Amadeo Sabattini
Amadeo Sabattini (Barracas, province de Buenos Aires, 1892 ― Villa MarĂa, province de CĂłrdoba, 1960) est un pharmacien, mĂ©decin et homme politique argentin.
Amadeo Sabattini | |
Fonctions | |
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Ministre de Gouvernement, de la Justicie et de l’Instruction publique de la Province de Córdoba | |
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45e gouverneur de la province de CĂłrdoba | |
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Prédécesseur | Luis Funes |
Successeur | Santiago del Castillo |
Biographie | |
Nom de naissance | Amadeo Tomás Sabattini |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Buenos Aires |
Date de décès | |
Lieu de dĂ©cès | Villa MarĂa |
Nature du décès | Naturelle |
Nationalité | Argentin |
Parti politique | Union civique radicale |
Père | Luis Sabattini Taglioni |
Mère | Clotilde Aspesi |
Conjoint | Rosa B. Saibene |
Enfants | Rosa Clotilde, Alberto Amadeo, Marta Susana et Ileana |
Diplômé de | Université nationale de Córdoba |
Profession | MĂ©decin |
RĂ©sidence | Villa MarĂa |
Médecin de formation, de bonne heure membre du parti radical UCR, il mena de front, dans la ville de province où il s’était installé avec sa famille, son activité professionnelle et une carrière politique, réussissant en particulier — en dépit de la pratique institutionnalisée de la fraude électorale, caractéristique de la dénommée Décennie infâme — à se faire élire en 1936 gouverneur de la province de Córdoba. À ce titre, il s’appliqua pendant son mandat de quatre ans à mettre en œuvre ses idées progressistes par un ensemble de mesures et de lois tendant à moderniser la province sur le plan économique et politique autant que sur le plan social, de l’instruction publique et des mœurs ; ainsi, il favorisa l’industrialisation (développant les infrastructures routières, mettant en place un réseau hydroélectrique, et permettant l’installation notamment d’usines d’armement), mena une politique sociale (instaurant le salaire minimum, reconnaissant les droits syndicaux), fit construite des établissements d’enseignement, avantagea par un aménagement fiscal les petits fermiers contre la grande propriété foncière, mit sur pied des refuges pour mères célibataires, etc.
Plus tard, et au niveau national, Sabattini appuya les réformes sociales de Juan Perón, pendant la révolution de 1943 d’abord, puis sous le premier péronisme, mais se distancia de Perón quant à partir de 1953 celui-ci manifesta des tendances de plus en plus autoritaires. Dans les années post-septembre 1955, qui virent la scission de l’UCR, la fraction que menait Sabattini (l’UCRP, P pour Peuple) dut s’incliner lors des élections de 1958 devant la fraction dirigée par Frondizi (l’UCRI, I pour Intransigeant), auquel Perón avait accordé depuis son exil son discret soutien.
Quand même il ne lui aura été donné d’exercer des responsabilités gouvernementales qu’à l’échelon de sa province, Sabattini néanmoins acquit une stature nationale, par l’exemple de sa politique économique et sociale et par la ligne de probité qu’il représentait au sein du parti radical, ligne dite ligne Córdoba, réputée intransigeante sur la corruption politique et la fraude électorale.
Ascendances et jeunes années
Amadeo Tomás Sabattini, né à Buenos Aires, était le fils aîné de Clotilde Aspesi, d’origine uruguayenne, et de Luis Sabattini Taglioni, immigrant Italien originaire de Bologne. Il eut une sœur, Rosa, et trois frères, Alberto, Pablo et Luis Enrique Sabattini, tous trois nés à Rosario, où la famille alla se fixer alors qu’Amadeo avait deux ans. C’est là qu’il suivit l’enseignement primaire et secondaire, et là aussi que commença son parcours de militant dans les rangs du radicalisme : en 1907 en effet, il devint actif au sein du parti UCR, en constituant, avec quelques-uns de ses camarades, le Comité Aristóbulo del Valle de la Jeunesse radicale argentine.
Amadeo arriva dans la ville de Córdoba en 1910, dans l’intention de s’inscrire à la faculté de médecine de l’université nationale de cette ville, et obtint deux ans plus tard son diplôme en sciences pharmaceutiques, puis son doctorat en médecine en 1916, c’est-à -dire dans les premiers mois du mandat présidentiel du radical Hipólito Yrigoyen.
Le médecin frais émoulu rentra pour une brève période à Rosario, mais décida bientôt de s’établir dans la petite localité rurale de La Laguna, dans la moitié sud de la province de Córdoba, et s’y voua essentiellement à la pratique gynécologique. Il restera trois années dans cette localité, séjour pendant lequel il contracta mariage avec Rosa B. Saibene, originaire de Rosario, avec qui il aura quatre enfants (Rosa Clotilde, Alberto Amadeo, Marta Susana et Ileana), et s’engagea activement dans les scrutins électoraux tant nationaux que provinciaux, se montrant un dirigeant charismatique de l’UCR.
Il fut fortement influencé par la Révolte universitaire qui éclata à Córdoba en 1918 et par les propositions sociales de celle-ci, en particulier par ce qui fut nommé le radicalisme rouge que professaient les jeunes réformistes de Córdoba Arturo Orgaz et Arturo Capdevila[1].
En , la famille Sabbattini dĂ©mĂ©nagea pour Villa MarĂa, un peu plus au nord, dans le mĂŞme dĂ©partement, oĂą elle Ă©lut domicile Ă titre dĂ©finitif et oĂą Amadeo Sabattini partagea son temps entre ses tâches professionnelles de mĂ©decin et sa vocation politique. Il y noua de bonnes amitiĂ©s, notamment avec Francisco Seco, cofondateur de l’UCR Ă Villa MarĂa, libre-penseur et maĂ®tre franc-maçon, qui avait marquĂ© de son empreinte le radicalisme de la rĂ©gion dès la fin du XIXe siècle, ayant Ă©tĂ© en effet un acteur de la RĂ©volution radicale de 1893 et appartenant Ă la loge maconnique El Kosmo. Seco facilita l’installation de Sabattini Ă Villa MarĂa, lui procurant un poste de mĂ©decin Ă l’hĂ´pital Pasteur de la ville.
Ministre de Gouvernement, de la Justice et de l’Instruction publique
Ă€ la victoire, inopinĂ©e et difficile, du politicien conservateur RamĂłn JosĂ© Cárcano au poste de gouverneur de la province de CĂłrdoba aux Ă©lections de 1925 succĂ©da une mandature marquĂ©e par le scandale et les impasses politiques. Les radicaux dominaient l’assemblĂ©e lĂ©gislative et bloquaient les initiatives du gouverneur, en mĂŞme temps que s’enchaĂ®naient les dĂ©nonciations d’irrĂ©gularitĂ©s Ă©lectorales. En , Sabattini, conjointement avec Benito Soria et Enrique MartĂnez, rejoignit le Centro Radicalismo y RenovaciĂłn, qui dĂ©fendait la nĂ©cessitĂ© d’une rĂ©novation interne permanente, prĂ©conisant en particulier l’intransigeance (c’est-Ă -dire en l’espèce le refus absolu d’engager, dans le but de dĂ©bloquer la paralysie lĂ©gislative qui sĂ©vissait alors, quelque nĂ©gociation politique que ce fĂ»t avec le Parti dĂ©mocrate de CĂłrdoba) et le progressisme.
Dans ce contexte, l’UCR serra les rangs autour de la personnalitĂ© d’HipĂłlito Yrigoyen comme le candidat du parti pour l’élection de 1928, et après des annĂ©es d’attente les radicaux de CĂłrdoba se disposaient Ă rĂ©cupĂ©rer le gouvernement de la province. Parmi les possibles candidats figuraient MartĂnez, Sabattini, Soria, JosĂ© Antonio Ceballos, Carlos J. RodrĂguez, Lucas A. de Olmos et Elpidio González. Afin de prĂ©venir un nouveau climat de division dans la province, Yrigoyen intervint en mettant en avant un binĂ´me de gouvernement composĂ© de deux mĂ©decins (MartĂnez et Ceballos), en dĂ©signant Soria comme candidat au poste de sĂ©nateur national, et en offrant Ă Sabattini le ministère de Gouvernement.
Le , Enrique MartĂnez battit, avec un large Ă©cart de voix, l’ancien gouverneur Roca, et fut investi du pouvoir exĂ©cutif provincial le . Non entravĂ©e cette fois par la Corda Frates (loge non maçonnique de propriĂ©taires catholiques) comme en 1916, ni handicapĂ©e par la division entre rouges et bleus comme en 1919, ni pris Ă revers par les radicaux antipersonnalistes comme en 1925, l’UCR revint ainsi au pouvoir Ă CĂłrdoba, au terme de neuf ans d’opposition. Sabattini fut nommĂ© ministre de Gouvernement, de la Justice et de l’Instruction publique.
Sa prestation de serment en tant que ministre allait constituer le premier incident de sa carrière politique, lorsqu’en effet il jura seulement « sur la Patrie et son honneur » (en omettant Dieu), ce qui suscita d’innombrables réactions critiques affirmant notamment que Sabattini irait « en enfer » et que son serment « peccamineux » invalidait son investiture, parmi d’autres accusations.
La dĂ©cision de MartĂnez de dĂ©missionner de son poste de gouverneur pour pouvoir assumer, Ă la suite du dĂ©cès de Francisco BeirĂł, la vice-prĂ©sidence de la rĂ©publique plaça mĂ©caniquement Ă la tĂŞte de l’exĂ©cutif de CĂłrdoba le vice-prĂ©sident Ceballos, qui confirma tous les ministres du gouvernement MartĂnez, Ă l’exception du portefeuille des Finances, auquel poste il nomma l’ancien antipersonnaliste AgustĂn GarzĂłn Agulla ; Sabattini rĂ©agit en prĂ©sentant sa dĂ©mission, laquelle ne fut pas acceptĂ©e.
En tant que ministre, Sabattini fut à l’origine d’un ensemble de mesures quasi révolutionnaires pour le lieu et l’époque, telles que la reconnaissance des syndicats, la déclaration comme jour férié de la journée du Travail, le 1er mai, le salaire minimum pour les membres titulaires du corps enseignant, la réglementation du travail des ouvriers agricoles, l’élimination progressive des grands domaines latifondiaires, mesures qui furent autant de préfigurations de ce que sera son œuvre politique comme gouverneur plusieurs années plus tard.
Dans un contexte de délitement social consécutif à la crise de 1929 se produisit le coup d’État du , qui, dirigé par José Félix Uriburu, destitua Hipólito Yrigoyen du pouvoir en Argentine et fut l’amorce d’une nouvelle ère de proscription pour le radicalisme et ses dirigeants. Le gouverneur de Córdoba Ceballos et tous ses ministres furent démis de leurs fonctions et remplacés par des militaires. Commença alors une nouvelle phase dans le parcours politique de Sabattini, celle de la rébellion.
Abstentionnisme et rébellion
Cette abrupte mise à l’écart du pouvoir qui frappa ainsi le radicalisme et la rupture constitutionnelle de provoquèrent une phase de sidération et d’incertitude, tant institutionnelle, économique que politique au sein des troupes radicales, par ailleurs restées divisées entre personnalistes et antipersonnalistes et affaiblies par la pénurie de nouvelles personnalités capables de porter au-dehors les idées radicales. L’UCR était stigmatisée comme le parti de l’inaction face à la crise, de la stérilité parlementaire et du « saccage » de la Banque nationale.
Derrière le gouvernement de facto installĂ© au pouvoir Ă la suite du coup d’État se tenaient deux groupes opposĂ©s, rassemblĂ©s l’un et l’autre autour d’un chef militaire : d’une part ceux qui aspiraient Ă crĂ©er un État national-socialiste ou fasciste, les uriburistes, et d’autre part les justistes qui, favorisant l’arrivĂ©e au pouvoir de AgustĂn P. Justo, prĂ©conisaient une dĂ©mocratie limitĂ©e et le maintien du modèle agro-exportateur de la GĂ©nĂ©ration de 80, mais moyennant un ajustement de la rĂ©gulation Ă©conomique.
Dans la conviction que le camp radical, dépouillé désormais de la force qu’il tirait de l’exercice légitime du gouvernement et décapité par l’emprisonnement et le bannissement de ses principaux dirigeants, y compris de son máximo caudillo Marcelo Torcuato de Alvear, se trouvait en complète déliquescence, la dictature septembriste convoqua des élections dans la province de Buenos Aires pour le , dimanche de Pâques. Pourrait alors à la fois se mesurer le niveau de soutien populaire au projet révolutionnaire d’allure « fasciste » proposé par Uriburu, et s’évaluer la force du radicalisme. Les radicaux réussirent à surmonter les dissensions (logiques) entre yrigoyénistes et alvéaristes, qui avaient marqué les dernières années du radicalisme au pouvoir, et s’unirent sous la bannière du « binôme de compromis », lequel devança de plus de 30 000 voix le candidat du Parti conservateur de Buenos Aires, Antonio Santamarina. Cependant, comme l’élection du gouverneur et du vice-gouverneur de la province de Buenos Aires était « indirecte », le Collège électoral provincial devait encore se réunir, et aucun des partis ayant participé à la bataille électorale n’avait obtenu une majorité absolue des électeurs. La situation était ainsi propice à la décision du gouvernement dictatorial d’annuler le scrutin.
La situation économique cependant continuait de se détériorer et l’incertitude politique engendrée par la défaite du gouvernement dans la province de Buenos Aires s’accroissait. Malade et ne voyant aucune possibilité que son projet corporatiste fût jamais mis en œuvre, le président de facto Uriburu accepta de convoquer des élections générales pour l’année 1931. Plusieurs partis conservateurs de l’intérieur du pays se coalisèrent et, avec l’appui de nombreux radicaux antipersonnalistes, mirent en avant la candidature de Justo et nommèrent leur alliance politique la Concordancia. En conséquence, le radicalisme résolut de s’abstenir aux élections. Cette décision, conjuguée à l’institutionnalisation d’un mécanisme électoral policier dénommé « fraude patriotique », permit à Justo d’accéder à la présidence de la Nation.
Le radicalisme affrontera cette situation nouvelle de deux manières différentes. La première, à partir de 1931 et jusqu’à 1935, consistera à mener une opposition révolutionnaire et abstentionniste, la dénommée « abstention courte », la seconde, à participer aux élections, par décision de la direction alvéariste. Cette différence d’optique engendra une importante division au sein du parti, avec d’un côté le groupe officialiste, constitué d’Alvear et de ses partisans, et de l’autre, l’opposition interne composée du sabattinisme à Córdoba, du mouvement FORJA, puis, après la dissolution de ce groupement, du Mouvement rénovateur de la province Buenos Aires, qui à son tour donnera naissance au mouvement Intransigencia y Renovación.
Amadeo Sabattini s’attacha Ă prĂ©server comme signe distintif du radicalisme argentin l’empreinte populaire propre Ă l’yrigoyĂ©nisme et sut s’imposer comme prĂ©sident de l’UCR de CĂłrdoba le , grâce Ă l’appui de quelque dirigeants influents tels que AgustĂn GarzĂłn Agulla, Benito Soria, Ernesto Peña, Donato Latella FrĂas, JoaquĂn Manubens Calvet, Gabriel Oddone et Humberto Cabral. Toutefois, au niveau national, il vit ses appuis dans le parti s’effriter, d’abord en raison du soulèvement radical avortĂ© de et (dont de nouvelles Ă©lections frauduleuses avaient fourni l’étincelle), Ă la suite duquel il dut chercher refuge en Uruguay, et ensuite par la mort d’Yrigoyen en , qui faisait dĂ©sormais d’Alvear l’unique chef du radicalisme.
Électorat provincial et candidature au poste de gouverneur
Sous la direction d’Amadeo Sabattini, le radicalisme de Córdoba parvint à élargir sa base de soutien, qui était traditionnellement constituée, dans les centres urbains, par la classe moyenne issue de l’immigration et composée de petits commerçants, d’artisans, d’employés, de professions libérales, et plus particulièrement de travailleurs de la fonction publique, tant municipale et provinciale que nationale, tandis que le vote radical dans les campagnes était apporté par les ouvriers agricoles, les travailleurs saisonniers, les fonctionnaires municipaux, les petits propriétaires, les chômeurs et la population en sous-emploi, soit grosso modo la large fraction de la société restée exclue du modèle agro-exportateur ou tout le secteur anciennement lié au vieux fédéralisme. Sous Sabattini émergea également un nouvel électorat : les chacareros (fermiers) Italiens dans le sud et le centre de la province de Córdoba.
L’élection du 3 novembre 1935
Au lendemain du coup d’État de 1930, le gouvernorat de la province de CĂłrdoba passa aux mains de l’interventeur fĂ©dĂ©ral Carlos Ibarguren, mais sa personnalitĂ© et son nationalisme catholique Ă©taient cause de frictions et de confrontations permanentes avec les milieux libĂ©raux de la province, raison pour laquelle lui succĂ©dera sept mois plus tard au poste d’interventeur Enrique Torino, lequel dĂ©cida de convoquer des Ă©lections, remportĂ©es par la fĂłrmula (duo de candidats) du Parti dĂ©mocrate, savoir Emilio Felipe Olmos et Pedro JosĂ© FrĂas (mandature de 1932 Ă 1936). Le radicalisme, ayant vu ses candidatures frappĂ©es de vĂ©to, avait rĂ©solu de s’abstenir dans la province de CĂłrdoba.
Olmos mourut deux mois après son investiture, laissant la place au vice-gouverneur Pedro FrĂas, qui dirigera la province jusqu’à 1936. Selon l’historien Sergio Tejerina Carreras, son mandat se caractĂ©risa par une nette orientation progressiste, tĂ©moin les mesures prises par lui qui bĂ©nĂ©ficièrent Ă la frange la plus nombreuse de la population, par exemple une loi de taxation foncière favorable aux agriculteurs, car exonĂ©rant la petite et moyenne propriĂ©tĂ© rurale.
Le gouvernement de FrĂas, arrivĂ© près de la fin de son mandat, convoqua de nouvelles Ă©lections. En 1935, l’UCR avait dĂ©cidĂ© de suspendre l’abstention Ă©lectorale qu’elle avait maintenue jusque-lĂ en signe de protestation contre la pratique gĂ©nĂ©ralisĂ©e de la fraude Ă©lectorale. Dans ce cadre, Sabattini dĂ©missionna le de la prĂ©sidence du radicalisme pour pouvoir se porter prĂ©candidat au poste de gouverneur. MalgrĂ© les accusations de « communisme » lancĂ©es par ses adversaires dĂ©mocrates et par les radicaux alvĂ©aristes, il fut proclamĂ© prĂ©candidat au gouvernorat de la province de CĂłrdoba, en compagnie d’un autre jeune yrigoyĂ©niste, Alejandro Gallardo. Dans son discours du , il dĂ©clara :
« J’ai été et continue d’être yrigoyéniste, non au sens de la soumission inconditionnelle à la volonté d’un homme, mais parce que j’ai interprété Yrigoyen comme une pensée en marche, en faveur de la rédemption des classes laborieuses et nécessiteuses, et de la lutte éternelle contre le privilège. »
Au scrutin radical interne du , le binĂ´me Amadeo Sabattini/Alejandro Gallardo l’emporta devant la fĂłrmula AgustĂn GarzĂłn Agulla/Pablo J. RodrĂguez.
Quoique la loi Sáenz Peña de 1912 instituant le suffrage universel eĂ»t reprĂ©sentĂ© une avancĂ©e capitale, les mĹ“urs politiques dans la dĂ©cennie 1930 restaient entachĂ©es par la vĂ©nalitĂ© des votes, le vol des urnes, la mainmise sur les listes Ă©lectorales, l’enfermement des votants jusqu’à l’heure de les emmener voter, etc., pratiques habituelles qui se rĂ©pĂ©taient Ă©lection après Ă©lection. Les dirigeants du Parti dĂ©mocrate de CĂłrdoba cependant, qui avaient pleine confiance dans le prestige de l’œuvre gouvernementale d’Emilio Olmos et de Pedro FrĂas, mirent en avant pour gouverner la province le ministre des Finances JosĂ© Aguirre Cámara, excellent orateur, en duo avec l’ingĂ©nieur Luis Alonso comme candidat vice-gouverneur.
Le processus préélectoral fut irréprochable, et le scrutin du ne présenta pas de défaillances visibles dans les villes, toutefois il y eut quelques irrégularités dans les zones rurales qui contraignirent le tribunal électoral à annuler quelques scrutins et à convoquer des élections partielles, fixées pour le . Comme des élections municipales et communales avaient été organisées conjointement avec l’élection des autorités provinciales, l’examen des deux scrutins révéla qu’il y avait pléthore de voix radicales dans toutes les circonscriptions.
La victoire fut revendiquĂ©e par les deux camps opposĂ©s, en mĂŞme temps que l’épouvantail de la fraude Ă©lectorale ne cessait de hanter les esprits. Humberto Cabral, accompagnĂ© de Santiago Horacio del Castillo et d’AgustĂn GarzĂłn Agulla, dĂ©clara devant le juge Ă©lectoral qu’au siège du Pouvoir exĂ©cutif ou au domicile privĂ© du gouverneur de la province Ă©taient gardĂ©es des listes Ă©lectorales qui auraient Ă©tĂ© dĂ©robĂ©es par la police en vue d’être utilisĂ©es dans l’élection. Le magistrat ne donna pas suite Ă la rĂ©clamation, et les violences ne se firent pas attendre. Les dĂ©mocrates affrĂ©tèrent le fameux « train fantĂ´me », qui entrait Ă coups de feu dans les villages ayant donnĂ© la majoritĂ© aux radicaux lors de l’élection communale. Les radicaux de leur cĂ´tĂ© ne furent pas en reste et se dĂ©fendaient Ă coups de pistolet. Un dirigeant radical de Sacanta, Erasmo Ceballos Araya, fut touchĂ© par balle. Des radicaux armĂ©s s’en allaient « dĂ©fendre les scrutins » contre une prĂ©sumĂ©e tentative de manipulation des urnes par les conservateurs.
Une illustration de cette atmosphère Ă©chauffĂ©e est la violente fusillade qui Ă©clata Ă Plaza de Mercedes, petite localitĂ© du dĂ©partement de RĂo Primero, dans le nord de la province, et qui, dans la mĂŞme journĂ©e du , coĂ»ta la vie Ă deux dirigeants radicaux et Ă sept policiers. Pour couper court Ă une très possible fraude, le ComitĂ© provincial de l’UCR dĂ©pĂŞcha une dĂ©lĂ©gation armĂ©e, composĂ©e du champion de tir Carlos Moyano et de plusieurs dirigeants importants tels que Santiago del Castillo, Argentino Auchter, le parlementaire provincial Pedro Vivas et Agobar Anglada, entre autres. Vivas, qui alla au rendez-vous le fusil Ă la main, et Anglada pĂ©rirent dans la fusillade et seront hissĂ©s au rang de martyrs du radicalisme de CĂłrdoba. Le dĂ©compte des voix, commencĂ© le , donnera la victoire Ă l’Union civique radicale, quoiqu’avec une marge fort Ă©troite — 5 800 voix d’écart seulement.
La politique de Sabattini comme gouverneur
Plusieurs historiens soulignent qu’Amadeo Sabattini dut prendre en charge la province de CĂłrdoba dans des conditions extrĂŞmement pĂ©nibles sur les plans politique, Ă©conomique et social, telles qu’il les trouva Ă l’issue du mandat du dĂ©mocrate Pedro FrĂas.
Dans le but d’assainir la situation de sa province, Sabattini, Ă la tĂŞte du gouvernement de CĂłrdoba, impulsa une politique d’industrialisation qui transformera en profondeur le profil productif de la province de CĂłrdoba et en fera au fil du temps l’un des grands pĂ´les industriels de l’Argentine, et ce essentiellement par le biais d’un vaste programme de construction de centrales hydroĂ©lectriques (La Viña, San Roque, Cruz del Eje, Los Alazanes, RĂo Tercero) et d’usines militaires d’armement (RĂo Tercero, Villa MarĂa, San Francisco)[2].
Sabattini figura, au cours de cette dĂ©cennie, comme un chef de file de la tendance yrigoyĂ©niste, avec de nettes propensions populaires et nationalistes, qui le diffĂ©renciaient notablement de la ligne conservatrice unioniste, alors prĂ©dominante au sein du radicalisme et incarnĂ©e par Marcelo T. de Alvear. Son orientation pluraliste et dĂ©mocratique se reflĂ©ta dans la composition de son cabinet ministĂ©riel : il dĂ©signa en effet pour son ministre des Finances le Dr AgustĂn GarzĂłn Agulla, nomma Santiago de Castillo au ministère de Gouvernement, plaça Ă la tĂŞte du dĂ©partement des Travaux publics l’ingĂ©nieur Medina Allende, et dĂ©cida de garder Ă la direction de la Cour des comptes les deux conservateurs, de sorte que le contrĂ´le des fonds publics fĂ»t une responsabilitĂ© partagĂ©e[3].
Son œuvre administrative fut reconnue par non seulement par des observateurs indépendants, mais aussi par ses adversaires politiques eux-mêmes. En plus d’instaurer une démocratie pleine et entière, il fut à l’origine d’un projet de loi réglementant l’organisation et le fonctionnement des partis politiques dans sa province, à l’effet de consolider le système parlementaire et de garantir le suffrage populaire[4].
Sa gestion des affaires de la province était guidée par son principal mot d’ordre, savoir : « De l’eau pour le nord, des routes pour le sud ». Ainsi créa-t-il la Direction provinciale d’hydraulique et lança-t-il un programme de construction de barrages, pour produire l’énergie électrique nécessaire à l’industrialisation de la province. Il fera d’autre part de l’aménagement d’un réseau de routes provinciales asphaltées l’une de ses priorités[4]. Pendant les quatre années de son gouvernement, la province connut le plus haut taux de croissance de son histoire[5].
Dans le domaine de l’enseignement public, Sabattini inaugura 173 nouvelles écoles, la plupart du reste d’une architecture monumentale, et d’autres établissements spécialisés, tels que l’école de céramique et l’école de chant. Il accrut le nombre d’enseignants à 651, tout en augmentant de 50% leur rémunération. Dans le même temps furent créées des garderies, des cantines scolaires et des colonies de vacances, comme autant de parties intégrantes de son ample politique sociale[4].
Dans le domaine du travail, il élargit les compétences et les pouvoirs d’intervention du Département provincial du travail, de sorte que celui-ci pût notamment veiller au respect des accords de conciliation et des arbitrages dans les conflits sociaux, et s’efforça d’obtenir des augmentations de salaire pour les travailleurs. Son gouvernement s’attacha à faire respecter les droits et initiatives du mouvement ouvrier, en particulier en faisant obstacle aux actions de la Légion civique argentine et d’autres groupes anti-démocratiques, et en mettant pleinement en vigueur les libertés publiques[6]. Il accorda une attention spéciale au domaine de la santé publique, faisant bâtir des hôpitaux, des dispensaires et des foyers pour mineurs et pour mères célibataires[4].
La politique menée par Sabattini fut le reflet fidèle de sa personnalité, en tant que médecin, homme politique et être humain, et son univers idéologique, éloigné autant des superstitions populaires que des préjugés institutionnels, conjuguait État-providence et libéralisme culturel. L’historien César Tcach Abad décrit la politique sanitaire et sociale de Sabattini comme procédant directement de sa vision libérale, opposée à l’Église.
« Sabattini […], en opposition aux positions de l’Église catholique – appliquée à condamner moralement les relations prématrimoniales, et les jeunes pécheresses –, mit en œuvre une politique par laquelle l’État provincial lui-même devenait le défenseur matériel et moral des mères célibataires. Il créa le Foyer des mères mineures et fit construire un bâtiment destiné à l’accueillir. Des filles mineures d’âge et des mères célibataires y trouvaient ainsi protection auprès de l’État. Parallèlement, le gouvernement provincial multiplia les jardins d’enfants (il y en avait 17 en 1942) et prodigua une assistance médicale gratuite aux enfants des cités ouvrières[7]. »
Dans son discours d’adieu en 1940, Sabattini évoqua les maux dont il avait pu, au cours de ses quatre années d’expérience du pouvoir dans le territoire sous sa tutelle, constater la persistance : l’alcoolisme, l’addiction aux jeux d’argent (cartes à jouer, dés et astragales), l’analphabétisme et l’avortement, ce dernier corrélé à l’exercice illégal de la médecine avec ses terribles résultats[7].
Dans le domaine du tourisme, il créa, par la loi no 3782 relative au tourisme, la Commission officielle de tourisme.
Se penchant également sur la situation dans les campagnes, Sabattini se porta au secours des agriculteurs en proie aux grandes sécheresses et stimula le développement de la culture du coton et des olives. D’autre part, les agriculteurs seront les bénéficiaires du vote des lois no 3790 sur les droits de succession et no 3787 portant imposition proportionnelle progressive de la terre. Par ces mesures fiscales, l’on se proposait de mettre fin aux grandes propriétés terriennes ; cependant, les secteurs lésés par ces lois obtinrent que la Cour suprême de la Nation les déclarât inconstitutionnelles[6].
Sabattini était reconnu pour sa probité, et il n’était jusqu’au général Perón lui-même qui n’essuya un refus quand il essaya de le convaincre en 1945 de former avec lui un binôme (fórmula) présidentiel, refus que Sabattini justifia ainsi :
« Je suis si humble que je n’ai pas de prix. Ceux qui gouvernent l’Argentine s’entourent de personnes qui n’hésiteraient pas à vendre la souveraineté, comme aux pires temps de l’oligarchie, et avec l’argent qui leur reste tenteront d’acheter les hommes qui se vendent. Moi, je ne suis pas de ceux-là …[5] »
Péronisme et années post-1955
Au terme de son mandat de gouverneur de CĂłrdoba, Sabattini se retira dĂ©finitivement dans sa modeste maison de Villa MarĂa, oĂą il acquit une rĂ©putation d’austĂ©ritĂ© et tenait une conduite irrĂ©prochable[8]. En 1940, alors que lui-mĂŞme n’était pas rĂ©Ă©ligible aux termes de la constitution provinciale, son parti, l’UCR, fut reconduit au pouvoir Ă CĂłrdoba, par l’élection au poste de gouverneur de Santiago Horacio del Castillo. En effet, les rĂ©formes Ă©lectorales et judiciaires de Sabattini, en plus des rĂ©ticences des conservateurs de la province de CĂłrdoba Ă recourir une nouvelle fois au système de la « fraude patriotique », empĂŞchèrent le parti national au pouvoir, la Concordancia, de s’emparer du gouvernorat.
Lors de l’ascension du péronisme entre 1943 et 1945, Sabattini appuya la plupart des réformes sociales adoptées par le secrétaire au Travail Juan Perón et sut au début entretenir une relative proximité avec Perón, lequel alla jusqu’à lui proposer d’être son candidat à la vice-présidence de la Nation, dans la perspective des élections de , offre que Sabattini préféra décliner. Sabattini s’opposa à l’alliance anti-péroniste incarnée alors par la Union démocratique et se rallia au Movimiento de Intransigencia y Renovación fondé en 1945, en se réclamant de l’yrigoyénisme et en proposant un programme social-démocrate en opposition à l’unionisme. Au sein de l’Intransigeance, Sabattini représentait un courant autonome appelé la ligne Córdoba.
Vers 1952, après que Perón, cédant de plus en plus à la tentation autocratique, eut fait saisir un certain nombre de journaux critiques et mis en détention plusieurs opposants de premier plan, il conclut une alliance pragmatique avec d’autres groupes d’opposition. Dans les dernières années du gouvernement péroniste (1952-1955), Sabbatini adopta une position abstentionniste, au contraire de la majorité des intransigeants, avec à leur tête Arturo Frondizi.
Une fois survenu le coup d’État de septembre 1955 qui renversa PerĂłn, et face Ă la fracture de l’UCR en 1956, Sabattini fit alliance avec les groupes les plus conservateurs de l’unionisme et du balbinisme, pour former l’Union civique radicale du peuple (UniĂłn CĂvica Radical del Pueblo), laquelle fut battue par Arturo Frondizi, chef de l’UCRI, fraction issue de la mĂŞme scission (I pour intransigeant), après que PerĂłn depuis son exil eut apportĂ© son appui Ă Frondizi en vue des Ă©lections de .
AppelĂ© familièrement « Don Amadeo » ou « Petit Tatou » (Peludo Chico, par opposition Ă Peludo Mayor, surnom d’Yrigoyen), vivant dans la solitude et passablement dĂ©sargentĂ©, Sabattini s’éteignit Ă Villa MarĂa en 1960, Ă l’âge de 67 ans.
RĂ©sultats du scrutin de novembre 1935
Tableau des résultats électoraux, en nombre et en pourcentage de voix, de l’élection pour le poste de gouverneur et de vice-gouverneur de Córdoba du .
BinĂ´me | Parti/Alliance | Voix | Pourcentage |
---|---|---|---|
Amadeo Sabattini - Alejandro Gallardo | Union civique radicale | 109.867 | 50,06% |
José Aguirre Cámara - Alfredo J. Alonso | Parti démocrate de Córdoba | 104.067 | 47,42% |
Arturo Orgaz - Juan C. Pressacco | Parti socialiste | 3.596 | 1,63% |
Remo Copello - .... | Parti agraire | 1.794 | 0,81% |
Ernesto Echevarria - .... | Union civique radicale antipersonnaliste | 116 | 0,05% |
Bibliographie
- Efrain U. Bischoff, Historia de CĂłrdoba, Buenos Aires, Plus Ultra,
- FĂ©lix Luna, El 45, Buenos Aires, Sudamericana, (ISBN 84-499-7474-7)
- FĂ©lix Luna, Yrigoyen, Buenos Aires, Desarrollo,
- Maria Soledad Cosio, Córdoba: una excepción de la década infâme, IVe Jornadas de Historia de Córdoba, éd. Junta Provincial de Historia de Córdoba, 2002.
- Ignacio Tejerina Carreras, Córdoba y la llamada década infame, Cuadernos de historia no 47, éd. Junta Provincial de Historia de Córdoba, 1994.
- Roberto A. Ferrero, Breve Historia de CĂłrdoba (1528-1995), Editorial AlciĂłn, 1999.
- CĂ©sar Tchach Abad, Un radicalismo exitoso en la Argentina de los treinta. El caso del sabattinismo cordobĂ©s, CONICET/UniversitĂ© nationale de CĂłrdoba, BoletĂn Americanista, annĂ©e LVII, no 57, Barcelone, 2007, p. 133-156. (ISSN 0520-4100).
Notes et références
- Luna (1964), p. 279
- Bischoff (1977), p. 447-464.
- Ferrero 1995, p. 139.
- Ferrero 1995, p. 140.
- (es) Marcelo Barotto, « Amadeo Sabattini, el gran hacedor… », El Regional,‎ (lire en ligne).
- Ferrero 1995, p. 141.
- (es) César Tcach, « Amadeo Sabattini: aborto y cultura », La Voz, Córdoba,‎ (lire en ligne, consulté le )
- Amadeo Sabattini: orientador de conductas cĂvicas