Mita (Inca)
La mit'a (ËmÉȘËtÊŒa, dans la transcription de lâAPI[1] - [2]) Ă©tait, dans lâempire Inca, un systĂšme rotatif de prestations de travail obligatoires auquel Ă©tait pĂ©riodiquement assujetti tout homme valide ĂągĂ© entre 15 et 50 ans. Cette façon de corvĂ©e seigneuriale sâinscrivait dans le cadre de projets dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, tels que la construction de routes, le labour des champs impĂ©riaux etc. Si le travail sâeffectuait Ă titre gracieux, le mitayo (le corvĂ©able, lâassujetti Ă la mita) Ă©tait nĂ©anmoins rĂ©compensĂ© par lâempereur sous forme de festivitĂ©s et de lâoctroi de biens Ă la rĂ©gion dâorigine des mitayos, et la famille de ceux-ci Ă©taient pris en charge par la communautĂ© pendant leur absence. Par ailleurs, ce systĂšme Ă©tait rĂ©gi d'une certaine maniĂšre sous l'Ăšre inca par une Ă©thique de « rĂ©ciprocitĂ© positive »[3], car une bonne partie de ce travail communautaire contribuait en fait au bien commun (travaux de voirie, constitution de rĂ©serve de nourriture pour pallier l'Ă©ventualitĂ© d'une famine, etc.), et ressortissait plus Ă lâĂ©conomie coopĂ©rative quâau servage, mĂȘme si ce travail n'Ă©tait pas toujours librement consenti.
Dans le sillage de la conquĂȘte espagnole du PĂ©rou, le systĂšme fut repris par lâadministration coloniale Ă partir de la seconde moitiĂ© du XVIe siĂšcle comme un moyen de sâassurer une main-dâĆuvre bon marchĂ© et permanente ; intĂ©grĂ© dans le systĂšme de lâencomienda, la mita fut considĂ©rablement renforcĂ©e, en ce sens que les tours de rĂŽle se succĂ©daient plus rapidement, que les conditions de travail sâĂ©taient endurcies (salaire insuffisant, absence de filet de sĂ©curitĂ© pour les familles etc.), que les prestations se faisaient principalement au bĂ©nĂ©fice dâintĂ©rĂȘts privĂ©s, et que, au contraire de lâĂšre inca, la mita miniĂšre y occupait dĂ©sormais une place centrale. Les abus que les colons faisaient de la mita eurent pour effet de dĂ©peupler certaines zones et provoquĂšrent des fugues, voire çà et lĂ des rĂ©voltes indiennes. Une lĂ©gislation de protection du travailleur indigĂšne, promulguĂ©e par le roi Philippe III au dĂ©but du XVIIe siĂšcle, ne fut guĂšre appliquĂ©e. La mita sera finalement abolie par les Cortes espagnoles en 1812.
Dans lâempire Inca
Objectifs de la mita
Dans lâEmpire inca, la mitâa Ă©tait une sorte de tribut dĂ» au gouvernement inca et payable sous forme de prestations de travail, autrement dit une corvĂ©e seigneuriale. Lâaccomplissement de travaux dâutilitĂ© publique dans le cadre de projets publics, tels que la construction du vaste rĂ©seau routier inca, Ă©tait obligatoire, de mĂȘme dâailleurs que le service militaire.
Tout citoyen en Ă©tat de travailler Ă©tait requis de le faire pendant un nombre dĂ©terminĂ© de jours par an (le sens premier du mot mitâa est tour rĂ©gulier ou saison). Souvent, en raison de la richesse de lâEmpire inca, une famille dâagriculteurs nâavait besoin, pour pourvoir Ă sa propre subsistance, de travailler que 65 jours par an Ă la ferme ; le reste de lâannĂ©e pouvait ĂȘtre entiĂšrement consacrĂ© Ă la mitâa.
Les Incas sâappuyaient, pour dĂ©velopper et consolider leur empire, sur un systĂšme prĂ©existant comportant non seulement lâĂ©change de prestations de travail Ă travers la mitâa, mais aussi lâĂ©change dâobjets de culte religieux appartenant aux peuples quâils avaient intĂ©grĂ©s dans leur empire. Ces Ă©changes servaient aux Incas Ă sâassurer la loyautĂ© des peuples par eux conquis. Dans ce cadre, les huacas (objets ou lieux de vĂ©nĂ©ration) et pacarinas (lieux dâorigine et de sĂ©jour des ancĂȘtres) devinrent non seulement dâimportants centres dâun culte ainsi rendu commun, mais aussi des foyers dâunification dâun empire ethniquement et linguistiquement hĂ©tĂ©rogĂšne, confĂ©rant une unitĂ© et une citoyennetĂ© Ă des peuples gĂ©ographiquement Ă©loignĂ©s les uns des autres. Il en rĂ©sulta finalement un rĂ©seau de pĂšlerinage englobant lâensemble de ces divers sanctuaires, Ă lâusage des populations autochtones de lâempire, et ce avant l'introduction du catholicisme.
Fonctionnement
Dans le cadre de ce systĂšme, chaque homme travaillait pour le gouvernement durant un certain laps de temps. La population Ă©tait alors employĂ©e Ă lâamĂ©nagement de routes, Ă la construction de monuments, de ponts et de demeures Ă lâusage de lâEmpereur et des nobles, au travail des champs autour des temples et sur les terres de lâEmpereur, et Ă©galement, mais beaucoup plus rarement, Ă lâexploitation des mines. La construction dâun vaste rĂ©seau routier et dâouvrages dâart ne fut possible en partie que grĂące Ă la mise en Ćuvre de la mitâa par les Incas. ConformĂ©ment Ă la loi inca, ce travail sâeffectuait Ă titre gracieux, et toute personne Ă©tait tenue, lorsquâĂ©tait arrivĂ© son tour de rĂŽle, de rejoindre lâun des chantiers publics fonctionnant selon le systĂšme de la mitâa. Un arrangement de type communal, propre Ă satisfaire aux besoins Ă©lĂ©mentaires, fut mis en place pour prendre en charge la famille de ceux ayant dĂ» sâabsenter pour leur tour de mit'a.
Toutes les personnes de sexes masculin Ă©taient, Ă partir de lâĂąge de quinze ans et jusquâĂ lâĂąge de 50 ans, requis de participer Ă la mit'a et dâeffectuer obligatoirement des travaux dâintĂ©rĂȘt public. Toutefois, la loi inca Ă©tait souple quant au temps quâune personne devait passer Ă travailler pendant son tour de rĂŽle Ă la mitâa. Des superviseurs Ă©taient chargĂ©s de veiller Ă ce que la personne, une fois sa tĂąche accomplie Ă la mit'a, disposĂąt toujours de suffisamment de temps pour sâoccuper de ses propres terres et de sa famille.
La construction de ponts et dâoroyas (navires de guerre) relevait de la responsabilitĂ© des groupes ethniques locaux, lesquels divisaient le travail selon le systĂšme particulier de la mitâa, en subdivisant la population en hanan et urin ou en ichuq (ichoc) et allawqa (allauca) (resp. haut et bas, gauche et droite). Sous le rĂ©gime des vice-royautĂ©s espagnoles, la mĂ©thode andine de rĂ©partition des obligations de travail entre les groupes ethniques fut maintenue, ce qui permit de poursuivre lâentretien de ces ouvrages publics[4].
Dans le monde andin, lâensemble des travaux publics Ă©tait ainsi accompli selon un systĂšme de rotation, que ce soit pour entretenir les tambos (relais routiers), les chaussĂ©es, les ponts ou pour garder les entrepĂŽts, ou pour accomplir dâautres tĂąches de cet ordre. Les artisans jouissaient dâun statut spĂ©cial dans lâĂtat inca et Ă©taient dispensĂ©s de participer Ă la mitâa agricole et Ă la mit'a militaire[5]. La mit'a agraire Ă©tait distincte de la mitâa de pĂȘche, aucun de ces deux groupes ne sâimmisçant dans les occupations de lâautre. Dans la seigneurie chincha, les marins-pĂȘcheurs Ă©taient au nombre de 10 000, et partaient au large Ă tour de rĂŽle, passant le reste du temps Ă boire et Ă danser. Les Espagnols les critiqueront comme des paresseux et des ivrognes, parce quâils ne prenaient pas la mer quotidiennement et tous Ă la fois. La mitâa militaire prĂ©levait ses effectifs dans les ayllus et les appelait Ă servir dans les forces armĂ©es de lâĂtat. La mit'a miniĂšre Ă©tait Ă©galement organisĂ©e au niveau de lâayllu, câest-Ă -dire sous lâautoritĂ© du seigneur local, et, en derniĂšre instance, de lâĂtat.
Lâempereur inca rĂ©tribuait ces prestations par des fĂȘtes et des biens quâil distribuait Ă certaines occasions dĂ©terminĂ©es. Si la mitâa inca ne comportait pas le versement dâun salaire, les mitayos en contrepartie Ă©taient logĂ©s et nourris par lâĂtat pendant leur tour de travail et lâInca rĂ©compensait les efforts des mitayos en offrant des services et des biens Ă leur ayllu dâorigine[6].
Le concept de mit'a a une portĂ©e qui va au-delĂ dâun simple systĂšme dâorganisation du travail. Il comporte une certaine conception philosophique andine de lâĂ©ternel retour. La constellation des PlĂ©iades, appelĂ©e cabrillas (« chevrettes ») par les Espagnols, Ă©tait connue sous le nom dâunquy (vocable quechua signifiant maladie, hispanisĂ© en oncoy) pendant la mitâa de la saison des pluies, et de qullqa (qui dĂ©signe en quechua lâentrepĂŽt) pendant la saison des rĂ©coltes et de lâabondance. Les saisons Ă©taient divisĂ©es en mitâa sĂšche et en mitâa humide. La mitâa diurne succĂ©dait Ă la mitâa nocturne selon une rĂ©pĂ©tition qui reflĂ©tait une ordonnance du temps conceptualisĂ©e par les Indiens comme un systĂšme dâorganisation cyclique de lâordre et du chaos[7].
Catégorisation des terres
Sous lâĂšre inca, la majoritĂ© des gens Ă©tait dĂ©pendants de la mise en culture de leur terre. Les champs de lâempire Ă©taient divisĂ©s en quatre catĂ©gories : le champ du Temple, de lâEmpereur, des Kurakas (gouverneurs), et du Peuple. Les champs du Peuple appartenaient aux malades, aux veuves, aux vieillards et aux Ă©pouses de soldat.
Au dĂ©but des labours, les gens commençaient Ă travailler dâabord dans les champs des veuves, des malades et des Ă©pouses de militaires, sous la surveillance des superviseurs de village, avant de sâaffairer dans leurs propres champs. Ensuite, ils se mettaient Ă lâouvrage dans les champs des Temples et des Kurakas, puis, enfin, dans les champs de lâEmpereur. Quand ils travaillent dans les champs impĂ©riaux, ils sâhabillaient de leurs meilleurs vĂȘtements, et hommes et femmes psalmodiaient des chants de louange Ă lâInca.
Lorsque les hommes Ă©taient partis Ă la guerre, un certain nombre de personnes requises par la mitâa devaient se charger de cultiver les terres des absents. De cette façon, les soldats pouvaient se rendre au combat en ayant leurs champs et leur famille pris en charge et protĂ©gĂ©s, disposition propre Ă renforcer la loyautĂ© et lâapplication du soldat inca.
SystÚme de réinstallation mitma
On se gardera de confondre la mitâa, systĂšme tournant de corvĂ©es communales, avec la politique dĂ©libĂ©rĂ©e des autoritĂ©s incas consistant Ă dĂ©placer et rĂ©installer des groupes de population, et dĂ©signĂ©e en langue quechua par le terme mitma (mitmaq signifiant personne extĂ©rieure ou nouveau venu) ou par sa forme hispanisĂ©e mitima (mitimaes au pluriel). Cette pratique consistait Ă transplanter des communautĂ©s entiĂšres de personnes dâappartenance culturelle inca et de les fixer comme colons dans les territoires habitĂ©s par des peuples fraĂźchement conquis et incorporĂ©s dans lâEmpire. Lâobjectif Ă©tait de disperser des sujets incas loyaux Ă travers tout lâEmpire afin de limiter le risque de rĂ©bellions localisĂ©es.
Sous la domination espagnole
AprĂšs la conquĂȘte espagnole, les vice-rois du PĂ©rou (puis du RĂo de la Plata, aprĂšs la crĂ©ation de cette vice-royautĂ© en 1776, dont le Haut-PĂ©rou, correspondant grosso modo au territoire de la Bolivie actuelle, allait dĂ©sormais faire partie) sâemparĂšrent du systĂšme de la mitâa, mais lui donnĂšrent un autre sens, dâabord en ne rĂ©tribuant plus le mitayo par des festivitĂ©s et la distribution de biens, et en nĂ©gligeant de donner au mitayo des moyens de subsistance suffisants, ensuite en mettant la mita principalement au service dâintĂ©rĂȘts privĂ©s. Francisco de Toledo, vice-roi du PĂ©rou entre 1569 et 1581, fut chargĂ© en 1574 de mettre en Ćuvre cette formule, qui prĂ©voyait la mobilisation permanente de milliers de mitayos, sommĂ©s dâabandonner, souvent accompagnĂ©s de leur famille, leurs propres activitĂ©s agricoles, et contribuait ainsi au dĂ©peuplement de grandes portions du territoire. Il existait Ă lâĂ©poque coloniale diffĂ©rents types de mita : celle agraire (dans les domaines agricoles, les haciendas), celle urbaine (en vue de la construction de bĂątiments dans les villes), celle de tambo (relative aux ponts, routes et Ă©tablissements dâhĂ©bergement sur le rĂ©seau routier), celle dite obrajera (dans les ateliers de fabrication, notamment de tissage), entre autres ; cependant la plus importante Ă©tait la mita miniĂšre, liĂ©e Ă la production dâargent et de mercure. Ces prestations sâeffectuaient selon un tour de rĂŽle et Ă©taient assorties dâune rĂ©munĂ©ration[6].
Sous Francisco de Toledo, les communautĂ©s indiennes Ă©taient requises de fournir Ă tout moment un septiĂšme de leur main-dâĆuvre masculine pour les besoins des travaux publics, de lâactivitĂ© miniĂšre et de lâagriculture. Le systĂšme finit par imposer un fardeau intolĂ©rable aux communautĂ©s incas et les abus Ă©taient monnaie courante. Ă la suite de dolĂ©ances et de rĂ©voltes, de nouvelles lois furent adoptĂ©es par le roi Philippe III, mais nâeurent quâun effet limitĂ©. Il est Ă noter que la mita au sens inca et au sens espagnol servait des buts diffĂ©rents. La mita inca avait Ă©tĂ© conçue pour pourvoir au bien public, notamment lâentretien des routes et des ingĂ©nieux rĂ©seaux dâirrigation et les systĂšmes de rĂ©colte, tĂąches qui impliquaient une coordination intercommunautaire du travail[8]. La plupart des sujets incas accomplissaient leurs obligations de mita dans leurs propres communautĂ©s ou Ă proximitĂ©, souvent dans lâagriculture ; les corvĂ©es dans les mines en revanche Ă©taient extrĂȘmement rares[9]. La mita espagnole au contraire fournissait une main-dâĆuvre supplĂ©tive au bĂ©nĂ©fice dâintĂ©rĂȘts miniers privĂ©s et de lâĂtat espagnol, ce dernier utilisant les recettes fiscales issues de la production dâargent en grande partie pour financer ses guerres en Europe[10].
Mita miniĂšre Ă PotosĂ
Ă lâĂ©poque inca, les hommes Ă©taient obligĂ©s de travailler dans les mines pendant une pĂ©riode de quatre mois, puis Ă©taient autorisĂ©s Ă rentrer chez eux. Sous la domination espagnole, si le nombre exigĂ© de mois de travail minier resta inchangĂ©, les conditions de travail avaient par contre fortement changĂ©, au point quâil Ă©tait dĂ©sormais souvent impossible Ă ces hommes de retourner dans leurs foyers. Pendant quâils travaillaient dans les mines, ils devaient payer leur nourriture et sâacquitter dâimpĂŽts. Les salaires Ă©taient si bas que les travailleurs se retrouvaient toujours endettĂ©s ; cependant le rĂšglement stipulait quâun mineur nâĂ©tait pas autorisĂ© Ă quitter la mine tant quâil nâeĂ»t pas remboursĂ© ses dettes, et si lâhomme venait Ă mourir, ses enfants Ă©taient tenus de travailler dans les mines pour payer les dettes de leur pĂšre. Les travailleurs Ă©taient finalement pris dans un engrenage et ne pouvaient plus que rarement rentrer chez eux.
Ainsi, depuis la seconde moitiĂ© du XVIe siĂšcle, les conquistadors espagnols utilisĂšrent-ils ce mĂȘme systĂšme de prestations communales pour se procurer la main-dâĆuvre dont ils avaient besoin dans les mines dâargent, qui formaient la base de leur Ă©conomie pendant la pĂ©riode coloniale. Lâorganisation de lâenrĂŽlement dans la mita incombait aux kurakas, lesquels Ă©taient, en tant que fonctionnaires indigĂšnes, responsables de sa bonne exĂ©cution. Sous lâadministration du vice-roi Francisco de Toledo, qui avait Ă©tĂ© nommĂ© au PĂ©rou en 1569, le systĂšme de la mita connut une forte expansion concomitamment aux tentatives faites par De Toledo dâaugmenter les quantitĂ©s dâargent extraites des mines de PotosĂ (sises dans lâactuelle Bolivie), vers lesquelles allaient chaque annĂ©e devoir se dĂ©placer quelque 13 500 Indiens, selon les calculs du vice-roi lui-mĂȘme. En 1573, De Toledo fit venir Ă Potosi les premiĂšres recrues de la mit'a depuis les rĂ©gions directement limitrophes de la mine de Potosi. De Toledo sâĂ©tait avisĂ© que sans une source de main-dâĆuvre permanente, fiable et bon marchĂ©, lâactivitĂ© miniĂšre ne serait pas en mesure de croĂźtre Ă la vitesse demandĂ©e par la couronne espagnole. Ă son apogĂ©e, la zone de recrutement pour la mita de Potosi sâĂ©tendait sur un territoire de prĂšs de 520 000 kmÂČ, couvrant une grande partie du PĂ©rou et de la Bolivie actuelle. En 1800 Ă©tait assignĂ© Ă PotosĂ un contingent de 2853 mitayos â dont 165 sâachetĂšrent une dispense â originaires de 16 provinces et venant de 139 villages. Les tours de rĂŽle faisaient alterner des pĂ©riodes de travail de deux semaines et un temps de repos dâune semaine ; la semaine ouvrĂ©e se prolongeait du mardi au samedi, le dimanche Ă©tant consacrĂ© au repos et le lundi Ă la rĂ©partition des tĂąches[6].
Lâinstitution inca de la mita, telle que les conquistadors lâexploitĂšrent Ă leurs propres fins, exerça un fort impact sur les populations indiennes en ceci quâelle les dĂ©privait de travailleurs physiquement vaillants Ă un moment oĂč ces communautĂ©s subissaient dĂ©jĂ un effondrement dĂ©mographique Ă cause dâĂ©pidĂ©mies de maladies importĂ©es de lâancien monde. Dâautre part, les Indiens finirent par vouloir se soustraire Ă la mita, en particulier Ă celle miniĂšre, en premier lieu Ă cause du danger que reprĂ©sentait ce type de travail, ensuite en raison de lâabandon forcĂ© de leurs terres, enfin Ă cause du prĂ©judice financier quâentraĂźnait un tour de rĂŽle Ă PotosĂ, oĂč, compte tenu de lâinsuffisance du salaire versĂ©, les mitayos Ă©taient forcĂ©s de trouver dâautres emplois pour survivre. Pour Ă©chapper Ă la mita, les Indiens sâenfuyaient de leurs communautĂ©s, ce qui provoqua une pĂ©nurie dâhommes aptes au travail dans les champs et une chute subsĂ©quente de la production agricole ; famine et malnutrition en furent la consĂ©quence pour nombre de communautĂ©s indiennes dans la rĂ©gion. Sur sollicitation du gouverneur du RĂo de la Plata Hernando Arias de Saavedra, la couronne espagnole fit passer, par la voix du visiteur Francisco de Alfaro, une sĂ©rie de lois de protection du travailleur indigĂšne, qui, entre autres dispositions, prescrivaient un roulement de sept ans ; cependant la lĂ©gislation fut bafouĂ©e systĂ©matiquement, et au dĂ©but du XVIIe siĂšcle, les Indiens pouvaient ĂȘtre convoquĂ©s Ă la mita jusquâau rythme dâune fois tous les deux ans, ce qui sera Ă lâorigine dâun absentĂ©isme considĂ©rable dans la mita miniĂšre tout au long du XVIIe siĂšcle[6]. Si les ordonnances dâAlfaro ne furent pas appliquĂ©es, ce fut certes dâabord en raison de lâopposition des marchands espagnols, mais aussi, dans certains cas, des Indiens eux-mĂȘmes[11].
RĂ©manence de la mita
La mita fut abolie en 1812 par les Cortes libĂ©rales espagnoles rĂ©unies Ă Cadix pendant la guerre dâindĂ©pendance espagnole[6]. Cependant, les effets de la mita semblent persister encore aujourdâhui en ceci notamment que les populations des zones historiquement assujetties Ă la mita coloniale prĂ©sentent un niveau dâinstruction gĂ©nĂ©ral plus faible que la moyenne nationale des pays concernĂ©s, et quâelles sont encore aujourdâhui moins bien raccordĂ©s aux rĂ©seaux de communication. Il appert des donnĂ©es des recensements agricoles que les habitants des anciennes zones de mita ont une probabilitĂ© sensiblement plus forte de pratiquer une agriculture de subsistance. Ceci sâexplique par le fait que les haciendas (grands domaines agricoles avec main-dâĆuvre rĂ©sidante) avaient Ă©tĂ© interdites dans les districts soumis Ă la mita afin de minimiser la compĂ©tition que lâĂtat devait affronter pour sâemparer des rares ressources de main-d'Ćuvre mitaya. Significativement, lâaristocratie fonciĂšre des haciendas, qui avait lâentregent politique nĂ©cessaire pour sâassurer de la rĂ©alisation dâinfrastructures publiques telles que les routes[12], jouait de son influence pour faire amĂ©nager des routes desservant autant dâhaciendas quâil Ă©tait possible, lâexpĂ©rience montrant en effet que les routes garantissaient une participation plus importante au marchĂ© et des revenus plus Ă©levĂ©s[13].
Références
- Teofilo Laime Ajacopa, Diccionario BilingĂŒe Iskay simipi yuyayk'ancha, La Paz, 2007 (dictionnaire quechua-espagnol)
- Diccionario Quechua - Español - Quechua, AcademĂa Mayor de la Lengua Quechua, Gobierno Regional Cusco, Cusco 2005 (dictionnaire quechua-espagnol)
- ce qui peut se simplifier ainsi : « je reçois individuellement parfois plus, en tant que de besoin, que ce que je donne au systĂšme, dans la mesure oĂč le tout est supĂ©rieur Ă la somme de ses parties, par la synergie que permet leur solidaritĂ© ». Sur le systĂšme d'Ă©change dans les Andes prĂ©colombiennes et sur le dĂ©tournement du rĂ©gime de la mita Ă leur profit par les colons espagnols, voir notamment : Carmen Bernand, Les Incas, peuple du soleil, Paris, Gallimard, coll. « DĂ©couvertes », , 175 p. (ISBN 978-2-07-035981-3 et 2-07-035981-6), pp. 153 Ă 159.
- (en)MarĂa Rostworowski de DĂez Canseco, History of the Inca realm, Cambridge/New York/Melbourne, Cambridge University Press, (ISBN 978-0521637596, lire en ligne), p. 63
- (en)MarĂa Rostworowski de DĂez Canseco, History of the Inca realm, Cambridge/New York/Melbourne, Cambridge University Press, (ISBN 978-0521637596, lire en ligne), p. 163
- (es)Encyclopédie Encarta espagnole, article Mita.
- (en)MarĂa Rostworowski de DĂez Canseco, History of the Inca realm, Cambridge/New York/Melbourne, Cambridge University Press, (ISBN 978-0521637596, lire en ligne), p. 184
- (en)Terence N. D'Altroy, The Incas, Oxford, Blackwell Pub., , 266 p. (ISBN 978-1405116763)
- John Howland Rowe, Inca Culture at the Time of the Spanish Conquest. Handbook of South American Indians, vol. 2, , 267-269 p. (lire en ligne)
- (en) Jeffrey A. Cole, The PotosĂ mita, 1573-1700 : compulsory Indian labor in the Andes, Stanford (Californie), Stanford University Press, (ISBN 978-0804712569), p. 20
- (es)José Luis Mora Mérida, Historia social de Paraguay, 1600-1650, Escuela de estudios hispano-américanos de Sevilla, Séville 1973, p. 176-177.
- (en)Steve Stein, Populism in Peru : the emergence of the masses and the politics of social control, Madison (Wisconsin), University of Wisconsin Press, (ISBN 978-0299079901), p. 59
- (es)Javier Escobal, « El beneficio de los caminos rurales: ampliando oportunidades de ingreso para los pobres », GRADE (consulté le )
Annexes
Bibliographie
- (en) MarĂa Rostworowski de DĂez Canseco, History of the Inca realm, Cambridge / New York / Melbourne, Cambridge University Press, (ISBN 978-0521637596, lire en ligne).
- (en) Jeffrey A. Cole, The PotosĂ mita, 1573-1700: compulsory Indian labor in the Andes, Stanford ( Californie), Stanford University Press, (ISBN 978-0804712569).
- (en) Terence N. D'Altroy, The Incas, Oxford, Blackwell Publisher, (ISBN 978-1405116763).
- (en) Steve Stein, Populism in Peru: the emergence of the masses and the politics of social control, Madison (Wisconsin), University of Wisconsin Press, (ISBN 978-0299079901).
- (en) John Howland Rowe, Inca Culture at the Time of the Spanish Conquest. Handbook of South American Indians, vol. 2, U.S. Government Printing Office, , 148 p. (lire en ligne), p. 183â330.
Liens externes
- (es) Paula C. Zagalsky, La mita de PotosĂ: una imposiciĂłn colonial invariable en un contexto de mĂșltiples transformaciones (siglos XVI-XVII; Charcas, Virreinato del PerĂș), Chungara, Revista de AntropologĂa Chilena, volume 46, no 3, 2014, p. 375-395 (intĂ©gralement consultable en ligne, Ă©galement sur ce site)
- (es) Ariel J. Morrone, Tras los pasos del mitayo: la sacralizaciĂłn del espacio en los corregimientos de Pacajes y Omasuyos (1570-1650), Bulletin de lâInstitut français dâĂ©tudes andines, no 44, 2015, p. 91-116 (lecture en ligne)
- (es) Ana MarĂa Presta, La CompañĂa del TrajĂn de Azogues de PotosĂ. Un capĂtulo inĂ©dito de la financiaciĂłn de los repartimientos indĂgenas surandinos al desarrollo de la minerĂa colonial, BoletĂn del Instituto de Historia Argentina y Americana âDr Emilio Ravignaniâ, 3e sĂ©rie, no 43, 2e semestre 2015, p. 31-58 (lecture en ligne)
- (en) Melissa Dell, « The Mining Mita: Explaining Institutional Persistence », Stanford University Press (consulté le )
- (en) Melissa Dell, « The Persistent Effects of Peru's Mining Mita », Harvard University Press (consulté le )
- (es) Javier Escobal et Carmen Ponce, « El beneficio de los caminos rurales: ampliando oportunidades de ingreso para los pobres », GRADE (consulté le )
- « Le travail forcĂ© des Indiens dans les mines de Potosà », sur Belin Ăducation â Manuel web, Paris, Belin