AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Premier triumvirat (Argentine)

Le premier triumvirat (en esp. Primer Triunvirato) est l’organe exĂ©cutif qui se substitua Ă  la Grande Junte et gouverna les Provinces Unies du RĂ­o de la Plata entre le et le . Il se composait Ă  l’origine de Feliciano Chiclana, Manuel de Sarratea et Juan JosĂ© Paso.  

Origine du premier triumvirat

La Grande Junte, corps constituĂ© destinĂ© Ă  reprĂ©senter les villes de l’intĂ©rieur, voyait son action exĂ©cutive entravĂ©e par son nombre excessif de membres et par l’absence de rĂšgles de fonctionnement ; cela lui fit perdre du temps et de l'Ă©nergie en questions de procĂ©dure et donc se dĂ©tourner de sujets plus importants. L’opposition eut beau jeu de l’accuser d’ĂȘtre inopĂ©rante.

AprĂšs que le gĂ©nĂ©ral JosĂ© Manuel de Goyeneche, Ă  la tĂȘte des troupes royalistes, eut dĂ©fait les forces rĂ©volutionnaires amĂ©ricaines lors de la bataille de Huaqui, le , la Grande Junte se retrouva encore davantage dĂ©considĂ©rĂ©e.

La dĂ©cision de Cornelio Saavedra, prĂ©sident de la PremiĂšre Junte, puis de la Grande Junte, de se charger personnellement de la rĂ©organisation de l'armĂ©e du Nord, et donc de s’éloigner de Buenos Aires, fut mise Ă  profit fin par la faction favorable Ă  Mariano Moreno pour dĂ©clencher un soulĂšvement et obtenir que soient Ă©lus et intĂ©grĂ©s dans la Junte deux nouveaux membres pour Buenos Aires. Presque en mĂȘme temps, il fut dĂ©cidĂ© de concentrer le pouvoir dans un triumvirat, formĂ© des deux nouveaux dĂ©putĂ©s portĂšgnes, Paso et Chiclana, et par celui qui avait obtenu le plus de voix Ă  cette mĂȘme Ă©lection, Sarratea. Il rĂ©sulta de ce coup de force institutionnel que le pouvoir exĂ©cutif de la Junte n’était plus issu dĂ©sormais que des partis politiques (si ce terme est appropriĂ© en l’occurrence) de la seule capitale.

La mise en place du triumvirat[1] ne signifia pas — du moins au dĂ©but — la dissolution de la Grande Junte, mais la transformation de celle-ci en une dĂ©nommĂ©e Junte conservatoire (en esp. Junta Conservadora), dotĂ©e d’attributions lĂ©gislatives, et composĂ©e des membres de la dissoute Grande Junte, Ă  l’exception expresse de JoaquĂ­n Campana et de Cornelio Saavedra.

Faisaient en outre partie du triumvirat les secrétaires non votants Bernardino Rivadavia, José Juliån Pérez et Vicente López y Planes.

Composition du premier triumvirat

Centralisation politique

La Junte conservatoire s’attela Ă  la tĂąche d’élaborer un document fixant les attributions de chaque pouvoir et le fonctionnement du gouvernement. Ainsi adopta-t-elle le un rĂšglement organique sanctionnant le principe de la sĂ©paration des pouvoirs. Aux termes de ce rĂšglement, le pouvoir lĂ©gislatif rĂ©siderait dans la Junte conservatoire de la SouverainetĂ© de monseigneur Ferdinand VII et des lois nationales, celle-ci Ă©tant par ailleurs habilitĂ©e Ă  dĂ©clarer la guerre, Ă  signer les traitĂ©s de paix et les accords de frontiĂšre, Ă  crĂ©er des tribunaux et Ă  nommer les personnes investies du pouvoir exĂ©cutif. Le triumvirat assumerait le pouvoir exĂ©cutif, et serait responsable devant la Junte. Enfin, le pouvoir judiciaire, indĂ©pendant, serait exercĂ© par la Real Audiencia de Buenos Aires.

Cependant, le triumvirat, considĂ©rant que la Junte conservatoire s’octroyait des pouvoirs excessifs, s’empressa de la dissoudre et s’arrogea la totalitĂ© des fonctions gouvernementales, laissant sans effet le rĂšglement organique.

Pour lĂ©gitimer son action et organiser le pouvoir politique, le triumvirat sanctionna le le Statut provisoire, qui l’habilitait Ă  gouverner et Ă  adopter telles mesures qu’il estimerait nĂ©cessaires pour la dĂ©fense et le salut de la patrie. Il se dota du titre de Gouvernement supĂ©rieur provisoire des Provinces Unies du RĂ­o de la Plata.

En Ă©clata contre le triumvirat un coup d’État, dĂ©nommĂ© mutinerie des Tresses (esp. MotĂ­n de las Trenzas), dont le foyer se trouvait dans le rĂ©giment de Patriciens. Les troupes loyales au gouvernement le rĂ©primĂšrent, et le triumvirat ordonna l’expulsion des dĂ©putĂ©s de l’intĂ©rieur, accusĂ©s d’avoir soutenu le soulĂšvement[2].

Donnant libre cours Ă  sa tendance centraliste, le triumvirat supprima les juntes provinciales le , pour les remplacer par des gouverneurs et leurs dĂ©lĂ©guĂ©s, Ă©lus par le triumvirat lui-mĂȘme et, en grande majoritĂ©, originaires de Buenos Aires. Fut ainsi amorcĂ©e une pĂ©riode de centralisme marquĂ©, justifiĂ© par la nĂ©cessitĂ© de concentrer le pouvoir politique afin de conduire le pays en ces temps de guerre : les dĂ©cisions se prenaient donc dans la capitale et devaient s'Ă©tendre dans toutes les provinces. Ainsi le triumvirat est-il, en un certain sens, Ă  l’origine de l'unitarisme en Argentine[3].

D’autre part, le triumvirat s'abstint de dĂ©finir la dĂ©claration d’indĂ©pendance et de faire adopter une constitution. En , il abolit la Real Audiencia de Buenos Aires, pour lui substituer une Chambre d’appel (CĂĄmara de Apelaciones).

Actes de gouvernement

Parmi les mesures prises par le triumvirat figurent :

  • l'instauration de la libertĂ© de la presse ;
  • l'adoption de la loi sur la sĂ©curitĂ© individuelle ;
  • la crĂ©ation de la Chambre d’appel ;
  • le rĂšglement relatif Ă  l’institution et l’administration de la justice ;
  • l'ordre donnĂ© Ă  Manuel Belgrano de lever des troupes dans le but de protĂ©ger la population de Rosario contre les attaques navales espagnoles lancĂ©es depuis Montevideo.
  • l'approbation, le , de l’adoption d’une cocarde blanc et bleu ciel dans les forces armĂ©es. Le mĂȘme jour : l'ordre donnĂ© Ă  Belgrano de prendre en charge l’armĂ©e du Nord.
  • l'ordre donnĂ© le au lieutenant-colonel JosĂ© de San MartĂ­n de former un corps spĂ©cial de cavalerie, connu par la suite sous la dĂ©nomination de rĂ©giment de Grenadiers Ă  cheval (en esp. Regimiento de Granaderos a Caballo).
  • mise en place le de la Commission de l’immigration, laquelle fut le premier office crĂ©Ă© aux fins de stimuler l’immigration et la colonisation du territoire. EmpĂȘchĂ©e d’accomplir son rĂŽle par la guerre d’indĂ©pendance de l’Argentine, elle fut cependant rĂ©activĂ©e quelques annĂ©es plus tard, en 1824, par les soins de Bernardino Rivadavia, alors ministre dans le gouvernement de Buenos Aires, mais finalement dissoute le sur ordre de Juan Manuel de Rosas.

Politique face à l’Espagne

Bernardino Rivadavia, secrétaire du triumvirat.

Sous la direction de Rivadavia, le gouvernement, diffĂ©rant toute prise de position claire quant Ă  l’indĂ©pendance et Ă  la constitution, maintint sa politique d’apparente fidĂ©litĂ© Ă  Ferdinand VII, lors mĂȘme que la guerre contre l'Espagne se poursuivait. Le Royaume-Uni, alliĂ© de l’Espagne dans la guerre contre NapolĂ©on Ier, conseillait de continuer Ă  reconnaĂźtre le roi captif. Pour cette raison, instruction fut notamment donnĂ©e Ă  Manuel Belgrano de garder par devers lui le drapeau blanc et bleu ciel qu’il avait prĂ©sentĂ© aux troupes sur les berges du ParanĂĄ le .

StratĂ©giquement, le triumvirat se replia sur des positions dĂ©fensives : dans le Litoral, les forces portugaises avançaient sur la bande Orientale, en soutien des royalistes de Montevideo. Le triumvirat dĂ©cida le de nĂ©gocier un armistice avec le vice-roi Francisco Javier de ElĂ­o, Ă  la suite de quoi le siĂšge de Montevideo fut levĂ©[4]. Il avait Ă©tĂ© convenu que les troupes de Buenos Aires, de mĂȘme que les troupes portugaises, devaient se retirer de la bande Orientale, laquelle resterait, en plus de trois localitĂ©s de la Province d'Entre RĂ­os (Gualeguay, GualeguaychĂș et ConcepciĂłn del Uruguay), aux mains de l’Espagne.

D’autre part, Belgrano reçut l’instruction qu’en cas d’avancĂ©e royaliste dans le nord, il aurait Ă  se replier vers CĂłrdoba, abandonnant de ce fait la totalitĂ© de la province de Salta, laquelle Ă  cette Ă©poque comprenait en outre les actuelles provinces de TucumĂĄn, de Santiago del Estero et de Catamarca.

L’opposition

Martín de Álzaga

Le chef principal des gauchos de la bande Orientale, JosĂ© Artigas, rejeta l’accord conclu et se transporta vers le campement d’AyuĂ­, dans l’actuelle ville de Concordia, suivi par une grande partie de la population orientale, Ă©pisode connu sous le nom d’Exode du peuple oriental.

Le , le ministre Rivadavia dĂ©couvrit, ou crut dĂ©couvrir, une conspiration d’Espagnols contre le gouvernement. Lors de l’instruction de l’affaire, qui s’appuyait sur des preuves et des aveux extrĂȘmement sujettes Ă  caution, Rivadavia fit que MartĂ­n de Álzaga, hĂ©ros de la rĂ©sistance contre les offensives anglaises, ainsi qu’un vaste groupe de ses partisans, quasi tous Espagnols, fissent egalement partie des accusĂ©s. Álzaga et ses complices eurent Ă  subir un procĂšs secret et expĂ©ditif[5], Ă  l’issue duquel tous furent condamnĂ©s Ă  mort. Les exĂ©cutions commencĂšrent le  ; trente hommes au total, y compris des gradĂ©s de l’armĂ©e, des prĂȘtres et des hommes d’affaires, furent exĂ©cutĂ©s et leurs biens confisquĂ©s[6]. Des doutes semblent justifiĂ©s quant Ă  la rĂ©alitĂ© de cette conspiration et quant au mobile rĂ©el qui incita Ă  inclure Álzaga parmi les accusĂ©s, et qui pourrait ĂȘtre une vengeance personnelle de Rivadavia en rapport avec un vieil affront.

La Loge lautarienne et la Société patriotique

Un groupe de jeunes criollos, qui s’étaient enrĂŽlĂ©s dans l’armĂ©e espagnole en guerre contre Bonaparte, arriva Ă  Buenos Aires en . Leur objectif Ă©tait de lutter pour l’indĂ©pendance. Ils s’étaient antĂ©rieurement affilliĂ©s Ă  certaines loges secrĂštes libĂ©rales alors actives en Europe. Ces loges dĂ©pendaient de la Grande Union AmĂ©ricaine, organisĂ©e par le prĂ©curseur Miranda Ă  Londres. Le triumvirat incorpora ces jeunes gens dans l’armĂ©e et leur octroya un grade militaire.

José de San Martín, fondateur de l'armée des Andes.

Parmi ceux-ci se distinguaient JosĂ© de San MartĂ­n, a qui le gouvernement confia le soin d’organiser un corps de cavalerie — le rĂ©giment de Grenadiers Ă  cheval — et Carlos MarĂ­a de Alvear, jeune ambitieux issu d’une des principales familles de Buenos Aires.

Peu aprĂšs leur arrivĂ©e, ils mirent sur pied une sociĂ©tĂ© secrĂšte, la loge lautarienne, dans le dessein de lutter pour l’indĂ©pendance et pour un rĂ©gime constitutionnel en AmĂ©rique ; cette loge s'efforçait de renforcer l’unitĂ© politique et militaire de la jeune rĂ©publique, par l’élaboration d’une stratĂ©gie globale contre le pouvoir des Espagnols en AmĂ©rique. Elle accueillit en son sein des personnalitĂ©s soutenant l’idĂ©al d’émancipation, comme Bernardo de Monteagudo, chef de la SociĂ©tĂ© patriotique (en esp. Sociedad PatriĂłtica).

La loge mĂšre Ă©tait situĂ©e Ă  Buenos Aires, mais possĂ©dait des filiales dans les provinces de l’intĂ©rieur. Son prĂ©sident Ă©tait Alvear, et son vice-prĂ©sident San MartĂ­n. Ses membres s’appelaient rĂ©ciproquement frĂšres, avaient un code spĂ©cial pour communiquer entre eux, et s’engageaient, au cas oĂč ils viendraient Ă  ĂȘtre sollicitĂ©s pour occuper des fonctions gouvernementales, Ă  en rĂ©fĂ©rer d'abord Ă  la Loge.

Dans le mĂȘme temps, les membres de la Sociedad PatriĂłtica, qui avaient initialement appuyĂ© le gouvernement, se mirent Ă  le critiquer. Par la voie de diffĂ©rents journaux, ils insistaient sur la nĂ©cessitĂ© de dĂ©clarer formellement l’indĂ©pendance et de rĂ©unir un congrĂšs en vue de rĂ©diger et sanctionner une constitution. Les points de vue de la Loge et de la Sociedad vinrent Ă  converger progressivement en une opposition conjointe.

La révolution du 8 octobre 1812 et la dissolution du premier triumvirat

Cependant, les luttes de pouvoir successives ne manquĂšrent pas de restreindre la capacitĂ© d’action des membres du triumvirat. Si ce rĂ©gime permit aux morĂ©nistes de neutraliser leurs adversaires, les dissensions internes et la menace d’une invasion par le BrĂ©sil finirent par miner leur pouvoir.

Début parvint dans la capitale la nouvelle que Belgrano, passant outre aux ordres du triumvirat, avait affronté les envahisseurs royalistes dans la bataille de Tucumån et avait remporté une importante victoire. Cette nouvelle anéantit ce qui restait de prestige au triumvirat.

JosĂ© de San MartĂ­n et les membres de la Loge lautarienne et de la SociĂ©tĂ© patriotique s’accordaient Ă  prĂ©coniser la crĂ©ation d’une armĂ©e de libĂ©ration, la future armĂ©e des Andes, et Ă  souhaiter la proclamation officielle de l’indĂ©pendance. La Loge tenta d’accĂ©der au pouvoir en soutenant la candidature de Monteagudo pour le renouvellement, fixĂ© Ă  , du mandat des triumvirs. Cependant, le triumvirat rĂ©ussit Ă  Ă©vincer Monteagudo et Ă  faire Ă©lire Pedro Medrano, proche de Rivadavia, assurant ainsi la continuĂŻtĂ© de sa politique. Voyant ainsi fermĂ©e la route vers le pouvoir, la Loge mobilisa les troupes, et fit occuper la place de Mai dans la matinĂ©e du par le rĂ©giment de Grenadiers Ă  cheval, sous le commandement de San MartĂ­n, et par le bataillon de Arribeños, placĂ© sous les ordres de Francisco Ortiz de Ocampo. De son cĂŽtĂ©, la Sociedad PatriĂłtica eut recours aux pĂ©titions publiques et Ă  la mobilisation des citadins[7].

AprĂšs que le gouvernement eut consenti, aprĂšs quelques tergiversations, Ă  dĂ©missionner, le Cabildo entreprit de constituer un second triumvirat, qui serait au diapason de la Loge lautarienne. L’élection fut ensuite ratifiĂ©e par le peuple.

Références

  1. Circulaire portant nomination du premier triumvirat (25 septembre 1811)
  2. Cf. Gerardo Bra, El Motín de las Trenzas, revue Todo es Historia, n° 187.
  3. C’est en tout cas l’opinion de Carlos S. A. Segreti, dans El unitarismo argentino, AZ Editora, Buenos Aires, 1991.
  4. Voir Edmundo Heredia, Expediciones reconquistadoras españolas al Río de la Plata (1811-1814), revue Todo es Historia, n° 201.
  5. Le procĂšs contre Álzaga ne dura que deux jours, ce qui tend Ă  faire penser que les accusĂ©s Ă©taient dĂ©jĂ  condamnĂ©s d’avance. Cf. Bernardo Lozier AlmazĂĄn, MartĂ­n de Álzaga, Éd. Ciudad Argentina, Buenos Aires, 1998.
  6. Bernardo Lozier Almazån, Martín de Álzaga, op. cit.
  7. Voir Alejandro E. Fernåndez, Aníbal Jåuregui et Darío Roldån, Un golpe militar en el camino hacia la independencia, revue Todo es Historia, n° 192. Cf. également Bartolomé Mitre, Historia de San Martín y de la emancipación sudamericana. Ed. Eudeba, Buenos Aires, 1968.

Bibliographie

  • Busaniche, JosĂ© Luis, Historia argentina. Éd. Solar, Buenos Aires, 1969.
  • Segreti, Carlos S. A., La aurora de la Independencia. Memorial de la Patria, tome II, Éd. La Bastilla, Buenos Aires, 1980.
  • Sierra, Vicente D., Historia de la Argentina, Éd. Garriga, Buenos Aires, 1973.
  • Ternavasio, Marcela, Gobernar la RevoluciĂłn, Éd. Siglo Veintiuno, Buenos Aires, 2007.
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.