Julio Irazusta
Julio Irazusta (GualeguaychĂș, province dâEntre RĂos, Argentine, 1899 â ibidem, 1982) Ă©tait un penseur politique, historien, journaliste, critique littĂ©raire, essayiste et militant nationaliste argentin, frĂšre cadet de Rodolfo Irazusta, avec qui il collabora Ă©troitement.
Nom de naissance | Julio Alberto Gustavo Irazusta |
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Naissance |
GualeguaychĂș, province dâEntre RĂos (Argentine) |
DĂ©cĂšs |
GualeguaychĂș |
Nationalité | Argentin |
Activité principale | |
Distinctions |
Membre de lâAcadĂ©mie nationale dâhistoire de la RĂ©publique argentine |
Langue dâĂ©criture | Espagnol |
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Ćuvres principales
- Vida polĂtica de Juan Manuel de Rosas a travĂ©s de su correspondencia (1953)
- Memorias (historia de un historiador a la fuerza)
- Estudios histĂłrico-polĂticos. El liberalismo y el socialismo. Otros ensayos econĂłmicos (1974)
- Breve historia de la Argentina (1982)
Issu dâune famille de propriĂ©taires terriens aux sympathies radicales, Julio Irazista fit des Ă©tudes de droit Ă Buenos Aires. DĂ©laissant la carriĂšre dâavocat, il entreprit un pĂ©riple en Europe et sâinitia en autodidacte aux thĂ©ories politiques, se laissant influencer non tant par Maurras que par Burke, Rivarol et De Maistre, et dâautres auteurs anti-rĂ©volutionnaires. Ayant regagnĂ© Buenos Aires, il sâengagea dans le journalisme et le militantisme politiques et collabora aux revues Criterio dâabord (catholique traditionnliste), puis, aux cĂŽtĂ©s de son frĂšre Rodolfo, Ă La Nueva RepĂșblica , fondĂ©e en 1927 sur le moule de lâAction française. Câest par cette voie quâĂ partir de la fin des annĂ©es 1920, il professa ouvertement ses opinions anti-dĂ©mocratiques, nationalistes, critiquant les idĂ©ologies progressistes issues de la RĂ©volution française et du bolchevisme, et prĂŽnant la restauration de lâOrdre et des hiĂ©rarchies traditionnels, sur le modĂšle de lâEspagne de Primo de Rivera et de lâItalie mussolinienne, rĂ©gimes autoritaires vus par lui comme Ă©tant seuls capables de garantir lâĂ©mergence de solutions pacifiques aux conflictualitĂ©s sociales et de travail. Vers le milieu de la dĂ©cennie 1930, il se voua de plus en plus Ă la rĂ©daction dâessais politiques et surtout dâouvrages dâhistoire, devenant dĂ©but des annĂ©es 1970 membre de lâAcadĂ©mie argentine dâhistoire. En particulier, il tenta une rĂ©habilitation partielle de la figure de Rosas, dictateur brutal certes, mais farouche dĂ©fenseur de la souverainetĂ© nationale de lâArgentine et garant de la lĂ©galitĂ© traditionnelle ; ces travaux font de Julio Irazusta lâun des pionniers du rĂ©visionnisme historique, lequel cherche Ă corriger la vision sur le XIXe siĂšcle argentin telle quâimposĂ©e par le prisme libĂ©ral-conservateur alors majoritaire.
« Celui qui admirait la tradition politique empirique de lâAngleterre, et avait de fait Ă©tudiĂ© Ă Oxford, oĂč il demeura fascinĂ© par Edmund Burke, fut ce nonobstant lâimplacable censeur argentin de lâimpĂ©rialisme britannique dans le RĂo de la Plata. Celui qui, pouvant se cataloguer « conservateur », ayant en effet Ă©tĂ© influencĂ© par un Charles Maurras, par un Antoine de Rivarol ou le susnommĂ© Burke, conçut un projet « rĂ©volutionnaire » en Argentine, [pays] quâil considĂ©rait subordonnĂ© politiquement et Ă©conomiquement. Quelquâun qui par son origine et sa position â il appartenait Ă une famille de grands propriĂ©taires terriens de province â eĂ»t pu ĂȘtre assimilĂ© Ă lâoligarchie rurale dâĂ©levage qui gouvernait le pays, devint un « dĂ©classĂ© » en raison de ce quâil critiqua la dĂ©sertion politique de lâĂ©lite dirigeante traditionnelle, quâil accusait dâĂȘtre « anglophile ». Le fervent historien de Juan Manuel de Rosas, quâil revendiqua au nom de la dĂ©fense de la souverainetĂ© nationale face Ă la lĂ©gende noire de lâhistoriographie libĂ©rale, ne sâenamoura jamais de la dictature ni ne la conseilla pour le pays. Celui qui pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un penseur « Ă©conomiciste », ce dont de fait lâont taxĂ© certains, qui se scandalisaient de lâimportance quâil accordait au facteur Ă©conomique dans toute son Ćuvre, professait cependant son admiration pour la doctrine du bien commun de Thomas d'Aquin. »
â Marcelo Lorenzo[1].
Origines et jeunes années
Julio Irazusta et son frĂšre aĂźnĂ© Rodolfo avaient pour pĂšre un moyen producteur agricole, journaliste et dĂ©putĂ© provincial dâEntre RĂos, et appartenaient Ă une famille connue pour son allĂ©geance Ă lâUnion civique radicale (UCR) dâEntre RĂos[2] - [3]. Julio entreprit des Ă©tudes Ă la facultĂ© de droit de lâuniversitĂ© de Buenos Aires, oĂč il obtint son titre dâavocat en 1922[3]. TrĂšs portĂ© sur la lecture (lisant des livres au rythme dâun par jour[4]), il rĂ©digea des articles pour la revue littĂ©raire Revista Nacional, Ă laquelle collaborait alors Ă©galement Ernesto Palacio.
AprĂšs avoir renoncĂ© Ă la carriĂšre de juriste Ă lâuniversitĂ© de Buenos Aires, les deux frĂšres, Ă qui venait dâĂ©choir lâhĂ©ritage paternel, entamĂšrent peu aprĂšs, entre 1923 et 1927, un pĂ©riple Ă travers lâEurope, parallĂšlement Ă une formation politique et historique ample et rigoureuse bien quâautodidacte. LâaĂźnĂ©, Rodolfo, parcourut lâEspagne, lâItalie et la France, embrassa les idĂ©es de lâAction française, organe de diffusion du « nationalisme intĂ©gral » thĂ©orisĂ© par Charles Maurras, puis, revenu en Argentine, allait se distinguer par son activitĂ© journalistique et politique[2].
Julio mit Ă profit son voyage en Europe pour Ă©tudier le latin et la philosophie au Balliol College de lâuniversitĂ© d'Oxford, au Royaume-Uni[3]. En France, il lui fut donnĂ© de rencontrer Charles Maurras, des idĂ©es de qui il subira une certaine influence, et considĂ©ra avec bienveillance le fascisme italien, quâil put examiner sur place.
CarriĂšre journalistique
De retour en Argentine, Julio Irazusta collabora dâabord Ă la revue catholique Criterio[3], oĂč il se montrait critique envers le rĂ©gime dĂ©mocratique, soutenait que la libertĂ© de culte faisait partie dâune conspiration anti-catholique fomentĂ©e par le protestantisme[5], et alla jusquâĂ affirmer quâil valait mieux pour lâArgentine de subir une guerre civile quâun gouvernement de gauche[6].
Il rejoignit ensuite lâĂ©quipe de rĂ©daction de la revue La Nueva RepĂșblica, que dirigeait son frĂšre Rodolfo et dont le responsable de la section politique et chef de rĂ©daction Ă©tait Ernesto Palacio. Dâautres collaborateurs habituels de la revue, dont le premier numĂ©ro avait paru le , Ă©taient CĂ©sar Pico, Alberto Ezcurra Medrano, TomĂĄs Casares (qui devait plus tard siĂ©ger Ă la Cour suprĂȘme de justice) et Juan Emiliano Carulla. La publication, qui comportait quatre pages dâanalyse de lâactualitĂ© politique, en plus dâarticles de fond oĂč Ă©taient exposĂ©s dâimplacables principes doctrinaux, fut dans un premier temps bimensuel, puis hebdomadaire, et vint mĂȘme pendant un temps Ă ĂȘtre publiĂ© quotidiennement.
On perçoit dans La Nueva RepĂșblica une revue incontestablement inspirĂ©e du modĂšle de lâAction française, câest-Ă -dire un journal de combat Ă caractĂšre polĂ©mique, toujours prĂȘt Ă prĂ©senter querelle aux hĂ©ritiers idĂ©ologiques du jacobinisme[7]. DĂšs son premier numĂ©ro, la revue, arrĂȘtant sa position face Ă la situation politique de lâArgentine, dĂ©clara dâemblĂ©e que la sociĂ©tĂ© argentine Ă©tait atteinte dâune profonde crise de nature spirituelle, dont lâorigine Ă©tait Ă chercher dans les idĂ©ologies surgies dans le sillage de la RĂ©volution française et rĂ©pandues ensuite en Argentine tout au long des dĂ©cennies antĂ©rieures, en particulier au sein des classes dirigeantes et Ă lâuniversitĂ©, lesquelles dĂšs lors auraient Ă©tĂ© amenĂ©es Ă mĂ©connaĂźtre les « hiĂ©rarchies ». Plus particuliĂšrement, la revue attaquait la maniĂšre dont Ă©tait dispensĂ© lâenseignement par suite de la loi 1420 et de la RĂ©forme universitaire, et fustigeait les partis progressistes, la propagande de la « presse populaciĂšre », qui avait contribuĂ© Ă diffuser lâidĂ©e dĂ©mocratique, et lâ« ouvriĂ©risme bolchevisant », introduit en Argentine sous lâinfluence de la RĂ©volution russe. Le journal pour sa part aspirait Ă dĂ©clencher la « contre-rĂ©volution » et affirmait quâil Ă©tait impĂ©ratif de restaurer lâOrdre, dont les modĂšles prĂ©fĂ©rĂ©s Ă©taient lâEspagne du gĂ©nĂ©ral Primo de Rivera et lâItalie de Benito Mussolini.
Formation politique et affinités idéologiques
Lâinfluence maurrasienne apparaĂźt explicite chez Rodolfo Irazusta â frĂšre aĂźnĂ© de Julio, et responsable alors, Ă La Nueva RepĂșblica, des rubriques La polĂtica et Revista de la prensa (Revue de presse), dont les intitulĂ©s sont dâĂ©videntes rĂ©fĂ©rences aux colonnes de mĂȘme titre que Maurras avait sous son Ă©gide dans le journal de lâAction française â et aussi chez Juan Carulla, qui choisit pour titre de sa diatribe anti-yrigoyĂ©niste du , câest-Ă -dire le jour du scrutin qui amena le dirigeant radical pour la seconde fois Ă la tĂȘte de lâĂtat argentin, cette petite phrase de Maurras : « La dĂ©mocratie est un rĂ©gime... alimentaire »[8].
Quant Ă Julio Irazusta, il semble que Maurras nâait pas figurĂ© en si bonne place parmi ses inspirateurs de jeunesse, comme l'atteste le passage suivant tirĂ© de son autobiographie :
« Ni aussitĂŽt aprĂšs ĂȘtre tombĂ© sous son charme, ni plus tard, ni jamais je ne fus en complet accord avec ses aspirations politiques. Le bĂ©nĂ©fice que son action et son Ćuvre mâont procurĂ© fut celui dâĂ©veiller mon intĂ©rĂȘt pour les choses de la pratique, [intĂ©rĂȘt] que je nâavais jamais ressenti jusque-lĂ . JâĂ©tais fortement redevable Ă lâenseignement de Benedetto Croce et de Santayana[9]. »
Lâessayiste et spĂ©cialiste du nationalisme argentin Noriko Mutsuki, sans nier lâinfluence de Maurras[10], attribue un rĂŽle prĂ©Ă©minent Ă lâĆuvre dâEdmund Burke dans le façonnement du rĂ©alisme conservateur argentin, lequel aura en la personne de Julio Irazusta lâun de ses principaux exposants. Lâauteur Enrique Zuleta Ălvarez, expressĂ©ment soucieux de souligner le caractĂšre rĂ©publicain du nationalisme des frĂšres Irazusta (face aux positions extrĂȘmes du nationalisme doctrinaire), signale :
« Lâinfluence de Maurras fut indirecte et partielle. En premier lieu, elle agit comme moyen de configurer une mĂ©thode dâanalyse et de critique de la dĂ©mocratie moderne, davantage que comme une liste de recettes, quâil eĂ»t Ă©tĂ© absurde de tenter dâappliquer en Argentine, surtout si lâon prend en considĂ©ration que le ânationalisme intĂ©gralâ de Maurras Ă©tait postulĂ© Ă travers la restauration de la monarchie[11]. »
En conformitĂ© avec sa dĂ©finition mĂ©thodologique, qui supposait lâadoption de modĂšles politiques en adĂ©quation avec lâexpĂ©rience vitale spĂ©cifique Ă chaque pays, câest dans la monarchie que Maurras trouva la possibilitĂ© de rĂ©tablir en France lâordre qui avait Ă©tĂ© disloquĂ© par le processus rĂ©volutionnaire amorcĂ© en 1789. AssurĂ©ment, les rĂ©fĂ©rences directes Ă Maurras nâoccupent pas chez Julio une place prĂ©pondĂ©rante, en regard des allusions constantes aux Ă©crits de Platon, dâAristote, de saint Thomas, de Machiavel, de Vico, de Rivarol, de Burke, de De Bonald, de Donoso CortĂ©s, de De Maistre ou de Balmes, entre autres penseurs classiques et modernes. Il faut y ajouter sans doute lâeffet nĂ©faste quâeut dans certains milieux nationalistes argentins la proscription Ă©dictĂ©e par le Vatican en 1926 Ă lâencontre de lâĆuvre de Maurras et des thĂšses exposĂ©es dans son Action française[7]. Certains points contenus dans le Programme de gouvernement de La Nueva RepĂșblica[12], tels que la centralisation politique et la dĂ©centralisation administrative, ou la proposition de crĂ©ation dâune armĂ©e professionnelle, au rebours dâune armĂ©e entendue comme outil de mobilisation citoyenne, renvoient bien Ă la pensĂ©e maurassienne ; de mĂȘme, on y perçoit un Ă©cho de la position antigermanique, et par lĂ anti-romantique, du nationalisme tel que façonnĂ© par Maurras[13]. Selon lâauteur Fernando Devoto, le groupe autour de La Nueva RepĂșblica cultivait « un maurrassiannisme bien tempĂ©rĂ© », en dĂ©finitive dĂ©pouillĂ© de ses traits les plus polĂ©miques, et refaçonnĂ© par la proximitĂ© du groupe avec le landerneau conservateur argentin :
« Peut-ĂȘtre Ă©taient-ils, sous la virulence de leurs tonalitĂ©s rhĂ©toriques, par trop modĂ©rĂ©s que pour ĂȘtre effectivement des contre-rĂ©volutionnaires anti-systĂšme, surtout vis-Ă -vis du monde conservateur â contre lequel leurs homologues français exacerbaient au contraire la polĂ©mique pour gagner Ă leur cause ses adeptes politiques[13]. »
En effet, aux convergences politiques tactiques, par quoi Ă©taient marquĂ©s en cette pĂ©riode les rapports entre les jeunes nationalistes et les Ă©lites libĂ©ral-conservatrices â convergences encore renforcĂ©es par lâavĂšnement au pouvoir pour un second mandat dâHipĂłlito Yrigoyen â sâajoutait la concordance du milieu social, voire dans quelques cas, de relations de parentĂ©, entre jeunes contestataires et figures des cercles officiels liĂ©s au rĂ©gime conservateur. Il en rĂ©sulta que la contestation de la tradition libĂ©ral-conservatrice par les jeunes nationalistes antilibĂ©raux finit par se borner Ă sâopposer Ă ce que cette derniĂšre avait dâanti-traditionnaliste et de laĂŻciste, câest-Ă -dire Ă ses aspects culturels[13]. De maniĂšre semblable, lâattitude affichĂ©e par les jeunes nationalistes envers la politique des partis et envers les mĂȘlĂ©es Ă©lectorales, attitude que lâon pourrait qualifier de mĂ©fiance dĂ©daigneuse, se verra elle aussi dĂ©mentie en plus dâune occasion par la tentation de soutenir telle ou telle alternative politique efficace face Ă lâyrigoyĂ©nisme. Plus dâune fois en effet, Rodolfo Irazusta plaida pour la mise sur pied dâun parti national ouvertement conservateur, afin que, lors dâĂ©ventuels scrutins, « les citoyens partisans de lâordre eussent quelque chose pour quoi voter »[14]. Plus encore, dans la perspective imminente des Ă©lections lĂ©gislatives de , la Ligue rĂ©publicaine rĂ©solut, Ă la suite du vote affirmatif de deux des trois membres de son directoire (nommĂ©ment Juan Carulla et Roberto de Laferrere), dâapporter son appui aux listes du Parti socialiste indĂ©pendant (PSI), vu que celui-ci bĂ©nĂ©ficiait de lâaval des conservateurs portĂšgnes ; Rodolfo Irazusta, troisiĂšme membre dudit directoire, justifia son refus par la nĂ©cessitĂ© dâexaminer lâĂ©ventualitĂ© de partager les mĂȘmes listes avec la mouvance PSI dirigĂ©e par Pinedo et De Tomaso[15].
Ce qui vaut pour le maurrassisme sâapplique Ă©galement Ă lâinfluence du fascisme, attendu que toutes les rĂ©fĂ©rences qui y Ă©taient faites dans la premiĂšre pĂ©riode de La Nueva RepĂșblica, lors mĂȘme quâelles laissaient transparaĂźtre une franche admiration pour lâĆuvre de Mussolini, ce « redresseur des peuples » (enderezador de pueblos[16]), nâapparaissaient que dans les sections du journal consacrĂ©es Ă la politique internationale, et en aucun cas ne prĂ©sentaient le caractĂšre dâune dĂ©fense doctrinale formelle. Lorsque postĂ©rieurement il reconsidĂ©ra cette pĂ©riode, Federico Ibarguren indiqua :
« Ainsi donc, en fait de âfascismeâ, nous en avions fort peu, et infiniment peu en ce qui nous concerne, nous, les jeunes rĂ©volutionnaires (antilibĂ©raux, mais sur une base qui nous Ă©tait propre) de la gĂ©nĂ©ration de 1930. En revanche, nous Ă©tions, cela oui, âlugoniensâ jusquâĂ la moelle en ces temps lointains de âLa Nueva RepĂșblicaâ. Ătre âlugonienâ est diffĂ©rent dâĂȘtre âfascisteâ. Câest une Ă©vidence. Car le âfascismeâ comme thĂ©orie fut engendrĂ©e dans un laboratoire dâintellectuels, par le sperme socialiste â totalitaire et laĂŻc â du XIXe siĂšcle ; au contraire, le nationalisme argentin se nourrit du vieux culte hispanique de la personnalitĂ©, oĂč germe la tradition catholique comme une semence bien arrosĂ©e sous la terre[17]. »
Du reste, Leopoldo Lugones, qui exerça une influence rĂ©elle dans les rangs des jeunes nationalistes, participa aux rĂ©unions de leur versant politique, la Ligue rĂ©publicaine ; en revanche, sa relation avec la rĂ©daction de La Nueva RepĂșblica fut plus embarrassĂ©e et marquĂ©e par de vives controverses, sans toutefois que cela eĂ»t affectĂ© en rien la reconnaissance professĂ©e par le groupe du caractĂšre fondateur de lâĆuvre de Lugones. Au demeurant, la Liga Republicana partageait une partie de son personnel avec celui de La Nueva RepĂșblica, et remplit la fonction dâagitateur de rue et dâorganisation politique, venant en complĂ©ment de lâactivitĂ© intellectuelle et de diffusion de la revue[18].
Concordant au regard des objectifs tactiques et du point de vue dâun milieu social partagĂ©, les conservateurs libĂ©raux et les nationalistes anti-libĂ©raux sâaccordaient aussi, entre 1928 et 1930, dans leur critique radicale des formes prises par la dĂ©mocratie libĂ©rale post-loi SĂĄenz Peña de 1912 (loi portant instauration du suffrage universel masculin), et en dĂ©finitive de lâidĂ©e mĂȘme de souverainetĂ© populaire[18]. Dans les colonnes de la publication figuraient en effet de façon rĂ©currente des encadrĂ©s, en lettres moulĂ©es, contenant des phrases de De Maistre, de Rivarol, de De Bonald, toutes destinĂ©es Ă rĂ©pudier lâesprit rĂ©volutionnaire des masses, tandis que la publication en livraisons successives des Ă©crits de Donoso CortĂ©s et de Burke, tous penseurs contre-rĂ©volutionnaires opposĂ©s Ă la RĂ©volution française et Ă ses retombĂ©es dans le vieux monde, tisse une trame permettant de rendre compte des fondements primaires dâun nationalisme vouĂ© Ă combattre la moindre amorce de reconnaissance de la souverainetĂ© populaire[19].
Ce canevas dâinfluences se retrouvera reflĂ©tĂ© non seulement dans les rĂ©fĂ©rences systĂ©matiques aux auteurs susmentionnĂ©s dans les colonnes de La Nueva RepĂșblica, mais aussi dans les constructions thĂ©oriques, oĂč le nationalisme, sâinscrivant dans une tradition de pensĂ©e mise Ă mal par lâirruption de la RĂ©volution française et de la modernitĂ©, servira comme outil doctrinal visant Ă discrĂ©diter la mise en place de la « dĂ©mocratie majoritaire ». Julio Irazusta jugeait favorablement les rĂ©gimes autoritaires comme Ă©tant capables selon lui de garantir lâĂ©mergence de solutions pacifiques aux antagonismes sociaux et de travail, et classait indistinctement dans cette catĂ©gorie le fascisme et lâEmpire allemand, par opposition aux expĂ©riences de la France de la fin du XVIIIe siĂšcle et de la RĂ©volution russe de 1917[20].
Coup dâĂtat de 1930 et gouvernement dâUriburu
En 1927, Julio Irazusta, conjointement avec son frĂšre Rodolfo, approcha le gĂ©nĂ©ral JosĂ© FĂ©lix Uriburu en lui proposant de prendre la tĂȘte dâun coup dâĂtat contre HipĂłlito Yrigoyen, mais se heurta Ă un refus[21]. Lorsque finalement Uriburu eut renversĂ© le gouvernement dâYrigoyen en 1930, les Irazusta et le groupe de La Nueva RepĂșblica se ralliĂšrent au putsch, convaincu que ce serait lĂ le point de dĂ©part dâune refondation de lâArgentine, placĂ©e dĂ©sormais sous une structure politique et Ă©conomique nouvelle[4]. Rodolfo Irazusta alla faire partie, aux cĂŽtĂ©s de Carulla, dâErnesto Palacio et de Bruno Jacovella, du groupe dâintellectuels qui, appelĂ©s Ă assister le gouvernement dictatorial dâUriburu, prĂŽna notamment des mesures de type corporatiste[22]. Moins enthousiaste pour le gĂ©nĂ©ral Uriburu que son frĂšre Rodolfo ou que Palacio et Carulla, Julio se trouvait en Europa au moment du coup dâĂtat de [3].
Si la rĂ©forme politique insufflĂ©e Ă Uriburu par le groupe de conseillers nationalistes nâavait pas de contours prĂ©cis, il demeura clair cependant que le projet comportait comme un de ses ingrĂ©dients de base une nette prise de distance par rapport Ă la dĂ©mocratie de suffrage universel et supposait, avant quâil ne pĂ»t ĂȘtre songĂ© de convoquer de quelconques Ă©lections, une reconfiguration drastique des rĂšgles du jeu politique[23]. Les discours affirmaient continuellement la nĂ©cessitĂ© de restaurer lâordre, la propriĂ©tĂ© et les « hiĂ©rarchies »[24]. Ă la diffĂ©rence des fascismes europĂ©ens, la droite argentine considĂ©rait que la clef du systĂšme politique prĂ©conisĂ© Ă©tait lâarmĂ©e, et non des organisations paramilitaires[25].
Cependant, le rĂ©gime militaire emmenĂ© par le gĂ©nĂ©ral Uriburu remisa bientĂŽt les ambitieux plans politiques de ses jeunes mentors et opta pour une issue Ă©lectorale dans la droite ligne du systĂšme rĂ©publicain et oligarchique immĂ©diatement antĂ©rieur, cette fois sous les espĂšces du gĂ©nĂ©ral AgustĂn P. Justo[4].
Uriburu proposa de fonder un Parti national, auquel eussent Ă adhĂ©rer les autres partis, encore quâen seraient exclus le parti radical yrigoyĂ©niste et, Ă©ventuellement, le Parti socialiste. Lâinvitation toutefois fut rejetĂ©e par tous, abstraction faite de quelques groupes conservateurs. Uriburu entre-temps sâĂ©tait dĂ©jĂ enhardi Ă convoquer des Ă©lections pour le gouvernorat de Buenos Aires, confiant en ce quâil pourrait prĂ©senter une candidature unique du Parti national pour affronter les radicaux, mais, aprĂšs que son projet eut Ă©chouĂ©, ne pouvait plus se rĂ©tracter[26].
Sous le péronisme
Irazusta non seulement ne se plia pas au rĂ©gime pĂ©roniste[4], mais encore lâaccusa de « pseudo-nationalisme », affirmant quâil Ă©tait la version fasciste du vieux rĂ©gime de subordination.
Il Ă©pousa dans les annĂ©es 1960 lâĂ©ducatrice Mercedes Aguilar Vidart de Irazusta (1924-1993), originaire de la mĂȘme province et de 25 ans sa cadette, de qui il appuya toutes les initiatives, notamment en matiĂšre dâĂ©ducation spĂ©cialisĂ©e, grĂące Ă son entregent dans les milieux universitaires et culturels[27].
Travaux dâhistorien
Ă partir de la moitiĂ© de la dĂ©cennie 1930, Julio Irazusta dĂ©ploya une intense activitĂ© dâessayiste politique et dâhistorien, publiant de nombreux ouvrages et articles de revue et se faisant en particulier lâun des chefs de file de lâĂ©cole du rĂ©visionnisme historique[2]. Au dĂ©but des annĂ©es 1970, Julio Irazusta fut Ă©lu membre de lâAcadĂ©mie nationale dâhistoire de la RĂ©publique argentine. Vers la mĂȘme Ă©poque, il collabora Ă la revue dâextrĂȘme droite Cabildo, laquelle fut un ardent soutien de la dictature militaire (1976-1983).
RĂ©habilitation de Rosas
La restauration conservatrice qui suivit le putsch de 1930, et la lecture de Historia de la ConfederaciĂłn Argentina dâAdolfo SaldĂas, auteur que Julio Irazusta Ă©tudia « crayon en main », en quĂȘte de donnĂ©es sur lâĂ©poque de Rosas, le portĂšrent Ă se lancer dans une vaste entreprise de rĂ©interprĂ©tation de lâhistoire argentine, notamment Ă la lumiĂšre des Ă©vĂ©nements de la dĂ©cennie 1930 â « ce que nous Ă©tudiions et ce que nous voyions, le passĂ© et le prĂ©sent, sâĂ©clairent rĂ©ciproquement », observera-t-il dans lâavant-propos de ses Ensayos histĂłricos. Ainsi, Uriburu, entourĂ© de mauvais conseillers, figura-t-il comme un nouveau Lavalle, Ă qui lâon avait fait « changer ses objectifs fondamentaux ». La signature en 1933 du pacte Roca-Runciman agit pour les Irazusta comme un rĂ©vĂ©lateur, leur procurant les Ă©lĂ©ments utiles « pour faire une vĂ©ritable radiographie de la politique argentine », et les fit rĂ©agir par la publication en 1934 de La Argentina y el imperialismo britĂĄnico, ouvrage qui passe aujourdâhui pour ĂȘtre le coup dâenvoi du rĂ©visionnisme historique en Argentine. La grande nouveautĂ© du livre, qui ne manqua dâĂȘtre remarquĂ© par la critique de son temps, gisait dans la troisiĂšme partie, oĂč, selon les termes de Julio Irazusta, « pour la premiĂšre fois, est tentĂ©e une revendication totale de lâĆuvre de Rosas »[4].
Rosas, figure maudite de lâhistoire nationale de lâArgentine, que certes les travaux de SaldĂas, de Vicente et Ernesto Quesada et de Manuel Bilbao avaient aidĂ© Ă rectifier dĂ©jĂ dans une certaine mesure, Ă©mergeait Ă prĂ©sent non seulement avec ses dĂ©fauts, mais aussi avec toutes ses vertus, que la guerre civile entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes avait jusque-lĂ empĂȘchĂ© dâapprĂ©cier. Julio Irazusta entreprit ensuite une rĂ©vision complĂšte de la vision unitaire de lâhistoire argentine, en mĂȘme temps quâune certaine apologie du « Restaurateur des lois », qui pour Julio Irazusta constituait « la clef de lâhistoire argentine ». Dans son essai de 1934, il dĂ©nonça que le caudillo avait Ă©tĂ© « abhorrĂ© sans avoir Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© » par les politiciens et intellectuels libĂ©raux, et releva de graves erreurs dâapprĂ©ciation chez les dĂ©tracteurs du Restaurador. Lâune dâelles consistait à « appliquer Ă telle Ă©poque les catĂ©gories qui appartiennent Ă une autre » ; une autre erreur « plus nocive, car plus habile », Ă©tait de « juger, selon leur convenance, ses desseins par le rĂ©sultat, ou ses Ćuvres par ses desseins ». Une « haine hĂ©ritĂ©e » avait fait obstacle Ă la rĂ©flexion historique, « dont le devoir consiste Ă ĂȘtre toujours plus impartial Ă mesure que lâon sâĂ©loigne des faits que lâon examine ». Rosas, Ă©crivit-il, « fut le meilleur tempĂ©rament dâhomme dâaction dans le pays », un « bastion de force [...], un mĂŽle de granit au milieu de la turbulence de caractĂšres qui sâagitent Ă son alentour ». Le caudillo, insiste-t-il encore, « fut le gouvernant argentin qui sut le mieux sâentourer dâhommes capables de lâassister », et son administration « celle qui permit au plus grand nombre de figures historiques (prĂłceres) dâaccĂ©der aux conseils de gouvernement, et ce pour la durĂ©e la plus longue ». Les capacitĂ©s, la prudence et le savoir-faire Ă©taient, par opposition aux tergiversations des autres, les caractĂ©ristiques qui distinguaient lâĂ©quipe rosiste dans ces temps dâanarchie et de guerre civile intermittente[4].
Ćuvres
Essais
- (es) La Argentina y el imperialismo britĂĄnico, Condor, , 157 p. (en collaboration avec son frĂšre Rodolfo Irazusta)
- (es) Ensayo sobre Rosas, en el centenario de la suma del poder (1835-1935), éd. Tor, coll. « Megåfono », , 140 p.
- (es) Balance de siglo y medio, Buenos Aires, TheorĂa, , 266 p.
- (es) La monarquĂa constitucional en Inglaterra, Eudeba, , 442 p.
- (es) Ensayos históricos, Buenos Aires, La Voz del Plata, , 271 p. (contient les essais : El año XX ; Rosas ; Estanislao López ; Alberdi ; Paz ; Guido ; Spano)
- (es) Gobernantes, caudillos y escritores, Dictio,
- (es) El trĂĄnsito del siglo XIX al XX, La Bastilla, , 248 p.
- (es) Politicos y literatos del mundo anglosajĂłn, Dictio
- (es) Vida polĂtica de Juan Manuel de Rosas a travĂ©s de su correspondencia (8 tomes), Buenos Aires, Albatros, (rĂ©Ă©d. Ă©d. Trivium, 1970)
- (es) Tito Livio, Mendoza, Universidad Nacional de Cuyo,
- (es) Las dificultades de la Historia CientĂfica, Alpe, , 158 p.
- (es) Memorias (historia de un historiador a la fuerza), Buenos Aires, Ediciones culturales argentinas (Ministerio de Cultura y EducaciĂłn), 238 p.
- (es) Influencia econĂłmica britĂĄnica en el RĂo de la Plata, Eudeba, , 93 p.
- (es) TomĂĄs M. de Anchorena o la emancipaciĂłn americana a la luz de la circunstancia histĂłrica, Buenos Aires, Huemul, , 235 p.
- (es) Genio y figura de Leopoldo Lugones, Eudeba, , 124 p.
- (es) PerĂłn y la crisis argentina, Buenos Aires, La Voz del Plata, , 243 p.
- (es) Actores y Espectadores, Buenos Aires, Sur, , 188 p.
- (es) La GeneraciĂłn del 80. ProfecĂas y Realizaciones, Docencia,
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