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Facundo

Facundo (titre original : Facundo. CivilizaciĂłn y barbarie ou Facundo. CivilizaciĂłn y barbarie en las pampas argentinas ou encore CivilizaciĂłn y barbarie. Vida de Juan Facundo Quiroga y aspecto fĂ­sico, costumbres y hĂĄbitos de la RepĂșblica Argentina, suivant les Ă©ditions) est un ouvrage Ă©crit en 1845 par l'homme politique et Ă©crivain argentin Domingo Faustino Sarmiento, au cours de son deuxiĂšme exil au Chili. C’est une Ɠuvre clef de la littĂ©rature hispano-amĂ©ricaine : outre sa valeur littĂ©raire, le livre fournit une analyse du dĂ©veloppement politique, Ă©conomique et social de l’AmĂ©rique du Sud, de sa modernisation, de son potentiel et de sa culture. Comme l’indique son titre, c’est Ă  travers le prisme d’une dichotomie entre civilisation et barbarie que Facundo s’attache Ă  analyser les conflits qui se firent jour en Argentine aussitĂŽt aprĂšs l’indĂ©pendance du pays, proclamĂ©e en 1816. Le chercheur cubano-amĂ©ricain Roberto GonzĂĄlez EchevarrĂ­a qualifia l’Ɠuvre comme « le livre le plus important qui ait Ă©tĂ© Ă©crit par un latino-amĂ©ricain, en quelque discipline ou en quelque genre que ce soit »[1].

Page de titre de l'Ă©dition originale.

Facundo dĂ©crit la vie de Juan Facundo Quiroga, chef militaire et politique gaucho appartenant au Parti fĂ©dĂ©raliste, qui remplit la fonction de gouverneur et de caudillo (chef militaire) de la province de La Rioja lors des guerres civiles argentines, dans les dĂ©cennies 1820 et 1830, mais par le biais de cette biographie, l’auteur dĂ©fend une thĂšse politique : l’historien Felipe Pigna souligne dans le documentaire Algo habrĂĄn hecho por la historia argentina que « le Facundo fut bien davantage qu'un livre, ce fut un pamphlet contre Rosas ; Sarmiento y dĂ©peint le type du caudillo et propose de l’éliminer »[2]. Le fĂ©dĂ©raliste Juan Manuel de Rosas gouverna la province de Buenos Aires entre 1829 et 1832, et de nouveau de 1835 jusqu’à 1852 ; au cours des affrontements entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes, Sarmiento, membre du camp unitaire, dut s’exiler Ă  deux reprises au Chili, en 1831 et 1840, et c’est Ă  l’occasion de son deuxiĂšme exil qu’en moins de deux mois il Ă©crivit son Facundo. Sarmiento voyait en Rosas un hĂ©ritier de Facundo : tous deux Ă©taient des caudillos et reprĂ©sentaient, aux yeux de Sarmiento, la barbarie, laquelle procĂ©dait de la nature mĂȘme de la campagne argentine et de son manque de civilisation[2] - [3]. Ainsi que l’explique Pigna, « Facundo, qu’il hait et admire Ă  la fois, est le prĂ©texte pour parler du gaucho, du caudillo, du dĂ©sert interminable, et enfin, de tous les Ă©lĂ©ments qui pour lui reprĂ©sentent l’arriĂ©ration et avec lesquels il faut en finir »[4].

Tout au long du texte, Sarmiento explore la dichotomie entre la civilisation et la barbarie. Comme le relĂšve Kimberly Ball, « la civilisation se manifeste sous les espĂšces de l’Europe, de l’AmĂ©rique du Nord, des villes, des unitaires, du gĂ©nĂ©ral Paz et de Rivadavia »[5], tandis que « la barbarie s’identifie Ă  l’AmĂ©rique latine, l’Espagne, l’Asie, le Proche-Orient, la campagne, les fĂ©dĂ©ralistes, Facundo et Rosas »[5]. C’est pourquoi le Facundo eut un retentissement aussi profond ; en effet, selon GonzĂĄlez EchevarrĂ­a, « en dĂ©signant l’opposition entre civilisation et barbarie comme Ă©tant le conflit central dans la culture latino-amĂ©ricaine, Facundo donna forme Ă  une polĂ©mique qui avait commencĂ© Ă  l’époque coloniale et qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui »[6].

La premiĂšre Ă©dition de Facundo fut publiĂ©e en 1845. Pour la deuxiĂšme Ă©dition (1851), Sarmiento supprima les deux derniers chapitres, mais rĂ©solut de les rĂ©inclure en 1874, arguant qu’ils Ă©taient importants pour le dĂ©veloppement du livre. Dans sa version premiĂšre, le livre suscita divers ouvrages se proposant de l’analyser ou de le critiquer, le principal Ă©tant sans doute Muerte y resurrecciĂłn de Facundo de NoĂ© Jitrik (1968), dans lequel l’auteur en explore les diffĂ©rents aspects, depuis sa classification littĂ©raire jusqu’à sa portĂ©e historique[7].

Contexte historique

Facundo, que Sarmiento rĂ©digea en 1845, durant son deuxiĂšme exil au Chili, Ă©tait conçu comme une attaque dirigĂ©e contre Juan Manuel de Rosas, gouverneur de Buenos Aires Ă  la mĂȘme Ă©poque. Le livre se veut une analyse de la culture argentine, examinĂ©e sous l'angle de vue de l’auteur, et incarnĂ©e en l’espĂšce par des hommes tels que Rosas et le chef rĂ©gional Juan Facundo Quiroga, principalement dans la province de San Juan. Tant Rosas que Quiroga Ă©taient des caudillos, c'est-Ă -dire des chefs commandant des troupes populaires en armes, lesquelles Ă©taient pour Sarmiento l’expression d’une forme de gouvernement barbare[8].

Le livre de Sarmiento est Ă  la fois une critique et le symptĂŽme des conflits de culture qui se firent jour en Argentine dĂšs son indĂ©pendance d’avec l’Espagne en 1810. Sarmiento dĂ©nonçait le retard dans lequel, trois dĂ©cennies aprĂšs cette date, persistaient les institutions et l’organisation Ă©conomique du pays. La division politique du pays procĂ©dait de l’opposition entre l’idĂ©ologie des unitaires, appuyĂ©s par Sarmiento, qui aspiraient Ă  un gouvernement centralisĂ©, contre celle des fĂ©dĂ©ralistes, qui estimaient que les rĂ©gions devaient ĂȘtre autonomes. Le conflit entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes avait un lien direct avec le pouvoir que la ville de Buenos Aires prĂ©tendait exercer sur le pays, outre de dĂ©tenir le contrĂŽle du commerce international et de s’approprier les rentes de la douane. À cette Ă©poque, la Ville de Buenos Aires englobait la province de Buenos Aires, et Ă©tait la ville la plus grande et la plus riche du pays grĂące Ă  sa situation proche du RĂ­o de la Plata et de l’ocĂ©an Atlantique. Buenos Aires non seulement dĂ©tenait le commerce, mais encore avait accĂšs aux idĂ©es et Ă  la culture europĂ©ennes. Cette disparitĂ© Ă©conomique et culturelle du pays Ă©tait Ă  l’origine d’une tension croissante entre les provinces[9]. En dĂ©pit de son adhĂ©sion au camp unitaire, Sarmiento Ă©tait originaire de la ville de San Juan, sis dans l’ouest de l’Argentine, dans la rĂ©gion de Cuyo, non loin de la frontiĂšre chilienne[10].

Conflit entre unitaires et fédéralistes

Le conflit entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes dĂ©buta vers le milieu de la dĂ©cennie 1810 par l’affrontement entre les PortĂšgnes et la Ligue fĂ©dĂ©rale, dirigĂ©e par JosĂ© Artigas. Le conflit se gĂ©nĂ©ralisa Ă  partir de 1819, lorsque l’AssemblĂ©e constituante (Congreso Constituyente) adopta en 1819 une constitution unitaire, qui fut rejetĂ©e par les provinces, lesquelles ensuite renversĂšrent en 1820 le Directeur suprĂȘme des Provinces-Unies du RĂ­o de la Plata et se dĂ©clarĂšrent autonomes, laissant le pays dĂ©pourvu de gouvernement national et dĂ©clenchant une sĂ©rie d’évĂ©nements connus en Argentine sous l’appellation d’« Anarchie de l’An XX ». En 1826, Bernardino Rivadavia nationalisa la ville de Buenos Aires, sa douane et son armĂ©e, pendant qu’une nouvelle AssemblĂ©e constituante approuvait une autre constitution unitaire, qui fut derechef rejetĂ©e par l’ensemble des provinces. Les Ă©vĂ©nements de 1826 dĂ©bouchĂšrent sur une sĂ©rie d’affrontements armĂ©s entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes dans tout le pays. C’est alors qu’eut lieu la premiĂšre guerre entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes (1825-1827), dans laquelle s’illustrĂšrent le fĂ©dĂ©raliste Juan Facundo Quiroga et l’unitaire Gregorio ArĂĄoz de Lamadrid, puis la deuxiĂšme guerre (1829-1831), lors de laquelle Juan Manuel de Rosas s’empara pour la premiĂšre fois du titre de Gouverneur de la province de Buenos Aires, et dont le point de tension culminant fut l’affrontement entre l’unitaire Ligue de l’IntĂ©rieur (Liga del Interior), commandĂ©e par JosĂ© MarĂ­a Paz, dans laquelle s’enrĂŽla Sarmiento comme officier, et le Pacte fĂ©dĂ©ral (Pacto Federal)[11]. Les unitaires soutenaient la prĂ©sidence de Rivadavia (1826-1827), tandis que les fĂ©dĂ©ralistes s’y opposaient. Sous ce gouvernement, les salaires des travailleurs baissĂšrent[12] et les gauchos furent emprisonnĂ©s ou obligĂ©s de travailler sans recevoir de rĂ©munĂ©ration[13] - [14].

À partir de 1828 furent installĂ©s et se succĂ©dĂšrent diffĂ©rents gouverneurs de Buenos Aires, Ă  commencer par le fĂ©dĂ©raliste Manuel Dorrego[15]. Cependant, le gouvernement de Dorrego ne dura que fort peu, et celui-ci fut fusillĂ© par l’unitaire Juan Lavalle, qui s’était emparĂ© du pouvoir[16]. Lavalle Ă  son tour fut battu par une milice de gauchos commandĂ©e par Rosas. À la fin 1829, le corps lĂ©gislatif dĂ©signa Rosas gouverneur de Buenos Aires[17], et celui-ci gouverna pendant deux pĂ©riodes, de 1829 Ă  1831 et de 1835 Ă  1852.

Durant une bonne partie de la pĂ©riode historique Ă©voquĂ©e, un grand nombre d’intellectuels, de la tendance unitaire autant que fĂ©dĂ©rale, tant Ă  Buenos Aires que dans les autres provinces de la ConfĂ©dĂ©ration argentine, sitĂŽt qu'ils se trouvaient en situation politique adverse au regard de leurs idĂ©es, durent se rĂ©soudre Ă  Ă©migrer vers d’autres pays, principalement vers le Chili et l’Uruguay[18]. Sarmiento, originaire de la province de San Juan, s’exila Ă  deux reprises : une premiĂšre fois en 1831, Ă  la suite de la dĂ©faite militaire de la Ligue de l’IntĂ©rieur, dont il faisait partie en qualitĂ© d’officier, et une deuxiĂšme en 1840, sous le gouvernement de Nazario BenavĂ­dez, aprĂšs la fermeture du journal El Zonda et aprĂšs avoir Ă©tĂ© un temps incarcĂ©rĂ© sur accusation de sĂ©dition[19].

Facundo Quiroga

Facundo Quiroga, d'aprĂšs une lithographie de CĂ©sar Bacle.

Juan Facundo Quiroga (1788 ― 1835), connu sous le surnom de El tigre de los llanos (le tigre des plaines), caudillo originaire de la province de La Rioja, s’opposa au gouvernement de Bernardino Rivadavia dĂšs que celui-ci fut entrĂ© en fonction comme prĂ©sident de la Nation argentine (1826-1827). Rivadavia entreprit alors de le combattre avec ses effectifs, placĂ©s sous le commandement de Gregorio ArĂĄoz de La Madrid, Ă  qui cependant Quiroga infligea une dĂ©faite lors des batailles de El Tala (1826) et de RincĂłn de Valladares (1827). À la date de 1828, Quiroga avait acquis, dans un ensemble de provinces allant de Catamarca jusqu’à Mendoza, un grand pouvoir. Il s’unit Ă  d’autres caudillos en vue de favoriser le fĂ©dĂ©ralisme. Il fut battu par le gĂ©nĂ©ral JosĂ© MarĂ­a Paz Ă  la bataille de La Tablada et Ă  celle d’Oncativo, Ă  l’issue de laquelle il se porta vers la province de TucumĂĄn. LĂ , il battit Lamadrid Ă  la bataille de La Ciudadela (1831), dĂ©sorganisant la Ligue unitaire, Ă  la faveur de quoi Juan Manuel de Rosas put battre Juan Lavalle dans la province de Buenos Aires dans la bataille de Puente de MĂĄrquez (1829). Quiroga Ă©tait partisan de rĂ©diger une constitution Ă  tendance fĂ©dĂ©raliste, mais ces siennes initiatives se heurtĂšrent Ă  l'opposition implacable de Rosas, qui jugeait encore prĂ©maturĂ©e la question de l’organisation politique nationale[20].

Rosas envoya Quiroga vers le nord, dans le cadre d’une mission diplomatique visant Ă  rĂ©tablir les relations entre Salta et TucumĂĄn. À son retour, il fut assassinĂ© le 16 fĂ©vrier 1835 Ă  Barranca Yaco, dans la province de CĂłrdoba, par un groupe aux ordres de Santos PĂ©rez, qui avait tendu une embuscade Ă  son Ă©quipage. La paternitĂ© intellectuelle de cet assassinat reste controversĂ©e, devant ĂȘtre attribuĂ©e selon certaines thĂ©ories Ă  Rosas, selon d’autres Ă  Estanislao LĂłpez ou aux frĂšres ReinafĂ©. Trois frĂšres ReinafĂ© (JosĂ© Antonio, JosĂ© Vicente et Guillermo) ainsi que Santos PĂ©rez furent condamnĂ©s, et ces trois derniers exĂ©cutĂ©s en 1836[20].

Juan Manuel de Rosas

Juan Manuel de Rosas, gouverneur de la province de Buenos Aires entre 1829 et 1831 et entre 1835 et 1852.

Le jugement des historiens sur le rĂŽle de Juan Manuel de Rosas comme gouverneur de la province de Buenos Aires est trĂšs contrastĂ©. Le courant historiographique fondĂ© par BartolomĂ© Mitre, et auquel souscrit Sarmiento, considĂšre Rosas comme un dictateur ou un tyran sanguinaire, et Ă©met de fortes critiques sur sa gestion. L’autre courant, le rĂ©visionnisme historique argentin, tend, en opposition Ă  l’école mitriste, Ă  dĂ©fendre Rosas et Ă  voir en lui un dĂ©fenseur acharnĂ© de la souverainetĂ© nationale face aux prĂ©tentions des puissances europĂ©ennes.

Rosas naquit au sein d’une famille fortunĂ©e, de haut niveau social, ayant des ascendances dans la plus antique noblesse espagnole, et un sien aĂŻeul, Ortiz de Rozas, fut capitaine gĂ©nĂ©ral du Chili. L’éducation stricte qu’il reçut laissa en lui une profonde empreinte psychologique[21]. Sarmiento affirme que, Ă  cause de la mĂšre de Rosas, « le spectacle de l’autoritĂ© et de servitude durent lui avoir causĂ© des impressions trĂšs durables »[22]. Peu aprĂšs avoir atteint la pubertĂ©, Rosas fut envoyĂ© Ă  une ferme d’élevage et y demeura pendant une trentaine d’annĂ©es. Durant cette pĂ©riode, il apprit comment gĂ©rer les lieux et, suivant Manuel Bilbao dans son Historia de Rosas, peupla ses terres de gens qui lui fussent dĂ©vouĂ©s, y compris de dĂ©serteurs et de prisonniers Ă©vadĂ©s, lesquels, placĂ©s sous la protection de Rosas, cessaient d’ĂȘtre recherchĂ©s par les autoritĂ©s[23]. Parvenu au pouvoir, Rosas emprisonnait les habitants sans raison identifiable, ce que Sarmiento qualifiait d’actes rappelant le traitement que Rosas faisait au bĂ©tail. Sarmiento explique qu’avec pareille mĂ©thode, il obtint que les citoyens se rĂ©signassent Ă  devenir « le bĂ©tail le plus docile et ordonnĂ© qui fĂ»t »[24].

La premiĂšre pĂ©riode de Juan Manuel de Rosas comme gouverneur ne dura que trois ans. Son gouvernement, avec l’assistance de Juan Facundo Quiroga et de Estanislao LĂłpez, gouverneurs respectivement des provinces de La Rioja et de Santa Fe, Ă©tait respectĂ©, et Rosas Ă©tait louĂ© pour son habiletĂ© Ă  instaurer une certaine harmonie entre Buenos Aires et les zones rurales[25]. Le pays tomba dans le chaos aprĂšs la dĂ©mission de Rosas en 1832, et en 1835, il fut une nouvelle fois sollicitĂ© de gouverner la province. Il revint cette fois avec un gouvernement plus autoritaire, obligeant l'ensemble des citoyens Ă  soutenir son gouvernement, sous le slogan « Vive la Sainte FĂ©dĂ©ration, que meurent les sauvages unitaires ! »[26]. Selon Nicolas Shumway, Rosas « obligea les citoyens Ă  porter l’insigne rouge des fĂ©dĂ©ralistes, et son effigie apparaissait dans tous les lieux publics
 les ennemis de Rosas, rĂ©els et imaginaires, furent emprisonnĂ©s, assassinĂ©s ou contraints Ă  l’exil par la mazorca, groupe d’espions et de barbouzes dirigĂ©s personnellement par Rosas. Toute publication Ă©tait soumise Ă  censure, et les journaux de Buenos Aires se virent obligĂ©s de dĂ©fendre le rĂ©gime »[27].

Domingo Faustino Sarmiento

Domingo Sarmiento, auteur de Facundo.

Dans son Facundo, Sarmiento est Ă  la fois narrateur et protagoniste. Le livre comprend des Ă©lĂ©ments autobiographiques Ă  cĂŽtĂ© d’élĂ©ments de la vie des Argentins en gĂ©nĂ©ral. Également, il expose et justifie sa propre opinion, et relate quelques Ă©vĂ©nements historiques. Dans le cadre de la dichotomie entre « civilisation » et « barbarie » qui sous-tend tout le livre, le personnage de Sarmiento reprĂ©sente la civilisation, identifiĂ©e ici aux idĂ©es europĂ©ennes et nord-amĂ©ricaines, prĂŽnant l’instruction et le dĂ©veloppement, et s’opposant Ă  Rosas et Ă  Facundo, qui symbolisent la barbarie.

Sarmiento Ă©tait militaire, journaliste, homme politique et pĂ©dagogue, et fit adhĂ©sion au mouvement unitaire. Au cours du conflit entre unitaires et fĂ©dĂ©ralistes, il lutta contre Facundo en plusieurs occasions. Il devint membre en Espagne de la Sociedad Literaria de Profesores[28]. De son exil au Chili, oĂč il avait rĂ©digĂ© son Facundo, il revint en Argentine comme homme politique. À la suite de la chute de Rosas, il devint membre du sĂ©nat argentin, et assuma en 1862 la fonction de gouverneur de la province de San Juan, fonction dont il dut se dĂ©mettre en 1864 en raison de l’opposition du peuple[29]. Sous son administration fut assassinĂ© le caudillo et gĂ©nĂ©ral des fĂ©dĂ©ralistes, le populaire Ángel Vicente Peñaloza, surnommĂ© « El Chacho » ; sa tĂȘte coupĂ©e, fichĂ©e sur une lance, fut ensuite exhibĂ©e sur la place de la ville d’Olta[30].

Il fut prĂ©sident de l’Argentine durant six ans (1868–1874). Pendant sa prĂ©sidence, Sarmiento mit l’accent sur l’instruction publique, la politique scientifique, la culture, les infrastructures de communication, et sur l’immigration. Ses idĂ©es se fondaient sur la civilisation europĂ©enne ; le dĂ©veloppement d’un pays devait selon lui s’appuyer d'abord sur l’instruction publique. Dans les premiĂšres annĂ©es de sa prĂ©sidence, il mit fin Ă  la Guerre de la Triple Alliance contre le Paraguay (1864-1870), laquelle, dĂ©clenchĂ©e sous le gouvernement de BartolomĂ© Mitre, avait dĂ©cimĂ© la population paraguayenne et totalement dĂ©vastĂ© son territoire[31]. En 1871 Ă©clata en Argentine une grave Ă©pidĂ©mie de fiĂšvre jaune, qui causa la mort de quatorze mille personnes, et avait Ă©tĂ© provoquĂ©e par les mauvaises conditions d’hygiĂšne et sanitaires, en grande partie consĂ©cutives Ă  la guerre contre le Paraguay[32]. Vers le terme de sa prĂ©sidence, Sarmiento Ă©rigea encore les premiĂšres Ă©coles militaires et navales d’Argentine[33].

Si Sarmiento fut une figure dont les mĂ©rites sont de façon gĂ©nĂ©rale largement reconnus, il se signala aussi par des prises de position extrĂȘmes, dĂ©clenchant ainsi nombre de polĂ©miques. Il se montra ouvertement favorable Ă  l’extermination des indigĂšnes et des gauchos : « J’éprouve pour les sauvages d’AmĂ©rique une invincible rĂ©pugnance, sans pouvoir y remĂ©dier. Cette canaille n’est autre chose que quelques Indiens rĂ©pugnants que je donnerais l’ordre de pendre s’ils rĂ©apparaissaient aujourd’hui. Lautaro et CaupolicĂĄn sont des Indiens pouilleux, car ils le sont tous. Incapables de progrĂšs, leur extermination est providentielle et utile, sublime et grande. Il y a lieu de les exterminer, sans pardonner mĂȘme au petit, lequel possĂšde dĂ©jĂ  la haine instinctive contre l’homme civilisĂ©. »[34] - [35]

Synopsis

Les quinze chapitres de Facundo, faisant suite Ă  une longue introduction, se divisent symboliquement, selon la critique littĂ©raire, en trois sections : les quatre premiers chapitres Ă©voquent la gĂ©ographie, l’anthropologie et l’histoire argentines ; les chapitres cinquiĂšme Ă  quatorziĂšme relatent la vie de Juan Facundo Quiroga ; enfin, le dernier chapitre expose la vision de Sarmiento relativement au futur de l’Argentine sous un gouvernement unitaire[36]. Selon ce que dĂ©clare Sarmiento lui-mĂȘme, la raison pour laquelle il choisit, pour dĂ©crire le contexte argentin et dĂ©noncer la dictature de Rosas, de mettre en scĂšne Facundo Quiroga, est qu’« en Facundo Quiroga, l’on peut voir non seulement un caudillo, mais encore une manifestation de la vie argentine, consĂ©quence de la colonisation et des particularitĂ©s du terrain »[37].

Introduction

Facundo dĂ©bute par un avertissement de l’auteur, oĂč il souligne d’abord que les faits dĂ©crits dans le livre n'ont pas de prĂ©cision historique, et raconte ensuite un Ă©vĂ©nement survenu comme il traversait les Andes en direction du Chili : au milieu des montagnes, il avait tracĂ© au charbon de bois une phrase en français, « On ne tue point les idĂ©es ». Selon Sarmiento, Rosas avait diligentĂ© sur place, Ă  l’effet de lire ladite phrase, une mission spĂ©ciale, mais celle-ci, aprĂšs l’avoir dĂ©chiffrĂ©e, ne rĂ©ussit pas Ă  en percer le sens[38].

AprĂšs cet avertissement prĂ©liminaire, Sarmiento fait suivre une introduction, prĂ©cĂ©dĂ©e d’une citation en français de Abel-François Villemain : « Je demande Ă  l'historien l'amour de l'humanitĂ© ou de la libertĂ© ; sa justice impartiale ne doit pas ĂȘtre impassible. Il faut, au contraire, qu'il souhaite, qu'il espĂšre, qu'il souffre, ou soit heureux de ce qu'il raconte[39]. »

Le texte proprement dit de l’introduction commence par une invocation Ă  l’homme dont le nom a servi de titre Ă  l’Ɠuvre, le brigadier gĂ©nĂ©ral Juan Facundo Quiroga : « Ombre terrible de Facundo, je vais t’évoquer, afin que, secouant la poussiĂšre ensanglantĂ©e qui couvre tes cendres, tu te lĂšves pour nous expliquer la vie secrĂšte et les convulsions internes qui dĂ©chirent les entrailles d’un noble peuple ! Toi en possĂšdes le secret : rĂ©vĂšle-le-nous ! »[40]

Selon NoĂ© Jitrik dans Muerte y resurrecciĂłn de Facundo, l’exclamation dans cette phrase exprime le sentiment d’urgence que Sarmiento veut communiquer au lecteur, cela en particulier en mettant en avant une sĂ©rie d’adjectifs, tels que « ensanglantĂ© » et « terrible ». De mĂȘme, il esquisse d’emblĂ©e un portrait de Quiroga, pour tenter de comprendre par la suite la cause de ses actes et les dĂ©terminants de sa personnalitĂ©[41].

Sarmiento se rĂ©fĂšre Ă  Alexis de Tocqueville et Ă  son ouvrage De la dĂ©mocratie en AmĂ©rique (1835 ― 1840), clamant que l’Argentine mĂ©ritait elle aussi qu’un voyageur-enquĂȘteur « armĂ© de thĂ©ories sociales » se penchĂąt sur le pays et, surtout, donnĂąt Ă  voir « aux EuropĂ©ens, et nommĂ©ment aux Français » le mode d’ĂȘtre de la rĂ©publique argentine.

Tout au long de l’introduction, l’auteur parle de Juan Manuel de Rosas, le qualifiant de « tyran », et donne Ă  entendre qu’un des objectifs du texte est d’étudier en dĂ©tail la source de tous les conflits internes du pays, incarnĂ©s principalement par Rosas et par Quiroga. Sarmiento avance Ă©galement que lui-mĂȘme est capable de rĂ©soudre la situation « en donnant Ă  la ThĂšbes du Plata le rang Ă©levĂ© qui lui revient entre les nations du Nouveau Monde »[42]. Sarmiento Ă©tablit des parallĂ©lismes et des analogies entre Quiroga et Rosas, considĂ©rant le second comme le continuateur du premier. « Facundo, provincial, barbare, valeureux, audacieux, fut remplacĂ© par Rosas, fils de la Buenos Aires cultivĂ©e, sans l’ĂȘtre lui-mĂȘme ― par Rosas, donc : faux, cƓur de glace, esprit calculateur, qui fait le mal sans passion, et organise lentement le despotisme avec toute l’intelligence d’un Machiavel[40]. »

Plus avant dans le texte, l’auteur explique son idĂ©e qu’on obtient le progrĂšs en le prenant en Europe, en particulier chez les nations qui, toujours selon Sarmiento, sont civilisĂ©es, comme c’est le cas de la France[43]. Par antithĂšse, il Ă©voque l’Espagne, « cette retardĂ©e de l’Europe, qui, jetĂ©e entre la MĂ©diterranĂ©e et l’OcĂ©an, entre le Moyen Âge et le XIXe siĂšcle, est unie Ă  l’Europe cultivĂ©e par un Ă©troit isthme et sĂ©parĂ©e de l’Afrique barbare par un mince dĂ©troit », et le Paraguay, auquel il reproche d’avoir refusĂ© d'accueillir des immigrants civilisĂ©s[43].

PremiÚre partie : contexte démographique et géographique argentin

Carte de l’AmĂ©rique du Sud, permettant de situer les pampas en Argentine, en Uruguay et dans le Rio Grande do Sul.

Le premier chapitre de Facundo, intitulĂ© « Aspect de la RĂ©publique d’Argentine et les caractĂšres, coutumes et idĂ©es qu’elle engendre », dĂ©bute par une description gĂ©ographique de l’Argentine, de la cordillĂšre des Andes Ă  l’ouest jusqu’à la cĂŽtĂ© atlantique Ă  l’est ; sont Ă©voquĂ©s en particulier les deux fleuves qui, rĂ©unis, forment la frontiĂšre avec l’Uruguay, et sur l’un desquels, le RĂ­o de la Plata, se situe Buenos Aires, la capitale. Cette description de la gĂ©ographie de l’Argentine est l’occasion pour Sarmiento de mettre en relief les avantages de Buenos Aires ; les fleuves sont des artĂšres qui mettent la ville en communication avec le reste du monde, permettant le commerce et contribuant Ă  façonner une sociĂ©tĂ© civilisĂ©e. Buenos Aires n’étant pas parvenue Ă  apporter la civilisation aux zones rurales, une majeure partie de l’Argentine s’est vue ainsi condamnĂ©e Ă  la barbarie. Sarmiento argue que les pampas, les amples plaines vides du pays, « n’offrent aucun moyen de s’échapper ni aucun refuge aux personnes pour se dĂ©fendre et empĂȘche la civilisation dans la majeure partie de l’Argentine »[44].

Dans ce chapitre, Sarmiento fait plusieurs comparaisons entre ce qu’il considĂšre comme la civilisation et comme la barbarie. En premier lieu, il procĂšde Ă  une analyse raciale de la population argentine, comparant les Espagnols, les indigĂšnes et les noirs d’une part aux Allemands et aux Écossais d’autre part. Des trois premiers, il affirme qu’ils « se distinguent par leur amour de l’oisivetĂ© et leur incapacitĂ© industrielle ; ils se montrent incapables de se consacrer Ă  un travail dur et suivi »[45]. Ensuite, tandis qu’il dĂ©crit les foyers des Écossais et des Allemands dans des termes trĂšs favorables (« les maisonnettes sont peintes ; le devant de la maison, toujours soignĂ©, ornĂ© de fleurs et d’arbustes gracieux ; le mobilier, simple, mais complet »[46]), il dit Ă  propos des races amĂ©ricaines que « leurs enfants sont sales et couverts de haillons, vivent avec une meute de chiens ; les hommes sont allongĂ©s par terre, dans l’inaction la plus totale ; partout le dĂ©sordre et la pauvretĂ© »[46]. Ces comparaisons sont trĂšs frĂ©quentes dans le courant du texte et visent particuliĂšrement le gaucho, qu’il dĂ©crit comme un ĂȘtre sans intelligence, sans instruction, « heureux au milieu de sa pauvretĂ© et de ses privations, qui du reste n'en sont point pour qui n’a jamais connu de plus grandes jouissances », qui ne travaille pas et ne pourra jamais amĂ©liorer sa situation[47]. Comme contrepoint au gaucho apparaĂźt l’homme de la ville, celui qui « vit de la vie civilisĂ©e ; c’est lĂ  que se trouvent les idĂ©es de progrĂšs, les moyens d’instruction, une certaine organisation, le gouvernement municipal, etc. », et qui est celui, selon Sarmiento, susceptible de porter le pays Ă  la civilisation[48]. La comparaison entre ville et campagne est la plus significative du livre et la plus apte Ă  caractĂ©riser la civilisation et la barbarie.

Dans le deuxiĂšme chapitre, intitulĂ© « OriginalitĂ© et caractĂšres des Argentins », Sarmiento explique que, mĂȘme compte tenu des obstacles Ă  la civilisation Ă©levĂ©s dans le pays par sa gĂ©ographie, c’est tout de mĂȘme d’abord aux gauchos, tels que Juan Manuel de Rosas, barbares, incultes, ignorants et arrogants, qu’est imputable une large part des problĂšmes du pays ; Ă  cause d’eux, la sociĂ©tĂ© argentine n’avait pas rĂ©ussi Ă  progresser vers la civilisation[49]. Sarmiento dĂ©crit ensuite les quatre types principaux de gauchos : l’éclaireur (baqueano), le chanteur, le gaucho mĂ©chant et le pisteur, et donne la maniĂšre de les reconnaĂźtre, utile pour comprendre les dirigeants argentins, comme Juan Manuel de Rosas[50] ; d’aprĂšs l’auteur en effet, sans une bonne comprĂ©hension de la typologie des gauchos argentins, « il est impossible d’apprĂ©hender nos personnages politiques, ni le caractĂšre primordial et amĂ©ricain de la sanglante lutte qui dĂ©chire la RĂ©publique Argentine »[51].

Dans le troisiĂšme chapitre (« Association. L’Épicerie »), Sarmiento s’attarde sur les paysans argentins, qui sont « indĂ©pendants de toute nĂ©cessitĂ©, libres de toute sujĂ©tion, sans idĂ©es de gouvernement, puisque tout ordre rĂ©gulier et organisĂ© devient, Ă  tout point de vue, impossible »[52]. Les paysans se rĂ©unissent dans des Ă©piceries (pulperĂ­as), oĂč ils passent leur temps buvant et jouant. Ils manifestent de l’enthousiasme Ă  faire la dĂ©monstration de leur force physique Ă  travers le domptage de chevaux et les bagarres au couteau. Rarement, ces bagarres dĂ©bouchent sur la mort, qu’ils nomment disgrĂące ; Sarmiento fait observer incidemment que la rĂ©sidence de Rosas, avant que celui-ci ne commençùt Ă  acquĂ©rir du pouvoir politique, Ă©tait utilisĂ©e occasionnellement comme refuge par des criminels[50].

Selon le rĂ©cit de Sarmiento dans le quatriĂšme chapitre du livre, « RĂ©volution de 1810 », ces Ă©lĂ©ments sont d’importance cruciale pour comprendre la RĂ©volution argentine, qui permit au pays de se rendre indĂ©pendant de l’Espagne. Quoique la guerre d’indĂ©pendance eĂ»t Ă©tĂ© provoquĂ©e par l’influence des idĂ©es europĂ©ennes, Buenos Aires Ă©tait la seule ville capable d’avoir de la civilisation. Si les paysans participĂšrent Ă  la guerre, ce fut davantage pour faire la dĂ©monstration de leur force physique que pour civiliser le pays. En dĂ©finitive, la rĂ©volution fut un Ă©chec en raison du comportement barbare de la population rurale, qui amena la perte et le dĂ©shonneur de la ville civilisĂ©e, Buenos Aires[53].

DeuxiĂšme partie : vie de Juan Facundo Quiroga

Juan Facundo Quiroga. Personnage principal du Facundo, il reprĂ©sente la barbarie, l’antipode de la civilisation.
Attaque du coche de Facundo Quirogas Ă  Barranca-Yaco.

La deuxiĂšme partie de Facundo, qui commence avec le chapitre cinquiĂšme, intitulĂ© « Vie de Juan Facundo Quiroga », est consacrĂ©e Ă  dĂ©crire la vie du personnage Ă©ponyme du livre, Juan Facundo Quiroga, dit le « Tigre des Plaines »[54]. Cette section comporte de multiples erreurs et imprĂ©cisions historiques, au demeurant reconnues par l’auteur lui-mĂȘme dans son avertissement prĂ©liminaire et confirmĂ©es ensuite par divers historiens et spĂ©cialistes au fil des annĂ©es[55].

Bien qu’il fĂ»t nĂ© dans une famille fortunĂ©e, Facundo ne bĂ©nĂ©ficia que d’une Ă©ducation Ă©lĂ©mentaire en lecture et Ă©criture[56]. Il semble avoir Ă©tĂ© trĂšs portĂ© sur les jeux de hasard[57], au point que Sarmiento le dĂ©crit habitĂ© pour le jeu « d’une passion fĂ©roce, ardente, lui dessĂ©chant les entrailles »[58]. Dans sa jeunesse, Facundo Ă©tait antisocial et rebelle, refusant de se mĂȘler aux autres enfants[56], et ces caractĂ©rĂ­stiques allaient s’accentuant de plus en plus Ă  mesure qu’il grandissait. Sarmiento dĂ©crit un incident au cours duquel Facundo tua un homme, et affirme que ce type de comportement « marqua son passage par le monde »[58].

Les rapports avec sa famille ayant fini par se rompre, Facundo adopta la vie de gaucho et rejoignit les caudillos dans la province de Entre RĂ­os[59]. Dans le chapitre sixiĂšme, intitulĂ© « La Rioja », Sarmiento relate comment, Ă  la suite de l’assassinat qu’il perpĂ©tra de deux Espagnols aprĂšs une fuite de prison, les gauchos se mirent Ă  reconnaĂźtre Facundo comme un hĂ©ros, et comment, ayant regagnĂ© La Rioja, Facundo vint Ă  occuper une position de commandement au sein de la Milice des Plaines (Milicia de los Llanos). Il se bĂątit une solide rĂ©putation, gagnant le respect de ses compagnons par ses actions fĂ©roces sur le champ de bataille, mais haĂŻssant et s’appliquant Ă  dĂ©truire ceux qui, parce que civilisĂ©s et Ă©duquĂ©s, Ă©taient diffĂ©rents de lui[60].

En 1825, le gouvernement de Buenos Aires organisa un CongrĂšs gĂ©nĂ©ral (Congreso General) avec les reprĂ©sentants de toutes les provinces d’Argentine. Au long des chapitres septiĂšme et huitiĂšme du livre, intitulĂ©s respectivement « Sociabilidad » et « Ensayos » (essais), l’auteur narre comment Facundo fit son apparition en tant que reprĂ©sentant de La Rioja ainsi que les consĂ©quences de cet Ă©vĂ©nement[61]. Dans le mĂȘme chapitre, il explore les diffĂ©rences entre les provinces de CĂłrdoba et de Buenos Aires, qualifiant la premiĂšre de barbare pour ĂȘtre organisĂ©e de maniĂšre dĂ©suĂšte et caractĂ©ristique de l’époque prĂ©hispanique, et la seconde de civilisĂ©e, principalement sous l’influence de Bernardino Rivadavia et de par sa culture propre[62]. AprĂšs avoir Ă©tabli cette comparaison, Sarmiento donne une description physique de Facundo, de celui qu’il considĂ©rait comme personnifiant le caudillo : « il Ă©tait d'une stature basse et robuste ; son large dos supportait, sur une courte encolure, une tĂȘte bien formĂ©e, couverte d'une chevelure trĂšs Ă©paisse, noire et bouclĂ©e », avec des « yeux noirs pleins de feu »[54].

Rivadavia fut bientĂŽt Ă©vincĂ©, et Manuel Dorrego devint le nouveau gouverneur. Sarmiento dĂ©clare que Dorrego, Ă©tant fĂ©dĂ©raliste, n’était pas intĂ©ressĂ© par le progrĂšs social ni Ă  en finir avec le comportement barbare en Argentine en amĂ©liorant le niveau de civilisation et d’éducation des habitants des zones rurales. Au neuviĂšme chapitre du livre (« Guerra social ») est racontĂ© comment, dans le dĂ©sordre qui caractĂ©risait la politique argentine du moment, Dorrego fut assassinĂ© par les unitaires et Facundo battu par le gĂ©nĂ©ral unitaire JosĂ© MarĂ­a Paz[63]. Facundo s’enfuit Ă  Buenos Aires et s’associa au gouvernement fĂ©dĂ©raliste de Juan Manuel de Rosas. Durant le conflit armĂ© entre les deux camps idĂ©ologiques, Facundo conquit les provinces de San Luis, de Rio Quinto et de Mendoza[64].

Dans le treiziĂšme chapitre du livre, « ÂĄÂĄÂĄBarranca-Yaco!!! » (avec trois points d’exclamation), est relatĂ© l’assassinat de Facundo Quiroga dans la ville de la province de CĂłrdoba dĂ©signĂ©e par le titre. Tout avait commencĂ© lorsque, de retour Ă  son foyer de San Juan, dont Sarmiento dit que Facundo le dirigeait « par le seul effet de son nom terrifiant »[65], il se rendit compte que son gouvernement Ă©tait privĂ© d’un appui suffisant de la part de Rosas. Il s’en fut Ă  Buenos Aires pour demander des comptes, mais Rosas l’envoya accomplir une autre mission. En route pour celle-ci, Facundo fut assassinĂ©[66].

Sarmiento souligne que Facundo Quiroga n’est pas le fruit du hasard, mais au contraire le rĂ©sultat nĂ©cessaire du mode de vie argentin, tel qu’il s’est façonnĂ© par la colonisation ; la figure du caudillo constitue la manifestation contemporaine de ce mode d’ĂȘtre, dans le contexte social d’alors, cependant il est possible de le vaincre.

TroisiĂšme partie : prĂ©sent et avenir d’un gouvernement unitaire

Dans les deux derniers chapitres du livre, intitulĂ©s « Gobierno unitario » (Gouvernement unitaire) et « Presente y porvenir » (PrĂ©sent et Avenir), Sarmiento explore les consĂ©quences de la mort de Facundo pour l’histoire et la politique de la RĂ©publique d’Argentine[67]. Il analyse Ă©galement le gouvernement et la personnalitĂ© de Rosas, commentant la dictature, la tyrannie, le rĂŽle de l’appui populaire, et l’usage de la force pour maintenir l’ordre. L’auteur critique Rosas en utilisant les propres paroles du gouverneur, faisant alors des observations sarcastiques sur ses actions, et dĂ©crivant la « terreur » instaurĂ©e pendant la dictature, les contradictions du gouvernement, et la situation dans les provinces qui Ă©taient dirigĂ©es par Facundo. Sarmiento Ă©crit : « La cocarde colorĂ©e est la matĂ©rialisation de la terreur, qui vous accompagne partout, dans la rue, sur la poitrine de la famille ; lorsqu’on s’habille ou qu’on se dĂ©shabille, il faut penser Ă  lui, et les idĂ©es viennent toujours se graver en nous par association. »[68]

Sarmiento range la population noire d’Argentine parmi les secteurs sociaux ayant soutenu Rosas. Il les dĂ©crit comme « dociles, fidĂšles et vouĂ©s Ă  leur maĂźtre ou Ă  celui qui les emploie ». Selon Sarmiento, Manuela Rosas, fille du gouverneur, aurait Ă©tĂ© chargĂ©e de gagner la faveur de ce secteur de la population. L’utilitĂ© stratĂ©gique de cette action dĂ©coulerait du fait que la majoritĂ© des esclaves et des domestiques Ă©taient afro-amĂ©ricains, ce qui devait permettre au gouvernement de disposer d’espions dans la majoritĂ© des familles.

Sarmiento critique aussi le jugement prononcĂ© dans l’affaire de l’assassinat de Quiroga, affirmant que les frĂšres ReinafĂ© n’étaient pas des unitaires comme il fut prĂ©tendu. Sarmiento formule la thĂšse que Rosas Ă©tait l’auteur intellectuel du crime ; son dessein aurait Ă©tĂ© de discrĂ©diter les unitaires en leur imputant le crime, escomptant ainsi que la rĂ©pudiation qui en rĂ©sulterait faciliterait la cession en sa faveur du sommet du pouvoir politique ― ce qu’il parvint Ă  rĂ©aliser peu aprĂšs.

« À peine Rosas eut-il pris la tĂȘte du Gouvernement en 1835, qu’il dĂ©clara par voie de proclamation que les unitaires impies avaient assassinĂ© traĂźtreusement l’illustre gĂ©nĂ©ral Quiroga, et que lui se proposait de chĂątier un si Ă©pouvantable attentat, qui avait privĂ© la FĂ©dĂ©ration de son pilier le plus puissant. Quoi !... disaient, bouche bĂ©e, les pauvres unitaires en lisant la proclamation. Quoi !... les ReinafĂ© sont unitaires ? Ne sont-ils pas des crĂ©atures de LĂłpez, n’entrĂšrent-ils pas dans CĂłrdoba en pourchassant l’armĂ©e de Paz, n’étaient-ils pas en active et amicale correspondance avec Rosas ? N’est-ce pas sur demande de Rosas que Quiroga avait quittĂ© Buenos Aires? Un messager n’avait-il pas Ă©tĂ© envoyĂ© en avant de lui, qui fit part aux ReinafĂ© de son arrivĂ©e prochaine ? Les ReinafĂ© n’avaient-ils pas prĂ©parĂ© d’avance le guet-apens qui devait l’assassiner ?... Rien de tout cela ; les impies unitaires ont Ă©tĂ© les assassins ; et malheur Ă  qui en douterait !... »

Enfin, examinant l’hĂ©ritage laissĂ© par le gouvernement de Rosas, Sarmiento attaque celui-ci et Ă©toffe plus avant la dichotomie entre civilisation et barbarie. Par le biais d'une confrontation entre la France et l’Argentine — incarnant respectivement la civilisation et la barbarie — Sarmiento met en contraste culture et cruautĂ© :

« Le blocus de la France a durĂ© deux ans, et le Gouvernement amĂ©ricain animĂ© de l’esprit amĂ©ricain, faisait face Ă  la France, le principe europĂ©en, aux prĂ©tentions europĂ©ennes. Le blocus français avait nĂ©anmoins Ă©tĂ© fĂ©cond en rĂ©sultats sociaux pour la RĂ©publique argentine, et servit Ă  mettre Ă  dĂ©couvert, dans toute leur nuditĂ©, la situation des esprits et les nouveaux Ă©lĂ©ments de la lutte qui devaient dĂ©clencher la guerre acharnĂ©e, laquelle ne peut se terminer que par la chute de ce Gouvernement monstrueux[69]. »

Genre et style

Le critique et philosophe espagnol Miguel de Unamuno fit Ă  propos du livre la rĂ©flexion suivante : « Je n’ai jamais pris Facundo de Sarmiento pour un ouvrage d’histoire, ni ne crois qu’il puisse ĂȘtre Ă©valuĂ© en ces termes. Je l’ai toujours considĂ©rĂ© comme une Ɠuvre littĂ©raire, un roman historique »[70]. Toutefois, Facundo ne saurait ĂȘtre classĂ© comme roman ou dans tel ou tel genre littĂ©raire spĂ©cifique. Selon GonzĂĄlez EchevarrĂ­a, le livre est tout Ă  la fois « un essai, une biographie, une autobiographie, un roman, une Ă©popĂ©e, des mĂ©moires, une confession, un pamphlet politique, une diatribe, un traitĂ© scientifique et un guide »[6]. L'uniformitĂ© de style, la mĂȘme tonalitĂ© utilisĂ©e tout au long du livre, et le fil rouge que constitue la vie et la personnalitĂ© de Facundo, sans cesse explorĂ©es et analysĂ©es, garantissent l’unitĂ© de l’ouvrage et des trois parties dans lesquelles il est divisĂ©. MĂȘme la premiĂšre section, dĂ©crivant la gĂ©ographie de l’Argentine, se conforme Ă  l’allure gĂ©nĂ©rale ― Sarmiento ayant en effet dĂ©clarĂ© que Facundo Ă©tait un produit naturel de son entourage[71].

Le livre est aussi en partie fictif : Sarmiento met Ă  contribution son imagination en plus de la rigueur historique pour portraiturer Rosas. Dans Facundo, l’auteur incorpore et laisse apparaĂźtre son point de vue selon lequel c’est la dictature de Rosas qui Ă©tait la cause principale des problĂšmes de l’Argentine. Les thĂšmes comme la barbarie et la cruautĂ©, qui se manifestent tout au long du livre, ne sont pour Sarmiento que des Ă©manations du gouvernement de Rosas[72]. Si Sarmiento met en Ɠuvre des stratĂ©gies qui appartiennent au domaine littĂ©raire, c’est d’abord Ă  l’effet d’appuyer ses thĂšses personnelles.

Thématique

Civilisation et barbarie

Dans Facundo, Sarmiento met en scÚne les gauchos comme représentants de la barbarie.

Facundo n’est pas seulement une critique du gouvernement de Rosas, mais aussi une ample investigation de l’histoire et de la culture argentines, que Sarmiento donne Ă  voir Ă  travers l’ascension, le rĂšgne et la chute de Juan Facundo Quiroga, archĂ©type du caudillo argentin. Sarmiento rĂ©sume le message du livre par la phrase « VoilĂ  la question : ĂȘtre ou ne pas ĂȘtre des sauvages »[73]. La dichotomie entre civilisation et barbarie est l’idĂ©e maĂźtresse du livre ; Facundo est dĂ©peint comme sauvage et opposĂ© au progrĂšs rĂ©el en raison de son rejet des idĂ©aux culturels europĂ©ens, en cours dans la sociĂ©tĂ© mĂ©tropolitaine de Buenos Aires[74].

Le conflit entre civilisation et barbarie reflĂšte les difficultĂ©s de l’AmĂ©rique latine au lendemain des indĂ©pendances, c'est-Ă -dire au moment oĂč elle se trouve soudainement confrontĂ©e Ă  elle-mĂȘme. Le critique littĂ©raire Sorensen Goodrich relĂšve que si, certes, Sarmiento ne fut pas le premier Ă  formuler cette dichotomie, il sut la convertir en un thĂšme prĂ©Ă©minent et puissant, capable d’imprĂ©gner la littĂ©rature latino-amĂ©ricaine[75]. Il Ă©claire le problĂšme de la civilisation en la mettant en contraste avec les aspects grossiers de la culture d’un caudillo, laquelle se base sur la brutalitĂ© et le pouvoir absolu. Facundo propose une idĂ©ologie d’opposition, qui avec le temps offrirait une alternative politique, bĂ©nĂ©fique pour la sociĂ©tĂ©. Si Sarmiento rĂ©clame tout un ensemble de changements, notamment la nomination de fonctionnaires honnĂȘtes capables d’entendre les idĂ©es des LumiĂšres europĂ©ennes, le point principal reste pour lui l’instruction publique. Les caudillos, tels que Facundo Quiroga, sont vus au dĂ©but du livre comme l’antithĂšse de l’éducation, de la culture et de la stabilitĂ© civile, et la barbarie prend l’allure d’une Ă©ternelle litanie des maux de la sociĂ©tĂ©[76]. Les caudillos sont les agents de l’instabilitĂ© et du chaos, dĂ©truisant l’organisation sociale par leur indiffĂ©rence dĂ©sinvolte vis-Ă -vis de l’humanitĂ© et du progrĂšs social[77].

De mĂȘme que Sarmiento se voit lui-mĂȘme comme une personne civilisĂ©e, Rosas est la personnification du barbare. L’historien David Rock explique que « les opposants contemporains de Rosas outraient son image jusqu’à en faire un tyran sanguinaire et un symbole de la barbarie »[78]. Si Sarmiento attaque Rosas, c’est par le moyen de son livre, en faisant la promotion de l’instruction et de la civilisation, alors que Rosas use du pouvoir politique et de la force brute pour se dĂ©faire de tout ce qui lui fait obstacle. Associant l’Europe Ă  la civilisation, et la civilisation Ă  l’instruction, Sarmiento tend Ă  infuser dans les esprits une admiration envers la culture europĂ©enne ; cela, en mĂȘme temps, inspire Ă  Sarmiento un sentiment d’insatisfaction vis-Ă -vis de sa propre culture, et le porte Ă  vouloir propulser celle-ci vers la civilisation[79].

Mettant en Ă©vidence les spĂ©cificitĂ©s de la pampa pour Ă©toffer son analyse sociale, il fait de la gĂ©ographie physique dĂ©solĂ©e et sauvage de l’Argentine le symbole de ceux qui, qualifiĂ©s par lui d’ignorants et d’anarchiques, mĂšnent une existence isolĂ©e et se refusent au dialogue politique[80]. A contrario, en dĂ©nonçant que l’AmĂ©rique latine est en liaison directe avec la barbarie, Sarmiento veut parallĂšlement souligner que l’Argentine se trouve par lĂ  mĂȘme dĂ©connectĂ©e des nombreuses ressources qui l’entourent, ce qui entrave la croissance du pays[77].

Écriture et pouvoir

Les dictatures furent relativement communes dans l’histoire de l’AmĂ©rique latine postĂ©rieure Ă  son indĂ©pendance — les exemples s’étendent de JosĂ© Gaspar RodrĂ­guez de Francia au Paraguay au XIXe siĂšcle, jusqu’à Augusto Pinochet dans les derniĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle au Chili. Dans ce contexte, la littĂ©rature latino-amĂ©ricaine allait se distinguer par des romans de contestation ou des romans du dictateur ; la trame principale s’organise autour de la figure du dictateur, son comportement, ses caractĂ©ristiques et la situation de la population sous leur rĂ©gime. Les Ă©crivains tels que Sarmiento utilisĂšrent le pouvoir de la parole Ă©crite pour critiquer le gouvernement, usant de la littĂ©rature comme outil, comme exemple de rĂ©sistance et comme arme contre la rĂ©pression[81].

L’exploitation de ce rapport entre Ă©criture et pouvoir fut une des stratĂ©gies de Sarmiento. Pour lui, l’écriture devait ĂȘtre catalysatrice de l’action[82]. Alors que les gauchos se battaient avec des armes physiques, Sarmiento se servait de sa voix et de son langage[83]. Sorensen dĂ©clare que Sarmiento mania « le texte comme une arme »[81]. Sarmiento n’écrivait pas seulement pour l’Argentine, mais aussi Ă  l’intention d’un auditoire beaucoup plus vaste, en particulier les États-Unis et l’Europe ; dans son opinion, ces continents Ă©taient plus civilisĂ©s, et son propos Ă©tait de sĂ©duire les lecteurs afin de les amener Ă  son propre point de vue politique[84]. Au demeurant, dans les nombreuses traductions de Facundo, l’association Ă©tablie par Sarmiento entre Ă©criture d’une part et pouvoir et conquĂȘte d’autre part apparaĂźt avec plus d’évidence encore[85].

Ainsi, dans ces vecteurs de son crĂ©do politique qu’étaient ses livres, Sarmiento se plaĂźt-il souvent Ă  railler les gouvernements, ce dont Facundo est un exemple retentissant[86]. Il s’emploie Ă  rehausser son propre statut au dĂ©triment de la minoritĂ© gouvernante, allant presque jusqu’à se prĂ©senter lui-mĂȘme comme invincible grĂące au pouvoir de l’écriture. Vers la fin des annĂ©es 1840, Sarmiento fut contraint Ă  l’exil en raison de ses opinions politiques. Couvert d’hĂ©matomes aprĂšs avoir Ă©tĂ©, le jour prĂ©cĂ©dent, rouĂ© de coups par la soldatesque fĂ©dĂ©rĂ©e, il Ă©crivit en français sur une paroi rocheuse « On ne tue point les idĂ©es » (parfois citĂ© erronĂ©ment comme « on ne tire pas des coups de fusil aux idĂ©es »). Le gouvernement voulut dĂ©chiffrer le message, et, celui-ci traduit, ils dirent « Eh bien, qu’est-ce donc que cela signifie ? »[87]. L’incapacitĂ© de ses opposants Ă  comprendre le message dĂ©montre, pour Sarmiento, leur incompĂ©tence. Ses paroles se prĂ©sentent comme un code qu’il est nĂ©cessaire de « dĂ©chiffrer »[87], et, Ă  la diffĂ©rence de Sarmiento, ceux qui se trouvent au pouvoir sont des barbares et n’ont aucune Ă©ducation. Leur dĂ©sarroi non seulement dĂ©montre leur ignorance, mais encore, selon Sorensen, illustre « le bousculement fondamental qu’entraĂźne toute transplantation culturelle », Ă  telle enseigne que les ruraux d’Argentine et les alliĂ©s de Rosas Ă©taient bien incapables d’accepter la culture civilisĂ©e apte, d’aprĂšs Sarmiento, Ă  conduire le pays vers le progrĂšs[88].

Critiques

L’Ɠuvre connut des apprĂ©ciations critiques trĂšs variĂ©es depuis sa publication originelle. En ce qui concerne la langue utilisĂ©e, certains critiques estiment que l’ouvrage est bien rĂ©digĂ© compte tenu du contexte typiquement crĂ©ole ― au sens espagnol du terme (criollo), c'est-Ă -dire propre aux personnes d’origine europĂ©enne nĂ©es dans les colonies ― tandis que d’autres jugent que par cette particularitĂ© la prose du livre apparaĂźt opaque et manque d’équilibre. Parmi les seconds, le critique littĂ©raire argentin Álvaro MeliĂĄn Lafinur par exemple Ă©crit : « La prose de Sarmiento est mal maĂźtrisĂ©e, inĂ©gale, barbare, manque de goĂ»t et ignore ou dĂ©daigne la valeur phonĂ©tique des mots et l’art de leur agencement harmonieux. C’est en vain qu’on chercherait dans les pages de Facundo l’équilibre, l’exactitude, le veloutĂ© de la nuance, la suprĂȘme puretĂ© »[89]. À l’inverse, des personnalitĂ©s telles que Guillermo Hudson, Carlos Guido Spano et Miguel de Unamuno en louent le style d’écriture, allant jusqu’à l’estimer supĂ©rieur Ă  celui des livres espagnols[90].

Les intentions qu’aurait eues Sarmiento en Ă©crivant ce livre ont fait l’objet de nombreux dĂ©bats entre sociologues, critiques et experts politiques argentins. Beaucoup pensent que Sarmiento voulait donner Ă  entendre que la barbarie (reprĂ©sentĂ©e par les figures de Facundo et Rosas) ne saurait en aucune maniĂšre coexister avec la civilisation, et qu’il est dĂšs lors nĂ©cessaire de se dĂ©faire intĂ©gralement de la premiĂšre[91]. NoĂ© Jitrik, auteur de Muerte y resurrecciĂłn de Facundo, relĂšve que dans le livre Sarmiento se contredit lui-mĂȘme ; en effet, dans la premiĂšre partie, il s’emploie Ă  dĂ©molir l’image de Facundo Quiroga, cependant que dans la deuxiĂšme, quand il analyse plus avant sa vie, il le dĂ©crit d’une maniĂšre diffĂ©rente, non plus avec autant d’aversion, mais tendant cette fois Ă  humaniser le caudillo[92]. Enrique Anderson Imbert rĂ©sout cette contradiction en expliquant que le dessein principal de Facundo Ă©tait de liquider Rosas, et qu’à cet effet, Sarmiento devait se rĂ©signer jusqu’à mĂ©nager Facundo dans certaines circonstances[93]. Sarmiento justifiait sa posture anti-rosiste radicale par la postulation que le pays ne pourrait se civiliser et parvenir Ă  imiter ses pairs europĂ©ens que s’il Ă©tait mis fin au gouvernement de Rosas[94].

Plusieurs auteurs ont fait observer que Sarmiento, en plus d’avoir pris quelque libertĂ© avec la prĂ©cision historique, n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  recourir Ă  l’exagĂ©ration pour dĂ©crire la situation des campagnes et des villes, qu’il prĂ©sente comme antinomiques et incapables de coexister. Selon Alberto Palcos cependant, les campagnes et les villes « vivaient ensemble et s’influençaient les unes les autres ; la barbarie n’était pas totale Ă  la campagne, ni la civilisation ne l’était en ville »[95]. D’autres commentaires critiques sur Sarmiento portent sur sa description de la figure du gaucho, lequel pourtant est devenu aujourd'hui l’un des symboles de l’identitĂ© argentine : dans Facundo, Sarmiento le dĂ©crivit comme « oisif, insouciant et irresponsable », en plus d’ĂȘtre « barbare et dĂ©pourvu de civilisation », et proposa de dĂ©placer les gauchos hors de la sociĂ©tĂ© jusqu’à les Ă©radiquer, appuyant la campagne menĂ©e Ă  leur encontre par BartolomĂ© Mitre[94].

Retentissement

Pour Kathleen Ross, qui Ă©tablit une nouvelle traduction anglaise du Facundo, le livre est « une des Ɠuvres les plus importantes de l’histoire de la littĂ©rature hispano-amĂ©ricaine »[96]. Le livre fut un apport majeur dans le travail d’élaboration d’un « projet de modernisation »[97], vu qu’il comportait un message pratique et que celui-ci Ă©tait de surcroĂźt exaltĂ© par « une beautĂ© et une passion stupĂ©fiantes »[96]. Toutefois, selon le critique littĂ©raire GonzĂĄlez EchevarrĂ­a, il ne s’agit pas seulement d’un puissant texte fondateur, mais aussi du « premier classique latino-amĂ©ricain, et le livre Ă©crit sur l’AmĂ©rique latine par un latino-amĂ©ricain le plus important, toutes disciplines et tous genres confondus »[96] - [1]. L’influence politique du livre peut du reste s’évaluer Ă  l’aune du fait que Sarmiento finit par accĂ©der au pouvoir. Il parvint Ă  la prĂ©sidence de la RĂ©publique argentine en 1868 et eut ainsi le loisir de mettre en application ses thĂ©ories et de prendre soin que la nation atteignĂźt Ă  la civilisation[97]. Quoique ayant Ă©crit nombre de livres, Sarmiento considĂ©rait Facundo comme le fondement mĂȘme de sa pensĂ©e politique[98].

Selon Sorensen, « les premiers lecteurs de Facundo Ă©taient profondĂ©ment influencĂ©s par les combats qui prĂ©cĂ©dĂšrent et suivirent la dictature de Rosas, et leur point de vue sur l’Ɠuvre dĂ©coulait de leur positionnement dans la lutte pour l’hĂ©gĂ©monie politique et dans la bataille de l’interprĂ©tation des faits »[99]. GonzĂĄlez EchevarrĂ­a note que Facundo incita d’autres Ă©crivains Ă  examiner le phĂ©nomĂšne de la dictature en AmĂ©rique latine, et soutient que si le livre continue d’ĂȘtre lu aujourd'hui, c’est parce que Sarmiento sut crĂ©er « une voix pour les auteurs latino-amĂ©ricains modernes »[6]. La raison en est, d’aprĂšs GonzĂĄlez EchevarrĂ­a, que « les auteurs latino-amĂ©ricains durent se colleter avec son hĂ©ritage, et furent poussĂ©s Ă  rĂ©Ă©crire Facundo dans leurs Ɠuvres, quand bien mĂȘme ils voulaient se dĂ©mĂȘler de son discours »[6]. D’autres romans de dictateur ultĂ©rieurs, tels que Monsieur le PrĂ©sident de Miguel Ángel Asturias et la FĂȘte au bouc de Mario Vargas Llosa, s’inspirent de ses idĂ©es[6], et la connaissance de Facundo est propre Ă  affiner, pour le lecteur, la comprĂ©hension de ces livres[100]. En vĂ©ritĂ©, ainsi que l’observe Berthold Zilly dans la postface de sa traduction allemande de Facundo, les textes qui ont Ă©tĂ© suscitĂ©s par ce livre, ou qui entrent en dialogue avec lui, sont innombrables ; on en trouve des Ă©chos, outre chez ceux dĂ©jĂ  citĂ©s, notamment chez Euclides da Cunha, Ezequiel MartĂ­nez Estrada, Octavio Paz, JosĂ© MĂĄrmol, RĂłmulo Gallegos, Alejo Carpentier, Augusto Roa Bastos ou Gabriel GarcĂ­a MĂĄrquez [101]. La nation argentine entiĂšre fut endeuillĂ©e Ă  la mort de Sarmiento en 1888. Au cimetiĂšre de Recoleta, il repose aujourd'hui, note encore Zilly, dans le paisible voisinage de Juan Facundo Quiroga, son ennemi dĂ©testĂ©, et de Juan Manuel de Rosas, et par ailleurs non loin de la tombe d’Eva PerĂłn. Les nombreuses plaques commĂ©moratives apposĂ©es Ă  la façade d’établissements d’enseignement et les groupes d’élĂšves visitant son tombeau tĂ©moignent de sa popularitĂ© inaltĂ©rĂ©e comme auteur du Facundo et comme instituteur de la nation[102].

Une consĂ©quence ironique de l’impact qu’eut ce type d’essai politique et cette littĂ©rature en partie fictionnelle produite par Sarmiento est que, comme le relĂšve GonzĂĄlez EchevarrĂ­a, le gaucho en est venu Ă  ĂȘtre transformĂ© en « un objet de nostalgie, une origine perdue se prĂȘtant Ă  la construction d’une mythologie nationale »[100]. Travaillant Ă  Ă©liminer le gaucho, Sarmiento par lĂ  mĂȘme et paradoxalement le convertit en un « symbole national »[100]. GonzĂĄlez EchevarrĂ­a fait remarquer que Juan Facundo Quiroga continue lui aussi, de la mĂȘme maniĂšre, Ă  mener une existence pĂ©renne, incarnant « notre lutte (de nous Argentins) sans solution entre le bien et le mal, et notre implacable chemin de vie vers la mort »[100]. Selon Kathleen Ross, traductrice vers l’anglais du Facundo, celui-ci « continue de provoquer controverses et dĂ©bats car il alimente les mythes nationaux de la modernisation, de l’anti-populisme et de l’idĂ©ologie raciste »[103].

Histoire Ă©ditoriale et traductions

Facundo fut publiĂ© pour la premiĂšre fois en 1845, dans le supplĂ©ment du journal chilien El Progreso, et connut trois mois plus tard une Ă©dition en volume, aux Ă©ditions Imprenta del Progreso, sous le titre de CivilizaciĂłn y barbarie. Vida de Juan Facundo Quiroga y aspecto fĂ­sico, costumbres y hĂĄbitos de la RepĂșblica Argentina (litt. Civilisation et Barbarie. Vie de Juan Facundo Quiroga et aspect physique, coutumes et mƓurs de la RĂ©publique argentine). La deuxiĂšme Ă©dition date de 1851, intitulĂ©e cette fois Vida de Facundo Quiroga y aspecto fĂ­sico, costumbres y hĂĄbitos de la RepĂșblica Argentina, seguida de apuntes biogrĂĄficos sobre el general fray FĂ©lix Aldao por el autor (litt. Vie de Facundo Quiroga et aspect physique, coutumes et mƓurs de la RĂ©publique argentine, suivie de notes biographiques sur le gĂ©nĂ©ral frĂšre FĂ©lix Aldao par l’auteur), assortie d’un Examen critique traduit de la Revue des deux Mondes. Dans cette Ă©dition, l’« IntroducciĂłn » et les chapitres de fin « Gobierno Unitario » (Gouvernement unitaire) et « Presente y porvenir » (PrĂ©sent et Avenir) avaient Ă©tĂ© supprimĂ©s pour raisons politiques[104], tandis que furent ajoutĂ©es une lettre adressĂ©e Ă  ValentĂ­n Alsina, dans laquelle Sarmiento rĂ©pondait Ă  ses observations, et une biographie de FĂ©lix Aldao. En 1868, alors que Sarmiento Ă©tait Ă  la PrĂ©sidence, le livre fut Ă©ditĂ© sous son nom espagnol le plus connu, Facundo o civilizaciĂłn y barbarie en las pampas argentinas, aux Ă©ditions D. Appleton et compagnie. La lettre Ă  Alsina et la biographie de Aldao en furent retirĂ©es, et la notice biographique El Chacho. Último caudillo de la montonera de los llanos. Episodio de 1863 fut ajoutĂ©e. En 1874, une nouvelle Ă©dition vit le jour, de mĂȘme titre, la derniĂšre du vivant de Sarmiento, dans laquelle les trois chapitres retranchĂ©s depuis la deuxiĂšme Ă©dition furent rĂ©tablis. RaĂșl Moglia signale qu’entre la premiĂšre et la quatriĂšme Ă©dition ont Ă©tĂ© effectuĂ©es certaines modifications, portant sur le texte et sur l’orthographe, attribuables respectivement Ă  Sarmiento lui-mĂȘme et Ă  ses Ă©diteurs, Ă  qui il avait laissĂ© le loisir de corriger ses textes[104]. Il affirme que « surtout les variantes de concepts historiques peuvent ĂȘtre de Sarmiento ; celles de vocabulaire ou de construction le sont difficilement »[104].

Le livre fut traduit du vivant de l’auteur en langues française (1853), anglaise (1868, et plus rĂ©cemment en 2003, dans une version rĂ©visĂ©e, plus fidĂšle et plus complĂšte) et italienne (1881). Des extraits en furent publiĂ©s en langue allemande dĂšs 1848, en vue d’une brochure Ă  l’intention des immigrants, mais une traduction complĂšte dans cette langue ne vit le jour qu’en 2007. Pour Sarmiento, le public français avait une importance particuliĂšre, Ă  telle enseigne que le livre bĂ©nĂ©ficia en 1846 dĂ©jĂ , puis en 1852 lors d’une deuxiĂšme livraison, d’extraits traduits et commentĂ©s dans la Revue des deux Mondes ; en outre, quelques chapitres parurent Ă  Paris en 1850 et 1851[105]. Une traduction française complĂšte, par les soins de Marcel Bataillon, est disponible aux Ă©ditions de l'Herne (Paris, 1990)[106].

Corrélats

Notes et références

  1. GonzĂĄlez EchevarrĂ­a 2003, p. 1
  2. Algo habrĂĄn hecho por la historia argentina, deuxiĂšme saison, chapitre VI
  3. K. Ross (2003), p. 7: « AssurĂ©ment ! Facundo n’est point mort ; il est vivant dans les traditions populaires, dans la politique et dans les rĂ©volutions argentines ; dans Rosas, son hĂ©ritier, son complĂ©ment »
  4. Felipe Pigna, Los mitos de la historia argentina 2, Argentine, 1, , 404 p. (ISBN 950-49-1342-3)
  5. K. Ball (1999), p. 177.
  6. GonzĂĄlez EchevarrĂ­a 2003, p. 2
  7. « Noé Jitrik: Muerte y resurrección de Facundo », Abanico.org (consulté le )
  8. K. Ball (1999), p. 171.
  9. N. Shumway (1993), p. 13.
  10. « Biografía de Domingo Faustino Sarmiento », El Historiador (consulté le )
  11. N. Shumway (1993), p. 107.
  12. N. Shumway (1993), p. 84.
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  14. N. Shumway (1993), p. 94.
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  41. Noé Jitrik, Muerte y resurrección de Facundo, p. 27.
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  49. Sarmiento 2003, Chapitre 2
  50. Sarmiento 2003, Chapitre 3.
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  55. J. L. Guerrero, Tres temas de filosofía argentina en las entrañas del Facundo, Buenos Aires,
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  57. Newton 1965, p. 11, affirme qu’il Ă©tait surnommĂ© « le joueur », mais sans citer de source.
  58. Sarmiento 2003, p. 95.
  59. Sarmiento 2003, Chapitre 5.
  60. Sarmiento 2003, Chapitre 6
  61. Sarmiento 2003, Chapitres 7 & 8.
  62. Sarmiento 2003, Chapitre 7.
  63. Sarmiento 2003, Chapitre 8 & 9.
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Annexes

Liens externes

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