Alliance libératrice nationaliste
LâAlliance libĂ©ratrice nationaliste (en espagnol Alianza Libertadora Nacionalista, en abrĂ©gĂ© ALN) Ă©tait un groupement politique argentin, fondĂ© dâabord comme branche de jeunesse de la LĂ©gion civique argentine, milice fasciste crĂ©Ă©e par Uriburu en 1931, puis, aprĂšs sa rĂ©organisation en 1937 sous lâimpulsion de Juan QueraltĂł (qui en assumera la prĂ©sidence jusquâen 1953), comme un mouvement autonome, sous la dĂ©nomination dâAlianza de la Juventud Nacionalista, rebaptisĂ© ensuite Alliance libĂ©ratrice nationaliste en 1943. LâAJN devint lâorganisation dâextrĂȘme droite la plus importante de la dĂ©cennie 1930, sans jamais toutefois atteindre une masse critique ni jouir dâun grand ascendant intellectuel dans la sociĂ©tĂ© argentine.
Alliance libératrice nationaliste Alianza Libertadora Nacionalista | |
Présentation | |
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PrĂ©sident | Juan QueraltĂł (jusquâen 1953) ; Guillermo Patricio Kelly (1953-1955) ; de nouveau QueraltĂł Ă partir de 1973 |
Fondation | Mai 1931, comme excroissance de la LĂ©gion civique argentine ; septembre 1937, comme mouvement autonome dâabord nommĂ© Alianza de la Juventud Nacionalista |
SiĂšge | Calle San MartĂn 392, Buenos Aires (Argentine) |
Positionnement | ExtrĂȘme droite |
Idéologie | Fascisme Ultranationalisme Antisémitisme Corporatisme Droite catholique Populisme (ouvriérisme) Anti-impérialisme Militarisme |
Adhérents | 11 000 (à son apogée) |
De ses antĂ©cĂ©dents de milice fasciste, lâALN gardera non seulement les formes (organisation militaire, salut romain, accoutrement fasciste), mais aussi le mode dâaction (violence de rue, volontĂ© dâen dĂ©coudre avec lâadversaire « lĂ oĂč il se trouve ») et lâidĂ©ologie (corporatisme, nationalisme exacerbĂ©, antisĂ©mitisme virulent, anticommunisme, catholicisme tranditionaliste). Cependant, pour faire piĂšce Ă la gauche socialiste et recruter dans les classes laborieuses, le mouvement (du moins sa fraction populiste et ouvriĂ©riste) tentera un rapprochement avec la classe ouvriĂšre, Ă la suite de quoi le mouvement comprendra outre une majoritĂ© de personnes issues des classes moyennes et supĂ©rieures, Ă©galement quelques travailleurs. Avec lâavĂšnement du pĂ©ronisme au milieu des annĂ©es 1940, une grande partie des militants (en particulier la mouvance nationaliste de gauche) se rallia progressivement Ă PerĂłn â ce qui nâempĂȘchera pas lâALN de prĂ©senter ses propres listes aux Ă©lections de 1946, avec du reste de trĂšs maigres rĂ©sultats â, tandis que la fraction nationaliste intransigeante faisait sĂ©cession, en particulier Ă la suite de la dĂ©claration de guerre contre les puissances de lâAxe signĂ©e par PerĂłn en .
Par la suite, lâALN dĂ©sormais fidĂšle Ă PerĂłn, totalement alignĂ©e et muselĂ©e, sera de plus en plus (en dĂ©pit de la prĂ©sence dans ses rangs de quelques intellectuels et malgrĂ© la revue Alianza que le mouvement continua de publier) ravalĂ©e au rĂŽle de troupe de choc, commettant des violences contre lâopposition anti-pĂ©roniste, contre les intĂ©rĂȘts juifs et contre les universitĂ©s, sous de vĂ©hĂ©ments mots dâordre dâextrĂȘme droite, exactions dont lâampleur ne sâaffaiblira quâĂ peine aprĂšs lâarrivĂ©e Ă la tĂȘte du mouvement, Ă la faveur dâun coup de force en 1953, du nouveau prĂ©sident Kelly, qui sut du moins mettre les fureurs antisĂ©mites sous le boisseau. AprĂšs le coup dâĂtat de septembre 1955 qui renversa PerĂłn, le mouvement nâeut plus, dans les annĂ©es qui suivirent, quâun rĂŽle politique et une influence idĂ©ologique mal dĂ©finis, et ne ressurgira en tant que tel quâen 1973, avec le retour dâexil de PerĂłn, pour finalement sâinsĂ©rer dans cette constellation de groupuscules violents de droite qui sâĂ©taient donnĂ© pour tĂąche de combattre, sous le troisiĂšme mandat de PerĂłn, le pĂ©ronisme de gauche ou la gauche tout court.
Histoire
Fondation et DĂ©cennie infĂąme
Les dĂ©buts de lâAlliance libĂ©ratrice nationaliste (ALN) Ă proprement parler remontent Ă , quand Juan QueraltĂł, alors prĂ©sident de lâUnion nationaliste des Ă©tudiants du secondaire (UniĂłn Nacionalista de Estudiantes Secundarios, UNES), proposa dâunifier la jeunesse nationaliste argentine dans une nouvelle organisation appelĂ©e Alliance de la jeunesse nationaliste (Alianza de la Juventud Nacionalista, AJN), crĂ©Ă©e formellement en [1]. Jusque-lĂ , lâUNES avait fait partie du groupement nationaliste LegiĂłn CĂvica Argentina (LCA), en tant que sa branche Ă©tudiante ; la LCA, crĂ©Ă©e au dĂ©but de la dĂ©cennie 1930 par le prĂ©sident argentin, le gĂ©nĂ©ral JosĂ© FĂ©lix Uriburu, sous le motif officiel de servir de rĂ©serve (de recrutement) Ă lâusage des forces armĂ©es argentines[2], fut reconnue comme entitĂ© politique le et dotĂ©e de la personnalitĂ© juridique le [3] ; la LĂ©gion, dont les membres Ă©taient autorisĂ©s Ă recevoir une formation militaire[2] et qui sera la plus grande organisation nationaliste en Argentine au dĂ©but des annĂ©es 1930[4], proclamait ĂȘtre composĂ©e dâ« hommes patriotiques » incarnant « lâesprit de la RĂ©volution de septembre [1930] et prĂȘts, moralement et matĂ©riellement, Ă coopĂ©rer Ă la reconstruction institutionnelle du pays »[5]. Cependant, la LCA pĂ©riclita dans les annĂ©es qui suivirent, et le mouvement nationaliste traversait une profonde crise ; lâAJN fut alors crĂ©Ă©e dans une tentative de regrouper les forces du nationalisme sous une nouvelle stratĂ©gie. Peu aprĂšs, lâAJN se dĂ©composa en trois branches, une pour les Ă©lĂšves du secondaire, une autre rĂ©servĂ©e aux Ă©tudiants dâuniversitĂ©, et une troisiĂšme destinĂ©e Ă accueillir ceux qui nâĂ©taient pas Ă©tudiant ou qui avaient dĂ©jĂ obtenu leur diplĂŽme[6]. Dans ses commencements, lâAlliance Ă©tait essentiellement un groupement de jeunesse â QueraltĂł, ĂągĂ© alors de 25 ans, avait Ă ses cĂŽtĂ©s Alberto Bernaudo, ĂągĂ© de 20 ans Ă peine â, mais bientĂŽt de nombreux nationalistes plus mĂ»rs, tels quâAlfredo Taruella, RamĂłn Doll, JordĂĄn Bruno Genta, TeĂłtimo Otero Oliva, le colonel Natalio Mascarello et Bonifacio Lastra, viendront sây joindre. Y adhĂ©rĂšrent Ă©galement des militants qui plusieurs annĂ©es plus tard allaient se rapprocher du pĂ©ronisme de gauche, comme Rodolfo Walsh (qui cependant rĂ©pudiera bientĂŽt son appartenance), Jorge Ricardo Masetti, Rogelio GarcĂa Lupo et Oscar Bidegain[7] - [8] - [9].
Années 1940 et Révolution de 43
LâALN, qui rĂ©crutait principalement dans la jeunesse, se dĂ©veloppa en un important groupe nationaliste et pouvait sâenorgueillir de compter, au seuil de la dĂ©cennie 1940, quelque 11 000 membres, dont 3 000 environ de femmes, selon les dires mĂȘmes de lâorganisation. En , une scission eut lieu dans lâAlliance, un groupe dirigĂ© par Emilio Gutierrez Herrero faisant alors sĂ©cession pour fonder lâUniĂłn CĂvica Nacionalista. En , dans le sillage du coup dâĂtat militaire dit RĂ©volution de 1943, et sous lâimpulsion de lâingĂ©nieur Carlos Burundarena â futur professeur Ă lâuniversitĂ© de Buenos Aires, trĂšs liĂ© Ă lâĂglise catholique argentine, et qui sera plus tard lâun des protagonistes de lâautodĂ©nommĂ©e RĂ©volution libĂ©ratrice qui renversa Juan PerĂłn par un coup dâĂtat en septembre 1955[10] - [11] â lâAJN changea sa dĂ©nomination en Alianza Libertadora Nacionalista[12] - [13].
Le coup dâĂtat militaire de 1943 contre le prĂ©sident Castillo, lâun des symboles du prĂ©cĂ©dent rĂ©gime conservateur marquĂ© par la pratique de la fraude Ă©lectorale Ă grande Ă©chelle et entrĂ© dans lâhistoire sous le nom de DĂ©cennie infĂąme, fut favorablement accueilli dans les rangs nationalistes. Cela sâexplique par les positions vigoureusement anticommunistes et pro-catholiques des putschistes ainsi que par leur positionnement en faveur de la neutralitĂ© de lâArgentine dans la DeuxiĂšme Guerre mondiale. Toutefois, au fil des mois, les espoirs mis par les groupes nationalistes dans le nouveau gouvernement allaient sâĂ©vanouir. Le , le nouveau prĂ©sident de facto RamĂrez dĂ©crĂ©ta la dissolution des partis politiques, mais aussi, le , celle de toutes les organisations nationalistes, dans la perspective de lâimminente suspension de la neutralitĂ© argentine et de la rupture des relations diplomatiques avec lâAllemagne â toutes dispositions qui suscitĂšrent chez les nationalistes un rejet immĂ©diat et des rĂ©actions virulentes[14]. Le gouvernement riposta en mettant en dĂ©tention des centaines dâalliancistes, qui eurent Ă subir brimades et coups de la part de la police. QueraltĂł lui-mĂȘme fut apprĂ©hendĂ©, torturĂ© Ă la gĂ©gĂšne et incarcĂ©rĂ© Ă RĂo Gallegos, en Patagonie. Entre et , lâAlliance libĂ©ratrice nationaliste, face Ă lâinterdiction qui lui fut faite de tenir des manifestations publiques, dut agir derriĂšre le masque dâun centre culturel et dâune bibliothĂšque pour se dĂ©rober Ă la rĂ©pression gouvernementale[15].
La dĂ©claration de guerre Ă lâAllemagne et au Japon, finalement signĂ©e par PerĂłn en , dĂ©clencha le courroux des alliancistes, courroux qui trouva Ă sâextĂ©rioriser dans des centaines dâaffiches et de graffitis Ă©nonçant « Mort Ă PerĂłn » (Muera PerĂłn), « PerĂłn est un traĂźtre » (PerĂłn es un traidor) et « la Guerre est une trahison » (La guerra es traiciĂłn), Ă quoi le gouvernement rĂ©pliqua en ordonnant la fermeture pour six mois du journal de lâAlianza. En septembre de la mĂȘme annĂ©e, la justice fĂ©dĂ©rale lança un mandat de perquisition dans les locaux de lâALN et procĂ©da Ă de nombreuses arrestations ; une vingtaine de jours plus tard, la plupart des dĂ©tenus Ă©taient cependant remis en libertĂ©, Ă lâexception de QueraltĂł, de Bernaudo et de Palenque Carreras, qui furent maintenus en dĂ©tention prĂ©ventive pendant trois mois pour constitution dâassociation illicite.
Cette affaire rĂ©glĂ©e, PerĂłn, en quĂȘte dâappuis, put se vouer Ă sa politique de rapprochement avec les travaillistes et avec les radicaux du mouvement FORJA. Ces tractations de PerĂłn mirent lâAlliance libĂ©ratrice nationaliste Ă la croisĂ©e des chemins : en effet, pendant que, dâune part, les alliancistes jugeaient inacceptables les rĂ©centes mesures du gouvernement, ils voyaient, dâautre part, avec une certaine prĂ©occupation la mise en place dâun front dâopposition, lâUnion dĂ©mocratique, composĂ©e de radicaux, de conservateurs, de socialistes et de communistes, câest-Ă -dire des ennemis traditionnels de lâALN, laquelle, si ceux-ci devaient parvenir au pouvoir, risquait de se retrouver dans une situation plus difficile encore â de sorte que, quand, le , les fractions constitutives de lâUnion dĂ©mocratique sortirent dans la rue pour exiger la dĂ©mission de Farrel et le dĂ©fĂšrement du gouvernement devant la Cour suprĂȘme de justice, lâALN et dâautres factions nationalistes manifestĂšrent Ă leur tour en appui Ă ce mĂȘme gouvernement. AprĂšs que PerĂłn, Ă la suite de ces Ă©vĂ©nements et dâune subsĂ©quente rĂ©volution de palais conservatrice, eut Ă©tĂ© apprĂ©hendĂ© et emprisonnĂ© sur lâĂźle MartĂn GarcĂa, la mobilisation ouvriĂšre du 17 octobre, si elle trouva QueraltĂł et les chefs de file de lâAlianza encore retenus dans la prison de Devoto, verra cependant le reste des militants allianciste participer Ă la manifestation de masse sur la place de Mai pour rĂ©clamer la libĂ©ration de PerĂłn[16].
LâALN aura, dans les mois qui suivront, une part active dans la campagne Ă©lectorale, menant notamment des actions violentes contre des groupes juifs et communistes, et remplissant plusieurs fois le rĂŽle de groupe de choc contre les opposants au pĂ©ronisme. Du reste, cette propension aux affrontements de rue Ă©tait une caractĂ©ristique distinctive de lâALN, ainsi que le reconnut son dirigeant Guillermo Patricio Kelly, dans un entretien avec le journaliste Horacio De Dios :
« Il y avait un rassemblement trĂšs important du radicalisme sur la place dâItalie, avec plus de 5 000 personnes, et nous sommes allĂ©s le casser. Les communistes protĂ©geaient le rassemblement. Ils Ă©taient le groupe de choc de lâopposition. Nous nâĂ©tions pas plus de cent nationalistes, et quand une allusion fut faite Ă Evita (qui pour moi possĂ©dait un instinct gĂ©nial, câĂ©tait le cĂŽtĂ© authentique, le seul rĂ©ellement rĂ©volutionnaire du pĂ©ronisme), nous avons lancĂ© des pĂ©tards, qui nâont tuĂ© personne (ils ne faisaient que du boucan), nous avons provoquĂ© un branle-bas, et dispersĂ© les gens[17]. »
Sous le premier péronisme
Voici, en face de nous, lâAlianza. Je me suis moi-mĂȘme trouvĂ© dans ce bĂątiment, en 1944, peut-ĂȘtre aussi en 1945. LâAlianza fut la meilleure crĂ©ation du nazisme en Argentine. Aujourdâhui, il me paraĂźt hors de doute que ses dirgeants Ă©taient Ă la solde de lâambassade dâAllemagne. Son chef Ă©tait un individu sans qualitĂ©, sans charisme, probablement sans courage, quoique cela nâait fini par transparaĂźtre que plus tard. Il sâappelait QueraltĂł, et nous le surnommions le petiot. Il mesurait peut-ĂȘtre un mĂštre soixante, et apparaissait un tantinet comique dans ses fureurs nationalistes. Un type simpliste, remĂącheur de slogans, violent, sans grandeur ni finesse dâaucune sorte. Cependant, lâAlianza incarna lâexagĂ©ration dâun sentiment lĂ©gitime, qui bascula massivement dans la pĂ©ronisme. |
Rodolfo Walsh[18] |
Aux Ă©lections de 1946, qui verront la victoire du candidat Juan PerĂłn Ă la prĂ©sidence de lâĂtat argentin, lâAlliance libĂ©ratrice nationaliste, bien quâĂ©tant le plus important des mouvements nationalistes, nâobtint quâune trentaine de milliers de voix dans les quelques rares circonscriptions oĂč elle prĂ©sentait des candidats[19] - [20]. En effet, nonobstant que lâALN reconnĂ»t PerĂłn comme son chef symbolique et quâelle appuyĂąt sa campagne prĂ©sidentielle, elle sâobstina Ă se prĂ©senter aux Ă©lections avec ses propres candidats. Quelques-uns de ceux-ci Ă©taient candidats pour le sĂ©nat : un haut gradĂ© de la marine Ă la retraite, ancien ministre sous Ortiz, LeĂłn Scasso, et le mĂ©decin nationaliste et doyen de la facultĂ© de mĂ©decine de lâuniversitĂ© de La Plata, Frank Soler ; pour les siĂšges au parlement concoururent : Juan QueraltĂł, le prĂȘtre et Ă©crivain Leonardo Castellani, Bonifacio Lastra, Alberto Bernaudo, Arturo Palenque Carreras, Carlos Ibarguren et JosĂ© MarĂa Rosa, parmi dâautres. Les rĂ©sultats ne seront guĂšre encourageants, le nombre de voix obtenus par les candidats dans les quatre circonscriptions oĂč ils avaient Ă©tĂ© en lice â 4 % des voix, et moins de 1 % dans la province de Buenos Aires â Ă©tant loin de suffire pour remporter un seul siĂšge au CongrĂšs. Sâajoutant Ă cette dĂ©bĂącle Ă©lectorale, de nombreux militants se dĂ©tournĂšrent de lâAlliance, en raison de son indĂ©cision quant Ă sa relation avec le nouveau gouvernement. QueraltĂł, sâefforçant de maintenir le mouvement Ă flot sans toutefois renoncer Ă son autonomie, occupait une position fort incommode, accusĂ©, dâun cĂŽtĂ©, de complaisance par ceux qui sâopposaient Ă PerĂłn sur des critĂšres nationalistes, et critiquĂ©, de lâautre, par ceux qui soutenaient le gĂ©nĂ©ral PerĂłn et voulaient un alignement inconditionnel de lâALN sur la ligne pĂ©roniste[20]. Certaines fractions, convaincues par PerĂłn, iront jusquâĂ rallier tout de bon le pĂ©ronisme, sans pour autant renier leur allĂ©geance Ă lâAlianza ; dans la province de Buenos Aires, lâon vit mĂȘme des fractions alliancistes participer, certes par le biais dâun propre courant, aux Ă©lections internes du Parti justicialiste â ce fut le cas de Jorge Ălvarez Ceballos et de VĂctor Asprella[21].
Au lendemain de lâĂ©lection de 1946, lâALN se retrouva bientĂŽt rĂ©duit Ă un simple groupe de choc, une façon de milice dirigĂ©e contre le communisme et lâopposition en gĂ©nĂ©ral, mais avec une faible capacitĂ© dâinfluer sur le dĂ©bat public, et finit par renoncer Ă toutes ses activitĂ©s de formation idĂ©ologique, Ă celles de propagande et de diffusion, et presque Ă toutes celles ne relevant pas du combat de rue[21] - [22]. Ainsi des membres de lâALN attaquĂšrent-ils le siĂšge de plusieurs journaux libĂ©raux et de gauche, dont notamment La Hora, lâorgane du Parti communiste, ainsi quâun bar dans le centre de Buenos Aires, au motif quâil Ă©tait frĂ©quentĂ© par des rĂ©fugiĂ©s rĂ©publicains espagnols[19].
Dans les mois suivant les Ă©lections, lâALN et PerĂłn continueront Ă entretenir des rapports assez bons, jusquâau premier conflit, qui se produisit en 1947, Ă lâoccasion de lâapprobation de lâacte de Chapultepec, qui motiva les aliancistes Ă investir les rues de Buenos Aires, dĂ©clenchant en retour une violente rĂ©pression avec plus de 200 arrestations. Il sâagit sans doute lĂ du dernier acte dâautonomie de lâALN ; par la suite, lâattitude de subordination des alliancistes au gouvernement ne cessera de se renforcer[23].
La fraction UNES, branche Ă©tudiante de lâAlianza, sâĂ©tiola de plus en plus au fil des annĂ©es. Ses activitĂ©s furent proscrites des Ă©tablissements secondaires, le pĂ©ronisme nâadmettant dĂ©sormais lâexistence que de lâUniĂłn de Estudiantes Secundarios, pensĂ©e, soutenue et contrĂŽlĂ©e par le gouvernement. En 1949, lâUNES, dirigĂ©e alors par Luis Demharter, finit par se sĂ©parer de lâAlianza pour former un groupe nationaliste Ă part, qui se donna pour nom le titre de la revue que lâorganisation Ă©ditait, Tacuara[24].
Le statut de groupe parapolicier, la prĂ©dilection pour lâaction de rue violente, resteront des traits constants de lâALN, au mĂȘme titre que sa forte empreinte anticommuniste et antisĂ©mite. L'historienne Mariela Rubinzal note :
« Les actes de violence Ă©taient perpĂ©trĂ©s dans les manifestations, lors des rassemblements du 1er Mai, dans les quartiers oĂč habitait une proportion importante de membres de la communautĂ© juive, dans les siĂšges des journaux et chez les syndicats de gauche, dans les cinĂ©mas, etc. La « conquĂȘte des rues » fut une consigne souvent rĂ©pĂ©tĂ©e dans le nationalisme des annĂ©es trente[25]. »
De fait, lâascension de PerĂłn signifia le dĂ©clin du nationalisme de droite ; comme le signale lâhistorien Richard Walter, « avec PerĂłn au gouvernement, plusieurs publications nationalistes cessĂšrent de circuler, et beaucoup de groupes soit se rĂ©signĂšrent Ă la dissolution, soit se bornaient Ă ne plus tenir de rĂ©unions que sporadiquement »[26]. La derniĂšre publication nationaliste Ă maintenir la ligne politique prĂ©valant avant lâarrivĂ©e de PerĂłn au pouvoir fut la revue BalcĂłn, qui commença Ă paraĂźtre en et Ă laquelle contribuaient Julio Meinvielle, Mario Amadeo, MatĂas SĂĄnchez Sorondo, Federico Ibarguren et MĂĄximo Etchecopar, tous sâidentifiant clairement au nationalisme traditionaliste[27].
Cependant, 1949 sera lâannĂ©e la plus difficile pour lâAlliance, Ă cause des tentatives insistantes entreprises par le gouvernement pour la pĂ©roniser, tentatives qui seront Ă lâorigine dâun grand nombre de scissions. Ainsi Carlos Burandarena et RaĂșl PuigbĂł dĂ©cidĂšrent-ils unilatĂ©ralement de crĂ©er le Mouvement syndical nationaliste, tandis que Hugo Marcone et dâautres militants fondaient le Mouvement nationaliste. La figure de QueraltĂł Ă©tait Ă ce moment fortement contestĂ©e, Ă telle enseigne que plusieurs filiales du mouvement dans la province de Buenos Aires avaient commencĂ© Ă agir avec une totale autonomie vis-Ă -vis de la direction centrale[27].
En 1951, dans le sillage du coup dâĂtat avortĂ© du gĂ©nĂ©ral BenjamĂn MenĂ©ndez, le gouvernement accentua la rĂ©pression, dĂ©clara lâ« Ă©tat de guerre interne » et mit sous Ă©troite surveillance les organisations nationalistes, entre autres. Dans un tel contexte, la revue Alianza se gardait dĂ©sormais de formuler la moindre critique contre le gouvernement pĂ©roniste, tout en continuant ses invectives Ă lâencontre de lâ« oligarchie libĂ©rale, juive et communiste »[27]. En 1953, lâALN fustigea le journal La Prensa pour avoir publiĂ© un trop grand nombre dâarticles rĂ©digĂ©s par des Juifs[28].
Ă ce moment, lâAlianza avait atteint son plus bas niveau de militantisme et dâaffiliation ; les permanences fermaient lâune aprĂšs lâautre et beaucoup de militants retournaient Ă leurs foyers. Il advint mĂȘme que des affiliĂ©s coupables de sâĂȘtre Ă©cartĂ©s de lâorientation justicialiste fussent expulsĂ©s. Ă lâinverse, en 1951, eut lieu le retour Ă lâALN de Guillermo Patricio Kelly, ancien militant exclu en 1946 en raison de son comportement dĂ©lictueux[27].
Putsch au sein du mouvement et prise de pouvoir par Kelly
Le , Ă la suite de lâattentat meurtrier qui avait visĂ© la foule rĂ©unie sur la place de Mai Ă Buenos Aires pour Ă©couter un discours de PerĂłn, des groupes pĂ©ronistes et alliancistes attaquĂšrent et incendiĂšrent le siĂšge du Parti socialiste, celui du Parti dĂ©mocrate national, la Casa Radical et le Jockey Club. Trois jours aprĂšs se produisit lâĂ©vincement de QueraltĂł de la direction de lâALN, lorsque par un coup de commando, jusquâici mal Ă©lucidĂ©, et avec lâappui de la police, Guillermo Patricio Kelly rĂ©ussit Ă pĂ©nĂ©trer dans le siĂšge de lâALN, dĂ©sarmant la garde et sâemparant du bĂątiment[29] - [30] - [31]. AprĂšs ce coup de force, Kelly convoqua une assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale au thĂ©Ăątre Augusteo, oĂč il changea le nom du mouvement en Alianza Popular Nacionalista et en proscrivit toute forme de discrimination raciale. QueraltĂł fut ensuite expĂ©diĂ© au Paraguay, oĂč il restera, sous la protection du prĂ©sident Stroessner, jusquâĂ son retour en Argentine en 1973[29].
LâarrivĂ©e de Kelly Ă la tĂȘte de lâAlliance fut suivie dâun changement radical dâorientation. En plus dâune soumission totale au gouvernement, lâon sâinterdisait dorĂ©navant toute saillie antisĂ©mite, prĂ©fĂ©rant Ă prĂ©sent prĂŽner la fraternitĂ© entre chrĂ©tiens et juifs, au moyen notamment dâun pĂ©riodique homonyme[29]. Kelly sâattacha Ă purger le parti de son passĂ© antisĂ©mite et rencontra lâambassadeur dâIsraĂ«l en Argentine, le Dr Arie Kubovy, assurant celui-ci que lâALN avait abjurĂ© son antisĂ©mitisme dâantan[32]. Kelly fera mĂȘme le voyage dâIsraĂ«l et aura des entretiens avec des membres Ă©minents de la communautĂ© juive de Buenos Aires[29]. En 1954 enfin, lâantisĂ©mitisme fut abandonnĂ© par le parti[30].
Lâinfluence du ministre des Affaires Ă©trangĂšres Ăngel Gabriel Borlenghi, autrefois militant socialiste, et de son beau-frĂšre et sous-secrĂ©taire Abraham Krislavin, nâĂ©tait sans doute pas Ă©trangĂšre Ă la rĂ©volution de palais qui porta Kelly Ă la direction de lâALN ; ces deux personnages constituaient ensemble lâun des canaux de communication les plus importants entre la communautĂ© juive argentine et PerĂłn[29].
Coup dâĂtat de septembre 1955 et RĂ©volution libĂ©ratrice
En , lors du coup dâĂtat menĂ© contre PerĂłn par des militaires sous les ordres du gĂ©nĂ©ral Lonardi, lâAlianza de Kelly sera la seule organisation Ă dĂ©fendre jusquâau bout le gouvernement pĂ©roniste. Sa loyautĂ© fut telle que le siĂšge central du mouvement, sis au no 392 de la rue San MartĂn, dut ĂȘtre dĂ©gagĂ© par les troupes putschistes Ă coups de canon, opĂ©ration au cours de laquelle plusieurs alliancistes perdirent la vie[33]. Ă lâinverse, dâautres nationalistes, y compris dâanciens alliancistes, poussĂ©s par le conflit qui avait mis PerĂłn aux prises avec lâĂglise catholique dans la derniĂšre annĂ©e de son gouvernement, Ă©taient dĂ©jĂ passĂ©s dans les rangs de lâopposition anti-pĂ©roniste et sâĂ©taient impliquĂ©s dans le coup dâĂtat. Selon le nationaliste Mario Amadeo, parmi les nationalistes qui prirent part au putsch de figuraient Juan Carlos Goyeneche, JosĂ© MarĂa Estrada et Bonifacio Lastra[34].
Kelly quant Ă lui fut arrĂȘtĂ© pour dĂ©tention de faux passeport ; dĂ©tenu dans une prison Ă RĂo Gallegos, en Patagonie, il rĂ©ussit Ă sâĂ©vader et Ă fuir le pays en 1957.
Concernant la pĂ©riode postĂ©rieure au coup dâĂtat, avec Kelly dĂ©sormais en exil, les donnĂ©es sur les faits et gestes de lâAlianza sont parcimonieuses dans lâhistoriographie argentine, oĂč seules quelques rĂ©fĂ©rences Ă©parses permettent de discerner la prĂ©sence de lâALN dans la dĂ©nommĂ©e RĂ©sistance pĂ©roniste. NĂ©anmoins, un examen de lâactivisme pĂ©roniste durant la pĂ©riode dâaprĂšs-septembre 1955 laisse entrevoir quâune grande partie des topos, images et archĂ©types prĂ©sents dans lâactivisme de jeunesse au sein de cette RĂ©sistance pĂ©roniste provenaient du nationalisme de droite, ainsi que certains types dâaction de rĂ©sistance, notamment les affrontements de rue[34].
De son exil, Kelly poursuivit dans les annĂ©es 1960 la publication de la revue Alianza sous le titre Alianza del peronismo rebelde (littĂ©r. Alliance du pĂ©ronisme rebelle). En 1967 cependant, il cessa de lâĂ©diter, prĂ©fĂ©rant suivre sa propre voie et sâautorisant une certaine prise de distance vis-Ă -vis de PerĂłn, et mit sur pied le pĂ©riodique Marchar, auquel participeront Ă peu prĂšs les mĂȘmes personnalitĂ©s que pour Alianza[35].
Fin du régime militaire et troisiÚme péronisme
La revue Alianza refit surface en 1972, avec le sous-titre de « periĂłdico nacionalista » et sous la direction de H. Castilla Araujo. Dans son numĂ©ro 8, de fĂ©vrier de la mĂȘme annĂ©e, la revue se dĂ©signait comme lâ« organe officiel de lâAlliance libĂ©ratrice nationaliste », quatriĂšme Ă©poque, cette fois sous la direction dâAntonio FernĂĄndez, et le fruit apparemment de lâassociation de divers alliancistes. En , concomitamment avec le retour dâexil de PerĂłn et de QueraltĂł, parut dans les journaux une annonce de lâALN, dans laquelle ses membres communiquaient leur intention de rentrer au pays afin de collaborer, aux cĂŽtĂ©s de Juan PerĂłn, au processus de libĂ©ration nationale. Dans le mĂȘme temps, ils furent Ă lâorigine de plusieurs des actions visant Ă lâoccupation de bĂątiments publics menĂ©es au cours de ces mois[34] - [36].
Cette rĂ©apparition de lâALN, que QueraltĂł scella le en inaugurant le nouveau siĂšge de lâAlliance, fera ressurgir aussi plusieurs des traits que lâALN avait prĂ©sentĂ© dans le passĂ©, en particulier son penchant pour lâaction violente, lâantisĂ©mitisme et lâanticommunisme, ce dernier focalisĂ© dĂ©sormais sur la lutte contre la gauche pĂ©roniste. Le premier numĂ©ro du nouvel Alianza parut avec le gros titre « GUERRA », et avec la manchette « Le gĂ©nĂ©ral PerĂłn dĂ©finit le combat contre le marxisme » [34].
Dans le mĂȘme numĂ©ro, lâexistence Ă©tait Ă©voquĂ©e dâun DĂ©partement des Affaires autochtones de lâAlliance (Departamento de Asuntos AborĂgenes de la Alianza), qui aurait Ă©tĂ© confiĂ© Ă Guillermo AgustĂn Fariña et aurait pour mission de renvoyer par-devant les autoritĂ©s gouvernementales les problĂšmes des communautĂ©s indigĂšnes et de mettre sur pied des coopĂ©ratives de production et de commercialisation de leurs produits Ă un prix Ă©quitable. Il est Ă souligner que ce souci pour la question autochtone sâest manifestĂ©e dĂšs les dĂ©buts du nationalisme argentin[35].
Cette quatriĂšme Ă©poque du journal Alianza remettra Ă lâordre du jour dâautres thĂšmes encore, chers dĂ©jĂ Ă lâancienne ALN, tels que le rĂ©visionnisme historique, la dĂ©fense de la souverainetĂ© nationale, lâaffirmation du nationalisme, et les attaques contre les Juifs et contre le communisme en gĂ©nĂ©ral. Le numĂ©ro 3, de , se fĂ©licita de lâabrogation de la vieille loi de 1857 condamnant Juan Manuel de Rosas comme Reo de la Patria (Malfaiteur de la patrie), pendant quâĂ©tait applaudi le projet de loi du dĂ©putĂ© Linares disposant le rapatriement des restes de Rosas. Le numĂ©ro suivant comportait un florilĂšge de discours de Primo de Rivera[37].
Lâantique antisĂ©mitisme de lâAlliance renaĂźtra brutalement de ses cendres lors de la rĂ©union publique quâelle organisa Ă lâoccasion de la promulgation de la loi de rapatriement de la dĂ©pouille de Rosas. Lâassistance y fut ouvertement exhortĂ©e, entre chants et vivats en lâhonneur de Rosas, Ă sâattaquer aux Juifs, et lâon entendit profĂ©rer contre ceux-ci, Ă vive voix, « Mazorca, Mazorca, judĂos a la horca!!! », soit : Mazorca, Mazorca, les juifs Ă la potence !!! (la Mazorca Ă©tant la milice de choc du rĂ©gime rosiste)[38] - [39].
Durant ces annĂ©es, et jusquâau coup dâĂtat de 1976, lâALN appartiendra Ă ce conglomĂ©rat de groupements qui, constitutifs de la droite pĂ©roniste, se voueront Ă combattre la gauche tant pĂ©roniste que non pĂ©roniste. Dans plusieurs tĂ©moignages, lâALN est Ă©voquĂ©e comme responsable dâagressions contre des universitĂ©s et contre des locaux de partis politiques, et a Ă©tĂ© mis en relation avec lâappareil rĂ©pressif para-Ă©tatique[40].
Idéologie
Nous â et quelques autres groupes pareillement exaltĂ©s par les valeurs nationales â poursuivions quatre objectifs de base : le rĂ©visionnisme historique comme expression de la volontĂ© de rĂ©cupĂ©rer lâimage authentique de la Patrie, face Ă la distorsion dĂ©libĂ©rĂ©e induite par le libĂ©ralisme et le marxisme ; la glorification des piliers de notre tradition, exprimĂ©s par le mot dâordre Dieu, Patrie et Foyer ; la dĂ©fense de la souverainetĂ©, face Ă la claudication culturelle et matĂ©rielle du libĂ©ralisme ; et enfin, lâaffirmation et la dĂ©fense du syndicalisme comme traduction concrĂšte du rejet de lâĂtat libĂ©ral, avec la volontĂ© de parvenir Ă ce que PerĂłn appela la CommunautĂ© organisĂ©e. Cette communautĂ© se structure sur la base des expressions naturelles de la sociĂ©tĂ© : la famille, la corporation de mĂ©tier (gremio), la commune. Il nâest point Ă©trange, dĂšs lors, que le nationalisme eĂ»t interprĂ©tĂ© PerĂłn [en ce sens] et que le 17 octobre 1945 celui-ci nous eĂ»t trouvĂ©s Ă ses cĂŽtĂ©s luttant pour des idĂ©aux communs. |
Juan QueraltĂł[41] |
De toutes les organisations se rĂ©clamant du nationalisme argentin, lâAlianza Libertadora Nacionalista fut la premiĂšre Ă prĂ©coniser rĂ©solument un rapprochement avec la classe ouvriĂšre et lâune des rares Ă se prĂ©senter aux Ă©lections aprĂšs lâavĂšnement du pĂ©ronisme. Une partie de son discours politique, en particulier la dĂ©fense de la souverainetĂ© nationale, la justice sociale, lâanti-impĂ©rialisme et le rĂ©visionnisme historique, tĂ©moigne dâune affinitĂ© avec le nationalisme populiste. Sans surprise, nombre de ses revendications furent ultĂ©rieurement reprises par le pĂ©ronisme. Ce nonobstant, la relation avec le pĂ©ronisme fut loin dâĂȘtre exempt de complications[42]. Lâhistorien Richard Walter (2001) soutient que PerĂłn se servit des nationalistes et se prĂ©valut de leurs idĂ©es pour se hisser au pouvoir, mais que, une fois cet objectif atteint, il les dĂ©daigna et se hĂąta de se dĂ©barrasser dâeux. PerĂłn sut nourrir son programme politique autant du nationalisme de gauche, incarnĂ© par le mouvement FORJA, que de celui de droite, figurĂ© par lâALN. Si la justice sociale et de lâanti-impĂ©rialisme sont des mots dâordre que PerĂłn adopta volontiers, en revanche, lâantisĂ©mitisme et les thĂšses de la conspiration universelle, propres Ă lâALN, seront rejetĂ©s par lui[42].
Il semble que lâALN nâait jamais rĂ©ussi Ă atteindre la masse critique capable de lui confĂ©rer un rĂŽle prĂ©dominant au sein du prolĂ©tariat argentin, ce que lâauteur Marcus Klein (2001) rĂ©sume par la formule que lâ« Alianza fut un mouvement populiste mais non populaire », attendu quâil Ă©choua Ă attirer un nombre considĂ©rable de militants, Ă©chec attribuĂ© par cet auteur Ă sa rhĂ©torique violente et Ă son identification publique avec le fascisme. Pour la chercheuse Mariela Rubinzal (2012), lâAlliance fut incapable de disputer Ă la gauche sa place dans le mouvement ouvrier argentin, parce que le modĂšle de nation que les alliancistes proposaient apparut trop restrictif pour la majoritĂ© des travailleurs non syndiquĂ©s. Avec lâarrivĂ©e du pĂ©ronisme, la classe ouvriĂšre entra au contraire de plain pied dans ce nouveau mouvement quâelle avait du reste concouru Ă crĂ©er, lĂ oĂč lâALN nâaura Ă jouer quâun rĂŽle bien marginal[42].
Fascisme
Lors de leurs actions politiques, les membres de lâAJN, ancĂȘtre de lâALN, faisaient le salut fasciste, marchaient en formation militaire affublĂ©s dâuniformes de style fasciste (chemise grise avec ceinturon de cuir), et avaient pour symbole un condor noir sur ciel bleu et fond rouge tenant dans ses griffes un marteau et une plume, ce qui Ă©tait censĂ© symboliser la conjonction des intellectuels et des travailleurs. LâAJN devint lâorganisation dâextrĂȘme droite la plus importante de la dĂ©cennie 1930. Quant Ă sa composition sociale, le mouvement mĂȘlait des personnes issues des classes moyennes et supĂ©rieures, auxquelles sâĂ©taient Ă©galement joints quelques travailleurs. LâidĂ©e Ă©tait dâinvestir la rue et dâaffronter lâennemi lĂ oĂč il se trouvait.
Sur le plan idĂ©ologique, les alliancistes critiquaient le libĂ©ralisme, flĂ©trissaient le systĂšme politique corrompu de la dĂ©mocratie, et fustigeaient lâoligarchie conservatrice qui avait gouvernĂ© le pays dans les annĂ©es 1930 en Argentine. Ils Ă©taient notoirement antisĂ©mites et rejetaient dâĂ©gale façon le communisme et le capitalisme, en prĂ©conisant lâinstauration dâun Ătat corporatiste autoritaire[43]. En effet, la dĂ©claration de principe du mouvement, rĂ©digĂ©e en 1931, prĂŽnait, aprĂšs avoir attaquĂ© le marxisme et la dĂ©mocratie, la crĂ©ation dâun rĂ©gime corporatiste sur le modĂšle de lâItalie fasciste[44]. LâAlianza collaborait avec le Parti fasciste argentin, en particulier dans la province de CĂłrdoba[45], oĂč en 1935 la milice ALN locale sâassocia avec le Parti fasciste argentin et avec lâAction nationaliste argentine, pour former le Frente de Fuerzas Fascistas de CĂłrdoba, lequel sera remplacĂ© par lâUnion nationale fasciste en 1936. Cette mĂȘme annĂ©e 1936, leur dirigeant, le gĂ©nĂ©ral Juan Bautista Molina, rĂ©organisa la milice pour lâaligner sur le modĂšle du Parti nazi[46]. Molina, qui voulait instaurer en Argentine une organisation politique inspirĂ©e du rĂ©gime nazi, aimait Ă se prĂ©senter comme lâAdolf Hitler argentin et entretenait dâĂ©troites relations avec lâAllemagne nazie[46]. LâALN dĂ©sirait renforcer « la hiĂ©rarchie et lâordre » dans la sociĂ©tĂ©, exploitait divers thĂšmes xĂ©nophobes et antisĂ©mites, et rĂ©clamait davantage de justice sociale et une rĂ©forme agraire « rĂ©volutionnaire », en vue de dĂ©truire lâ« oligarchie » en Argentine[47].
Antisémitisme
LâAlliance libĂ©ratrice nationaliste Ă©tait dâun antisĂ©mitisme virulent, son journal Combate allant jusquâĂ adresser ce « commandement » Ă ses membres : « Guerre au Juif. Haine au Juif. Mort au Juif »[48]. Le programme de lâAlianza dĂ©signait spĂ©cifiquement le « problĂšme juif » comme lâun des plus graves auxquels la nation argentine Ă©tait confrontĂ©e. Les alliancistes proposaient de faire stopper totalement lâarrivĂ©e de rĂ©fugiĂ©s juifs et de combattre la « pernicieuse influence » de la communautĂ© juive dans le gouvernement, lâĂ©conomie et la culture du pays[43] - [49].
Dans la dĂ©cennie 1930 plus particuliĂšrement, pendant la DĂ©cennie infĂąme, les alliancistes attaquaient ouvertement les juifs et les institutions juives Ă Buenos Aires et dans diffĂ©rentes villes de lâintĂ©rieur, sans que les autoritĂ©s tentassent dâempĂȘcher, ou Ă tout le moins de rĂ©frĂ©ner, ces exactions[50].
Populisme et ouvriérisme
LâAJN avait su acquĂ©rir une forte prĂ©sence chez les travailleurs. En 1939 fut constituĂ©e la branche ouvriĂšre de lâAlianza sous la dĂ©nomination dâAvant-garde ouvriĂšre nationaliste (Vanguardia Obrera Nacionalista), ultĂ©rieurement rebaptisĂ©e Vanguardia Obrera Argentina (VOA), dont lâobjectif Ă©tait de « disputer au marxisme sa prĂ©pondĂ©rance » dans le monde ouvrier et assurer la « justice sociale dans le cadre de la nationalitĂ© ». La VOA mit Ă profit le rĂ©seau national de lâAJN pour organiser des structures ouvriĂšres dans les diffĂ©rentes rĂ©gions du pays, consolidant sa prĂ©sence notamment dans le Syndicat ouvrier de la construction (Sindicato Obrero de la Construction) et dans le Syndicat des conducteurs dâomnibus (Sindicato de Conductores de Ămnibus)[51].
LâAlianza rĂ©ussit Ă rassembler sous son Ă©tiquette des militants issus de diffĂ©rents secteurs de la sociĂ©tĂ© argentine, mais avec un discours Ă©minemment pro-ouvrier. Les alliancistes jugeaient que si les ouvriers se tournaient vers le communisme, câĂ©tait en raison de la situation sociale qui Ă©tait la leur, et quâil Ă©tait donc impĂ©ratif, si lâon voulait attirer les travailleurs dans les rangs nationalistes, de leur prĂ©senter la perspective de rĂ©formes sociales â dâoĂč la nĂ©cessitĂ© pour eux de faire du thĂšme de la justice sociale leur cheval de bataille. Le , les nationalistes, avec lâAJN en tĂȘte de cortĂšge, cĂ©lĂ©brĂšrent publiquement la fĂȘte du Travail ; ces cĂ©lĂ©brations se succĂ©deront ensuite tous les ans, pour culminer le , lorsque plusieurs milliers de nationalistes dĂ©filĂšrent sous la banniĂšre rouge au losange bleu ciel et au condor noir de lâAlianza, et ce aux cris de « lâArgentine est souveraine », « Patrie oui, colonie non » [51].
Cette insistance Ă sâapprocher des classes laborieuses transparaissait aussi dans les affiches apposĂ©es par le mouvement Ă lâattention des travailleurs, et dont une reproduction figurait Ă chaque fois dans le journal de lâAlliance. En atteste aussi p. ex. le passage suivant dans le numĂ©ro de de la revue Alianza :
« Nous voulons une dĂ©mocratie organique, avec des corps lĂ©gislatifs syndicaux composĂ©s dâauthentiques reprĂ©sentants du travail national. Tous les travailleurs du pays ont droit Ă un emploi honorable, Ă leur propre logement, Ă la rĂ©tribution Ă©quilibrĂ©e, Ă lâalimentation saine et bon marchĂ©, aux congĂ©s payĂ©s, au salaire familial, Ă lâassurance maladie et vieillesse ; en rĂ©sumĂ©, Ă la vie digne qui leur revient en tant quâĂȘtres humains[52]. »
Ce nationalisme de droite rĂ©pondait donc Ă une double sensibilitĂ© : dâune part, un cĂŽtĂ© aristocratique et traditionaliste, et dâautre part, une inflexion populiste ; ce nationalisme aspirait Ă instaurer un rĂ©gime anticommuniste et rĂ©volutionnaire, en mĂȘme temps quâautoritaire et socialement juste. Le courant nationaliste populiste du mouvement, celui qui avait le plus grand Ă©cho dans la classe ouvriĂšre, celui aussi qui Ă©tait le plus disposĂ© Ă sâinvestir dans une politique de masses, finira par sâallier au pĂ©ronisme. Sans doute y eut-il, au sein du nationalisme populiste, un versant plus Ă droite (lâALN) et un autre plus Ă gauche (FORJA), mais tous deux allaient pareillement finir par se fondre dans le pĂ©ronisme[53].
Nationalisme et souverainisme
LâALN mena une campagne permanente en faveur de la souverainetĂ© de lâArgentine sur les Ăźles Malouines, passĂ©es aux mains de la Grande-Bretagne, et contre lâ« impĂ©rialisme anglo-saxon ». DĂšs le dĂ©but de la DeuxiĂšme Guerre mondiale, lâALN figura comme lâun des principaux avocats de la neutralitĂ© de lâArgentine vis-Ă -vis de ce conflit[14].
Participation féminine
Ă la diffĂ©rence dâautres organisations nationalistes de lâĂ©poque, qui excluaient les femmes de leurs rangs, la LĂ©gion civique argentine (LCA) comprenait une section fĂ©minine[54]. Cette section, dĂ©nommĂ©e AgrupaciĂłn Femenina de la LCA, exhortait les femmes argentines Ă aimer les forces armĂ©es et Ă avoir du respect pour lâordre, lâautoritĂ© et la hiĂ©rarchie au foyer et Ă lâĂ©cole[54]. Les femmes Ă©taient tenues aussi dâapporter de lâaide aux pauvres et de concourir ainsi Ă Ă©tablir la paix sociale[54]. La LCA affirmait compter 3 000 femmes environ parmi ses quelque 11 000 membres[12].
Symbolique
LâAlliance libĂ©ratrice nationaliste utilisait le condor des Andes comme symbole du mouvement[55]. Le condor est, pour rappel, le symbole national de lâArgentine[56].
Bibliographie
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Liens externes
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Notes et références
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- J. L. Besoky, El nacionalismo populista de derecha en Argentina, p. 63.
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- J. L. Besoky, El nacionalismo populista de derecha en Argentina, p. 71.
- J. L. Besoky, El nacionalismo populista de derecha en Argentina, p. 72.
- Ce qui fera dire Ă un Kelly dĂ©sabusĂ©, dans les annĂ©es 1980, que « nous nous croyions lâavant-garde dâun mouvement de masse rĂ©volutionnaire, et nous nâĂ©tions quâune troupe de choc » (Nos creĂamos la vanguardia de un movimiento de masas revolucionario y sĂłlo Ă©ramos fuerzas de choque), dans : Horacio De Dios, Kelly cuenta todo, p. 17.
- J. L. Besoky, El nacionalismo populista de derecha en Argentina, p. 73.
- J. L. Besoky, El nacionalismo populista de derecha en Argentina, p. 74.
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- Institute of Jewish Affairs, Patterns of prejudice, Volumes 6-8, Volume 6, Ă©d. Institute of Jewish Affairs, 1972, p. 95.
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- (en) Benno Varon, Professions of a lucky Jew, Cranbury (New Jersey) ; Londres (Royaume-Uni) ; Mississauga (Ontario), Cornwall Books, , p. 206
- (es) Marcelo Larraquy, Marcados a Fuego. De PerĂłn a Montoneros 1945-1973, Buenos Aires, Aguilar, , 308 p. (ISBN 978-987-04-1489-6), p. 56-57
- J. L. Besoky, El nacionalismo populista de derecha en Argentina, p. 77.
- J. L. Besoky, El nacionalismo populista de derecha en Argentina, p. 77-78.
- Cf. fac-simile du n°8 de la revue sur le site Ruinas digitales. D'autres numĂ©ros de la revue sont accessibles sur le mĂȘme site au dĂ©part de cette page.
- J. L. Besoky, El nacionalismo populista de derecha en Argentina, p. 78.
- (es) Leonardo Senkman, El antisemitismo en Argentina, Buenos Aires, Centro Editor de América Latina, , p. 143, cité par J. L. Besoky, p. 79.
- Le mot mazorca signifie littĂ©ralement Ă©pi de maĂŻs, les membres de cette milice se considĂ©rant en effet unis comme les grains dâun Ă©pi de maĂŻs.
- J. L. Besoky, El nacionalismo populista de derecha en Argentina, p. 79.
- (es) Jorge Lozano (entretien), « Juan QueraltĂł : ÂżLa opciĂłn es nacionalismo o marxismo? », Siete DĂas Ilustrados, Buenos Aires,â (lire en ligne, consultĂ© le ) (reproduit sur le site MĂĄgicas Ruinas)
- J. L. Besoky, El nacionalismo populista de derecha en Argentina, p. 80.
- J. L. Besoky, El nacionalismo populista de derecha en Argentina, p. 63-64.
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- (en) Robert Potash, The Army & Politics in Argentina : 1928-1945; Yrigoyen to PerĂłn, Stanford (Californie, Ătats-Unis), Stanford University Press, , p. 119
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- (en) Paul H. Lewis, Guerrillas and generals : the "Dirty War" in Argentina, Westport (Connecticut, Ătats-Unis), Praeger Publishers, , p. 2
- (es) Raanan Rein, Los muchachos peronistas judĂos : Los argentinos judĂos y el apoyo al Justicialismo, Buenos Aires, Penguin Random House Grupo Editorial Argentina/Sudamericana, , 406 p. (ISBN 978-950-07-5398-2, lire en ligne)
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- « TU obrero... » (TOI ouvrierâŠ), revue Alianza, novembre 1943 (deuxiĂšme quinzaine, n°1, p. 8 ; citĂ© par J. L. Besoky, p. 65.
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- Sandra McGee Deutsch, Las DerechasâŠ, p. 236.
- (en) Jon Lee Anderson, Che Guevara : A Revolutionary Life, New York, Publishers Group West, , p. 34
- (en) Sujatha Menon, Mountain Creatures, New York, Rosen Publishing Group, Inc, , p. 37