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Lobotomie

La lobotomie est une opération chirurgicale du cerveau qui consistait à sectionner ou à altérer la substance blanche d’un lobe cérébral. Elle est désormais interdite dans de nombreux pays et n'est plus considérée comme une bonne pratique dans la médecine actuelle.

On parle aussi de leucotomie (du grec leukos, blanc et tomê, coupure, section) pour décrire une méthode chirurgicale qui consiste à sectionner certaines fibres nerveuses de la substance blanche du cerveau. Elle se distingue de la lobotomie qui consiste à détruire massivement l’ensemble des fibres reliant un lobe cérébral, souvent le lobe frontal, au reste du cerveau.

La lobotomie fut pratiquée en psychochirurgie dans le but d’interrompre certains circuits neuronaux pour traiter les maladies mentales, la schizophrénie, l’épilepsie et même les maux de tête chroniques avant de décliner dans les années 1950 avec l’avènement des premiers neuroleptiques.

Origine et Ă©volution

Les pratiques chirurgicales impliquant le cerveau remontent Ă  loin dans l'histoire de la mĂ©decine. Des traces de trĂ©panation remontant Ă  5 000 ans avant notre ère laissent penser que de telles opĂ©rations Ă©taient entreprises Ă  des fins thĂ©rapeutiques. Il n'existe pas d'Ă©lĂ©ments archĂ©ologiques permettant de penser que de telles opĂ©rations Ă  cerveau ouvert aient pu ĂŞtre pratiquĂ©es dans le but d'intervenir sur le cerveau lui-mĂŞme.

En 1890, Gottlieb Burckhardt a fait l'objet d'un mémoire[1]. Il effectuait des leucotomies partielles sur six patients dans un hôpital psychiatrique de Suisse. Il perce des trous dans leur crâne et extrait des sections de leurs lobes frontaux. L’un d’entre eux meurt après l’opération et un autre est retrouvé noyé dans une rivière dix jours après sa sortie de l’hôpital.

La leucotomie telle qu’elle fut pratiquée au XXe siècle fut mise au point en 1936 par les neurologues portugais Egas Moniz et Almeida Lima de l’Université de Lisbonne, ce qui a valu au premier le Prix Nobel en 1949 (prix décerné conjointement au Suisse Walter Rudolf Hess). Ils affichaient alors 6 % de décès à la suite de l’opération.

La lobotomie (procĂ©dure avec rĂ©section Ă©largie de la substance blanche du lobe frontal) connait son essor après la Seconde Guerre mondiale, notamment avec l’invention de la leucotomie frontale transorbitaire par l'Italien Mario Adamo Fiamberti, mĂ©thode reprise et adaptĂ©e par l'AmĂ©ricain Walter Freeman : le pic Ă  glace. On estime que quelque 100 000 patients furent lobotomisĂ©s dans le monde entre 1945 et 1954 dont la moitiĂ© aux États-Unis. En 1950 l'URSS qualifie la lobotomie d'« anti scientifique et inefficace » et l'interdit[2]. La mĂŞme annĂ©e, cette mĂ©thode attire aux États-Unis l'attention de James W. Watts et Walter Freeman qui y dĂ©veloppent et pratiquent la technique en masse[2]. Freeman parcourt les États-Unis dans les annĂ©es 1950 dans un autocar Ă©quipĂ© pour pratiquer des lobotomies « en sĂ©rie », enfonçant ce pic Ă  glace dans le lobe orbitaire des patients après avoir soulevĂ© la paupière (lobotomie trans-orbitale), moyennant parfois une anesthĂ©sie locale. Cette pratique reçut alors un grand succès et on estime que Freeman Ă  lui seul lobotomisa quelque 4 000 patients[3]. James W. Watts met fin Ă  sa collaboration avec Freeman, dĂ©sapprouvant la banalisation d'une opĂ©ration aussi lourde de consĂ©quences.

Parmi les patients lobotomisés, il faut signaler Rosemary Kennedy, sœur du Président John Kennedy, que son père fit lobotomiser et qui eut par la suite une vie déplorable, dissimulée au public; l'opération la rendant handicapée mentale.

Dès les années 1950, de sérieux doutes concernant cette pratique commencèrent à se faire entendre et les différents domaines médicaux concernés ont tenté d’établir la viabilité de ce traitement, notamment du fait de sa nature irréversible et barbare. Avec la découverte des neuroleptiques en 1951 par deux médecins de l'hôpital Sainte-Anne à Paris, plus efficaces et moins dangereux, cette pratique déclina dès les années 1960 (introduction du premier neuroleptique en 1952 en France et 1954 aux États-Unis). Elle deviendra de plus en plus rare mais continuera jusque dans les années 1980[2].

Sur 1129 patients lobotomisés entre 1935 et 1985 en Belgique, en France et en Suisse, 84 % étaient des femmes[2].

Effets

Localisation d'une leucotomie.

Le lobe frontal du cerveau, qui est le plus souvent concerné par la lobotomie, contrôle un certain nombre de fonctions cognitives avancées ainsi qu’une partie du contrôle moteur. Le contrôle moteur, qui se trouve en profondeur, n’est généralement pas affecté par l'opération. Le cortex préfrontal gère l’impulsion, le jugement, le langage (dans le cas où la liaison neuronale entre le cortex préfrontal et l'aire de Broca est touchée), la mémoire, une partie des fonctions motrices, une partie des notions mathématiques et du comportement sexuel, la personnalité, la spontanéité et la sociabilité. Les lobes frontaux aident à formaliser, coordonner, contrôler et à exécuter le comportement.

Ces parties du cerveau ne sont pas à proprement parler vitales, mais au vu des nombreuses fonctions plus ou moins avancées qu’elles contrôlent, une opération mène toujours à une altération, parfois à un changement radical, de la personnalité. Les effets de la lobotomie, parfois recherchés, sont donc une modification de la personnalité, de la spontanéité, de la libido. Parfois, une lobotomie peut aboutir à un état proche de la schizophrénie, parfois elle peut atténuer les effets de cette maladie.

Les patients devenaient généralement asociaux, moins flexibles et perdaient leurs capacités d’adaptation. Cela n’affectait généralement pas le quotient intellectuel des patients, mais limitait leur capacité à résoudre des problèmes abstraits.

Utilisation actuelle

En 1977, le Congrès américain fonde le comité national pour la protection des sujets humains des biomédecines et de la recherche comportementale (National Committee for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research ou NCPHSBBR) afin d’enquêter sur l’efficacité réelle de la lobotomie, aussi bien d’un point de vue éthique que médical. Leur conclusion fut que cette pratique, certes dangereuse, pouvait avoir des effets positifs sur des malades autrement incurables. Cependant, des études plus récentes et l’arrivée de méthodes moins radicales mènent à un arrêt de la pratique de la lobotomie dans des pays comme la France, l’Allemagne, le Japon, les Pays-Bas et la plupart des États américains.

Toutefois en France encore aujourd'hui, aucun texte de loi n'interdit explicitement cette pratique. Seule la recommandation 1235 (1994) relative à la psychiatrie et aux droits de l’homme de l’assemblée parlementaire du conseil de l’Europe prescrit que « la lobotomie et la thérapie par électrochocs ne peuvent être pratiquées que si le consentement éclairé a été donné par écrit par le patient lui-même ou par une personne choisie par le patient pour le représenter, soit un conseiller soit un curateur, et si la décision a été confirmée par un comité restreint qui n'est pas composé uniquement d'experts psychiatriques[4]. »

Au XXIe siècle, la lobotomie est considérée comme une pratique barbare et extrêmement dangereuse, et on lui préfère systématiquement un traitement médicamenteux. Faute de preuves concernant son efficacité, on ne l’utilise plus pour traiter la schizophrénie.

La lobotomie est cependant toujours pratiquée de façon légale dans certains pays, elle est notamment effectuée sous contrôle dans certains États américains, en Finlande, en Suède, au Royaume-Uni (à Cardiff et à Dundee), en Espagne (??), en Inde et en Belgique. En France, 32 lobotomies furent pratiquées entre 1980 et 1986 d’après un rapport de l’IGAS.

Évocations culturelles

Musique

La lobotomie est un thème évoqué dans des chansons de punk rock français :

  • thème rĂ©current chez BĂ©rurier Noir (ces textes furent Ă©crits au dĂ©but des annĂ©es 1980, oĂą la lobotomie Ă©tait pratiquĂ©e en France) :
    • le titre HĂ´pital lobotomie sur l'album Macadam massacre (1984),
    • le titre AmputĂ©, du mĂŞme album,
    • le titre Pavillon 36, sur l'album Abracadaboum (1987) ;
  • le titre HĂ´pital d'Oberkampf (1985) se termine sur les paroles : Lobotomie ! Lobotomie ! ;
  • le titre Lobotomie Collective, de Tagada Jones, sur l'album Plus de bruit (1998) ;
  • Miss HĂ©lium l'Ă©voque dans les titres Psycho-maniaco-dĂ©pressif et La crise Punk, sur l'album Vive la sporulation ! (2004) ;
  • Hubert-FĂ©lix ThiĂ©faine est l'auteur du titre Lobotomie Sporting Club prĂ©sent sur l'album SupplĂ©ments De Mensonge (2011).

Elle est aussi évoquée sur la pochette de l'album Piece of Mind et des albums suivants du groupe de heavy metal Iron Maiden.

Une chanson des Ramones s'intitule Teenage Lobotomy , sur l'album Rocket to Russia (1977).

Nous retrouvons aussi une allusion Ă  la lobotomie dans le populaire titre Brain Damage, Ă©crit par Pink Floyd. Voici l'extrait :

« The lunatic is in my head
The lunatic is in my head
You raise the blade, you make the change
You re-arrange me 'til I'm sane
You lock the door
And throw away the key
There's someone in my head but it's not me »

On retrouve également ce thème sur la chanson « Before The Lobotomy » du groupe de punk rock américain Green Day. Le groupe américain Waterparks ont également une chanson se nommant « Peach (Lobotomy) ».

Enfin, Lobotomy est un groupe argentin de heavy metal.

Littérature

  • Dans le roman Vol au-dessus d'un nid de coucou (One Flew Over the Cuckoo's Nest), publiĂ© par Ken Kesey en 1962, le personnage principal McMurphy se fait interner pour Ă©chapper Ă  la prison (pour affaire de viol sur mineure). Il lutte contre les autoritĂ©s de l'Ă©tablissement psychiatrique et contre l'infirmière Mildred Ratched en particulier. Avec une volontĂ© de rĂ©volution, il entraĂ®ne les autres patients dans le dĂ©tournement des règles : sorties clandestines, vols, alcoolisme, violence… Ă€ la suite d'un Ă©pisode violent durant lequel il a tentĂ© de tuer l'infirmière Ratched par strangulation, il sera finalement lobotomisĂ© et plongĂ© dans un Ă©tat neurovĂ©gĂ©tatif. Un de ses amis, le « Chef » (un Indien), ne supporte pas de le voir ainsi et prĂ©fère l'Ă©touffer au moyen d'un oreiller, avant de prendre dĂ©finitivement la fuite de l'Ă©tablissement.
  • Le Jardin d'acclimatation, Ă©crit par Yves Navarre en 1980 et pour lequel il obtient le Prix Goncourt, raconte la fĂŞte pour le quarantième anniversaire du fils d'un ancien ministre français septuagĂ©naire et veuf, en compagnie de sa sĹ“ur et de trois de ses quatre enfants mais en l'absence du fĂŞtĂ©. Celui-ci vit retirĂ© et hagard dans la maison familiale depuis que son père l'a contraint Ă  subir une lobotomie pour « soigner » son homosexualitĂ©.
  • Dans le roman autobiographique Parmi les buissons de Matagouri (An Angel at My Table) paru en 1984, l'Ă©crivain nĂ©o-zĂ©landaise Janet Frame raconte qu'elle Ă©vite de justesse la lobotomie grâce Ă  un prix littĂ©raire. En effet, son recueil de nouvelles The Lagoon and other Short Stories, publiĂ© en 1951, reçoit le prix Hubert Church Award, qui lui permet de sortir de l'hĂ´pital psychiatrique dans lequel elle avait Ă©tĂ© internĂ©e pour schizophrĂ©nie. Il a Ă©tĂ© par la suite avĂ©rĂ© qu'elle n'en avait jamais Ă©tĂ© atteinte.
  • Dans le roman Shutter Island, Ă©crit par Dennis Lehane et publiĂ© en 2003, le personnage principal, le marshal Teddy Daniels, enquĂŞte sur la disparition d'une patiente d'un Ă©tablissement psychiatrique, sur l'Ă®le de Shutter Island. Au cours de ses investigations, il soupçonne que des expĂ©riences illĂ©gales se pratiquent sur certains patients (dont des lobotomies transorbitales).

Cinéma et séries

Jeux vidéo

  • Dans les Jeux S.T.A.L.K.E.R (SoC, CS, CoP), un des principaux objectifs du jeu est de passer un lobotomisateur qui transforme les personnages en zombies qui continuent Ă  parler ou alors qui arrivent Ă  tirer pour les moins atteints.
  • Dans le DLC Old World Blues du jeu Fallout : New Vegas, le joueur est lobotomisĂ© Ă  son arrivĂ©e au centre de recherche du Grand RIEN. MalgrĂ© cette lobotomie, le personnage continue Ă  vivre et Ă  ĂŞtre libre de ses choix et mouvements.
  • Dans le DLC Burial at Sea - Épisode 2 du jeu Bioshock Infinite, (spoiler potentiel) le personnage d'Atlas, sous les conseils du Dr Steinman, prodigue une lobotomie transorbitale sur le personnage principal d'Élizabeth (incarnĂ© par le joueur)[5], ayant pour but de faire disparaĂ®tre l’entĂŞtement de cette dernière.
  • Dans les jeux American McGee's Alice (2000) et Alice : Retour au pays de la folie (2011), le personnage d'Alice Liddell (des Aventures d'Alice au pays des merveilles) est internĂ©e et diagnostiquĂ©e comme folle. Son pays des merveilles est une crĂ©ation de son esprit pour lui garder un Ă©quilibre. On le rapproche de la schizophrĂ©nie et de la psychose. Tout au long du dĂ©roulement des jeux, des scènes violentes ou sanglantes en hĂ´pital sont directement liĂ©es Ă  la pratique de la lobotomie.
  • Dans le jeu The Town of Light (2016), le personnage de Renèe Diary est internĂ© de force dans un hĂ´pital psychiatrique italien du dĂ©but des annĂ©es 30, oĂą il est fait rĂ©gulièrement Ă©tat de pratiques de la lobotomie pour soigner les patients.
  • Dans le jeu Psychonauts, un des antagonistes le Docteur Loboto tient son nom de la lobotomie. Ce mĂŞme antagoniste a Ă©galement Ă©tĂ© sujet d'une lobotomie quand il Ă©tait enfant. (On l'apprend dans le spin-off « Rhombus of Ruin »).

Notes et références

  1. Jonas Hauert, L'asile du docteur Burckhardt, 1882-1896 : incurables et chirurgie à la Maison de santé de Préfargier, Genève, , 129 p. (lire en ligne)
  2. Lynda Zerouk, « Durant 50 ans, 84 % des lobotomies furent réalisées sur des femmes, en France, Belgique et Suisse », sur France TV,
  3. (en) Faria MA Jr, « Violence, mental illness, and the brain - A brief history of psychosurgery: Part 1 - From trephination to lobotomy », Surg Neurol Int, vol. 4, no 1,‎ , p. 49. (PMID 23646259, PMCID PMC3640229, DOI 10.4103/2152-7806.110146, lire en ligne [html])
  4. recommandation 1235 (1994) relative à la psychiatrie et aux droits de l’homme de l’assemblée parlementaire du conseil de l’Europe
  5. (en) [vidéo] BioShock Infinite Burial At Sea Episode 2 Transorbital Lobotomy Scene sur YouTube

Bibliographie

En français
En anglais
  • (en) G. Rees Cosgrove, Scott L. Rauch, « Psychosurgery », Neurosurg. Clin. N. Am., 1995, 6:167-176 consulter en ligne
  • (en) Renato M.E. Sabbatini, The History of Psychosurgery, 1997 consulter en ligne
  • (en) P. Pohjavaara, Social Phobia, Etiology, Course and Treatment with Endoscopic Sympathetic Blockade (ESB), 2004 consulter en ligne[PDF]
  • (en) L. Baer et al., « Cingulotomy for intractable obsessive-compulsive disorder », Archives of General Psychiatry, 52, 384-392
  • (en) G.C. Davison & J.M. Neale, Abnormal Psychology (7th Ed.), 1998, New York, John Wiley.
  • (en) Pohjavaara P, Telaranta T, Vaisanen E. The role of the sympathetic nervous system in anxiety: Is it possible to relieve anxiety with endoscopic sympathetic block? Nord J Psychiatry, 2003, 57:55-60, PMID 12745792

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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