AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Juan Manuel de Rosas

Juan Manuel de Rosas (Buenos Aires, 1793 – Southampton, 1877), surnommĂ© « le Restaurateur des lois », Ă©tait un homme politique et militaire argentin, qui exerça comme gouverneur de la province de Buenos Aires et fut de fait l'homme fort de la ConfĂ©dĂ©ration argentine de 1835 Ă  1852.

Juan Manuel de Rosas
Illustration.
Juan Manuel de Rosas.
Fonctions
Chef suprĂȘme de la Province de Buenos Aires
–
(16 ans, 10 mois et 27 jours)
Prédécesseur Manuel Vicente Maza (chef du gouvernement intérimaire)
Successeur Vicente LĂłpez y Planes (chef du gouvernement provisoire)
Chef du gouvernement de la Province de Buenos Aires
–
(2 ans, 11 mois et 27 jours)
Prédécesseur Juan José Viamonte
Successeur Juan José Viamonte
Biographie
Nom de naissance Juan Manuel José Domingo Ortiz de Rosas y López de Osornio
Date de naissance
Lieu de naissance Buenos Aires, vice-royauté du Río de la Plata
Date de décÚs
Lieu de décÚs Southampton, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande
Parti politique Parti fédéraliste
Conjoint EncarnaciĂłn Ezcurra
Enfants Manuela Rosas de Terrero
Pedro Rosas y Belgrano
Juan Bautista Rosas
Profession Propriétaire terrien, militaire, homme politique
Religion Catholicisme

Signature de Juan Manuel de Rosas

Juan Manuel de Rosas
Liste des chefs d'État argentins

Issu d’une famille aisĂ©e, qui comprenait (du cĂŽtĂ© maternel) de grands propriĂ©taires terriens et (du cĂŽtĂ© paternel) des nobles et des administrateurs coloniaux espagnols, Rosas s’appliqua Ă  s’affranchir de sa famille et amassa, par le nĂ©goce et l’activitĂ© agricole, une considĂ©rable fortune personnelle, faisant acquisition notamment de vastes Ă©tendues de terres dans sa province natale. Favorable Ă  l’Empire espagnol, il se tint Ă  distance du processus d’indĂ©pendance, et ne s’engagea en politique qu’au milieu de la trentaine, lorsqu’il contribua en 1829, aprĂšs avoir — ainsi qu’il Ă©tait de coutume chez les propriĂ©taires terriens — enrĂŽlĂ© ses travailleurs dans une milice privĂ©e, Ă  chasser du pouvoir le gĂ©nĂ©ral unitaire Lavalle, dĂ©signĂ© gouverneur de Buenos Aires Ă  l’issue d’un coup d’État fin 1828 ; il se fit ensuite nommer lui-mĂȘme gouverneur de province en dĂ©cembre de la mĂȘme annĂ©e, au lendemain d’une entrĂ©e triomphale dans la ville de Buenos Aires, oĂč il fut saluĂ© tant comme chef militaire victorieux que comme chef de file des fĂ©dĂ©ralistes. Par cet ascendant nouvellement acquis, par ses faits d’armes, par ses vastes possessions fonciĂšres, par sa prestance et par son armĂ©e privĂ©e composĂ©e de gauchos d’une loyautĂ© inconditionnelle, Rosas Ă©tait devenu le type mĂȘme du caudillo, c’est-Ă -dire du seigneur de guerre provincial, et bientĂŽt le principal caudillo de toute l’Argentine. Il rĂ©ussit Ă  se hisser au rang de brigadier gĂ©nĂ©ral, le plus haut grade dans l’armĂ©e argentine, et devint le chef incontestĂ© du Parti fĂ©dĂ©raliste.

Le conflit de 1829 n’est qu’un des Ă©pisodes de la longue guerre civile, d’intensitĂ© et d’ampleur gĂ©ographique variables, qui traversera toute la carriĂšre politique de Rosas et qui opposa les unitaires (schĂ©matiquement : centralistes, progressistes, libre-Ă©changistes, tournĂ©s vers l’Europe, et incarnĂ©s par des nĂ©gociants et juristes de Buenos Aires) aux fĂ©dĂ©ralistes (protectionnistes, dĂ©centralisateurs, attachĂ©s aux valeurs de la sociĂ©tĂ© traditionnelle espagnole, et incarnĂ©s par les caudillos ruraux des provinces). Certes, Rosas adhĂ©ra au Parti fĂ©dĂ©raliste, mais la passion de l’ordre social et la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts politiques et Ă©conomiques de sa province (en particulier l’exclusivitĂ© des recettes douaniĂšres, alors enjeu de taille) primaient chez lui — de son propre aveu —sur les considĂ©rations idĂ©ologiques.

Sous son premier gouvernorat (1829-1832), Rosas instaura un rĂ©gime autoritaire, mais sans les caractĂ©ristiques totalitaires et brutales de son second mandat, et prit mĂȘme des mesures qualifiables de progressistes : fondation de nouveaux villages, rĂ©forme du Code de commerce et du Code de discipline militaire, mesures tendant Ă  rĂ©glementer l’autoritĂ© des juges de paix des villes de l’intĂ©rieur, et traitĂ©s de paix avec les caciques autochtones. La violente flambĂ©e de la guerre civile oĂč la Ligue unitaire, constituĂ©e en 1830 par les provinces sous domination unitaire (l’ensemble des provinces du nord et de l’est, avec ses figures emblĂ©matiques Lamadrid, Paz et Lavalle), affronta le Pacte fĂ©dĂ©ral, formĂ© en 1831 et rejoint par le reste des provinces argentines (Buenos Aires, Santa Fe, Entre RĂ­os et Corrientes), sous domination fĂ©dĂ©raliste, se solda par une victoire fĂ©dĂ©raliste. Le territoire argentin se retrouva partagĂ© en trois zones d’influence, chacune dominĂ©e par l’un des gĂ©nĂ©raux vainqueurs (Rosas Ă  Buenos Aires, LĂłpez dans le Litoral, et Quiroga dans le reste du pays) — le rosisme ne rĂ©gnait donc pas sans partage sur l’Argentine, hors Buenos Aires. Aux termes du Pacte fĂ©dĂ©ral, l’autonomie provinciale Ă©tait reconnue et la ConfĂ©dĂ©ration argentine — avec des institutions restant Ă  crĂ©er — instituĂ©e.

En 1832, Ă  l’achĂšvement de son premier mandat, et renonçant pour l’heure Ă  en briguer un second, Rosas, de concert avec les autoritĂ©s de quelques autres provinces argentines, fit mouvement avec ses troupes vers la frontiĂšre (c’est-Ă -dire la ligne de dĂ©marcation entre zones europĂ©ennes et territoires encore tenus par les Indiens) pour y lancer la guerre contre les peuples autochtones, laquelle, alternant opĂ©rations guerriĂšres et pourparlers de paix, et non exempte d’atrocitĂ©s, permit de repousser ladite frontiĂšre vers le sud. En 1835, Ă  la suite de tensions entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes et au sein mĂȘme du camp fĂ©dĂ©raliste Ă  Buenos Aires, opportunĂ©ment exploitĂ©es par son Ă©pouse EncarnaciĂłn Ezcurra, et face aux graves troubles consĂ©cutifs Ă  l’assassinat de Quiroga dans la province de CĂłrdoba, Rosas fut sollicitĂ© de retourner aux affaires et consentit Ă  assumer une nouvelle fois le poste de gouverneur, moyennant cependant l’octroi par la LĂ©gislature portĂšgne de la Suma del poder pĂșblico, soit les pleins pouvoirs. Rosas Ă©tablit alors, pendant ce deuxiĂšme mandat (1835-1852), une dictature absolue, marquĂ©e par une presse muselĂ©e et dithyrambique, par le culte de la personnalitĂ©, et par l’omniprĂ©sence des symboles fĂ©dĂ©ralistes ; tandis qu’était mise sur pied la redoutable Mazorca, troupe de choc rĂ©pressive, qui assassina des milliers d’opposants rĂ©els ou prĂ©sumĂ©s, les Ă©lections n’étaient dĂ©sormais plus que des simulacres, et les pouvoirs lĂ©gislatifs et judiciaires devinrent de dociles instruments de la volontĂ© du caudillo, qui contrĂŽlait Ă©troitement tous les secteurs de la sociĂ©tĂ© et donnait Ă  son rĂ©gime un caractĂšre totalitaire. Ses sympathisants se recrutaient d’une part dans la classe latifondiaire, et d’autre part dans les couches populaires, oĂč il Ă©tait une figure trĂšs aimĂ©e, quand mĂȘme il Ă©tait peu enclin Ă  modifier les rapports sociaux autoritaires et inĂ©galitaires propres Ă  la sociĂ©tĂ© coloniale traditionnelle et n’entreprit rien ou presque, en dĂ©pit de son attitude paternaliste, pour amĂ©liorer les conditions de vie des petites gens. Il veilla Ă  la stricte maĂźtrise des dĂ©penses publiques, et grĂące Ă  la stabilitĂ© monĂ©taire qu’il sut maintenir, la monnaie de Buenos Aires devint la devise d’usage gĂ©nĂ©ral dans toute l’Argentine. L’économie Ă  l’époque rosienne s’appuyait sur l’expansion de l’élevage (surtout dans les provinces du Litoral) et sur l’exportation de produits agricoles — prĂ©mices du futur modĂšle agro-exportateur argentin. Buenos Aires cependant eut soin de garder la haute main sur la navigation des eaux intĂ©rieures et le commerce extĂ©rieur, et continuait de concentrer dans la capitale toute l’activitĂ© portuaire, en particulier les recettes douaniĂšres affĂ©rentes.

À la fin de la dĂ©cennie 1830 et au dĂ©but des annĂ©es 1840, Rosas eut Ă  affronter mainte menace contre son pouvoir. Il mena une guerre contre la ConfĂ©dĂ©ration pĂ©ruvio-bolivienne, subit un blocus naval de la part de la France, dut faire face Ă  une rĂ©volte dans sa propre province, et eut Ă  batailler contre une rĂ©bellion unitaire de grande ampleur, qui perdura pendant des annĂ©es et se propagea vers plusieurs provinces argentines, avec des prolongements dans les États voisins. Rosas cependant sut une nouvelle fois se maintenir, Ă©tendant et consolidant mĂȘme son influence dans les provinces, et exerçant une autoritĂ© effective sur elles par des moyens directs et indirects ; en 1848, et contrairement Ă  la situation pendant son premier gouvernorat, il avait Ă©tendu son pouvoir trĂšs au-delĂ  de la seule province de Buenos Aires et s’était de fait rendu maĂźtre de l’Argentine tout entiĂšre. Il rĂȘva aussi d’intĂ©grer les États limitrophes, le Paraguay et l’Uruguay, dans la ConfĂ©dĂ©ration argentine. En imposant un blocus contre Buenos Aires pendant les derniĂšres annĂ©es de la dĂ©cennie 1840, la France et la Grande-Bretagne tentĂšrent conjointement de dĂ©jouer l’expansionnisme de l’Argentine rosiste (mais il s’agissait surtout pour ces deux pays de forcer la libre navigation sur les grands fleuves et de trouver des dĂ©bouchĂ©s pour leurs produits), toutefois ne furent pas en mesure de mettre un coup d’arrĂȘt Ă  la politique de Rosas, dont le prestige s’était fortement renforcĂ© par son long cortĂšge de succĂšs.

Sur le plan institutionnel, la ConfĂ©dĂ©ration argentine, État virtuel et dĂ©sincarnĂ©, Ă©choua Ă  se doter d’institutions, en particulier d’une constitution nationale, en partie par les manƓuvres de Rosas lui-mĂȘme, qui s’accommodait fort bien de ce vide institutionnel. Certes, les provinces avaient — ultime formalisme — dĂ©signĂ© Rosas pour Chef suprĂȘme de la ConfĂ©dĂ©ration argentine, mais en l’absence d’institutions politiques centrales, le Pacte fĂ©dĂ©ral de 1831 restait l’unique source de lĂ©galitĂ© des relations interprovinciales. Rosas, en l’absence de constitution, exerça de facto le pouvoir national, en s’appuyant, d’une part, sur son emprise personnelle dans les provinces par le biais de gouverneurs alliĂ©s, et d’autre part sur les moyens de pression militaires et Ă©conomiques de Buenos Aires par suite de la dĂ©lĂ©gation de certaines compĂ©tences des provinces vers Buenos Aires (la politique Ă©trangĂšre et le commerce extĂ©rieur, qui permit Ă  Rosas de fixer les taxes Ă  l’importation par la voie de sa Loi douaniĂšre) et par suite de ses propres actions militaires. Si Rosas donc apparaissait comme l’homme fort, apportant unitĂ© et stabilitĂ© au pays, il reste que, basĂ©e sur le personnalisme, cette stabilitĂ© n’était pas appelĂ©e Ă  se prolonger indĂ©finiment. Lorsque le BrĂ©sil se mit Ă  venir en aide au gouvernement uruguayen du colorado Rivera, retranchĂ© dans Montevideo qu’assiĂ©geaient, avec l’aide de troupes rosistes, les partisans du blanco Oribe, alliĂ© de Rosas, celui-ci dĂ©clara la guerre en , dĂ©clenchant ainsi la guerre de la Plata. La trahison d’Urquiza, naguĂšre encore fidĂšle alliĂ© de Rosas, suivie de multiples dĂ©fections dans l’armĂ©e rosiste, permit de lever suffisamment de combattants (la Grande ArmĂ©e) pour vaincre assez facilement, Ă  la bataille de Caseros en 1852, les troupes d’un Rosas dĂ©moralisĂ©, qui trouva refuge chez le consul de Grande-Bretagne et fut ensuite exfiltrĂ© vers l’Europe. Ses derniĂšres annĂ©es se passeront en exil dans les environs de Southampton, oĂč il vĂ©cut modestement comme mĂ©tayer jusqu’à sa mort en 1877.

Rosas est durablement perçu par le public argentin comme un tyran brutal ; pourtant, Ă  partir des annĂ©es 1930, un courant politique et intellectuel argentin — autoritariste, nationaliste et se sentant des affinitĂ©s avec le fascisme italien et espagnol —, en particulier le pendant historiographique de ce mouvement appelĂ© rĂ©visionnisme historique, s’évertua Ă  rĂ©habiliter la figure de Rosas comme dĂ©fenseur de l’indĂ©pendance et de l’honneur argentins. En 1989, les restes de Rosas furent rapatriĂ©s par le gouvernement alors en place, dans une tentative de renforcer l’unitĂ© nationale et en guise de mesure d’indulgence vis-Ă -vis de la dictature militaire des annĂ©es 1970. Rosas demeure nĂ©anmoins une figure controversĂ©e dans l’Argentine du XXIe siĂšcle.

Origines familiales et premiÚres années

Jeunes années

Juan Manuel José Domingo Ortiz de Rozas y López de Osornio[1] naquit le à Buenos Aires, alors capitale de la vice-royauté du Río de la Plata[2]. Sa naissance eut lieu sur la parcelle de terrain située sur la rue nommée alors rue Santa Lucía, actuelle rue Sarmiento, entre les rues Florida et San Martín, parcelle dont sa mÚre, Agustina López de Osornio[3], était propriétaire, et qui avait été habitée par son grand-pÚre maternel Clemente López de Osornio.

Maison natale de Rosas à Buenos Aires, dans l’actuelle rue Sarmiento, entre les rues San Martín et Florida.
Portrait de Juan Manuel de Rosas enfant.

Il Ă©tait le fils du militaire LeĂłn Ortiz de Rozas (Buenos Aires, 1760-1839), — dont le pĂšre Ă©tait Domingo Ortiz de Rozas y Rodillo (SĂ©ville, 1721 - Buenos Aires, 1785) et le grand-pĂšre paternel BartolomĂ© Ortiz de Rozas y GarcĂ­a de Villasuso (nĂ© Ă  Rozas, dans la vallĂ©e de Soba, Espagne, en 1689), et qui Ă©tait de ce fait un petit-neveu de Domingo Ortiz de Rozas, comte de peuplements (conde de poblaciones, titre qui lui fut octroyĂ© par Ferdinand VI en 1754), gouverneur de Buenos Aires de 1742 Ă  1745, et capitaine gĂ©nĂ©ral du Chili de 1746 Ă  1755 —, par qui il appartenait au lignage des Ortiz de Rozas, qui avaient leurs origines dans le village de Rozas del valle de Soba, dans La Montaña de Vieille-Castille (l’actuelle Cantabrie), possession de la Couronne d’Espagne[4]. Sans doute le caractĂšre du jeune Juan Manuel de Rosas fut-il fortement influencĂ© par sa mĂšre Agustina, femme volontaire et dominatrice, qui avait dĂ» hĂ©riter ces mĂȘmes traits de caractĂšre de son pĂšre Clemente LĂłpez de Osornio, propriĂ©taire terrien qui pĂ©rit en dĂ©fendant son domaine contre une attaque indienne en 1783[3].

Il fut inscrit Ă  l’ñge de huit ans au collĂšge privĂ© que dirigeait Francisco Javier Argerich (1765-1824), bien qu’il eĂ»t toujours depuis son jeune Ăąge manifestĂ© une vocation pour les activitĂ©s rurales. Il interrompit ses Ă©tudes pour participer en 1806, alors qu’il n’avait que treize ans, Ă  la reconquĂȘte de Buenos Aires, puis s’enrĂŽla dans la compagnie de jeunes garçons du RĂ©giment de Migueletes, au sein de laquelle il se battit pour la dĂ©fense de Buenos Aires en 1807 — ces deux Ă©vĂ©nements s’inscrivant dans le cadre des invasions britanniques du RĂ­o de la Plata — et oĂč il fut distinguĂ© en raison de sa vaillance[5] - [6].

Sa formation intellectuelle, quoique s’accordant avec sa condition de fils de riche propriĂ©taire foncier, apparaĂźt insignifiante. Selon l’historien britannique John Lynch, la formation de Rosas « fut complĂ©tĂ©e par ses propres efforts dans les annĂ©es suivantes. Rosas n’était pas entiĂšrement dĂ©pourvu de lectures, mais l’époque, le lieu, et ses propres partis pris limitĂšrent son choix d’auteurs. Il semble avoir eu des affinitĂ©s et de la sympathie, bien que superficielle, pour des penseurs politiques mineurs de l’absolutisme français. »[2]

ActivitĂ©s d’estanciero

Rosas se retira ensuite dans le domaine rural de sa mĂšre, une vaste estancia (exploitation agricole) dans la pampa de Buenos Aires. Lorsqu’eurent lieu les Ă©vĂ©nements qui allaient dĂ©boucher sur la rĂ©volution de Mai de 1810, Rosas avait 17 ans et se tint en marge de ceux-ci, ainsi que des Ă©vĂ©nements politiques ultĂ©rieurs et de la guerre d’indĂ©pendance.

En 1813, en dĂ©pit de l’opposition maternelle, que Rosas sut vaincre en faisant accroire Ă  sa mĂšre que la jeune femme Ă©tait enceinte de lui, il Ă©pousa EncarnaciĂłn Ezcurra, de qui il eut trois enfants : Juan Bautista, nĂ© le ; MarĂ­a, nĂ©e le , mais dĂ©cĂ©dĂ©e le lendemain ; et Manuela, connue sous le petit nom de Manuelita, venue au monde le , qui deviendra par la suite sa compagne insĂ©parable.

Peu aprĂšs, Ă  la suite d’un diffĂ©rend qu’il eut avec sa mĂšre, il restitua Ă  ses parents les terres qu’il exploitait, afin de fonder ses propres entreprises d’élevage et son propre nĂ©goce. De surcroĂźt, il troqua son patronyme Ortiz de Rozas pour celui de Rosas, mettant fin ainsi, symboliquement, Ă  sa subordination vis-Ă -vis de sa famille. Il se fit le gĂ©rant des terres de ses cousins NicolĂĄs et TomĂĄs Manuel de Anchorena ; ce dernier du reste allait occuper des postes importants au sein de son futur gouvernement, Rosas en effet lui vouant un respect et une admiration particuliers. S’associant Ă  Luis Dorrego, frĂšre du colonel Manuel Dorrego, et Ă  Juan Nepomuceno Terrero, il fonda une salaisonnerie ; c’était lĂ  en effet l’affaire commerciale du moment : la viande salĂ©e et les cuirs Ă©taient alors quasiment le seul produit d’exportation de la jeune nation. Rosas accumula une grande fortune comme Ă©leveur et comme exportateur de viande bovine, se tenant pour le reste Ă  distance des Ă©vĂ©nements alors en cours qui conduiront la vice-royautĂ© du RĂ­o de la Plata Ă  s’émanciper de l’Empire espagnol lors du congrĂšs de TucumĂĄn en 1816.

C’est dans ces annĂ©es-lĂ  aussi qu’il lia connaissance avec le docteur Manuel Vicente Maza, qui deviendra son protecteur lĂ©gal, en particulier dans une procĂ©dure judiciaire que ses propres parents avaient engagĂ©e contre lui. Plus tard, il sera Ă  Rosas d’un excellent conseil politique.

En 1818, sous la pression des fournisseurs de viande de la capitale, le directeur suprĂȘme du RĂ­o de la Plata Juan MartĂ­n de PueyrredĂłn prit une sĂ©rie de mesures Ă  l’encontre des salaisonniers. AussitĂŽt, Rosas changea de cap et se voua dorĂ©navant Ă  la production agricole en association avec Dorrego et les Anchorena, qui le chargĂšrent en outre de la gĂ©rance de leur estancia Camarones, au sud du fleuve Salado.

L’annĂ©e suivante, Rosas acquit l’estancia Los Cerrillos, Ă  San Miguel del Monte, oĂč il entreprit de mettre sur pied une compagnie de cavalerie, qui s’agrandrit bientĂŽt jusqu’à la taille d’un rĂ©giment, appelĂ©e les Colorados del Monte (littĂ©r. les Rouges du bocage), afin de combattre les AmĂ©rindiens et les brigands de la zone pampĂ©enne. Il en fut dĂ©signĂ© le commandant, et montera plus tard au grade de lieutenant-colonel.

Les Instrucciones n’ont jamais Ă©tĂ© publiĂ©es ni diffusĂ©es par Rosas en dehors de ses domaines agricoles. On peut accĂ©der au fichier sur Wikimedia Commons (en cliquant sur l’image) ou Ă  la copie disponible dans Wikisource.

Dans ces annĂ©es-lĂ , il rĂ©digea ses cĂ©lĂšbres Instrucciones a los mayordomos de estancias (littĂ©r. Instructions aux rĂ©gisseurs de domaine), opuscule dans lequel il dĂ©taillait avec prĂ©cision les responsabilitĂ©s respectives de chacun des administrateurs, maĂźtres valets et journaliers, et oĂč Rosas prouvait sa capacitĂ© Ă  gĂ©rer plusieurs exploitations simultanĂ©ment par la mise en Ɠuvre de mĂ©thodes efficaces, prĂ©figuration de sa future capacitĂ© Ă  administrer l’État provincial.

DĂ©buts dans la politique

Gauchos à la chasse aux chevaux sauvages, tableau de Johann Moritz Rugendas. Des gauchos servaient dans la milice privée de Rosas.

La rĂ©volution de Mai de 1810 marqua le point de dĂ©part d’un processus qui allait conduire Ă  la dĂ©sintĂ©gration de la vice-royautĂ© du RĂ­o de la Plata, Ă  l’indĂ©pendance du territoire vis-Ă -vis de l’Empire espagnol, et finalement Ă  la formation de l’Argentine. Rosas, comme beaucoup de propriĂ©taires terriens de la campagne, Ă©prouvait quelque mĂ©fiance envers un mouvement menĂ© au premier chef par des marchands et des bureaucrates de la ville de Buenos Aires. En particulier, Rosas avait Ă©tĂ© outrĂ© par l’exĂ©cution du vice-roi Jacques de Liniers, demeurĂ© fidĂšle Ă  la couronne d’Espagne, et tombĂ© entre les mains des rĂ©volutionnaires. Rosas avait la nostalgie de l’époque coloniale, qu’il voyait comme une pĂ©riode stable, ordonnĂ©e et prospĂšre[7] - [8]. NĂ©anmoins, lorsque le congrĂšs de TucumĂĄn coupa tous les liens restants avec l’Espagne en , Rosas et ses pairs acceptĂšrent l’indĂ©pendance comme un fait accompli[7].

Jusqu’à 1820, Juan Manuel de Rosas s’était consacrĂ© Ă  ses activitĂ©s privĂ©es. À partir de cette annĂ©e-lĂ , et jusqu’à sa chute aprĂšs la bataille de Caseros en 1852, il allait vouer sa vie Ă  l’activitĂ© politique, dirigeant, que ce soit au sein du gouvernement ou en dehors de celui-ci, la province de Buenos Aires, laquelle avait sous sa tutelle non seulement l’un des territoires productifs les plus riches de la naissante Argentine, mais aussi la ville la plus importante du pays, Buenos Aires, ainsi que son port, par oĂč passait le commerce extĂ©rieur des autres provinces et qui, au travers de sa douane (qui restera jusqu’en 1865 aux mains de la seule province de Buenos Aires), prĂ©levait les taxes d’importation. Ces ressources constitueront l’enjeu principal d’une bonne part des contentieux institutionnels et des guerres civiles argentines du XIXe siĂšcle.

En s’acheva la pĂ©riode du Directoire, par suite de la dĂ©mission de JosĂ© Rondeau, au lendemain de la bataille de Cepeda, qui inaugura la pĂ©riode dite Anarchie de l'an XX. C’est Ă  cette Ă©poque que Rosas commença Ă  s’engager dans la politique, notamment en s’enrĂŽlant, lui et ses gauchos, tous vĂȘtus de rouge et surnommĂ©s Colorados del Monte (« les Rouges du bocage »), dans l’armĂ©e de Buenos Aires au titre de 5e rĂ©giment de Milice[9] - [10] - [11] - [12], pour aider Ă  repousser l’invasion du caudillo de Santa Fe Estanislao LĂłpez. Il participa ainsi Ă  la victoire du gouverneur Manuel Dorrego dans le combat de PavĂłn, cependant, en accord avec son ami MartĂ­n RodrĂ­guez, il refusa de s’associer Ă  Dorrego quand celui-ci se proposa de prolonger sa victoire par une invasion de la province de Santa Fe, invasion lors de laquelle Dorrego subira une cuisante dĂ©faite Ă  la bataille de Gamonal en .

GrĂące Ă  l’appui de Rosas et d’autres propriĂ©taires de domaine, le gĂ©nĂ©ral MartĂ­n RodrĂ­guez fut Ă©lu le gouverneur de la province de Buenos Aires. Le Ă©clata une rĂ©volution, menĂ©e par le colonel Manuel Pagola, qui se rendit maĂźtre du centre-ville de Buenos Aires. Rosas, s’étant mis Ă  la disposition de RodrĂ­guez, ordonna l’attaque le cinquiĂšme jour, et infligea une dĂ©faite totale aux rebelles. Les chroniqueurs de ces journĂ©es noteront la discipline qui rĂ©gnait chez les gauchos de Rosas[13], qui fut Ă©levĂ© au grade de colonel. Sous le gouvernorat de MartĂ­n RodrĂ­guez, le secteur des patrons de domaine commença ainsi Ă  jouer un rĂŽle public.

D’autre part, Rosas prit part aux nĂ©gociations qui aboutirent au traitĂ© de Benegas, lequel mit fin au conflit entre les provinces de Santa Fe et de Buenos Aires. Il eut la responsabilitĂ© de veiller Ă  l’exĂ©cution d’une des clauses secrĂštes dudit traitĂ©, Ă  savoir remettre au gouverneur Estanislao LĂłpez 30 000 tĂȘtes de bĂ©tail, Ă  titre de rĂ©paration pour les dommages causĂ©s par les troupes de Buenos Aires sur son territoire — clause gardĂ©e secrĂšte, pour ne pas « entacher l’honneur » de Buenos Aires. Le traitĂ© fut l’amorce de l’alliance permanente qui unira les deux provinces jusqu’en 1852.

Les premiĂšres annĂ©es suivant la dissolution des pouvoirs nationaux en 1820 correspondent Ă  une pĂ©riode de paix et de prospĂ©ritĂ© Ă  Buenos Aires. Cette pĂ©riode, dite expĂ©rience heureuse (« feliz experiencia »), s’explique principalement par le fait que Buenos Aires jouit, pour son bĂ©nĂ©fice exclusif, de la rente tirĂ©e des recettes douaniĂšres, source inĂ©puisable de richesse que la province se garda bien de partager avec ses provinces sƓurs et qu’elle veilla Ă  empĂȘcher de servir Ă  financer des armĂ©es autres que celle de Buenos Aires.

À la fin du conflit, Rosas, entourĂ© du prestige acquis par ses Ă©tats de service militaires, retourna Ă  ses terres. En plus d’une promotion au grade de colonel de cavalerie, il fut recompensĂ© par l’octroi de nouveaux biens-fonds par le gouvernement de Buenos Aires[9][14]. Entre 1821 et 1824, Rosas fit l’acquisition de plusieurs terres supplĂ©mentaires, notamment l’estancia qui avait appartenu au vice-roi JoaquĂ­n del Pino y Rozas (connue sous le nom de Estancia del Pino, dans le partido de La Matanza, aujourd’hui dans la lointaine banlieue sud-ouest de Buenos Aires), qu’il rebaptisa San MartĂ­n en l’honneur du general JosĂ© de San MartĂ­n. En outre, il mit Ă  profit la loi sur les emphytĂ©oses promulguĂ©e en 1826 par le ministre Bernardino Rivadavia pour Ă©tendre ses terres davantage encore. En effet, au lieu d’aider les petits propriĂ©taires terriens, cette loi eut l’effet contraire, faisant de prĂšs de la moitiĂ© de la superficie de la province la propriĂ©tĂ© de quelques grands latifondiaires.

Toutes ces acquisitions fonciĂšres, s’ajoutant Ă  ses affaires florissantes, agrandirent spectaculairement sa fortune personnelle. En 1830, il Ă©tait le 10e plus grand propriĂ©taire terrien de la province de Buenos Aires, possĂ©dant 300 000 tĂȘtes de bĂ©tail et 170 000 hectares de terres[15] - [16]. Par cet ascendant nouvellement acquis, par ses faits d’armes, par ses vastes possessions fonciĂšres et par son armĂ©e privĂ©e composĂ©e de gauchos loyaux, Rosas Ă©tait devenu le type mĂȘme du caudillo, c’est-Ă -dire du seigneur de guerre provincial[17].

Les troubles consĂ©cutifs Ă  l’Anarchie de l'an XX avaient laissĂ©e dĂ©garnie la frontiĂšre sud de la province, entraĂźnant une recrudescence des malones, c’est-Ă -dire des razzias commises par les Indiens autochtones. MartĂ­n RodrĂ­guez organisa alors trois campagnes militaires dans le dĂ©sert, en usant vis-Ă -vis des Indiens pampas d’un curieux mĂ©lange de pourparlers de paix et d’opĂ©rations de guerre. En 1823, il fonda le fort IndĂ©pendance, devenu depuis lors l’actuelle ville de Tandil. Dans la quasi-totalitĂ© de ces opĂ©rations militaires, il fut accompagnĂ© par Rosas, qui participa Ă©galement Ă  une expĂ©dition lors de laquelle l’arpenteur Felipe Senillosa s’attachait Ă  dĂ©limiter les territoires respectifs des peuples autochtones du sud de la province et Ă  en Ă©tablir les plans cadastraux. Nominalement, c’était le colonel Juan Lavalle qui se trouvait Ă  la tĂȘte de cette campagne.

Dans les annĂ©es 1820, la province de Buenos Aires prĂ©fĂ©ra se dĂ©rober Ă  la guerre d’indĂ©pendance et pratiqua une politique d’ouverture commerciale avec l’Europe, en particulier avec la Grande-Bretagne, en dĂ©veloppant au maximum son potentiel d’exportation de produits d’élevage[18].

En 1824 se rĂ©unit un nouveau congrĂšs gĂ©nĂ©ral, avec l’objectif de doter d’une constitution les Provinces-Unies du RĂ­o de la Plata ; l’éclatement de la guerre de Cisplatine avec le BrĂ©sil (avec pour enjeu la souverainetĂ© sur la province Orientale) incita les congressistes Ă  mettre en place un gouvernement national, Ă  la tĂȘte duquel fut alors Ă©lu Bernardino Rivadavia, au titre de prĂ©sident des Provinces-Unies. Le dĂ©roulement de la guerre fut favorable aux Rioplatenses, cependant la situation militaire devint bientĂŽt insoutenable[18]. Pendant la guerre, Rivadavia nomma Rosas commandant des armĂ©es de campagne, avec mission de maintenir pacifiĂ©e la frontiĂšre avec l’ethnie pampa de la rĂ©gion pampĂ©enne, mission qu’il allait accomplir une nouvelle fois plus tard, sous le gouvernorat du colonel Dorrego.

En 1826 fut finalement sanctionnĂ©e une constitution nationale, aux termes de laquelle la dĂ©nomination de RĂ©publique argentine fut retenue pour l’État national. Toutefois, le caractĂšre unitaire et centralisĂ© du systĂšme de gouvernement que prĂ©voyait cette constitution porta la majoritĂ© des provinces Ă  la rejeter. Le gouvernement national signa un traitĂ© de paix avec le BrĂ©sil, que fut jugĂ© dĂ©shonorant par l’opinion publique de Buenos Aires ; le traitĂ© fut alors rĂ©pudiĂ© par le gouvernement argentin, et Rivadavia dĂ©missionna de la prĂ©sidence. Le gouvernement et le congrĂšs nationaux furent dissous peu aprĂšs[18].

Le colonel Manuel Dorrego, membre du Parti fĂ©dĂ©raliste, fut Ă©lu gouverneur de Buenos Aires. Il dĂ©signa, entre autres fonctionnaires fĂ©dĂ©ralistes nommĂ©s par lui, Juan Manuel de Rosas au poste de commandant gĂ©nĂ©ral de campagne. Dorrego s’attribua les relations extĂ©rieures de l’État argentin et la compĂ©tence en matiĂšre de poursuite de la guerre contre le BrĂ©sil ; mais la situation financiĂšre, la pression britannique et la supĂ©rioritĂ© militaire du BrĂ©sil le contraindront finalement Ă  conclure un traitĂ© de paix, aux termes duquel, d’une part, l’indĂ©pendance Ă©tait accordĂ©e Ă  la province Orientale, qui prit nom d’État oriental de l’Uruguay, et d’autre part, fut concĂ©dĂ©e, par l’Argentine et le BrĂ©sil seulement, et pour une pĂ©riode restreinte de quinze ans, la libre navigation sur le RĂ­o de la Plata et ses affluents. Les troupes ayant fait la campagne du BrĂ©sil furent rappelĂ©es en Argentine[18].

Aux yeux des officiers qui avaient fait cette campagne, le traitĂ© signĂ© par Dorrego Ă©tait dĂ©shonorant, compte tenu que la situation militaire apparaissait favorable Ă  l’Argentine, en particulier aprĂšs la bataille d'ItuzaingĂł ; ils accusĂšrent le gouverneur d’avoir bradĂ© la province Orientale en dĂ©pit des nombreuses victoires obtenues par l’armĂ©e nationale argentine sur le champ de bataille, et convinrent avec les dirigeants unitaires de renverser Dorrego[18].

La révolution de décembre (1828)

En 1827, dans le contexte prĂ©cĂ©dant de peu le dĂ©but de la guerre civile, qui en effet Ă©clatera en 1828, Rosas Ă©tait un chef militaire, reprĂ©sentant des propriĂ©taires ruraux, socialement conservateur et adhĂ©rant aux traditions coloniales de la rĂ©gion. AlignĂ© sur le courant fĂ©dĂ©raliste et protectionniste, il Ă©tait opposĂ© Ă  l’influence Ă©trangĂšre et aux mesures libre-Ă©changistes telles que prĂ©conisĂ©es par le Parti unitaire.

L’unitĂ© nationale ne cessait de s’effriter sous l’effet d’une succession continuelle de guerres civiles, de rĂ©bellions et de coups d’État. L’antagonisme entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes Ă©tait la cause d’une instabilitĂ© permanente, oĂč les caudillos bataillaient pour le pouvoir et dĂ©vastaient les campagnes. Vers 1826, Rosas, qui s’était Ă©difiĂ© un socle de pouvoir basĂ© sur ses liens de famille et ses rĂ©seaux d’amis et de clients, rejoignit le parti fĂ©dĂ©raliste[19] - [20]. Il se montra un vigoureux dĂ©fenseur de sa province natale de Buenos Aires, sans se soucier outre mesure de questions d’idĂ©ologie politique[19] - [21]. En 1820, Rosas combattit aux cĂŽtĂ©s des unitaires, car il percevait l’invasion du fĂ©dĂ©raliste LĂłpez comme une menace pour Buenos Aires. Quand les unitaires tentĂšrent d’amadouer les fĂ©dĂ©ralistes en proposant d’accorder aux autres provinces leur part des recettes douaniĂšres qui affluaient vers la seule Buenos Aires, Rosas y vit une menace contre les intĂ©rĂȘts de sa province. Rosas avait Ă©tĂ© la force motrice derriĂšre la prise de pouvoir des fĂ©dĂ©ralistes Ă  Buenos Aires et derriĂšre l’élection de Manuel Dorrego comme gouverneur provincial en 1827. Rosas en fut rĂ©compensĂ© le par le poste de commandant gĂ©nĂ©ral des milices rurales de la province de Buenos Aires, ce qui eut pour effet d’accroĂźtre encore son influence et son pouvoir[19].

La guerre de Cisplatine terminĂ©e, le gouverneur de la province de Buenos Aires, Manuel Dorrego signa un traitĂ© qui fut regardĂ© par les membres de l’armĂ©e en opĂ©ration comme une trahison. En rĂ©action Ă  cette signature, dans la matinĂ©e du , le gĂ©nĂ©ral unitaire Juan Lavalle s’empara du fort de Buenos Aires, puis rĂ©unit, en guise de reprĂ©sentation du peuple, des membres du Parti unitaire dans l’église Saint-François et se fit Ă©lire gouverneur ; dans la foulĂ©e, et suivant la mĂȘme logique, il dĂ©cida la dissolution du ComitĂ© de gouvernement dit Junta de Representantes de Buenos Aires.

Juan Manuel de Rosas se chargea d’organiser une campagne militaire contre les insurgĂ©s et rĂ©unit une petite armĂ©e de miliciens et de combattants fĂ©dĂ©ralistes, tandis que Dorrego, manquant de troupes, se retirait vers l’intĂ©rieur de la province pour se mettre sous la protection de Rosas, qu’il retrouva Ă  Cañuelas. Lavalle fit alors mouvement vers la campagne avec ses troupes pour affronter les forces fĂ©dĂ©ralistes de Rosas et de Dorrego, qu’il attaqua par surprise et qu’il vainquit Ă  la bataille de Navarro, le [22]. Eu Ă©gard Ă  la disparitĂ© entre, d’une part, les forces insurgĂ©es, aguerries et expĂ©rimentĂ©es, sous le commandement de Lavalle, et d’autre part, les milices dont disposait le gouverneur Dorrego, Rosas conseilla Ă  celui-ci de se replier sur Santa Fe, pour conjuguer ses forces Ă  celles d’Estanislao LĂłpez, mais le gouverneur refusa. Alors que Rosas se rendait Ă  Santa Fe dans cette intention, Dorrego dĂ©cida de se rĂ©fugier Ă  Salto, dans le rĂ©giment du colonel Ángel Pacheco. Cependant, trahi par deux officiers de celui-ci ― Bernardino Escribano et Mariano Acha ― Dorrego fut fait prisonnier et expĂ©diĂ© Ă  Lavalle. Comme Rosas lui reprochait son manque de prĂ©voyance face Ă  la rĂ©volution unitaire, Dorrego rĂ©pliqua :

« Monsieur Juan Manuel : que vous veuillez me donner des leçons de politique est aussi aberrant que si moi je me proposais de vous enseigner comment on gouverne une estancia. »

— Manuel Dorrego

« Rosas, exterminateur de l’anarchie », affiche du temps de Rosas.

Dorrego vaincu et fait prisonnier, Lavalle, sous l’empire du dĂ©sir de vengeance des unitaires, ordonna son exĂ©cution, en prenant sur lui tout la responsabilitĂ©. Dans sa derniĂšre lettre, adressĂ©e Ă  Estanislao LĂłpez, Dorrego demandait que sa mort ne fĂ»t pas la cause d’effusion de sang. Nonobstant cette requĂȘte, son exĂ©cution donna lieu Ă  une longue guerre civile, la premiĂšre oĂč Ă©taient impliquĂ©es simultanĂ©ment la quasi-totalitĂ© des provinces argentines.

DĂ©but , le gĂ©nĂ©ral unitaire JosĂ© MarĂ­a Paz, alliĂ© de Lavalle, entreprit d’envahir la province de CĂłrdoba, oĂč il renversa le gouverneur Juan Bautista Bustos. De la sorte, la guerre civile entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes se gĂ©nĂ©ralisa au pays tout entier. Lavalle envoya des troupes dans toutes les directions, mais plusieurs petits caudillos alliĂ©s de Rosas organisĂšrent la resistance. Les chefs unitaires se rendirent coupables de toutes sortes de crimes pour Ă©craser cette rĂ©sistance, fait peu mis en lumiĂšre dans l’historiographie des guerres civiles argentines[23].

Le gouverneur Lavalle dĂ©pĂȘcha le colonel Federico Rauch vers le sud, et l’une de ses colonnes, commandĂ©e par le colonel Isidoro SuĂĄrez, vainquit et captura le major Manuel Mesa, qui fut envoyĂ© Ă  Buenos Aires et exĂ©cutĂ©. Lavalle, Ă  la tĂȘte du gros de ses troupes, envahit la province de Santa Fe et parvint Ă  occuper la ville de Rosario. Estanislao LĂłpez, qui connaissait le terrain, esquiva le combat et sut, par une tactique de marches et contremarches, Ă©puiser les troupes unitaires, qui durent finalement s’en retourner Ă  Buenos Aires[24]. Sur ces entrefaites, un soulĂšvement de gauchos de campagne se gĂ©nĂ©ralisait dans l’intĂ©rieur de la province de Buenos Aires ; ces gauchos affrontĂšrent les chefs unitaires et leur infligĂšrent des dĂ©faites rĂ©pĂ©tĂ©es, les forçant Ă  se retrancher aux alentours de la capitale[25]. LĂłpez et Rosas poursuivirent Lavalle jusqu’aux approches de Buenos Aires, le battant Ă  la bataille de Puente de MĂĄrquez le [26].

La dĂ©part de LĂłpez en direction de sa province pour contrer l’action du gĂ©nĂ©ral Paz laissa l’armĂ©e fĂ©dĂ©raliste sous le commandement de Rosas[27], et pendant que LĂłpez rejoignait Santa Fe, Rosas mit le siĂšge devant Buenos Aires. Nonobstant que les alliĂ©s de Dorrego eussent Ă©tĂ© expulsĂ©s ou emprisonnĂ©s, l’opposition Ă  Lavalle allait croissant dans la ville, surtout en raison du crime commis sur la personne du gouverneur Dorrego. Lavalle, rĂ©duit Ă  la seule ville de Buenos Aires, organisa la dĂ©fense en dĂ©crĂ©tant notamment le service militaire obligatoire, y compris mĂȘme pour les Ă©trangers. Cette mesure provoqua l’intervention de la division navale française dans le RĂ­o de la Plata, intervention destinĂ©e Ă  protĂ©ger les citoyens français, et s’accompagnant aussi de la capture de plusieurs vaisseaux[28]. Lavalle intensifia la persĂ©cution contre les opposants, provoquant ainsi un surcroĂźt de soutien Ă  Rosas, dans cette ville qui avait toujours Ă©tĂ© la capitale de l’unitarisme. Le chaos s’empara de l’administration, alors que le siĂšge de la ville paralysait le commerce et avait interrompu les relations avec les provinces de l’intĂ©rieur. Il s’ensuivit que Lavalle, dĂ©sespĂ©rant de pouvoir briser l’encerclement, finit par rechercher une solution nĂ©gociĂ©e[29].

Alors Lavalle, dĂ©couragĂ©, se laissa aller Ă  faire quelque chose d’insolite : il se rendit, complĂštement seul, au quartier-gĂ©nĂ©ral de Rosas, l’Estancia del Pino. Comme celui-ci ne s’y trouvait pas, il s’allongea sur le lit de camp de Rosas. Le lendemain , Lavalle et Rosas se transportĂšrent ensemble Ă  l’estancia La Caledonia, propriĂ©tĂ© d’un dĂ©nommĂ© Miller, oĂč ils signĂšrent le pacte de Cañuelas[30], qui stipulait qu’on appellerait Ă  la tenue d’élections, auxquelles pourrait seule concourir une liste d’unitĂ© de fĂ©dĂ©ralistes et d’unitaires[31], et que le candidat au poste de gouverneur serait FĂ©lix de Álzaga[27].

Juan Manuel de Rosas, portrait conservé au musée du Bicentenaire de Buenos Aires.

Lavalle, lorsqu’il rendit public le traitĂ©, l’assortit d’un message qui comportait une opinion inattendue sur son ennemi[32] :

« Mon honneur et mon cƓur m’imposent pour ma part d’écarter tous les inconvĂ©nients, en vue d’une parfaite rĂ©conciliation... Et surtout, il m’a Ă©tĂ© donnĂ© de voir, de traiter et de connaĂźtre de prĂšs Juan Manuel de Rosas comme un patriote vĂ©ritable et comme quelqu’un aimant l’ordre. »

— Juan Lavalle

Lorsque Rosas fit son entrĂ©e dans la ville de Buenos Aires en novembre de cette annĂ©e, il y fut saluĂ© tant en sa qualitĂ© de chef militaire victorieux que comme chef de file des fĂ©dĂ©ralistes[33]. Il passait pour ĂȘtre bel homme[34] - [35], Ă©tait de belle stature (mesurant 1,77 m)[36], avait les cheveux blonds et les « yeux bleus et perçants »[37] - [38] - [34] - [39] - [40] - [35]. Charles Darwin, Ă  qui il fut donnĂ© de rencontrer Rosas pendant l’expĂ©dition du Beagle, le qualifia d’« homme d’un caractĂšre extraordinaire »[41]. Le diplomate britannique Henry Southern dĂ©clara que « pour l’apparence, Rosas ressemble Ă  un gentleman farmer anglais — ses maniĂšres sont courtoises sans ĂȘtre raffinĂ©es. Il est affable et d’une conversation agrĂ©able, laquelle toutefois porte presque toujours sur sa propre personne, mais le ton qu’il emploie est plaisant et assez agrĂ©able. Sa mĂ©moire est stupĂ©fiante, et sur tous les sujets sa mĂ©ticulositĂ© n’est jamais prise en dĂ©faut »[42].

Les unitaires cependant ne respectĂšrent pas ce qui avait Ă©tĂ© convenu par Lavalle. Ragaillardis par la victoire de Paz dans la province de CĂłrdoba, ils dĂ©cidĂšrent de se prĂ©senter aux Ă©lections avec une liste d’opposition, qui affichait Carlos MarĂ­a de Alvear comme candidat au poste de gouverneur et qui remporta le scrutin, au prix d’une trentaine de morts. Les relations Ă©taient Ă  nouveau rompues, et Lavalle fut contraint d’annuler ce qui avait Ă©tĂ© convenu Ă  Cañuelas et de signer un nouveau traitĂ©, le pacte de Barracas, le . Toutefois, Ă  prĂ©sent plus que jamais auparavant, la force Ă©tait du cĂŽtĂ© de Rosas. Aux termes de ce pacte, on dĂ©signa gouverneur par intĂ©rim Juan JosĂ© Viamonte, qui devait reconvoquer l’assemblĂ©e lĂ©gislative destituĂ©e par Lavalle le 1er dĂ©cembre prĂ©cĂ©dent et prĂ©parer ainsi la voie Ă  la prise de pouvoir par Rosas[43]. Quelques semaines plus tard, Lavalle Ă©migra en Uruguay[44].

Premier gouvernorat (décembre 1829 - décembre 1832)

Le , c’est-Ă -dire un an jour pour jour aprĂšs le coup de force de Lavalle, la Chambre des reprĂ©sentants (Legislatura) de la province de Buenos Aires se rĂ©unit Ă  nouveau et proclama quelques jours plus tard Juan Manuel de Rosas gouverneur provincial, l’honorant en outre du titre de Restaurateur des lois et des institutions de la province de Buenos Aires[45], et lui accordant, dans le mĂȘme acte lĂ©gislatif, « toutes facultĂ©s ordinaires et extraordinaires qu’il jugera nĂ©cessaires, jusques et y compris la convocation d’une nouvelle lĂ©gislature »[46]. Cet acte n’avait cependant rien d’exceptionnel : depuis le Premier triumvirat, les « facultĂ©s extraordinaires » avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© confĂ©rĂ©es auparavant Ă  Manuel de Sarratea et Ă  MartĂ­n RodrĂ­guez en 1820, ainsi qu’aux gouverneurs de nombre d’autres provinces argentines au cours des annĂ©es prĂ©cĂ©dentes ; son prĂ©dĂ©cesseur Juan JosĂ© Viamonte aussi les avaient dĂ©tenues[47].

Le mĂȘme jour oĂč il prĂȘta serment comme gouverneur, il dĂ©clara au diplomate uruguayen Santiago VĂĄzquez[48] :

« Ils me croient fĂ©dĂ©raliste ; non monsieur, je ne suis d’aucun parti, sinon [celui] de la Patrie... En somme, tout ce que je veux, c’est prĂ©venir les maux et rĂ©tablir les institutions, mais, sur ce point-lĂ , je sens qu’on m’a trahi. »

La premiĂšre chose que fit Rosas, aprĂšs qu’il eut accĂ©dĂ© au gouvernat provincial le , Ă©tait d’organiser des funĂ©railles extraordinaires pour le gĂ©nĂ©ral Dorrego, Ă  l’occasion desquelles ses restes translatĂ©s en grande pompe vers la capitale, et grĂące Ă  quoi il obtint l’adhĂ©sion des partisans du dirigeant fĂ©dĂ©raliste dĂ©cĂ©dĂ©, et sut ajouter ainsi le soutien du petit peuple de la capitale Ă  celui dont il Ă©tait dĂ©jĂ  assurĂ© de la part de la population rurale[49]. En ce qui concerne l’organisation constitutionnelle de l’État et la mise en place du fĂ©dĂ©ralisme, Rosas Ă©tait un pragmatique ; dans des lettres adressĂ©es en 1829 au gĂ©nĂ©ral TomĂĄs Guido, au gĂ©nĂ©ral Eustoquio DĂ­az VĂ©lez et Ă  Braulio Costa, le financier de Quiroga, il informa ses destinataires que

« ...le gĂ©nĂ©ral Rosas est unitaire par principe, mais l’expĂ©rience lui a fait connaĂźtre qu’il est impossible d’adopter en ce jour un tel systĂšme, parce que les provinces y sont opposĂ©es, et que les masses en gĂ©nĂ©ral le dĂ©testent, donc au bout du compte, cela reviendrait Ă  seulement changer de nom[50]. »

Le premier gouvernorat de Rosas fut un gouvernement d’ordre, et non une tyrannie despotique, lors mĂȘme qu’ultĂ©rieurement les historiens aient Ă©tĂ© enclins Ă  attribuer Ă  son premier gouvernorat quelques-unes des caractĂ©ristiques de son second[51]. Dans cette premiĂšre phase, il s’appuya sur certains des dirigeants du Parti de l’ordre (Partido del Orden) de la dĂ©cennie antĂ©rieure, ce qui lui valut l’accusation d’ĂȘtre le continuateur du Parti unitaire, quand mĂȘme il devait se distancier d’eux au fil du temps[52].

Dans les mois suivants, les provinces du Litoral confiĂšrent Ă  Rosas, pour l’ensemble de ces provinces, la dĂ©lĂ©gation des affaires Ă©trangĂšres — ainsi qu’elles l’avaient dĂ©jĂ  fait auparavant en faveur de Las Heras et de Dorrego —, en vertu de quoi c’était par lui que tout traitĂ© avec un autre pays, tout conflit extĂ©rieur et tout accord commercial devait ĂȘtre dĂ©cidĂ© et nĂ©gociĂ©[53].

En dĂ©pit de ses promesses de respecter le parti vaincu, Rosas Ɠuvra Ă  imposer graduellement la suprĂ©matie de l’alliance qui l’avait portĂ© au pouvoir, et qui se donna le nom de Parti fĂ©dĂ©raliste (en esp. Partido Federal). Il dĂ©mit de leurs fonctions les fonctionnaires publics, militaires et ecclĂ©siastiques qui avaient trempĂ© dans le coup d’État de Lavalle et collaborĂ© Ă  sa dictature. En outre, il Ă©tablit une censure sĂ©vĂšre contre les journaux qui avaient soutenu Lavalle, l’étendant ensuite Ă  quiconque mettait en question ses propres dĂ©cisions de gouvernement[54]. Plus tard, il rendit obligatoire l’usage de la divisa punzĂł (sorte de laniĂšre distinctive rouge vif, punzĂł Ă©tant une altĂ©ration du mot français ponceau) pour tous militaires et employĂ©s de la fonction publique, de sorte Ă  identifier l’État avec le Parti fĂ©dĂ©raliste[55].

Parmi les faits nĂ©fastes pour l’Argentine dont la responsabilitĂ© lui a Ă©tĂ© imputĂ©e figure notamment l’invasion des Ăźles Malouines par les Britanniques, alors que cet Ă©vĂ©nement se produisit le , sous le gouvernorat de Balcarce, qui avait pris la succession de Rosas ; celui-ci, pour sa part, Ă©tait alors occupĂ© Ă  mener sa campagne au dĂ©sert. Lesdites Ăźles, qui avaient Ă©tĂ© l’objet de dispute entre l’Espagne et l’Angleterre, se trouvaient en possession de l’Espagne au moment oĂč l’indĂ©pendance de l’Argentine fut proclamĂ©e, et l’Angleterre avait implicitement reconnu la continuitĂ© juridique des droits argentins sur les possessions espagnoles par la voie du traitĂ© d’AmitiĂ©, de Commerce et de Navigation, signĂ© Ă  Buenos Aires le , c’est-Ă -dire peu d’annĂ©es aprĂšs l’indĂ©pendance de l’Argentine, puis ratifiĂ© par le gouvernement britannique au mois de mai de la mĂȘme annĂ©e. En outre, les Ăźles Malouines avaient Ă©tĂ© peuplĂ©es par le gouvernement de Buenos Aires et un gouverneur avait Ă©tĂ© dĂ©signĂ©.

Ce premier gouvernorat de Rosas fut Ă©galement un gouvernement progressiste : des villages furent fondĂ©s, le Code de commerce fut rĂ©formĂ© de mĂȘme que le Code de discipline militaire, l’autoritĂ© des juges de paix des villes de l’intĂ©rieur fut rĂ©glementĂ©e, et des traitĂ©s de paix furent conclus avec les caciques autochtones, conduisant Ă  une certaine tranquillitĂ© Ă  la frontiĂšre avec les territoires tenus par les Indiens. Cependant, cette reprise en mains de l’administration rosienne n’alla pas de pair avec une adhĂ©sion inconditionnelle de la population tout entiĂšre ; tout au long de son gouvernement, Rosas aura au contraire Ă  affronter une Ăąpre rĂ©sistance.

La guerre civile dans les provinces de l’intĂ©rieur

Le général José María Paz.
Le général Juan Facundo Quiroga.

Le gĂ©nĂ©ral JosĂ© MarĂ­a Paz, Ă  la tĂȘte du deuxiĂšme corps d’armĂ©e, Ă©tait parvenu, au dĂ©part de la Bande Orientale, jusqu’à Buenos Aires dĂ©but 1829, mais ne rĂ©ussit pas Ă  convenir avec Lavalle d’une action conjointe. Il poursuivit son chemin vers la province de CĂłrdoba, vainquit le gouverneur Juan Bautista Bustos Ă  la bataille de San Roque le , et marcha sur la ville de CĂłrdoba, oĂč il fut dĂ©signĂ© gouverneur[56].

Bustos sollicita l’aide du commandant de campagne de la province de La Rioja, Facundo Quiroga, qui envahit Ă  son tour la province de CĂłrdoba en juillet et s’empara de la capitale ; cependant, il fut battu peu aprĂšs Ă  la bataille de La Tablada, raison pour laquelle il dut retourner dans sa province pour rĂ©organiser ses troupes. Les forces de Paz engagĂšrent une violente campagne contre les groupes fĂ©dĂ©ralistes dans les Sierras de CĂłrdoba, tandis que fĂ©dĂ©ralistes et unitaires se battaient pour la domination des provinces andines[57]. Rosas diligenta une commission chargĂ©e de s’entremettre entre Paz et Quiroga.

Quiroga et JosĂ© FĂ©lix Aldao, une fois vaincus leurs adversaires dans leur province (respectivement La Rioja et Mendoza), envahirent Ă  nouveau la province de CĂłrdoba, mais furent totalement dĂ©faits Ă  la bataille d'Oncativo le . Quiroga s’enfuit Ă  Buenos Aires, Aldao fut fait prisonnier, et Bustos se rĂ©fugia dans la province de Santa Fe, oĂč il devait mourir peu de temps plus tard[58]. Rosas fit donner un accueil triomphal Ă  Quiroga, comme s’il eĂ»t Ă©tĂ© le vainqueur, et bien que le caudillo lui-mĂȘme considĂ©rĂąt alors que la guerre Ă©tait terminĂ©e pour lui.

Paz dĂ©pĂȘcha des troupes unitaires se rendre maĂźtre de toutes les provinces qui s’étaient auparavant rangĂ©es sous la banniĂšre de Quiroga, oĂč ils Ă©vincĂšrent les fĂ©dĂ©ralistes du gouvernement. Plusieurs des chefs militaires de ces troupes allaient assumer le poste de gouverneur provincial[59].

En juillet et , les provinces de l’intĂ©rieur — Ă  savoir celles de CĂłrdoba, TucumĂĄn, Salta, Mendoza, San Juan, San Luis, La Rioja, Santiago del Estero et Catamarca — signĂšrent un traitĂ© par lequel ils adhĂ©raient Ă  la Ligue unitaire, dite aussi Ligue de l’intĂ©rieur, alliance dĂ©fensive et offensive crĂ©Ă©e avec le dessein d’organiser constitutionnellement la nation argentine. S’il y Ă©tait question de convoquer un congrĂšs et d’élaborer une constitution, tout le pouvoir militaire et politique reposait, pour l’heure, entre les mains de Paz et la dĂ©cision concernant l’adoption d’une nouvelle constitution ou de la mise en vigueur de celle de 1826 fut repoussĂ©e aux temps futurs. La Ligue ne proposait aucun systĂšme politique ; paraissant pencher pour la forme de gouvernement unitaire, elle Ă©tait en mĂȘme temps pourtant opposĂ©e Ă  l’hĂ©gĂ©monie de Buenos Aires[60][61].

Face Ă  l’ascension de Paz dans les provinces de l’intĂ©rieur, et Ă  l’initiative de Rosas et d’Estanislao LĂłpez, les provinces de Santa Fe, Entre RĂ­os et Buenos Aires signĂšrent le Pacte fĂ©dĂ©ral (ou fĂ©dĂ©raliste) du ― qui sera l’un des « pactes prĂ©existants » mentionnĂ©s dans le PrĂ©ambule de la future Constitution de la Nation argentine ―, dont le but Ă©tait de mettre un frein Ă  l’expansion de l’unitarisme incarnĂ© par le gĂ©nĂ©ral Paz. La province de Corrientes ne devait adhĂ©rer Ă  son tour que quelques mois plus tard, car le dĂ©putĂ© de Corrientes Pedro FerrĂ© tenta d’abord de convaincre Rosas de nationaliser les recettes de la douane de Buenos Aires et d’instaurer des protections tarifaires au profit de l’industrie locale ; sur ce point cependant, Rosas resta aussi inflexible que ses prĂ©dĂ©cesseurs unitaires, conscient que la source principale de la richesse et du pouvoir de Buenos Aires rĂ©sidait justement dans le systĂšme douanier. Le pacte prĂ©voyait une alliance dĂ©fensive et offensive, la libre circulation des personnes et des marchandises, et la mise sur pied d’une Commission reprĂ©sentative des gouvernements des provinces littorales, se composant d’un reprĂ©sentant de chacune d’elles, siĂ©geant dans la ville de Santa Fe, et ayant compĂ©tence Ă  conclure des traitĂ©s de paix, de dĂ©clarer la guerre et Ă  inviter les autres provinces Ă  se rĂ©unir en congrĂšs afin de mettre au point une administration gĂ©nĂ©rale du pays suivant un rĂ©gime fĂ©dĂ©ral[62].

Ladite Commission dĂ©clara la guerre Ă  Paz et nomma LĂłpez commandant en chef des forces appelĂ©es Ă  l’affronter. Les troupes portĂšgnes furent placĂ©es sous les ordres du gĂ©nĂ©ral Juan RamĂłn Balcarce. Les opĂ©rations contre Paz furent lancĂ©es simultanĂ©ment sur diffĂ©rents fronts : le colonel Ángel Pacheco, de Buenos Aires, battit Ă  la bataille de Fraile Muerto les troupes avancĂ©es de CĂłrdoba emmenĂ©es par Juan Esteban Pedernera. Pour sa part, Quiroga, qui s’était rĂ©solu Ă  reprendre la lutte, sollicita des troupes auprĂšs de Rosas, mais celui-ci ne consentit Ă  lui offrir que les dĂ©tenus des prisons. Quiroga organisa un camp d’entraĂźnement et, lorsqu’il considĂ©ra ĂȘtre prĂȘt, fit mouvement vers le sud de la province ce CĂłrdoba. En chemin, Pacheco lui remit les soldats passĂ©s dans les rangs unitaires Ă  la suite de la bataille de Fraile Muerto. Avec eux, Quiroga envahit la province de CĂłrdoba en et occupa RĂ­o Cuarto[63], puis dans la foulĂ©e s’empara, en l’espace d’un peu plus d’un mois, des provinces de San Luis, de Mendoza, de San Juan et de La Rioja[64]. Le caudillo de Santiago del Estero, Juan Felipe Ibarra, rĂ©fugiĂ© Ă  Santa Fe, obtint de LĂłpez que celui-ci menĂąt des opĂ©rations militaires contre la province de CĂłrdoba. Quoique prĂ©fĂ©rant esquiver un combat ouvert contre un ennemi aussi habile que l’était Paz et contre ses troupes disciplinĂ©es, LĂłpez lança des actions de type guĂ©rilla, s’appliquant Ă  harceler avec ses forces montoneras les confins orientaux de la province de CĂłrdoba. Le , comme il inspectait le front, le gĂ©nĂ©ral Paz tomba entre les mains d’un dĂ©tachement fĂ©dĂ©raliste — Ă  la suite d’un tir de boleadoras par un soldat de LĂłpez —, et fut fait prisonnier[63]. La capture inopinĂ©e de Paz provoqua un soudain changement: Lamadrid prit alors en mains l’armĂ©e unitaire, mais jugea prĂ©fĂ©rable de se replier sur le Nord, oĂč cependant il subit une dĂ©faite face Ă  Quiroga Ă  la bataille de La Ciudadela, le , non loin de la ville de TucumĂĄn, Ă  la suite de quoi la Ligue de l’intĂ©rieur fut dissoute [65].

Influence de Rosas dans l’intĂ©rieur et Convention de Santa Fe

Dans les mois qui suivirent, les provinces restantes se joignirent au Pacte fĂ©dĂ©ral, Ă  savoir : les provinces de Mendoza, de CĂłrdoba, de Santiago del Estero et de La Rioja, en 1831. L’annĂ©e suivante, ce fut le tour de TucumĂĄn, de San Juan, de San Luis, de Salta et de Catamarca.

Le fĂ©dĂ©ralisme s’imposa dans tout le pays, sous la domination de trois dirigeants au prestige interprovincial : LĂłpez, Quiroga et Rosas ; pendant un temps, le pays se prĂ©sentera divisĂ© en trois zones d’influence : Cuyo et le nord-ouest, sous l’autoritĂ© de Quiroga ; CĂłrdoba et le Litoral, sous celle de LĂłpez ; et Buenos Aires, sous celle de Rosas. Ce triumvirat virtuel devait gouverner le pays durant quelques annĂ©es, encore que les rapports entre eux ne fussent jamais fort bons. Tous les gouverneurs de province — Ă  l’exception de ceux de Buenos Aires et de Corrientes — Ă©taient tributaires de Quiroga ou de LĂłpez de leur ascension au pouvoir. Rosas jouissait d’un grand prestige et se trouvait Ă  la tĂȘte de la province le plus riche, mais Ă  cette Ă©poque le rosismo ne rĂ©gnait pas encore dans les provinces de l’intĂ©rieur[52].

La guerre civile terminĂ©e, les reprĂ©sentants de plusieurs provinces annoncĂšrent qu’avec la pacification intĂ©rieure, l’occasion tant attendue se prĂ©sentait enfin de donner corps Ă  l’organisation constitutionnelle du pays. Cependant Rosas argua qu’il y avait lieu d’organiser d’abord les provinces avant de songer Ă  organiser le pays, vu que la constitution devait ĂȘtre le rĂ©sultat Ă©crit d’une organisation Ă  concevoir et mettre en Ɠuvre d’abord au niveau provincial. Il est vrai que sa propre province, ainsi que lui-mĂȘme, Ă©tait la principale bĂ©nĂ©ficiaire d’une indĂ©finition lĂ©gale qui mettait Buenos Aires en position de maintenir son hĂ©gĂ©monie et garder pour elle la totalitĂ© des recettes des douanes portĂšgnes, lesquelles douanes Ă©taient seules autorisĂ©es Ă  commercer directement avec l’extĂ©rieur[52].

Rosas sut se servir d’une imprudence opportunĂ©ment commise dans une lettre privĂ©e par le dĂ©putĂ© correntin Manuel Leiva pour l’accuser d’avoir des « idĂ©es anarchistes » et retirer son reprĂ©sentant de la convention de Santa Fe, ce qui sera imitĂ© ensuite par d’autres provinces. Il s’ensuivit que la convention fut dissoute en , et le chantier de l’organisation constitutionnelle de l’État argentin s’en trouva diffĂ©rĂ© d’une vingtaine d’annĂ©es encore[66].

Monument Ă©questre Ă  Juan Manuel de Rosas, sur la Plaza Intendente Seeber, parc Tres de Febrero, Ă  Buenos Aires. Sa campagne du dĂ©sert est remĂ©morĂ©e sur l’une des faces du socle.

En 1832, dans une lettre Ă  Quiroga, Rosas lui indiquait que[67]

« ... tout en Ă©tant fĂ©dĂ©raliste par intime conviction, je m’inclinerais Ă  devenir unitaire si le vote des peuples devait ĂȘtre pour l’unitĂ©[68]. »

Entre deux mandats de gouverneur

Au terme de son premier mandat, on s’accordait Ă  reconnaĂźtre Ă  Rosas le mĂ©rite d’avoir remĂ©diĂ© Ă  l’instabilitĂ© politique et financiĂšre[69], mais il devait nĂ©anmoins faire face Ă  une opposition croissante au sein de l’assemblĂ©e lĂ©gislative. Certes, tous les membres de cette assemblĂ©e Ă©taient fĂ©dĂ©ralistes, Rosas ayant en effet restaurĂ© la LĂ©gislature qui avait Ă©tĂ© mise en place sous Dorrego, puis dissoute par Lavalle[70]. Une faction fĂ©dĂ©raliste libĂ©rale, si elle avait acceptĂ© la dictature comme une nĂ©cessitĂ© temporaire, appelait Ă  prĂ©sent Ă  l’adoption d’une constitution[71]. Rosas Ă©tait rĂ©ticent Ă  gouverner sous la contrainte d’un cadre constitutionnel et rechignait Ă  se dĂ©partir de ses pouvoirs dictatoriaux[72].

Cependant, son mandat s’acheva bientĂŽt, le . Peu aprĂšs , il fut rĂ©Ă©lu par la LĂ©gislature de Buenos Aires, mais dĂ©clina le poste. Il a Ă©tĂ© affirmĂ© pendant de longues annĂ©es que Rosas rĂ©pudia sa rĂ©Ă©lection parce que les « facultĂ©s extraordinaires » ne lui avaient pas Ă©tĂ© concĂ©dĂ©es, ce qui est inexact ; en rĂ©alitĂ©, il ne se sentait pas en mesure de gouverner, ni ne dĂ©sirait le faire, sans l’unanimitĂ© de l’opinion publique en sa faveur. Il attendait dĂ©sespĂ©rĂ©ment qu’on fĂźt appel Ă  lui, s’appliquant entre-temps Ă  se rendre indispensable.

À sa place fut Ă©lu Juan RamĂłn Balcarce, importante personnalitĂ© militaire de l’époque de la guerre d'indĂ©pendance argentine et chef de file d’un groupe fĂ©dĂ©raliste non rosiste, en faveur de qui Rosas se dĂ©sista le [73].

Campagne du désert

Au moins jusqu’à la dĂ©cennie 1810, la plaine pampĂ©enne de la province de Buenos Aires n’avait Ă©tĂ© sous domination blanche que sur une Ă©troite frange le long du rĂ­o ParanĂĄ et du rĂ­o de la Plata ; depuis lors cependant, la « frontiĂšre avec l’Indien » avait Ă©tĂ© repoussĂ©e plus avant jusqu’à une ligne passant approximativement par les actuelles villes de Balcarce, Tandil et Las Flores. Ensuite, des estancieros avaient commencĂ© Ă  dĂ©placer leur terrain d’activitĂ© vers les territoires situĂ©s encore plus au sud, mais peuplĂ©s par des tribus amĂ©rindiennes. Pendant son gouvernorat, Rosas avait adoptĂ© des mesures en appui Ă  cette expansion territoriale, attribuant des terres Ă  d’anciens combattants et Ă  des fermiers en quĂȘte de pacages d’appoint pour la saison sĂšche. Le conflit qui en rĂ©sulta avec les peuples autochtones nĂ©cessita une rĂ©action gouvernementale[74]. Bien que le sud fĂ»t considĂ©rĂ© alors virtuellement comme un dĂ©sert, il renfermait un grand potentiel et de vastes ressources en vue du dĂ©veloppement agricole, notamment sous forme de grosses exploitations[75].

DĂšs que Rosas eut quittĂ© le pouvoir fin 1832, il coordonna, en collaboration avec les dirigeants de Mendoza, de San Luis et de CĂłrdoba, au dĂ©but de l’annĂ©e suivante, une campagne militaire dans le sud, sous la forme d’une battue gĂ©nĂ©rale, menĂ©e parallĂšlement Ă  celle lancĂ©e au dĂ©but de la mĂȘme annĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Manuel Bulnes au Chili et dans l’extrĂȘme nord-ouest de la Patagonie orientale, plus prĂ©cisĂ©ment aux environs des lacs d’Epulafquen. Le commandement gĂ©nĂ©ral en fut confiĂ© Ă  Facundo Quiroga, qui cependant n’y prendra aucune part. Rosas concentra les troupes en vue de leur instruction dans son domaine de Los Cerrillos, prĂšs du fortin et du village de San Miguel del Monte. D’autres campagnes furent menĂ©es simultanĂ©ment au dĂ©part des provinces de Mendoza, de CĂłrdoba et de San Luis, avec des rĂ©sultats trĂšs limitĂ©s[76]. Parmi les objectifs de la campagne figuraient celui de faire main basse sur des terres autochtones en vue d’en faire des zones d’élevage, et celui de mettre fin aux malones (razzias), qui dĂ©solaient la frontiĂšre. En particulier, la colonne commandĂ©e par Rosas, poussant jusqu’au fleuve RĂ­o Negro, mit la main sur 2900 lieues carrĂ©es de terrain et permit d’endiguer les incursions des autochtones[76].

Le fut approuvĂ©e la loi autorisant le Pouvoir exĂ©cutif Ă  nĂ©gocier un crĂ©dit d’un million et demi de Peso Moneda Corriente pour assurer le financement de l’expĂ©dition, bien que peu de temps aprĂšs le ministre de la Guerre fĂźt part de ce qu’il ne pouvait pas assumer cette dotation ; en consĂ©quence, ce sont Rosas et Juan Nepomuceno Terrero qui finirent par prendre en charge l’approvisionnement de l’expĂ©dition, par la fourniture de bĂ©tail bovin et de chevaux, Ă  quoi s’ajoutĂšrent les dons en argent effectif que firent ses cousins Anchorena, le docteur Miguel Mariano de Villegas[77], Victorio GarcĂ­a de ZĂșñiga et TomĂĄs Guido, alors colonel, afin que la campagne pĂ»t ĂȘtre engagĂ©e[78] - [79]. Moyennant quoi, l’on se mit en marche en mars de la mĂȘme annĂ©e.

La colonne ouest, sous le commandement de JosĂ© FĂ©lix Aldao, parcourut un territoire qui venait tout rĂ©cemment d’ĂȘtre « nettoyĂ© » de ses aborigĂšnes, ce qui permit de parvenir sans encombre au rĂ­o Colorado. La colonne du centre vainquit le cacique ranquel Yanquetruz et s’en retourna bientĂŽt. Celle qui effectua la plus grande partie de la campagne fut celle de l’est, sous les ordres de Rosas lui-mĂȘme. Elle Ă©tablit son cantonnement sur les rives du rĂ­o Colorado, non loin de l’actuelle localitĂ© de Pedro Luro, et dĂ©pĂȘcha cinq colonnes vers le sud et l’ouest, lesquelles parvinrent Ă  soumettre les principaux caciques. Par la suite, Rosas signa des traitĂ©s de paix avec les autres caciques, jusque-lĂ  d’importance secondaire, mais qui par la suite devinrent d’utiles alliĂ©s[76]. L’annĂ©e suivante vint se joindre Ă  eux le plus important des caciques, CalfucurĂĄ.

Rosas se montrait gĂ©nĂ©reux envers les Indiens qui se rendaient, les rĂ©compensant avec du bĂ©tail et des marchandises. Si personnellement il lui dĂ©plaisait de tuer des Indiens, il pourchassait pourtant sans relĂąche ceux qui refusaient de se soumettre[80]. La campagne avait aussi incorporĂ© dans ses rangs plusieurs scientifiques, dĂ©sireux de collecter des informations sur la zone parcourue ; l’expĂ©dition reçut ainsi la visite du naturaliste Charles Darwin, qui dans son journal de voyage dĂ©crivit comme suit un Ă©pisode de cette campagne militaire :

« Les Indiens formaient un groupe de quelque 110 personnes (hommes, femmes et infants) ; presque tous furent faits prisonniers ou furent tuĂ©s, car les soldats ne font de quartier Ă  aucun homme. Les Indiens ressentent en fait une terreur si grande qu’ils ne rĂ©sistent pas massivement ; chacun se hĂąte de fuir sĂ©parĂ©ment, abandonnant femmes et enfants. [...] Sans conteste, ces scĂšnes sont horribles, mais combien plus horrible encore est le fait avĂ©rĂ© que les soldats donnent la mort de sang froid Ă  toutes les Indiennes qui paraissent avoir plus de vingt ans ! Et lorsque moi ― au nom de l’humanitĂ© ― je protestai, on me rĂ©pliqua : "Que pouvons-nous faire d’autre ? Ces sauvages ont tellement d’enfants !"[81]. »

Iconographie de l’expĂ©dition (1833). Rosas figure Ă  gauche, montĂ© sur un cheval noir.

L’on avait rĂ©alisĂ© une relative avancĂ©e dans le sud-ouest de la province et parvenu ainsi Ă  garantir la tranquillitĂ© pour les villages rĂ©cemment fondĂ©s dans le sud et pour les campagnes environnantes. Toutefois, le dĂ©placement de la frontiĂšre fut nettement moins spectaculaire que celui qui sera accompli Ă  l’occasion de la dĂ©nommĂ©e ConquĂȘte du dĂ©sert entreprise beaucoup plus tard par le gĂ©nĂ©ral Julio Argentino Roca en 1879[82].

Le principal rĂ©sultat obtenu par Rosas fut de mettre de son cĂŽtĂ© l’armĂ©e, les grands fermiers et l’opinion publique[76], en plus de la reconnaissance des provinces de Mendoza, San Luis, CĂłrdoba et Santa Fe, qui se voyaient dĂ©sormais et pour de nombreuses annĂ©es Ă  l’abri d’incursions indiennes et de saccages ; seul le groupe aborigĂšne non totalement assujetti, celui des Ranquels, continuera d’ĂȘtre vu comme un problĂšme par les habitants de ces provinces[83].

Dans les premiĂšres annĂ©es de son second gouvernorat, la politique de Rosas vis-Ă -vis des autochtones consistera Ă  faire alterner traitĂ©s de paix et dons, et campagnes d’extermination. Ce n’est qu’à partir de la crise commencĂ©e en 1839 qu’il la troquera pour une politique de paix permanente. NĂ©anmoins, les rĂ©gions dĂ©sertiques restaient aux mains des indigĂšnes.

Le prix Ă  payer pour la paix fut de soutenir les tribus amies par des dons annuels de bĂ©tail, de chevaux, de farine, de tissus et d’eau-de-vie. Les tribus chasseresses dĂ©pendaient dĂ©sormais de ces remises d’aliments, et Ă©taient considĂ©rĂ©es par les habitants de la province de Buenos Aires comme de coĂ»teux parasites du trĂ©sor public, perdant de vue que, du point de vue de Rosas, les payements n’étaient que la contrepartie Ă  l’exploitation de territoires qu’eux considĂ©raient comme les leurs. Cette attitude pacificatrice, et le respect des pactes conclus, valurent Ă  Rosas l’estime de quelques-uns des chefs des Indiens amis[82]. Quand Rosas accĂ©da pour la deuxiĂšme fois Ă  la fonction de gouverneur de la province, le cacique Catriel dĂ©clara dans la localitĂ© de TapalquĂ© :

« Juan Manuel est mon ami. Il m’a jamais trompĂ©. Moi et tous mes Indiens sommes prĂȘts Ă  mourir pour lui. S’il n’y avait pas eu Juan Manuel, nous ne vivrions pas comme nous vivons en fraternitĂ© avec les chrĂ©tiens et au milieu d’eux. Tant que Juan Manuel vivra, nous serons tous heureux et passerons une vie tranquille auprĂšs de nos Ă©pouses et enfants. Tous ceux qui se trouvent ici peuvent tĂ©moigner que tout ce que Juan Manuel nous a dit et conseillĂ© a bien marchĂ©[84]. »

Plusieurs annĂ©es aprĂšs la chute de Rosas, le mĂȘme Catriel indiquait :

« Aussi longtemps que notre frĂšre Juan Manuel, Indien blond et gĂ©ant, qui vint dans le dĂ©sert en traversant Ă  la nage le SamborombĂłn et le Salado, et qui allait Ă  cheval et maniait les boleadores avec les Indiens, et pratiquait la lutte avec les Indiens, et qui nous faisait cadeau de vaches, de juments, de canne et d’objets d’argent, aussi longtemps qu’il fut Cacique GĂ©nĂ©ral, jamais nous, Indiens brigands, n’avons fait d’incursion, par l’amitiĂ© que nous avions pour Juan Manuel. Et quand les chrĂ©tiens l’eurent jetĂ© et exilĂ©, nous avons, tous ensemble, lancĂ© des incursions[85]. »

Plus tard, Rosas dirigea lui-mĂȘme la redaction d’une GramĂĄtica de la lengua pampa.

Durant cette campagne se signalÚrent quelques officiers appelés à former la prochaine génération de militaires portÚgnes : Pedro Ramos, Ángel Pacheco, Domingo Sosa, Hilario Lagos, Mariano Maza, Jerónimo Costa, Pedro Castelli, et Vicente Gonzålez, surnommé le Carancho del Monte (le Caracara du bocage).

Un élément caractéristique de cette campagne étaient les dénommés santos, courts messages qui servaient de moyen de communication entre Buenos Aires et le corps expéditionnaire, rendus possibles grùce à un systÚme de 21 relais implantés durant la campagne.

Gouvernorats de Balcarce, Viamonte et Maza et révolution des Restaurateurs

Sous le mandat de Balcarce eut lieu la réoccupation britannique des ßles Malouines[86].

AprĂšs que Rosas eut quittĂ© le gouvernement provincial, et tandis qu’il se trouvait dans son campement du rĂ­o Colorado, les dissensions internes au sein du Parti fĂ©dĂ©raliste portĂšgne allaient s’aggravant, au point qu’une scission se produisit entre, d’une part, la faction des apostoliques, qui prĂŽnaient un gouvernement fort en appui Ă  Rosas et oĂč figuraient de grands fermiers, des militaires et des petits commerçants, et d’autre part le groupe des schismatiques ou doctrinaires, idĂ©ologiquement d’inspiration libĂ©rale, dans les rangs desquels militaient le gouverneur Balcarce et ses ministres Enrique MartĂ­nez et FĂ©lix OlazĂĄbal, qui prĂ©conisaient une organisation constitutionnelle de la province afin d’éviter la concentration du pouvoir, et Ă©taient appelĂ©s par les rosistes lomos negros (littĂ©r. lombes noirs), en rĂ©fĂ©rence au fait que l’envers de la liste sur laquelle ils postulaient Ă©tait de couleur noire[87].

L’affrontement se dĂ©roulait principalement dans la presse, divisĂ©e elle aussi en deux camps, qui s’entr’attaquaient scandaleusement, tant et si bien que le gouvernement dĂ©cida de dĂ©fĂ©rer devant la justice plusieurs journaux, d’opposition aussi bien que pro-gouvernementaux. C’est alors qu’entra en action EncarnaciĂłn Ezcurra, Ă©pouse et conseillĂšre de Rosas, qui rĂ©unissait ses alliĂ©s quotidiennement dans son logis et organisait les manifestations[87].

Parmi les journaux convoquĂ©s devant la justice figurait le journal El Restaurador de las Leyes (littĂ©r. Le Restaurateur des lois). EncarnaciĂłn Ezcurra fit afficher dans toute la ville de Buenos Aires la nouvelle que El Restaurador allait devoir comparaĂźtre, ce qui fut interprĂ©tĂ© par les gens comme un procĂšs fait au chef du Parti fĂ©dĂ©raliste. L’on appela Ă  une grande manifestation, en vue de laquelle les participants se rassemblĂšrent dans les environs immĂ©diats de Buenos Aires ; le gĂ©nĂ©ral AgustĂ­n de Pinedo, qui avait Ă©tĂ© dĂ©pĂȘchĂ© pour rĂ©primer la manifestation, incita ses hommes Ă  se soulever et se mit Ă  la tĂȘte de la manifestation en la transformant en un siĂšge mis devant la ville. Balcarce dĂ©missionna quelques jours plus tard[87].

L’historien JosĂ© MarĂ­a Rosa a soulignĂ© que ce fut lĂ  une rĂ©volution fort singuliĂšre pour l’époque :

« Ce ne fut pas une ‘rĂ©volution’ au sens que nous donnons aujourd’hui Ă  ce mot, mais un retrait du peuple sur Barracas, une grĂšve gĂ©nĂ©rale — la premiĂšre de notre histoire — sans combats ni affrontements de rue. Les ‘vigiles’ de Balcarce se rĂ©vĂ©lĂšrent inutiles, faisant en effet dĂ©fection et rejoignant les restaurateurs ; inutiles Ă©galement ses rĂ©giments, qui dĂ©sobĂ©irent Ă  leurs chefs[88]. »

BanniÚre militaire argentine utilisée par les régiments fédéralistes.

Dans le sillage de la chute de Balcarce, la Chambre nomma gouverneur le gĂ©nĂ©ral Juan JosĂ© Viamonte, qui hĂ©rita de l’instabilitĂ© politique de son prĂ©dĂ©cesseur. Dans les jours qui suivirent, les agressions commises par des partisans de Rosas se multipliĂšrent ; ces partisans Ă©taient encadrĂ©s par EncarnaciĂłn Ezcurra au sein de la SociĂ©tĂ© populaire restauratrice, qui recrutait dans les classes moyennes de la ville et comptait dans ses rangs une partie des officiers d’origine modeste. Son bras armĂ© Ă©tait la Mazorca, groupe parapolicier qui attaquait les opposants Ă  Rosas Ă  leur domicile, s’en prenant Ă  eux physiquement. Plusieurs crimes furent commis et les fĂ©dĂ©ralistes doctrinaires commencĂšrent Ă  Ă©migrer, toutefois ces exactions n’avaient pour l’heure pas encore l’ampleur qu’ils devaient prendre plus tard[89].

Viamonte lui-mĂȘme, bien que n’étant pas un apostolique, ne jouissait pas pour autant de la confiance de Rosas et de son Ă©pouse ; mĂȘme le refoulement de Bernardino Rivadavia, qui avait cru pouvoir retourner en Argentine, ne suffira pas Ă  regagner leur confiance[90].

Quelques mois plus tard, en 1834, Rosas s’en revint Ă  Buenos Aires, et Viamonte se vit contraint de dĂ©missionner. Rosas fut Ă©lu Ă  sa place, cependant celui-ci refusa, au motif que les « facultĂ©s extraordinaires » ne lui Ă©taient pas accordĂ©es. Il ne se sentait pas capable de gouverner avec les limitations inhĂ©rentes Ă  un État de droit. Son ami Manuel Vicente Maza, prĂ©sident de la LĂ©gislature, fut alors Ă©lu gouverneur[91].

Guerre civile dans le nord et assassinat de Quiroga

Un conflit entre les provinces de TucumĂĄn et de Salta passa au stade de la guerre civile, particuliĂšrement aprĂšs que la ville de San Salvador de Jujuy eut rĂ©solu de faire sĂ©cession d’avec Salta, pour s’ériger en la province de Jujuy. Le gouverneur de Salta, Pablo Latorre, requit l’aide du gouvernement de Buenos Aires[92].

Maza choisit de se concerter sur la situation avec Rosas et avec Facundo Quiroga, qui avait Ă©lu domicile Ă  Buenos Aires, avant de dĂ©cider quelle attitude adopter, compte tenu qu’existait le soupçon qu’un groupe favorable Ă  la sĂ©cession se fĂ»t constituĂ© dans les provinces du nord. Finalement, Ă  la demande de Rosas, Maza dĂ©pĂȘcha Quiroga pour intermĂ©dier entre les deux gouvernements provinciaux, pendant que Rosas lui recommandait de faire comprendre aux populations des provinces que le temps de l’organisation constitutionnelle n’était pas venu encore[93].

Assassinat de Facundo Quiroga Ă  Barranca Yaco.

Alors que Quiroga Ă©tait en route vers le nord, la guerre civile dans les provinces du nord se solda par la victoire de TucumĂĄn, et le gouverneur de Salta fut fait prisonnier et assassinĂ©. À son arrivĂ©e Ă  Santiago del Estero, Quiroga obtint la conclusion d’un traitĂ© entre le gouverneur local Ibarra, Heredia et un reprĂ©sentant de Salta, par lequel la paix Ă©tait rĂ©tablie et l’autonomie de la province de Jujuy nouvellement fondĂ©e fut reconnue[94].

Le , sur le trajet de retour de sa mission, au lieu-dit Barranca Yaco, sur le territoire de CĂłrdoba, la galĂšre dans laquelle voyageait Quiroga fut attaquĂ©e par une Ă©quipe de miliciens en embuscade, qui assassinĂšrent le caudillo. Il n’échappa Ă  personne qu’il s’agissait d’un meurtre politique, et toutes les accusations convergeaient vers les frĂšres ReinafĂ©, qui gouvernaient alors CĂłrdoba, le chef des assassins, Santos PĂ©rez, Ă©tant en effet un sicaire Ă  la solde des ReynafĂ©[95].

La nouvelle de cet attentat provoqua une grande commotion Ă  Buenos Aires ; le de la mĂȘme annĂ©e, dans un climat d’instabilitĂ© et de violence, Maza dĂ©missionna de ses fonctions, et la Chambre des reprĂ©sentants (la LĂ©gislature), redoutant un Ă©tat d’anarchie, nomma Rosas gouverneur pour une durĂ©e de cinq ans. À sa demande, il lui fut octroyĂ© les pleins pouvoirs (la suma del poder pĂșblico, littĂ©r. ± la somme du pouvoir public), c’est-Ă -dire qu’en plus d’exercer Ă  sa discrĂ©tion le pouvoir exĂ©cutif ; il lui serait loisible d’intervenir dans le lĂ©gislatif et le judiciaire[96], sans obligation de rendre compte de leur exercice. La lĂ©gislature accepta cette condition, rĂ©digeant ce mĂȘme jour la loi idoine.

Second gouvernorat (1835-1852)

La dictature

Loi octroyant la Suma del Poder PĂșblico (pleins pouvoirs) au gouverneur Juan Manuel de Rosas.

La suma del poder pĂșblico (pleins pouvoirs) fut octroyĂ©e Ă  Rosas par la Chambre des reprĂ©sentants moyennant son engagement :

  1. à préserver, défendre et protéger la religion catholique ;
  2. à soutenir la cause nationale de la Fédération ;
  3. Ă  exercer la suma del poder pĂșblico « aussi longtemps que le Gouverneur le jugera nĂ©cessaire ».

Rosas ne procĂ©da Ă  la dissolution ni de la LĂ©gislature, ni des tribunaux ; pour l’heure, la suma del poder n’apparaissait que comme la sanction lĂ©gale du caractĂšre exceptionnel que revĂȘtait son mandat. La nature dictatoriale de cette disposition politique ne devait affleurer que plus tard, lorsque Rosas se mit Ă  faire usage effectif de tout ce pouvoir. Ainsi fut instaurĂ©e une dictature lĂ©gale, attendu que la concentration des pouvoirs reposait sur une loi de la Chambre des reprĂ©sentants, avalisĂ©e ensuite par le vote des citoyens. La Chambre des reprĂ©sentants continua d’exister, et le gouverneur et ses ministres lui enverront pĂ©riodiquement des rapports sur leur activitĂ©[97]. Chaque annĂ©e se tenait un scrutin pour l’élection des membres de la Chambre, auquel ne se prĂ©sentaient que des candidats liĂ©s au pouvoir en place, dont la liste Ă©tait dressĂ©e personnellement par Rosas. Lors des crises successives, quelques-uns de ses membres faisaient certes montre de quelque type d’opposition partielle aux actions du gouvernement. Au lendemain de chaque Ă©lection, Rosas prĂ©sentait sa dĂ©mission de son poste de gouverneur, et chaque fois la Chambre avait soin de le rĂ©Ă©lire, affirmant la continuitĂ© de la suma del poder pĂșblico. Au fil du temps, les lĂ©gislateurs allaient de plus en plus ĂȘtre choisis en fonction de leur allĂ©geance inconditionnelle Ă  la personne de Rosas, et les actes d’autonomie des lĂ©gislateurs se feront plus sporadiques, jusqu’à s’évanouir tout Ă  fait[98]. Rosas pour sa part, de plus en plus mĂ©thodique et mĂ©ticuleux dans la gestion des finances de la province, publiait annuellement dans la Gaceta Mercantil un Ă©tat de situation des finances publiques[99].

L’assassinat de Quiroga fournit Ă  Rosas l’occasion unique d’assumer tout seul la direction du Parti fĂ©dĂ©raliste, qu’il avait dĂ» jusque-lĂ  partager avec Quiroga et LĂłpez. Ce dernier, en tant que protecteur des ReynafĂ©, Ă©tait sorti fort affaibli de l’affaire, et du reste mourut peu d’annĂ©es plus tard, vers le milieu de 1838. MĂȘme les caudillos jouissant localement de leur propre base de pouvoir tombĂšrent dans son orbite, tels que p. ex. Juan Felipe Ibarra, de Santiago del Estero, et JosĂ© FĂ©lix Aldao, de Mendoza.

En raison de ce que le pays ne disposait pas alors d’une constitution propre ― seule la chute de Rosas en 1853 allait permettre son adoption ―, les pouvoirs dont jouissait Rosas pendant son second mandat Ă©taient supĂ©rieurs Ă  ceux d’un prĂ©sident de facto, vu qu’ils incluaient celui d’administrer la justice.

Avant sa prise de fonction comme gouverneur, le Restaurador exigea la tenue d’un plĂ©biscite devant confirmer l’appui populaire Ă  son Ă©lection. Le plĂ©biscite eut lieu les 26 et , et son rĂ©sultat fut 9 713 voix pour et 7 voix contre. (Il est Ă  signaler qu’à cette Ă©poque, la province de Buenos Aires comptait 60 000 habitants, parmi lesquels les femmes et les enfants Ă©taient exclus du suffrage.) La Chambre des reprĂ©sentants nomma Rosas gouverneur le , pour un quinquennat s’étendant de 1835 Ă  1840.

Le discours que prononça Rosas dans le Fort de Buenos Aires, siùge du gouvernement provincial, lors de l’investiture pour son deuxiùme mandat de gouverneur, fut instructif quant à sa position vis-à-vis de ses opposants :

« Que de cette race de monstres pas un seul ne reste parmi nous et que leur persĂ©cution soit si tenace et vigoureuse qu’elle serve de terreur et d’épouvante aux autres qui pourraient venir par la suite[100] ! »

Esclaves noirs de Buenos Aires rendant hommage à Rosas à l’occasion de l’abolition par l’Argentine de la traite esclavagiste en 1839.

Rosas put donc entamer son nouveau gouvernorat avec les pleins pouvoirs, dont il fera usage pour attaquer les dissidents, fussent-ils fédéralistes ou unitaires. Sarmiento écrivit :

« Je dois le dire par respect Ă  la veritĂ© historique ; jamais il n’y eut de gouvernement plus populaire, et plus dĂ©sirĂ©, ni plus soutenu par l’opinion. Les unitaires, qui n’avaient pris part Ă  rien, du moins le recevaient-ils avec indiffĂ©rence, de mĂȘme que les fĂ©dĂ©ralistes lombes noires, avec dĂ©dain, mais sans opposition ; les citoyens pacifiques l’attendaient comme une bĂ©nĂ©diction et comme le terme des cruelles oscillations de deux longues annĂ©es ; les campagnes, enfin, comme le symbole de leur pouvoir et comme humiliation des pĂ©dants de la ville. [...]
L’on peine Ă  concevoir comment il a pu arriver que dans une province de quatre cents mille habitants, selon ce qu’assure la Gaceta, il n’y eĂ»t que trois voix contraires au gouvernement ? Serait-ce donc par hasard que les dissidents n’eussent point votĂ© ? Rien de tout cela ! L’on a aucune notion de quelque citoyen qui ne fĂ»t point aller voter ; les malades se levĂšrent du grabat pour aller donner leur assentiment, craignant que leur nom ne fĂ»t inscrit dans quelque noir registre ; parce que c’est cela qui avait Ă©tĂ© insinuĂ©. [...]
La terreur Ă©tait dĂ©jĂ  dans l’atmosphĂšre, et bien que le tonnerre n’eĂ»t pas encore Ă©clatĂ©, tous voyaient le nuage noir et torve en train de couvrir le ciel. »

— Domingo Faustino Sarmiento[101].

Un tableau vivace de cette Ă©poque nous a Ă©tĂ© laissĂ© par la plume d’Esteban EcheverrĂ­a dans El matadero, rĂ©cit prĂ©figurant le rĂ©alisme rioplatense, et dont l’action se dĂ©roule dans la province de Buenos Aires durant la dĂ©cennie 1830. EcheverrĂ­a dĂ©crit, sous l’angle de l’opposant politique, les conflits entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes, et la figure du caudillo Rosas et de ses adeptes, imputant Ă  ceux-ci un caractĂšre brutal et sanguinaire.

Le rosisme accentua le caractĂšre tellurique et nationaliste du fĂ©dĂ©ralisme portĂšgne, s’opposant aux idĂ©es europĂ©ennes de Rivadavia, Ă  qui du reste un soutien majoritaire dans la population avait fait dĂ©faut[102]. Le gouvernement rosien avait en effet ceci de caractĂ©ristique qu’il bĂ©nĂ©ficiait d’un grand appui dans le peuple : exploitants agricoles, nĂ©gociants, anciens militaires de l’époque de l’IndĂ©pendance, couches moyennes et infĂ©rieures soutenaient inconditionnellement le « restaurateur des lois ». Les grands propriĂ©taires terriens et les nĂ©gociants profitaient Ă©conomiquement de l’exclusivitĂ© des douanes de Buenos Aires et de la vente de terrains de l’État. Dans les villes, Rosas aimait Ă  se montrer dans les bals, les fĂȘtes et les jeux aux cĂŽtĂ©s des couches infĂ©rieures de la sociĂ©tĂ©, qui le sentaient comme proche d’eux. Rosas cultivait le paternalisme politique, c’est-Ă -dire suscitait dans les classes infĂ©rieures le sentiment qu’il Ă©tait pour elles comme un « pĂšre » qui, connaissant bien ses « enfants », Ă©tait soucieux de prendre soin d’eux et de les protĂ©ger[103]. En fait, Rosas garantissait aux groupes dominants de Buenos Aires l’ordre et la discipline sociale nĂ©cessaires au dĂ©veloppement de leurs activitĂ©s Ă©conomiques. Vu que Rosas jouissait d’un grand ascendant parmi les couches populaires portĂšgnes, il figurait aux yeux de l’oligarchie fonciĂšre de la province comme le seul capable de contenir et de canaliser les revendications des classes infĂ©rieures[6].

Rosas prĂȘtait une grande attention Ă  ses rapports avec les classes populaires. L’image le montre (assis, Ă  gauche) prĂ©sidant un candombĂ© de noirs.

Aussi les couches infĂ©rieures de Buenos Aires, qui formaient la grande majorite de la population, ne virent-elles aucune amĂ©lioration de leurs conditions de vie. Lorsque Rosas dĂ©cida de couper dans les dĂ©penses publiques, ce fut au dĂ©triment des dotations de l’enseignement, des services sociaux et des travaux publics[104]. Aucune des terres confisquĂ©es aux Indiens ou aux unitaires ne passa aux mains des ouvriers agricoles, ni mĂȘme des gauchos[105]. Pas davantage les noirs ne virent-ils la moindre amĂ©lioration de leur situation ; Rosas Ă©tait un propriĂ©taire d’esclaves et contribua Ă  raviver la traite nĂ©griĂšre[106]. Bien que n’ayant rien entrepris en faveur des intĂ©rĂȘts des noirs et des gauchos, Rosas restait trĂšs aimĂ© parmi ces groupes de population[107]. Il avait pris des noirs Ă  son service, parrainait leurs festivitĂ©s et assistait Ă  leurs candomblĂ©s[108], tandis que les gauchos admiraient ses talents de meneur d’hommes et lui tenaient compte de la volontĂ© qu’il avait de fraterniser avec eux, du moins jusqu’à un certain degrĂ©[109].

Il Ă©vinça ses opposants de toutes les fonctions publiques, expulsant de tous les emplois de fonctionnaire ceux qui n’étaient pas fĂ©dĂ©ralistes « nets », et gommant du tableau d’avancement militaire les officiers suspectĂ©s d’appartenir Ă  l’opposition, y compris les exilĂ©s. Il rendit obligatoire la devise « FederaciĂłn o muerte » (FĂ©dĂ©ration ou mort), graduellement remplacĂ©e ensuite par « ÂĄMueran los salvajes unitarios! » (Que meurent les sauvages unitaires), qui devait figurer en tĂȘte de tous les documents officiels[110]. Il imposa aux employĂ©s de la fonction publique et des armĂ©es l’usage du ruban rouge ponceau (cintillo punzĂł), qui sera bientĂŽt d’un emploi gĂ©nĂ©ral. Par opposition Ă  la couleur ponceau omniprĂ©sente dans la ville rosiste, les unitaires allaient par la suite porter des insignes bleu ciel ; ainsi, alors que les couleurs du drapeau argentin avaient Ă©tĂ© jusque-lĂ  bleu et blanc, les troupes de Rosas commencĂšrent Ă  lui prĂ©fĂ©rer une couleur bleu foncĂ©, presque violette ; pour s’en diffĂ©rencier, les unitaires arboraient un drapeau aux couleurs bleu ciel et blanc[111].

Terreur d’État

Pour atteindre ses objectifs politiques, Rosas bĂ©nĂ©ficiait aussi du soutien de la Sociedad Popular Restauradora, avec laquelle son Ă©pouse EncarnaciĂłn Ă©tait plus particuliĂšrement liĂ©e, qui se composait du groupe le plus loyal de ses partisans, et qui intensifia ses persĂ©cutions. D’autre part, il pouvait s’appuyer sur le corps parapolicier de la Mazorca (littĂ©r. Ă©pi [de maĂŻs], mais aussi groupe de personnes Ă©troitement liĂ©es entre elles), employĂ© pour mettre en Ɠuvre la terreur d’État et pour molester physiquement ses adversaires. L’une comme l’autre Ă©taient des crĂ©ations de Rosas, qui exerçait sur elles un contrĂŽle Ă©troit[112] - [113] - [114]. Parmi les tactiques des mazorqueros figuraient des raids menĂ©s dans les quartiers lors desquels ils perquisitionnaient les domiciles et en intimidaient les occupants. D’autres personnes, une fois tombĂ©es entre leurs mains, Ă©taient mises en dĂ©tention, torturĂ©es et assassinĂ©es[115]. Ces assassinats se commettaient gĂ©nĂ©ralement par coups de feu, au moyen d’une lance, ou par Ă©gorgement[116] - [117]. Beaucoup furent Ă©masculĂ©s, d’autres eurent leur barbe ou leur langue arrachĂ©e[116] - [118]. Des estimations modernes Ă©valuent Ă  quelque 2000 le nombre de personnes ainsi tuĂ©es de 1829 Ă  1852[119]. De nombreux opposants se verront ainsi rĂ©duits Ă  Ă©migrer[110], pour la plupart vers Montevideo, oĂč se retrouveront les unitaires Ă©migrĂ©s dĂšs 1829, les fĂ©dĂ©ralistes schismatiques (Ă  partir de 1833), et les jeunes de la GĂ©nĂ©ration de 1837[120].

L’exercice de la terreur d’État comme outil d’intimidation Ă©tait une prĂ©rogative de Rosas lui-mĂȘme, et ses subordonnĂ©s n’y avaient aucun droit de regard. Elle Ă©tait employĂ©e Ă  l’encontre de cibles spĂ©cifiques, plutĂŽt que de façon alĂ©atoire. La terreur Ă©tait orchestrĂ©e, plutĂŽt qu’elle n’était le produit d’initiatives populaires, et ciblĂ©e pour obtenir un effet prĂ©cis plutĂŽt que pratiquĂ©e sans discernement. Les manifestations anarchiques, la justice expĂ©ditive et les dĂ©sordres publics Ă©taient aux antipodes d’un rĂ©gime clamant vouloir faire respecter l’ordre et la loi[121] - [122]. Les Ă©trangers Ă©chappaient Ă  ces vexations, de mĂȘme du reste que les individus trop pauvres ou trop insignifiants que pour pouvoir servir d’exemple efficace, les victimes Ă©tant en effet choisies en fonction de leur utilitĂ© comme objet d’intimidation[122].

Ingérence dans les affaires judiciaires

Si le systĂšme judiciaire continua certes de fonctionner Ă  Buenos Aires, Rosas coupa court Ă  toute indĂ©pendance Ă  laquelle les cours de justice eussent pu prĂ©tendre, soit en dĂ©cidant lui-mĂȘme des nominations, soit en contournant tout de go leur autoritĂ©. Il s’ingĂ©rait dans le jugement de certaines affaires, Ă©dictant lui-mĂȘme les sentences, lesquelles pouvaient consister en amendes, en service militaire, en peine d’emprisonnement, ou en peine capitale[123] - [124].

Parmi les fonctionnaires Ă©cartĂ©s de leur poste sur ordre du gouverneur figurait le docteur Miguel Mariano de Villegas, qui avait Ă©tĂ© doyen du Tribunal suprĂȘme de justice, et qui fut Ă©cartĂ© au motif qu’il ne mĂ©ritait pas la confiance du gouvernement[125]. Nombre d’autres juges furent Ă©galement limogĂ©s, et Rosas s’occupait personnellement des affaires judiciaires qu’il considĂ©rait importantes, et pour le traitement desquelles il nommait des juges ad hoc, sous sa supervision personnelle. C’est ainsi qu’une fois entrĂ© en fonction, Rosas ordonna la capture de Santos PĂ©rez et des frĂšres ReynafĂ©, qui, Ă  l’issue d’un procĂšs qui se traĂźna sur des annĂ©es, furent condamnĂ©s Ă  mort et exĂ©cutĂ©s. Cependant, quoique ce jugement confĂ©rĂąt Ă  Rosas une autoritĂ© nationale dans un domaine oĂč on ne l’attendait pas — sa province renfermait un tribunal pĂ©nal Ă  l’autoritĂ© nationale —, et bien que cette autoritĂ©, hors de tout cadre lĂ©gal, eĂ»t pour effet d’unifier dans une certaine mesure l’administration nationale, il demeure que les tribunaux de Buenos Aires surent prĂ©server une certaine indĂ©pendance, certes surtout dans des affaires sans portĂ©e politique[126].

AprĂšs qu’il eut rĂ©ussi Ă  consolider son pouvoir, il imposa les principes fĂ©dĂ©ralistes et conclut des alliances avec les dirigeants des autres provinces argentines, et s’appropria les compĂ©tences en matiĂšre de commerce extĂ©rieur et d’affaires Ă©trangĂšres de la ConfĂ©dĂ©ration.

Le journalisme sous surveillance

Caricature anti-Rosas parue dans un journal en 1841 ou 1842.

L’arrivĂ©e au pouvoir de Rosas signifia la fin de toute possibilitĂ© de libre expression pour le journalisme de Buenos Aires. Des journaux d’opposition furent brĂ»lĂ©s sur les places publiques[127]. DĂšs 1829, il ne se publiait plus de journaux ayant une orientation idĂ©ologique unitaire ou sympathisant avec les unitaires. Une Ă©migration massive de journalistes et de gens de lettres eut lieu Ă  destination de Montevideo, et dans le court laps de temps entre 1833 et 1835, la majoritĂ© des journaux disparut. En 1833, il y avait au total encore 43 pĂ©riodiques ; en 1835, il n’en restait plus que trois. Parmi les journaux les plus importants ayant Ă©tĂ© fermĂ©s par le Restaurateur figuraient El Defensor de los Derechos Humanos (littĂ©r. Le DĂ©fenseur des droits de l’homme), El Constitucional, El Iris, El Amigo del PaĂ­s, El Imparcial et El Censor Argentino[128].

En contrepartie, les rosistes s’employĂšrent Ă  fonder de nouvelles publications. Les journaux les plus importants de cette Ă©poque Ă©taient El Torito de los muchachos, El Torito del Once, Nuevo Tribuno, El Diario de la Tarde, El Restaurador de las Leyes, El Lucero et El Monitor, tous rĂ©solument rosistes et ayant Ă  cƓur d’exalter la figure du Restaurador de las Leyes et de critiquer les unitaires. Toute la presse de Buenos Aires appuyait sans la moindre rĂ©ticence le pouvoir en place et les politiques menĂ©es par Rosas, et l’on y faisait assaut de dĂ©vouement au gouvernement rosiste.

Si donc le journalisme subissait les consĂ©quences des persĂ©cutions rosistes, la Gaceta de comercio, hĂ©ritiĂšre de l’ancienne Gazeta de Buenos Ayres, continua nĂ©anmoins de paraĂźtre, Ă  cĂŽtĂ© de plusieurs autres journaux, invariablement favorables au gouvernement en place et, dans beaucoup de cas, ouvertement obsĂ©quieux envers Rosas. Le journaliste Luis PĂ©rez publia plusieurs journaux d’inspiration populaire en appui Ă  Rosas. Parmi les journaux d’information, se distinguaient notamment le British Packett and Argentina News, Ă©ditĂ© par la communautĂ© des nĂ©gociants britanniques, et l’Archivo Americano y espĂ­ritu de la prensa del mundo, Ă©ditĂ© par Pedro de Angelis, et El Diario de la Tarde, Ă©ditĂ© par Pedro Ponce et Federico de la Barra[129].

Des journaux n’étaient publiĂ©s que dans quelques provinces de l’intĂ©rieur seulement ; les provinces de CĂłrdoba et de Mendoza, oĂč la presse s’était pourtant dĂ©veloppĂ©e plus fortement que dans les autres, n’eurent presque plus d’activitĂ© journalistique en raison de ce que les fĂ©dĂ©ralistes « Quebracho » LĂłpez et JosĂ© FĂ©lix Aldao redoutaient l’opposition que la presse pourrait leur faire. En revanche, mĂ©rite mention la presse d’opposition qui exista dans la province de Corrientes, dans les pĂ©riodes oĂč la province faisait face Ă  Rosas. Parmi les journalistes qui se signalĂšrent dans l’intĂ©rieur de l’Argentine, il convient de citer plus particuliĂšrement les noms de Marcos Sastre et de Severo GonzĂĄlez, tous deux fĂ©dĂ©ralistes, dans la province de Santa Fe, et de Juan Thompson, Manuel Leiva et Santiago Derqui, antirosistes, dans celle de Corrientes[130].

LĂ©gislation douaniĂšre et politique Ă©conomique

Le gouverneur de Corrientes, Pedro FerrĂ©, s’était mis en devoir de rĂ©clamer Ă©nergiquement la mise en place de mesures protectionnistes en faveur des productions locales, mises Ă  mal par la politique de libre-Ă©change de Buenos Aires[131]. Le , pour rĂ©pondre Ă  cette requĂȘte, Rosas sanctionna la Loi des douanes portant interdiction d’importer un certain nombre de produits et l’instauration de droits de douane dans certains autres cas. En revanche, il maintint Ă  un bas niveau les taxes Ă  l’importation sur les machines et sur les minĂ©raux que le pays ne produisait pas. Par cette mesure, Rosas cherchait Ă  s’acquĂ©rir la bienveillance des provinces, sans cĂ©der sur l’essentiel, Ă  savoir les recettes douaniĂšres. Ces mesures eurent pour effet de stimuler notablement le marchĂ© intĂ©rieur et la production dans l’intĂ©rieur du pays. Ce nonobstant, Buenos Aires consolidait son statut de principale ville du pays[132].

Le barĂšme des tarifs douaniers partait d’une taxation de base Ă  l’importation de 17 %, puis allait s’accroissant pour protĂ©ger les produits les plus vulnĂ©rables. Les importations vitales, comme l’acier, le laiton, le charbon et l’outillage agricole Ă©taient frappĂ©s d’une taxe de 5 % ; le sucre, les boissons et les denrĂ©es alimentaires, d’une taxe de 24 % ; les articles chaussants, les vĂȘtements, les meubles, les vins, le cognac, les liqueurs, le tabac, l’huile et certains articles de cuir, Ă©taient taxĂ©s Ă  un taux de 35 % ; la biĂšre, la farine et les pommes de terre Ă  50 %. Un effet supplĂ©mentaire, que Rosas avait Ă©valuĂ© correctement, fut que la croissance du marchĂ© intĂ©rieur vint bientĂŽt compenser la baisse des importations. De fait, les recettes issues des taxes Ă  l’importation repartirent bientĂŽt Ă  la hausse de façon significative[132]. Plus tard, en rĂ©action aux blocus navals, ces taxes Ă  l’importation furent rĂ©duites, mais sans jamais devenir aussi basses qu’avant et aprĂšs le gouvernorat de Rosas.

Dans le mĂȘme temps, Rosas entendait obliger le Paraguay Ă  s’intĂ©grer dans la ConfĂ©dĂ©ration argentine, par le biais d’une asphyxie Ă©conomique, Ă  l’effet de quoi il imposa une forte taxation sur le tabac et sur les cigares. Comme il redoutait de voir ces produits entrer en Argentine en contrebande par l’intermĂ©diaire de la province de Corrientes, ces taxes vinrent frapper Ă©galement les produits correntins. Si la mesure dirigĂ©e contre le Paraguay Ă©choua, elle eut par contre de graves consĂ©quences pour Corrientes[132].

Sa politique financiĂšre fut rĂ©solument conservatrice : il assurait une maĂźtrise absolue des dĂ©penses publiques, et s’appliquait Ă  maintenir un prĂ©caire Ă©quilibre fiscal sans Ă©mission de monnaie ni endettement. Son administration Ă©tait des plus pointilleuses, annotant et rĂ©visant mĂ©ticuleusement les dĂ©penses et recettes publiques, et les publiant presque mensuellement. Rosas s’interdit de rembourser la dette extĂ©rieure contractĂ©e du temps de Rivadavia, hormis par petits montants pendant les rares annĂ©es oĂč le RĂ­o de la Plata n’était pas sous blocus. La valeur du papier-monnaie Ă©mis par Buenos Aires demeurait fort stable et circulait par tout le pays, se substituant Ă  la monnaie mĂ©tallique bolivienne, grĂące Ă  quoi la devise de Buenos Aires contribua Ă  l’unification monĂ©taire du pays[133].

La Banque nationale fondĂ©e par Rivadavia, qui se trouvait sous domination de nĂ©gociants britanniques, avait provoquĂ© une grave crise monĂ©taire par de continuelles Ă©missiones de papier-monnaie, qui se dĂ©prĂ©ciait sans cesse. En 1836, Rosas la dĂ©clara abolie, et en lieu et place crĂ©a une banque d’État, appelĂ©e Casa de Moneda (HĂŽtel de la monnaie), prĂ©dĂ©cesseur de l’actuelle Banque de la province de Buenos Aires[134] - [135].

Les provinces de l’intĂ©rieur dans la dĂ©cennie 1830

Le gĂ©nĂ©ral Pascual EchagĂŒe, gouverneur de la province d’Entre RĂ­os.

La guerre civile dans le nord et la mort de Quiroga provoquĂšrent une sĂ©rie de changements politiques importants dans la presque totalitĂ© des provinces de l’intĂ©rieur. Dans la province de CĂłrdoba, aprĂšs plusieurs gouverneurs intĂ©rimaires, Manuel « Quebracho » LĂłpez, chef militaire directement liĂ© Ă  Rosas, accĂ©da au poste de gouverneur[136]. L’influence d’Estanislao LĂłpez dans cette province, ainsi que dans celles de Santiago del Estero et d’Entre RĂ­os s’évanouit complĂštement, son pouvoir restant dĂ©sormais restreint Ă  celle de Santa Fe, sa province d’origine. Ibarra et Pascual EchagĂŒe, gouverneurs des deux autres provinces susmentionnĂ©es, tombĂšrent ouvertement dans l’orbite de Rosas[137]. Les provinces de Cuyo s’approchĂšrent de la zone d’influence de Rosas, et mĂȘme le nouveau gouverneur de San Juan, Nazario BenavĂ­dez, Ă©tait, lui aussi, un militaire directement liĂ© Ă  Rosas[138].

Les provinces du Nord-ouest restĂšrent sous l’emprise d’Alejandro Heredia, qui vint Ă  ĂȘtre surnommĂ© le « Protecteur du nord » et qui Ă©tait le seul dirigeant rĂ©gional apte Ă  contenir dans une certaine mesure les visĂ©es hĂ©gĂ©moniques de Rosas[139].

Par le biais de ces alliances, par l’effet de la dĂ©lĂ©gation des compĂ©tences provinciales, et par ses propres actions, Rosas, en l’absence de constitution, exerça de facto le pouvoir national, en s’appuyant sur la force militaire et Ă©conomique de Buenos Aires. Il imposa une organisation politique nationale de fait, en invoquant, en l’absence d’institutions politiques, le Pacte fĂ©dĂ©ral de 1831 pour unique source de lĂ©galitĂ© des relations interprovinciales. Tout au long de son gouvernement, il campa sur sa position en arguant de l’inopportunitĂ© de convoquer un congrĂšs et d’adopter une constitution[140]. Sous le couvert de la FĂ©dĂ©ration, Rosas mit en Ɠuvre une intense politique d’ingĂ©rance dans les affaires des provinces, utilisant des moyens allant de l’appui politique et financier jusqu’à la persuasion, la menace et l’action armĂ©e[141].

Politique Ă©trangĂšre

Peu aprĂšs sa fondation en 1836, la ConfĂ©dĂ©ration pĂ©ruvio-bolivienne, prĂ©sidĂ©e par AndrĂ©s de Santa Cruz, entra en guerre avec le Chili. Le gouvernement chilien accusa alors Santa Cruz de projeter d’annexer, avec le renfort de quelques Ă©migrĂ©s unitaires, les provinces argentines de Jujuy et de Salta. La Bolivie Ă©tait en effet l’un des pays ayant accueilli le plus grand nombre d’émigrĂ©s unitaires, et plusieurs invasions de Salta et de TucumĂĄn avaient Ă©tĂ© perpĂ©trĂ©es au dĂ©part de ce pays. Le enfin, Rosas dĂ©clara la guerre Ă  la ConfĂ©dĂ©ration pĂ©ruvio-bolivienne[142], confiant la conduite de la guerre Ă  Alejandro Heredia, gouverneur de TucumĂĄn. Celui-ci Ă©tait le dernier des caudillos fĂ©dĂ©ralistes Ă  pouvoir faire de l’ombre Ă  Rosas, mais le Restaurateur rĂ©ussit Ă  le discipliner par le biais du financement de cette guerre, le poids de cette guerre retombant en effet sur les provinces du nord-ouest argentin ; Rosas se borna Ă  lui envoyer quelques officiers et piĂšces d’artillerie[143]. En l’espĂšce, les opĂ©rations militaires, lancĂ©es en , consistĂšrent essentiellement en la dĂ©fense de la Puna de Jujuy et du nord de la province de Salta, par une sĂ©rie de combats et d’escarmouches sans rĂ©sultats concluants[144]. La guerre se prolongea jusqu’à la victoire de l’armĂ©e restauratrice chilĂ©no-pĂ©ruvienne Ă  la bataille de Yungay (), qui sonna le glas de la ConfĂ©dĂ©ration pĂ©ruvio-bolivienne[145]. Rosas ne mettra pas Ă  profit sa victoire pour rĂ©incorporer la province de Tarija, pourtant revendiquĂ©e par l’Argentine, laissant ainsi en suspens ce contentieux[146]. Vers la fin de 1838, l’assassinat d’Heredia par un de ses officiers fit disparaitre le dernier compĂ©titeur fĂ©dĂ©raliste de Rosas et paralysa les opĂ©rations militaires. Les adversaires intĂ©rieurs qui allaient surgir Ă  partir de l’annĂ©e suivante ne seraient plus dĂ©sormais de simples rivaux pour le pouvoir fĂ©dĂ©ral, mais des ennemis dĂ©cidĂ©s, hostiles au systĂšme rosiste lui-mĂȘme.

Les relations avec le BrĂ©sil, quoique fort mauvaises, ne dĂ©boucheront jamais sur une guerre, du moins pas avant l’éclatement de la crise qui conduira Ă  la bataille de Caseros en 1852. Il n’y eut jamais de conflits avec le Chili, en dĂ©pit de ce que ce pays avait offert l’asile Ă  de nombreux opposants, dont notoirement Sarmiento, qui Ă  partir du Chili s’enhardirent Ă  lancer quelques expĂ©ditions contre les provinces argentines. Le Paraguay proclama son indĂ©pendance en et le notifia officiellement Ă  Rosas, qui rĂ©pondit qu’il n’était pas Ă  mĂȘme ni de reconnaĂźtre ni de rejeter cette proclamation. Dans la pratique cependant, son ambition Ă©tant de rĂ©intĂ©grer l’ancienne province du Paraguay dans la ConfĂ©dĂ©ration, il maintint le blocus des fleuves intĂ©rieurs, dans l’espoir de forcer le Paraguay Ă  nĂ©gocier. Le Paraguay riposta en s’alliant avec les ennemis de Rosas, mais il n’y eut jamais d’affrontement entre les deux armĂ©es ni entre les deux escadres navales.

En Uruguay, le nouveau prĂ©sident Manuel Oribe s’était affranchi de la tutelle de son prĂ©dĂ©cesseur Fructuoso Rivera ; celui-ci cependant, avec l’appui d’unitaires de Montevideo (parmi lesquels Juan Lavalle) et d’agents de l’Empire du BrĂ©sil Ă©tablis dans le Rio Grande do Sul, constitua le parti colorado (littĂ©r. parti rouge), auquel bientĂŽt Oribe opposa le parti blanco. Rivera dĂ©clencha la rĂ©volution Ă  l’origine de la dĂ©nommĂ©e Grande Guerre et au milieu de 1838 entreprit avec les colorados d’assiĂ©ger le gouvernement retranchĂ© derriĂšre les remparts de Montevideo. Les colorados bĂ©nĂ©ficiĂšrent d’emblĂ©e du soutien de la flotte française et de la protection brĂ©silienne. Devant cette situation, Oribe renonça Ă  ses ambitions en , en laissant entendre clairement qu’il y avait Ă©tĂ© contraint par une flotte Ă©trangĂšre, et se retira Ă  Buenos Aires.

Le blocus français

Si pendant deux dĂ©cennies la politique extĂ©rieure de la France avait maintenu un profil bas, le roi Louis-Philippe allait s’employer Ă  restaurer pour la France son statut de grande puissance, forçant plusieurs pays faibles Ă  lui consentir des concessions commerciales et tentant, si possible, de les rĂ©duire Ă  l’état de protectorat ou de colonie. C’est dans cet esprit qu’à partir de 1830, la France prit Ă  tĂąche d’augmenter son influence en AmĂ©rique latine, en particulier d’y dĂ©velopper son commerce extĂ©rieur. Conscient de la puissance britannique, Louis-Philippe Ă©nonça devant le parlement en 1838 que « seulement avec l’appui d’une puissante marine, de nouveaux dĂ©bouchĂ©s pourront ĂȘtre ouverts aux produits français »[147].

En , le vice-consul français se prĂ©senta devant le ministre argentin des Affaires Ă©trangĂšres, Felipe Arana, en exigeant la remise en libertĂ© de deux prisonniers de nationalitĂ© française, le graveur Michel-CĂ©sar-Hippolyte BĂącle, accusĂ© d’espionnage en faveur de Santa Cruz, et le contrebandier LaviĂ©. En outre, il rĂ©clama un accord semblable Ă  celui conclu par la ConfĂ©dĂ©ration argentine avec la Grande-Bretagne et la dispense de service militaire pour ses citoyens (qui Ă  ce moment-lĂ  Ă©taient au nombre de deux). Arana ayant repoussĂ© ces exigences, quelques mois plus tard, en , la marine française imposa un blocus « au port de Buenos Aires et Ă  tout le littoral du fleuve appartenant Ă  la RĂ©publique argentine » ; le blocus fut ensuite Ă©tendu aux autres provinces du Litoral, afin de saper l’alliance de Rosas avec elles, la France s’engageant toutefois Ă  lever le blocus contre toute province qui romperait avec lui.

D’autre part, en , l’escadre française attaqua l’üle MartĂ­n GarcĂ­a et, avec ses canons et sa nombreuse infanterie, mit en Ă©chec les forces du colonel JerĂłnimo Costa et du major Juan Bautista Thorne. Eu Ă©gard Ă  l’attitude honorable et valeureuse dont avaient fait montre les Argentins, ceux-ci furent emmenĂ©s Ă  Buenos Aires et laissĂ©s en libertĂ©, avec une note du commandant français Hippolyte Daguenet, faisant part de cette dĂ©cision Ă  Rosas, dans les termes suivants :

« [...] ChargĂ© par monsieur l’Amiral Le-Blanc, Commandant en chef de la station du BrĂ©sil et des mers du Sud, de m’emparer de l’üle de MartĂ­n GarcĂ­a avec les forces qu’il avait mises Ă  ma disposition pour cet objet, je m’acquittai le 14 de ce mois de la mission qui m’avait Ă©tĂ© confiĂ©e. Elle a Ă©tĂ© pour moi l’occasion d’apprĂ©cier les talents militaires du brave colonel Costa, gouverneur de cette Ăźle, et son courageux dĂ©vouement Ă  son pays. Cette opinion si franchement exprimĂ©e a aussi Ă©tĂ© celle des capitaines des corvettes françaises l’ExpĂ©ditive et la Bordelaise, qui ont Ă©tĂ© tĂ©moins de l’incroyable activitĂ© de monsieur le colonel Costa, et des dispositions sages prises par cet officier supĂ©rieur pour la dĂ©fense de la position importante qu’il Ă©tait chargĂ© de conserver. — Rempli d’estime pour lui, je pensais que je ne pouvais donner une meilleure preuve des sentiments qu’il m’inspire qu’en exposant Ă  Votre Excellence la belle conduite qu’il a tenue pendant l’attaque dirigĂ©e contre lui le 11 de ce mois par des forces beaucoup supĂ©rieures Ă  celles dont il pouvait disposer [...][148]. »

Le blocus, en coupant toute possibilitĂ© d’exporter, affecta lourdement l’économie de la province, ce qui ne manqua pas de mĂ©contenter les Ă©leveurs et les nĂ©gociants, nombre desquels rejoindront secrĂštement l’opposition.

En ce qui concerne l’exigence française d’exemption de service des armes pour les sujets français, le gouvernement de Buenos Aires diffĂ©ra sa rĂ©ponse pendant plus de deux ans. Rosas ne s’opposait pas Ă  ce que les rĂ©sidents français dans le RĂ­o de la Plata jouissent d’un droit similaire Ă  celui accordĂ© aux Anglais, mais n’était disposĂ© Ă  le reconnaĂźtre qu’aprĂšs que la France aurait envoyĂ© un ministre plĂ©nipotentiaire, avec pleins pouvoirs pour signer un traitĂ©, ce qui impliquait un traitement d’égal Ă  Ă©gal, et la reconnaissance de la ConfĂ©dĂ©ration argentine comme État souverain.

La génération de 1837

Les jeunes de la gĂ©nĂ©ration de Mai ayant atteint l’ñge mĂ»r, une gĂ©nĂ©ration montante, composĂ©e de jeunes gens nĂ©s au XIXe siĂšcle, et en particulier dans la dĂ©cennie de l’indĂ©pendance, surgit dans les annĂ©es 1830[149]. La GĂ©nĂ©ration de 1837 est le nom ultĂ©rieurement attribuĂ© aux Ă©crivains et intellectuels de cette gĂ©nĂ©ration, dont beaucoup avaient voyagĂ© Ă  l’étranger, s’éaient formĂ©s dans des universitĂ©s, et adhĂ©raient aux idĂ©es romantiques et libĂ©rales. Esteban EcheverrĂ­a, l’un de ses membres les plus ĂągĂ©s, fonda un groupe qui se rĂ©unissait dans l’arriĂšre-salle de la librairie de Marcos Sastre pour y discuter de littĂ©rature et d’art, mais aussi de sujets politiques. Quoique friands de nouveautĂ©s venues d’Europe et ayant pris leurs distances vis-Ă -vis de la tradition espagnole, ils n’étaient pas nĂ©cessairement des opposants Ă  Rosas[150].

L’attaque française mit les jeunes romantiques devant l’obligation de choisir entre la « civilisation » — dont le reprĂ©sentant par excellence Ă©tait la France — et le gouvernement de leur pays ; la plupart d’entre eux se rangĂšrent du cĂŽtĂ© de la France et adoptĂšrent une posture critique envers Rosas[151]. EcheverrĂ­a fonda l’AsociaciĂłn de la Joven Argentina, plus tard rebaptisĂ©e en AsociaciĂłn de Mayo (littĂ©r. Association de mai), aux fins de rĂ©flexion et de propagande politiques. RĂ©cusant formellement aussi bien le parti unitaire que fĂ©dĂ©raliste, ils prĂ©conisaient de rĂ©soudre les problĂšmes du pays en mettant en Ɠuvre les principes de libertĂ©, Ă©galitĂ© et fraternitĂ©, tels que proclamĂ©s par la RĂ©volution française[152]. Quelques-uns de ces jeunes s’en furent fonder des filiales dans l’intĂ©rieur du pays : Domingo Faustino Sarmiento et Antonino Aberastain en crĂ©Ăšrent une dans la province de San Juan, BenjamĂ­n Villafañe et FĂ©lix FrĂ­as une autre dans celle de TucumĂĄn, et JosĂ© Francisco Álvarez et RamĂłn Ferreyra dans celle de CĂłrdoba[153].

Tant leurs idĂ©es que leur action auront une grande influence sur la future construction de l’État national et sur le processus constitutionnel qui fera suite Ă  la chute de Rosas, en particulier les idĂ©es de Sarmiento, Juan Bautista Alberdi et Juan MarĂ­a GutiĂ©rrez. Pendant longtemps, ils furent vĂ©nĂ©rĂ©s comme de grandes figures nationales (prĂłceres civiles)[154], jusqu’à ce que les historiens dits rĂ©visionnistes viennent Ă  leur reprocher de considĂ©rer tout ce qui arrivait d’Europe comme supĂ©rieur Ă  ce qui Ă©tait latino-amĂ©ricain ou espagnol, de s’évertuer Ă  transplanter l’Europe en AmĂ©rique sans se prĂ©occuper des AmĂ©ricains, et de trahir de façon rĂ©pĂ©tĂ©e leur propre pays en faisant alliance avec les ennemis Ă©trangers de leur gouvernement[155].

La SociĂ©tĂ© populaire restauratrice commença Ă  mettre sous pression ces jeunes romantiques, et quelques-uns d’entre eux furent attaquĂ©s par la Mazorca ; certains choisirent d’émiger vers Montevideo ou vers le Chili[152]. Quelques groupes clandestinement dissidents, associĂ©s de façon seulement marginale Ă  l’AsociaciĂłn de Mayo, se tiendront au contraire dans l’expectative[156].

Palermo de San Benito

RĂ©sidence de Rosas Ă  San Benito de Palermo, actuel parc du Trois-FĂ©vrier. AchevĂ©e vers 1848, le manoir fut abandonnĂ© avec l’exil de Rosas, puis dĂ©moli en 1899.

Juan Manuel de Rosas avait fait acquisition d’un grand nombre de terrains et de propriĂ©tĂ©s dans la zone connue sous le nom de bañado de Palermo, prĂšs de Buenos Aires (et aujourd’hui incluse dans le nord-ouest de l’agglomĂ©ration portĂšgne). Bien que les sources citent des dates diffĂ©rentes, ce serait entre 1836 et 1838 que le gouverneur Rosas aurait lancĂ© son projet personnel de construction d’une nouvelle rĂ©sidence et d’un manoir dans cette zone Ă©loignĂ©e du centre-ville de la capitale[157] - [158].

Au cours des dix annĂ©es suivantes, Rosas mit en Ɠuvre cet ambitieux et onĂ©reux projet, comprenant non seulement un imposant manoir, le plus grand de Buenos Aires Ă  cette Ă©poque, mais encore un Ă©tang artificiel avec une douve, plusieurs dĂ©pendances et l’amĂ©nagement d’un parc arborĂ© d’une superficie considĂ©rable. Vers 1848, les Rosas avaient dĂ©finitivement pris leurs quartiers dans cette demeure que Rosas lui-mĂȘme baptisa Palermo de San Benito (connue aussi sous le nom de San Benito de Palermo), nom Ă  propos duquel circulent aujourd’hui encore diverses hypothĂšses non confirmĂ©es[157].

La guerre civile de 1840

En arriva Ă  Buenos Aires l’émissaire de gouvernement de Santa Fe, Domingo Cullen, avec mission d’arranger un rapprochement entre Rosas et la flotte française. Cependant, avec[159] ou sans l’aval d’Estanislao LĂłpez[160], Cullen court-circuita Rosas et alla nĂ©gocier directement avec le commandant de la flotte française la levĂ©e du blocus pour sa propre province, en contrepartie de la promesse d’aider la France contre Rosas et d’annuler la dĂ©lĂ©gation en matiĂšre d’affaires Ă©trangĂšres que sa province avait cĂ©dĂ©e Ă  la province de Buenos Aires. En plein milieu des pourparlers, le gouverneur de Santa Fe Estanislao LĂłpez mourut, raison pour Cullen de s’en retourner Ă  Santa Fe, oĂč il se fit Ă©lire gouverneur[159]. Il prit contact avec le gouverneur correntin Genaro BerĂłn de Astrada afin de manigancer quelque coup de force contre Rosas[161]. Toutefois, Rosas et Pascual EchagĂŒe, d’Entre RĂ­os, refusant de reconnaĂźtre Cullen comme gouverneur, au motif qu’il Ă©tait espagnol, firent pression sur la LĂ©gislature de Santa Fe et obtinrent la destitution de Cullen et son remplacement par Juan Pablo LĂłpez, frĂšre de son prĂ©dĂ©cesseur[162].

Cullen s’enfuit Ă  Santiago del Estero et trouva refuge au logis du gouverneur Ibarra, d’oĂč il rĂ©ussit Ă  organiser une invasion de la province de CĂłrdoba par une troupe d’opposants au gouverneur Manuel LĂłpez. Cette troupe fut battue, et Ibarra envoya Cullen prisonnier Ă  Buenos Aires[163]. DĂšs son arrivĂ©e Ă  la frontiĂšre de la province de Buenos Aires en , il fut fusillĂ© par le colonel Pedro Ramos.

Auparavant donc, Cullen avait dĂ©pĂȘchĂ© son Ă©missaire Manuel Leiva pour nĂ©gocier avec le gouverneur de Corrientes Genaro BerĂłn de Astrada une alliance contre Rosas, que BerĂłn de Astrada avait acceptĂ©e. Mais Ă  la suite de la chute de Cullen, BerĂłn de Astrada chercha appui auprĂšs de l’Uruguayen Fructuoso Rivera, avec qui il signa un traitĂ© d’alliance, — que celui-ci ne respectera jamais —, puis dĂ©clara la guerre Ă  Buenos Aires et Ă  Entre RĂ­os. Le gouverneur d’Entre RĂ­os, Pascual EchagĂŒe, envahit Corrientes et dĂ©truisit l’armĂ©e correntine lors de la bataille de Pago Largo en , oĂč BerĂłn paya de sa vie la dĂ©faite. AprĂšs qu’il eut installĂ© Ă  Corrientes un gouvernement fĂ©dĂ©raliste[164], EchagĂŒe retourna dans sa province. En , avec le soutien et les financements portĂšgnes, et avec l’appui d’un grand nombre de militaires blancs, commandĂ©s par Juan Antonio Lavalleja, Servando GĂłmez et Eugenio GarzĂłn, EchagĂŒe envahit l’Uruguay pour affronter Rivera, qui avait promis de l’aide Ă  BerĂłn de Astrada [165]. Il parvint Ă  avancer jusqu’aux abords de Montevideo, mais fut battu dans la bataille de Cagancha, fin , et s’enfuit Ă  Entre RĂ­os, emmenant avec lui Manuel Oribe[166].

Entre-temps, les problĂšmes se multipliaient dans le nord : vers la fin de l’annĂ©e 1838, Alejandro Heredia fut assassinĂ©[167], et le gouvernorat des provinces de Salta et de TucumĂĄn passa Ă  des dirigeants unitaires[168].

Le gouvernement français, n’ayant obtenu de son blocus naval que peu de rĂ©sultats, prit le parti de financer des campagnes militaires contre Rosas, en versant d’importants subsides tant au gouvernement de Rivera qu’aux unitaires organisĂ©s dans la ComisiĂłn Argentina, que dirigeait ValentĂ­n Alsina. Ceux-ci se mirent Ă  la recherche d’un chef militaire prestigieux pour prendre la tĂȘte de la rĂ©volution, et leur choix se porta sur Juan Lavalle, que Juan Bautista Alberdi sut convaincre de prendre le commandement des troupes.

Dans le sillage de l’attaque avortĂ©e d’EchagĂŒe contre l’Uruguay, Lavalle dĂ©cida de mettre Ă  profit la situation pour envahir — sur des vaisseaux français — Entre RĂ­os. Il battit le gouverneur supplĂ©ant de cette province Ă  la bataille de YeruĂĄ, puis parcourut toute la province en quĂȘte de soutiens. N’en ayant rĂ©coltĂ© aucun en faveur de sa « croisade » contre Rosas, il se dirigea vers Corrientes, oĂč le gouverneur FerrĂ©, qui s’était dĂ©clarĂ© contre Rosas, le mit Ă  la tĂȘte de son armĂ©e[169]. La premiĂšre chose que fit FerrĂ© fut de lancer contre Santa Fe le fondateur de l’autonomie provinciale locale, Mariano Vera, cependant celui-ci fut vite dĂ©fait par les troupes du gouverneur Juan Pablo LĂłpez et pĂ©rit au combat en .

La révolution des Libres du sud

Rosas en 1842, portant l’attirail de gaucho. Huile sur toile par Raymond Monvoisin.

La ville de Buenos Aires elle-mĂȘme fut le thĂ©Ăątre d’un mouvement dirigĂ© contre Rosas, dans le but d’empĂȘcher sa rĂ©Ă©lection comme gouverneur de la province. Le commandement militaire du mouvement fut confiĂ© au colonel RamĂłn Maza, fils du prĂ©sident de la LĂ©gislature provinciale, Manuel Vicente Maza. Dans le mĂȘme temps, dans le sud de la province, Ă  deux centaines de kilomĂštres de la ville de Buenos Aires, s’occupait Ă  s’organiser un autre groupe opposant, appelĂ© les Libres du sud, emmenĂ© par des estancieros alarmĂ©s par la chute des exportations et par la possible perte de leurs droits qu’ils avaient obtenus sur leurs terres, par suite de l’arrivĂ©e Ă  Ă©chĂ©ance de la loi sur les emphytĂ©oses, puisque Rosas avait refusĂ© Ă  beaucoup d’ĂȘtre eux ― les considĂ©rant en effet comme des opposants ― la vente de leurs terres, nonobstant qu’une loi provinciale eĂ»t Ă©tĂ© promulguĂ©e autorisant leur aliĂ©nation. Ils dĂ©clenchĂšrent une rĂ©volution contre le gouverneur qui se propagea bientĂŽt dans tout le sud de la province[170]. Ils jouissaient de l’appui de Lavalle, qui avait promis son aide et s’était transportĂ© avec quelques centaines de volontaires vers l’üle MartĂ­n GarcĂ­a, occupĂ©e alors par des troupes françaises[171], Ă  partir d’oĂč il Ă©tait supposĂ© dĂ©barquer dans la baie de SamborombĂłn.

Cependant, tout tourna mal : les rebelles ne purent compter sur l’aide de Lavalle, qui prĂ©fĂ©ra faire voile vers Entre RĂ­os pour envahir cette province, privant ainsi de ses troupes les rĂ©volutionnaires de Buenos Aires. D’autre part, le groupe de Maza fut dĂ©noncĂ© : Manuel Vicente Maza, ancien ami de Rosas, fut assassinĂ© dans son bureau officiel, et son fils RamĂłn (le chef militaire) fusillĂ© en prison sur ordre de Rosas[172]. Les Libres del Sur, dĂ©couverts, n’attendirent pas Lavalle et marchĂšrent sur Buenos Aires, Ă  la tĂȘte de quelques centaines de gauchos, mais deux semaines Ă  peine plus tard furent battus par Prudencio Rosas, frĂšre du gouverneur, Ă  la bataille de ChascomĂșs[173]. Les meneurs pĂ©rirent dans la bataille, les autres furent exĂ©cutĂ©s ou incarcĂ©rĂ©s, et plusieurs durent s’exilier.

Campagnes militaires de Lavalle

Les nouveaux gouvernants du nord-ouest — principalement JosĂ© Cubas de Catamarca, et Marco Avellaneda de TucumĂĄn — s’organisĂšrent pour affronter le gouverneur de Buenos Aires. Quand l’armĂ©e correntine de Juan Lavalle eut Ă  nouveau envahi Entre RĂ­os, TucumĂĄn se prononça contre Rosas, mit ses forces armĂ©es sous le commandement du gĂ©nĂ©ral Lamadrid et forma avec les provinces limitrophes la Coalition du nord[174]. Le commandant en chef nominal de leur armĂ©e Ă©tait le gouverneur de La Rioja, TomĂĄs Brizuela[175]. Le seul gouverneur de la rĂ©gion Ă  demeurer fidĂšle Ă  Rosas fut Ibarra, de Santiago del Estero, raison pour laquelle trois offensives furent lancĂ©es contre lui, mais sans rĂ©sultat[176].

Lavalle parcourut Entre RĂ­os du nord au sud, mais fut battu Ă  la bataille de Sauce Grande au mois de juillet de la mĂȘme annĂ©e 1840 par EchagĂŒe[177] ; s’étant rĂ©fugiĂ© Ă  Punta Gorda, il embarqua ses troupes sur des vaisseaux de l’escadre française. Ses poursuivants crurent qu’il avait l’intention de se retirer sur Corrientes ou en Uruguay, cependant le 1er aoĂ»t, il dĂ©barqua Ă  San Pedro, dans le nord de la province de Buenos Aires[178]. Il esquiva le colonel Pacheco et fit route vers la ville de Buenos Aires, se cantonna Ă  Merlo, Ă  une trentaine de km (Ă  vol d’oiseau) Ă  l’ouest de Buenos Aires, et y attendit que la ville se prononce en sa faveur.

À l’aide de chevaux apportĂ©s par quelques estancieros amis, il marcha sur la ville, mais son entreprise ne recueillit aucun soutien populaire, et personne ne vint se rallier Ă  son armĂ©e ; c’est au contraire l’armĂ©e de Lavalle qui fut frappĂ©e par de nombreuses dĂ©sertions, tandis que la ville soutenait inconditionnellement Rosas. Celui-ci pour sa part amĂ©nagea son quartier gĂ©nĂ©ral Ă  Santos Lugares de Rosas (l’actuelle San AndrĂ©s, dans le partido de General San MartĂ­n), c’est-Ă -dire dans la mĂȘme caserne qui allait par la suite devenir cĂ©lĂšbre en raison des prisonniers qui y seront enfermĂ©s et de l’exĂ©cution de Camila O'Gorman. Rosas coupa ainsi Ă  Lavalle la route vers la capitale, tandis que Pacheco, commandant en chef de l’armĂ©e portĂšgne, s’apprĂȘtait Ă  l’encercler par le nord, de sorte que Lavalle n’eut d’autre choix que de se retirer vers le nord de la province[179].

La retraite de Lavalle eut pour effet que les Français conclurent la paix avec Rosas et levĂšrent leur blocus. Lavalle, sans appui naval, occupa Santa Fe, mais son armĂ©e continuaitffĂ©dĂ© de subir des dĂ©fections. Pour sa part, Rosas lança Pacheco Ă  sa poursuite, et peu aprĂšs plaça Manuel Oribe Ă  la tĂȘte de l’armĂ©e fĂ©dĂ©raliste.

Le Mois de terreur (octobre 1840)

Dans les Ă©crits de l’historiographie libĂ©rale argentine, le mois d’ Ă  Buenos Aires est dĂ©signĂ© par les termes de « mois de la terreur » ou d’« octobre rouge ». DĂšs que l’on eut appris que Lavalle faisait volte-face, une atmosphĂšre de terreur gĂ©nĂ©ralisĂ©e Ă©clata dans la ville, oĂč des dizaines de personnes furent assassinĂ©es, des centaines de maisons mises Ă  sac, et oĂč les rues Ă©taient dĂ©sertĂ©es. Les anciens partisans des unitaires, de mĂȘme que tous ceux qui pour quelque raison Ă©taient seulement soupçonnĂ©s de l’ĂȘtre, furent persĂ©cutĂ©s. Les symboles des unitaires, et jusqu’aux objets prĂ©sentant les couleurs alors identifiĂ©es aux unitaires — Ă  savoir bleu ciel et vert — furent dĂ©truits. Les façades, les vĂȘtements, les uniformes, tout ce qui pouvait ĂȘtre colorĂ© fut repeint en rouge[180] - [181].

Il est imputĂ© Ă  Rosas d’avoir Ă©tĂ© l’instigateur de cette vaste tuerie de partisans unitaires, perpĂ©trĂ©e par le biais de son organisation parapoliciĂšre, La Mazorca. Il est certain qu’en ce mois-lĂ  furent assassinĂ©es une vingtaine de personnes dont seulement sept Ă©taient des unitaires. Les homicides furent commis de nuit, dans la rue, par lynchage populaire, ou rĂ©sultĂšrent de la rĂ©pression de ces lynchages[182]. Rosas ne fit rien pour arrĂȘter le massacre, et sans doute n’eĂ»t-il pas Ă©tĂ© en mesure de le juguler. Le , une fois signĂ©e la paix avec la France, la police put revenir dans la ville. Mais ce ne sera que vers la fin de cette annĂ©e, lorsque Rosas jugea qu’il avait quelque chance d’ĂȘtre obĂ©i, qu’il fit savoir publiquement que quiconque serait surpris Ă  violer un domicile, Ă  voler ou Ă  assassiner serait passĂ© par les armes ; la violence cessa le jour mĂȘme[183].

La terreur de l’annĂ©e 1840 fut le point culminant de l’usage politique de la violence par Rosas et son parti. Quelques historiens ont gĂ©nĂ©ralisĂ© l’image de ces semaines de violence Ă  toute la durĂ©e de son gouvernement, tandis que d’autres tiennent qu’il n’en Ă©tait pas ainsi ; il y eut certes sous Rosas plusieurs pĂ©riodes de persĂ©cution d’opposants, toutefois la fin de 1840 est la seule pĂ©riode oĂč l’on vit la rĂ©pĂ©tition quotidienne de tels crimes. De fait, Rosas utilisa la terreur davantage pour mettre sous pression les consciences que pour Ă©liminer physiquement des individus[184] - [185] - [186].

Pour NĂ©stor Montezanti « on ne peut pas dire que Rosas ait Ă©tĂ© un gouvernant terroriste, ni qu’il ait fait habituellement usage de la terreur comme moyen de se maintenir ou de raffermir sa position au gouvernement. Il est sĂ»r en revanche que de façon exceptionnelle, en deux occasions sur dix-sept ans, il eut recours Ă  elle Ă  des Ă©poques de grave perturbation, lorsque le pĂ©ril menaçait directement son gouvernement et la cause nationale que lui, Rosas, incarnait. MĂȘme dans ces circonstances, l’usage qui en fut fait restait modĂ©rĂ©, compte tenu aussi que d’autre part la plupart de ces crimes faisaient suite Ă  des exaltations fanatiques et non Ă  des consignes du Dictateur, qui se limitait Ă  ouvrir les soupapes de compression des passions sociales »[187]. En effet, Rosas non seulement n’ordonna pas les assassinats, mais en outre les combattit, comme l'atteste une notification du — mois qui connut une forte flambĂ©e de lynchages populaires — adressĂ©e aux chefs des forces de sĂ©curitĂ© et portant que le gouverneur « a regardĂ© avec le plus sĂ©rieux et le plus profond dĂ©sagrĂ©ment les scandaleux assassinats qui ont Ă©tĂ© commis ces jours derniers ; quoiqu’ils aient Ă©tĂ© commis sur des sauvages unitaires, personne, absolument personne n’est autorisĂ© Ă  prendre pareille licence barbare ». Dans le mĂȘme communiquĂ©, il ordonnait de patrouiller par la ville « en disposant ce qui est nĂ©cessaire pour Ă©viter de semblables assassinats »[188].

Pour Pacho O'Donnell, la classe sociale dont Ă©taient issus les ennemis de Rosas a Ă©tĂ© un facteur dĂ©terminant quand il s’est agi, dans l’historiographie libĂ©rale, de dĂ©finir par lequel des deux camps la terreur avait Ă©tĂ© principalement exercĂ©e :

« La rĂ©putation de terroristes sera plus grande chez les fĂ©dĂ©ralistes, parce que leur base populaire fit que quelques-unes de leurs victimes appartenaient Ă  la classe aisĂ©e. En revanche, les unitaires tuaient des gauchos. L’exĂ©cution d’un Maza ou d’un O'Gorman n’aura pas le mĂȘme retentissement dans la capitale et dans ses journaux que l’assassinat de centaines d’humbles soldats Ă  l’issue du combat de La Tablada sur ordre de l’unitaire Paz[189]. »

La Coalition du nord et fin provisoire de la guerre civile

Depuis la mort d’Heredia, les unitaires du nord de l’Argentine s’étaient organisĂ©s et commencĂšrent Ă  s’emparer des gouvernements provinciaux de TucumĂĄn, de Salta, de Jujuy et de Catamarca.

Rosas se souvint qu’ils avaient en leur possession l’armement envoyĂ© par lui pour les besoins de la guerre contre la Bolivie, et dĂ©cida d’envoyer un Ă©missaire pour le leur soustraire avant qu’ils ne se prononcent contre lui. Le gĂ©nĂ©ral Lamadrid, dirigeant unitaire de TucumĂĄn de la dĂ©cennie anterieure, se joignit aux rebelles aprĂšs son arrivĂ©e Ă  TucumĂĄn. Ceux-ci se prononcĂšrent alors contre Rosas et fondĂšrent la Coalition du nord, dirigĂ©e par le ministre tucuman Marco Avellaneda. Ils s’employĂšrent ensuite Ă  Ă©tendre leur alliance, en tentant de sĂ©duire les gouverneurs TomĂĄs Brizuela, de La Rioja, et Ibarra, de Santiago del Estero, qui Ă©taient tous deux des fĂ©dĂ©ralistes. Le premier put ĂȘtre persuadĂ© par la promesse que le commandement militaire suprĂȘme lui reviendrait ; quant Ă  Ibarra, il refusa.

Lavalle poursuivit le gouverneur de Santa Fe Juan Pablo LĂłpez jusqu’à la ville de Santa Fe, dont il se rendit maĂźtre malgrĂ© une forte rĂ©sistance[190]. C’est lĂ  qu’il apprit la signature le du traitĂ© Arana-Mackau : sous la pression de la Grande-Bretagne, la France avait convenu avec Rosas de la levĂ©e du blocus naval de la France contre le RĂ­o de la Plata ; Rosas avait cĂ©dĂ© sur le point des indemnisations et du traitement des citoyens français, mais n’avait fait aucune concession territoriale et commerciale, ni en ce qui concerne la libre navigation sur les eaux intĂ©rieures argentines[191].

De son cĂŽtĂ©, Lamadrid avait fin 1840 envahi et occupĂ© la province de CĂłrdoba, oĂč un groupe de libĂ©raux renversa le gouverneur Manuel LĂłpez. Les unitaires allĂšrent jusqu’à tenter des rĂ©volutions dans les provinces de San Luis et de Mendoza, mais ces coups de force Ă©chouĂšrent tous deux. Entre-temps, Lavalle marcha Ă  la rencontre de Lamadrid, mais fut battu en chemin par des troupes fĂ©dĂ©ralistes sous les ordres de l’Oriental Manuel Oribe Ă  la bataille de Quebracho Herrado, le , ce qui l’obligea Ă  se retirer davantage encore, finalement vers TucumĂĄn[192]. Du reste, Lavalle et Lamadrid ne purent se mettre d’accord Ă  propos de rien, hormis pour battre en retraite — Lavalle d’abord en direction de La Rioja, et Lamadrid sur TucumĂĄn[193]. AprĂšs plusieurs dĂ©faites successives, Lavalle se retrouva donc avec son armĂ©e Ă  TucumĂĄn, pendant que Lamadrid marchait vers Cuyo[194].

La bataille de FamaillĂĄ.

Le commandant de l’avant-garde de Lamadrid, Mariano Acha (celui qui avait livrĂ© Dorrego Ă  Lavalle), vainquit JosĂ© FĂ©lix Aldao dans la bataille d'Angaco[195], oĂč les unitaires remportaient ainsi leur derniĂšre victoire, mais fut bientĂŽt battu Ă  La Chacarilla en , et exĂ©cutĂ© peu aprĂšs. Quelques semaines plus tard, Lamadrid se fit nommer gouverneur de Mendoza et se dota des « facultĂ©s extraordinaires » tant dĂ©criĂ©es[196], peu avant d’ĂȘtre dĂ©finitivement dĂ©fait par Pacheco Ă  Rodeo del Medio le ; les survivants durent se rĂ©soudre Ă  Ă©migrer au Chili[197].

Peu de jours auparavant, Lavalle avait Ă©tĂ© vaincu par Oribe Ă  la bataille de FamaillĂĄ, en [198] ; son alliĂ© Marco Avellaneda fut exĂ©cutĂ©, et Lavalle lui-mĂȘme pĂ©rit Ă  San Salvador de Jujuy pendant sa retraite vers le nord, lors d’une fusillade fortuite avec un dĂ©tachement fĂ©dĂ©raliste[199]. Ses troupes prirent en grande partie la fuite pour la Bolivie, en emportant le cadavre de leur commandant Ă  PotosĂ­. C’est en Bolivie Ă©galement qu’allĂšrent se rĂ©fugier les derniers unitaires des provinces du nord[200]. Catamarca aussi passa aux mains des fĂ©dĂ©ralistes, et JosĂ© Cubas[201] et Marco Avellaneda furent exĂ©cutĂ©s[202].

Le restant des Correntins de Lavalle traversa le Chaco argentin, pour ensuite s’incorporer dans une nouvelle (la troisiĂšme) armĂ©e correntine[203], qu’avait mise sur pied le gĂ©nĂ©ral Paz[204]. Celui-ci battit Pascual EchagĂŒe Ă  la bataille de CaaguazĂș le , succĂšs inopinĂ© pour les antirosistes, et envahit Entre RĂ­os, pendant que Rivera faisait de mĂȘme prĂšs de la ville actuelle de Concordia. Toutefois, les Ă©lecteurs d’Entre RĂ­os choisirent Justo JosĂ© de Urquiza pour leur gouverneur et obligĂšrent Paz Ă  quitter la capitale ParanĂĄ, en laissant ses troupes entre les mains de Rivera ; Paz allait finir comme rĂ©fugiĂ© Ă  Montevideo[205].

De retour dans la province de Santa Fe, Oribe dĂ©truisit aisĂ©ment les troupes du santafesino Juan Pablo LĂłpez (qui avait passĂ© dans le camp adverse au lendemain de la dĂ©faite de la Coalition du nord) en , puis affronta les forces uruguayennes et correntines placĂ©es sous les ordres de Rivera, qu’il battit Ă  la Arroyo Grande en . Quelques jours plus tard, Corrientes repassa sous l’autoritĂ© des fĂ©dĂ©ralistes[206]. Oribe, Ă  la tĂȘte de troupes argentines et uruguayennes, envahit ensuite l’Uruguay[207]. L’Argentine tout entiĂšre Ă©tait Ă  nouveau aux mains des fĂ©dĂ©ralistes. Nombre de soldats faits prisonniers Ă  l’occasion de ces batailles furent exĂ©cutĂ©s sur ordre d’Oribe ou de Rosas. Pour l’heure en tous cas, la guerre civile avait pris fin en Argentine.

À cette Ă©poque, le futur hĂ©ros national italien Giuseppe Garibaldi entreprit quelques campagnes navales dans le RĂ­o de la Plata, qui ravagĂšrent les villes et hameaux situĂ©s le long des fleuves argentins et uruguayens ; quoique l’amiral Guillermo Brown souligna la vaillance de Garibaldi[208] - [209], il qualifia l’action de ses subordonnĂ©s de piratage[210].

La politique économique dans la décennie 1840

L’économie Ă  l’époque rosienne s’appuyait sur l’expansion de l’élevage et sur l’exportation de salaisons, de fumaisons, de cuirs et de suif. Au bout d’une pĂ©riode de stagnation relative dans la dĂ©cennie antĂ©rieure, les annĂ©es 1840 furent particuliĂšrement favorables Ă  la croissance de l’élevage dans les provinces du Litoral. La province de Buenos Aires fut cependant la principale bĂ©nĂ©ficiaire de cette croissance, principalement par le fait que le gouvernement de Buenos Aires gardait le privilĂšge de la maĂźtrise des eaux intĂ©rieures et continuait de concentrer dans la capitale toute l’activitĂ© portuaire et les recettes douaniĂšres affĂ©rentes[211].

Sous l’effet des blocus navals, les taxes Ă  l’importation furent sensiblement rĂ©duites, mais sans jamais redevenir aussi basses qu’au temps de Rivadavia, ni aussi basses qu’elles allaient le devenir aprĂšs la chute de Rosas[212].

La croissance Ă©conomique permit de diversifier les activitĂ©s industrielles et artisanales dans la ville capitale ; toutefois, il n’y eut pas de dĂ©veloppement d’industries hors celles liĂ©es Ă  la production rurale : salaisonneries, tanneries et moulins. La croissance de cette derniĂšre catĂ©gorie donne Ă  supposer que la « ville carnivore » commençait Ă  introduire une plus grande quantitĂ© de pain dans son rĂ©gime alimentaire[213].

Les subventions que Rosas octroyait Ă  telle ou telle province Ă©taient destinĂ©es Ă  soutenir leur gouvernement et leur armĂ©e, non Ă  favoriser l’économie locale. Mais la croissance Ă©conomique du Litoral fluvial tira mĂ©caniquement la croissance des Ă©conomies des provinces de l’intĂ©rieur, vu que celles-ci approvisionnaient le Litoral en certaines marchandises[214].

La maĂźtrise stricte que Rosas imposa — y compris personnellement — aux dĂ©penses publiques, et son refus d’autoriser des Ă©missions de papier monnaie sans couverture, permirent Ă  la province de Buenos Aires de maintenir l’équilibre de ses finances, mĂȘme dans les pĂ©riodes oĂč celles-ci subissaient le contrecoup des blocus navals[215].

Culture et enseignement Ă  l’époque de Rosas

Pedro de Angelis, l’un des plus Ă©minents intellectuels du rosisme.

Pour rĂ©duire les dĂ©penses publiques, Rosas annula la majeure partie du budget consacrĂ© Ă  l’enseignement. En 1838, on supprima Ă  Buenos Aires l’instruction gratuite et les salaires des professeurs d’universitĂ©[216]. NĂ©anmoins, l’universitĂ© de Buenos Aires et l’actuel Colegio Nacional de Buenos Aires restĂšrent en activitĂ© grĂące aux droits d’inscription payĂ©s par leurs Ă©tudiants, et de leurs enceintes sortiront les membres de l’élite portĂšgne de la pĂ©riode suivante, la plupart desquels seront de virulents dĂ©tracteurs de Rosas[217]. Était en activitĂ© d’autre part l’universitĂ© de CĂłrdoba, qui Ă©tait gĂ©rĂ©e par des religieux catholiques et dĂ©cernait des titres en droit canon et civil[218][219].

À Buenos Aires, l’enseignement secondaire se rĂ©partissait entre plusieurs collĂšges, dont le plus prestigieux Ă©tait le Colegio de San Ignacio des jĂ©suites, qui — aprĂšs que ceux-ci eurent Ă©tĂ© derechef expulsĂ©s du RĂ­o de la Plata — fut transformĂ© en le Colegio Republicano Federal, gĂ©rĂ© par l’ancien jĂ©suite Francisco MagestĂ©. Il y avait Ă©galement plusieurs collĂšges privĂ©s, tels que celui dirigĂ© par Alberto Larroque[217]. Dans les provinces de l’intĂ©rieur, des collĂšges secondaires existaient dans la majoritĂ© des capitales provinciales ; le plus ancien et le plus prestigieux Ă©tait le Colegio Nacional de Monserrat Ă  CĂłrdoba ; dans certaines villes, l’enseignement dispensĂ© par des couvents Ă©tait particuliĂšrement rĂ©putĂ©, comme notamment le couvent des franciscains de San Fernando del Valle de Catamarca[220].

En dehors de la production de la GĂ©nĂ©ration de 1837, l’activitĂ© littĂ©raire fut notoirement faible durant cette pĂ©riode[221]. La musique par contre connut un moment de lustre particulier, atteignant mĂȘme, avec Juan Pedro Esnaola, Ă  une certaine autonomie vis-Ă -vis des Ă©coles musicales europĂ©ennes[222]. La peinture sut elle aussi rĂ©aliser l’amorce d’un art pictural autonome, en particulier dans le domaine du portrait, du paysage et de la peinture d'histoire ; ses figures les plus Ă©minentes Ă©taient Prilidiano PueyrredĂłn et Carlos Morel, et les EuropĂ©ens Ignacio Baz, Charles Henri Pellegrini et Amadeo Gras[223].

Contextualisation

Dans l’Empire espagnol, l’unitĂ© sociale ne se concevait qu’à travers l’unitĂ© de la foi catholique. Cependant, aprĂšs son indĂ©pendance, la Nation argentine subit l’influence de deux courants de pensĂ©e distincts[224] :

PiÚce de monnaie américaine portant la devise « En Dieu nous avons foi ».

1) Le courant rationaliste, laïciste et voltairien, qui avait sous-tendu la philosophie politique de la Révolution française[225] et dont était influencé notamment le Doyen Funes à Córdoba.

2) Le courant antĂ©rieur, d’inspiration chrĂ©tienne, influencĂ©, d’un cĂŽtĂ©, par la doctrine du prĂȘtre jĂ©suite Francisco SuĂĄrez[226], de l’École de Salamanque, qui prĂȘcha que « l’autoritĂ© est donnĂ©e par Dieu, non au roi, mais au peuple »[227], doctrine que les principaux patriotes instigateurs de la rĂ©volution de Mai avait apprise Ă  l’universitĂ© jĂ©suitique de Chuquisaca (actuelle Sucre) ; et de l’autre, par l’exemple de la RĂ©volution amĂ©ricaine, laquelle, si elle eut certes d’autres racines, s’était choisi pour devise nationale In God We Trust (soit « En Dieu nous avons foi »)[228].

Dans les dĂ©buts des Provinces-Unies du RĂ­o de la Plata, Cornelio Saavedra, puis le frĂšre Cayetano RodrĂ­guez, le frĂšre Francisco de Paula Castañeda, le doyen Pedro Ignacio de Castro Barros, le gĂ©nĂ©ral Manuel Belgrano, Esteban AgustĂ­n GascĂłn, Gregorio GarcĂ­a de Tagle, entre autres, Ă©taient de grands dĂ©fenseurs de la pensĂ©e catholique et de l’Église, en opposition Ă  l’anticatholicisme des groupes emmenĂ©s d’abord par Mariano Moreno et Juan JosĂ© Castelli[229] - [230], puis par l’homme d’État Bernardino Rivadavia, qui en 1822, parmi d’autres mesures, ferma plusieurs couvents, s’empara de tous les biens appartenant aux ordres religieux, et fit main basse sur les biens du sanctuaire de LujĂĄn, de la ConfrĂ©rie de la charitĂ©, de l’HĂŽpital Sainte-Catherine et d’autres[231].

Fray Justo Santa MarĂ­a de Oro, Ă©vĂȘque de San Juan de Cuyo.

Sous le gouvernement de Rosas, l’Argentine Ă©tait essentiellement un pays catholique. L’Église catholique jouait un rĂŽle primordial dans la formation de la conscience sociale et dans l’enseignement, de sorte que les rapports entre elle et les gouvernements Ă©tait une partie constitutive fondamentale de la gestion et de l’action politiques[232].

Politique religieuse de Rosas

Bien que Rosas fĂ»t catholique et traditionaliste dans sa maniĂšre de penser, ses relations avec l’Église catholique furent assez compliquĂ©es pendant ses deux gouvernorats, en raison principalemente de ce qu’il ne cessait de rĂ©clamer le maintien du patronage royal sur l’Église en Argentine.

Dans la droite ligne de la tradition de l’ancien rĂ©gime, Rosas considĂ©rait l’Église comme faisant partie intĂ©grante de l’appareil d’État. Cependant, Rosas s’identifiait lui-mĂȘme avec le gouvernement, l’État, le pays et la Nation, et eut le souci de lĂ©gitimer son systĂšme politique Ă  travers la dĂ©fense de l’Église. Rosas Ă©tendit ses prescriptions politiques au champ religieux ; ainsi, durant son gouvernement, de mĂȘme que la couleur rouge ponceau devait ĂȘtre exhibĂ©e dans tous les secteurs de la vie, les autels Ă©taient-ils en permanence revĂȘtus d’étoffes de cette couleur ; les curĂ©s de paroisse devaient appuyer publiquement le rosisme et exhorter les fidĂšles Ă  dĂ©fendre la « sainte cause de la FĂ©dĂ©ration », et le portrait de Rosas Ă©tait accrochĂ© Ă  cĂŽtĂ© des images des saints[233]. Dans toutes les Ă©glises, les prĂȘtres cĂ©lĂ©braient des messes d’action de grĂące pour ses succĂšs et de dĂ©ploration Ă  la suite de ses Ă©checs.

Pour s’assurer le soutien de l’Église, Rosas devait garantir son emprise sur celle-ci, raison pour laquelle il revendiqua son droit d’exercer le patronage ecclĂ©siastique en tant que dĂ©positaire du patronage royal de l’époque coloniale. Toute la pĂ©riode rosienne fut un long tiraillement entre l’autoritĂ© papale et l’autoritĂ© de Rosas, une situation semblable prĂ©valant aussi dans les provinces. DĂ©jĂ  sous le gouvernorat de Viamonte, la prĂ©tention du pape Ă  nommer lui-mĂȘme les Ă©vĂȘques en Argentine fut contestĂ©e ; dans le Memorial Ajustado de 1834, la majoritĂ© des juristes consultĂ©s Ă  ce propos contesta que ce droit revĂźnt au gouvernement[234].

Le pape nomma pour l’Argentine une serie d’évĂȘques « titulaires » — alors appelĂ©s Ă©vĂȘques in partibus infidelium, c’est-Ă -dire assignĂ©s Ă  des siĂšges se trouvant « aux mains des infidĂšles » en Asie et en Afrique — pour exercer comme vicaires apostoliques. Rosas reconnut le premier de ces Ă©vĂȘques, Mariano Medrano, comme Ă©vĂȘque de Buenos Aires en 1830, ce qui permit de normaliser les relations avec le Saint SiĂšge, lesquelles avaient Ă©tĂ© coupĂ©es de fait depuis la guerre d’indĂ©pendance[235]. Si Rosas tolĂ©ra donc l’évĂȘque Mariano Medrano, dĂ©signĂ© sous le gouvernorat du gĂ©nĂ©ral Juan JosĂ© Viamonte, il fut rĂ©solu Ă  n’en plus accepter aucun autre qui n’eĂ»t d’abord reçu son aval, Rosas en effet se considĂ©rant comme le continuateur de la politique rĂ©galiste du patronage ecclĂ©siastique telle que l’avaient pratiquĂ©e les rois d’Espagne.

En ce qui concerne les autres provinces argentines, le pape crĂ©a le diocĂšse de San Juan de Cuyo, pour lequel furent nommĂ©s Ă©vĂȘques Justo Santa MarĂ­a de Oro, puis plus tard, JosĂ© Manuel Quiroga Sarmiento[236]. Pour le diocĂšse de CĂłrdoba, il dĂ©signa Benito Lascano, qui devait jusqu’à sa mort en 1836 entrer plusieurs fois en conflit avec le gouveneur Manuel LĂłpez[237] ; cette mĂȘme annĂ©e, JosĂ© AgustĂ­n Molina fut Ă©levĂ© au rang d’évĂȘque de Salta, mais mourut deux annĂ©es aprĂšs[238]. Sur toute la pĂ©riode rosienne, aucun de ces deux prĂ©lats ne sera remplacĂ© aprĂšs leur mort[239].

Rosas autorisa le retour des jĂ©suites en 1836 et leur restitua quelques-uns des biens qui leur avaient Ă©tĂ© confisquĂ©s par la rĂ©forme de Rivadavia, et les jĂ©suites ouvrirent le Colegio de San Ignacio et plusieurs autres collĂšges dans l’intĂ©rieur. Cependant, Rosas aura bientĂŽt des diffĂ©rends avec les jĂ©suites, vu qu’ils restaient de fidĂšles suiveurs de la papautĂ© en ce qui concerne justement le patronage et refusĂšrent d’appuyer publiquement le gouvernement rosiste et de se laisser utiliser Ă  des fins de propagande, ce qui dĂ©boucha finalement sur un affrontement ouvert avec Rosas et finit par pousser celui-ci Ă  les expulser derechef en en direction de Montevideo. Les gouvernements provinciaux eux aussi jugĂšrent prudent de les expulser[240].

L’affaire Camila O’Gorman et Ladislao GutiĂ©rrez

L’une des affaires les plus retentissantes du deuxiĂšme gouvernorat de Rosas fut l’aventure sentimentale entre Camila O'Gorman (alors ĂągĂ©e de 23 ans) et le curĂ© Ladislao GutiĂ©rrez (24 ans), qui s’esquivĂšrent ensemble pour fonder une famille et s’établirent dans la province de Corrientes. Rosas fut incessamment lancinĂ© Ă  ce sujet par la presse unitaire depuis Montevideo et le Chili. Notamment, le , Domingo Faustino Sarmiento Ă©crivit :

« L’horrible corruption de mƓurs a atteint un degrĂ© extrĂȘme sous l’épouvantable tyrannie du Caligula du RĂ­o de la Plata, au point que les prĂȘtres impies et sacrilĂšges de Buenos Aires fuient avec les jeunes filles de la meilleure sociĂ©tĂ©, sans que le satrape infĂąme adopte une quelconque mesure contre ces monstrueuses immoralitĂ©s. »

— Domingo Faustino Sarmiento[241]

Camila O'Gorman (1825-1848).

Rosas fut aiguillonnĂ© Ă©galement par les fĂ©dĂ©ralistes eux-mĂȘmes, y compris par le propre pĂšre de la jeune fille, Adolfo O’Gorman, et finit inopinĂ©ment par ordonner de les fusiller, ce qui fut fait sur le campement de Santos Lugares.

Le , Domingo Faustino Sarmiento publia dans La CrĂłnica de Montevideo un billet intitulĂ© « Camila O’Gorman », oĂč il critiquait la sauvagerie du rĂ©gime que l’exĂ©cution de la jeune fille aurait portĂ©e au grand jour[242].

Quelques auteurs affirment qu’aucune loi du droit argentin ou du droit hĂ©ritĂ© de l’Espagne n’autorisait la peine de mort pour les faits incriminĂ©s, et que le prĂȘtre GutiĂ©rrez aurait dĂ» ĂȘtre dĂ©fĂ©rĂ© Ă  la justice ecclĂ©siastique, oĂč, comme auteur d’un rapt sans violence, il Ă©tait passible de la peine de confiscation de ses biens conformĂ©ment au Fuero Juzgo (loi 1Âș, livre 3Âș, titre 3Âș) ; en outre, s’agissant d’un membre du bas clergĂ©, il eĂ»t dĂ» ĂȘtre chĂątiĂ© par une dĂ©gradation et un bannissement perpĂ©tuel ; quant Ă  Camila, il convenait de se limiter Ă  la renvoyer Ă  son foyer[243]. D’autres en revanche tiennent que les lois en vigueur sanctionnaient par la peine de mort le sacrilĂšge de l’enlĂšvement et le scandale que reprĂ©sentait l’affaire, en accord avec les Parties 1 4-71, I 18-6 et VII 2-3, applicables au cas concernĂ©[244].

Dans son ouvrage La Organización Nacional, le juriste Martín Ruiz Moreno déclara que « ce fut un vulgaire assassinat. Sans procÚs, ni jugement, ni défense, ni audience »[243]. Dans une lettre du adressée à Federico Terrero, Rosas nota :

« Aucune personne ne m’a conseillĂ© l’exĂ©cution du curĂ© GutiĂ©rrez et de Camila O’Gorman, et aucune personne ne m’a parlĂ© ou Ă©crit en leur faveur. Au contraire, toutes les personnes de haut rang du clergĂ© m’ont parlĂ© ou Ă©crit sur ce crime audacieux, et sur l’urgente nĂ©cessitĂ© d’un chĂątiment exemplaire pour prĂ©venir d’autres scandales semblables ou pareils. Pour ma part, je pensais la mĂȘme chose. Et, la responsabilitĂ© en incombant Ă  moi, j’ai ordonnĂ© l’exĂ©cution[243]. »

Apogée du rosisme

Le siĂšge de Montevideo (1843-1851), bien que paraissant bĂ©nĂ©fique Ă  Rosas, lui imposait d’y retenir inactive une forte troupe, loin de sa province.

Le rĂ©gime de Rosas Ă©tait parvenu Ă  prendre le dessus sur des ennemis qui pourtant, Ă  un moment ou Ă  un autre, s’étaient rendus maĂźtres de la quasi-totalitĂ© du pays, hormis la ville de Buenos Aires. La situation Ă©conomique se faisait avantageuse[211] et Rosas gardait inaltĂ©rĂ© son prestige personnel[245].

Dans les provinces, la plupart des gouverneurs fĂ©dĂ©ralistes surent se maintenir en poste pendant de longues pĂ©riodes ; en plus d’Ibarra, qui gouvernait la province de Santiago del Estero depuis 1820, d’autres gouverneurs restĂšrent en fonction pendant des pĂ©riodes particuliĂšrement longues : BenavĂ­dez dans la province de San Juan, EchagĂŒe[246] dans celle de Santa Fe, GutiĂ©rrez dans celle de TucumĂĄn, Iturbe dans celle de Jujuy, LĂłpez dans celle de CĂłrdoba, Lucero dans celle San Luis, Navarro dans celle de Catamarca, et Urquiza en Entre RĂ­os gouvernĂšrent leur province respective durant presque toute la dĂ©cennie 1840. Les gouverneurs soupçonnĂ©s de n’ĂȘtre pas entiĂšrement dĂ©vouĂ©s Ă  Rosas, comme Vicente Mota de La Rioja et Segura de Mendoza, furent dĂ©mis de leurs fonctions.

Les provinces de l’intĂ©rieur furent Ă©conomiquement les bĂ©nĂ©ficiaires de la paix nouvellement instaurĂ©e, qui n’eut presque pas d’interruption. Les provinces du Litoral tirĂšrent avantage des exceptions que Rosas se vit contraint d’accorder pendant le blocus franco-britannique, et leur Ă©conomie connut un essor rapide[211].

Les relations avec les pays voisins se stabilisĂšrent : le Paraguay resta neutre aprĂšs la premiĂšre dĂ©faite des Madariaga[247] et, quoique la Bolivie refusĂąt de collaborer Ă  prĂ©venir de nouvelles invasions contre les provinces argentines du nord, Rosas s’efforça par tous les moyens d’éviter des conflits avec ce pays[248].

En dĂ©pit de l’alliance avec le Chili, certains contentieux pesaient sur les relations de Rosas avec ce pays, liĂ©s notamment Ă  l’asile accordĂ© par le Chili aux Ă©migrĂ©s de la zone de Cuyo, parmi lesquels se signalait en particulier Domingo Faustino Sarmiento[249]. Un autre problĂšme surgit avec l’expansion territoriale chilienne vers le sud : en 1843, le Chili prit possession du dĂ©troit de Magellan, point stratĂ©gique qui gagnait alors en importance par suite de la croissance de la navigation dans l’ocĂ©an Pacifique. Comme le site occupĂ© par le Chili se trouvait Ă  l’est de la CordillĂšre des Andes, le gouvernement de Buenos Aires prĂ©senta, tardivement, ses rĂ©clamations en 1847, en faisant valoir les droits de l’Argentine sur le tronçon oriental dudit passage ocĂ©anique, mais le Chili rejeta le contenu du document[250].

Les provinces dĂ©signĂšrent Rosas Chef suprĂȘme de la ConfĂ©dĂ©ration argentine. Il s’agissait lĂ  de l’ultime formalisme destinĂ© Ă  donner un nom au systĂšme qui, pendant longtemps, avait confĂ©rĂ© unitĂ© et stabilitĂ© au pays ; toutefois, Ă©tant appuyĂ© sur le personnalisme, cette stabilitĂ© n’était pas appelĂ©e Ă  se prolonger indĂ©finiment[251]. Quoi qu’il en soit, le pouvoir de Rosas semblait inĂ©branlable ; le principal problĂšme, et apparemment le seul, qui restait Ă©tait Montevideo, refuge des ennemis de Rosas[252].

AnnĂ©e aprĂšs annĂ©e, allĂ©guant de raisons de santĂ©, Rosas prĂ©sentait sa dĂ©mission en tant que dĂ©positaire de la compĂ©tence en matiĂšre de relations extĂ©rieures de la ConfĂ©dĂ©ration, mais en ayant chaque fois l’assurance que cette dĂ©mission ne serait pas acceptĂ©e. En 1851, Urquiza, gouverneur d’Entre RĂ­os, Ă©mit un dĂ©cret, connu sous le nom de pronunciamiento de Urquiza, par lequel il acceptait inopinĂ©ment la dĂ©mission de Rosas et se rĂ©appropria, pour le compte de sa province, la conduite des affaires Ă©trangĂšres[6].

Le siÚge de Montevideo et nouvelle rébellion en Corrientes

Rosas en 1845, à l’ñge de 52ans.

AprĂšs la victoire d’Arroyo Grande, il restait Ă  Oribe un compte Ă  solder. Il attaqua Rivera en Uruguay, et prit ses quartiers en face de Montevideo, qu’il entreprit d’assiĂ©ger, avec l’appui de plusieurs rĂ©giments argentins. Soutenu par la France, la Grande-Bretagne, et plus tard par le BrĂ©sil, et dĂ©fendu par des rĂ©fugiĂ©s argentins et des mercenaires venus d’Europe, Rivera rĂ©ussit Ă  faire rĂ©sister la ville jusqu’en 1851. La flotte portĂšgne de l’amiral Guillermo Brown imposa un blocus au port de Montevideo, lequel blocus aurait entraĂźnĂ© la chute immĂ©diate de la ville, n’était-ce que l’escadre anglo-française sous les ordres du commodore Purvis se mit en devoir d’éloigner les vaisseaux portĂšgnes et de maintenir ainsi une voie ouverte pour approvisionner la population. Rivera fut certes expulsĂ© de la ville, mais Oribe ne rĂ©ussit pas Ă  s’en emparer. Pendant toutes ces annĂ©es, les meilleures troupes de Buenos Aires restĂšrent immobilisĂ©es en Uruguay. Dans l’historiographie uruguayenne, cette pĂ©riode a Ă©tĂ© nommĂ©e la Guerra Grande.

Corrientes se souleva une nouvelle fois contre Rosas en 1843, sous le commandement des frĂšres JoaquĂ­n et Juan Madariaga, mais ceux-ci ne sauront pas exporter leur rĂ©bellion vers les autres provinces[253]. Au terme de quatre annĂ©es de rĂ©sistance, le nouveau gouverneur d’Entre RĂ­os Justo JosĂ© de Urquiza finit par les vaincre dans deux batailles, celle de Laguna Limpia et celle de RincĂłn de Vences. À la fin de 1847, l’Argentine se trouvait uniformĂ©ment alignĂ©e derriĂšre Rosas.

Les Tablas de sangre

Émile de Girardin reproduisit dans le journal La Presse une note du journal londonien The Atlas du , oĂč il Ă©tait affirmĂ© que la maison Lafone & Co., concessionnaire des douanes de Montevideo, avait chargĂ© le poĂšte JosĂ© Rivera Indarte de la rĂ©daction d’un texte diffamatoire contre Rosas. Le produit de cette transaction fut le pamphlet intitulĂ© Tablas de sangre (littĂ©r. ± Tablettes de sang). Le contrat stipulait, aux dires de La Presse, le versement d’un penny par cadavre imputĂ© Ă  Rosas. Dans Tablas de sangre, Rivera Indarte mettait sur le compte de Rosas 480 morts - [254], chiffre faux en rĂ©alitĂ©. Y avaient Ă©tĂ© inclus en effet les morts de Facundo Quiroga et de son escorte, d’Alejandro Heredia et de JosĂ© Benito Villafañe, assassinĂ©s, pour les premiers, sur ordre des frĂšres ReinafĂ©, pour le deuxiĂšme, sur l’instigation de Marco Avellaneda, et, pour le dernier, Ă  l’incitation de Bernardo Navarro, appartenant tous au camp unitaire et ennemis de Rosas. Figurent sur la liste Ă©galement plusieurs dĂ©cĂ©dĂ©s par suite de causes naturelles, beaucoup d’inconnus dĂ©signĂ©s par les initiales N.N. (nomen nescio, nom inconnu), d’autres vraisemblablement inventĂ©s, et mĂȘme des personnes qui des annĂ©es plus tard Ă©taient encore en vie. Ces imputations auraient ainsi valu Ă  Rivera Indarte une recette de deux livres sterling. Il accusa en outre Rosas d’ĂȘtre Ă  l’origine de la mort de 22 560 personnes lors de toutes les batailles et de tous les combats survenus en Argentine depuis 1829 ; cependant, les estimations actuelles du nombre de victimes tombĂ©es dans tous les groupes belligĂ©rants de cette Ă©poque n’atteignent pas la moitiĂ© de ce montant[255] - [256].

Comme corollaire Ă  cet inventaire d’assassinats, il y adjoignit un opuscule intitulĂ© Es acciĂłn santa matar a Rosas (littĂ©r. C’est une action sainte que de tuer Rosas), par quoi Ă  son tour il avalisait l’assassinat comme instrument politique :

« Notre opinion que c’est une action sainte de tuer Rosas n’est pas antisociale mais conforme Ă  la doctrine des lĂ©gislateurs et des moralistes de tous les temps et Ăąges. Nous nous estimerions trĂšs fortunĂ©s si le prĂ©sent Ă©crit pouvait mouvoir le cƓur de quelque forte personne qui, plongeant un poignard libĂ©rateur dans la poitrine de Rosas, restituerait au RĂ­o de la Plata sa fĂ©licitĂ© perdue et libĂ©rerait l’AmĂ©rique et l’humanitĂ© en gĂ©nĂ©ral du grand scandale que les dĂ©shonore. »

— JosĂ© Rivera Indarte[257].

D’autre part, il accusait aussi Rosas de nombre d’autres turpitudes : de fraude fiscale, de malversation de fonds, d’avoir « accusĂ© calomnieusement d’adultĂšre sa respectable mĂšre [...] il s’est rendu jusqu’à la couche oĂč gisait son pĂšre moribond pour l’insulter », d’avoir abandonnĂ© son Ă©pouse pendant ses derniers jours, d’avoir des maĂźtresses dans les familles les plus respectables, d’avoir « prĂ©sentĂ© sur un plat Ă  ses convives, comme mets dĂ©licieux, les oreilles salĂ©es d’un prisonnier » etc. Indarte alla jusqu’à Ă©crire qu’il « est coupable d’inceste rude et scandaleux avec sa fille Manuelita, qu’il a corrompue ». À propos de Manuelita, il dit encore que « la vierge candide est aujourd’hui une hommasse sanguinaire, qui porte sur le front la tache rĂ©pugnante de la perdition »[257].

Celui chargĂ© de porter le rapport Ă  Londres Ă©tait Florencio Varela[255] - [256]. PubliĂ© en feuilleton par le Times de Londres et par Le Constitutionnel de Paris, il servit de justificatif Ă  l’intervention franco-britannique contre le RĂ­o de la Plata. Robert Peel, qui approuva la dĂ©pense de la maison Lafone, versa des larmes lorsqu’il en donna lecture Ă  la tribune de la Chambre des communes, en demandant d’approuver l’intervention, et Thiers s’indigna de « la sauvagerie de ces descendants d’Espagnols » et associa la France Ă  l’intervention britannique[88].

Le blocus franco-britannique

Le gouvernement de Rosas avait interdit la navigation sur les eaux intĂ©rieures argentines afin de prĂ©server la douane de Buenos Aires, seul point par lequel on pouvait commercer avec l’étranger. L’Angleterre avait pendant longtemps rĂ©clamĂ© la libre navigation sur les fleuves ParanĂĄ et Uruguay pour pouvoir vendre ses produits ; cela aurait dans une certaine mesure provoquĂ© la destruction de la petite production locale. L'Ă©mergence de la navigation Ă  vapeur permettait de remonter les fleuves avec rapiditĂ©. Pour ces motifs le Royaume-Uni et la France qui avaient armĂ© d’importantes flottes commerciales et militaires composĂ©es de vaisseaux Ă  vapeur exigeaient la libre circulation sur les fleuves, ce qui leur assurerait le libre commerce.

Le , dans le cadre de ce contentieux, les flottes britannique et française bloquĂšrent le port de Buenos Aires et empĂȘchĂšrent la flotte portĂšgne de prĂȘter main-forte Ă  Oribe Ă  Montevideo, tandis que l’escadre de l’amiral Guillermo Brown fut de fait capturĂ©e par la flotte britannique. L’un des principaux objectifs politiques du blocus Ă©tait d’éviter que le jeune État oriental ne soit annexĂ© par Rosas et ne finisse par se retrouver sous la pleine souverainetĂ© de l’Argentine.

La flotte conjointe franco-britannique s’avança sur le fleuve ParanĂĄ, essayant d’entrer en contact avec le gouvernement rebelle de la province de Corrientes et avec le Paraguay, dont le nouveau prĂ©sident, Carlos Antonio LĂłpez, Ă©tait disposĂ© Ă  ouvrir quelque peu le rĂ©gime trĂšs fermĂ© hĂ©ritĂ© du docteur Francia. Les troupes franco-britanniques rĂ©ussirent Ă  vaincre la vigoureuse dĂ©fense que leur opposĂšrent les troupes de Rosas, commandĂ©es par son beau-frĂšre Lucio Norberto Mansilla, lors de la bataille de la Vuelta de Obligado, mais seront battues quelques mois plus tard Ă  la bataille de Quebracho. Ces batailles rendirent la victoire franco-britannique trop coĂ»teuse, raison pour laquelle semblable entreprise ne sera plus tentĂ©e par la suite. Si donc la bataille d’Obligado tourna Ă  la dĂ©route pour les forces de Rosas, elle fut cependant perçue comme un symbole de dĂ©fense de la souverainetĂ© nationale. L'action diplomatique habile du gouvernement de Rosas, doublĂ© de l'appui de JosĂ© de San MartĂ­n, finirent par transformer la dĂ©faite en victoire politique pour le gouvernement de la ConfĂ©dĂ©ration argentine, obligeant les puissances Ă  reconnaĂźtre son droit Ă  la souverainetĂ© sur les eaux intĂ©rieures.

Ayant appris les nouvelles sur la défense de la souveraineté argentine dans le Río de la Plata, le général José de San Martín, qui vivait en France, écrivit :

« Surtout, je retiens du gĂ©nĂ©ral Rosas qu’il a su dĂ©fendre avec toute l’énergie et Ă  toute occasion le drapeau national. Pour cela, aprĂšs le combat d’Obligado, je fus tentĂ© de lui envoyer l’épĂ©e avec laquelle j’ai contribuĂ© Ă  dĂ©fendre l’indĂ©pendance amĂ©ricaine, pour cet acte de bravoure, oĂč, avec quatre canons, il fit connaĂźtre Ă  l’escadre anglo-française que, en petit ou en grand nombre, sans compter les Ă©lĂ©ments, les Argentins savent toujours dĂ©fendre leur indĂ©pendance. »

— JosĂ© de San MartĂ­n[258]

DĂ©jĂ  dans son testament Ă©tabli le , soit un peu plus d’un an et demi avant Obligado, San MartĂ­n avait lĂ©guĂ© son sabre courbe, l’épĂ©e la plus prĂ©cieuse qu’il possĂ©dait, celle qu’il avait utilisĂ©e Ă  Chacabuco et Ă  MaipĂș, au gouverneur Rosas, qui la reçut aprĂšs le dĂ©cĂšs du libertador.

« Le sabre qui m’a accompagnĂ© dans toute la guerre de l’indĂ©pendance de l’AmĂ©rique du Sud, sera remis au gĂ©nĂ©ral de la RĂ©publique argentine don Juan Manuel de Rosas comme preuve de la satisfaction que, en tant qu’Argentin, j’ai eue Ă  voir la fermetĂ© avec laquelle il a soutenu l’honneur de la RĂ©publique contre les injustes prĂ©tentions des Ă©trangers qui essayaient de l’humilier. »

— JosĂ© de San MartĂ­n[259] - [260]

La Grande-Bretagne leva le blocus en 1847, bien que ce ne fĂ»t qu’en 1849, avec le traitĂ© Arana-Southern, que ce conflit sera clos dĂ©finitivement. La France tarda encore un an avant de signer le traitĂ© Arana-Le PrĂ©dour. Ces traitĂ©s reconnaissaient la navigation sur le fleuve ParanĂĄ comme « une navigation intĂ©rieure de la ConfĂ©dĂ©ration argentine et sujette seulement Ă  ses lois et rĂšglements, de mĂȘme que celle du fleuve Uruguay, en commun avec l’État oriental ».

La chute

Justo José de Urquiza, futur premier président de la Confédération argentine, se rebella contre Rosas.

La chute de Montevideo ne semblait plus qu’une question de temps : le blocus franco-britannique une fois levĂ©, le seul alliĂ© qui restait Ă  la ville Ă©tait le BrĂ©sil, qui, quoique garant de l’indĂ©pendance de l’Uruguay, n’avait jusque-lĂ  rien fait de plus que donner refuge aux colorados uruguayens, et avait exploitĂ© son statut d’alliĂ© Ă  son propre avantage. Cependant, Ă  peine la levĂ©e du blocus fut-elle connue, que des troupes brĂ©siliennes entreprirent des invasions partielles du territoire uruguayen. En , Rosas rompit les relations diplomatiques avec l’Empire du BrĂ©sil[261].

Le BrĂ©sil, comme avaient tentĂ© de le faire les puissances europĂ©ennes, s’efforçait de s’assurer un accĂšs aux marchĂ©s du CĂŽne sud en soutenant un gouvernement qui lui fĂ»t favorable en Uruguay. La diplomatie impĂ©riale prit contact avec Urquiza, qui s’opposait Ă  Rosas pour motifs Ă©conomiques en rapport avec la fermeture des grands fleuves et avec la douane unique Ă  Buenos Aires. L’absence d’une constitution nationale susceptible de contraindre Buenos Aires Ă  suivre une politique diffĂ©rente reprĂ©sentait un obstacle insurmontable, et Rosas faisait de son opposition Ă  cette constitution l’un des axes de son discours[252]. Plusieurs personnalitĂ©s du parti fĂ©dĂ©raliste accusĂšrent Rosas de se lancer dans cette nouvelle aventure militaire Ă  seule fin d’éterniser la situation de guerre pour en user ensuite comme excuse Ă  ne pas convoquer une assemblĂ©e constituante. Les plus clairvoyants parmi ses opposants unitaires s’étaient entre-temps convaincus qu’on ne pouvait vaincre Rosas avec les seuls unitaires ; le gĂ©nĂ©ral Paz, p. ex., croyait que quelqu’un des caudillos subalternes de Rosas irait le renverser, et songeait en particulier Ă  Urquiza.

Urquiza partageait la mĂȘme idĂ©ologie que Rosas, encore que son style fĂ»t diffĂ©rent Ă  plusieurs Ă©gards. Vers la fin de 1850, Rosas lui ordonna de couper court Ă  la contrebande de et vers Montevideo, qui avait fortement bĂ©nĂ©ficiĂ© Ă  Entre RĂ­os dans les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes[262]. Durement frappĂ© Ă©conomiquement, puisque le passage obligĂ© par les douanes de Buenos Aires pour commercer avec l’extĂ©rieur reprĂ©sentait un problĂšme Ă©conomique de premiĂšre grandeur pour sa province et que la libre navigation sur les grands fleuves Ă©tait nĂ©cessaire Ă  l’essor de l’économie d’Entre RĂ­os, Urquiza Ă©tait Ă  prĂ©sent disposĂ© Ă  affronter Rosas[6]. Cependant, s’étant avisĂ© qu’il n’était pas en mesure de battre Ă  la maniĂšre des unitaires — c’est-Ă -dire en se lançant Ă  l’aventure — un ennemi aussi puissant, il conclut, au terme de plusieurs mois de nĂ©gociations, une alliance secrĂšte avec Corrientes et avec le BrĂ©sil ; le gouvernement impĂ©rial s’engageait Ă  financer ses campagnes militaires et Ă  assurer le transport de ses troupes dans des vaisseaux brĂ©siliens, en plus de lui remettre d’importantes sommes d’argent pour usage personnel.

Rosas prĂ©voyait qu’il aurait Ă  affronter le BrĂ©sil, nomma Urquiza commandant de la future campagne militaire contre l’Empire, et lui fit parvenir armes et troupes[263]. Pour sa part donc, Urquiza en conclut que l’organisation constitutionnelle du pays Ă©tait renvoyĂ©e aux calendes grecques[264], et le , Ă  l’issue de plusieurs nĂ©gociations avec l’Empire[265], le pronunciamiento d’Urquiza fut rendu public, dans lequel Ă©tait annoncĂ©e l’adoption prochaine d’une constitution et la rĂ©vocation des pouvoirs dĂ©lĂ©guĂ©s par sa province Ă  Rosas, notamment la compĂ©tence en matiĂšre d’affaires Ă©trangĂšres[266]. Le , il signa avec le gouvernement de Montevideo, avec la province de Corrientes et avec l’Empire du BrĂ©sil un traitĂ© d’alliance pour mettre un terme au siĂšge de Montevideo[267].

La bataille de Caseros entraĂźna la chute de Rosas.

Tandis qu’avec l’appui de la flotte brĂ©silienne, qui pĂ©nĂ©tra dans les fleuves ParanĂĄ et Uruguay, Urquiza envahit l’Uruguay, Rosas dĂ©clara en juillet la guerre au BrĂ©sil, avec l’arriĂšre-pensĂ©e de mettre Ă  profit cette guerre pour reconquĂ©rir les Missions orientales annexĂ©es par le BrĂ©sil (et actuellement situĂ©es dans l’État du Rio Grande do Sul). Lorsqu’Urquiza fut parvenu devant Montevideo, les troupes assiĂ©geantes firent dĂ©fection et allĂšrent se placer sous la banniĂšre d’Urquiza, Ă  la suite de quoi Manuel Oribe finit par capituler et dut remettre le gouvernement aux mains d’une alliance de dissidents de son propre parti et des colorados de Montevideo. Les assaillants autant que les assiĂ©gĂ©s furent ainsi incorporĂ©s dans les forces d’Urquiza[268]. Au surplus, Urquiza fit main basse sur l’armement argentin mis Ă  la disposition des assaillants.

En novembre, les alliĂ©s conclurent un deuxiĂšme traitĂ©, oĂč les signataires s’engageaient Ă  renverser Rosas[269]. Le BrĂ©sil injecta une forte somme d’argent dans la campagne, pour partie Ă  titre de subside, pour partie sous forme de prĂȘt[270] - [271]. Les gouvernements des provinces de l’intĂ©rieur, s’ils lancĂšrent toutes sortes d’invectives et de menaces contre Urquiza, s’abstinrent toutefois d’envoyer la moindre aide Ă  Rosas[245] - [272].

La Grande ArmĂ©e, sous le commandement d’Urquiza, totalisant plus de 30 000 hommes[273], envahit la province de Santa Fe et infligea une dĂ©faite au gouverneur Pascual EchagĂŒe[274]. Rosas disposait certes d’une quantitĂ© Ă©quivalente d’armements et de troupes[275], mais chez ces derniĂšres, l’enthousiasme avait commencĂ© Ă  faire dĂ©faut, y compris chez nombre d’officiers.

AprĂšs la defection de Pacheco, Rosas prit lui-mĂȘme le commandement de ses forces armĂ©es[276], mais se contenta d’attendre passivement dans les environs de Buenos Aires[277]. Il livra bataille Ă  Caseros le , oĂč la Grande ArmĂ©e l’emporta sans difficultĂ©. Rosas quitta le champ de bataille et, accompagnĂ© seulement d’un adjudant, se dirgea vers la ville, oĂč il rĂ©digea, sur le lieu-dit Hueco de los sauces (actuelle Plaza Garay, dans le centre-ville de Buenos Aires), sa lettre de dĂ©mission :

« Je crois avoir rempli mon devoir envers mes concitoyens et compagnons. Si nous n’avons pas fait davantage pour la sauvegarde de notre indĂ©pendance, de notre identitĂ© et de notre honneur, c’est parce que nous n’avons pas pu en faire plus. »

— Juan Manuel de Rosas[278] - [279].

Ensuite, il alla se rĂ©fugier dans la lĂ©gation de Grande-Bretagne, et quelques jours aprĂšs s’embarqua pour l’Angleterre, oĂč il rĂ©sida jusqu’à sa mort, en 1877[280].

La nouvelle de Caseros Ă©branla les provinces, et dans les semaines suivantes, la moitiĂ© de leurs gouverneurs furent remplacĂ©s par des fĂ©dĂ©ralistes modĂ©rĂ©s ; le reste se pressa de nouer des contacts amicaux avec Urquiza[281] - [282]. La pĂ©riode rosiste Ă©tait ainsi rĂ©volue, et s’engagea alors celle dite de l’Organisation nationale ; la Constitution nationale fut sanctionnĂ©e l’annĂ©e suivante, et en 1854, Urquiza prenait ses fonctions en qualitĂ© de premier prĂ©sident constitutionnel du pays[283].

Au lendemain de Caseros

Exil

AprĂšs la bataille de Caseros, dans l’aprĂšs-midi, Juan Manuel de Rosas se rĂ©fugia dans le consulat britannique et se mit sous la protection du consul et chargĂ© d'affaires du Royaume-Uni, le capitaine Robert Gore, puis rejoignit l’Angleterre Ă  bord du vaisseau de guerre britannique Conflict. En effet, plusieurs mois avant sa chute, Rosas avait obtenu un arrangement avec Robert Gore concernant sa protection et l’octroi de l’asile dans l’éventualitĂ© de sa dĂ©faite[284]. Il fut accueilli en Angleterre avec les honneurs, sous les espĂšces de 12 coups de canon, auxquels, selon le secrĂ©taire aux Affaires Ă©trangĂšres James Harris, Rosas avait droit en considĂ©ration de ce que « le gĂ©nĂ©ral Rosas n’était pas un rĂ©fugiĂ© ordinaire, mais en Ă©tait un qui avait fait montre d’une grande distinction et d’une grande affabilitĂ© envers les nĂ©gociants britanniques qui faisaient commerce avec son pays »[285]. Ce n’est qu’une des maintes contradictions de sa vie, que d’avoir trouvĂ© refuge dans le pays avec lequel il avait Ă©tĂ© en conflit Ă  plusieurs reprises.

Portrait d’un Rosas vieillissant pendant ses annĂ©es d’exil.

Il avait vendu une de ses estancias avant la confiscation et se fixa Ă  Swaythling, dans les environs de Southampton[286], oĂč il se fit mĂ©tayer dans une ferme qu’il avait prise en location[287] et oĂč il s’ingĂ©nia Ă  reproduire les caractĂ©ristiques et allures d’une estancia pampĂ©enne. Il prit Ă  son service un rĂ©gisseur et de deux Ă  quatre ouvriers, Ă  qui il payait un salaire au-dessus de la moyenne[288].

Les deux enfants qu’il avait eu d’EncarnaciĂłn Ezcurra le suivirent dans son exil, encore que Juan Bautista s’en revĂźnt bientĂŽt en Argentine avec sa famille. Sa fille Manuela Ă©pousa le fils d’un ancien associĂ© de Rosas, dĂ©cision que Rosas ne lui pardonnera jamais. En pĂšre dominateur, il voulait que sa fille lui restĂąt entiĂšrement dĂ©vouĂ©e, et Ă  lui seul. Nonobstant qu’il lui interdĂźt de lui Ă©crire ou de venir le visiter, Manuela lui demeura loyale et garda le contact[289].

Pendant son exil, il reçut trĂšs peu de visites, mais Ă©crivit un bon nombre de lettres Ă  ses anciens amis. En gĂ©nĂ©ral, ses Ă©pĂźtres traitaient de sa situation Ă©conomique, contenaient des tĂ©moignages sur sa propre vie, et dans quelques cas abordaient des sujets de l’actualitĂ© politique. Compliquant davantage encore son image, dĂ©jĂ  fort controversĂ©e, il Ă©crivit Ă  Mitre que ce qui conviendrait Ă  Buenos Aires serait de se sĂ©parer du reste de l’Argentine et de s’ériger en un État indĂ©pendant[290].

Il n’apprit jamais à parler l’anglais, ni d’ailleurs aucune autre langue[291].

Pendant son exil, Rosas ne se trouva pas dans le dĂ©nuement, mais vĂ©cut modestement, au milieu de contraintes financiĂšres, pendant tout le restant de son existence[292]. Quelques amis loyaux, trĂšs peu nombreux, lui envoyaient de l’argent, mais cela ne suffisait jamais[293]. Urquiza, naguĂšre son alliĂ© et plus tard son ennemi, se rĂ©concilia avec Rosas et lui fit parvenir une assistance financiĂšre, en escomptant comme contrepartie son appui politique, alors qu’en fait de capital politique, Rosas se trouvait alors fort dĂ©muni[294]. Pendant son exil, Rosas suivit les Ă©vĂ©nements d’Argentine, espĂ©rant toujours l’occasion d’y retourner, mais s’abstint de s’ingĂ©rer Ă  nouveau dans les affaires argentines[295]. MalgrĂ© les soucis pĂ©cuniaires constants, Rosas prit plaisir Ă  la vie Ă  la ferme, observant une fois : « je me considĂšre maintenant heureux dans cette ferme, vivant dans des circonstances modestes, comme vous pouvez le voir, gagnant durement ma vie Ă  la sueur de mon front »[296]. Un contemporain le dĂ©crivit tel qu’il Ă©tait dans ses derniĂšres annĂ©es : « Il avait alors 80 ans, restĂ© bel homme et imposant ; ses maniĂšres Ă©taient des plus raffinĂ©es, et son modeste environnement n’enlevait rien Ă  son air de grand seigneur, hĂ©ritĂ© de sa famille »[297]. Au lendemain d’une promenade, par un jour froid, Rosas contracta une pneumonie, et succomba dans la matinĂ©e du . À l’issue d’une messe privĂ©e, Ă  laquelle assistĂšrent sa famille et quelques amis, il fut inhumĂ© dans l’Old Cemetery (vieux cimetiĂšre) de Southampton[298].

Jugement et sentence contre Rosas

L’État de Buenos Aires lança contre Rosas une procĂ©dure judiciaire criminelle ; dĂšs avant que celle-ci ne fĂ»t arrivĂ©e Ă  son terme, le , le SĂ©nat de Buenos Aires adopta un projet de loi oĂč Rosas Ă©tait qualifiĂ© de « criminel de lĂšse-patrie » (reo de lesa patria) et par lequel la justice des tribunaux fut dĂ©clarĂ©e compĂ©tente pour juger des dĂ©lits ordinaires dont Rosas Ă©tait incriminĂ©[299]. En 1857, la LĂ©gislature de la province de Buenos Aires dĂ©clara Juan Manuel de Rosas « traĂźtre Ă  la Patrie » et sanctionna la Loi sur la mise en jugement de Juan Manuel Rosas[300]. Une certaine partialitĂ© se laisse entrevoir derriĂšre les arguments employĂ©s par les dĂ©putĂ©s se trouvant Ă  l’initiative de ladite loi :

« Que dira l’Histoire lorsqu’on voit que l’Angleterre a restituĂ© Ă  ce tyran les canons pris pendant l’action de guerre et saluĂ© d’une salve de 21 coups de canon son pavillon ensanglantĂ© et entachĂ© ? La France, qui fit cause commune avec les ennemis de Rosas, qui commença la croisade en la personne du gĂ©nĂ©ral Lavalle, l’abandonna en son temps et traita avec Rosas, et devait elle aussi saluer son pavillon avec 21 coups de canon. [...] Que dira-t-on dans l’Histoire, et il est triste de dire cela, quand on saura que le vaillant amiral Brown, le hĂ©ros de la Marine de guerre de l’IndĂ©pendance, fut l’amiral qui dĂ©fendit la tyrannie de Rosas ? Que le gĂ©nĂ©ral San MartĂ­n, vainqueur des Andes, le pĂšre des gloires argentines, lui rendit l’hommage le plus grandiose qui puisse se rendre Ă  un militaire, en lui remettant son Ă©pĂ©e ? Verra-t-on cet homme, Rosas, dans 20 ou 50 ans, tel que nous le voyons, nous, 5 ans aprĂšs sa chute, si nous ne nous rĂ©solvons pas Ă  voter une loi qui le chĂątie dĂ©finitivement avec le titre d’infamie de traĂźtre ? Non monsieur, nous ne pouvons laisser Ă  l’Histoire le jugement sur Rosas, parce que si nous ne disons pas dĂšs maintenant qu’il Ă©tait un traĂźtre, et n’enseignons pas Ă  l’école Ă  le haĂŻr, Rosas ne sera pas considĂ©rĂ© par l’Histoire comme un tyran, et peut-ĂȘtre le sera comme le plus grand et le plus glorieux des Argentins. »

— DĂ©putĂ© NicolĂĄs Albarellos, 1857[301]

La sentence du juge Sixto Villegas, confirmĂ© par la Cour d’appel et par le Tribunal supĂ©rieur, s’énonçait comme suit :

« Par des crimes avĂ©rĂ©s, si nombreux et si horribles, commis contre l’homme, contre la patrie, contre la Nature, contre Dieu [...] En application des lois, au nom des gĂ©nĂ©rations qui passent et demandent justice et au nom des gĂ©nĂ©rations qui viennent et attendent un exemple [...] Je condamne, comme je me dois, Juan Manuel de Rosas Ă  la peine ordinaire de mort sur le mode lĂ©ger ; Ă  la restitution des avoirs dĂ©robĂ©s aux particuliers et au fisc, et Ă  ĂȘtre exĂ©cutĂ© au jour et Ă  l’heure indiquĂ©s, Ă  San Benito de Palermo, dernier foyer de ses crimes (...)[302] »

— Sixto Villegas

Mort de Rosas et destin du manoir de Palermo

MĂ©morial Ă  Rosas dans l’Old Cemetery (Vieux CimetiĂšre) Ă  Southampton.

Rosas mourut en exil le , dans sa demeure de Southampton, avec à ses cÎtés sa fille Manuelita.

Lorsque la nouvelle de sa mort parvint Ă  Buenos Aires, le gouvernement argentin interdit d’organiser la moindre cĂ©rĂ©monie funĂšbre, ni de cĂ©lĂ©brer une messe pour le bien de son Ăąme, mais commanda des sĂ©ances de priĂšres pour les victimes de sa tyrannie.

Le manoir de Rosas, San Benito de Palermo, resta Ă  l’abandon aprĂšs le dĂ©part en exil de Rosas, et tomba dans le dĂ©labrement au cours de la dĂ©cennie suivante. L’édifice fut ensuite utilisĂ© par le gouvernement national Ă  diverses fins : pour abriter le CollĂšge militaire, l’École navale, etc.[303], tandis que le prĂ©sident Domingo Faustino Sarmiento faisait transformer les terrains de l’ancienne exploitation agricole en un espace public, le parc du Trois-FĂ©vrier (Parque 3 de Febrero), ainsi nommĂ© en souvenir de la bataille de Caseros. Le bĂątiment resta debout jusqu’au , quand le maire de Buenos Aires Adolfo Bullrich ordonna sa dĂ©molition, sous de trĂšs faibles protestations du public.

L’aprùs-Rosas

Au lendemain de la chute de Juan Manuel de Rosas, Urquiza dĂ©clara qu’il n’y aurait « ni vainqueurs ni vaincus »[304], et se hĂąta de rĂ©unir le CongrĂšs constituant de Santa Fe, qui Ă©labora et sanctionna la Constitution argentine de 1853, le de cette annĂ©e. L’annĂ©e suivante, Urquiza accĂ©da Ă  la prĂ©sidence de l’Argentine. Cependant, la province de Buenos Aires, dominĂ©e alors par les unitaires, rejoints par beaucoup d’anciens collaborateurs de Rosas, refusa de reconnaĂźtre ladite constitution et fit sĂ©cession d’avec le reste du pays. En 1859, l’Argentine fut lĂ©galement rĂ©unifiĂ©e (avec la province de Buenos Aires), encore que la rĂ©unification effective n’eĂ»t lieu — par la force — qu’en 1861.

AprĂšs le dĂ©part de Rosas, il n’y eut pas de changement significatif dans les mƓurs politiques, et les gouvernants qui succĂ©dĂšrent Ă  Rosas et Ă  ses alliĂ©s, et qui s’étaient opposĂ©s Ă  son rĂ©gime en se plaignant des persĂ©cutions, traiteront leurs opposants avec cruautĂ©, leur dĂ©niant les droits les plus Ă©lĂ©mentaires, et exĂ©cutant nombre d’entre eux avec l’excuse qu’ils n’étaient pas des combattants en armes, mais de vulgaires bandits.

Les critiques les plus emblĂ©matiques de Rosas et de son gouvernement Ă©taient des personnalitĂ©s politiques d’idĂ©ologie libĂ©rale, comme Mitre et Sarmiento, ceux-ci en particulier ayant dĂ» Ă©migrer vers d’autres pays, comme l’Uruguay et le Chili. AprĂšs la bataille de Caseros, tous revinrent en Argentine en mĂȘme temps que les centaines d’autres exiliĂ©s du rosisme. Du vivant encore de l’ancien gouverneur, le penseur argentin JosĂ© Manuel Estrada Ă©mit sur Rosas l’opinion suivante :

« Il tyrannisa pour tyranniser, il tyrannisa par voluptĂ©, par vocation, sous l’impulsion de je ne sais quelle fatalitĂ© organique, sans donner au pays la paix qu’il avait promise, bien au contraire, apportant d’un bout Ă  l’autre de la RĂ©publique la dĂ©pravation et le fer, et dĂ©truisant toutes les conditions morales et juridiques sur lesquelles repose l’ordre des sociĂ©tĂ©s humaines. »

— JosĂ© Manuel Estrada (1873)[305]

Alberdi en revanche, bien qu’il eĂ»t Ă©tĂ© contraint lui aussi de s’exiler, bascula d’une forte opposition initiale vers une attitude de justification appuyĂ©e sur l’idĂ©e de la nĂ©cessitĂ© d’une autoritĂ© nationale forte ; il rendit visite Ă  Rosas Ă  Southampton en 1857 et entretint avec lui une brĂšve correspondance Ă©pistolaire[306]. Alberdi fit aussi la dĂ©claration suivante :

« Bien qu’en tant qu’homme de parti [je fusse] opposĂ© Ă  Rosas, j’ai dit que j’écris ceci avec les couleurs argentines. À mes yeux, Rosas n’est pas qu’un simple tyran. S’il y a dans sa main un gourdin de fer ensanglantĂ©, je vois aussi sur sa tĂȘte la cocarde de Belgrano. L’amour de parti ne m’aveugle pas au point de ne pas reconnaĂźtre ce qu’est Rosas. »

— Juan Bautista Alberdi[307]

La pensĂ©e d’Alberdi et son ouvrage Bases y puntos de partida para la organizaciĂłn polĂ­tica de la RepĂșblica Argentina (littĂ©r. Bases et points de dĂ©part pour l’organisation politique de la RĂ©publique argentine) prĂ©sidĂšrent, au mĂȘme titre que le modĂšle amĂ©ricain et que les constitutions argentines antĂ©rieures, Ă  la genĂšse de la nouvelle Constitution nationale de 1853.

Au XXe siĂšcle, le chercheur Tulio HalperĂ­n Donghi soutint que Rosas

« Ă©tait un autocrate de nature, et jusqu’à la fin de ses jours se montra convaincu de ce qu’il fallait gouverner les pays avec une main de fer pour Ă©viter ce qu’il considĂ©rait leur tendance naturelle Ă  l’anarchie. D’aucuns affirment que Rosas connaissait l’Ɠuvre du Français Bossuet, dĂ©fenseur de l’absolutisme monarchique, dont il devait reproduire les idĂ©es textuellement dans ses Ă©crits : “Un Roi pouvant ĂȘtre comparĂ© Ă  un pĂšre, on peut rĂ©ciproquement comparer un pĂšre Ă  un roi [...] Aimer, gouverner, rĂ©compenser et punir, voilĂ  tout ce qu’ont Ă  faire un pĂšre et un Roi”. »

— Tulio Halperín Donghi (historien argentin[308])

De nombreux intellectuels continuent aujourd’hui de dĂ©fendre un point de vue fortement nĂ©gatif sur Rosas, lui reprochant sa tyrannie. C’est le cas en particulier d’Alberto Benegas Lynch (fils), qui dans son article Juan Manuel de Rosas: perfil de un tirano, donne un aperçu des opinions d’auteurs trĂšs diffĂ©rents, mais souscrivant tous Ă  cette position[309].

Bilan de l’époque rosienne

Juan Manuel de Rosas, portrait de 1842.

L’historiographie libĂ©rale du XIXe siĂšcle argentin, qui eut en les personnes de BartolomĂ© Mitre et de Vicente Fidel LĂłpez ses plus Ă©minents exposants et diffuseurs, avait coutume d’attribuer aux annĂ©es qui suivirent la chute de Rosas le mĂ©rite de grandes transformations en Argentine ; l’époque rosienne, Ă  l’inverse, n’aurait Ă©tĂ© qu’une longue pĂ©riode de stagnation, politiquement et culturellement stĂ©rile ; cependant, ce tableau nĂ©gatif s’explique davantage par les positions idĂ©ologiques de ses auteurs que d’un examen attentif des faits[310] - [311]. Pour leur part, les historiens rĂ©visionnistes considĂšrent que c’était une pĂ©riode oĂč fut menĂ©e une tentative d’organisation sociale et politique autonome, tentative qui allait faire long feu dans la pĂ©riode suivante, celle dite Organisation nationale[312].

Sous Rosas, la sociĂ©tĂ© argentine avait Ă©tĂ© dĂ©barrassĂ©e de toute dissidence ; ceux qui ne s’étaient pas placĂ©s sous la banniĂšre du parti gouvernant durent Ă©migrer et seront, dans bon nombre de cas, assassinĂ©s. Dans l’intĂ©rieur du pays, l’adhĂ©sion automatique Ă  Rosas fut imposĂ©e soit par la force armĂ©e de Buenos Aires, soit par des caudillos locaux alliĂ©s de Rosas, dont beaucoup n’avaient Ă©mergĂ© que comme Ă©manations de la volontĂ© de Rosas, tels que Nazario BenavĂ­dez dans la province de San Juan, Mariano Iturbe dans celle de Jujuy, ou Pablo Lucero dans celle de San Luis.

Il n’est jusqu’à l’ascension au pouvoir de Justo JosĂ© de Urquiza dans la province d’Entre RĂ­os qui ne fĂ»t l’Ɠuvre de Rosas, toutefois Urquiza Ă©tait un cas Ă  part : il Ă©tait le gĂ©nĂ©ral le plus capable dans le camp fĂ©dĂ©raliste, comparable seulement Ă  Pacheco. AprĂšs Arroyo Grande, c’est lui qui avait remportĂ© la plupart des victoires fĂ©dĂ©ralistes importantes, avec des troupes d’Entre RĂ­os et quelques renforts de Buenos Aires. En deuxiĂšme lieu, il Ă©tait un homme trĂšs fortunĂ©, qui sut mettre Ă  profit sa position politique pour s’enrichir davantage encore. Enfin, sa qualitĂ© de militaire obligeait Rosas Ă  clore un Ɠil quand Urquiza autorisait la contrebande de et vers Montevideo.

Au-delĂ  des diffĂ©rences de style Ă©videntes — et dans quelques cas plus apparentes que rĂ©elles — entre Rivadavia et Rosas, les deux parties de la pĂ©riode comprise entre 1820 et 1852 ont une sĂ©rie de caractĂ©ristiques communes. C’est au profit de leur province que tant Rivadavia que Rosas voulaient garder tout le pouvoir, et tous deux exercĂšrent leur domination sur l’intĂ©rieur au travers du commerce extĂ©rieur et de la politique douaniĂšre. Tous deux intervinrent militairement dans les provinces de l’intĂ©rieur lorsqu’ils estimaient que l’influence politique seule ne suffisait pas Ă  assurer leur domination, et tous deux eurent soin de repousser toute tentative d’institutionnaliser le pays aussi longtemps que la prĂ©pondĂ©rance portĂšgne n’était pas garantie ; l’expĂ©rience de Rivadavia avait convaincu Rosas qu’il valait mieux maintenir le pays dĂ©pourvu d’institutions fĂ©dĂ©rales et laisser en place un systĂšme de nĂ©gociations entre provinces souveraines[67] - [313].

Sur le plan Ă©conomique, la pĂ©riode vit la confirmation du modĂšle agro-exportateur (exportation de matiĂšres premiĂšres agricoles contre importation de produits manufacturĂ©s) amorcĂ© dans la premiĂšre dĂ©cennie suivant l’indĂ©pendance et configurĂ© plus avant sous Rivadavia. L’ouverture commerciale ne fut pas contestĂ©e, pas mĂȘme par la Loi douaniĂšre de Rosas, laquelle ne faisait guĂšre plus que de tenter de rĂ©guler quelques-unes des importations, sans remettre en question le schĂ©ma de base agro-exportateur. La rĂ©gion du Litoral connut une croissance trĂšs rapide, avec certes des fluctuations dues Ă  la situation politique, au climat et aux alĂ©as du marchĂ©, tandis que les provinces de l’intĂ©rieur devenaient de simples approvisionneurs du Litoral, sans fournir de marchandises exportables[314]. La principale diffĂ©rence avec le rĂ©gime de Rivadavia fut que dans la pĂ©riode rosienne, c’étaient les propriĂ©taires de grands domaines agricoles (les estancieros), c’est-Ă -dire les bĂ©nĂ©ficiaires du modĂšle agro-exportateur, qui dĂ©tenaient presque tout le pouvoir politique[315]. La Loi douaniĂšre de 1836, inĂ©galement appliquĂ©e, fut suspendue et remise en vigueur au grĂ© des nĂ©cessitĂ©s et des blocus navals ; cette flexibilitĂ© permit une forte croissance Ă©conomique dans les provinces intĂ©rieures, comme ce fut plus particuliĂšrement le cas d’Entre RĂ­os, mais pas seulement.

MalgrĂ© l’absence de donnĂ©es prĂ©cises, on peut supposer l’existence d’un important flux migratoire intĂ©rieur, des provinces de l’intĂ©rieur vers le Litoral fluvial, lequel avait au surplus reçu un important flux d’immigration (difficile Ă  chiffrer) en provenance d’Europe, en particulier d’Espagne (surtout de Galice et du Pays basque) et d’Italie[316], et Ă  partir de la Grande Famine, Ă©galement d’Irlande, voire d’Angleterre[317]. Cependant, cette immigration avait des caractĂ©ristiques totalement diffĂ©rentes de celles de l’immigration massive postĂ©rieure Ă  la chute de Rosas ; en effet, ces immigrants ne se fixaient pas dans des colonies agricoles, mais devaient s’insĂ©rer dans une sociĂ©tĂ© dominĂ©e par les criollos, Argentins de longue date et de souche espagnole. Beaucoup d’Irlandais et de Basques se vouĂšrent Ă  l’élevage des ovins, et devinrent propriĂ©taires au bout de peu d’annĂ©es. L’élevage exclusivement bovin fut donc remplacĂ© par un type d’élevage oĂč prĂ©dominaient les ovins, et dans lequel le principal article d’exportation Ă©tait, Ă  un degrĂ© croissant, la laine, ce qui eut pour effet d’accentuer encore la dĂ©pendance Ă©conomique vis-Ă -vis de la Grande-Bretagne, principal dĂ©bouchĂ© pour la laine au monde.

Sur le plan culturel, la pĂ©riode prĂ©sente une discontinuitĂ© notable avec l’époque antĂ©rieure : aprĂšs les efforts de Rivadavia pour moderniser et europĂ©aniser la culture et l’enseignement, et pour rompre avec le modĂšle colonial, les dirigeants fĂ©dĂ©ralistes s’appliquĂšrent Ă  dĂ©velopper une culture nationale propre, sans pour autant se raidir particuliĂšrement ni sur la continuitĂ© ni sur la discontinuitĂ© par rapport avec la situation antĂ©rieure[318].

Postérité et perception de la figure de Rosas

Couverture de l'ouvrage Vida política de Juan Manuel de Rosas a través de su correspondencia du révisionniste Julio Irazusta (1953).

Dans les annĂ©es 1880 eurent lieu quelques tentatives sĂ©rieuses de rĂ©Ă©valuer la figure de Rosas, en particulier les travaux universitaires d’Adolfo SaldĂ­as, de Vicente et Ernesto Quesada, et de Manuel Bilbao. Plus tard, un mouvement historiographique plus impĂ©tueux, dit rĂ©visionnisme historique, se fit jour comme partie constitutive et volet historiographique[319] - [320] - [321] - [322] d’un renouveau nationaliste gĂ©nĂ©ral, lequel avait surgi en Argentine dans la dĂ©cennie 1920 et atteindra son apogĂ©e dans les annĂ©es 1930, souvent en se cristallisant dans des groupements d’extrĂȘme droite inspirĂ©s d’idĂ©ologies autoritaires[323] - [324] - [325] - [326] ayant cours Ă  la mĂȘme Ă©poque — telles que le fascisme, le nationalisme intĂ©gral maurassien, puis le franquisme —, et non exempts parfois d’antisĂ©mitisme[327] - [328] - [325] et de racisme[329]. Les milieux nationalistes s’employĂšrent Ă  idĂ©aliser Rosas et son rĂ©gime, les dĂ©peignant comme de farouches dĂ©fenseurs de l’indĂ©pendance nationale et comme des parangons de vertu politique[330] - [322] - [331].

L’une des figures de proue du rĂ©visionnisme Ă©tait Julio Irazusta, en particulier en raison de son livre de 1934, intitulĂ© La Argentina y el imperialismo britĂĄnico, qui passe aujourd’hui pour ĂȘtre le coup d’envoi du mouvement rĂ©visionniste. La grande nouveautĂ© du livre, qui ne manqua d’ĂȘtre remarquĂ© par la critique de son temps, gisait dans la troisiĂšme partie, oĂč, selon les termes de Julio Irazusta, « pour la premiĂšre fois, est tentĂ©e une revendication totale de l’Ɠuvre de Rosas »[332]. Rosas Ă©mergeait Ă  prĂ©sent non seulement avec ses dĂ©fauts, mais aussi avec toutes ses vertus, que la guerre civile entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes avait jusque-lĂ  empĂȘchĂ© d’apprĂ©cier. Julio Irazusta entreprit ensuite une relecture complĂšte de la vision unitaire de l’histoire argentine, en mĂȘme temps qu’une certaine apologie du « Restaurateur des lois », qui pour Julio Irazusta constituait « la clef de l’histoire argentine ». Dans son essai de 1934, il dĂ©nonça que le caudillo avait Ă©tĂ© « abhorrĂ© sans avoir Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© » par les politiciens et intellectuels libĂ©raux, et releva de graves erreurs d’apprĂ©ciation chez les dĂ©tracteurs du Restaurador. L’une d’elles consistait Ă  « appliquer Ă  telle Ă©poque les catĂ©gories qui appartiennent Ă  une autre » ; une autre erreur « plus nocive, car plus habile », Ă©tait de « juger, selon leur convenance, ses desseins par le rĂ©sultat, ou ses Ɠuvres par ses desseins ». Une « haine hĂ©ritĂ©e » avait fait obstacle Ă  la rĂ©flexion historique, « dont le devoir consiste Ă  ĂȘtre toujours plus impartial Ă  mesure que l’on s’éloigne des faits que l’on examine ». Rosas, Ă©crivit-il, « fut le meilleur tempĂ©rament d’homme d’action dans le pays », un « bastion de force [...], un mĂŽle de granit au milieu de la turbulence de caractĂšres qui s’agitent Ă  son alentour ». Le caudillo, insiste-t-il encore, « fut le gouvernant argentin qui sut le mieux s’entourer d’hommes capables de l’assister », et son administration « celle qui permit au plus grand nombre de figures historiques (prĂłceres) d’accĂ©der aux conseils de gouvernement, et ce pour la durĂ©e la plus longue ». Les capacitĂ©s, la prudence et le savoir-faire Ă©taient, par opposition aux tergiversations des autres, les caractĂ©ristiques qui distinguaient l’équipe rosiste dans ces temps d’anarchie et de guerre civile intermittente[332].

Toutefois, le rĂ©visionnisme Ă©choua Ă  ĂȘtre pris au sĂ©rieux, en raison notamment de leur dĂ©sinvolture vis-Ă -vis des normes historiographiques universitaires, entraĂźnant leur marginalisation institutionnelle[333], et se heurtera bientĂŽt ouvertement, dĂšs la dĂ©cennie 1930, Ă  l’opposition de Ricardo Levene et de sa Nueva Escuela HistĂłrica, qui reprochaient aux rĂ©visionnistes de s’ingĂ©nier Ă  dĂ©crire l’histoire Ă  partir de points de vue actuels et pour servir des desseins politiques. Entre-temps, les sentiments des Argentins envers Rosas — mĂ©lange de fascination et d'Ă©pouvante — n’avaient guĂšre changĂ© et ne changeront guĂšre par la suite. L’historien William Spence Robertson Ă©crivit en 1930 :

« Parmi les personnages Ă©nigmatiques de l’Âge des dictateurs en AmĂ©rique du Sud, aucun ne joua un rĂŽle plus spectaculaire que le dictateur argentin Juan Manuel de Rosas, dont la figure gigantesque et fatidique hanta le RĂ­o de la Plata pendant plus de vingt ans. Tant fut despotique son pouvoir que des auteurs argentins ont eux-mĂȘmes ont surnommĂ© cette Ă©poque de leur histoire la Tyrannie de Rosas[334]. »

La figure de Rosas continua donc d’agir comme un urticant, et aucun hommage ne lui sera rendu jusqu’à l’avant-derniĂšre dĂ©cennie du XXe siĂšcle, Ă  telle enseigne qu’en 1961, William Dusenberry pouvait Ă©crire :

« Rosas est un souvenir nĂ©gatif en Argentine. Il laissa derriĂšre lui la lĂ©gende noire de l’histoire argentine — lĂ©gende que l’Argentine souhaite en gĂ©nĂ©ral oublier. Il n’y a, dans toute la nation, aucun monument qui lui soit vouĂ© ; aucun parc, aucune place ou rue ne porte son nom[335]. »

Actualité et hommages

Tombeau de Rosas dans le cimetiĂšre de la Recoleta.

Dans les annĂ©es 1980, au sortir de la dictature militaire, et au lendemain de graves crises Ă©conomiques et d’une dĂ©faite dans la guerre des Malouines, l’Argentine apparaissait comme une nation fracturĂ©e et profondĂ©ment divisĂ©e. Le prĂ©sident Carlos Menem, en exĂ©cution d’une loi promulguĂ©e en 1974 par la prĂ©sidente MarĂ­a Estela MartĂ­nez de PerĂłn, et dans l’espoir de restaurer l’unitĂ© de tous les Argentins, rĂ©solut de rapatrier les restes de Juan Manuel de Rosas, demeurĂ©s pendant plus d’un siĂšcle loin du sol argentin[336]. Le , Ă  l’issue d’un long cortĂšge solennel organisĂ© par le gouvernement, les restes de Rosas furent inhumĂ©s dans le panthĂ©on familial au cimetiĂšre de Recoleta Ă  Buenos Aires[337].

La prĂ©sidente Cristina FernĂĄndez de Kirchner cĂ©lĂ©brant en 2010 le Jour de la souverainetĂ© nationale auprĂšs d’une effigie de Rosas, sur le site de la bataille de la Vuelta de Obligado (dans le partido de San Pedro).

En 1999 fut Ă©rigĂ© le premier monument en son honneur, sur la Plaza Intendente Seeber, Ă  l’angle de l’Avenida del Libertador et de l’Avenida General Sarmiento, dans le parc du Trois-FĂ©vrier (Parque 3 de Febrero), dans le quartier portĂšgne de Palermo[338].

Une station de la ligne B du mĂ©tro de Buenos Aires a Ă©tĂ© nommĂ©e Ă  son nom, mais aucune rue ou avenue de la capitale ne le commĂ©more. Dans d’autres localitĂ©s d’Argentine au contraire, la toponymie urbaine locale lui rend hommage : Ă  La Matanza, la Ruta Nacional 3 s’appele Avenida Brigadier General Juan Manuel de Rosas ; Ă  Jose LeĂłn SuĂĄrez (dans le partido de Gral San MartĂ­n), le tronçon de la route no 4 porte Ă©galement son nom ; la voie sur berge de la ville de San Carlos de Bariloche a aussi Ă©tĂ© baptisĂ©e Ă  son nom, ainsi qu’une rue dans le centre de la ville de Rosario.

En 1991, les Postes argentines ont Ă©mis un timbre-poste d’une valeur de 4000 australs, faisant rĂ©fĂ©rence au « rapatriement des restes du brigadier-gĂ©nĂ©ral don Juan Manuel de Rosas » et portant son effigie.

À partir de 1992, les billets de 20 pesos Ă©taient ornĂ©s de sa figure, mais en , le gouvernement de Mauricio Macri dĂ©crĂ©ta qu’elle serait remplacĂ©e par la reprĂ©sentation d’un guanaco[339].

Dans la ville de San Miguel del Monte (province de Buenos Aires), le corps de ferme de l’ancien domaine agricole de Rosas, construit en 1817, se trouve conservĂ©. Il appartenait Ă  l’estancia Los Cerrillos, non loin de la ville, et fut transfĂ©rĂ© Ă  son emplacement actuel en 1987. Le bĂątiment abrite le musĂ©e Guardia de Monte[340].

Dans la localitĂ© de Virrey del Pino, au no 5700 de la calle MĂĄximo Herrera, dans le partido de La Matanza (province de Buenos Aires, aujourd’hui dans la lointaine banlieue sud-ouest de Buenos Aires), est conservĂ©e la maison domaniale de l’ancienne estancia San MartĂ­n (dĂ©nommĂ©e Ă  l’origine Estancia El Pino, puis rebaptisĂ©e San MartĂ­n par Rosas, en l’honneur du Libertador), dont la sociĂ©tĂ© Rosas, Terrero y CĂ­a., composĂ©e de Rosas, de Juan Nepomuceno Terrero et de Luis Dorrego, avait fait l’acquisition le . AprĂšs la dissolution de ladite sociĂ©tĂ© en 1837, le bĂątiment devint la propriĂ©tĂ© exclusive de Rosas. Actuellement, il hĂ©berge le MusĂ©e municipal d’histoire Brigadier General Don Juan Manuel de Rosas de La Matanza[341] - [342].

Dans la localitĂ© de San AndrĂ©s, au no 3324 de la rue 72-Diego Pombo (partido de General San MartĂ­n, province de Buenos Aires), est conservĂ© le bĂątiment construit en 1840 Ă  l’occasion du conflit entre l’Argentine et la France dans les annĂ©es 1838-1840, et oĂč Ă©tait Ă©tabli le quartier-gĂ©nĂ©ral du campement de Santos Lugares de Rosas.

Divers

Juan Manuel de Rosas est l'exact contemporain du président mexicain Antonio López de Santa Anna ( - ) dont l'histoire présente quelques similitudes avec la sienne.

Iconographie

Sur nombre de portraits peints, Rosas est reprĂ©sentĂ© arborant une grande dĂ©coration suspendue Ă  son cou. Il s’agit d’une mĂ©daille en or, en forme de soleil, bordĂ©e d’une couronne de brillants, et portant sur l’avers l’inscription « l’ExpĂ©dition vers les dĂ©serts du Sud de l’annĂ©e 33 agrandit la Province et assura ses propriĂ©tĂ©s » et sur le revers la colonne Ă©rigĂ©e en l’honneur de Rosas par le dĂ©cret du [343] - [344].

Bibliographie

  • (es) Pacho O'Donnel, Juan Manuel de Rosas. El maldito de la historia oficial, Buenos Aires, Planeta,
  • (es) Pacho O'Donnel, La Gran Epopeya. El combate de la Vuelta de Obligado, Buenos Aires, Grupo Editorial Norma, coll. « BiografĂ­as y documentos », , 308 p. (ISBN 978-987-545-583-2)
  • (es) JosĂ© Rivera Indarte, Rosas y sus opositores (contient Tablas de sangre et Es acciĂłn santa matar a Rosas), MontĂ©vidĂ©o, Nacional de Montevideo, (lire en ligne)
  • (es) JosĂ© MarĂ­a Rosa, Rosas, nuestro contemporĂĄneo, Buenos Aires, Peña Lillo, (lire en ligne)
  • (es) Octavio Amadeo, Vidas argentinas, Buenos Aires, Cimera, 1945 (7e Ă©d.).
  • (es) Enrique Arana, Juan Manuel de Rosas en la historia argentina : Rosas en la evoluciĂłn polĂ­tica argentina, Buenos Aires, Instituto Panamericano de Cultura, .
  • (es) Enrique M. Barba, Quiroga y Rosas, Buenos Aires, Pleamar, .
  • (es) Enrique M. Barba, Correspondencia entre Rosas, Quiroga y LĂłpez, Buenos Aires, HyspamĂ©rica, .
  • (es) Enrique M. Barba, Unitarismo, federalismo, rosismo, Buenos Aires, Pannedille, .
  • (es) Alcides Beretta Curi, Hacendados, tierras y fronteras en la provincia de Buenos Aires : 1810-185, MontĂ©vidĂ©o, UniversitĂ© de Montevideo, (non datĂ©).
  • (es) Manuel Bilbao, Historia de Rosas, Buenos Aires, Anaconda, (non datĂ©).
  • (es) VĂ­ctor Boully, El interregno de los lomonegros, vol. VI, Buenos Aires, La Bastilla, coll. « Memorial de la Patria », .
  • (es) Miron Burgin, Aspectos econĂłmicos del federalismo argentino, Buenos Aires, Hachette, .
  • (es) JosĂ© Luis Busaniche, Historia argentina, Buenos Aires, Solar, .
  • (es) HĂ©ctor J. I. Carrera, « Caudillos en las invasiones inglesas », Todo es Historia, Buenos Aires, no 34,‎ .
  • (es) AndrĂ©s M. Carretero, La santa federaciĂłn, vol. VIII, Buenos Aires, La Bastilla, coll. « Memorial de la Patria », .
  • (es) Antonio E. Castello, « El gran bloqueo », Todo es Historia, Buenos Aires, no 182,‎ .
  • (es) FermĂ­n ChĂĄvez, La cultura en la Ă©poca de Rosas, Buenos Aires, .
  • (es) Norberto J. ChivilĂł, « Rosas y Urquiza: Âżamigos o enemigos? », El Restaurador, General San MartĂ­n, no 9,‎ .
  • (es) AndrĂ©s Cisneros et Carlos EscudĂ©, Juan Manuel de Rosas y sus conflictos con Estados provinciales y extranjeros, vol. IV, Buenos Aires, Centro de Estudios de PolĂ­tica Exterior, coll. « Historia general de las relaciones exteriores de la RepĂșblica Argentina », (ISBN 950-694-557-8).
  • (es) Vicente Osvaldo Cutolo, Nuevo diccionario biogrĂĄfico argentino, Buenos Aires, Elche, , « Juan Manuel de Rosas ».
  • (es) Beatriz C. Doallo, El exilio del Restaurador, Buenos Aires, Fabro, (ISBN 978-987-1677-57-3).
  • (es) El Federal ApostĂłlico, « Los Santos Lugares de Rosas », El Restaurador, General San MartĂ­n (Buenos Aires), no 14,‎ .
  • (es) Alberto Ezcurra Medrano, « Rosas en los altares », Revista del Instituto de Investigaciones HistĂłricas Juan Manuel de Rosas, Buenos Aires, no 4,‎ .
  • (es) Pedro FerrĂ©, La constituciĂłn de la naciĂłn bajo el sistema federativo, Buenos Aires, JuĂĄrez, .
  • (es) Ricardo Font Ezcurra, San MartĂ­n y Rosas, Buenos Aires, Editorial Juan Manuel de Rosas, .
  • (es) Hugo R. Galmarini, Del fracaso unitario al triunfo federal, vol. V, Buenos Aires, La Bastilla, coll. « Memorial de la Patria », .
  • (es) Manuel GĂĄlvez, Vida de Juan Manuel de Rosas, Tor, .
  • (es) Mario CĂ©sar Gras, San MartĂ­n y Rosas : una amistad histĂłrica, Buenos Aires, (Ă  compte d’auteur ; Ă  l’origine : universitĂ© du Texas), , 61 p..
  • (es) Tulio HalperĂ­n Donghi, De la revoluciĂłn de independencia a la confederaciĂłn rosista. El surgimiento de la ConfederaciĂłn, vol. 3, Buenos Aires, PaidĂłs, coll. « ColecciĂłn de Historia Argentina », .
  • (es) Carlos lbarguren, Juan Manuel de Rosas, Buenos Aires, LibrerĂ­a La Facultad, , 380 p..
  • (es) Julio Irazusta, Vida polĂ­tica de Juan Manuel de Rosas a travĂ©s de su correspondencia, Buenos Aires, Albatros, .
  • (es) Ignacio Manuel Iriarte, « Los libres del sur », Todo es Historia, Buenos Aires, no 47,‎ .
  • (es) TomĂĄs de Iriarte, Memorias, Buenos Aires, Compañía General Fabril, .
  • (es) Roberto de LaferrĂšre, El nacionalismo de Rosas, Buenos Aires, Haz, .
  • (es) FĂ©lix Luna, Juan Manuel de Rosas, Buenos Aires, Planeta, coll. « Grandes Protagonistas de la Historia Argentina », (ISBN 950-49-0238-3).
  • (en) John Lynch, Argentine Caudillo : Juan Manuel de Rosas, Londres, Rowman & Littlefield Publishers (rĂ©Ă©d.), 1980 (rĂ©Ă©d. 2001), 202 p. (trad. espagnole sous le titre Juan Manuel de Rosas, EmecĂ©, Buenos Aires 1984).
  • Lucio Norberto Mansilla : Memorias pĂłstumas .
  • (es) Juan MĂ©ndez Avellaneda, Degollados y decapitados, article dans la revue Todo es Historia, no 290.
  • (es) Mario Pacho O'Donnell, Juan Manuel de Rosas : El maldito de nuestra historia oficial, Buenos Aires, Planeta,
  • (es) Mario Pacho OÂŽDonnell, La gran epopeya, Buenos Aires, Norma,
  • (es) JosĂ© MarĂ­a Paz, Memorias pĂłstumas, Buenos Aires, EmecĂ©,
  • (es) Armando Alonso Piñeiro, Historia del general Viamonte y su Ă©poca, Buenos Aires, Plus Ultra,
  • (es) Ernesto Quesada Quesada, La Ă©poca de Rosas, Buenos Aires, Editorial del Restaurador,
  • (es) JosĂ© MarĂ­a Rosa, Rosas, nuestro contemporĂĄneo, Buenos Aires, La Candelaria,
  • (es) Juan Manuel Rosas, Diario de la expediciĂłn al desierto, Buenos Aires, Plus Ultra,
  • (es) Julio Horacio Rube, Hacia Caseros, vol. IV, Buenos Aires, La Bastilla, coll. « Memorial de la Patria »,
  • (es) Isidoro J. Ruiz Moreno, Campañas militares argentinas, vol. I & II, Buenos Aires, EmecĂ©,
  • (es) MarĂ­a SĂĄenz Quesada, Los estancieros, Buenos Aires, Editorial de Belgrano,
  • (es) Adolfo SaldĂ­as SaldĂ­as, Historia de la ConfederaciĂłn Argentina, Buenos Aires, EUDEBA, (ISBN 950-614-574-1)
  • (es) Mario Guillermo SaravĂ­, La suma del poder, vol. VII, Buenos Aires, La Bastilla, coll. « Memorial de la Patria »,
  • (es) Domingo Faustino Sarmiento, Facundo o civilizaciĂłn y barbarie en las pampas argentinas, Buenos Aires, EmecĂ©, 1999 (1re Ă©d. 1845)
  • MarĂ­a SĂĄenz Quesada, EncarnaciĂłn Ezcurra y los restauradores, article dans la revue Todo es Historia, no 34.
  • (es) Jorge Oscar SulĂ©, Rosas y sus relaciones con los indios, Buenos Aires, Corregidor,
  • (en) John Lynch, Argentine dictator : Juan Manuel De Rosas, 1829–1852, Oxford, Oxford University Press, , 414 p. (ISBN 0-19-821129-5)
  • (en) John Lynch, Argentine Caudillo : Juan Manuel de Rosas, Wilmington (Delaware), Scholarly Resources, , 2e Ă©d., 185 p. (ISBN 0-8420-2897-8)
  • (en) Leslie Bethell, Argentina since independence, Cambridge, Cambridge University Press, , 408 p. (ISBN 0-521-43376-2)
  • (en) Michael E. Geisler, National Symbols, Fractured Identities : Contesting The National Narrative, Lebanon (New Hampshire), University Press of New England, , 284 p. (ISBN 1-58465-436-8)
  • (en) Michael Goebel, Argentina's Partisan Past : Nationalism and the Politics of History, Liverpool, Liverpool University Press, , 284 p. (ISBN 978-1-84631-238-0, lire en ligne)
  • (en) Jorge NĂĄllim, Transformations and Crisis of Liberalism in Argentina, 1930–1955, Pittsburgh (Pennsylvanie), University of Pittsburgh Press,
  • (en) Lyman L. Johnson, Death, Dismemberment, and Memory : Body Politics in Latin America, Albuquerque (Nouveau-Mexique), University of New Mexico Press,
  • (en) David Rock, Authoritarian Argentina : The Nationalist Movement, Its History and Its Impact, Berkeley & Los Angeles, University of California Press,

Voir aussi

Liens externes

Articles connexes

Références

  1. Sur la foi de son acte de naissance, ses prĂ©noms Ă©taient Juan Manuel JosĂ© Domingo. Son patronyme, tel qu’il apparaĂźt sur son acte de mariage, s’énonçait Ortiz de Rosas. Cf. (es) Juan PradĂšre, Juan Manuel de Rosas, su iconografĂ­a, Buenos Aires, Editorial Oriente, , p. 17-19.
  2. J. Lynch (2001), p. 2
  3. J. Lynch (2001), p. 1
  4. (es) Enrique Arana, Juan Manuel de Rosas en la historia argentina : Rosas en la evoluciĂłn polĂ­tica argentina, Instituto Panamericano de Cultura, , p. 727-733
  5. (es) « ActuaciĂłn de Juan Manuel durante las invasiones inglesas », La Gazeta Federal, Buenos Aires,‎ (lire en ligne). Selon l’historien Adolfo SaldĂ­as :
    « il amena Ă  son domicile de la rue Cuyo plusieurs de ses jeunes amis, les pressa Ă  combattre, les arma comme il put, et se prĂ©senta Ă  leur tĂȘte devant le gĂ©nĂ©ral Liniers »
  6. (es) Felipe Pigna, « Juan Manuel de Rosas (1793-1877) », El Historiador (consulté le ).
  7. J. Lynch (2001), p. 3
  8. J. Shumway (1993), p. 1119.
  9. J. Lynch (2001), p. 9
  10. D. Rock (1987), p. 93-94, 104.
  11. A. C. Bassi (1942), p. 43–45.
  12. M. D. Szuchman & J. C. Brown (1994), p. 214.
  13. En particulier Juan Manuel Beruti, Memorias curiosas, op. cit.
  14. M. D. Szuchman & J. C. Brown (1994), p. 214-215.
  15. J. Lynch (2001), p. 26-27
  16. L. Bethell (1993), p. 24.
  17. J. Lynch (2001), p. 1, 8, 13, 43–44
  18. Marcela Ternavasio, Historia de la Argentina 1806-1852, Siglo XXI,
  19. J. Lynch (2001), p. 10
  20. L. Bethell (1993), p. 19-20.
  21. L. Bethell (1993), p. 20 & 22.
  22. (es) RaĂșl Fradkin, ÂĄFusilaron a Dorrego!, o cĂłmo un alzamiento rural cambiĂł el curso de la historia, Buenos Aires, Sudamericana, , 215 p. (ISBN 978-950-07-2946-8), p. 9-58
  23. R. Fradkin (2008), p. 60-63.
  24. H. Galmarini (1988), p. 106.
  25. R. Fradkin (2008), p. 57-139.
  26. R. Fradkin (2008), p. 69-72.
  27. H. Galmarini (1988), p. 110-111.
  28. (es) Ernesto Fitte, La agresiĂłn francesa a la escuadra argentina en 1829, Plus Ultra,
  29. (es) Armando A. Piñero, Historia del general Viamonte y su época, Plus Ultra, , p. 286-288
  30. (es) RaĂșl PomĂ©s, Historia de la estancia El Pino. Monumento HistĂłrico Nacional del Partido de La Matanza, Buenos Aires, SecretarĂ­a de Cultura y EducaciĂłn del Municipio de La Matanza, , 124 p. (lire en ligne), p. 70-72
  31. (es) José María Rosa, Historia Argentina, vol. IV: Unitarios y federales, Oriente, , p. 113-114
  32. (es) Aníbal Atilio Röttjer, Vida del prócer argentino brigadier general don Juan Manuel de Rosas, Theoría, , p. 97
  33. J. Lynch (2001), p. 12
  34. M. E. Geisler (2005), p. 155.
  35. N. Shumway (1993), p. 117.
  36. J. Lynch (1981), p. 125
  37. D. S. Castro (2001), p. 69.
  38. J. A. Crow (1980), p. 580.
  39. J. Lynch (1981), p. 121
  40. J. M. Ramos MejĂ­a (2001), p. 62.
  41. Charles Darwin nota dans son journal en 1833 : « C’est un homme d’un caractĂšre extraordinaire, et son influence est prĂ©dominante dans le pays, influence qu’il emploiera semble-t-il pour la prospĂ©ritĂ© et l’avancement de celui-ci ». Plus tard, en 1845, il rĂ©visa radicalement son jugement, Ă©crivant : « Cette prophĂ©tie s’est rĂ©vĂ©lĂ©e entiĂšrement et pitoyablement fausse », C. Darwin (2008), p. 79.
  42. J. Lynch (2001), p. 86
  43. A. A. Piñero (1959), p. 289-291.
  44. (es) Pedro Lacasa, Vida militar y polĂ­tica del general argentino Don Juan Lavalle, Imprenta Americana, , p. 59
  45. En esp. « Restaurador de las Leyes e Instituciones de la Provincia de Buenos Aires ». Ce titre fut confĂ©rĂ© Ă  Rosas par la Chambre des reprĂ©sentants de la province de Buenos Aires (la LĂ©gislature) le (Cf. Sala de Representantes de la Provincia de Buenos Aires (1842), p. 3). AprĂšs la Campagne du dĂ©sert (1833–34), il sera en outre surnommĂ© le « ConquĂ©rant du dĂ©sert » (Conquistador del desierto, cf. J. Lynch (2001), p. 19. Quand sa dictature se fit plus rĂ©pressive, sous son deuxiĂšme mandat, on commença Ă  le dĂ©signer par « le Tigre de Palermo », en rĂ©fĂ©rence Ă  sa rĂ©sidence principale Ă  Palermo, en ce temps-lĂ  situĂ©e encore en dehors de l’agglomĂ©ration portĂšgne (cf. J. Lynch (1981), p. 9 ; W. H. Hudson (1918), p. 107–108.
  46. A. A. Piñero (1959), p. 317-319.
  47. (es) Adolfo SaldĂ­as, Rozas y las facultades extraordinarias, Americana, .
  48. J. M. Rosa (1965), p. 138.
  49. (es) Gabriel Di Meglio, ÂĄViva el bajo pueblo! La plebe urbana de Buenos Aires y la polĂ­tica, entre la RevoluciĂłn de Mayo y el rosismo, Buenos Aires, Prometeo, (987-574-103-5)
  50. Miguel Ángel Roberti, « Juan Manuel de Rosas », Historia para Todos, (consulté le ).
  51. G. Di Meglio (2007), p. 28.
  52. (es) Enrique M. Barba, Correspondencia entre Rosas, Quiroga y López, Buenos Aires, Hyspamérica,
  53. J. M. Rosa (1965), p. 140-141.
  54. (es) Ricardo Levene, El proceso histórico de Lavalle a Rosas; la historia de un año, Buenos Aires, Archivo Histórico de la Provincia de Buenos Aires,
  55. (es) MarĂ­a SĂĄenz Quesada, « La ciudad punzĂł (1828-1852) », Todo es Historia, no 156,‎
  56. (es) Efraín Bischoff, Por qué Córdoba fue invadida en 1829, Buenos Aires, Plus Ultra,
  57. (es) Armando R. BazĂĄn, Historia de La Rioja, Buenos Aires, Plus Ultra, , p. 305-313
  58. (es) EfraĂ­n Bischoff, Batalla de la Laguna Larga (Oncativo), Universidad Nacional de CĂłrdoba,
  59. E. Bischoff (1979), p. 191-192.
  60. E. Bischoff (1979), p. 193-194.
  61. C. PĂĄez de la Torre (1987), p. 366-367.
  62. J. M. Rosa (1965), p. 152-157.
  63. E. Bischoff (1979), p. 194.
  64. J. M. Rosa (1965), p. 158-159.
  65. C. PĂĄez de la Torre (1987), p. 369-381 & 388.
  66. (es) Federico Palma, Manuel Leiva, Colmegna,
  67. (es) Enrique Barba, Unitarismo, federalismo, rosismo, Buenos Aires, Pannedille, , p. 94
  68. « ...siendo federal por íntimo convencimiento, me subordinaría a ser unitario si el voto de los pueblos fuese por la unidad. ». Cf. M. A. Roberti (2007).
  69. J. Lynch (2001), p. 16
  70. J. Lynch (1981), p. 42–43
  71. J. Lynch (1981), p. 49, 159–160 & 300
  72. J. Lynch ((2001)), p. 16
  73. J. M. Rosa (1965), p. 173-175.
  74. J. Lynch (2001), p. 17
  75. J. Lynch (2001), p. 18
  76. (es) Norberto Ras, La guerra por las vacas, Galerna, , p. 244-258
  77. E. Arana (1954), p. 540.
  78. C. Ibarguren (1954), p. 194.
  79. A. Beretta Curi (sans date), p. 53.
  80. J. Lynch (2001), p. 6 & 18–20.
  81. (en) Charles Darwin, Narrative of the surveying voyages of His Majesty's Ships Adventure and Beagle between the years 1826 and 1836, describing their examination of the southern shores of South America, and the Beagle's circumnavigation of the globe. The Voyage of the Beagle (Journal and remarks). 1832-1836, Londres, Henry Colburn, (lire en ligne).
  82. (es) Silvia Ratto, Indios amigos e indios aliados : OrĂ­genes del"Negocio PacĂ­fico" en la Provincia de Buenos Aires (1829-1832), Instituto de Historia Argentina y Americana Dr. Emilio Ravignani, .
  83. (es) Carlos Mayol Laferrere, « CrĂłnica ranquelina de Mariano Rosas », Todo es Historia, no 130,‎
  84. (es) Adolfo GarretĂłn, Partes detallados de la expediciĂłn al desierto de Juan Manuel de Rosas en 1833, Buenos Aires, EUDEBA, .
  85. (es) Julio A. Costa, Roca y Tejedor, Buenos Aires, Mario, .
  86. (es) Carlos Escudé & Andrés Cisneros, « Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, chap. El período 1811-1833 », sur Iberoamérica y el mundo (consulté le )
  87. (es) Mirta Zaida Lobato, La Revolución de los Restauradores, 1833, Buenos Aires, Centro Editor de América Latina (CELA), coll. « Historia Testimonial Argentina »,
  88. J. M. Rosa (1976).
  89. G. Di Meglio (2007), p. 40-55.
  90. A. A. Piñero (1959), p. 340-342 & 367-370.
  91. A. A. Piñero (1959), p. 370-379.
  92. (es) Emilio Bidondo, Historia de Jujuy, Buenos Aires, Plus Ultra, , p. 319-322
  93. (es) Carlos S. A. Segreti, La carta de la hacienda de Figueroa, Centro de Estudios HistĂłricos,
  94. C. PĂĄez de la Torre (1987), p. 409-425.
  95. (es) Armando ZĂĄrate, Facundo Quiroga, Barranca Yaco : juicios y testimonios, Buenos Aires, Plus Ultra,
  96. J. M. Rosa (1965), p. 226-227.
  97. J. M. Rosa (1965), p. 230-231.
  98. M. Ternavasio (2002), p. 201-245.
  99. J. M. Rosa (1965), p. 249-250.
  100. (es) Ambrosio Romero Carranza, Alberto RodrĂ­guez Varela et Eduardo Ventura, Historia polĂ­tica y constitucional de la Argentina, Buenos Aires, A-Z Editores, , p. 164-165.
  101. (es) Domingo Faustino Sarmiento, CivilizaciĂłn y Barbarie. Vida de Juan Facundo Quiroga, Santiago du Chili, CĂĄtedra de Letras HispĂĄnicas, 1845 (6e Ă©dition), p. 311
  102. (es) Julio Irazusta, Ensayo sobre Rosas en el centenario de la suma del poder, Buenos Aires, Tor,
  103. G. Di Meglio (2006), p. 306-307.
  104. J. Lynch (2001), p. 22 & 91
  105. J. Lynch (2001), p. 49
  106. J. Lynch (2001), p. 53–54
  107. J. Lynch (2001), p. 76–77
  108. J. Lynch (2001), p. 55–56
  109. J. Lynch (2001), p. 45–46
  110. G. Di Meglio (2007), p. 69-74.
  111. (es) José María Rosa, El revisionismo responde, Buenos Aires, Pampa y Cielo,
  112. A. C. Bassi (1942), p. 261.
  113. L. Bethell (1993), p. 29.
  114. J. Lynch (2001), p. 102
  115. J. Lynch (2001), p. 101
  116. A. C. Bassi (1942), p. 265–266.
  117. J. Lynch (2001), p. 99
  118. J. Lynch (1981), p. 214
  119. J. Lynch (2001), p. 118
  120. (es) Gregorio Caro Figueroa, « Exiliados y proscriptos en la historia argentina », Todo es Historia, no 246,‎
  121. L. Bethell (1993), p. 30.
  122. J. Lynch (2001), p. 96
  123. L. Bethell (1993), p. 26–27.
  124. J. Lynch (2001), p. 81 & 97
  125. V. O. Cutolo (1968), p. 672.
  126. J. M. Rosa (1965), p. 231-232.
  127. J. Lynch (1981), p. 180 & 184
  128. (es) Andrés Carretero, Vida cotidiana en Buenos Aires, desde la Revolución de Mayo hasta la organización nacional, vol. I (El periodismo controlado), Buenos Aires, Planeta, , 318 p. (ISBN 950-49-0456-4), p. 176
  129. F. ChĂĄvez (1973), p. 30-36.
  130. (es) Miguel Ángel de Marco, Historia del periodismo argentino : Desde los orígenes hasta el Centenario de Mayo, Universidad Católica Argentina, , p. 185-187
  131. (es) Roberto Zalazar, El brigadier Ferré y el unitarismo porteño, Buenos Aires, Pampa y Cielo, , p. 131-151
  132. (es) Miron Burgin, Aspectos econĂłmicos del federalismo argentino, Hachette,
  133. J. M. Rosa (1965), p. 249-251.
  134. J. M. Rosa (1965), p. 250-251.
  135. Il est symptomatique que l’histoire mentionne Rivadavia comme le fondateur de la Banque, alors que Rosas dĂ©cida de dissoudre l’institution crĂ©Ă©e par Rivadavia et de la remplacer par une autre, avec une structure et une composition actionnariale totalement diffĂ©rentes.
  136. E. Bischoff (1979), p. 201-203.
  137. (es) José Luis Busaniche, Estanislao López y el federalismo del Litoral, Universitaria,
  138. A. Zinny (1987), volumen 3, p. 376-380.
  139. C. PĂĄez de la Torre (1987), p. 426-441.
  140. (es) Celso RamĂłn Lorenzo, Manual de Historia Constitucional Argentina, vol. 2, Rosario, Juris, , 487 p. (lire en ligne), p. 158-161
  141. (es) Enrique Barba, « Rosas y el litoral », Todo es Historia, no 118,‎
  142. C. PĂĄez de la Torre (1986), p. 441-447.
  143. C. PĂĄez de la Torre (1986), p. 447-451.
  144. Jorge Newton, Alejandro Heredia, el Protector del Norte, Plus Ultra, , p. 174-181
  145. C. PĂĄez de la Torre (1986), p. 457-458.
  146. Carlos Escudé & Andrés Cisneros, « Las relaciones entre la Confederación Argentina y Bolivia luego del conflicto », Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas
  147. (es) Norma Estela Ferreyra, PrĂłceres de papĂ©l y hĂ©roes olvidados en la independencia argentina, Compte d’auteur, 340 p. (lire en ligne), p. 223
  148. « Ultimatum adressĂ© par Mr AimĂ© Roger, consul de France, au gouvernement de Buenos Aires, chargĂ© des relations extĂ©rieures de la ConfĂ©dĂ©ration argentine, avec la rĂ©ponse de ce dernier et d’autres piĂšces Ă  l’appui », Buenos Aires, Imprimerie de l’État (correspondance officielle), (consultĂ© le ), p. 186-188.
  149. (es) Jaime Perriaux, Las generaciones argentinas, Eudeba, , p. 53
  150. (es) FermĂ­n ChĂĄvez, La cultura en la Ă©poca de Rosas, TheorĂ­a, , p. 105-108
  151. F. ChĂĄvez (1973), p. 108.
  152. (es) Oscar TerĂĄn, Historia de las ideas en la Argentina, Siglo XXI, , p. 61-65
  153. (es) Pedro de Angelis, El pensamiento de los federales, El Ateneo, coll. « Claves del Bicentenario », , « Dogma Socialista de la AsociaciĂłn de Mayo (article de l’Archivo Americano, 28 janvier 1847) »
  154. (es) Olsen A. Ghirardi, La GeneraciĂłn del '37 en el RĂ­o de la Plata, Cordoue, Academia Nacional de Derecho y Ciencias Sociales de CĂłrdoba,
  155. J. M. Rosa (1965), p. 250-257.
  156. F. ChĂĄvez (1973), p. 109.
  157. (es) Carlos Fresco, « El dĂ­a en que Palermo se asociĂł con San Benito », =La NaciĂłn, Buenos Aires,‎ (lire en ligne).
  158. (es) « Palermo de San Benito: vindicaciĂłn y rescate », Revista de la Sociedad Central de Arquitectos, Buenos Aires, no 141,‎ (lire en ligne)
  159. A. Zinny (1987), tome 2, p. 36 & 40-41.
  160. E. Bischoff (1979), p. 325 y 334.
  161. J. M. Rosa (1965), p. 367-368.
  162. J. M. Rosa (1965), p. 359-360.
  163. E. Bischoff (1979), p. 208-209.
  164. (es) Antonio E. Castello, « Pago Largo », Todo es Historia, no 74,‎
  165. J. M. Rosa (1965), p. 414-415.
  166. J. M. Rosa (1965), p. 421-422.
  167. J. Newton (1972), p. 182-191.
  168. C. PĂĄez de la Torre (1986), p. 471-475.
  169. J. M. Rosa (1965), p. 415-419.
  170. (es) Jorge Gelman, Rosas bajo fuego, Buenos Aires, Sudamericana, , p. 76-86
  171. (es) Juan José Cresto, Los libres del sur, Alfar, , p. 90-91.
  172. J. J. Cresto (1993), p. 74-79.
  173. (es) Ignacio Manuel Iriarte, « Los libres del sur », Todo es Historia, no 47,‎
  174. C. PĂĄez de la Torre (1987), p. 472-479.
  175. A. R. BazĂĄn (1992), p. 340-348.
  176. L. Alén Lascano (1992), p. 319-331.
  177. A. E. Castello (1991), p. 301-307.
  178. (es) Ernesto Quesada, Lavalle y la batalla de Quebracho Herrado, Buenos Aires, Plus Ultra, coll. « La época de Rosas », 1989 1965, p. 9-21
  179. E. Quesada (1965), p. 21-38.
  180. (es) Jimena SĂĄenz, « Cuando el año cuarenta morĂ­a... », Todo es Historia, no 30,‎
  181. G. Di Meglio (2007), p. 177-181.
  182. J. M. Rosa (1976), chapitre. El terror
  183. J. M. Rosa (1965), p. 479-483.
  184. (es) Gabriel Di Meglio, Mueran los salvajes unitaires : La Mazorca y la polĂ­tica en tiempos de Rosas, Buenos Aires, Sudamericana, .
  185. (es) Andrés Manuel Carretero, La santa federación, vol. VIII, Buenos Aires, La Bastilla, coll. « Memorial de la Patria », .
  186. (es) Manuel Bilbao, VindicaciĂłn y Memorias de don Antonino Reyes, Buenos Aires, El Elefante Blanco, .
  187. NĂ©stor Luis Montezanti, « Rosas y el terror », Revista del Instituto de Investigaciones HistĂłricas Juan Manuel de Rosas, Buenos Aires, no 43,‎ , p. 22.
  188. P. O'Donnell (2010), chapitre. El terror.
  189. P. O'Donnell (2001), chapitre. La clase de muertos.
  190. J. M. Rosa (1965), p. 475-478.
  191. J. M. Rosa (1965), p. 483-499.
  192. E. Quesada (1965), p. 121-197.
  193. E. Quesada (1965), p. 197-199 & 206-210.
  194. C. PĂĄez de la Torre (1987), p. 482-484.
  195. (es) Ernesto Quesada, Acha y la batalla de Angaco, Buenos Aires, Plus Ultra, coll. « La época de Rosas », 1989 1965
  196. Ce ne fut pas le seul cas, attendu que lors de chaque crise ces pouvoirs avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© accordĂ©s Ă  quasi tous les gouverneurs, en particulier Ă  MartĂ­n RodrĂ­guez, Paz, Avellaneda et Ă  beaucoup d’autres. Ce qui n’avait pas Ă©tĂ© cĂ©dĂ© jusque-lĂ  Ă  aucun gouverneur Ă©tait la « suma del poder pĂșblico ».
  197. J. M. Rosa (1965), p. 511.
  198. C. PĂĄez de la Torre (1987), p. 484-487.
  199. (es) José María Rosa, El cóndor ciego : La extraña muerte de Lavalle, Peña Lillo,
  200. (es) José Igarzåbal, « La muerte del general Lavalle y el destino de su cadåver, dans la rubrique Reflejos del pasado », El Historiador, .
  201. A. Zinny (1987), tome IV, p. 113-124.
  202. C. PĂĄez de la Torre (1987), p. 487-489.
  203. (es) Erich Poenitz, « Los correntinos de Lavalle », Todo es Historia, no 119,‎ .
  204. Le gĂ©nĂ©ral Paz avait Ă©tĂ© fait prisonnier dans la province de Santa Fe et Ă©tait dĂ©tenu Ă  Buenos Aires ; en avril 1840, il rĂ©ussit Ă  s’évader pour Montevideo. De lĂ , il Ă©tait passĂ© Ă  Punta Gorda, mais Lavalle l’avait envoyĂ© Ă  Corrientes, oĂč le gouverneur Pedro FerrĂ© le mit Ă  la tĂȘte d’une nouvelle armĂ©e correntine.
  205. A. E. Castello (1991), p. 310-327.
  206. A. E. Castello (1991), p. 329-337.
  207. (es) EfraĂ­n Quesada, « Cuando Montevideo aguardaba los ejĂ©rcitos de Rosas », Todo es Historia, no 83,‎ .
  208. (es) Nando Romano, « Desafío a lo largo del río Paranå », Rosario, Garibaldi Rosario
  209. « Desafío a lo largo del río Paranå » (version du 22 mars 2014 sur Internet Archive).
  210. Amiral Guillermo Brown (1842) : « Parte del combate naval de Punta Brava », publié dans La Gaceta Mercantil du 20 septembre 1842. Cité dans Adolfo Saldías, Historia de la Confederación Argentina, réédité partiellement sous le titre Por qué se produjo el bloqueo anglofrancés (p. 27), Buenos Aires, éd. Plus Ultra, 1974 :
    La conduite de ces hommes, Votre Excellence, en a bien été une de pirates, car ils ont mis à sac et détruit toute maison ou créature qui fût tombée en leur pouvoir
  211. (es) Carlos Escudé & Andrés Cisneros, « Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, chap. Efectos económicos del bloqueo anglofrancés », sur Iberoamérica y el mundo (consulté le )
  212. (es) JosĂ© MarĂ­a Rosa, « Miron Burgin, la señorita Beatriz Bosch y la ley de aduanas de Rosas », Revista del Instituto de Investigaciones HistĂłricas Juan Manuel de Rosas,‎
  213. A. M. Carretero (1979), p. 149-157.
  214. A. M. Carretero (1979), p. 250-253.
  215. A. M. Carretero (1979), p. 125-127.
  216. (es) José Babini, Historia de la ciencia en la Argentina, Buenos Aires, Solar, coll. « Dimensión Argentina », (ISBN 950-9086-20-7), p. 104
  217. (es) FermĂ­n ChĂĄvez, La cultura en la Ă©poca de Rosas, Theoria, , p. 50-78
  218. (es) Jorge Orgaz, La Universidad de Córdoba en su 365 aniversario, Cåmara de Senadores de la Provincia de Córdoba, 1978 (rééd. 1990)
  219. E. Bischoff (1979), p. 218-219.
  220. (es) Armando R. BazĂĄn, « EsquiĂș, la suprema elocuencia », Todo es Historia, no 114,‎
  221. (es) collectif, Historia de la literatura argentina, vol. 1, Buenos Aires, Centro Editor de América Latina (CEAL),
  222. F. ChĂĄvez (1973), p. 36-45.
  223. (es) Eduardo Schiaffino, La pintura y la escultura en la Argentina (1783-1894), (à compte d’auteur),
  224. (es) « XLII Asamblea Plenaria de la Conferencia episcopal argentina », sur Iglesia y Comunidad Nacional, Buenos Aires, .
  225. (es) Diego Abad de Santillån, La Revolución de Mayo : Factores convergentes y determinantes, TEA, coll. « Historia Argentina », , p. 391
  226. (es) Atilio Dell'Oro Maini, Miguel A. Fiorito, Gustavo Franceschi, Guillermo Furlong, Oscar R. GĂŒel, Faustino J. LegĂłn, Doncel Menossi, Juan P. Ramos et Isidoro Ruiz Moreno, Presencia y sugestiĂłn del filĂłsofo Francisco SuĂĄrez : su influencia en la RevoluciĂłn de Mayo, Buenos Aires, Guillermo Kraft Limitada, .
  227. D. Abad de SantillĂĄn (1965), p. 409.
  228. Corrientes interpretativas de la Revolución de mayo de 1810 « Corrientes interpretativas de la Revolución de mayo de 1810 » (version du 24 septembre 2015 sur Internet Archive)
  229. (es) Hugo Wast, Año X, Buenos Aires, Ed. Goncourt, .
  230. (es) Federico Ibarguren, Las etapas de mayo y el verdadero Moreno, Buenos Aires, Theoria, , p. 73.
  231. (es) « Rivadavia y la expropiación a las órdenes eclesiåsticas », sur Razón y Revolución.
  232. (es) Roberto Di Stefano et Loris Zanatta, Historia de la Iglesia Argentina, Grijalbo, , 230-231 p.
  233. R. Di Stefano & L. Zanatta (2000), p. 237-242.
  234. Cayetano Bruno, La Iglesia en la Argentina : cuatrocientos años de historia, Centro Salesiano de Estudios, , p. 515-520
  235. C. Bruno (1993), p. 496-504.
  236. C. Bruno (1993), p. 491-495.
  237. C. Bruno (1993), p. 505-508.
  238. C. Bruno (1993), p. 510-514.
  239. C. Bruno (1993), p. 509.
  240. (es) Rafael B. Esteban, CĂłmo fue el conflicto entre los jesuitas y Rosas, Buenos Aires, Plus Ultra, .
  241. Domingo Faustino Sarmiento, dans un article du paru dans le journal chilien El Mercurio. Cité par José María Rosa (1974), p. 95-96.
  242. (es) José S. Campobassi, Sarmiento y su época, vol. 1 (1811/1863), Buenos Aires, Losada, , p. 320
  243. (es) Jimena SĂĄenz, « Love Story, 1848: el caso de Camila O’Gorman », Todo es Historia, Tor’s S.C.A., no 51,‎ annĂ©e v, p. 66-77
  244. J. M. Rosa (1974), p. 95-96.
  245. (es) Carlos Escudé & Andrés Cisneros, « Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas. Chap. El apoyo a Rosas en las provincias del Interior y en Buenos Aires », sur Iberoamérica y el mundo
  246. EchagĂŒe Ă©tait originaire de Santa Fe, mais avait aussi des relations en Entre RĂ­os ; il avait Ă©tĂ© Ă©lu gouverneur au lendemain de la dĂ©faire de Juan Pablo LĂłpez en 1842.
  247. (es) Carlos Escudé & Andrés Cisneros, « Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, chap. Nuevos obståculos entre el gobierno del Paraguay y el de la Confederación rosista », sur Iberoamérica y el mundo (consulté le )
  248. (es) Carlos Escudé & Andrés Cisneros, « Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, chap. Las relaciones entre la Confederación Argentina y Bolivia luego del conflicto », sur Iberoamérica y el mundo (consulté le )
  249. (es) Carlos Escudé & Andrés Cisneros, « Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, chap. Los emigrados antirrosistas y la misión García en Chile », sur Iberoamérica y el mundo (consulté le )
  250. (es) Carlos Escudé & Andrés Cisneros, « Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, chap. La fundación de Fuerte Bulnes y sus efectos en la relación entre Chile y la Confederación Argentina », sur Iberoamérica y el mundo (consulté le )
  251. Armando R. BazĂĄn, Historia del Noroeste Argentino, Plus Ultra, , 399-400 p.
  252. A. M. Carretero (1979), p. 230-233.
  253. Seul Juan Pablo LĂłpez parvint Ă  se rendre maĂźtre de Santa Fe pendant un mois, mais le nouveau gouverneur EchagĂŒe lui infligera une honteuse dĂ©faite.
  254. J. Rivera Indarte (1843).
  255. P. O’Donnell (2001), chap. Tablas de sangre.
  256. P. O'Donnell (2010), chap. Un penique por cadĂĄver.
  257. J. Rivera Indarte (1843), Apéndice: Es acción santa matar a Rosas.
  258. Ernesto Quesada, La Ă©poca de Rosas, Buenos Aires, Ediciones del Restaurador, , p. 63
  259. Font Ezcurra, Correspondencia entre San MartĂ­n y Rosas, Buenos Aires, Plus Ultra,
  260. Rosas, pour sa part, devait lĂ©guer son propre sabre au marĂ©chal paraguayen Francisco Solano LĂłpez, par une disposition testamentaire du 17 fĂ©vrier 1869, assortie des paroles suivantes : « Son excellence le gĂ©nĂ©ralissime, Capitaine gĂ©nĂ©ral don JosĂ© de San MartĂ­n, m’honora de l’envoi suivant : « L’épĂ©e qui m’accompagna dans toute la guerre de l’indĂ©pendance sera remis au gĂ©nĂ©ral Rosas pour la fermetĂ© et la sagesse avec lesquelles il a soutenu les droits de la Patrie ». Et moi, Juan Manuel de Rosas, Ă  son exemple, je dispose que mon exĂ©cuteur testamentaire remette Ă  son Excellence monsieur le Grand MarĂ©chal, PrĂ©sident de la RĂ©publique paraguayenne et GĂ©nĂ©ralissime de ses armĂ©es, l’épĂ©e diplomatique et militaire qui m’accompagna aussi longtemps qu’il me fut possible de dĂ©fendre ces droits, pour la fermetĂ© et la sagesse avec laquelle il a soutenu et continue de soutenir les droits de sa Patrie. »
  261. (es) Carlos Escudé & Andrés Cisneros, « Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, chap. Consecuencias políticas del bloqueo anglofrancés », sur Iberoamérica y el mundo (consulté le )
  262. L’historien JosĂ© MarĂ­a Rosa affirme que le vĂ©ritable bĂ©nĂ©ficiaire de la contrebande Ă©tait Urquiza lui-mĂȘme, non pas sa province, et que c’est par lui que la plus grande partie de cette contrebande Ă©tait financĂ©e. Voir Ă  ce propos J. M. Rosa, El Pronunciamiento de Urquiza, 1960.
  263. José María Rosa, El Pronunciamiento de Urquiza, Peña Lillo, , p. 6
  264. (es) Carlos Escudé & Andrés Cisneros, « Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, chap. Los mini-estados de la Mesopotamia y sus conflictos con Rosas », sur Iberoamérica y el mundo (consulté le )
  265. José María Rosa, La caída de Rosas, Punto de encuentro, 1958 2010, p. 319-359
  266. Il lui suffisait en fait d’entĂ©riner la renonciation que Rosas faisait chaque annĂ©e auxdites compĂ©tences, ce que fit Urquiza cette annĂ©e-lĂ  contre toute attente. Cette renonciation pĂ©riodique par Rosas de la reprĂ©sentation des provinces argentines Ă  l’étranger Ă©tait destinĂ©e Ă  faire avaliser le pouvoir du gouverneur de Buenos Aires.
  267. Julio Horacio Rube, Hacia Caseros (1850-1852), vol. IX, La Bastilla, coll. « Memorial de la Patria », , p. 77-80
  268. J. H. Rube (1984), p. 89-108.
  269. J. M. Rosa (2010), p. 543-581.
  270. J. M. Rosa (2010), p. 562-564.
  271. (es) Carlos Escudé & Andrés Cisneros, « Historia de las Relaciones Exteriores Argentinas, chap. La formalización de una alianza entre el Imperio del Brasil, el gobierno de Montevideo y la provincia de Entre Ríos », sur Iberoamérica y el mundo (consulté le )
  272. A. R. BazĂĄn (1986), p. 401.
  273. J. H. Rube (1984), p. 153-158.
  274. J. H. Rube (1984), p. 163-173.
  275. J. H. Rube (1984), p. 158-161.
  276. Ce fut une erreur : Rosas Ă©tait certes un grand politique et un bon stratĂšge militaire, mais, en tant que tacticien sur le champ de bataille, il n’était pas en mesure d’affronter Urquiza, l’un des militares les plus capables de l’histoire de l'Argentine.
  277. J. H. Rube (1984), p. 190-192.
  278. En espagnol : « Si mås no hemos hecho en el sostén de nuestra independencia, nuestra identidad, y de nuestro honor, es porque mås no hemos podido. » Cité notamment dans : (es) Juan José Bonilla Sånchez, Personas y derechos de la personalidad, Madrid, Reus, , 575 p., p. 83
  279. Quelques annĂ©es auparavant, Rosas avait rĂ©digĂ© une sorte de testament politique, dont voici un passage : « Pendant le temps oĂč j’ai prĂ©sidĂ© le gouvernement de Buenos Aires, chargĂ© des Relations extĂ©rieures de la ConfĂ©dĂ©ration argentine, avec les pleins pouvoirs en vertu de la loi, j’ai gouvernĂ© selon ma conscience. Je suis donc l’unique responsable de tous mes actes, de mes actions bonnes comme de celles mauvaises, de mes erreurs et de mes actes. Les circonstances durant les annĂ©es de mon administration ont toujours Ă©tĂ© extraordinaires, et il n’est pas juste que pendant celles-ci l’on me juge de la mĂȘme façon qu’en des temps tranquilles et sereins. ». Cf. Felipe Pigna, site El Historiador.
  280. J. H. Rube (1984), p. 217-233.
  281. EfraĂ­n Bischoff, « La noticia de Caseros en CĂłrdoba », Todo es Historia, no 93,‎
  282. A. R. BazĂĄn (1986), p. 406-409.
  283. James Scobie, La lucha por la ConsolidaciĂłn de la Nacionalidad Argentina, Hachette,
  284. J. Lynch (1981), p. 337
  285. J. Lynch (1981), p. 336
  286. Le site, qui était alors encore un village séparé de la ville, a été depuis lors absorbé par la ville de Southampton.
  287. (es) Octavio RamĂłn Amadeo, Vidas Argentinas, Buenos Aires, Editorial Cimera, 1945 (7e Ă©d.), 395 p., p. 373
  288. J. Lynch (1981), p. 343–344 & 346–347
  289. J. Lynch (1981), p. 337–338
  290. L’historien JosĂ© MarĂ­a Rosa observe que cette attitude condamnable a pu, au rebours de son objectif, rendre un grand service Ă  son pays : en effet, les dirigeants de Buenos Aires avaient justement Ă  cƓur de toujours faire le contraire de ce qu’eĂ»t fait Rosas ; dĂšs lors, ce conseil, venant du repoussoir qu’était devenu Rosas, a pu influer sur la dĂ©cision de ne pas scinder formellement l’État de Buenos Aires de la ConfĂ©dĂ©ration.
  291. Au milieu du XXe siĂšcle, l’historien FermĂ­n ChĂĄvez (1924-2006) crut dĂ©couvrir une petite nouvelle romantique Ă©crite par Rosas en français. L’utilisation de cet idiome, le sujet presque fĂ©ministe qu’il y traitait, et le cadre purement europĂ©en du texte semblent en dĂ©mentir catĂ©goriquement l’authenticitĂ©.
  292. J. Lynch (1981), p. 344–345
  293. J. Lynch (1981), p. 344
  294. J. Lynch (1981), p. 342
  295. J. Lynch (1981), p. 342
  296. J. Lynch (1981), p. 358
  297. J. Lynch (1981), p. 357
  298. J. Lynch (1981), p. 358
  299. (es) Diario de Sesiones de la CĂĄmara de Senadores del Estado de Buenos Aires, San MartĂ­n (Buenos Aires), Escuela de Artes y Oficios de la Provincia, 1856 (original), 1889
    « Art. 1 — CompĂ©tence est reconnue aux tribunaux de justice de connaĂźtre des crimes, ordinaires, commis par l’ancien dictateur Juan Manuel Rosas, dans l’abus du Pouvoir public dont il Ă©tait investi, et il leur est loisible de procĂ©der comme il conviendra »
  300. (es) Diario de Sesiones de la Cåmara de Senadores del Estado de Buenos Aires (année 1857), San Martín (Buenos Aires), Escuela de Artes y Oficios de la Provincia,
  301. (es) Diario de Sesiones de la Sala de Representantes de la Provincia de Buenos Aires, años 1852 a 1858, Buenos Aires, Biblioteca de la Legislatura de la provincia de Buenos Aires (sur microfilm)
  302. (es) Juan Silva Riestra (préface), Proceso Criminal contra Rosas ante los Tribunales Ordinarios de Buenos Aires, Buenos Aires, Bases, , 93 p.
  303. (es) Daniel Schåvelzon et María del Carmen Magaz, Congreso Nacional de Historia Militar (collectif), vol. II, Buenos Aires, Instituto de Historia Militar Argentina, (ISBN 987-96842-2-2, lire en ligne), « El caserón de Rosas (período 1895-1898) », p. 1229-1241.
  304. Consignée publiée le 2 juin 1859 dans un article du journal El Nacional Argentino, année VIII, no 48. Cité par Beatriz Bosch dans (es) Urquiza y su tiempo : la Organización Nacional, Buenos Aires, Centro Editor de América Latina (CEAL), .
  305. (es) José Manuel Estrada, La política liberal bajo la tiranía de Rosas, Buenos Aires,
  306. (es) Leonardo Castagnino, « Rosas y Alberdi », sur La Gazeta Federal, Buenos Aires (consulté le ).
  307. (es) Vicente D.Sierra, Historia de la Argentina. Gobierno de Rosas – Su caĂ­da – Hacia un nuevo rĂ©gimen (1840-1852), Editorial CientĂ­fica Argentina, (lire en ligne), p. 454
  308. (es) Pacho O'Donnell, « El revisionismo histĂłrico », Tiempo Argentino, Buenos Aires, Colectivo de cultura popular,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  309. (es) Alberto Benegas Lynch (fils), « Juan Manuel de Rosas: perfil de un tirano », sur Elcato, .
  310. (es) John Lynch, Juan Manuel de Rosas, 1829-1852, Hyspamérica,
  311. (es) Bernardo GonzĂĄlez Arrili, La tiranĂ­a y la libertad. Juicio histĂłrico sobre Juan Manuel de Rosas, Libera,
  312. (es) José María Rosa, Defensa y pérdida de nuestra independencia económica, Peña Lillo,
  313. (es) FĂ©lix Luna, Fracturas y continuidades en la historia argentina, Sudamericana, .
  314. (es) Roy Hora, Historia econĂłmica de la Argentina en el siglo XIX, Siglo XXI, , p. 63-85
  315. (es) Milcíades Peña, El paraíso terrateniente, Fichas,
  316. (es) José Panettieri, Inmigración en la Argentina, Macchi,
  317. (es) Juan Carlos Korol et Hilda SĂĄbato, CĂłmo fue la inmigraciĂłn irlandesa en Argentina, Plus Ultra,
  318. (es) Fermín Chåvez, Historicismo e iluminismo en la cultura argentina, Centro Editor de América Latina (CEAL), .
  319. D. Rock (1995), p. 120.
  320. M. Goebel (2011), p. 7 & 48.
  321. O. Chamosa (2010), p. 44.
  322. J. NĂĄllim (2012), p. 39.
  323. D. Rock (1995), p. 102.
  324. M. Goebel (2011), p. 43–44.
  325. O. Chamosa (2010), p. 40 & 118.
  326. J. NĂĄllim (2012), p. 38.
  327. D. Rock (1995), p. 104–105 & 119.
  328. M. Goebel (2011), p. 43.
  329. D. Rock (1995), p. 103, 106.
  330. D. Rock (1995), p. 108 & 119.
  331. (en) Sandra McGee Deutsch et Ronald H. Dolkart, The Argentine Right : Its History and Intellectual Origins, 1910 to the Present, Wilmington (Delaware), Scholarly Resources, , p. 15.
  332. (es) Jorge MartĂ­nez, « Pluma culta, elegante y cosmopolita », La Prensa, Buenos Aires,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  333. M. Goebel (2011), p. 56 & 115–116.
  334. (en) William Spence Robertson, « Foreign Estimates of the Argentine Dictator, Juan Manuel de Rosas », The Hispanic American Historical Review, Durham (Caroline du Nord), Duke University Press, no 10,‎ , p. 125.
  335. (en) William Dusenberry, « Juan Manuel de Rosas as Viewed by Contemporary American Diplomats », The Hispanic American Historical Review, Durham (Caroline du Nord), Duke University Press, no 41 (4),‎ , p. 514.
  336. L. L. Johnson (2004), p. 118–125.
  337. L. L. Johnson (2004), p. 125-128.
  338. (es) « Emplazaron en Palermo una estatua de Juan Manuel de Rosas », La NaciĂłn, Buenos Aires,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  339. (es) Juan Pablo De Santis, « La historia del dinero Rosas de $20: un billete defenestrado que quiso cerrar la grieta », ClarĂ­n, Buenos Aires,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  340. (es) « Lugares imperdibles », San Miguel del Monte, portal de noticias (version du 7 avril 2014 sur Internet Archive).
  341. (es) « Estancia El Pino: muy cerca de nuestra ciudad », El DĂ­a, La Plata,‎ (lire en ligne, consultĂ© le ).
  342. Site officiel du musée Rosas
  343. (es) Alejandro Rosa, Colección de leyes, decretos y otros documentos sobre condecoraciones militares, medallas conmemorativas, moneda metålica, etc. de algunos países de América del Sud, Buenos Aires, Imprenta de Martín Biedma, (lire en ligne), p. 70-71
  344. (es) Juan PradĂšre, Juan Manuel de Rosas. Su iconografĂ­a, Buenos Aires, J. Mendesky & Hijo, (lire en ligne), p. 72
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.