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Bernardo de Monteagudo

Bernardo JosĂ© de Monteagudo (TucumĂĄn, - Lima, ), Ă©tait un avocat, magistrat, homme politique, journaliste, militaire, fonctionnaire, diplomate, Ă©crivain, intellectuel et rĂ©volutionnaire argentin[1], qui joua un rĂŽle de premier plan dans les processus d’indĂ©pendance Ă  Buenos Aires, dans le Haut-PĂ©rou, au Chili et au PĂ©rou. Cheville ouvriĂšre des libertadores JosĂ© de San MartĂ­n, Bernardo O'Higgins et SimĂłn BolĂ­var, il se situa dans l’aile la plus radicale du mouvement d’indĂ©pendance hispano-amĂ©ricain, prĂ©conisant et mettant en Ɠuvre, Ă  l’égal des jacobins argentins Mariano Moreno et Juan JosĂ© Castelli, des politiques rĂ©volutionnaires violentes.

Bernardo de Monteagudo
Illustration.
Copie du seul portrait authentique
de Bernardo de Monteagudo
Fonctions
Membre de l’assemblĂ©e constituante
dite de l’an XIII
–
Auditeur militaire dans l’armĂ©e des Andes
–
Ministre de la Guerre et de la Marine du PĂ©rou
–
Ministre de Gouvernement et des Affaires Ă©trangĂšres du PĂ©rou
–
Biographie
Nom de naissance Bernardo José de Monteagudo
Date de naissance
Lieu de naissance Tucumån, Vice-royauté du Río de la Plata
Date de décÚs
Lieu de décÚs Lima, Pérou
Nature du décÚs Attentat politique
SĂ©pulture CimetiĂšre de la Recoleta
Nationalité Argentine
Entourage Mariano Moreno, Juan José Castelli, José de San Martín, Simón Bolívar
DiplÎmé de Université de Chuquisaca
Profession avocat, magistrat, journaliste, militaire, Ă©crivain
RĂ©sidence TucumĂĄn, CĂłrdoba, Chuquisaca, Buenos Aires, Santiago du Chili, Mendoza et Lima

Ayant Ă©tĂ©, Ă  l’ñge de 19 ans, un des chefs de file de la rĂ©volution de Chuquisaca du , et en particulier le rĂ©dacteur de sa proclamation, il fait figure d’un des prĂ©curseurs des indĂ©pendances.

LiĂ© au rĂ©volutionnaire portĂšgne Juan JosĂ© Castelli, il adhĂ©ra au secteur le plus radical du mouvement indĂ©pendantiste. En 1811, il fut l’auteur du premier projet de constitution destinĂ© aux populations du RĂ­o de la Plata, c’est-Ă -dire des futurs États d’Argentine, de Bolivie et d’Uruguay. En 1812, il s’appliqua Ă  rĂ©organiser la SociĂ©tĂ© patriotique, sociĂ©tĂ© secrĂšte attachĂ©e Ă  la faction morĂ©niste de Buenos Aires, en compagnie des membres de laquelle il adhĂ©ra ensuite Ă  la loge lautarienne.

En tant que frĂšre de cette loge, il exerça une influence politique sur le second triumvirat, sur l’AssemblĂ©e de l'an XIII, dont il Ă©tait membre, et sur le gouvernement du Directeur suprĂȘme Carlos MarĂ­a de Alvear. Il assista JosĂ© de San MartĂ­n comme auditeur de l’armĂ©e des Andes et rĂ©digea l’acte d’indĂ©pendance du Chili, sous lequel Bernardo O'Higgins plaça sa signature en 1818. Au PĂ©rou, il fut, dans le premier gouvernement indĂ©pendant de ce pays, ministre de la guerre et de la marine, puis, ultĂ©rieurement, ministre de gouvernement et des affaires Ă©trangĂšres de San MartĂ­n. À ce titre, en plus de crĂ©er un certain nombre d’institutions publiques (Ă©cole normale, bibliothĂšque nationale), il mit en Ɠuvre diverses rĂ©formes radicales, telles que la suppression des titres nobiliaires, l’abolition de la traditionnelle mita (corvĂ©e indigĂšne), la libertĂ© des ventres, l’interdiction de la torture, etc.

AprĂšs le retrait de ce dernier, il vint Ă  faire partie du personnel de confiance du libertador SimĂłn BolĂ­var. À ce moment, il avait dĂ©veloppĂ© une vision amĂ©ricaniste de la rĂ©volution hispano-amĂ©ricaine, qui le porta Ă  concevoir et proposer la crĂ©ation d’une seule et grande nation hispano-amĂ©ricaine. Le rĂȘve de Monteagudo suscita l’enthousiasme et se confondit avec le rĂȘve semblable de BolĂ­var, qui le chargea d’organiser le congrĂšs de Panama, en vue d’établir une confĂ©dĂ©ration hispano-amĂ©ricaine. Certains historiens soutiennent que la mort de Monteagudo eut un effet nĂ©gatif sur la concrĂ©tisation de ladite confĂ©dĂ©ration, contribuant Ă  Ă©chec de celle-ci.

Il fonda et dirigea des revues indépendantistes dans trois pays, notamment la Gaceta de Buenos Aires, Mårtir o Libre et El Grito del Sud, en Argentine ; El Censor de la Revolución au Chili, et El Pacificador au Pérou.

Monteagudo mourut poignardĂ© Ă  Lima, Ă  l’ñge de 35 ans. Sa figure fut, et continue d’ĂȘtre, objet de controverses.

Jeunesse Ă  TucumĂĄn et CĂłrdoba

Bernardo de Monteagudo naquit Ă  TucumĂĄn, dans le nord-ouest de l’Argentine actuelle, d’un pĂšre espagnol, Miguel Monteagudo, vaillant militaire, dotĂ© d’une certaine instruction, mais sans fortune[2], et d’une mĂšre tucumane, Catalina CĂĄceres Bramajo. Une autre version tient que sa mĂšre Ă©tait l’esclave d’un chanoine, que celle-ci Ă©pousa par la suite un soldat d’origine espagnole et qu’elle monta une Ă©picerie, avec les revenus de laquelle elle finança les Ă©tudes d’avocat de Bernardo, son fils d’un premier lit[3]. Il fut le seul survivant d’une fratrie de onze enfants et, orphelin de mĂšre Ă  l’ñge de 13 ans, passa son enfance dans un relatif dĂ©nuement Ă©conomique, mais put nĂ©anmoins poursuivre des Ă©tudes de droit Ă  CĂłrdoba ; son pĂšre, qui mourut aprĂšs avoir dĂ©pensĂ© toute sa fortune Ă  aider son fils, Ă©tait propriĂ©taire d’une Ă©picerie et d’une esclave[4]. DĂšs le plus jeune Ăąge, il se distingua par une intelligence hors normes et une mĂ©moire extraordinaire[5]. NĂ© la mĂȘme annĂ©e oĂč Ă©clata la RĂ©volution française, il se plaira ultĂ©rieurement Ă  s’identifier Ă  Saint-Just[2]

Plus tard, ses ennemis politiques s’emploieront, son teint sombre Ă  l’appui, Ă  le stigmatiser au titre de la puretĂ© de sang (limpieza de sangre), sur la base des catĂ©gorisations raciales Ă©tablies dans les colonies espagnoles, en soutenant que sa mĂšre avait des ascendances indigĂšnes ou d’esclaves africains et en lui appliquant les qualificatifs de zambo ou de mulĂątre[6] - [4] - [7]. Monteagudo Ă©prouvera toujours le plus profond dĂ©dain Ă  l’égard des considĂ©rations raciales, et c’est peut-ĂȘtre pour ces raisons que lui et JosĂ© de San MartĂ­n, Ă  qui l’on imputait du sang indien, interdirent par dĂ©cret, dĂšs qu’ils se furent emparĂ©s du pouvoir au PĂ©rou, l’usage du terme Indio, disposant que tous les habitants fussent simplement dĂ©signĂ©s par le terme Peruano[5]

Études et sĂ©jour dans le Haut-PĂ©rou

Sur recommandation d’un prĂȘtre ami de son pĂšre, il s’inscrivit Ă  l’universitĂ© de Chuquisaca (dans l'actuelle Sucre en Bolivie), oĂč il eut pour condisciples Mariano Moreno, Juan JosĂ© Castelli, Juan JosĂ© Paso et TomĂĄs de Anchorena, entre autres, tous protagonistes de la future rĂ©volution de Mai Ă  Buenos Aires. Les diplĂŽmĂ©s de cette emblĂ©matique et rĂ©putĂ©e universitĂ©, oĂč les Ă©lites de la Vice-royautĂ© du RĂ­o de la Plata avaient coutume d’envoyer leurs enfants faire des Ă©tudes, formaient un vĂ©ritable rĂ©seau d’influence et de loyautĂ©, au sein duquel allait se dĂ©velopper et se diffuser le projet indĂ©pendantiste.

Monteagudo, s’il obtint en 1808 son diplĂŽme en droit en soutenant une thĂšse monarchiste et trĂšs conservatrice, intitulĂ©e Sobre el origen de la sociedad y sus medios de mantenimiento (litt. De l’origine de la sociĂ©tĂ© et de ses moyens de prĂ©servation[8]), s’était pourtant radicalisĂ© par ses lectures (Montesquieu, Locke, Diderot, et surtout Rousseau, mais aussi l’abbĂ© Raynal et son Histoire philosophique et politique des Ă©tablissements et du commerce des EuropĂ©ens dans les deux Indes, dans lequel le colonialisme et l’esclavage Ă©taient durement condamnĂ©s, l’inquisition attaquĂ©e et les Incas idĂ©alisĂ©s[9]) et commença sitĂŽt titularisĂ© Ă  exercer le mĂ©tier d’avocat comme dĂ©fenseur des pauvres.

Cette mĂȘme annĂ©e 1808, aprĂšs qu’il eut appris l’invasion de l’Espagne par NapolĂ©on Bonaparte, Monteagudo rĂ©digea une Ɠuvre intitulĂ©e DiĂĄlogo entre Atahualpa y Fernando VII en los Campos ElĂ­seos (litt. Dialogue entre Atahualpa et Ferdinand VII dans les Champs ÉlysĂ©es), entrevue imaginaire entre Atahualpa, dernier monarque de l’Empire inca, assassinĂ© par les envahisseurs espagnols, et Ferdinand VII, dĂ©mis de la couronne espagnole par l’occupant français. Dans cet ouvrage, Monteagudo, alors ĂągĂ© d’à peine dix-huit ans, formula le dĂ©nommĂ© syllogisme de Chuquisaca, restĂ© fameux :

« Doit-on suivre le destin de l’Espagne ou rĂ©sister en AmĂ©rique ? Les Indes sont une possession personnelle du roi d’Espagne ; le roi est empĂȘchĂ© de rĂ©gner ; donc, les Indes doivent se gouverner elles-mĂȘmes. »

— Bernardo de Monteagudo, Diálogo entre Atahualpa y Fernando VII, 1808.

C’est dans cet Ă©crit aussi qu’apparut l’une des premiĂšres proclamations indĂ©pendantistes de l’histoire de l’AmĂ©rique du Sud :

« Habitants du PĂ©rou : si, dĂ©naturalisĂ©s et insensibles, vous avez contemplĂ© jusqu’à ce jour avec une apparente tranquillitĂ© et sĂ©rĂ©nitĂ© la dĂ©solation et l’infortune de votre malheureuse Patrie, rĂ©veillez-vous enfin de votre pesante lĂ©thargie, dans laquelle vous ĂȘtes restĂ©s submergĂ©s. Que disparaisse la pĂ©nible et funeste nuit de l’usurpation, et que se lĂšve, lumineux et clair, le jour de la libertĂ©. Brisez les terribles chaĂźnes de la servitude et commencez Ă  jouir des dĂ©licieux enchantements de l’indĂ©pendance.

Convainquez-vous, insiste Atahualpa, de ce que les Espagnols ont Ă©tĂ© des violateurs sacrilĂšges des droits sacrĂ©s et inviolables de la vie, de la libertĂ© de l’homme. Avisez-vous comment, envieux et courroucĂ©s de ce que la nature eĂ»t prodiguĂ© autant de richesses Ă  leur AmĂ©rique, tout en les refusant au sol espagnol, ils l’ont foulĂ© de toutes parts. Reconnaissez, enfin, que votre trĂŽne se trouvait, en ce qui touche aux AmĂ©riques, appuyĂ© sur l’injustice et Ă©tait le siĂšge mĂȘme de l’iniquitĂ© »

— Bernardo de Monteagudo, citĂ© dans VĂĄzquez Villanueva, 2006, p. 49 et 50.

Cet opuscule de Monteagudo, qui circula sous le manteau, fut l’un de ceux qui inspirĂšrent les soulĂšvements indĂ©pendantistes de Chuquisaca, de La Paz et de Buenos Aires.

En , il s’engagea, avec le grade de lieutenant d’artillerie, dans l’armĂ©e rĂ©volutionnaire de Chuquisaca dirigĂ©e par Juan Antonio Álvarez de Arenales. ÂgĂ© de dix-neuf ans Ă  peine, il sera le rĂ©dacteur de la proclamation de la rĂ©volution de Chuquisaca, Ă©nonçant notamment :

« Jusqu’ici, nous avons tolĂ©rĂ© cette espĂšce de bannissement au sein mĂȘme de notre patrie, nous avons vu avec indiffĂ©rence durant plus de trois siĂšcles notre primitive libertĂ© immolĂ©e au despotisme et Ă  la tyrannie d’un usurpateur injuste (allusion Ă©vidente Ă  l’Espagne) , lequel, nous dĂ©gradant du genre humain, nous a constamment rĂ©putĂ©s sauvages et regardĂ©s comme des esclaves. Nous avons gardĂ© un silence assez analogue Ă  la stupiditĂ© qui nous est imputĂ©e par l’inculte Espagnol, souffrant avec tranquillitĂ© que le mĂ©rite des AmĂ©ricains ait toujours Ă©tĂ© un prĂ©sage certain de leur humiliation et ruine. »

Le vice-roi du RĂ­o de la Plata Baltasar Hidalgo de Cisneros ordonna une violente rĂ©pression des rĂ©volutions de Chuquisaca et de La Paz, rĂ©pression mise en Ɠuvre depuis le sud par Vicente Nieto, et depuis le nord par JosĂ© Manuel de Goyeneche. Lorsque les forces royalistes eurent repris en main le Haut-PĂ©rou, Monteagudo fut incarcĂ©rĂ© en mĂȘme temps que les autres meneurs indĂ©pendantistes, et inculpĂ© de l’« abominable dĂ©lit de dĂ©loyautĂ© Ă  la cause du roi »[7]. En , aprĂšs ĂȘtre parvenu Ă  s’évader de la prison de Chuquisaca, et alors que la rĂ©volution de Mai avait eu lieu Ă  Buenos Aires, il se transporta vers PotosĂ­ et s’y enrĂŽla quelques mois plus tard comme auditeur dans l’armĂ©e du Nord des Provinces-Unies du RĂ­o de la Plata, qui, sous le commandement de Juan JosĂ© Castelli, s’était emparĂ©e de cette ville Ă  la suite de sa victoire Ă  la bataille de Suipacha[7]. Monteagudo se lia avec Castelli, qui appartenait Ă  l’aile radicale de la rĂ©volution de Mai, aile radicale qui, avec Ă  sa tĂȘte Mariano Moreno, se trouvait confrontĂ©e au courant conservateur emmenĂ© par Cornelio Saavedra, prĂ©sident de la dĂ©nommĂ©e PremiĂšre Junte, premier gouvernement autonome de Buenos Aires. Le Haut-PĂ©rou avait, pour des hommes tels que Monteagudo et Castelli, une double connotation : c’était d’abord et sans conteste la rĂ©gion qui faisait planer la menace la plus redoutable quant Ă  la pĂ©rennitĂ© de la rĂ©volution, et c’était aussi la terre oĂč ils s’étaient construits intellectuellement ‒ c’est en effet dans les amphithĂ©Ăątres et dans les bibliothĂšques de Chuquisaca que Mariano Moreno, Bernardo de Monteagudo et Juan JosĂ© Castelli s’étaient familiarisĂ©s avec l’Ɠuvre de Rousseau, et c’est dans les rues et dans les mines de PotosĂ­ qu’ils Ă©taient entrĂ©s en contact avec les degrĂ©s les plus hauts et les plus pervers de l’exploitation de l’homme, et c’est lĂ  enfin qu’ils eurent connaissance d’une Ă©popĂ©e occultĂ©e par l’histoire officielle de la vice-royautĂ©, la grande rĂ©bellion tupamariste de 1780 Ă  1782[10].

Monteagudo appuya sans rĂ©serve les mesures radicales adoptĂ©es par Castelli dans le Haut-PĂ©rou, lesquelles incluaient la suppression des tributs imposĂ©s aux indigĂšnes et de l’Inquisition, l’abolition des titres de noblesse, et l’élimination des instruments de torture[7]. Il soutint de mĂȘme la dĂ©cision de Castelli d’exĂ©cuter les militaires et hauts fonctionnaires royalistes Ă  l’origine de la rĂ©pression des mouvements indĂ©pendantistes, Francisco de Paula Sanz, Vicente Nieto et JosĂ© de CĂłrdoba, tenus responsables des massacres de Chuquisaca et de La Paz[7]. Monteagudo soutint Ă©galement la politique, telle que prescrite par Mariano Moreno, de surveillance, confinement et dĂ©portation des Espagnols suspectĂ©s d’appuyer les royalistes ; cette politique se traduisit alors notamment par la dĂ©cision de Castelli de dĂ©porter hors de PotosĂ­ vers Salta un groupe de 56 Espagnols soupçonnĂ©s de ne pas soutenir l’indĂ©pendance[7]. Enfin, Monteagudo partagea avec les rĂ©volutionnaires une attitude hostile envers l’Église catholique, en raison de l’opposition de celle-ci Ă  l’indĂ©pendance ; les mesures en ce sens prises par Castelli dans le Haut-PĂ©rou provoquĂšrent une vive rĂ©action de rejet de la part d’une population trĂšs attachĂ©e au catholicisme.

À la suite de la bataille de Huaqui, qui se solda par la victoire des troupes royalistes placĂ©es sous les ordres du gĂ©nĂ©ral Goyeneche, Monteagudo se rendit Ă  Buenos Aires.

SĂ©jour Ă  Buenos Aires

Premier numĂ©ro de MĂĄrtir o Libre (litt. Martyre ou Libre), revue rĂ©volutionnaire fondĂ©e par Bernardo de Monteagudo Ă  Buenos Aires en 1812. En exergue est citĂ© un fragment en latin des Catilinaires de CicĂ©ron, signifiant : « Pensez Ă  vous-mĂȘmes, souciez-vous de la patrie, sauvez-vous vous-mĂȘmes, vos Ă©pouses, enfants et fortunes ; dĂ©fendez le nom et l’existence du peuple ».

Monteagudo arriva Ă  Buenos Aires en 1811 aprĂšs la mort en haute mer de Mariano Moreno et aprĂšs la rĂ©volution des 5 et , qui, en Ă©cartant du gouvernement l’aile radicale de la rĂ©volution de Mai, consolida le pouvoir de la faction conservatrice emmenĂ©e par Cornelio Saavedra. Lors du procĂšs organisĂ© pour identifier les coupables de la dĂ©faite de Huaqui, Monteagudo assura la dĂ©fense de plusieurs des accusĂ©s, dont Castelli. Il fut directeur, en alternance avec Vicente Pazos Silva, de la revue Gaceta de Buenos Aires, pour laquelle il rĂ©digea un certain nombre de textes, dont voici un Ă©chantillon : « Je me flatte de ce que le beau sexe rĂ©pondra Ă  mes espĂ©rances et donnera aux hommes les premiĂšres leçons d’énergie et d’enthousiasme pour notre sainte cause. Si elles, qui par leurs attraits ont droit aux hommages de la jeunesse, employaient l’empire de leur beautĂ© Ă  conquĂ©rir, outre les corps, les esprits des hommes, quels progrĂšs notre systĂšme ne ferait-il pas ? » Cet article lui valut d’ailleurs une admonestation de la part de Bernardino Rivadavia, alors secrĂ©taire du premier triumvirat, ainsi libellĂ©e : « Le gouvernement ne vous a pas donnĂ© la puissante voix de son imprimerie pour que vous prĂȘchiez la corruption des jeunes filles ». D’autre part, le codirecteur de la revue, Pazos Silva, devait bientĂŽt se muer en son ennemi, le taxant de profanateur sacrilĂšge. Monteagudo decidera de fonder sa propre revue, MĂĄrtir o Libre (litt. Martyr ou Libre), en 1812.

Il eut une certaine influence sur la rĂ©daction du Statut provisoire, qui devait rĂ©gir le gouvernement du nouvel État jusqu’à la convocation de l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale constituante, et constitue le premier ensemble de dispositions constitutionnelles jamais Ă©dictĂ©es dans le cĂŽne Sud amĂ©ricain.

Il dĂ©fendit la politique morĂ©niste consistant Ă  maintenir une vigilance et une suspicion permanentes Ă  l’égard des Espagnols pĂ©ninsulaires. En 1812, sous le premier triumvirat, il appuya l’inculpation et l’instruction judiciaire menĂ©es par le ministre Rivadavia contre un groupe de prĂ©sumĂ©s conspirateurs accusĂ© d’avoir trempĂ© dans un complot contre le gouvernement, complot dont l’homme d’affaires et ancien alcade d’origine basque espagnole MartĂ­n de Álzaga aurait Ă©tĂ© le cerveau ; Monteagudo fut nommĂ© par Rivadavia procureur dans le procĂšs sommaire intentĂ© contre les inculpĂ©s, expĂ©diĂ© en seulement deux jours, sans qu’il fĂ»t permis aux accusĂ©s de se dĂ©fendre, comme, il est vrai, cela Ă©tait la rĂšgle dans les deux camps durant la guerre d’indĂ©pendance. Le jugement aboutit Ă  l’exĂ©cution des 41 condamnĂ©s, suivie de la pendaison de leur cadavre sur la place de Mai (qui s’appelait encore Plaza de la Victoria), y compris d’Álzaga, ce qui ne laissa pas de provoquer une grande commotion, vu qu’il s’agissait d’une personnalitĂ© fortunĂ©e et influente. Ces exĂ©cutions dĂ©sorganisĂšrent le groupe espagnoliste, qui Ă©tait actif dĂšs avant la rĂ©volution et s’opposait au groupe amĂ©ricaniste, qui avait pris le pouvoir en 1810[11].

Dans la revue MĂĄrtir o Libre, fondĂ©e par lui en 1812, il ne se lassera pas de garder vivace le discours de Moreno, d’insister sur la nĂ©cessitĂ© d’une proclamation formelle immĂ©diate de l’indĂ©pendance des Provinces-Unies du RĂ­o de la Plata, et ne manqua jamais de conclure ses articles par un ÂĄviva la RepĂșblica! Il tenta de relancer la Sociedad PatriĂłtica, et se joignit, en compagnie de ceux qui avaient Ă©tĂ© membres de celle-ci, Ă  la loge (non maçonnique) lautarienne, fondĂ©e par JosĂ© de San MartĂ­n et Carlos MarĂ­a de Alvear. Il soutint la rĂ©volution d’, qui destitua le premier triumvirat pour lui substituer le second triumvirat, dominĂ© par ladite loge.

Il devint membre de l’assemblĂ©e constituante dite AssemblĂ©e de l'an XIII, au titre de reprĂ©sentant de la province de Mendoza, et sera l’un des impulseurs d’une sĂ©rie de dispositions constitutionnelles, telles que l’adoption des symboles nationaux, l’abolition de la mita et du servage indigĂšne, la libertĂ© des ventres, et la suppression des titres de noblesse et des instruments de torture.

En 1814, il apporta son appui au Directeur suprĂȘme des Provinces-Unies du RĂ­o de la Plata, Carlos MarĂ­a de Alvear, un des dirigeants de la loge lautarienne, du mĂȘme Ăąge environ que lui, et qui avait favorisĂ© son entrĂ©e dans la loge. À la chute d’Alvear en 1815, aprĂšs que celui-ci eut tentĂ© d’évincer San MartĂ­n de la scĂšne politique, Monteagudo, entraĂźnĂ© dans la mĂȘme disgrĂące, fut, Ă  la suite d’un procĂšs politique incertain, et aprĂšs confiscation de tous ses biens, incarcĂ©rĂ© dans une prison flottante sur le RĂ­o de la Plata, d’oĂč il rĂ©ussit Ă  s’échapper. Par la suite, il passa deux ans en Europe, de 1815 Ă  1817,‒ Ă  Londres, oĂč il sollicita l’appui de Rivadavia, Ă  Paris, et dans la maison de Juan Larrea Ă  Bordeaux ‒ oĂč, rĂ©orientant ses positions politiques, il se mua en un partisan de la monarchie constitutionnelle.

Activité à Mendoza et San Luis et au Chili

Proclamation de l’indĂ©pendance du Chili, dont Monteagudo passe gĂ©nĂ©ralement pour ĂȘtre l’auteur, mais dont la paternitĂ©, discutĂ©e, est parfois attribuĂ©e aussi Ă  Miguel Zañartu.

Que ce fĂ»t par l’intercession de Rivadavia ou par l’influence de la loge lautarienne, ou par l’effet de ses contacts en France avec Juan Larrea, le Directeur suprĂȘme Juan MartĂ­n de PueyrredĂłn finit par accĂ©der Ă  sa demande d’autorisation de retour, Ă  la condition expresse cependant qu’il ne s’attardĂąt pas Ă  Buenos Aires. Ainsi revenu dans le RĂ­o de la Plata en , il put compter sur l’amitiĂ© et les bons services d’Antonio GonzĂĄlez Balcarce pour reprendre pied sur le sol amĂ©ricain, attendu que tous deux avaient Ă©tĂ© compagnons d’armes dans l’armĂ©e du Nord et que Monteagudo avait dĂ©fendu Balcarce avec succĂšs dans les procĂšs qui suivirent. Exerçant Ă  ce moment la fonction de gouverneur de Mendoza, Balcarce put lui adresser une invitation Ă  rejoindre sa capitale, oĂč Monteagudo s’engagea dans les forces armĂ©es placĂ©es sous le commandement de Bernardo O'Higgins et de San MartĂ­n.

Monteagudo prit part Ă  la guerre souterraine connue sous le nom de guerre de sape (en esp. guerra de zapa). MĂȘme s’il ne disposait pas de tous les moyens nĂ©cessaires et que souvent ses Ă©crits sortaient de sa plume mais non de l’imprimerie, il s’évertua, par ce mode d’action guerriĂšre, de confondre l’ennemi, de dĂ©moraliser ses troupes, de galvaniser les siennes propres, de dissimuler les Ă©checs, d’exalter les victoires, et de façon gĂ©nĂ©rale d’aplanir le terrain en vue de l’entrĂ©e triomphale du libertador San MartĂ­n Ă  Lima[12].

En 1817, peu de jours aprĂšs la bataille de Chacabuco, il franchit la cordillĂšre des Andes et se plaça sous les ordres de JosĂ© de San MartĂ­n en qualitĂ© d’auditeur de l’armĂ©e des Andes. En , il rĂ©digea vraisemblablement l’acte d’indĂ©pendance du Chili (la paternitĂ© toutefois en est disputĂ©e avec Miguel Zañartu), et se fit le confident et le conseiller du Directeur suprĂȘme chilien Bernardo O'Higgins, lui aussi membre de la loge lautarienne.

AprĂšs la dĂ©bandade causĂ©e par la dĂ©nommĂ©e Surprise de Cancha Rayada, il retourna Ă  Mendoza dans le but de regrouper les forces, mais, une fois sur place, apprit que l’armĂ©e des Andes s’était rĂ©organisĂ©e, et que San MartĂ­n et O'Higgins Ă©taient toujours vivants. AprĂšs la victoire patriote Ă  la bataille de MaipĂș, il sera impliquĂ© dans l’exĂ©cution sommaire des frĂšres Juan JosĂ© et Luis Carrera, et probablement aussi dans l’assassinat de Manuel RodrĂ­guez ErdoĂ­za, Ă  la suite de la dĂ©tention de celui-ci par O'Higgins[13] - [14]. Les Carrera et RodrĂ­guez appartenaient en effet Ă  un courant indĂ©pendantiste frontalement opposĂ© Ă  San MartĂ­n et O'Higgins[15].

L’aval donnĂ© par Monteagudo Ă  la peine de mort pour les frĂšres Carrera le mit en conflit avec San MartĂ­n et avec la loge lautarienne. En consĂ©quence de cet acte, San MartĂ­n prononça contre lui une mesure d’assignation en rĂ©sidence surveillĂ©e Ă  San Luis. Pendant son sĂ©jour dans cette ville, Monteagudo fit pression sur le gouverneur Vicente Dupuy afin que celui-ci durcĂźt les conditions de rĂ©clusion auxquelles Ă©tait soumis un groupe de royalistes prisonniers[16]. C’est lĂ  Ă©galement qu’il s’éprit de Margarita Pringles, sƓur du lieutenant Juan Pascual Pringles, commandant des troupes patriotes qui s’y trouvaient cantonnĂ©es. Toutefois, la jeune femme repoussera les avances de Monteagudo, Ă©tant pour sa part amoureuse d’un des prisonniers royalistes, le brigadier JosĂ© Ordóñez[16].

C’est dans ce contexte que se produisit un affrontement entre les prisonniers royalistes et les troupes patriotes qui les gardaient. L’incident dĂ©buta quand une dĂ©lĂ©gation des officiers espagnols dĂ©tenus sollicita un entretien avec le gouverneur Vicente Dupuy. Pendant la rencontre, le capitaine Gregorio Carretero attaqua le gouverneur avec un poignard, dans l’intention de le tuer, tandis que d’autres Espagnols assassinaient son adjudant. AussitĂŽt aprĂšs, les prisonniers entreprirent de s’emparer de l’hĂŽtel de gouvernement, « blessant et tuant tous ceux qui s’opposaient Ă  leur volontĂ© »[16]. Les troupes patriotes, conduites par Pringles, que secondait le Riojano Facundo Quiroga, assaillirent l’hĂŽtel de gouvernement Ă  l’effet de le rĂ©cupĂ©rer, et « aprĂšs une bataille acharnĂ©e et sanglante, mirent fin Ă  la mutinerie »[16]. Alors que l’affrontement Ă©tait encore en cours, le gouverneur Dupuy donna ordre d’égorger sans dĂ©lai 31 prisonniers espagnols.

« (La mutinerie) fut soigneusement planifiĂ©e et l’un de ses objectifs Ă©tait d’assassiner le dĂ©testĂ© Monteagudo, puis de se pourvoir en armes, chevaux et victuailles, pour traverser la cordillĂšre et se joindre Ă  nouveau Ă  l’armĂ©e royaliste. »

— Pacho O'Donell[16].

Le lendemain, Monteagudo, dĂ©signĂ© procureur dans le procĂšs qui suivit contre les royalistes survivants, obtint l’exĂ©cution de huit d’entre eux[16] - [17] - [18] - [19].

Sa rĂ©sidence surveillĂ©e ayant pris fin dĂ©but 1820, il revint Ă  Santiago du Chili, oĂč il fonda la revue El Censor de la RevoluciĂłn et aida Ă  prĂ©parer l’ExpĂ©dition libĂ©ratrice du PĂ©rou.

ƒuvre politique au PĂ©rou

L’ordre du Soleil, distinction dĂ©cernĂ©e par le PĂ©rou.

En 1821, Monteagudo s’engagea dans l’ExpĂ©dition libĂ©ratrice dirigĂ©e par San MartĂ­n, s’embarquant en qualitĂ© d’auditeur de l’armĂ©e argentine au PĂ©rou, en remplacement d’Antonio Álvarez Jonte, rĂ©cemment dĂ©cĂ©dĂ©. Son premier succĂšs fut de convaincre le gouverneur de Trujillo de passer dans les rangs patriotes : il s’agissait du marquis de Torre Tagle, futur premier prĂ©sident pĂ©ruvien (avec le titre de DĂ©lĂ©guĂ© suprĂȘme) de la nouvelle rĂ©publique du PĂ©rou.

Le , San MartĂ­n proclama Ă  Lima l’indĂ©pendance du PĂ©rou, pour assumer ensuite, le , la fonction de Protecteur suprĂȘme. Monteagudo, devenu la main droite de San MartĂ­n au gouvernement, occupa le poste de ministre de la Guerre et de la Marine, y ajoutant plus tard le portefeuille du ministĂšre du Gouvernement et des Affaires Ă©trangĂšres. Comme San MartĂ­n se concentrait sur les aspects militaires, donnant la prioritĂ© aux opĂ©rations de guerre, il en rĂ©sulta que Monteagudo se trouvait de facto chargĂ© du gouvernement du PĂ©rou. Sans pour autant nĂ©gliger de crĂ©er et de soutenir une presse favorable Ă  sa politique et dĂ©fenderesse de la pensĂ©e de San MartĂ­n, Monteagudo se voua avec ardeur Ă  un travail lĂ©gislatif et gouvernemental en accord avec ses a priori idĂ©ologiques.

Ses principales mesures gouvernementales consisteront Ă  instituer la libertĂ© des ventres, Ă  abolir la mita, Ă  expulser l’archevĂȘque de Lima, Ă  crĂ©er une Ă©cole normale pour la formation des maĂźtres d’école, Ă  octroyer une pension viagĂšre aux libĂ©rateurs du PĂ©rou, et Ă  fonder la BibliothĂšque nationale du PĂ©rou.

Cependant, la pensĂ©e de Monteagudo avait subi durant son sĂ©jour en Europe une transformation que l’historienne Amorina Villareal Brasca a esquissĂ©e comme suit :

« En outre, le flamboyant jeune universitaire, cet ardent dĂ©fenseur de la cause indĂ©pendantiste, rĂ©publicaine et dĂ©mocratique sans demi-teintes, avait sĂ©journĂ© de l’autre cĂŽtĂ© de l’Atlantique. Le changement Ă©tait intĂ©rieur ; quoiqu’il eĂ»t choisi de se vĂȘtir dorĂ©navant « Ă  l’europĂ©enne », il est sĂ»r que ce qui avait basculĂ©, c’était sa pensĂ©e. Être tĂ©moin de ce que l’Europe s’acheminait vers la cause monarchiste aprĂšs une expĂ©rience de guerre et de dĂ©solation brutale consĂ©cutive aux tentatives d’appliquer les thĂ©ories libĂ©rales, ont conduit Monteagudo Ă  abandonner ses conceptions les plus radicales. Nous verrons comment dĂ©sormais il renoncera Ă  son postulat classique et caractĂ©ristique de ÂĄviva la RepĂșblica!, pour une version plus modĂ©rĂ©e du libĂ©ralisme et pour la conviction que l’AmĂ©rique avait besoin de gouvernements forts pour prendre en mains son avenir. Monteagudo dĂ©savoue explicitement son passĂ© jacobin et rejoint les penseurs qui soulignent la nĂ©cessitĂ© d’ĂȘtre pragmatique. Les temps demandent la mise en place d’un exĂ©cutif puissant pour les AmĂ©ricains, un systĂšme de commandement unique propre Ă  mettre un terme aux sanglantes disputes internes et Ă  obtenir, une fois pour toutes, l’indĂ©pendance tant convoitĂ©e. »

— Amorina Villareal Brasca, Revista Complutense de Historia de AmĂ©rica, 2009, vol. 35, p. 288.

Monteagudo se rangea donc Ă  l’opinion de San MartĂ­n, qui Ă©tait favorable lui aussi Ă  l’instauration d’une monarchie constitutionnelle au PĂ©rou, et marqua fortement de son empreinte tant l’idĂ©e elle-mĂȘme que la propagande qui en fut faite, surtout par la voie de la Sociedad PatriĂłtica de Lima, fondĂ©e par lui en 1822. Les deux hommes partageaient l’opinion selon laquelle seule une monarchie constitutionnelle dĂ©mocratique fĂ»t Ă  mĂȘme d’éviter l’anarchie et les guerres intestines[20]. D’autre part, Monteagudo estimait que la tĂąche prioritaire Ă©tait de dĂ©clarer et de consolider l’indĂ©pendance, et que les libertĂ©s politiques ne devaient ĂȘtre Ă©tablies qu’ensuite et progressivement[20]. Cette ligne stratĂ©gique de Monteagudo se traduisit par la dĂ©cision prise par San MartĂ­n de ne pas sanctionner dans l’immĂ©diat une constitution, diffĂ©rant l’accomplissement de cette tĂąche jusqu’au moment oĂč l’indĂ©pendance serait assurĂ©e, et Ă©dictant en contrepartie le RĂšglement du , puis le Statut provisoire du .

Sur disposition de San MartĂ­n, Monteagudo crĂ©a l’ordre du Soleil, dans le but d’honorer les patriotes ayant contribuĂ© Ă  rĂ©aliser l’indĂ©pendance du PĂ©rou, cette distinction ainsi que les avantages qui s’y rattachaient Ă©tant par ailleurs hĂ©rĂ©ditaires. L’ordre du Soleil Ă©tait une institution fort controversĂ©e, de type aristocratique ; dans ses Memorias, Monteagudo lui-mĂȘme reconnut qu’elle avait pour but de « restreindre les idĂ©es dĂ©mocratiques »[16]. Les opinions monarchiques de Monteagudo Ă©taient trĂšs impopulaires au PĂ©rou, et fournissait l’axe autour duquel allait s’organiser l’opposition appelĂ©e Ă  provoquer sa chute aprĂšs le dĂ©part de San MartĂ­n. L’ordre du Soleil fut aboli en 1825, puis rĂ©tabli en 1921, sous le nom d’Orden El Sol del PerĂș, et subsiste jusqu’à aujourd’hui.

Entre et , Monteagudo Ă©dicta une sĂ©rie de rĂ©solutions tendant Ă  bannir les Espagnols pĂ©ninsulaires qui n’auraient pas fait allĂ©geance au nouveau pouvoir, Ă  confisquer une partie de leurs biens et Ă  leur interdire la pratique du commerce[16]. Aucune recherche historique prĂ©cise n’a Ă©tĂ© effectuĂ©e sur le nombre des partisans du roi d’Espagne ayant quittĂ© le PĂ©rou par suite des circonstances graves entourant l’indĂ©pendance du pays ou consĂ©cutivement Ă  leur refus de reconnaĂźtre le nouveau pouvoir politique, mais des estimations indiquent un nombre total se situant entre dix et douze mille[21]. Ricardo Palma, dans son Ă©tude historique consacrĂ©e Ă  Monteagudo, Ă©valua Ă  4 000 le nombre d’Espagnols expulsĂ©s du PerĂș par sa dĂ©cision[22].

Le , San MartĂ­n quitta Lima pour aller s’entretenir avec SimĂłn BolĂ­var lors de la dĂ©nommĂ©e rencontre de Guayaquil, laissant l’exercice du pouvoir, avec le titre de DĂ©lĂ©guĂ© suprĂȘme, Ă  JosĂ© Bernardo de Tagle. L’absence de San MartĂ­n eut pour effet de fragiliser la position de Monteagudo. L’opposition, emmenĂ©e par JosĂ© Faustino SĂĄnchez CarriĂłn, dĂ©fenseur Ă  outrance de l’option rĂ©publicaine, saisit l’occasion de se dĂ©barrasser du dĂ©testĂ© Monteagudo, l’homme de San MartĂ­n. Vu que peu osaient s’en prendre Ă  ce dernier directement, l’on s’attaqua Ă  Monteagudo, Ă  propos de sa personne, mais aussi en raison de son apologie de la monarchie constitutionnelle et de la dictature du protectorat, et de ses mesures gouvernementales (comme l’abolition des corvĂ©es indigĂšnes, source importante de revenus pour les Ă©lites de Lima). Le , un groupe d’influents citoyens de Lima remirent Ă  Tagle un manifeste exigeant la dĂ©mission de Monteagudo. Tagle accĂ©da Ă  cette demande et dĂ©crĂ©ta la destitution de Monteagudo. Dans la foulĂ©e, le CongrĂšs dĂ©cida son bannissement pour PanamĂĄ, sous peine de mort en cas de retour au PĂ©rou[16].

Panama, Équateur et Guatemala

Le , les habitants de Panama proclamĂšrent, Ă  l’occasion d’un cabildo ouvert, l’indĂ©pendance de l’isthme de PanamĂĄ envers la couronne espagnole et leur dĂ©cision de faire partie dĂ©sormais de la Grande Colombie. Peu de mois aprĂšs cet Ă©vĂ©nement arriva Monteagudo, de qui Tagle avait confiĂ© le sort au gouverneur patriote JosĂ© MarĂ­a Carreño, lequel Ă  son tour plaça Monteagudo sous la surveillance du lieutenant-colonel Francisco Burdett O'Connor, pour lors chef de l’état-major de Panama, et avec qui Monteagudo noua bientĂŽt des rapports d’amitiĂ©. Monteagudo se mit, Ă  partir de Panama, Ă  correspondre avec le libertador SimĂłn BolĂ­var, qui finit par l’inviter Ă  se joindre Ă  lui en Équateur[23].

La rencontre entre BolĂ­var et Monteagudo eut finalement lieu Ă  Ibarra, peu aprĂšs la farouche bataille d'Ibarra du , qui permit de libĂ©rer le nord de l’actuel Équateur. BolĂ­var Ă©tait impressionnĂ© par Monteagudo, en particulier par sa capacitĂ© de travail ; l’historien chilien Manuel Ravest Mora Ă©voque comme suit l’entente entre les deux hommes :

« BolĂ­var et Monteagudo d’emblĂ©e s’entraccordĂšrent. BolĂ­var vit dans l’Argentin un instrument parfait pour ses desseins : les deux partageaient l’idĂ©al panamĂ©ricain. BolĂ­var semble avoir succombĂ© devant l’habile Argentin, et en fait part ainsi Ă  Santander : "Monteagudo possĂšde un grand ton diplomatique et en sait lĂ -dessus plus que les autres [...]. Il a beaucoup de caractĂšre, est trĂšs ferme, constant et fidĂšle Ă  ses engagements. Il est embĂȘtĂ© au PĂ©rou pour avoir prĂŽnĂ© une monarchie constitutionnelle, pour son adhĂ©sion Ă  San MartĂ­n, pour ses rĂ©formes prĂ©cipitĂ©es et pour son ton hautain quand il commandait ; ces circonstances le rendent trĂšs redoutable aux yeux des actuels coryphĂ©es du PĂ©rou, ceux qui m’ont demandĂ© que pour l’amour de Dieu je l’éloigne de leurs plages parce qu’ils ont pour lui une terreur panique. J’ajouterai franchement que Monteagudo peut, Ă  mes cĂŽtĂ©s, ĂȘtre un homme infiniment utile, car il sait, dĂ©montre une activitĂ© sans limites dans le cabinet, et possĂšde en plus un ton europĂ©en et certaines maniĂšres dignes d’une cour (...)"[24]. »

L’idĂ©e panamĂ©ricaine en effet Ă©tait Ă©galement partagĂ©e par BolĂ­var, qui se fit le promoteur d’une telle fĂ©dĂ©ration. Le gĂ©nĂ©ral confia Ă  Monteagudo des missions diplomatiques : parcourir l’AmĂ©rique centrale et convenir avec les diffĂ©rents gouvernements rĂ©volutionnaires de leur reprĂ©sentation dans un futur congrĂšs Ă  rĂ©unir Ă  Panama. BolĂ­var voulut aussi charger Monteagudo de faire un voyage au Mexique pour y lever des fonds[16], mais le voyage fut annulĂ©, compte tenu de ce qu’à BogotĂĄ avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© choisi, de maniĂšre lĂ©gale et officielle, un autre reprĂ©sentant pour ladite mission, et de ce qu’en outre cela n’entrait pas dans les compĂ©tences de BolĂ­var, le pouvoir exĂ©cutif ayant en effet Ă©tĂ© attribuĂ© Ă  Francisco de Paula Santander et le libertador ne disposant que de l’autoritĂ© militaire. Dans une missive du , Santander, surnommĂ© l’architecte de la rĂ©publique, lui fit entendre qu’il outrepassait son domaine de compĂ©tence :

« Veuillez me permettre de vous dĂ©clarer ici que la mission de Monteagudo n’a pas paru bonne, parce que nous suscitons par lĂ  l’idĂ©e qu’il y a en Colombie deux gouvernements, et l’on est trĂšs attentif Ă  ces choses-lĂ  en Europe, oĂč l’on ne nous prend au sĂ©rieux que moyennant la rĂ©gularitĂ© de notre dĂ©marche politique. Le gouvernement du Mexique se trouvera embarrassĂ© avec deux ministres accrĂ©ditĂ©s par des autoritĂ©s distinctes, que la constitution ne reconnaĂźt pas. »

Cela a fait une certaine impression de voir Sucre s’appeler lui-mĂȘme commissionnĂ© du gouvernement de Colombie, alors qu’il ne l’est point (
). Moi, pour ma part, je dis : quelque chose que vous fassiez, cela est bon ; mais mon opinion Ă  moi n’est pas celle de la RĂ©publique, et je ne peux pas dĂ©faire d’une main ce que de l’autre l’on s’efforce d’édifier. Si Monteagudo a qualitĂ© de ministre extraordinaire, il pourrait s’exposer Ă  ne pas ĂȘtre admis, car les ministres sont nommĂ©s non par le prĂ©sident de la RĂ©publique, mais par le pouvoir exĂ©cutif. J’espĂšre que vous ne dĂ©cĂšlerez pas, dans la prĂ©sente franche exposition, autre chose que mon dĂ©sir que les choses avancent avec la rĂ©gularitĂ© que vous-mĂȘme proclamez et que tous nous voulons suivre. Mon respect pour ce que vous proposez et faites est notoire, et vous en avez reçu des preuves irrĂ©futables[25].

Monteagudo dĂ©cida alors de partir pour les Provinces-Unies d’AmĂ©rique centrale, qui regroupait Ă  ce moment-lĂ  tous les actuels États d’AmĂ©rique centrale (Guatemala, Belice, Honduras, El Salvador, Nicaragua et Costa Rica) et Chiapas, Ă  l’exception de Panama. À Guatemala, Monteagudo entra en relations avec JosĂ© Cecilio del Valle, prĂ©sident des Provinces-Unies d’AmĂ©rique centrale, avec lequel il partageait non seulement un mĂȘme pragmatisme ‒ reconnaissant p.ex. que les droits ne se dĂ©clamaient pas, mais qu’il fallait crĂ©er les conditions de leur mise en Ɠuvre, et qu’il importait de rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s pour parvenir Ă  une plus grande stabilitĂ© sociale[26] ‒ mais aussi une mĂȘme vision panamĂ©ricaniste du processus d’indĂ©pendance[16], et qui avait lancĂ© l’idĂ©e d’organiser un congrĂšs continental destinĂ© Ă  traiter les problĂšmes communs aux nations affranchies de la tutelle de l’Espagne et Ă  jeter les bases d’un nouveau droit international amĂ©ricain[16].

Retour au PĂ©rou et rĂ©daction d’un essai sur une FĂ©dĂ©ration hispanoamĂ©ricaine

Il n’avait pas encore achevĂ© cette mission, lorsqu’il reçut une lettre de BolĂ­var, dans laquelle celui-ci lui faisait part de sa dĂ©cision de libĂ©rer dĂ©finitivement le PĂ©rou. BolĂ­var, prĂ©parant son entrĂ©e dans Lima, souhaitait mettre Ă  profit les connaissances et l’expĂ©rience de Monteagudo, et le sollicita de prĂȘter son concours Ă  l’entreprise. Bien que la rĂ©solution lĂ©gislative ordonnant sa proscription fĂ»t toujours en vigueur, Monteagudo rĂ©agit positivement Ă  la requĂȘte de BolĂ­var et retourna ainsi au PĂ©rou en passant par Trujillo. DotĂ© du grade de colonel, il prit part Ă  la campagne finale de la guerre d’indĂ©pendance du PĂ©rou et entra dans Lima Ă  la suite de la victoire Ă  la bataille d'Ayacucho du .

Monteagudo s’était construit une vision panamĂ©ricaniste de l’indĂ©pendance ; ayant participĂ© aux rĂ©volutions indĂ©pendantistes du RĂ­o de la Plata, du Chili et du PĂ©rou, et ayant en outre visitĂ© les nouveaux États indĂ©pendants de Panama et d’AmĂ©rique centrale, il acquit la conviction que toute l’AmĂ©rique hispanique devait se constituer en une seule nation. Sa vision enthousiasma SimĂłn BolĂ­var, Ă  tel point que l’unitĂ© hispanoamĂ©ricaine a Ă©tĂ© identifiĂ©e au rĂȘve bolivarien. BolĂ­var engagea Monteagudo Ă  concevoir les fondements institutionnels propres Ă  concrĂ©tiser cette vision, et Monteagudo entreprit donc d’écrire ‒ sans pouvoir l’achever Ă  cause de sa mort inopinĂ©e ‒ celle de ses Ɠuvres qui passe pour ĂȘtre la plus remarquable : Ensayo sobre la necesidad de una federaciĂłn general entre los estados hispano-americanos y plan de su organizaciĂłn (litt. Essai Ă  propos de la nĂ©cessitĂ© d’une fĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale entre les États hispano-amĂ©ricains et plan de son organisation).

En 1826, quelques mois aprĂšs la mort de Monteagudo, BolĂ­var convoqua le CongrĂšs de Panama et y approuva la crĂ©ation d’un seul grand État hispanoamĂ©ricain, Ă  l’exclusion de l’Argentine, du Chili, de l’Uruguay et du Paraguay. Cependant, les traitĂ©s ne furent jamais ratifiĂ©s par les pays contractants, hormis la Grande Colombie, et la fĂ©dĂ©ration hispanoamĂ©ricaine ne vit jamais le jour.

Il semble que la mort de Monteagudo ait portĂ© un coup funeste Ă  la concrĂ©tisation de ce projet. L’historien chilien BenjamĂ­n Vicuña Mackenna estime :

« Un homme grand et terrible conçut la colossale tentative d’alliance entre les rĂ©publiques nouvellement nĂ©es, et il Ă©tait le seul capable de conduire ce projet vers son ardu accomplissement. Monteagudo fut cet homme. Lui mort, l’idĂ©e de la ConfĂ©dĂ©ration amĂ©ricaine qui avait germĂ© dans son puissant cerveau se dĂ©lita par elle-mĂȘme[27].

C’est au libertador de Colombie, SimĂłn BolĂ­var, qu’a Ă©tĂ© attribuĂ©e la gloire d’avoir conçu l’important projet de rĂ©unir un congrĂšs des Nations amĂ©ricaines, Ă  l’instar de toutes les confĂ©dĂ©rations, si cĂ©lĂšbres dans l’histoire, conclues par les Grecs anciens. Toutefois, l’impartialitĂ© commande de signaler que le premier Ă  prĂŽner ce projet vĂ©ritablement grandiose fut le colonel Monteagudo, homme d’un tempĂ©rament trĂšs vigoureux et camarade du gĂ©nĂ©ral San MartĂ­n lors de ses campagnes, celles mĂ©morables du Chili et du PĂ©rou[28]. »

Entre-temps, Monteagudo se livra derechef Ă  un intense travail ministĂ©riel, une fois de plus de vaste portĂ©e, visible, en rupture complĂšte, voire provocateur, entraĂźnant les mĂȘmes haines et inimitiĂ©s que par le passĂ©.

Mort de Monteagudo

L’assassinat

La place Micheo Ă  Lima, oĂč Bernardo de Monteagudo fut assassinĂ© le 28 janvier 1825 (photographie de 1898).
Aspect actuel du lieu oĂč fut assassinĂ© Bernardo de Monteagudo. Au centre, le thĂ©Ăątre ColĂłn, et Ă  droite, l’immeuble Giacoletti, avec, entre les deux, le passage Quilca. La placette de Micheo se situait Ă  l’endroit occupĂ© aujourd’hui par les arbres au centre gauche.

Bernardo de Monteagudo mourut assassinĂ© Ă  Lima le , Ă  l’ñge de trente-cinq ans. Le crime eut lieu entre sept heures et demie et huit heures du soir, sur la place de la Micheo, situĂ©e Ă  l’extrĂ©mitĂ© nord de ce qui Ă©tait alors la rue BelĂ©n (calle BelĂ©n), au dixiĂšme Ăźlot (carrĂ©) de l’actuel JirĂłn de la UniĂłn[29], l’une des rues principales de la Lima de cette Ă©poque, en face de l’aile sud de l’hĂŽpital et couvent San Juan de Dios aujourd’hui dĂ©moli. La placette et le trottoir sur lequel il expira n’existent plus, mais l’endroit exact de sa mort peut ĂȘtre situĂ© dans l’angle ouest de l’actuelle place San MartĂ­n, lĂ  oĂč convergent les actuelles voies Pasaje Quilca, Avenida Colmena et JirĂłn de la UniĂłn, en face de l’immeuble Giacoletti et du ThĂ©Ăątre ColĂłn. Monteagudo venait de son domicile, sis Calle Santo Domingo (dans le deuxiĂšme Ăźlot du JirĂłn Conde de Superunda) et se dirigeait vers la maison de sa maĂźtresse Juana Salguero[22].

Le corps resta sur les lieux des faits pendant une heure environ, personne n’osant s’en approcher, jusqu’à ce que les prĂȘtres du couvent l’enlĂšvent et le placent dans une de leurs cellules[30]. C’est Ă  proximitĂ©, sur les terrains intĂ©grĂ©s aujourd’hui dans le square de la Plaza San MartĂ­n, qu’il fut finalement enterrĂ©[31].

Le cadavre fut trouvé gisant sur le trottoir, le visage tourné vers le sol, les mains crispées sur un énorme poignard fiché dans sa poitrine [32]. Le certificat de décÚs précise :

« La blessure est due Ă  un instrument tranchant et celui-ci lui a traversĂ© le cƓur, l’arme ayant pĂ©nĂ©trĂ© Ă  l’endroit du mamelon gauche, laissant une ouverture d’un pouce et demi et de cinq ou six doigts de profondeur. »

— RamĂłn Castro, chirurgien ayant examinĂ© le corps ce soir[33].

BolĂ­var, Ă  peine eut-il appris le magnicide, qu’il se rendit personnellement le mĂȘme soir encore au couvent San Juan de Dios, oĂč il s’exclama :

« Monteagudo ! Monteagudo ! Tu seras vengé. »

— Simón Bolívar[22].

La vie de Montegudo avait Ă©tĂ© en pĂ©ril dĂšs l’instant oĂč il Ă©tait de retour Ă  Lima. Le ministre SĂĄnchez CarriĂłn, l’un des principaux personnages suspectĂ©s d’avoir Ă©tĂ© les commanditaires du crime, Ă©tait allĂ© jusqu’à lancer un appel public Ă  ce que tout citoyen quel qu’il fĂ»t tuĂąt Monteagudo si celui-ci s’avisait jamais de regagner le PĂ©rou, tout en lui garantissant l’impunitĂ©[34]. Dans une lettre Ă  Santander, BolĂ­var lui fit part Ă  propos de Monteagudo :

« Il est abhorrĂ© au PĂ©rou pour avoir ƓuvrĂ© en faveur d’une monarchie constitutionnelle, pour son soutien Ă  San MartĂ­n, pour ses rĂ©formes prĂ©cipitĂ©es et pour son ton hautain quand il commandait ; cette circonstance le rend trĂšs redoutable aux yeux des actuels coryphĂ©es du PĂ©rou, ceux qui m’ont demandĂ© qu’au nom de Dieu je l’éloigne de leurs plages, parce qu’ils Ă©prouvent pour lui une terreur panique. »

— Lettre de BolĂ­var Ă  Santander du 4 aoĂ»t 1823.

De tous les mobiles Ă©voquĂ©s dans cette lettre, le plus plausible est sans doute les « rĂ©formes prĂ©cipitĂ©es ». Monteagudo avait Ă©tĂ© au PĂ©rou l’incarnation mĂȘme de la rĂ©volution, menant avec une Ă©nergie implacable le processus de transformation sociale le plus draconien qu’eĂ»t jamais connu le pays. La libertĂ© des ventres, l’abolition dans corvĂ©es indigĂšnes, l’égalitĂ© pour les noirs et les Indiens, constituaient autant d’offenses aux yeux des nantis, des exploiteurs et des privilĂ©giĂ©s, et il n’y avait Ă  cet Ă©gard aucune diffĂ©rence de point de vue entre crĂ©oles (criollo, EuropĂ©en nĂ© aux AmĂ©riques) et Espagnols pĂ©ninsulaires (c'est-Ă -dire nĂ©s en Espagne). La sociĂ©tĂ© pĂ©ruvienne, qui Ă©tait accoutumĂ©e Ă  contempler l’esclavage et le massacre des peuples indigĂšnes sans s’en Ă©mouvoir outre mesure, ne put assister sans compatir aux persĂ©cutions menĂ©es par Monteagudo contre les anciens potentats espagnols. La bonne sociĂ©tĂ© pĂ©ruvienne l’accusait de crimes horribles et s’indignait de l’expulsion et du bannissement de nombreux notables espagnols, soupçonnĂ©s de comploter contre le nouveau rĂ©gime et d’Ɠuvrer au retour du vice-roi[35].

Monteagudo cependant Ă©tait conscient du risque qu’il courait en revenant au PĂ©rou en compagnie de BolĂ­var :

« Il Ă©tait un condamnĂ© Ă  mort, et il le savait. Mais il Ă©tait rĂ©solu Ă  affronter son destin tragique, sans subvertir sa qualitĂ© essentielle, celle de rĂ©volutionnaire Ă  outrance. Et la rĂ©volution amĂ©ricaine se jouait, Ă  ces moments-lĂ , dans l’entourage de SimĂłn BolĂ­var. »

— Pacho O'Donell[36].

Instruction judiciaire et condamnations

Le magnicide Ă©branla profondĂ©ment la sociĂ©tĂ© peruvienne, et BolĂ­var, le soir mĂȘme, se mĂȘla de l’affaire, interdisant aux riverains du lieu de sortir de leurs maisons, faisant fermer les offices publics et ordonnant de mettre toutes les ressources nĂ©cessaires Ă  la disposition des enquĂȘteurs[37].

Il fut Ă©vident dĂšs l’abord que le vol n’avait pas Ă©tĂ© le mobile du crime, comme l’attestait le fait que le cadavre gardait autour du doigt une bague en or, avait encore autour du cou la chaĂźne d’une montre en or de fabrication anglaise, et que la broche, sertie d’un saphir et de diamants, qui maintenait le foulard, n’avait pas Ă©tĂ© dĂ©robĂ©e ; dans les poches se trouvaient six onces d’or et quelques piĂšces d’argent.

L’indice principal Ă©tait le couteau, dont il fut constatĂ© qu’il avait Ă©tĂ© affĂ»tĂ© de fraĂźche date, raison pour laquelle il fut ordonnĂ© au plus haut niveau du gouvernement que fussent citĂ©s Ă  se prĂ©senter aux autoritĂ©s tous les barbiers de Lima, afin de dĂ©terminer si quelqu’un parmi eux reconnaissait l’arme homicide. Les barbiers se prĂ©sentĂšrent le , et l’un d’eutre eux reconnut avoir affilĂ© le couteau pour un homme noir, qui lui avait paru ĂȘtre porte-faix ou porteur d’eau, Ă  la suite de quoi le gouvernement ordonna que « tous les domestiques et gens de couleur » eussent Ă  se prĂ©senter dans les prochaines 24 heures pour ĂȘtre reconnus. Le lendemain dimanche , un gardien de nuit de quartier, Casimiro Granados, dĂ©clara que les jours prĂ©cĂ©dents, le « basanĂ© Candelario Espinosa » avait Ă©tĂ© trois fois dans la pulperĂ­a (boutique vendant aliments et objets d’usage courant) d’Alfonso Dulce sise Calle de Gremios (quatriĂšme Ăźlot du JirĂłn Callao), et prĂ©cisa que le jour du crime, Espinosa y avait Ă©tĂ© vers les 7 heures du soir, accompagnĂ© d’un « cuisinier zambo de la maison de Francisco Moreira », et avait demandĂ© de bonne foi une demi-bouteille d’eau-de-vie, et comme le tenancier de la pulperĂ­a la lui refusait, avait alors menacĂ© celui-ci en exhibant un couteau et un pistolet, et criant que « lui aurait de l’argent pour les taureaux ». Ce mĂȘme dimanche dans la matinĂ©e, Espinosa Ă©tait retournĂ© dans la pulperĂ­a pour demander qu’on lui gardĂąt son pistolet pendant que lui irait se prĂ©senter aux enquĂȘteurs, ainsi que le gouvernement l’avait ordonnĂ©. Finalement, quand on lui montra l’arme du crime, le gardien de nuit reconnut que c’était lĂ  le mĂȘme couteau que celui qu’avait brandi Espinosa[38].

Le dimanche furent mis en dĂ©tention Candelario Espinosa et RamĂłn Moreira, qui tous deux avouĂšrent d’emblĂ©e leur culpabilitĂ© dans le crime et furent finalement condamnĂ©s, l’un, Espinosa, Ă  la peine capitale, l’autre, Moreira, Ă  10 ans d’emprisonnement, sentences confirmĂ©es par la Cour suprĂȘme, dont faisaient partie Fernando LĂłpez Aldana, JosĂ© de Armas et Manuel Villanueva.

En mĂȘme temps, le jugement reconnut innocents Francisco Moreira y Matute ‒ propriĂ©taire de l’esclave RamĂłn Moreira ‒, Francisco Colmenares et JosĂ© PĂ©rez, dĂ©noncĂ©s par RamĂłn Moreira comme les commanditaires[39].

Cependant, les peines prononcĂ©es ne furent pas exĂ©cutĂ©es, par suite d’une dĂ©cision privĂ©e de BolĂ­var prise aprĂšs un entretien en tĂȘte-Ă -tĂȘte avec l’assassin. Le , BolĂ­var, seule fois oĂč il fĂźt jamais usage de son statut de dictateur, commua la peine de mort d’Espinosa en une peine de 10 ans de dĂ©tention, et celle de Moreira Ă  6 ans, et les deux hommes furent emmenĂ©s Ă  la forteresse de Chagres, au Panama[22].

Exécutants et commanditaires

Il n’y a pas de doute que les auteurs matĂ©riels du meurtre furent Candelario Espinosa et RamĂłn Moreira. Tous deux avaient Ă©tĂ© reconnus par des tĂ©moins, Ă©taient passĂ©s aux aveux et purent donner des dĂ©tails sur les faits. Tous les historiens s’accordent sur ce point.

Candelario Espinosa avait 19 ans au moment des faits, avait Ă©tĂ© soldat dans l’armĂ©e royaliste et s’était, aprĂšs le triomphe patriote, vouĂ© Ă  l’office de scieur de bois. RamĂłn Moreira Ă©tait esclave et cuisinier de Francisco Moreira y Matute, un des fondateurs, conjointement avec Monteagudo, de la Sociedad PatriĂłtica de Lima.

Le tribunal condamna aussi JosĂ© Mercedes Mendoza, mais en considĂ©rant sa peine accomplie par son temps d’incarcĂ©ration avant la sentence[40].

La question des auteurs intellectuels du meurtre de Monteagudo est restĂ©e entourĂ©e de mystĂšre et de contradictions, et fait l’objet de dĂ©bats entre historiens et d’exploitations littĂ©raires.

Au dĂ©but, Candelario Espinosa assura, y compris sous la torture, que personne ne l’avait chargĂ© de tuer Monteagudo et que son unique mobile avait Ă©tĂ© le vol[41]. Cette dĂ©position est cependant en complĂšte contradiction avec le fait que Monteagudo n’avait pas Ă©tĂ© dĂ©pouillĂ©, quoique portant sur lui une broche ornĂ©e de diamants, une montre en or et des piĂšces d’argent[32]. Par la suite, Espinosa modifia sa dĂ©claration, et incrimina comme commanditaires Francisco Moreira y Matute, JosĂ© Francisco Colmenares et JosĂ© PĂ©rez, pour se dĂ©dire Ă  nouveau avant l’audience[42].

Francisco Moreira y Matute Ă©tait le propriĂ©taire de l’esclave RamĂłn Moreira, complice d’Espinosa dans le crime, et avait Ă©tĂ© membre de la Liga PatriĂłtica de Lima, dirigĂ©e par Monteagudo. JosĂ© Francisco Colmenares Ă©tait membre de la loge rĂ©publicaine secrĂšte, qui avait Ă  sa tĂȘte SĂĄnchez CarriĂłn, lequel avait Ă©tĂ© Ă  l’origine du renversement de Monteagudo en 1822 et avait appelĂ© le peuple Ă  l’assassiner s’il lui prenait l’idĂ©e de revenir au PĂ©rou. JosĂ© PĂ©rez, originaire de Guayaquil, Ă©tait portier du Cabildo et boulanger, et possĂ©dait un poignard identique Ă  celui utilisĂ© pour tuer Monteagudo[22].

Les Ă©lĂ©ments du procĂšs cependant prouvĂšrent que Moreira, Colmenares et PĂ©rez n’étaient pas impliquĂ©s dans l’assassinat, en foi de quoi ceux-ci furent finalement acquittĂ©s[39]. Formellement, par consĂ©quent, le jugement ainsi rendu n’identifie ni ne condamne aucun auteur intellectuel de l’assassinat.

Entretien de Bolívar avec l’assassin

DĂšs le dĂ©but de l’instruction, Candelario Espinosa fut tentĂ© de rĂ©vĂ©ler la paternitĂ© intellectuelle du crime moyennant la promesse que sa peine de mort serait commuĂ©e [43]. Toutefois, Espinosa prĂ©tendit d’abord que son intention avait seulement Ă©tĂ© de voler la victime, affirma ensuite que le crime avait Ă©tĂ© commanditĂ© par Moreira y Colmenares, pour enfin se dĂ©dire encore et revenir Ă  dĂ©signer le vol comme seul mobile. Ces dĂ©positions furent faites dans un climat de menaces et de tortures.

C’est dans ce contexte que le condamnĂ© offrit de dire la vĂ©ritĂ© sur les commanditaires, mais seulement Ă  SimĂłn BolĂ­var, personnellement et seul Ă  seul. Le tĂȘte-Ă -tĂȘte eut lieu le , et aucune information ne fut jamais livrĂ©e officiellement sur ce qui s’y passa. Dans la suite, BolĂ­var ordonna que les condamnĂ©s Espinosa et Moreira fussent transfĂ©rĂ©s en Colombie (actuel Panama), si bien que la peine de mort prononcĂ©e contre le premier ne fut jamais exĂ©cutĂ©e.

L’hypothùse Sánchez Carrión

Effigie (imaginaire) de Monteagudo sur un timbre bolivien avec la date du 25 mai 1809.

L’hypothĂšse selon laquelle le ministre JosĂ© SĂĄnchez CarriĂłn fut le commanditaire de l’assassinat de Monteagudo s’est consolidĂ©e depuis comme l’une des plus probables, sur la base en particulier de la declaration du gĂ©nĂ©ral TomĂĄs Mosquera, prĂ©sident de la Colombie, qui Ă©tait Ă  ce moment-lĂ  chef d’état-major de BolĂ­var.

De nombreuses annĂ©es aprĂšs les faits, Mosquera raconta ce qui s’était passĂ© lors de la rencontre entre BolĂ­var et Espinosa et indiqua la signification Ă  donner aux Ă©vĂ©nements qui se produisirent dans le sillage de ladite rencontre. Selon Mosquera, Espinosa aurait avouĂ© qu’il avait assassinĂ© Monteagudo sur instruction du ministre JosĂ© SĂĄnchez CarriĂłn, lequel l’aurait rĂ©tribuĂ© pour cette mission de 50 doblones de quatre pesos en or[16] - [22].

Mosquera expliqua d’autre part que BolĂ­var aurait rĂ©agi Ă  ces rĂ©vĂ©lations en ordonnant d’empoisonner SĂĄnchez CarriĂłn, qui effectivement mourut d’une affection Ă©trange peu de jours aprĂšs, le , sans que les mĂ©decins aient pu Ă©tablir un quelconque diagnostic. L’assassin de SĂĄnchez CarriĂłn, un gĂ©nĂ©ral nommĂ© Heres, aurait Ă©tĂ© Ă  son tour assassinĂ© sur ordre de BolĂ­var, pour Ă©viter que rien ne filtrĂąt au-dehors. Enfin, BolĂ­var suspendit l’exĂ©cution de Espinosa et fit transfĂ©rer vers la Colombie les deux assassins de Monteagudo[16] - [22] - [44].

Autres commanditaires possibles

Vidaurre, dans une communication Ă  BolĂ­var, laquelle a paru dans Suplemento a las cartas americanas, Ă©crivit :

« Monsieur : une main puissante dirigea le poignard de cet assassin, j’aurais dĂ©couvert cela lors mĂȘme que je m’en serais occupĂ© tout seul. Le noir emportera le secret dans l’éternitĂ©. »

— Lettre de Manuel Lorenzo de Vidaurre à Simón Bolívar.

San MartĂ­n, dans une lettre Ă©crite en 1833 et adressĂ©e Ă  Mariano Alejo Álvarez (et publiĂ©e dans le BoletĂ­n del Museo Bolivariano de Lima en 1930), dĂ©clara s’ĂȘtre efforcĂ© d’interroger autant de personnes qu’il lui fut possible Ă  propos de ce meurtre et d’en avoir obtenu des versions contradictoires :

« 
il y a une question Ă  laquelle, depuis des annĂ©es maintenant, je dĂ©sirerais avoir une rĂ©ponse vĂ©ridique, et nul autre que vous ne peut me la donner avec des donnĂ©es plus positives, Ă©tant donnĂ© votre caractĂšre et la position de votre emploi. Il s’agit de l’assassinat de Monteagudo : il n’y a pas une seule personne, qu’elle vienne du PĂ©rou, du Chili ou de Buenos Aires, que je n’aie interrogĂ© Ă  propos de l’affaire, mais chacune m’a donnĂ© une version diffĂ©rente ; les uns l’attribuent Ă  SĂĄnchez CarriĂłn, les autres Ă  quelques Espagnols, un autre encore Ă  un colonel jaloux de sa femme. Quelques-uns disent que ce fait est recouvert d’un voile impĂ©nĂ©trable, et enfin, il n’est jusqu’à BolĂ­var lui-mĂȘme qui n’ait pas Ă©chappĂ© Ă  cette inique imputation, celle-lĂ  d’autant plus grossiĂšre que BolĂ­var, en plus d’ĂȘtre, de par son caractĂšre particulier, incapable d’une telle bassesse, il lui Ă©tait loisible, Ă  supposer que la prĂ©sence d’un Monteagudo lui eĂ»t Ă©tĂ© embarrassante, de l’éloigner de son entourage, sans avoir Ă  recourir Ă  un crime, qui dans mon opinion ne se commettent (sic) pas sans un objet particulier[45]. »

D’autres instigateurs possibles Ă©taient un groupe de partisans des Espagnols, enhardis par la nouvelle de l’arrivĂ©e prochaine d’une escadre royaliste Ă  Callao supposĂ©ment venue se porter au secours de JosĂ© RamĂłn Rodil y Campillo, et travaillĂ©s par leur haine Ă  l’encontre du ministre de San MartĂ­n qui leur avait tant nui. C’est d’ailleurs dans ce sens que s’exprima pendant un temps l’assassin lui-mĂȘme. SimĂłn BolĂ­var Ă©crivit Ă  Santander le , en exposant en quelque sorte la mĂȘme version :

« Cet Ă©vĂ©nement doit avoir une origine trĂšs profonde ou trĂšs haute. Les assassins sont en prison et dĂ©signent deux personnes appartenant aux hautes sphĂšres de ce pays. Je crois pour ma part que ceci peut avoir eu sa source dans les intrigants de la Sainte-Alliance que nous entourent ; parce que l’objectif ne devait pas ĂȘtre de tuer seulement Monteagudo, mais Ă©galement moi et les autres chefs. »

— Lettre de BolĂ­var Ă  Santander du 9 fĂ©vrier 1825.

Il a pu s’agir enfin d’une vengeance pour motifs privĂ©s ou domestiques, ou (trĂšs improbablement) d’un assassinat ayant le vol pour mobile, comme le crurent TomĂĄs de Heres, Daniel Florencio O'Leary et le colonel Belford Wilson, aide de camp du Libertador.

La dépouille de Monteagudo

Monument Ă  Monteagudo Ă  Buenos Aires.

Monteagudo fut enterrĂ© au couvent San Juan de Dios le dimanche , sans laisser de fortune personnelle. Le couvent fut dĂ©moli entre 1848 et 1851, et sur son emplacement fut construit l’homonyme gare de chemins de fer, la premiĂšre du PĂ©rou. À l’heure actuelle, le terrain est occupĂ© par la place San MartĂ­n, amĂ©nagĂ©e dans la dĂ©cennie 1910.

En 1878, il fut dĂ©cidĂ© d’exhumer ses restes et de les placer dans un mausolĂ©e. En 1917, la dĂ©pouille de Monteagudo fut transportĂ©e en Argentine, au cimetiĂšre de Recoleta de Buenos Aires, dans la section no 7, lieu oĂč il avait Ă©tĂ© disposĂ© que reposeraient dĂ©sormais ses restes. À l'heure actuelle, ceux-ci se trouvent dans la partie centrale dudit cimetiĂšre, Ă  l’intĂ©rieur du mausolĂ©e du lieutenant-gĂ©nĂ©ral Pablo Riccheri, sur la face postĂ©rieure duquel, Ă  la droite de la porte d’entrĂ©e, a Ă©tĂ© apposĂ©e une petite plaque portant l’inscription « Ci-gisent les restes du Dr Bernardo de Monteagudo ». La question du lieu de sĂ©pulture de Monteagudo, qui est liĂ©e Ă  la question de sa nationalitĂ© et du droit qui en dĂ©coule pour tel pays de veiller sur ses reliques, est l’objet d’un contentieux entre l’Argentine, la Bolivie et le PĂ©rou[46] - [47].

À l’occasion du rapatriement des restes de Monteagudo en Argentine, il fut dĂ©cidĂ© de crĂ©er un monument en son hommage, dont on confia la conception au sculpteur allemand Gustav Eberlein et qui fut ensuite posĂ© sur la Plazoleta Pringles, dans le quartier Parque Patricios, au carrefour de la Avenida Caseros et de la rue Monteagudo, lĂ  ou prĂ©cisĂ©ment prend son origine la rue nommĂ©e en son honneur dans le centre-ville de Buenos Aires.

Une figure historique controversée

La figure de Monteagudo continue d’ĂȘtre l’objet de controverses politiques et historiques. D’une part, sa passion, son engagement en faveur de la cause de l’indĂ©pendance et sa dĂ©termination Ă  prendre des dĂ©cisions draconiennes dans un contexte rĂ©volutionnaire lui valurent des Ă©loges.

Mais d’autre part, on le taxa de couardise pour avoir fui vers Mendoza dĂšs le premier revers subi par San MartĂ­n Ă  la bataille de Cancha Rayada[48], et il fut qualifiĂ© de monstre de cruautĂ© (monstruo de la crueldad)[49], pour avoir Ă©tĂ© l'artisan de politiques violentes, d’un terrorisme d’État s’apparentant Ă  la Terreur ; en qualitĂ© de membre de gouvernements de pays devenus indĂ©pendants de l’Espagne, il prit des mesures criminelles Ă  l’encontre d’individus d'AmĂ©rique du Sud pour cela seul qu’ils Ă©taient espagnols ‒ il fit ainsi dĂ©porter prĂšs de dix mille civils, Ă  l’effet de renforcer la stabilitĂ© politique des nouveaux États indĂ©pendants en cours d’édification[50]. Gabriel-Pierre Lafond et William Bennet Stevenson le dĂ©crivent comme un personnage « sanguinaire »[51]. Il a Ă©tĂ© associĂ© Ă  plusieurs crimes de sang, tels que le massacre de prisonniers espagnols dans le prĂ©side de San Luis, ou l’assassinat de l’indĂ©pendantiste chilien Manuel RodrĂ­guez, ou encore la mort de JosĂ© Miguel Carrera[52].

Les deux portraits de Monteagudo : l’authentique et l’apocryphe

Photographie en noir et blanc d’une copie, exĂ©cutĂ©e en 1876 par le peintre V. S. Noroña, du seul portrait authentique de Bernardo de Monteagudo, datant de 1822.
Portrait apocryphe de Bernardo de Monteagudo, que l’historien Mariano Pelliza chargea de confectionner en 1880.

Une certaine image du visage de Monteagudo, fruit d’une reconstitution hasardeuse due Ă  l’historien argentin Mariano Pelliza, premier biographe de Monteagudo, s’est rĂ©pandue dans le public. Pelliza, qui se proposait de publier un ouvrage en deux tomes intitulĂ© Monteagudo, su vida y sus escritos. Tomo II (1816 - 1825), mais se trouvait confrontĂ© au fait qu’il n’existait alors aucun portrait connu de Monteagudo, entreprit d’en reconstruire un. AprĂšs avoir recueilli le tĂ©moignage du gĂ©nĂ©ral GerĂłnimo Espejo, ancien combattant de l’armĂ©e des Andes, qui lui assura que Monteagudo ressemblait au docteur Bernardo Vera y Pintado (1780-1827), juriste et homme de lettres argentin qui Ɠuvra longtemps au Chili, Pelliza sollicita le dessinateur Henri Stein de rĂ©aliser sur la foi de ces donnĂ©es un portrait prĂ©sumĂ© de Monteagudo, en prenant pour base le visage de Vera y Pintado, moyennant quelques modifications. Ce portrait fut insĂ©rĂ© dans la premiĂšre biographie de Monteagudo, parue en 1880, et a passĂ© depuis lors, et continue de passer encore aujourd’hui, pour sa figure vĂ©ritable[53].

Quelques dĂ©cennies plus tard, un autre biographe argentin de Monteagudo, le tucuman EstratĂłn J. Lizondo (1889-1966), dĂ©couvrit au domicile d’un parent et collĂšgue la copie, demeurĂ©e inconnue jusque-lĂ , d’un portrait supposĂ©ment authentique qui aurait Ă©tĂ© exĂ©cutĂ© en Ă  Panama, en prĂ©sence du modĂšle, par un artiste dont le nom s’est perdu. Ce portrait de 1822, qui montre Monteagudo Ă©lĂ©gamment vĂȘtu dans son costume de ministre, arborant ses dĂ©corations de combattant de Carabobo, CartagĂšne et BombonĂĄ, dĂ©cernĂ©es par les autoritĂ©s de Panama, aurait Ă©tĂ© plus tard transportĂ© Ă  Lima, oĂč le peintre V.S. Noroña aurait confectionnĂ© ladite copie en 1876. Celle-ci, aprĂšs avoir passĂ© par divers propriĂ©taires, fut acquise par un militaire pĂ©ruvien, le colonel Bernales, qui en fit cadeau Ă  Lizondo Borda en 1926. Ensuite, EstratĂłn Lizondo inclut dans sa biographie de Monteagudo, publiĂ©e en 1943, une photographie en noir et blanc, de qualitĂ© moyenne, de ce tableau[53].

Références

  1. Nous disons argentin, eu Ă©gard au fait qu’il naquit sur le territoire de l’actuelle Argentine. Mais Monteagudo joua un rĂŽle Ă©minent dans le roman national aussi bien de la Bolivie, du PĂ©rou et du Chili, que de l’Argentine, et sa figure est revendiquĂ©e pareillement (et partiellement) par tous ces pays.
  2. Javier A. GarĂ­n, El discĂ­pulo del diablo, p. 20.
  3. Estudios sobre la América, par Gil Gelpi y Ferro
  4. (es) Carlos Påez de la Torre (h), « El padre del doctor Monteagudo », La Gaceta de Tucumån, (consulté le )
  5. Javier A. GarĂ­n, El discĂ­pulo del diablo, p. 21.
  6. Morote, Herbert. BolĂ­var, Libertador y enemigo del PerĂș. Lima: Jaime CampodĂłnico, 2007, p. 136.
  7. (es) Felipe Pigna, « Bernardo de Monteagudo », El Historiador (consulté le )
  8. Selon Javier A. GarĂ­n, un des exemples les plus artificieux de son habiletĂ© dans l’imposture, vile adulation de la monarchie, oĂč le roi d’Espagne Ă©tait prĂ©sentĂ© dans un cadre idyllique, assis sur son trĂŽne, oĂč il recevait sa splendeur de la divinitĂ© elle-mĂȘme. Cette grossiĂšre apologie, d’une grande lourdeur de style, Ă©tait une parodie manifestement destinĂ©e, selon GarĂ­n, Ă  flagorner ses examinateurs. Cf. Javier A. GarĂ­n, El discĂ­pulo del diablo, p. 29.
  9. Javier A. GarĂ­n, El discĂ­pulo del diablo, p. 26.
  10. Villareal Brasca, p. 286.
  11. (es) Enrique Williams Álzaga, Álzaga 1812, Buenos Aires, Emecé,
  12. Amorina Villareal Brasca, Bernardo de Monteagudo. Un americano revolucionario singular, p. 288.
  13. Manuel RodrĂ­guez fut arrĂȘtĂ© et ensuite assassinĂ© Ă  Tiltil pendant son transfert vers un deuxiĂšme centre de rĂ©clusion. Le fait fut relatĂ© officiellement comme rĂ©sultant d’une tentative de fuite. Cependant, lors d’une instruction judiciaire ultĂ©rieure, les protagonistes de ces faits avouĂšrent que l’ordre leur avait Ă©tĂ© donnĂ© de tuer RodrĂ­guez. Le capitaine du bataillon chargĂ© d’escorter le dĂ©tenu, JosĂ© Miguel Benavente, confessa que l’ordre de le tuer avait Ă©tĂ© donnĂ© par Bernardo O'Higgins et Antonio GonzĂĄlez Balcarce (rĂ©f.: Miguel Luis AmunĂĄtegui Aldunate (es), La dictadura de O'Higgins, Santiago : Impr. Litogr. i EncuadernaciĂłn Barcelona, 1914). Pour sa part, le lieutenant Antonio Navarro, auteur matĂ©riel du coup de feu, rĂ©vĂ©la que Monteagudo Ă©tait celui qui lui avait personnellement ordonnĂ© l’extermination de RodrĂ­guez : « ... qui s’intĂ©ressait avec exactitude Ă  cette mission (...) l’extermination du colonel don Manuel RodrĂ­guez, pour ĂȘtre bĂ©nĂ©fique Ă  la tranquillitĂ© publique... »|Antonio Navarro (rĂ©f.: ConfesiĂłn Judicial, 15 mars 1823
  14. Justo Abel Rosales, Los restos de Manuel Rodríguez, Recopilación de todas las piezas que componen el expediente formado por el comité popular para identificarlos, Imprenta B. Vicuña Mackenna, p. 57, Santiago, 1895.)
  15. Cf. Carlos A. Romero : Primer mariscal del PerĂș, El Comercio, 28 juillet 1921.
  16. (es) Pacho O'Donell, Monteagudo, la pasiĂłn revolucionaria, Buenos Aires, Planeta, (lire en ligne)
  17. Vicente Osvaldo Cutolo, Nuevo diccionario biogrĂĄfico argentino (1750-1930), Editorial Elche, 1968.
  18. Enrique Udaondo, Diccionario biogrĂĄfico argentino, InstituciĂłn Mitre, 1938.
  19. (es) Rufino Blanco-Fombona, Biblioteca Ayacucho, , 604 p. (lire en ligne), p. 576.
  20. (es) CristiĂĄn Guerrero Lira, « La Propaganda Monarquista en el Gobierno de San MartĂ­n en el PerĂș », Revista de Estudios HistĂłricos, UniversitĂ© du Chili, vol. 3, no 1,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  21. Rizzo PatrĂłn Boylan, Paul (2001), Las emigraciones de los sĂșbditos realistas del PerĂș hacia España durante la crisis de la Independencia, dans O'phelan Godoy, Scarlet (dir.) : La Independencia del PerĂș. De los Borbones a BolĂ­var, Lima, Pontificia Universidad CatĂłlica del PerĂș (Instituto Riva AgĂŒero), p. 427.
  22. (es) Ricardo Palma, Mis Ășltimas tradiciones peruanas, Barcelone, Maucci, , « BolĂ­var, Monteagudo y SĂĄnchez CarriĂłn (Estudio histĂłrico) »
  23. Juan Carlos Påez de la Torre, « Una visión sobre Monteagudo », Tucumån, La Gaceta, (consulté le )
  24. Manuel Ravest Mora, Manuelita, la amante revolucionaria de SimĂłn BolĂ­var, Madrid, Turner, (lire en ligne) Lettre de SimĂłn BolĂ­var Ă  Santander, 4-I-1823, citĂ© Ă©galement dans EchagĂŒe, 1950, p. 14.
  25. Horacio RodrĂ­guez Plata et Juan Camilo RodrĂ­guez, Escritos Sobre Santander, Bogota, Biblioteca de la Presidencia de la RepĂșblica de Colombia, (lire en ligne), p. 6
  26. Javier A. GarĂ­n, El discĂ­pulo del diablo, p. 272.
  27. Cité par O'Donell
  28. Le Mexicain JosĂ© MarĂ­a Tornel, Ă©galement citĂ© par O'Donell, abonde dans le mĂȘme sens
  29. Depuis sa fondation et jusqu’à 1862, les rues de Lima portaient, Ă  chaque Ăźlot (carrĂ©) qui les bordait, un nom diffĂ©rent. La calle BelĂ©n Ă©tait le nom du dixiĂšme des onze Ăźlots qui flanquaient la rue nommĂ©e aujourd’hui JirĂłn de la UniĂłn, en comptant Ă  partir de son amorce prĂšs du Puente de Piedra sur le fleuve Rimac.
  30. (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne), p. 170
  31. (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne), p. 174
  32. (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne), p. 172
  33. (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne), p. 171
  34. (es) Pacho O'Donell, Monteagudo, la pasiĂłn revolucionaria, Buenos Aires, Planeta, (ISBN 950-74-2637-X, lire en ligne), chap. 18
    « (JosĂ© Faustino SĂĄnchez CarriĂłn) Ă©tait la mĂȘme personne qui avait publiĂ© dans sa revue El Tribuno, alors que Monteagudo avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© expulsĂ© du PĂ©rou : « Tout rĂ©publicain peut se dire Ă  prĂ©sent : Depuis que Monteagudo est tombĂ©, je ne sens plus la montagne qui m’oppressait ! ». De mĂȘme, il appelait Ă  l’exĂ©cuter « sans responsabilitĂ© aucune, si une imprudence ou son mauvais caprice devait le conduire Ă  nouveau sur nos cĂŽtes ». »
  35. Javier A. GarĂ­n, El discĂ­pulo del diablo, p. 289.
  36. (es) Pacho O'Donell, Monteagudo, la pasiĂłn revolucionaria, Buenos Aires, Planeta, (ISBN 950-74-2637-X, lire en ligne), chap. 18
  37. (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne), p. 171-172
  38. (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne), p. 173-174
  39. (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne), p. 185-186
  40. (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne), p. 185
  41. (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne), p. 175-176, 184
  42. (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne), p. 184
  43. (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne), p. 176
  44. J. GarĂ­n, El discĂ­pulo del diablo, p. 295.
  45. Cité par J. Garín, El discípulo del diablo, p. 294-295.
  46. (es) Alfonso Reyes, Obras Completas (tome VII), Mexico, Fondo de Cultura EconĂłmica, (lire en ligne), p. 171
  47. (es) José Manuel Eizaguirre, Los restos de Bernardo Monteagudo en Buenos Aires (3 volumes, Buenos Aires, J. Weiss y Preusche, , 1re éd.
  48. Anales históricos de la revolución, de la América Latina, par Carlos Calvo, 1865.
  49. Estudios sobre la América, par Gil Gelpi y Ferro
  50. Historia de la revoluciĂłn de la RepĂșblica de Colombia, par Restrepo
  51. Twenty years' residence South America, par William Bennet Stevenson Traduit en esp. dans les Memorias de GarcĂ­a Camba
  52. José Miguel Carrera, troisiÚme édition, Pedro Lira Urquieta
  53. "El verdadero rostro de Monteagudo"

Sources

Argentines :

  • (es) Mariano De Vedia y Mitre, La vida de Monteagudo, vol. 3 tomes, Buenos Aires, Kraft, , 1re Ă©d.
  • (es) EchagĂŒe, Monteagudo, una vida meteĂłrica, vol. 3 tomes, Buenos Aires, , 1re Ă©d., Juan Pablo
  • (es) JosĂ© Manuel Eizaguirre, Los restos de Bernardo Monteagudo en Buenos Aires, vol. 3 tomes, Buenos Aires, J. Weiss y Preusche, , 1re Ă©d.
  • (es) Juan MarĂ­a GutiĂ©rrez, BiografĂ­a de Bernardo de Monteagudo, Wikisource,
  • (es) Oriel MenĂ©ndez, Bernardo Monteagudo : Actitudes e ideas de un gran revolucionario, Buenos Aires, Ebro,
  • (es) Pacho O'Donell, Monteagudo, la pasiĂłn revolucionaria, Buenos Aires, Planeta, (ISBN 950-74-2637-X, lire en ligne)
  • (es) Mariano Pelliza, Monteagudo, su vida y sus escritos. Tome II (1816 - 1825), Buenos Aires,
  • (es) GarĂ­n, Javier AdriĂĄn, El discĂ­pulo del diablo: vida de Monteagudo, ideĂłlogo de la uniĂłn sudamericana, Ă©d. Dunken, Buenos Aires 2013, p. 272 (ISBN 978-987-02-6556-6).

Chiliennes :

  • (es) Antonio ĂĂ±iguez Vicuña, Vida de Don Bernardo Monteagudo, Santiago du Chili, Imprenta Chilena, (lire en ligne)

PĂ©ruviennes :

  • (es) Historia de la RepĂșblica del PerĂș, Jorge Basadre Grohmann, Empresa Editora El Comercio, Lima, 2005, (ISBN 9972-205-62-2) (Obra completa), (ISBN 9972-205-63-0) (volume I).
  • (es) BolĂ­var Libertador y Enemigo no 1 del PerĂș, Herbet Morote, Lima: Jaime CampodĂłnico, 2007, (ISBN 978-9972-729-60-7).
  • (es) Ricardo Palma, Mis Ășltimas tradiciones peruanas, Barcelone, Maucci, , « BolĂ­var, Monteagudo y SĂĄnchez CarriĂłn (Ă©tude historique) »
  • (es) Pablo Ortemberg, « El odio a Bernardo Monteagudo como impulsor del primer gobierno autĂłnomo en el PerĂș », dans Claudia Rosa Lauro, El odio y el perdĂłn en el PerĂș. Siglos XVI - XXI, Lima, Fondo Ă©diteur PUCP, , 1re Ă©d. (ISBN 9789972428999)

Autres :

  • (es) MĂĄximo Soto Hall, Monteagudo y el ideal panamericano, Buenos Aires, Tor, , 1re Ă©d.

Liens externes

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