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Bombardement de la place de Mai

Le bombardement de la place de Mai Ă  Buenos Aires, en Argentine, fut la partie la plus visible et la plus sanglante d’un ensemble d’évĂ©nements violents constitutifs d’une tentative (avortĂ©e) de coup d'État commise le par un groupe de militaires et de civils opposĂ©s au gouvernement du prĂ©sident Juan PerĂłn. Le projet de coup d’État avait germĂ© quelques annĂ©es auparavant chez plusieurs officiers supĂ©rieurs antipĂ©ronistes appartenant principalement Ă  l’aĂ©ronavale argentine, auxquels vinrent s’associer quelques personnalitĂ©s politiques de l’opposition, et prĂ©voyait de bombarder par un raid aĂ©rien le palais de gouvernement, la Casa Rosada, sis sur la place de Mai, dans le but d’assassiner le prĂ©sident PerĂłn, pendant que des troupes rebelles au sol et les dĂ©nommĂ©s Commandos civils s’empareraient de certains Ă©difices stratĂ©giques dans le centre-ville de la capitale. L’opĂ©ration, mĂ©diocrement prĂ©parĂ©e, qui dut ĂȘtre hĂątĂ©e en raison de soupçons qui avaient commencĂ© Ă  peser sur les conspirateurs et de la survenue d’une occasion jugĂ©e propice, se heurta Ă  la rĂ©sistance des troupes loyalistes et de civils pĂ©ronistes venus nombreux leur prĂȘter main-forte Ă  l’appel du syndicat CGT, de sorte que les combats au sol tournĂšrent bientĂŽt au dĂ©savantage des sĂ©ditieux, et qu’il devint clair Ă  la fin de l’aprĂšs-midi du mĂȘme jour que le coup d’État avait Ă©chouĂ©. Du reste, PerĂłn, prĂ©venu d’un coup de force imminent, avait trouvĂ© refuge dans le ministĂšre de la Guerre, sis Ă  200 mĂštres de la Casa Rosada.

Bombardement
de la place de Mai
Description de cette image, également commentée ci-aprÚs
Cadavres de civils tués lors des attaques
Informations générales
Date
Lieu Buenos Aires, Drapeau de l'Argentine Argentine
Casus belli Tentative de coup d’État militaire et d’assassinat du prĂ©sident Juan PerĂłn
Issue Échec du putsch
Belligérants
État argentinMilitaires et civils antipĂ©ronistes
Commandants
* Président Juan Perón * Samuel Toranzo Calderón
Forces en présence
* Régiment de grénadiers à cheval General San Martín (330 grenadiers)[2]
  • Civils pĂ©ronistes armĂ©s[1]
  • 1er rĂ©giment[1]
  • 3e rĂ©giment[1]
  • Garnison motorisĂ©e Buenos Aires[1] - [2]
  • 4 chars[1]
  • 4 avions
* 7e brigade aérienne
  • 4e bataillon d’infanterie de marine (700 hommes)
  • 30-34 avions
  • Civils antipĂ©ronistes armĂ©s (Commandos civils)[3] - [4]
Pertes
17 morts[5] - [6] - [2]
  • 55 blessĂ©s[6]
~30 morts[7] - [8]
  • 3 avions abattus
*308 civils tués identifiés, plus un nombre indéterminé[9]
CoordonnĂ©es 34° 36â€Č 30″ sud, 58° 22â€Č 19″ ouest

Le bombardement Ă  proprement parler de la place de Mai fut effectuĂ© Ă  partir de 10 heures du matin en deux grandes vagues par plusieurs escadrilles d’avions de l’aĂ©ronavale qui prirent pour cible, au moyen de projectiles aĂ©riens de 20 mm, non seulement le palais du gouvernement, l’édifice de la CGT et ce qui Ă©tait alors la rĂ©sidence prĂ©sidentielle, mais aussi la place de Mai sur toute son Ă©tendue, oĂč une foule nombreuse Ă©tait rassemblĂ©e en vue d’une cĂ©rĂ©monie, provoquant ainsi la mort de plus de trois centaines de personnes, en grande majoritĂ© civiles, et en blessant plus de 700 autres[9] - [10] - [11]. Le mĂ©pris absolu pour la vie humaine et la violence avec laquelle le coup de force fut exĂ©cutĂ©, d’une ampleur sans prĂ©cĂ©dent en Argentine, ont fait qu’on a pu le relier avec le terrorisme d'État apparu quelques annĂ©es plus tard dans le pays[12].

Le 17 juin Ă  3 heures du matin, il fut communiquĂ© aux meneurs du soulĂšvement — savoir : AnĂ­bal Olivieri (alors ministre de la Marine), BenjamĂ­n Gargiulo et Samuel Toranzo CalderĂłn —, qu’ils seraient jugĂ©s selon la loi martiale, et qu’une arme serait offerte Ă  chacun d’eux pour mettre fin Ă  leur vie ; seul le vice-amiral BenjamĂ­n Gargiulo accepta la proposition, Olivieri et Toranzo prĂ©fĂ©rant assumer pleinement leurs actes devant une cour de justice[13]. Nonobstant que la peine de mort eĂ»t dĂ» ĂȘtre appliquĂ©e pour haute trahison, la peine la plus sĂ©vĂšre, prononcĂ©e contre Toranzo CalderĂłn, sera l’emprisonnement Ă  perpĂ©tuitĂ©. Les militaires rĂ©fugiĂ©s en Uruguay, privĂ©s de leurs titres sur l’accusation de rĂ©bellion, seront dans la suite rĂ©intĂ©grĂ©s dans l’armĂ©e par les nouvelles autoritĂ©s issues du coup d’État militaire (rĂ©ussi) du 16 septembre 1955[14], lesquelles iront jusqu’à affirmer que « la principale cause du nombre Ă©levĂ© de victimes » fut « la dĂ©termination absurde » de la CGT Ă  appeler ses adhĂ©rents Ă  se rendre sur la place de Mai[15].

Antécédents

Le s’étaient tenues des Ă©lections gĂ©nĂ©rales oĂč Juan PerĂłn avait Ă©tĂ© Ă©lu prĂ©sident de la Nation argentine avec 52 % des voix. Le premier gouvernement PerĂłn dut toutefois faire face Ă  une forte opposition antipĂ©roniste, mise sur pied et organisĂ©e dĂšs avant ledit scrutin, servant notamment les intĂ©rĂȘts britanniques et amĂ©ricains dans la rĂ©gion, et prenant la forme de confrontations de nature sociale voire raciale[16] dirigĂ©es en particulier contre le pouvoir que les syndicats rĂ©ussissaient Ă  obtenir durant cette pĂ©riode, et de mises en cause de la lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique du pĂ©ronisme.

En 1951 avait eu lieu une premiĂšre tentative de coup d’État menĂ©e par quelques effectifs de l’armĂ©e argentine avec l’appui de certains secteurs civils. Si la tentative avorta, plusieurs militaires Ă©taient depuis lors nĂ©anmoins restĂ©s en Ă©tat de conspiration latente[17]. Cette mĂȘme annĂ©e 1951, PerĂłn avait de nouveau remportĂ© les Ă©lections prĂ©sidentielles, augmentant encore son score antĂ©rieur jusqu’à atteindre 62,49 % des voix[18].

La conspiration de la marine et prĂ©paratifs de coup d’État

Perón ne jouissait que d’un faible appui chez les effectifs de la marine de guerre.

« Les officiers de la marine tendaient, dans leur grande majoritĂ©, Ă  s’identifier avec les classes sociales que PerĂłn dĂ©nonçait sans cesse comme Ă©tant l’oligarchie, et considĂ©raient avec une hostilitĂ© mal dissimulĂ©e ses programmes sociaux, ainsi que sa personne elle-mĂȘme. »

— Robert Potash[17]

En septembre 1951, quelques officiers de la navale s’étaient joints Ă  la tentative de putsch de MenĂ©ndez, mais le service de renseignements de la marine s’était abstenu de les identifier.

Le , un commando antipĂ©roniste avait commis un attentat terroriste sur la place de Mai contre une manifestation syndicale organisĂ©e par la CGT, attentat dont le bilan s’établit Ă  6 morts et 95 blessĂ©s (parmi lesquels 20 mutilĂ©s Ă  vie)[19] - [20] - [21]. AprĂšs le coup d’État (rĂ©ussi) de septembre 1955, ceux qui avaient Ă©tĂ© condamnĂ©s comme auteurs de l’attentat affirmeront avoir Ă©tĂ© torturĂ©s pour leur extorquer des aveux et seront amnistiĂ©s par la dictature militaire dite RĂ©volution libĂ©ratrice[22].

Au lendemain de ces actes de violence de 1953, la conspiration antipĂ©roniste gagna encore en ampleur, et plusieurs plans furent Ă©laborĂ©s au sein de la marine qui avaient pour but, sous couleur d’exercices militaires, de se prĂ©parer Ă  une future rĂ©volution Ă  laquelle aurait Ă  prendre part en particulier la base navale de Puerto Belgrano et la flotte de guerre[17].

Miguel Ángel Zavala Ortiz, l’un des plus hauts dirigeants de l’Union civique radicale, figurait parmi les meneurs du putsch.

Le capitaine de frĂ©gate Jorge Alfredo Bassi, embarquĂ© pour un voyage annuel de routine d’instruction de la flotte de guerre, avait emportĂ© avec lui le dernier bulletin du Centre naval ; il y lut un article de Mitsuo Fuchida, dans lequel celui-ci relatait comment il avait planifiĂ© et dirigĂ© la premiĂšre vague de bombardements de l’attaque de Pearl Harbor. Bassi conçut alors l’idĂ©e d’exĂ©cuter une manƓuvre semblable contre le palais du gouvernement Ă  Buenos Aires, la Casa Rosada[23], se laissant aller Ă  dire : « combien il est beau d’imaginer la Casa Rosada comme Pearl Harbor ! »[24].

L’idĂ©e avait ensuite intĂ©ressĂ© Ă  son tour le capitaine de frĂ©gate Francisco Manrique, lequel, accompagnĂ© d’Antonio Rivolta et de NĂ©stor Noriega, eux aussi capitaines de frĂ©gate, alla demander au gĂ©nĂ©ral Eduardo Lonardi de l’aider Ă  obtenir dans l’armĂ©e de terre des adhĂ©sions Ă  la future rĂ©bellion. Lonardi, lorsqu’il eut pris connaissance du projet d’assassiner Juan PerĂłn en bombardant la place de Mai, rĂ©pondit que l’idĂ©e ne lui plaisait guĂšre et qu’il ne souhaitait pas y participer[24].

Peu aprĂšs, un plan fut imaginĂ© consistant Ă  capturer le prĂ©sident dans un vaisseau de la marine : Ă  l’occasion de la cĂ©lĂ©bration du jour de l’IndĂ©pendance, PerĂłn, et avec lui son cabinet ministĂ©riel au complet, le chef de la police fĂ©dĂ©rale et les prĂ©sidents des deux chambres lĂ©gislatives, seraient attirĂ©s Ă  bord du croiseur ARA Nueve de Julio[24] ; c’est le capitaine de frĂ©gate Carlos Bruzzone, commandant en second du vaisseau, qui dirigerait l’opĂ©ration, secondĂ© par Jorge Alfredo Bassi et Carlos Bonomi. Bassi s’entretint une nouvelle fois avec Lonardi ; le gĂ©nĂ©ral dit accepter la convocation, mais aprĂšs s’ĂȘtre concertĂ© avec quelques autres personnes, arriva Ă  la conclusion que le projet n’était portĂ© que par un groupe assez rĂ©duit et sans les Ă©lĂ©ments suffisants pour mener l’opĂ©ration Ă  bonne fin. Pour cette raison, il dĂ©cida d’annuler sa participation ; de toute maniĂšre, le plan des conjurĂ©s devint irrĂ©alisable aprĂšs que le gouvernement eut contremandĂ© la cĂ©rĂ©monie avec la marine. Par son refus, Lonardi s’était coupĂ© de ses contacts dans la marine et ne s’associera plus Ă  eux jusqu’aux Ă©vĂ©nements de 1955[25].

Fin 1954, le conflit entre le gouvernement pĂ©roniste et l’Église ― provoquĂ© en particulier par la loi sur le divorce, la liquidation des associations professionnelles catholiques, la suppression de l’enseignement religieux et la lĂ©galisation de la prostitution ― donnera un nouvel Ă©lan aux diffĂ©rents groupes conspirateurs ; ceux-ci trouvĂšrent dans la querelle entre gouvernement et Église catholique un aliment propice Ă  leurs fins, cette querelle ayant pour effet non seulement d’exacerber la tension entre le gouvernement et l’opposition, mais en outre d’engendrer des rĂ©sistances au sein mĂȘme du pouvoir en place. PerĂłn appela Ă  la tenue d’une convention constituante chargĂ©e d’instaurer la sĂ©paration de l’Église et de l’État.

Les capitaines de frĂ©gate Noriega et Bassi constituaient le noyau de la sĂ©dition dans la base aĂ©ronavale Punta Indio. Le plan de ce dernier, consistant Ă  bombarder le palais de gouvernement, Ă  l’exemple de l’attaque de Pearl Harbor, n’avait toujours pas d’appui dans l’armĂ©e de terre[26] ; c’était lĂ  le principal obstacle les retenant de passer Ă  l’action immĂ©diate.

En novembre 1954, Bassi et Francisco Manrique organisĂšrent dans le logis du grand propriĂ©taire terrien RaĂșl Lamuraglia[27] Ă  Bella Vista, dans la proche banlieue de Buenos Aires, une sĂ©rie de rĂ©unions avec le capitaine de vaisseau Bruzzone, l’ancien capitaine de l’armĂ©e de terre Walter Viader, le commandant de la force aĂ©rienne AgustĂ­n de la Vega, et le docteur Miguel Ángel Zavala Ortiz de l’Union civique radicale. Hormis qu’il fut envisagĂ© de convoquer Ă©galement les gĂ©nĂ©raux Gibert, Aramburu et Anaya, les rĂ©unions n’eurent aucun rĂ©sultat concret[28]. Tandis que Lamuraglia s’employait Ă  Ă©tablir des liens avec les trois partis d’opposition les plus importants, un triumvirat civil fut dĂ©signĂ© pour exercer le pouvoir dans le cas oĂč les desseins rĂ©volutionnaires aboutiraient : Miguel Ángel Zavala Ortiz pour les radicaux, AmĂ©rico Ghioldi pour les socialistes, et Adolfo Vicchi, originaire de Mendoza, pour les conservateurs[27].

En , le mouvement intĂ©gra dĂ©finitivement en son sein les groupes subversifs civils dits Commandos civils, menĂ©s par le capitaine Ă  la retraite Walter Viader[27], mais eut des difficultĂ©s Ă  se dĂ©signer un chef unique, jusqu’à ce que se fussent joints Ă  la conspiration deux officiers du corps d’infanterie de marine, le capitaine de frĂ©gate Carlos Nielsen Enemark et le capitaine de corvette Fernando SuĂĄrez RodrĂ­guez, sur suggestion desquels le contre-amiral Samuel Toranzo CalderĂłn[29], chef d’état-major de l’infanterie de marine, accepta avec enthousiasme de prendre la tĂȘte du groupe rĂ©volutionnaire et s’entretint immĂ©diatement avec Adolfo Vicchi et Miguel Ángel Zavala Ortiz pour dĂ©finir l’orientation que prendrait un possible futur gouvernement[30]. Ensuite, Toranzo CalderĂłn rechercha l’appui des haut gradĂ©s antipĂ©ronistes qu’étaient le gĂ©nĂ©ral Aramburu et le lieutenant-colonel Labayru, mais essuya leur refus. Fin , un deuxiĂšme groupe de civils, appartenant au cercle dirigĂ© par les docteurs Mario Amadeo et Luis MarĂ­a de Pablo Pardo, consentit Ă  se rallier aux officiers de marine conspirateurs[31]. L’on chercha Ă  Ă©tablir davantage de contacts encore avec l’armĂ©e de terre, mais ni Aramburu[31], ni mĂȘme Lonardi[32] ne se laissĂšrent convaincre ; ainsi les conspirateurs ne rĂ©ussirent-ils Ă  associer Ă  leur entreprise que le gĂ©nĂ©ral Justo LeĂłn Bengoa, qui en tant que commandant de la 3e division d’infanterie, casernĂ©e dans la ville de ParanĂĄ (province d'Entre RĂ­os), avait des troupes sous son commandement[33] - [34]. ContactĂ© par Amadeo, Bengoa se montra enthousiaste, mais n’aura pas l’occasion de s’engager dans le futur soulĂšvement. Les conspirateurs surent aussi amener Ă  se ranger derriĂšre eux le colonel Eduardo Señorans, chef du personnel de l’état-major gĂ©nĂ©ral de l’armĂ©e, avec siĂšge au ministĂšre de l’ArmĂ©e, distant de seulement un Ăźlot de la Casa Rosada[17].

Quant Ă  la force aĂ©rienne, le commandant Dardo Eugenio Ferreyra rĂ©ussit Ă  obtenir l’appui du capitaine Julio CĂ©sar CĂĄceres, du premier lieutenant Carlos Torcuato de Alvear (petit-fils de l’homme politique homonyme), ainsi que de quelques rares vice-commodores et brigadiers Ă  la retraite. Toutefois, les interrogatoires conduits par le service de renseignements interne de la force aĂ©rienne alertĂšrent les conjurĂ©s sur les soupçons qui s’étaient portĂ©s sur eux, les incitant Ă  renoncer Ă  tout contact avec les officiers de la marine[35].

Le dimanche , le gĂ©nĂ©ral Bengoa, qui avait fait le voyage de Buenos Aires, s’entretint avec Toranzo CalderĂłn et lui promit son soutien. Depuis lors, plusieurs officiers firent rĂ©guliĂšrement le dĂ©placement entre les villes de ParanĂĄ et de Buenos Aires pour s’occuper des prĂ©paratifs[36]. Une Ă©tude dĂ©taillĂ©e des mouvements du prĂ©sident PerĂłn permit aux officiers de marine de savoir que les mercredis de 9 h 30 Ă  10 h 30, il se rĂ©unissait avec tous ses ministres dans la Casa Rosada : dans cette fenĂȘtre de temps, il devait donc ĂȘtre possible d’annihiler par une seule attaque tous les haut placĂ©s du gouvernement pĂ©roniste. L’« heure 0 » fut fixĂ©e Ă  10 heures du matin ; afin de prĂ©venir une effusion de sang, Toranzo CalderĂłn appellerait d’abord le prĂ©sident PerĂłn et le menacerait s’il ne se rendait pas dans un dĂ©lai de 15 minutes. L’amiral avait Ă  sa disposition les avions de la base navale de Punta Indio et prĂšs de 700 hommes de l’infanterie de marine[37].

Les premiers-lieutenants de la force aĂ©rienne Carlos Enrique CarĂșs et Orlando Arrechea surent amener Ă  se joindre au complot un grand nombre d’officiers de la 7e brigade aĂ©rienne de MorĂłn, qui allaient Ă©galement participer Ă  l’attaque. Enfin, plusieurs groupes de civils, qui se signaleraient par un ruban blanc nouĂ© autour du bras, auraient pour mission de neutraliser le centre d’opĂ©ration de la CGT ainsi que le groupement pĂ©roniste Alianza Libertadora Nacionalista et plusieurs stations de radio. Les rebelles estimaient que tout pourrait ĂȘtre prĂȘt pour l’exĂ©cution du coup d’État vers le [38].

Dans la matinĂ©e du , Toranzo CalderĂłn et Pablo Pardo se rendirent dans le Litoral et purent y rencontrer le lendemain le gĂ©nĂ©ral Bengoa, avec qui ils s’efforcĂšrent de convenir des raisons Ă  invoquer par les rĂ©volutionnaires pour justifier leur action, Ă  savoir : l’« Ă©tat de guerre intĂ©rieur » qui prĂ©valait dans le pays depuis le soulĂšvement de BenjamĂ­n MenĂ©ndez en 1951 et qu’ils jugeaient ĂȘtre une violation des garanties constitutionnelles, et les attaques contre la religion catholique. Aucune date ne sera fixĂ©e, mais Bengoa s’engagea Ă  rester en Ă©tat d’alerte et de mobiliser tous ses effectifs sitĂŽt que lui parviendrait la nouvelle du soulĂšvement de la marine[39].

Beaucoup de capitaines, impatients, poussaient Toranzo CalderĂłn Ă  attaquer dĂšs que possible. On ignorait comment allaient rĂ©agir les Ă©lĂ©ments de l’armĂ©e de terre casernĂ©s Ă  Buenos Aires, on ne savait pas davantage quel type d’appui ou d’opposition leur donnerait le supĂ©rieur direct de Toranzo CalderĂłn, le vice-amiral BenjamĂ­n Gargiulo, qui Ă©tait au courant de l’existence d’une conspiration mais qui ne donnait aucun signe de vouloir intervenir[40].

Recrudescence des tensions politiques et circonstance propice

« Il y en a beaucoup qui souhaitent que l’Église soit indĂ©pendante de l’État ; d’autres, que l’Église soit dans l’État, comme actuellement. Le plus juste est d’attendre l’élection oĂč ce soit la majoritĂ© du peuple qui dĂ©cide, et de ne pas dĂ©cider par la violence. »

— Juan Domingo Perón[41]

Sur ces entrefaites eut lieu la procession de la FĂȘte-Dieu, prĂ©vue et autorisĂ©e Ă  l’origine pour le jeudi 9 juin 1955, mais que les autoritĂ©s ecclĂ©siastiques avaient dĂ©cidĂ© de retarder de deux jours, escomptant ainsi rĂ©unir un plus grand nombre de participants ; cependant, le ministre de l’IntĂ©rieur communiqua aux autoritĂ©s religieuses qu’il ne pouvait pas autoriser la festivitĂ© Ă  cette nouvelle date, raison pour laquelle la cĂ©rĂ©monie dut se cĂ©lĂ©brer Ă  l’intĂ©rieur de la CathĂ©drale exclusivement.

Le , l’opposition antipĂ©roniste organisa une vaste mobilisation, lors de laquelle quelque 250 000 manifestants entreprirent de marcher des environs de la CathĂ©drale vers le CongrĂšs national. Les comptes rendus de l’époque relatent que les militants catholiques se mirent Ă  endommager les plaques commĂ©moratives en l’honneur d’Eva PerĂłn, figure populaire du pĂ©ronisme, morte de cancer deux ans auparavant, que les pĂ©ronistes vĂ©nĂ©raient comme une sainte. À la hampe du Palais du CongrĂšs, ils ramenĂšrent le drapeau argentin et hissĂšrent Ă  sa place la banniĂšre pontificale (blanche et jaune). Selon le rapport de la police fĂ©dĂ©rale, le drapeau argentin fut brĂ»lĂ© pendant la procession. Le lendemain, l’on publia dans les journaux la photographie de PerĂłn et d’Ángel Borlenghi (alors ministre de l’IntĂ©rieur) contemplant les restes du drapeau incendiĂ©.

Le 30 juin[42], le sous-inspecteur de la police fĂ©dĂ©rale, HĂ©ctor Giliberti, avoua Ă  son frĂšre JosĂ© MarĂ­a, capitaine de corvette, que le drapeau avait Ă©tĂ© brĂ»lĂ© par ses collĂšgues de la police, puis confirmera ses dires lors de sa dĂ©position devant le Conseil supĂ©rieur des Forces armĂ©es. Le fait fut corroborĂ© par les policiers Juan Laperchia et Isidoro Ferrari, ce qui porta ledit Conseil Ă  solliciter PerĂłn de limoger le chef de la police et de mettre en dĂ©tention le ministre de l’IntĂ©rieur Ángel Borlenghi. Cependant, le jour suivant le communiquĂ©, Borlenghi quitta le pays Ă  destination de Montevideo[43].

Quelques mois plus tard, aprĂšs la chute du pĂ©ronisme, au cours des investigations menĂ©es pour rassembler des preuves contre PerĂłn, le contre-amiral Alberto Tessaire, qui avait Ă©tĂ© le vice-prĂ©sident de PerĂłn, affirma que l’action avait Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e non seulement avec l’autorisation de PerĂłn, mais aussi selon ses indications[44] - [45].

Ces faits eurent pour consĂ©quence d’exacerber encore les tensions, et des groupes de sympathisants pĂ©ronistes se heurtĂšrent Ă  des groupes d’opposition et catholiques. Finalement, le , PerĂłn expulsa du pays messeigneurs Manuel Tato et RamĂłn Novoa, chefs de file du mouvement catholique, et dĂ©clara le lendemain, dans une allocution Ă  la foule rassemblĂ©e sur la place du CongrĂšs :

« De nos jours, demander rĂ©paration pour les dommages causĂ©s Ă  notre drapeau prĂ©sente pour moi la plus profonde signification. Les drapeaux constituent, selon les patries et les communautĂ©s qu’ils reprĂ©sentent, le reflet de l’esprit de tel temps et de telle Ă©poque. Notre drapeau [...] ne devait pas ĂȘtre dĂ©gradĂ© par les hommes. »

— Juan Domingo Perón[46]

Le gouvernement organisa une cĂ©rĂ©monie de rĂ©paration du drapeau national, qui devait ĂȘtre cĂ©lĂ©brĂ©e trois jours aprĂšs les incidents, le jeudi . Le ministre de l’AĂ©ronautique, le brigadier-major Juan Ignacio San MartĂ­n, disposa que l’aviation eĂ»t Ă  tĂ©moigner sa loyautĂ© envers le prĂ©sident de la RĂ©publique, en rĂ©parant ainsi du mĂȘme coup la mĂ©moire du gĂ©nĂ©ral JosĂ© de San MartĂ­n. À cet effet, il dĂ©cida qu’une formation d’avions survolerait la cathĂ©drale de Buenos Aires, oĂč reposent les restes du Libertador. L’annonce de cette cĂ©rĂ©monie devait attirer sur la place de Mai un public nombreux ; il s’agissait d’une manifestation civico-militaire en solidaritĂ© avec le gouvernement face aux outrages de l’opposition[47].

Soupçons des services de renseignements

Pendant que se produisaient ces Ă©vĂ©nements, le contre-amiral Toranzo CalderĂłn fut averti par le service de renseignements de la force navale que son implication personnelle dans le mouvement rĂ©volutionnaire avait Ă©tĂ© dĂ©couverte par le service de renseignements de la force aĂ©rienne (organisme qui sympathisait avec PerĂłn), en considĂ©ration de quoi, et dans la crainte d’ĂȘtre arrĂȘtĂ© et livrĂ© au pouvoir exĂ©cutif, il dĂ©cida de hĂąter l’action militaire prĂ©vue[48].

Dans la nuit du , le ministre de la Guerre, le gĂ©nĂ©ral Franklin Lucero, fut informĂ© par son aide de camp qu’une rĂ©bellion serait dĂ©clenchĂ©e dans les premiĂšres heures du jour suivant, mais Lucero n’ajouta pas foi Ă  cette information ni ne la transmit Ă  PerĂłn[49]. D’aprĂšs l’auteur Daniel Cichero, le gouvernement avait peut-ĂȘtre eu connaissance du soulĂšvement par d’autres sources, mais ne tenta pas de dĂ©sactiver le coup d’État[50].

Plan d’action des rebelles

Les forces rebelles Ă©taient sous le commandement du contre-amiral Samuel Toranzo CalderĂłn et le coup d’État fut exĂ©cutĂ© matĂ©riellement par un groupe d’officiers de la marine et de la force aĂ©rienne ; toutefois, plusieurs civils apportĂšrent leur concours au soulĂšvement : le dirigeant radical Miguel Angel Zavala Ortiz, le dirigeant conservateur Adolfo Vicchi, le dirigeant socialiste AmĂ©rico Ghioldi, le diplomate Luis MarĂ­a de Pablo Pardo (ces quatre hommes devront ensuite s’enfuir en Uruguay), et les militants nationalistes catholiques Mariano Grondona, Carlos Burundarena, Santiago de Estrada, Rosendo Fraga, Felipe YofrĂ© et Marcelo SĂĄnchez Sorondo[51].

Le plan consistait Ă  profiter d’une dĂ©monstration aĂ©rienne en hommage au drapeau national, en vue de laquelle les avions devaient dĂ©coller Ă  8 heures du matin, pour bombarder la Casa Rosada et le ministĂšre de la Guerre, avec l’objectif d’éliminer PerĂłn ou de porter un dur coup psychologique contre son gouvernement[33].

Les unitĂ©s impliquĂ©es Ă©taient : les aĂ©ronefs de la base navale de Punta Indio, ceux de la 7e brigade aĂ©rienne de MorĂłn (force aĂ©rienne), quelque 700 hommes d’infanterie de marine, et plusieurs groupes de civils armĂ©s[52]. Le contre-amiral Samuel Toranzo CalderĂłn eut soin de mettre au courant de ce plan son supĂ©rieur immĂ©diat, le vice-amiral BenjamĂ­n Gargiulo, qui adhĂ©ra au mouvement, et prit contact le 15 juin Ă  midi avec le ministre de la Marine, AnĂ­bal Olivieri, qui qualifia le plan de « folie »[53]. Entre-temps, pendant tous ces Ă©vĂ©nements, vers trois heures de l’aprĂšs-midi, Olivieri fut atteint d’une dĂ©compensation et dut ĂȘtre admis Ă  l’HĂŽpital naval central[54]. Ce mĂȘme jour, une dĂ©pĂȘche fut expĂ©diĂ©e en urgence Ă  Entre RĂ­os, pour ĂȘtre remise au gĂ©nĂ©ral conjurĂ© Bengoa et l’aviser que le lendemain il eĂ»t Ă  se rebeller ; cependant, le messager, la nuit tombĂ©e, dĂ©couvrit que Bengoa avait fait le matin mĂȘme le voyage pour Buenos Aires[55].

Par l’emballement soudain des faits, le soulĂšvement des bases militaires ne put ĂȘtre que mĂ©diocrement planifiĂ©e. Par exemple, AgustĂ­n HĂ©ctor de la Vega, chargĂ© de soulever la base de MorĂłn, n’apprit que la veille au soir que le soulĂšvement aurait lieu le lendemain[56]. Dans le mĂȘme temps, le capitaine Noriega, responsable de la base de Punta Indio, reçut un bulletin mĂ©tĂ©orologique prĂ©disant de trĂšs mauvaises conditions atmosphĂ©riques pour le jour suivant, mais n’avait plus la possibilitĂ© de rien changer[57].

Le matin du , des troupes du 4e bataillon d’infanterie de marine (BIM4), sous les ordres du vice-amiral BenjamĂ­n Gargiulo, qui peu d’heures auparavant avait Ă©tĂ© informĂ© de la sĂ©dition et s’était rangĂ© derriĂšre elle, se mirent en mouvement Ă  partir de la Darse Nord du port de Buenos Aires dans le but de s’emparer du palais de gouvernement, avec l’appui armĂ© de groupes civils postĂ©s sur la place de Mai. Était prĂ©vue Ă©galement la prise de la station de radio Radio Mitre et du central tĂ©lĂ©phonique afin de diffuser une proclamation rĂ©volutionnaire rĂ©digĂ©e par Miguel Ángel Zavala Ortiz. Il Ă©tait planifiĂ© de mobiliser les unitĂ©s navales de la marine de guerre, et les rĂ©volutionnaires escomptaient recevoir aussi l’appui, une fois l’insurrection dĂ©clenchĂ©e, de la part d’autres secteurs de l’armĂ©e et de l’opposition non prĂ©alablement consultĂ©s.

Les auteurs du bombardement affirmeront par la suite que l’objectif n’était pas de tuer le prĂ©sident de la Nation, mais de « le briser dans sa forteresse de commandement »[33].

« Cristo Vence »

Beaucoup des avions qui participĂšrent au bombardement de la place de Mai portaient peint sur leur fuselage le signe « Cristo Vence » (Christ vainc) consistant en une croix dessinĂ©e au milieu d’une lettre V. AprĂšs le dĂ©part en exil de PerĂłn, ses partisans rĂ©cupĂ©reront ce symbole en ajoutant un arc de cercle au quartier supĂ©rieur droit de la croix, les deux lettres PV ainsi formĂ©es prenant alors le sens de « PerĂłn Vuelve » (PerĂłn revient) ou selon d’autres de « PerĂłn Vence » (PerĂłn vainc), « PerĂłn Vive » (PerĂłn vit), ou encore « PerĂłn Viene » (PerĂłn vient).

L’attaque

ScĂšnes pendant l’attaque Ă  proximitĂ© de la Casa Rosada.
La Casa Rosada (façade nord) aprÚs le bombardement.

Le matin du , le vice-amiral Gargiulo harangua ses hommes du 4e bataillon d’infanterie de marine (qui du reste n’étaient pas au courant de l’action qu’il leur serait demandĂ© d’exĂ©cuter), les exhorta Ă  agir pour la patrie et pour leur commandant, puis les envoya s’emparer de la Casa Rosada. Quelques minutes plus tard, ordre leur fut donnĂ© de rebrousser chemin : le dĂ©ploiement des rebelles de Punta Indio (arrangĂ© pour 8 heures du matin) avait dĂ» ĂȘtre retardĂ© jusqu’à 10 h 45 en raison de la brume matinale, compte tenu que le plan requĂ©rait la coordination avec l’offensive aĂ©rienne. La flotte de guerre ne fut pas non plus en mesure de quitter Puerto Belgrano par manque de coordination et par suite de supposĂ©s problĂšmes techniques aux chaudiĂšres des navires.

À 8 heures du matin, PerĂłn fut informĂ© de ces mouvements militaires par le ministre de la Guerre Lucero, qui lui demanda de quitter le palais de gouvernement, attendu qu’il pouvait ĂȘtre la cible d’une attaque, ce pourquoi PerĂłn se transporta au bĂątiment du ministĂšre de la Guerre[58].

Bombardement et mitraillage

À 12 h 40[59], une escadre de trente appareils de la marine de guerre argentine (comprenant 22 North American AT-6, 5 Beechcraft AT-11, et 3 hydravions de patrouille et de sauvetage Catalina)[60], qui avait depuis un certain temps dĂ©jĂ  survolĂ© la ville de Buenos Aires, se mit Ă  bombarder et Ă  mitrailler la place de Mai sur toute son Ă©tendue[61].

Peu avant l’heure fixĂ©e pour l’hommage de rĂ©paration Ă  la mĂ©moire de JosĂ© de San MartĂ­n, lors duquel il Ă©tait programmĂ© que des avions militaires survoleraient la cathĂ©drale, un public considĂ©rable s’était amassĂ© sur la place de Mai[62]. L’historien amĂ©ricain Robert Scheina affirme que les pilotes s’appliquĂšrent tout d’abord Ă  Ă©viter les victimes civiles, en volant Ă  plusieurs reprises au-dessus de la Casa Rosada, mais la foule croyait que c’étaient lĂ  des dĂ©monstrations de vol. Une force rebelle de bombardiers Beechcraft AT-11 et de transporteurs Douglas C-47 vola Ă  basse altitude sur le centre de Buenos Aires, dans l’espoir d’intimider les civils, mais la population ce jour-lĂ  s’attendait Ă  assister Ă  un spectacle aĂ©rien, et la manƓuvre ne produisit pas l’effet dĂ©sirĂ©[63].

S’agissant d’une attaque-surprise, c’est la population de Buenos Aires, non prĂ©venue et vaquant Ă  ses activitĂ©s habituelles en ce jour ouvrable, qui eut Ă  en pĂątir au premier chef. Parmi les premiĂšres victimes figuraient les passagers des vĂ©hicules de transport public. Les attaques aĂ©riennes occasionnĂšrent de nombreux dommages aux bĂątiments, faisant un grand nombre de morts et de blessĂ©s parmi les passants et les occupants de voitures particuliĂšres ou de transports en commun, en particulier Ă  l’angle des avenues ColĂłn et HipĂłlito Yrigoyen, en face du ministĂšre de l’Économie[62]. La premiĂšre bombe frappa un trolleybus rempli d’enfants, dont tous les occupants pĂ©rirent[64].

ProtĂ©gĂ© par la couverture aĂ©rienne, les troupes du capitaine de frĂ©gate Juan Carlos Argerich attaquĂšrent les grenadiers qui dĂ©fendaient la Casa Rosada ; Ă  l’arrivĂ©e des camions loyalistes acheminant des renforts, les insurgĂ©s tuĂšrent les conscrits qui les conduisaient, pour empĂȘcher ces troupes d’arriver Ă  destination[65]. Ayant appris que la Casa Rosada Ă©tait attaquĂ©e, des milliers d’ouvriers se mobilisĂšrent pour Ă©pauler les troupes loyales, mais se heurtĂšrent en arrivant Ă  une deuxiĂšme vague de bombardements, puis subirent davantage de pertes encore quand ils aidĂšrent Ă  reprendre le ministĂšre de la Marine[65]. En effet, sur les avenues ColĂłn et Belgrano, de nombreux civils Ă©taient occupĂ©s Ă  se rassembler, amenĂ©s lĂ  en camion principalement, et aperçurent une dense fumĂ©e dans les environs immĂ©diats du palais de gouvernement. Alors que les informations indiquaient que les forces loyales Ă©taient en passe d’encercler le rĂ©duit des rebelles au ministĂšre de la Marine, et que dĂ©jĂ  les derniers insurgĂ©s avaient arborĂ© le drapeau blanc, Ă  15h. apparurent inopinĂ©ment de nouveaux avions, qui se mirent Ă  bombarder le palais de gouvernement et ses environs, pour ensuite mitrailler cette mĂȘme zone en plusieurs Ă©volutions, provoquant un grand nombre de victimes et de graves dommages matĂ©riels. Le sol se retrouva jonchĂ© de nombreux cadavres de civils, tuĂ©s pendant qu’ils tentaient de s’abriter dans les bĂątiments contre les bombes et la mitraille. Les avions s’éloignaient ensuite, mitraillant en piquĂ©, et l’on supposait qu’ils reviendraient bientĂŽt, aprĂšs s’ĂȘtre rĂ©approvisionnĂ© en munitions[62].

Femme ayant une jambe dĂ©truite par l’attaque aĂ©rienne.

Cette attaque contre la population civile de son propre pays fut le baptĂȘme du feu de l’aĂ©ronavale argentine (son deuxiĂšme baptĂȘme se produira le 1er mai 1982, pendant la guerre des Malouines). CĂŽtĂ© opposĂ©, ce fut aussi le baptĂȘme du feu pour la force aĂ©rienne argentine, chargĂ©e de repousser les insurgĂ©s. Quelque 9 500 kg de bombes furent larguĂ©es pendant cette tentative de coup d’État, et d’innombrables balles de 7,65 et 20 mm furent tirĂ©es ; selon une version, comme les conjurĂ©s ne purent mettre la main sur des bombes Ă  haut pouvoir explosif, ils se rabattirent sur des bombes Ă  fragmentation de 50 kg de TNT[66], qui provoqueront rapidement des dizaines de victimes et d’importants dommages matĂ©riels, encore qu’une autre version tienne que ce sont des bombes ordinaires de dĂ©molition qui furent utilisĂ©es[67]. Un auteur indique que le poids total des bombes larguĂ©es ce jour-lĂ  peut avoir atteint 13,8 tonnes[68].

Cette attaque fut le quatriĂšme pilonnage dans l’histoire de la ville de Buenos Aires ; le premier eut lieu lors des invasions britanniques de 1806 et 1807, le deuxiĂšme Ă  l’occasion du combat de los Pozos en 1826, et le troisiĂšme pendant la rĂ©volution du Parc en 1890.

Les Ă©vacuations mĂ©dicales furent entreprises sans dĂ©lai, certaines mĂȘme sous les bombardements aĂ©riens, et effectuĂ©es par les habitants que se trouvaient sur place.

Combats urbains

À l’intĂ©rieur du palais de gouvernement et du ministĂšre de la Guerre, le camp loyaliste commença Ă  organiser la rĂ©sistance. Dans le camp opposĂ©, les troupes rebelles du 4e bataillon avaient Ă©tĂ© transportĂ©es Ă  Buenos Aires par camions aux premiĂšres heures de l’aprĂšs-midi, puis dĂ©ployĂ©es autour de la Casa Rosada, dans le but de s’en emparer[69]. Une compagnie rebelle prit position dans une rue adjacente, Ă  40 mĂštres de l’esplanade nord, tandis qu’un autre alla se retrancher sur le terrain de stationnement de l’Automobile Club, entre le parc ColĂłn et le Bureau de poste central, Ă  100 m de l’arriĂšre-garde de la Casa Rosada[1]. Ces troupes furent cependant refoulĂ©es, d’une part depuis l’intĂ©rieur de la Casa Rosada, par les effectifs du rĂ©giment de grenadiers Ă  cheval, et d’autre part depuis l’extĂ©rieur, par des troupes de l’armĂ©e de terre qui, placĂ©es sous le commandement du gĂ©nĂ©ral Lucero, avançaient Ă  partir du secteur du ministĂšre de l’Économie. La dĂ©fense de la Casa Rosada Ă©tait assurĂ©e par des mitrailleuses Browning M2 de 12,7 mm disposĂ©es sur le toit, tandis qu’aux Ă©tages d’en dessous diffĂ©rentes armes lĂ©gĂšres Ă©taient employĂ©es, notamment des fusils Mauser 1909 (dĂ©rivĂ©s du Mauser 98)[70].

Eu Ă©gard au fait que beaucoup des soldats rebelles Ă©taient des jeunes miliciens effectuant leur service militaire, on prit soin de ne pas tirer pour tuer, mais de seulement riposter[71]. Des sympathisants pĂ©ronistes, se saississant des armes, prĂȘtĂšrent main-forte aux troupes loyalistes[72].

Miliciens et ouvriers péronistes faisant feu sur le ministÚre de la Marine.

À 13 h 12, le dirigeant syndical Hugo Di Pietro, qui, en l’absence du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, se trouvait Ă  la tĂȘte de la CGT, parla Ă  la station de radio nationale et appela tous les travailleurs de la capitale fĂ©dĂ©rale et du Grand Buenos Aires Ă  se concentrer immĂ©diatement aux alentours de l’édifice du syndicat pour dĂ©fendre leur dirigeant. D’autre part, des dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux s’activaient Ă  mobiliser les ouvriers des usines de la banlieue de Buenos Aires, les exhortant Ă  se diriger vers le centre-ville[73].

PerĂłn ordonna Ă  son assistant, le major Cialceta, de communiquer Ă  Di Pietro que pas un seul homme ne devait accourir Ă  la place de Mai, car ceci Ă©tait « un affrontement entre soldats ». L’historien Joseph Page affirme, citant comme source un rapport de l’ambassade des États-Unis, que cet ordre ne sera pas donnĂ© avant 16 heures[73].

Les civils convoquĂ©s par la CGT et par les dirigeants de l’Alianza Libertadora Nacionalista se concentrĂšrent dans la partie nord-ouest de la place de Mai, pendant que des civils firent feu aussi sur les rebelles depuis le ministĂšre de la Guerre. Un mĂ©decin qui vint Ă  passer par la place courut jusqu’à la Casa Rosada, en dĂ©pit du danger qu’il y avait de franchir la ligne des bombardements, et resta plusieurs heures Ă  soigner les blessĂ©s pendant que se dĂ©roulaient les Ă©vĂ©nements[74].

La position dominante des rebelles commença Ă  basculer avant trois heures de l’aprĂšs-midi. L’artillerie loyaliste avait pris position dans un Ă©difice sis Ă  l’angle des rues Leandro N. Alem et Viamonte, d’oĂč ils attaquaient les soldats d’infanterie rebelles postĂ©s face Ă  l’esplanade nord de la Casa Rosada. AnĂ­bal Olivieri prit contact avec l’École de mĂ©canique de la marine, mais il Ă©tait tard dĂ©jĂ  pour se rallier encore au soulĂšvement, d’autant que l’école Ă©tait cernĂ©e par le 1er rĂ©giment de Palermo[1].

Les hommes du 4e bataillon se repliĂšrent en dĂ©sordre, sans cesser de lutter dans des combats de rue, jusqu’au ministĂšre de la Marine, sis Ă  peu de distance de la Casa Rosada, oĂč les rebelles se retrouvĂšrent bientĂŽt encerclĂ©s en compagnie de leur chef Samuel Toranzo CalderĂłn et du ministre de la Marine, Olivieri, ce dernier ayant entre-temps fait allĂ©geance au coup d’État par une surprenante « identification morale » aux rebelles ; ayant mis fin Ă  son sĂ©jour Ă  l’hĂŽpital naval, il avait pris, dĂšs son arrivĂ©e au ministĂšre de la Marine, la tĂȘte des opĂ©rations[75]. Les Commandos civils rebelles, sous les ordres du radical Miguel Ángel Zavala Ortiz, entrĂšrent en action en molestant les loyalistes, en affrontant la police et en agissant en franc-tireurs depuis les toits de ce qui Ă©tait alors le bĂątiment de la banque centrale d'Argentine. D’autres groupes de civils rebelles allĂšrent occuper diffĂ©rentes stations de radio afin de diffuser une proclamation rĂ©volutionnaire[76]. Dans la soirĂ©e, des troupes rebelles du 4e bataillon dĂ©pĂȘchĂ©es en renfort s’efforceront, au dĂ©part de la Poste centrale, de briser le siĂšge mis devant le ministĂšre de la Marine.

En rĂ©alitĂ©, les conspirateurs Ă©taient dĂ©sormais engagĂ©s dans un baroud d’honneur. Lucero avait ordonnĂ© une attaque multiple au mortier de 80 mm Ă  partir du palais de gouvernement et du ministĂšre de l’ArmĂ©e. À 15h.17, Ă  l’issue de deux entretiens tĂ©lĂ©phoniques entre Olivieri et Lucero, les rebelles, du ministĂšre de la Marine, levĂšrent le drapeau blanc, mais lorsque les gĂ©nĂ©raux Carlos Wirth et Juan JosĂ© Valle arrivĂšrent en jeep dans le bĂątiment pour parlementer avec les assiĂ©gĂ©s, une deuxiĂšme vague de bombardements eut lieu, plus longue et plus nourrie que la prĂ©cĂ©dente ; cette attaque dĂ©truisit les deux ailes sud du bĂątiment et tua un soldat et un gĂ©nĂ©ral[1]. Un char M4 Sherman fit feu sur le deuxiĂšme Ă©tage du ministĂšre de la Marine, causant une brĂšche et provoquant un incendie dans la salle des amiraux[1].

Affrontements dans les airs

Citoyens de Buenos Aires prùs d’un groupe de cadavres aprùs le bombardement.

Pendant que les combats s’intensifiaient dans le centre de Buenos Aires, le commandement loyaliste ordonna Ă  la base aĂ©rienne de MorĂłn de dĂ©ployer des intercepteurs Ă  rĂ©action. Les pilotes avaient Ă  ce moment des discussions trĂšs vives Ă  propos de leur adhĂ©sion ou non au mouvement rĂ©volutionnaire. Une escadrille de quatre Gloster Meteor loyale au gouvernement dĂ©colla pourtant sans tarder. Si elle n’arriva pas Ă  temps pour empĂȘcher le bombardement de Buenos Aires, elle parvint Ă  intercepter une escadrille aĂ©ronavale rebelle qui se retirait de la zone.

L’escadrille d’avions de chasse Meteor loyalistes se composait du :

  • Premier-lieutenant Juan GarcĂ­a (Ă  bord du I-039), au commandement.
  • Premier-lieutenant Mario Olezza (I-077).
  • Premier-lieutenant Osvaldo Rosito (I-090).
  • Lieutenant Ernesto Adradas (I-063).

Les appareils rebelles AT-6 Texan étaient pilotés par :

Le combat se produisit Ă  basse altitude au-dessus de l’aĂ©roport Jorge-Newbery de Buenos Aires et au-dessus du RĂ­o de la Plata. Le Texan du rebelle Armando RomĂĄn tomba sous les canons de 20 mm d’Adradas. RomĂĄn put se sauver en parachute, atterrit dans la mer et fut capturĂ©[1]. Adradas rĂ©ussit le premier abattage en date de la Force aĂ©rienne argentine (FAA), et le premier abattage par un aĂ©ronef Ă  rĂ©action sur le continent amĂ©ricain. Ce fut le « baptĂȘme du feu » de la FAA, laquelle serait Ă  nouveau mise Ă  contribution dans l’opĂ©ration militaire Independencia menĂ©e contre les guĂ©rilleros dans le TucumĂĄn entre 1975 et 1977, puis dans l’Atlantique sud en 1982, contre les forces britanniques dans la guerre des Malouines.

À leur retour, les pilotes loyalistes constatĂšrent que la base aĂ©rienne de MorĂłn Ă©tait entre-temps tombĂ©e aux mains des rebelles, qui, aprĂšs avoir neutralisĂ© les pilotes, s’emparĂšrent des Meteor[1] - [77] et les firent dĂ©coller pour continuer Ă  mitrailler la zone de la place de Mai en appui aux rebelles retranchĂ©s au ministĂšre de la Marine, prolongeant leurs actions offensives jusqu’à 17h.20[78]. Ces avions de la force aĂ©rienne, de concert avec tous ceux de la Marine, effectuĂšrent cette deuxiĂšme attaque contre la Casa Rosada alors que le reste du soulĂšvement Ă©tait dĂ©jĂ  au bord de l’échec : tous les rebelles se trouvaient alors Ă  l’intĂ©rieur du ministĂšre de la Marine, encerclĂ©s par des forces loyalistes trĂšs supĂ©rieures[79]. Le prĂ©sident PerĂłn fut visiblement affectĂ© en voyant que des effectifs de la FAA, qu’il avait lui-mĂȘme crĂ©Ă©e, se soulevaient contre lui[80]. À court de bombes, l’un de ces aviateurs utilisa son rĂ©servoir auxiliaire de carburant en guise de bombe incendiaire, qui alla s’écraser sur les automobiles stationnĂ©es sur le parking du palais de gouvernement[81].

Retraite et reddition

Devant l’échec du combat au sol et aprĂšs avoir perdu deux avions abattus par les batteries anti-aĂ©riennes Ă©rigĂ©es prĂšs de la place, plus un autre dans les airs, les pilotes rebelles reçurent l’ordre de fuir vers l’Uruguay et d’y requĂ©rir l’asile. Les avions rebelles franchirent alors le RĂ­o de la Plata en direction de l’aĂ©roport de Carrasco, mais avant de trouver refuge dans le pays voisin, ils mitraillĂšrent une derniĂšre fois « tout ce qui bougeait sur la place de Mai »[82]. Un Douglas DC-3 rĂ©ussit Ă  dĂ©coller Ă  destination de l’Uruguay, transportant Ă  son bord Miguel Ángel Zavala Ortiz et une cinquantaine d’autres conspirateurs. Quelques appareils, ayant trop consommĂ© de carburant dans les attaques, ne purent atteindre le territoire uruguayen et furent contraints de se laisser descendre dans le RĂ­o de la Plata ou dans des champs autour de Carmelo[1]. Jusqu’à que l’autodĂ©nommĂ©e RĂ©volution libĂ©ratrice eut reversĂ© PerĂłn en septembre de cette mĂȘme annĂ©e 1955, les sĂ©ditieux en fuite resteront rĂ©fugiĂ©s en territoire uruguayen.

Effectifs du régiment de grenadiers à cheval ayant participé à la défense de la Casa Rosada.

Dans un message radiophonique émis à 17h.15, Perón déclara :

« La situation est totalement maĂźtrisĂ©e. Le ministĂšre de la Marine, oĂč se trouvait le commandement rĂ©volutionnaire, s’est rendu et est occupĂ©, et les coupables sont dĂ©tenus. [...] Nous, comme peuple civilisĂ©, ne pouvons prendre des mesures que seraient conseillĂ©es par la passion, mais [seulement celles conseillĂ©es] par la rĂ©flexion. »

— Juan Domingo Perón[83]

Vers 17h.40, tandis que PerĂłn parlait dĂ©jĂ  depuis une dizaine de minutes sur la chaĂźne nationale et que la place de Mai s’était de nouveau remplie de gens, un Fiat G-6 de la force aĂ©rienne effectua un ultime vole rasant au-dessus de la place tout en mitraillant la multitude, avant de s’échapper vers l’Uruguay[1].

Au terme d’un Ăąpre combat terrestre, au cours duquel les rebelles feignirent une reddition, ceux-ci dĂ©cidĂšrent enfin de remettre le ministĂšre de la Marine aux mains des unitĂ©s de l’armĂ©e postĂ©es Ă  l’extĂ©rieur. Le Ă  3 heures du matin, il fut communiquĂ© aux meneurs du soulĂšvement — savoir : Olivieri, Gargiulo et Toranzo CalderĂłn —, qu’ils seraient jugĂ©s sous la loi martiale, et qu’une arme serait offerte Ă  chacun d’eux pour mettre fin Ă  leur vie. Olivieri et Toranzo rejetĂšrent cette proposition pour assumer pleinement leurs actes devant la cour, mais le vice-amiral BenjamĂ­n Gargiulo rĂ©solut de se suicider ; Ă  5h.45, peu avant l’aube, un coup de feu retentit dans son bureau[13].

Suites

Victimes

Couverture de la revue Ahora du .

En 2010 fut publiĂ© un rapport d’enquĂȘte officiel rĂ©alisĂ© par les Archives de la mĂ©moire du secrĂ©tariat argentin aux Droits de l’homme, lequel rapport fait Ă©tat de 308 morts identifiĂ©s, en prĂ©cisant qu’à ce nombre il convient d’additionner « un nombre incertain de victimes dont on ne parvint pas Ă  identifier les corps, par suite des mutilations et de la carbonisation causĂ©es par les dĂ©flagrations »[9]. Parmi les personnes assassinĂ©es figuraient 111 militants syndicaux identifiĂ©s appartenant Ă  la CGT, de qui 23 femmes[9]. L’on put identifier Ă©galement 6 enfants morts, le plus jeune ĂągĂ© de 3 ans[9]. La plupart des tuĂ©s Ă©taient des ressortissants argentins, mais on identifia par ailleurs 12 Italiens, 5 Espagnols, 4 Allemands et 6 morts Ă©trangers de nationalitĂ© bolivienne, chilienne, amĂ©ricaine, paraguayenne, russe et yougoslave[9].

Ultérieurement, la dictature autodénommée Révolution libératrice affirmera que « la principale cause du nombre élevé de victimes » était « la détermination absurde » de la CGT à appeler ses adhérents à se rendre sur la place de Mai[15].

ÉvĂ©nements subsĂ©quents

Monument (portant les noms des morts) dĂ©diĂ© aux victimes du bombardement de la place de Mai, Ă©rigĂ© devant la Casa Rosada en 2008, et baptisĂ© De los cielos los vieron llegar (littĂ©r. Des cieux ils les virent arriver), Ɠuvre de la sculptrice Nora Patrich.

Dans la nuit du 16 juin 1955, en guise de reprĂ©sailles pour l’assassinat de plusieurs centaines de civils, des sympathisants pĂ©ronistes, instruits du lien Ă©troit entre la hiĂ©rarchie catholique et les sĂ©ditieux qui avaient tramĂ© cette tentative de coup d’État, incendiĂšrent l’archevĂȘchĂ© de Buenos Aires, les basiliques Saint-Dominique et Saint-François, en plus de huit autres Ă©glises, sans que les policiers ou les pompiers prĂ©sents ne fissent rien pour l’empĂȘcher. Les journaux El LĂ­der et Democracia des 17, 18 et rĂ©pĂ©tĂšrent l’information Ă©manant de la police et selon laquelle des « incendiaires communistes » auraient Ă©tĂ© dĂ©couverts, ainsi que de vastes plans d’agitation et d’attentats contre des temples catholiques[84].

Lors d’une enquĂȘte menĂ©e aprĂšs le coup d’État du 16 septembre 1955, le vice-prĂ©sident Alberto Tessaire affirma dans un rapport remis au gouvernement, et qui aurait Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par les services de renseignements, que dans la nuit oĂč furent commises les attaques incendiaires contre des Ă©glises, il y eut trois groupes organisĂ©s, partis respectivement du ministĂšre de la SantĂ© publique, du Service de renseignements et du local du Parti pĂ©roniste, qui se dirigĂšrent sĂ©parĂ©ment vers les Ă©glises visĂ©es. Le dernier groupe, composĂ© d’environ 65 personnes, fut celui qui perpĂ©tra l’attaque contre l’archevĂȘchĂ© et la cathĂ©drale, et aurait Ă©tĂ© sous la responsabilitĂ© du vice-prĂ©sident Tessaire. Le groupe qui partit du ministĂšre de la SantĂ© publique aurait attaquĂ© les Ă©glises Saint-Dominique, Saint-Ignace, Saint-François et l’église de La Merced, et celui lancĂ© au dĂ©part du Service de renseignements se serait dirigĂ© vers celles de Saint-Nicolas et du Bon-Secours[45].

PerĂłn, bien qu’ayant fait dĂ©crĂ©ter l’état de siĂšge, tenta une rĂ©conciliation avec les secteurs de l’opposition, renonçant Ă  sa politique de confrontation et s’attachant Ă  calmer la classe ouvriĂšre par des appels sur les ondes de la radio.

Le bombardement de la place de Mai est l’un des antĂ©cĂ©dents directs du coup d’État civico-militaire qui devait se produire trois mois plus tard et qui rĂ©ussira Ă  destituer le 16 septembre 1955 le prĂ©sident PerĂłn et instaurer le rĂ©gime dictatorial dit RĂ©volution libĂ©ratrice.

Façade du ministĂšre de l’Économie, oĂč les impacts de projectiles aĂ©riens de calibre 20 mm sont encore visibles.

Quand mĂȘme les meneurs du massacre de la place de Mai devaient craindre de se voir infliger la peine de mort pour haute trahison, la peine la plus lourde, prononcĂ©e contre Toranzo CalderĂłn, sera l’emprisonnement Ă  perpĂ©tuitĂ©. Les militaires rĂ©fugiĂ©s en Uruguay, privĂ©s de leurs titres sur l’accusation de rĂ©bellion, seront cependant rĂ©intĂ©grĂ©s dans l’armĂ©e par les nouvelles autoritĂ©s issues du coup d’État du 16 septembre. Aucun civil du reste ne subira de condamnation[85].

Le 4e bataillon d’infanterie de marine fut dissous et la marine de guerre dĂ©pouillĂ©e de son pouvoir de feu (par retrait des fusĂ©es destinĂ©es Ă  leurs canons navals de gros calibre). Les militaires impliquĂ©s ou sympathisants sollicitĂšrent leur mise en disponibilitĂ© auprĂšs du chef de la force navale. Le reste des coupables ne passa pas en jugement.

Des impacts de projectiles, traces nettement visibles du mitraillage aĂ©rien par les rebelles, se notent aujourd’hui encore sur le revĂȘtement de granit de la façade du ministĂšre de l’Économie, qui borde le cĂŽtĂ© sud de la place de Mai.

Au cours de la dĂ©cennie 2000, diffĂ©rentes procĂ©dures furent engagĂ©es tendant Ă  qualifier le massacre de la place de Mai comme crime contre l'humanitĂ©. En 2008, la chambre fĂ©dĂ©rale de la ville de Buenos Aires qualifia cette action de « crime de lĂšse-humanitĂ© » (delito de lesa humanidad) et ordonna au juge Rodolfo Canicoba Corral de procĂ©der Ă  l’instruction du dossier afin d’établir les responsabilitĂ©s et de prononcer les condamnations applicables[86] - [87].

Reconnaissance et indemnisations

En 2013, le SĂ©nat argentin, statuant Ă  l’unanimitĂ©, convertit en loi un projet de loi Ă©manant du pouvoir exĂ©cutif et dĂ©clarant que les victimes des attentats et bombardements survenus du 16 juin au 16 septembre 1955 devaient bĂ©nĂ©ficier des lois de rĂ©paration (en espagnol leyes de resarcimiento) dĂšs lors qu’elles avaient Ă©tĂ© dĂ©tenues ou avaient subi la disparition forcĂ©e ou toute autre contrainte illicite de la part de l’État. La mesure s’étend Ă©galement aux militaires ayant subi des reprĂ©sailles ou ayant Ă©tĂ© limogĂ©s pour avoir refusĂ© de participer au bombardement[88]. Les victimes survivantes ont reçu l’hommage des Archives nationales de la MĂ©moire[89].

TĂ©moignage filmĂ© de l’attaque

Le fut portĂ© Ă  la connaissance du public l’existence d’un film de moyen mĂ©trage, d’une durĂ©e de 25 minutes, en 16 mm, dotĂ© de son optique, dĂ» Ă  une Ă©quipe de tournage française, qui se trouvait dans la capitale argentine au moment du bombardement de la place de Mai et faisait des prises de vue sans rapport avec ces Ă©vĂ©nements[90]. Le film, qui ne fut jamais projetĂ© en public ni en Argentine ni en France et qui contient des images inĂ©dites du bombardement, Ă©tait restĂ© inconnu jusqu’à ce que le journaliste argentin Roberto Di Chiara n’en fĂźt la dĂ©couverte et mĂźt au jour ce tĂ©moignage d’une grande valeur historique. Le document est conservĂ© aux archives DiFilm[91].

Notes et références

  1. « El bombardeo a Plaza de Mayo », El Ortiba
  2. Enrique Oliva, « 9 Granaderos », Nacional & Popular
  3. Florencio José Arnaudo, El año en que quemaron las iglesias, Pleamar, (ISBN 950-58-3069-6)
  4. CĂ©sar Tcach Abad, Sabattinismo y peronismo : partidos polĂ­ticos en CĂłrdoba, 1943-1955, p. 250-254
  5. 9 grenadiers, un officier, un soldat, 5 policiers et un civil en arme.
  6. (es) « Recuperar la historia, a 60 años del bombardeo », InfoNews, (consulté le )
  7. Carlos Alberto Floria et CĂ©sar A. GarcĂ­a Belsunce, Historia polĂ­tica de la Argentina contemporĂĄnea, 1880-1983, Alianza Editorial, , p. 157
  8. Alain Rouquié, Poder militar y sociedad política en la Argentina : 1943-1973, Emecé Editores, , p. 108. « Le 16 juin, la marine, appuyée par quelques appareils de la force aérienne, lança une attaque-suicide dirigée contre la Casa Rosada et destinée à liquider physiquement le président. »
  9. (es) Elsa Portugheis, Bombardeo del 16 de junio de 1955, Buenos Aires, Secretaría de Derechos Humanos de la Nación Argentina, (lire en ligne), « Atentado del 15 de abril de 1953 », p. 135-142
  10. (es) « La Plaza de Mayo tuvo 308 muertos », Crítica Digital, (consulté le )
  11. Jorge Luis Borges, Obras completas: 1952-1972 (p. 391), Rolando Costa Picazo et Irma Zangara, éd. Emecé, Buenos Aires 2009.
    « Comme résultat de ces faits, il y eut plus de deux cents morts et huit cents blessés, en majorité des civils. »

    — Jorge Luis Borges

  12. « Celebran resarcimiento a sobrevivientes del bombardeo », Parlamentario,
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Bibliographie

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Documentaires et films

  • A cielo abierto, documentaire de Pablo Torello.
  • El dĂ­a que bombardearon Buenos Aires, documentaire de Marcelo Goyeneche.
  • Maten a PerĂłn, documentaire de Fernando Musante.
  • PerĂłn, sinfonĂ­a del sentimiento, film de Leonardo Favio.

Liens externes

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