispensable Ă  tous les actes civils et Ă©lectoraux.
  67. Discurso de Eva Perón en el acto inaugural de la primera assemblée nacional del Movimiento Peronista Feminino, Buenos Aires, 26 juillet 1947. Cité par N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 116.
  68. « Eva Perón y el Partido Peronista Femenino - La Macri buena », sur web.archive.org, (consulté le )
  69. « 22 de agosto de 1951. Cabildo Abierto del Justicialismo », unsam,‎ (lire en ligne)
  70. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 116.
  71. (es) Pablo Våzquez, « Evita y la participación de la mujer », sur Rebanadas de Realidad, Instituto Nacional Eva Perón, (consulté le ).
  72. « A 54 años de la muerte de Eva PerĂłn », article d’Hugo Presman sur le site internet Causa Popular, 2006.
  73. « No vine para formar un eje, sino sólo como un arco iris entre nuestros dos países. » Cf. Borroni, CEAL, p. 94.
  74. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 121.
  75. « Palacios y chabolas para Evita », article de Ricardo Herren dans le journal El Mundo (Espagne), du 24 juillet 2002.
  76. « Eva Perón. Anécdotas, documentos sobre Eva Perón »..
  77. « En Madrid - Recordando a Eva PerĂłn (2.ÂȘ parte) », article de MartĂ­n Desiderio de la Peña, de 2003, sur le site internet Sin Mordaza.
  78. «Eva Perón. Anécdotas», documentos sobre Eva Perón.
  79. VIÑAS, David. 14 hipĂłtesis de trabajo en torno a Eva PerĂłn. Montevideo, Ă©d. Ă  compte d’auteur, 1965. P. 8-12.
  80. « Histórico encuentro con Pío XII », article dans le journal La Razón de Buenos Aires du 27 juin 1947.
  81. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 105.
  82. « El Papa bueno, Eva PerĂłn y los judĂ­os », article d’Alicia Dujovne Ortiz, dans The International Raoul Wallenberg Foundation, 2003.
  83. Lucía Gålvez: « Las mujeres y la patria, nuevas historias de amor de la historia argentina » (p. 213). Buenos Aires : Norma, 2001.
  84. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 106.
  85. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 125.
  86. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 128.
  87. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 130.
  88. « Juegos Nacionales Evita: los «cebollitas» del ’52 hicieron llorar », article sur le site internet FĂștbol 5.
  89. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 139.
  90. « Eva, filantropía de choque », article de Rogelio García Lupo du 10 mars 2002.
  91. « El peronismo y los judíos », article de Daniel Blinder sur le site Relaciones de Poder, non daté.].
  92. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 167.
  93. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 189.
  94. Plus d’un million de personnes selon N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 154.
  95. « 22 de agosto de 1951. Cabildo Abierto del Justicialismo », article de MĂłnica AmarĂ©, sur le site internet de l’universitĂ© nationale de San MartĂ­n (UNSAM), 2006, p. 10.
  96. El pueblo querĂ­a saber de quĂ© se trata, allusion au Cabildo ouvert de la rĂ©volution de Mai (journĂ©e du vendredi 25 mai 1810), oĂč la foule, lasse d’attendre sur la place de Mai les rĂ©sultats des tractations entre le vice-roi d’Espagne et les rĂ©volutionnaires, marqua par cette phrase son dĂ©sir d’ĂȘtre enfin informĂ© sur le sort qu’on lui rĂ©servait.
  97. (es) Marysa Navarro, Evita, Buenos Aires, Planeta, coll. « Espejo de la Argentina », , 387 p. (ISBN 950-742-533-0), p. 229-230.
  98. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 152 et 155.
  99. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 159.
  100. Eva Duarte de PerĂłn, par MatĂ­as Calabrese.
  101. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 144.
  102. El Gobernador Felipe SolĂĄ inaugurĂł la Sala para evocar la memoria de Eva PerĂłn, municipalitĂ© d’Avellaneda, 2006..
  103. HernĂĄn BenĂ­tez et Norberto Galasso, Yo Fui el Confesor de Eva Peron: Conversaciones Con el Padre Hernan Benitez, p. 59.
  104. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 165.
  105. Final de un enigma: el polémico libro "Mi Mensaje" pertenece a Eva Perón, Clarín, le 19 novembre 2006.
  106. Lerner, Barron H., « When Lobotomy Was Seen as Advanced », The New York Times, (consulté le ).
  107. Nijensohn, Daniel E.; Savastano, Luis E.; Kaplan, Alberto D.; Laws Jr., Edward R., « New Evidence of Prefrontal Lobotomy in the Last Months of the Illness of Eva PerĂłn », World Neurosurgery, vol. 77, no 3,‎ , p. 583-590 (lire en ligne).
  108. Badaloni, Roxana, « Aseguran que a Evita le hicieron una lobotomía antes de morir », Clarín, (consulté le ).
  109. « El certificado de defunción de Evita », Semanario Colón Doce, (consulté le ).
  110. « Se recuerda a Eva Perón », Jujuy, El Tribuno, (consulté le ).
  111. Gambini, Hugo: Historia del peronismo vol. II p. 38 et 52. Buenos Aires, 2001, Ă©ditions Planeta Argentina S.A. ISBB ƒuvre complĂšte 950-49-0226-X Tome I 950-49-0784-9.
  112. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 172 et 182.
  113. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 174.
  114. À ce propos, voir le tĂ©moignage que Jorge Dansey GazcĂłn rĂ©digea en 2012 (soit 57 ans aprĂšs les faits) Ă  l’intention du quotidien La NaciĂłn, et l’entretien qu’il accorda au journaliste Jorge Urien Berri pour le mĂȘme journal.
  115. Un cadĂĄver secuestrado, ultrajado y desterrado, ClarĂ­n, 26 juillet 2002.
  116. Rubin, Sergio (2002), Eva Perón: Secreto de Confesión, cómo y por qué la Iglesia ocultó 16 años su cuerpo. Buenos Aires : Lolé Lumen.
  117. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 198.
  118. FernĂĄndez Moores, Lucio (2006). Por deseo de la familia, los restos de Evita no estarĂĄn con los de PerĂłn, ClarĂ­n, 7 mai 2006.
  119. Esa mujer
  120. N. Fraser et M. Navarro, Evita, p. 131.
  121. Eva PerĂłn habla a las mujres, p.160.
  122. Las mujeres y la patria, nuevas historias de amor de la historia argentina (2001), de LucĂ­a GĂĄlvez, Ă©d. Norma. p. 212.
  123. Las mujeres y la patria, nuevas historias de amor de la historia argentina (2001), de LucĂ­a GĂĄlvez, Ă©d. Norma. p. 222.
  124. Galeano, Eduardo: Memorias del Fuego, tome III, Mexico, Siglo XXI, 1990.
  125. Gambini, Hugo: Historia del peronismo vol. II, p. 53, Buenos Aires 2001 Editorial Planeta Argentina S.A. ISBB ƒuvre complùte 950-49-0226-X Tome II 950-49-0784-9.
  126. Rousso-Lenoir.
  127. McManners (2001:440).
  128. Adams (1993:203).
  129. « « Evita Or Madonna: Whom Will History Remember? » Entretien avec Tomås Eloy Martinez » [archive du ] (consulté le ).
  130. « Argentines swap pesos for 'Evitas' », BBC. Consulté le 4 octobre 2006.
  131. Musée Evita. Consulté le 13 octobre 2006.
  132. Taylor (p. 147).
  133. Taylor (p. 148).
  134. Fraser et Navarro (1996:100).
  135. Levine (p. 23).
  136. Crassweller (1987).
  137. Evita by Roger Ebert.
  138. MartĂ­nez, TomĂĄs Eloy, « The woman behind the fantasy. Prostitute, fascist, profligate — Eva PerĂłn was much maligned, mostly unfairly », Time, (consultĂ© le ).
  139. The Jews and PerĂłn: Communal Politics and National Identity in Peronist Argentina, 1946–1955, par Lawrence D. Bell, thĂšse de doctorat, 2002, Ohio State University, consultĂ© le 2 mai 2008.
  140. Passmore, Kevin. Fascism: A Very Short Introduction. Oxford University Press. (ISBN 0-19-280155-4).
  141. El libro La RazĂłn de Mi Vida, Por Ricardo E. Brizuela Raoul Solar St-Ouen, 1952.
  142. Norberto Galasso, Yo Fui el Confesor de Eva PerĂłn: Conversaciones con el Padre HernĂĄn BenĂ­tez, Homo Sapiens Ediciones, 1999, capĂ­tulo IX, p. 54.
  143. Nicholas Fraser et Marysa Navarro, Evita: The Real Life of Eva Perón, chap. IX. Éd. W.W. Norton and Company, 1996.
  144. (es) « Eva Peron - La Razon de Mi Vida », sur Scribd (consulté le ).
  145. http://www.tematika.com/libros/humanidades--2/biografias_y_relatos--8/biografias___memorias--1/la_razon_de_mi_vida--20733.htm.
  146. « Final de un enigma: el polémico libro "Mi Mensaje" pertenece a Eva Perón », Clarín (consulté le ).
  147. CĂ©sar Calcagno (avocat) et Alberto Schprejer (Ă©diteur), « El Ășltimo mensaje de Evita », PĂĄgina 12, (consultĂ© le ).
  148. « El texto mås encendido de Eva Perón », edant.clarín (consulté le ).
  149. « Último escrito de Eva PerĂłn », Monografias (consultĂ© le ).
  150. Eva Perón, Mi mensaje, en homenaje, Juan José Salinas et al., édition comprenant Eva en su plenitud, entretien avec Juan Jiménez Domínguez, éd. Futuro, Buenos Aires, 1994.
  151. Eva de la Argentina (film).
  152. Cf. annonce sur le site Théùtres parisiens associés
  153. Dans le livre Prosa plebeya parut, accompagnant la nouvelle Evita Vive, la note suivante : « Evita vive peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un authentique conte maudit dans l’histoire de la littĂ©rature argentine. BlasphĂšme, apprĂ©hension aiguisĂ©e du sujet et audace s’unissent dans ce texte, datĂ© 1975 par l’auteur. Avant d’ĂȘtre connu en espagnol, il le fut en anglais, sous le titre Evita Lives, traduit par E. A. Lacey et inclus dans My Deep Dark Pain Is Love (choix de textes de Winston Leyland. Gay Sunshine Press, San Francisco, 1983). Ensuite, il fut publiĂ© en SuĂšde comme Evita vive, dans Salto mortal ng 8-9, JĂ€rfĂ€lla, mai 1985 ; et, enfin, chez Cerdos y Peces no 11, avril 1987, puis dans El Porteño no 88, avril 1989. La publication de cette nouvelle Ă  Buenos Aires provoqua une controverse publique, Ă  laquelle une note Ă©ditoriale signĂ©e par le conseil de rĂ©daction de la revue El Porteño (Un mes movido) dans le numĂ©ro de mai se voulut ĂȘtre une riposte, Ă  cĂŽtĂ© d’une rĂ©plique de RaĂșl Barreiros (Evita botarate los dislates), alors directeur de Radio Provincia de Buenos Aires..
  154. Rosano, Susana. Rostros y mĂĄscaras de Eva PerĂłn: imaginario populista y representaciĂłn. Beatriz Viterbo Editora, 2006. (ISBN 950-845-189-0), 9789508451897. .
  155. Trad. Isabelle di Natale, Paris, 10/18 n° 2005, 1989. L'original anglais chez Alfred A. Knopf, New York, 1980. La traduction néerlandaise chez Atlas Amsterdam/Anvers 1995 a été opportunément complétée par la traduction d'un article intitulé The End of John Sunday (John Sunday, c.-à-d. Juan Domingo) et paru originellement dans New York Times Book Review vers 1990. Le tableau que l'auteur y brosse de l'Argentine post-dictature militaire n'est guÚre moins déprimant que dans son essai de 1980.
  156. Los millones de Evita, Juan Sasturain, Pågina 12, 1er décembre 2005.
  157. Distinctions et dĂ©corations d’Eva PerĂłn.
  158. Calendario Peronista.
  159. Le Collier de l’ordre du LibĂ©rateur gĂ©nĂ©ral San MartĂ­n dans « Documentos sur Eva Duarte de PerĂłn ».
  160. (es) « Evita fue declarada "Mujer del Bicentenario" », La Prensa, 8 mars 2010
  161. Page, Joseph A. : PerĂłn. Segunda parte (1895-1952), Buenos Aires, 1983, Javier Vergara Editor (ISBN 950-15-0302-X).
  162. Gambini, Hugo: Historia del peronismo, vol. II, p. 64. Buenos Aires, 2001, Ă©d. Planeta Argentina S.A. ISBB Ouvrage complet 950-49-0226-X Tome I 950-49-0784-9.
  163. Il est vrai que Manuelita Rosas, fille de Juan Manuel de Rosas, figurait dĂ©jĂ  sur les billets de 20 pesos, toutefois c’est de maniĂšre fort discrĂšte, cf. (es) « Ya circula el nuevo billete de 20 pesos », ClarĂ­n, Buenos Aires,‎
  164. - "Cristina presentĂł nuevo billete de 100 pesos".
  165. « L'argentine célÚbre Evita », sur Madame Figaro, (consulté le ).
  166. « Argentine : Evita Peron remplacée sur les billets », lefigaro.fr, 21 janvier 2016.
  167. (en) Lutz Dieter Schmadel, Dictionary of Minor Planet Names, Berlin & Heidelberg, Springer, , 992 p. (ISBN 978-3-540-29925-7, lire en ligne).

Voir aussi

Bibliographie

  • .
  • Maud de Belleroche, Eva PerĂłn. La reine des sans chemises, La Jeune Parque, 1972.
  • Laurence Catinot-Crost, Eva PerĂłn, la rĂ©volutionnaire, Éditions SĂ©guier, 2005 (ISBN 2840494353).
  • Alicia Dujovne Ortiz, Eva PerĂłn, Édition Grasset et Fasquelle, 1995 (ISBN 978-2-246-45571-4).
  • Jean-Claude Rolinat, Evita Peron, la reine sans couronne des descamisados, Dualpha, 2010.
  • Joanna Spencer, Eva Peron, Bartillat, Paris, 2007 (ISBN 978-2841003976).
  • Otelo Borroni et Roberto Vacca, Eva PerĂłn, Buenos Aires, Centro Editor de AmĂ©rica Latina (CEAL), .
  • Otelo Borroni et Roberto Vacca, La Vida de Eva PerĂłn. Testimonios para su historia. Tome I, Buenos Aires, Galerna, .
  • FermĂ­n ChĂĄvez, Eva PerĂłn sin mitos, Buenos Aires, Fraterna, (ISBN 987-9048-11-3).
  • Erminda Duarte, Mi hermana Evita, Buenos Aires, Centro de Estudios Eva PerĂłn, .
  • Nicholas Fraser et Marysa Navarro, Eva PerĂłn, New York, W. W. Norton, (ISBN 0-393-31575-4).
  • Marysa Navarro, Evita: mitos y representaciones, Buenos Aires, Fondo de Cultura EconĂłmica, (ISBN 950-557-521-1).
  • Abel Posse, La pasiĂłn segĂșn Eva, Barcelona, Planeta, (ISBN 9875800457).
  • LucĂ­a GĂĄlvez, Las mujeres y la patria, nuevas historias de amor de la historia argentina, Grupo editorial Norma, (ISBN 987-545-005-7).
  • Felipe Pigna, Evita, Buenos Aires, Planeta, (ISBN 978-950-49-1798-4).
  • Felipe Pigna, Evita, jirones de su vida, Buenos Aires, Planeta, (ISBN 978-950-49-2879-9).

Liens externes

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.