Bataille de Caseros
La bataille de Caseros, ou bataille de Monte Caseros, eut lieu le Ă Caseros, aujourdâhui EstaciĂłn El Palomar, dans la moyenne banlieue ouest de Buenos Aires, en Argentine. Elle opposa lâarmĂ©e de Buenos Aires, commandĂ©e par le dictateur unitaire Juan Manuel de Rosas, Ă la Grande ArmĂ©e (EjĂ©rcito Grande), emmenĂ©e par Justo JosĂ© de Urquiza et constituĂ©e par une coalition dâopposants au rĂ©gime de Rosas, avec le renfort de troupes brĂ©siliennes et uruguayennes.
Date | |
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Lieu | El Palomar de Caseros, Grand Buenos Aires |
Issue | Victoire alliée décisive. Démission et fuite de Rosas. |
Grande ArmĂ©e : Entre RĂos Corrientes Buenos Aires Santa Fe Uruguay Empire du BrĂ©sil | ArmĂ©e de la ConfĂ©dĂ©ration argentine : Buenos Aires |
Justo José de Urquiza | Juan Manuel de Rosas |
600 morts et blessés | 1 500 morts et blessés 7 000 prisonniers |
CoordonnĂ©es | 34° 36âČ 10âł sud, 58° 36âČ 44âł ouest |
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En mai de lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, Urquiza, gouverneur dâEntre Rios, naguĂšre alliĂ© de Rosas, mais lĂ©sĂ© dans ses intĂ©rĂȘts personnels par lâembargo dĂ©crĂ©tĂ© par celui-ci contre Montevideo, principal partenaire commercial dâEntre RĂos, et convaincu aussi de la nĂ©cessitĂ© dâune structure constitutionnelle nationale que Rosas sâobstinait Ă ne pas mettre en chantier, avait lancĂ© son pronunciamiento contre son alliĂ©, mis sur pied une armĂ©e, puis occupĂ© lâUruguay avec lâaide du BrĂ©sil. Il franchit ensuite le ParanĂĄ avec ses troupes, et, les forces armĂ©es de la province de Santa Fe sâĂ©tant rebellĂ©es Ă leur tour, eut la voie libre pour marcher sur Buenos Aires. La Grande ArmĂ©e lâemporta assez facilement sur les troupes de Rosas, qui nâeut plus quâĂ dĂ©missionner et sâexila au Royaume-Uni.
Cette bataille marque une rupture dans lâhistoire de l'Argentine : aprĂšs avoir remportĂ© la victoire, Urquiza, alors directeur provisoire de la ConfĂ©dĂ©ration argentine, suscita lâĂ©laboration de la Constitution de 1853, et devint en 1854 le premier prĂ©sident constitutionnel de l'Argentine.
Antécédents
Les guerres civiles argentines
LâArgentine Ă©tait secouĂ©e depuis 1814 par une sĂ©rie de guerres intestines oĂč sâaffrontaient le parti fĂ©dĂ©raliste, conservateur et traditionnaliste, et le pouvoir centraliste, libĂ©ral et progressiste, ce dernier sâidentifiant en gĂ©nĂ©ral avec les gouvernements de Buenos Aires. Cette situation avait privĂ© le pays dâun Ătat central de maniĂšre quasi permanente depuis 1820.
Ă partir de 1831, lâorganisation institutionnelle de lâĂtat argentin Ă©tait fixĂ©e par la dĂ©nommĂ©e ConfĂ©dĂ©ration argentine, union assez flottante dâentitĂ©s provinciales quâunissait un ensemble de pactes et traitĂ©s.
Cependant, depuis 1835, la tutelle rĂ©elle sur la pays se trouvait aux mains du gouverneur de la province de Buenos Aires, le fĂ©dĂ©raliste Juan Manuel de Rosas, dotĂ© en outre du « pouvoir suprĂȘme » (suma del poder pĂșblico), face auquel lâassemblĂ©e lĂ©gislative de Buenos Aires ne jouait tout au plus quâun rĂŽle modĂ©rateur, fort peu visible.
En 1839, et dans une mesure accrue Ă partir de 1840, une Ăąpre guerre civile agita le pays, affectant â chose jamais survenue auparavant avec une telle ampleur â toutes les provinces Ă la fois, et coĂ»tant des milliers de victimes. Rosas cependant parvint Ă vaincre ses ennemis et par lĂ renforça davantage encore sa domination sur lâArgentine. Une campagne militaire Ă lâintĂ©rieur du pays menĂ©e par le Chacho Peñaloza et une longue rĂ©bellion de la province de Corrientes rĂ©ussirent encore Ă Ă©branler les provinces de Santa Fe et dâEntre RĂos, mais seront elles aussi dĂ©faites en 1847. Depuis lors, la ConfĂ©dĂ©ration argentine jouissait dâune paix relative.
Fin du blocus anglo-français
Depuis 1844, la ville de Montevideo Ă©tait assiĂ©gĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Manuel Oribe, qui sâĂ©tait rendu maĂźtre de la quasi-totalitĂ© du pays et se considĂ©rait comme le prĂ©sident lĂ©gal de lâUruguay. Il bĂ©nĂ©ficiait dâun solide appui matĂ©riel et militaire de la part de Rosas, y compris lâengagement dâimportantes forces militaires argentines au siĂšge de Montevideo. NĂ©anmoins, la ville put rĂ©sister grĂące au blocus anglo-français du RĂo de la Plata, par lequel les forces navales de Grande-Bretagne et de France bloquaient le RĂo de la Plata, interdisant aux vaisseaux argentins de venir en aide Ă Oribe. La situation, qui en Ă©tait donc restĂ©e au point mort, changea en 1847 aprĂšs quâeut Ă©tĂ© Ă©liminĂ©e lâultime rĂ©sistance contre Rosas dans lâintĂ©rieur de lâArgentine.
Sans autres alliĂ©s dĂ©sormais que les dĂ©fenseurs de Montevideo, les Britanniques commencĂšrent Ă douter de la possibilitĂ© de vaincre Rosas. Attendu quâen fin de compte, Rosas entretenait avec eux de bonnes relations diplomatiques et commerciales, ils transigĂšrent lĂ oĂč ils pouvaient, acceptĂšrent le peu que leur concĂ©dait Rosas, et se rĂ©signĂšrent en novembre 1848 Ă signer le traitĂ© Arana-Southern, lequel disposait notamment que lâAngleterre eut Ă lever unilatĂ©ralement le blocus naval. Le nouveau chef dâĂtat de la France, NapolĂ©on III, maintint la position de son prĂ©dĂ©cesseur pendant un temps encore, puis finit par signer le traitĂ© Arana-LeprĂ©dour en janvier 1850[1].
Les assiĂ©gĂ©s de Montevideo Ă©tant isolĂ©s dorĂ©navant, la ville ne pouvait rĂ©sister beaucoup plus longtemps. Pour accentuer la pression sur la ville assiĂ©gĂ©e, Rosas proscrivit tout type de commerce avec Montevideo, tolĂ©rĂ© jusquâalors. La ville subit ainsi un blocus commercial, quoique sans lâintervention de forces navales.
Cependant, cette prohibition eut une consĂ©quence inopinĂ©e : le principal bĂ©nĂ©ficiaire du commerce avec Montevideo Ă©tait la province dâEntre RĂos, et plus particuliĂšrement le gouverneur lui-mĂȘme, le gĂ©nĂ©ral Justo JosĂ© de Urquiza. FrappĂ© dans ses intĂ©rĂȘts matĂ©riels, mais convaincu aussi de la nĂ©cessitĂ© de rĂ©novation politique et dâune structure constitutionnelle nationale, et ayant gardĂ© Ă lâesprit que les unitaires sâĂ©taient offerts Ă conclure avec lui une alliance, Urquiza cherchait lâoccasion de forcer Rosas Ă cĂ©der[2], ou alors dâen finir avec son long gouvernement.
Le Pronunciamiento
Fin 1850, lâempire du BrĂ©sil prit parti pour Montevideo. Lâexistence de la rĂ©publique orientale de lâUruguay avait Ă©tĂ© jusque-lĂ la garantie pour le BrĂ©sil de pouvoir disposer de points dâappui pour son commerce dans le RĂo de la Plata, et la chute de lâUruguay dans les mains dâun alliĂ© de Rosas pouvait compromettre les intĂ©rĂȘts brĂ©siliens.
Devant lâattitude hostile de lâempire du BrĂ©sil, Rosas se prĂ©para Ă la guerre : il envoya un contingent de troupes Ă Urquiza et le nomma commandant en chef dâune ArmĂ©e dâobservation, destinĂ©e Ă ĂȘtre engagĂ©e dans une Ă©ventuelle nouvelle guerre contre le BrĂ©sil ; toutefois, Urquiza la mit au service de ses propres desseins.
Urquiza soupçonna que si Rosas ouvrait un nouveau front, câĂ©tait pour continuer Ă diffĂ©rer la mise en place dâune organisation constitutionnelle du pays. Il prit contact avec les Ă©missaires du gouvernement de Montevideo et de lâempire du BrĂ©sil, rĂ©affirma son alliance avec le gouverneur de la province de Corrientes, BenjamĂn Virasoro, et ordonna dâemprisonner puis de fusiller le prĂ©sident du congrĂšs provincial de Corrientes. La prĂ©occupation principale des deux gouverneurs Ă©tait de libĂ©rer le commerce fluvial et les Ă©changes avec lâoutremer, mais ils rĂ©clamaient Ă©galement leur quote-part des recettes de la douane de Buenos Aires.
Urquiza nâentreprit aucune action avant de sâĂȘtre assurĂ© des financements nĂ©cessaires, seule chose qui lui faisait encore dĂ©faut. Il en chargea le baron de MauĂĄ, le banquier le plus important du BrĂ©sil, qui sut amener lâEmpereur Ă financer ses opĂ©rations militaires[3] - [4].
Le 1er mai 1851, Urquiza lança depuis ConcepciĂłn del Uruguay son pronunciamiento contre Rosas : lâassemblĂ©e lĂ©gislative dâEntre RĂos ayant pris acte des renonciations rĂ©pĂ©tĂ©es de Rosas au gouvernorat de Buenos Aires et de son refus dâassumer la compĂ©tence en matiĂšre de relations extĂ©rieures, Urquiza plaça en ses propres mains la politique extĂ©rieure et de guerre de sa province. Il fit remplacer dans les documents officiels la devise, devenue familiĂšre, de « ÂĄMueran los salvajes unitarios! » (Que meurent les sauvages unitaires !), par celle de « ÂĄMueran los enemigos de la organizaciĂłn nacional! » (Que meurent les ennemis de lâorganisation nationale !)[5].
Peu de jours aprĂšs, Corrientes imita la rĂ©solution lĂ©gislative dâEntre RĂos. En un court laps de temps, Urquiza sut mobiliser en Entre RĂos entre 10 000 et 11 000 cavaliers (ce qui reprĂ©sente un considĂ©rable effort pour une province de seulement 46 000 habitants)[6] - [7] - [8].
La presse portĂšgne rĂ©agit avec indignation Ă cette « trahison » ; tous les autres gouverneurs de province prononcĂšrent des anathĂšmes et des menaces publiques Ă lâencontre du « fou, traĂźtre, sauvage unitaire Urquiza ». Dans les mois suivants, une majoritĂ© dâentre eux fit nommer Rosas « Chef suprĂȘme de la Nation », câest-Ă -dire prĂ©sident, mais sans y avoir titre, ni congrĂšs pour le contrĂŽler. Cependant, il nây eut personne pour rĂ©ellement se mobiliser Ă son secours.
Rosas rĂ©agit avec une lenteur qui lui Ă©tait inhabituelle. Les annĂ©es avaient certes fait de lui un bureaucrate efficace, mais il avait perdu dĂ©jĂ la capacitĂ© dâĂ©valuer correctement les problĂšmes et de les affronter[9] ; il se borna Ă attendre.
Campagne militaire en Uruguay
Ă la fin mai 1851, un traitĂ© fut signĂ© entre Entre RĂos, le gouvernement de Montevideo et lâempire du BrĂ©sil, par lequel fut fondĂ©e une alliance visant Ă expulser le gĂ©nĂ©ral Manuel Oribe de lâUruguay, Ă appeler Ă la tenue dâĂ©lections libres dans toute lâArgentine et, au cas oĂč â comme cela Ă©tait Ă prĂ©voir â Rosas dĂ©clarerait la guerre Ă lâune des parties signataires, Ă sâunir pour lâattaquer.
En guise de premiĂšre Ă©tape de son plan stratĂ©gique, Urquiza, sâappuyant sur les troupes correntines emmenĂ©es par JosĂ© Antonio Virasoro, et sur celles dâEntre RĂos, câest-Ă -dire sur une armĂ©e de plus de 6 000 hommes au total, envahit le territoire uruguayen au mois de juillet de la mĂȘme annĂ©e. Il Ă©tait accompagnĂ© par le gĂ©nĂ©ral Eugenio GarzĂłn, ennemi dâOribe dĂ©jĂ depuis peu avant Arroyo Grande, et Ă qui vinrent se rallier les armĂ©es blanches orientales[10]. Dans le mĂȘme temps, des troupes brĂ©siliennes pĂ©nĂ©trĂšrent dans le nord du pays, ce qui porta Rosas Ă dĂ©clarer la guerre au BrĂ©sil.
Cependant, il nây eut pas de guerre : Oribe, demeurĂ© seul ou presque, dĂ©fendu par les seules forces de Buenos Aires, lesquelles nâavaient pas dâinstructions pertinentes quant Ă ce quâil avait lieu de faire, conclut avec Urquiza le 8 octobre un pacte stipulant la levĂ©e du siĂšge. Oribe renonça donc et sâĂ©loigna de la ville sans ĂȘtre inquiĂ©tĂ© ; en contrepartie, le gouvernement du pays, en ce compris Montevideo, serait exercĂ© par le gĂ©nĂ©ral GarzĂłn. Toutefois, celui-ci nâaccĂ©dera pas Ă la prĂ©sidence promise, car il mourut bientĂŽt ; Juan Francisco GirĂł fut alors nommĂ© Ă sa place.
Lâaide brĂ©silienne sera chĂšre payĂ©e : lâEmpire contraignit le nouveau gouvernement urugayen Ă accepter un certain nombre de traitĂ©s par lesquels lâUruguay cĂ©dait une large frange de territoire dans le nord du pays ; ce territoire se trouvait dĂ©jĂ occupĂ© par des Ă©leveurs brĂ©siliens, protĂ©gĂ©s par des troupes brĂ©siliennes, cependant cette portion de territoire avait Ă©tĂ© jusquâalors reconnue comme appartenant Ă lâUruguay. De surcroĂźt, lâUruguay reconnaissait le BrĂ©sil comme garant de lâindĂ©pendance, de lâordre et des institutions uruguayennes ; lâEmpire sâassurait le droit dâintervenir dans la politique intĂ©rieure de son voisin sans aucun contrĂŽle externe.
Urquiza permit aux chefs militaires portĂšgnes de sâembarquer pour Buenos Aires, en leur laissant entendre que leurs troupes les suivraient. Cependant, les officiers furent Ă©loignĂ©s du littoral par les navires anglais, et les troupes portĂšgnes incorporĂ©es de force dans lâarmĂ©e dâUrquiza, sous le commandement dâofficiers unitaires ; Ă partir de cet instant, les forces dâUrquiza portaient lâappellation de « Grande ArmĂ©e » (EjĂ©rcito Grande). Les troupes alliĂ©es se composaient de 27 000 hommes, en majoritĂ© argentins, mais comprenant Ă©galement des milliers dâUruguayens et de soldats rĂ©guliers bresiliens[11]. Un contingent de 10 000 hommes (appelĂ© « Petite ArmĂ©e », EjĂ©rcito Chico)[12] se tint en rĂ©serve Ă Colonia del Sacramento[11]. Au mĂȘme moment, Rosas disposait de quelque 25 000 hommes[11].
Campagne de lâEjĂ©rcito Grande
Ă la fin octobre 1851, Urquiza Ă©tait de retour dans la province dâEntre RĂos. Pendant son absence, le colonel Hilario Lagos avait quittĂ© Entre RĂos avec les troupes que Rosas y avait Ă sa disposition.
Fin novembre, le BrĂ©sil, lâUruguay et les « Ătats dâEntre RĂos et de Corrientes » dĂ©clarĂšrent la guerre Ă Rosas. LâEmpire accorda un crĂ©dit de cent mille patacĂ”es (plur. de patacĂŁo, ancienne monnaie brĂ©silienne valant 960 rĂ©aux) pour financer la guerre, somme dĂ»ment reconnue comme dette souveraine de la Nation argentine, en plus de deux mille Ă©pĂ©es et des munitions et armements qui faisaient alors dĂ©faut aux troupes dâUrquiza. Le coĂ»t humain de la guerre en revanche serait principalement supportĂ© par les provinces du Litoral ; une division dâinfanterie avec un rĂ©giment de cavalerie et deux batteries de six canons chacune constitueraient lâapport militaire brĂ©silien, ainsi que 4 000 hommes placĂ©s sous les ordres du gĂ©nĂ©ral Manuel Marques de Sousa, Ă cĂŽtĂ© des 12 000 rĂ©servistes stationnĂ©s sur les cĂŽtes dâUruguay et prĂȘts Ă intervenir si nĂ©cessaire[13].
AprĂšs avoir rassemblĂ© et entraĂźnĂ© ses forces Ă GualeguaychĂș, Urquiza regroupa les troupes provinciales dans le campement du CalĂĄ, et partit le 13 dĂ©cembre au-devant de la Grande ArmĂ©e, laquelle se trouvait Ă Diamante, le port de Punta Gorda (zone dans la province dâEntre RĂos). Ă partir de lĂ , les troupes entreprirent de traverser le fleuve ParanĂĄ, Ă partir de la veille de NoĂ«l de 1851 jusquâau jour de lâĂpiphanie de 1852. Les troupes dâinfanterie et les piĂšces dâartillerie franchirent le fleuve Ă bord de vaisseaux militaires brĂ©siliens, tandis que la cavalerie le traversait Ă la nage.
Les troupes dĂ©barquĂšrent ainsi Ă Coronda, en face de Diamante, Ă mi-chemin entre Rosario et Santa Fe. Ce quâayant appris, le gouverneur Pascual EchagĂŒe quitta avec ses troupes la capitale Santa Fe pour affronter lâarmĂ©e ennemie et faire la jonction avec le gĂ©nĂ©ral Pacheco, qui avait sa division cantonnĂ©e Ă San NicolĂĄs de los Arroyos, aux confins des provinces de Buenos Aires et de Santa Fe. Cependant, les troupes de Santa Fe se soulevĂšrent, Ă la suite de quoi Urquiza dĂ©pĂȘcha aussitĂŽt sur les lieux Domingo Crespo, qui prit les fonctions de gouverneur. Les troupes de Rosario, qui Ă©taient sous les ordres de Mansilla, se soulevĂšrent et passĂšrent Ă leur tour dans le camp dâUrquiza, de sorte quâEchagĂŒe, Pacheco et Mansilla durent, avec ce qui leur restait de troupe, se replier vers le sud. Ainsi la province de Santa Fe fut-elle prise dâune façon aussi pacifique que lâavait Ă©tĂ© lâUruguay, et le gĂ©nĂ©ral Juan Pablo LĂłpez, frĂšre du dĂ©funt ancien gouverneur et caudillo de Santa Fe Estanislao LĂłpez, se mit Ă la tĂȘte des Santafesinos, dĂ©sormais eux aussi unis Ă la Grande ArmĂ©e[14].
Inversement, sur le chemin de Buenos Aires, un rĂ©giment entier passa aux forces portĂšgnes, aprĂšs avoir assassinĂ© son chef, le colonel unitaire Pedro LeĂłn Aquino, et tous ses officiers ; ils faisaient partie des forces de Buenos Aires qui Ă Montevideo avaient Ă©tĂ© contraintes de sâunir Ă Urquiza.
Rosas nomma Pacheco commandant en chef de lâarmĂ©e provinciale de Buenos Aires, mais donna ensuite des ordres contraires Ă Hilario Lagos, sans en aviser le gĂ©nĂ©ral. Le gouverneur Rosas sâinstalla dans son campement de Santos Lugares (dans lâactuelle ville de San MartĂn), distribuant des ordres bureaucratiques et sans dĂ©cider rien dâutile. Pacheco, las de ce chef qui ruinait tous ses efforts, dĂ©missionna de son poste de commandant de lâarmĂ©e et, sans mĂȘme attendre la rĂ©ponse, se retira sur ses terres[15], prĂ©textant la maladie[16]. Le 1er fĂ©vrier 1852, il dĂ©clara[17] :
« [...] lâesprit militaire Ă©tait relĂąchĂ©. [...] Les chefs militaires recevaient des ordres secrets et je ne voulais pas moi-mĂȘme figurer comme chef si je nâĂ©tais pas aveuglĂ©ment obĂ©i. »
Il sâensuivit que Rosas assuma en personne le commandement de ses troupes. Ce fut un choix des plus critiquables, vu que â sâil Ă©tait certes un grand politique et bon organisateur â Rosas nâĂ©tait absolument pas un gĂ©nĂ©ral compĂ©tent. Ainsi, il ne manĆuvra pas pour imposer un champ de bataille propice, ni ne se retira vers la capitale pour se prĂ©parer Ă un siĂšge ; il se borna Ă attendre. Son unique coup fut de lancer 6 000 cavaliers Ă lâassaut, sous les ordres de Lagos, mais ceux-ci furent battus par 2 000 cavaliers appartenant aux divisions de la Grande ArmĂ©e des gĂ©nĂ©raux Juan Pablo LĂłpez et Miguel GerĂłnimo Galarza, lors du combat de Campos de Ălvarez, le 29 janvier 1852.
La bataille
Effectifs rosistes
Ă la bataille de Caseros, les forces de Buenos Aires (rosistes) se composaient de 10 000 hommes dâinfanterie, de 12 000 cavaliers et de 60 canons[18]. Rosas Ă©tait assistĂ© de ses fidĂšles chefs militaires JerĂłnimo Costa, qui avait dĂ©fendu lâĂźle MartĂn GarcĂa contre les Français en 1838 ; Martiniano Chilavert, ancien unitaire, qui avait rejoint le camp de Rosas car rĂ©pugnant Ă sâassocier Ă des Ă©trangers ; et Hilario Lagos, ancien combattant de la campagne militaire de Rosas dans le « dĂ©sert » (territoires tenus par les AmĂ©rindiens).
DĂ©sertions
Compte tenu des nombreuses dĂ©sertions â dont en particulier celle du gĂ©nĂ©ral Ăngel Pacheco â et du mauvais moral des troupes, quelques historiens et analystes militaires ont tentĂ© de justifier lâattitude de Rosas, en arguant que la bataille Ă©tait perdue dâavance. Toutefois, son adversaire eut lui aussi Ă subir plusieurs dĂ©sertions, parmi lesquelles celle du rĂ©giment Aquino, formĂ© de soldats loyaux Ă Rosas, qui se soulevĂšrent et assassinĂšrent leur commandant Pedro LeĂłn Aquino et tous leurs officiers, avant de rejoindre le camp rosiste[19] - [20].
Effectifs de la Grande Armée
Urquiza pouvait sâappuyer sur au moins 24 000 hommes, dont 3 500 BrĂ©siliens et 1 500 Uruguayens[21]. Parmi les chefs figuraient des Argentins notables, comme les futurs prĂ©sidents BartolomĂ© Mitre et Domingo Faustino Sarmiento. Cependant, le gros de ses troupes Ă©tait constituĂ© de gauchos indisciplinĂ©s. Seuls les BrĂ©siliens Ă©taient des soldats professionnels.
DĂ©roulement de la bataille
Ă lâaube, Urquiza fit donner lecture Ă ses troupes de la proclamation suivante :
« Soldats ! Cela fait aujourdâhui quarante jours quâĂ El Diamante nous avons traversĂ© les courants du ParanĂĄ, et dĂ©jĂ vous ĂȘtes proche de la ville de Buenos Aires et en face de vos ennemis, oĂč vous combattrez pour la libertĂ© et pour la gloire !
Soldats ! Si le tyran et ses esclaves vous attendent, enseignez au monde que vous ĂȘtes invincibles et si la victoire pour un moment est ingrate avec quelques-uns dâentre vous, allez chercher votre gĂ©nĂ©ral sur le champ de bataille, car le champ de bataille est le point de rĂ©union des soldats de lâarmĂ©e alliĂ©e, oĂč nous devons tous vaincre ou mourir !
VoilĂ le devoir quâau nom de la Patrie vous impose votre gĂ©nĂ©ral et ami.
Justo José de Urquiza. »
La bataille, qui dura six heures, fut livrée sur le domaine de la famille Caseros, sis un peu en dehors de la ville de Buenos Aires ; le champ de bataille se trouve sur les actuels terrains du CollÚge militaire de la nation.
Un Ă©lĂ©ment frappant de la bataille est le fait que, quoique prĂšs de 50 000 hommes[22] se soient affrontĂ©s de 9 heures du matin jusquâĂ 3 heures de lâaprĂšs-midi sur une Ă©tendue de terrain assez limitĂ©e, le bilan des pertes reste faible : Ă peine quelques centaines dâhommes morts au combat[17].
Urquiza ne dirigea pas la bataille, et chaque chef militaire agissait comme bon lui semblait. Urquiza, par un acte imprudent pour un gĂ©nĂ©ral en chef, chargea, Ă la tĂȘte de sa cavalerie dâEntre RĂos, contre lâaile gauche de la ligne ennemie.
Entre-temps, lâinfanterie brĂ©silienne, appuyĂ©e par une brigade uruguayenne et un escadron de cavalerie argentin, sâempara du pigeonnier du lieu (El Palomar), curieuse construction circulaire destinĂ©e Ă lâĂ©levage de pigeons, qui se dressait prĂšs du flanc droit rosiste et qui est toujours debout aujourdâhui. Une fois que les deux flancs, gauche et droit, eurent cĂ©dĂ©, seul le centre continua encore la bataille, rĂ©duite dĂ©sormais Ă un duel dâartillerie et de fusils. Lâultime rĂ©sistance Ă©tait dirigĂ©e par deux unitaires : lâinfanterie de DĂaz et lâartillerie de Chilavert. Comme les munitions allaient sâĂ©puisant, ce dernier ordonna de recueillir les projectiles de lâennemi Ă©parpillĂ©s alentour et de sâen servir pour tirer. Lorsquâil ne resta plus rien pour tirer, lâinfanterie brĂ©silienne put avancer, ce qui marqua la fin de la bataille.
Mort de Chilavert
La bataille terminĂ©e, Chilavert, bien quâayant la possibilitĂ© de sâĂ©chapper, resta Ă fumer tranquillement au pied dâun canon, jusquâĂ ce quâon se fĂ»t saisi de lui pour lâemmener devant Urquiza. Les deux hommes discutĂšrent ; Urquiza reprocha Ă Chilavert sa dĂ©fection de la cause antirosiste, Ă quoi Chilavert rĂ©torqua que le seul traĂźtre Ă©tait celui qui sâĂ©tait alliĂ© aux BrĂ©siliens pour attaquer sa propre patrie. Urquiza ordonna de le fusiller dans le dos (chĂątiment rĂ©servĂ© aux traĂźtres), mais quand il fut menĂ© sur le lieu de lâexĂ©cution, Chilavert, aprĂšs avoir renversĂ© ceux qui le traĂźnaient, exigea de recevoir la balle de face et Ă visage dĂ©couvert. Il se dĂ©fendit avec ses poings, et fut achevĂ© Ă coups de baĂŻonnette et de crosse de fusil. Son cadavre demeura sans sĂ©pulture durant plusieurs jours.
Suites
Rosas, blessĂ© dâune balle Ă la main, sâenfuit Ă Buenos Aires dĂšs que la bataille de Caseros Ă©tait perdue pour son camp. Dans le Hueco de los sauces (actuelle Plaza Garay), il rĂ©digea son acte de dĂ©mission[23] :
« Je crois avoir accompli mon devoir envers mes concitoyens et mes compagnons. Si nous nâavons pas fait davantage pour le maintien de notre indĂ©pendance, de notre identitĂ©, et de notre honneur, câest parce que nous nâavons pas pu faire davantage. »
Peu d'heures plus tard, protĂ©gĂ© par le consul de Grande-Bretagne Robert Gore, Rosas sâembarquait sur la frĂ©gate anglaise Centaur et partait en exil en Grande-Bretagne[16].
Les premiers fugitifs commencĂšrent Ă dĂ©ferler sur Buenos Aires Ă 11 heures, annonçant la dĂ©faite dĂ©vastatrice. Dans la ville, devenue acĂ©phale, des pillages eurent bientĂŽt lieu par le fait de groupes de vandales que Mansilla apparut incapable dâarrĂȘter, nonobstant quâil permĂźt aux troupes des flottes Ă©trangĂšres dâentrer dans la ville pour protĂ©ger ses citoyens, les diplomates et leurs propriĂ©tĂ©s ; le vandalisme se prolongea jusquâau 4 fĂ©vrier[17]. Les troupes de Mansilla Ă©taient Ă peine six bataillons de gardes nationaux, qui se dispersĂšrent dĂšs la nouvelle de la dĂ©faite. Le 5 fĂ©vrier, sur les instances des Ă©missaires Ă©trangers, Urquiza envoya trois bataillons pour rĂ©tablir lâordre.
Ce ne fut que quinze jours plus tard que le gĂ©nĂ©ral victorieux, entourĂ© dâun cortĂšge et montant le cheval de Rosas, fit son entrĂ©e dans la capitale[24]. Peu aprĂšs, le prĂ©sident du Tribunal supĂ©rieur de Buenos Aires, Vicente LĂłpez y Planes, fut nommĂ© gouverneur par intĂ©rim.
Outre lâexĂ©cution de Chilavert et de plusieurs officiers rosistes sur le champ de bataille, tous les survivants du rĂ©giment dâAquino furent fusillĂ©s sans jugement, et leurs cadavres suspendus aux arbres de Palermo de San Benito, la rĂ©sidence de Rosas occupĂ©e par ses vainqueurs. Quelque temps aprĂšs, les membres de lâescadron de rĂ©pression rosiste, auparavant actif dans la Mazorca, passĂšrent en jugement et furent exĂ©cutĂ©s ; parmi eux figuraient Ciriaco Cuitiño et Leandro Antonio AlĂ©n, pĂšre du dirigeant radical Leandro N. Alem et grand-pĂšre dâHipĂłlito Yrigoyen.
En plus de contraindre Rosas Ă la dĂ©mission, la bataille de Caseros hissa le gĂ©nĂ©ral Urquiza dans la position de prĂ©Ă©minence politique naguĂšre occupĂ©e par Rosas, ce qui lui permit de convoquer les gouverneurs de province en vue de la signature de lâaccord de San NicolĂĄs, lequel stipulait la rĂ©union dâun congrĂšs gĂ©nĂ©ral constituant. Les travaux de ce congrĂšs dĂ©boucheront lâannĂ©e suivante sur lâadoption de la Constitution argentine de 1853, socle de lâactuelle Constitution de la Nation argentine. NĂ©anmoins, le processus dit dâorganisation nationale ne pourra ĂȘtre considĂ©rĂ© comme clos avant 1880, Ă©tant donnĂ© que jusquâĂ cette date des guerres civiles successives continueront dâĂ©clater dans le pays.
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Références
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- Rosas continuait dâarguer que le pays nâĂ©taient pas encore en paix, et que par consĂ©quent il ne pouvait ĂȘtre organisĂ© constitutionnellement. La paix intĂ©rieure pourtant paraissait assurĂ©e â au-dedans des limites imposĂ©es par les rĂ©voltes locales de lâintĂ©rieur â et lâimminence de la chute de Montevideo semblait augurer la paix extĂ©rieure.
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- (es) FĂ©lix Best, Historia de las guerras argentinas, de la independencia, internacionales, civiles y con el indio, vol. Las guerras civiles (continuaciĂłn). Las guerras internacionales. Guerra con el indio; conquista del desierto, 1810-1917, Buenos Aires, Peuser, , p. 118
« Le milicien accourt Ă lâappel de son chef ou caudillo avec son cheval de combat â le meilleur â et avec un ou plusieurs chevaux de trait (...). De cette maniĂšre, Urquiza disposait de 10 000 cavaliers dâEntre RĂos sur une population de 46 000 habitants. »
- Ă titre de comparaison, en 1853, la province de Mendoza comptait 50 000 Ă 60 000 habitants (cf. W. Parish (1853), p. 277), mais avait une milice de 3 000 hommes Ă peine, capable de se hausser Ă un maximum de 5 000 effectifs (cf. W. Parish (1853), p. 283). De mĂȘme, la province de San Luis, qui avait 25 000 Ă 30 000 Ăąmes (cf. W. Parish (1853), p. 239), possĂ©dait une milice dâĂ peine 600 hommes (cf. W. Parish (1853), p. 239), laquelle milice se trouvait trĂšs affaiblie par les constantes incursions des peuples originels de la Pampa (cf. W. Parish (1853), p. 229 & 239).
- A. C. Cevasco (2006), p. 59.
- A. C. Cevasco (2006), p. 59-60.
- (es) « Confederación Argentina », Buenos Aires, La Gazeta Federal (consulté le ).
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- (es) Francisco O'Donnell, Caudillos federales : El grito del interior, Buenos Aires, Grupo Editorial Norma, , 351 p. (ISBN 978-987-54-5502-3), p. 306.
- (es) Leoncio Gianello, Historia de Santa Fe, Buenos Aires, Plus Ultra, .
- Pacheco a été accusé de trahir Rosas, et sa rapide adhésion aux vainqueurs de celui-ci semble le confirmer. Toutefois, les témoignages ne coïncident pas tous sur ce point.
- A. C. Cevasco (2006), p. 60.
- (es) Carlos E. Pieske, « âEl Gaucho a travĂ©s de los Añosâ. La batalla de Caseros », ChascomĂșs, MunicipalitĂ© de ChascomĂșs (consultĂ© le ).
- (es) Mario Andrés Raineri, Oribe y el estado nacional, Montévidéo, Talleres Gråficos Gaceta Comercial, , p. 154.
- (es) « El batallón de Aquino », Buenos Aires, La Gazeta Federal (consulté le )
- Que la bataille fĂ»t perdue dâavance semble avoir Ă©tĂ© aussi lâopinion de lâĂ©crivain Jorge Luis Borges. Dans son Evaristo Carriego, il note : « Un jour, Ă la tombĂ©e du soir, cet homme terrifiant partit de Palermo pour prendre le commandement du simple sauve-qui-peut ou de la bataille perdue dâavance qui fut livrĂ©e Ă Caseros ; dans Palermo fit ensuite son entrĂ©e lâautre Rosas, Justo JosĂ© [de Urquiza], avec lâaccoutrement propre Ă tout homme farouche et avec le ruban rouge ponceau de la Mazorca autour de lâattifement du chapeau et lâuniforme pompeux de gĂ©nĂ©ral. » (De Palermo saliĂł en un atardecer ese hombre temeroso a comandar la mera espantada o batalla de antemano perdida que se librĂł en Caseros; en Palermo entrĂł el otro Rosas, Justo JosĂ©, con su empaque de todo chĂșcaro y el centillo mazorquero punzĂł alrededor del adefesio de la galera y el uniforme rumboso de general. Cf. Prosa completa, volumen 1, Ă©d. Bruguera, coll. Narradores de hoy, Barcelone, 1980, p. 19.)
- (es) Diego Luis Molinari, ProlegĂłmenos de Caseros, Buenos Aires, Devenir, .
- (es) Omar LĂłpez Mato, Caseros, Las VĂsperas Del Fin. PasiĂłn y Muerte Del Coronel Martiniano Chilavert, Buenos Aires, OLMO Ediciones, , 132 p. (ISBN 987-95-1504-8, prĂ©sentation en ligne).
- (es) JosĂ© MarĂa Rosa, Rosas nuestro contemporĂĄneo, Buenos Aires, A. Peña Lillo, , p. 124.
- (es) Juan Carlos Casas, « Como Urquiza en Buenos Aires », La Prensa, Buenos Aires,â (lire en ligne, consultĂ© le ).