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Histoire des Juifs en Argentine

L’histoire des Juifs en Argentine remonte au dĂ©but du XVIe siĂšcle, lorsqu’à la suite de l’expulsion des juifs d’Espagne, des SĂ©farades, fuyant la persĂ©cution, immigrĂšrent aux cĂŽtĂ©s des explorateurs et des colons espagnols pour s'installer dans ce qui est aujourd’hui l’Argentine[1]. Cependant, les lois anti-juives d’Espagne Ă©tant en vigueur Ă©galement dans l’Empire colonial espagnol, ce qui signifie que les juifs n’étaient pas autorisĂ©s Ă  y rĂ©sider lĂ©galement, il est possible qu’il se soit agi de marranes, c’est-Ă -dire de descendants de juifs sĂ©farades qui, quoique convertis au christianisme, Ă©taient restĂ©s secrĂštement fidĂšles au judaĂŻsme et pratiquaient la religion clandestinement ; la plupart des commerçants portugais de la vice-royautĂ© du RĂ­o de la Plata auraient ainsi Ă©tĂ© juifs. D’autre part, il y avait, surtout aprĂšs 1810, des juifs parmi la population Ă©trangĂšre de Buenos Aires, par exemple parmi les commerçants anglais et français. AprĂšs l’indĂ©pendance, il y eut une petite vague d’immigration de juifs venus d’Allemagne. Toutefois, vers 1880, la communautĂ© juive d’Argentine ne devait pas dĂ©passer la centaine de personnes et rĂ©sidait essentiellement Ă  Buenos Aires. RestĂ©e sporadique jusqu’à cette date, l’immigration juive devint massive et systĂ©matique aprĂšs qu’un dĂ©cret du prĂ©sident Julio Argentino Roca, pris dans le cadre de sa politique de peuplement des terres agricoles nouvellement conquises sur les AmĂ©rindiens, invita spĂ©cifiquement les juifs russes persĂ©cutĂ©s Ă  immigrer en Argentine. L’arrivĂ©e du vapeur Weser en 1889 marqua le dĂ©but de l’immigration organisĂ©e de juifs en Argentine, immigration qui fut coordonnĂ©e par le baron Hirsch, puis par l’AIU. En 1890, l’État argentin lança son plan d’immigration, lequel prĂ©voyait entre autres mesures l’acquittement par l’État argentin des frais de passage, ce qui contribua Ă  faire venir, de 1891 Ă  1896, plus de 20 000 juifs en provenance de Russie et de Roumanie, lesquels se sont en grande majoritĂ© Ă©tablis comme agriculteurs dans les colonies agricoles des provinces de Buenos Aires, d’Entre RĂ­os et de Santa Fe. Une partie des descendants de ces « gauchos juifs » a ensuite prĂ©fĂ©rĂ© se fixer Ă  Buenos Aires pour y rejoindre les nouveaux arrivants juifs et se concentrer dans certains quartiers, notoirement dans l’Once. C'est dans ce quartier qu'ont surgi les premiĂšres institutions religieuses et communautaires juives, piliers d’une future communautĂ© juive organisĂ©e. En 1920, environ 150 000 juifs vivaient en Argentine. À partir de 1928, et plus spĂ©cialement aprĂšs qu’Adolf Hitler eut pris le pouvoir en 1933, des vagues d’immigrants juifs dĂ©ferlĂšrent sur l’Argentine en provenance de l’Allemagne nazie et du reste de l’Europe occupĂ©e, dont plusieurs milliers de juifs allemands. MalgrĂ© certaines restrictions, l’Argentine sera le pays latino-amĂ©ricain qui entre 1933 et 1945 recueillit le plus grand nombre de rĂ©fugiĂ©s juifs : environ 45 000 juifs europĂ©ens, dont probablement la moitiĂ© illĂ©galement.

JudaĂŻsme en Argentine
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La Synagogue centrale, connue aussi comme le Temple Liberté, à Buenos Aires
Religion JudaĂŻsme
Pays Drapeau de l'Argentine Argentine
Représentation Association mutuelle israélite argentine (AMIA), Delegación de Asociaciones Israelitas Argentinas (DAIA)
Autre représentation Fundación Tzedakå de Argentina
Langue traditionnelle HĂ©breu, yiddish, ladino, d'autres langues juives (les plus menacĂ©es et certaines maintenant disparues), langues des pays d’origine (russe, polonais, etc.)
Langue liturgique HĂ©breu
Langue parlée Espagnol, hébreu, yiddish et russe
Population juive 250 000 - 300 000 (2009)
Localité significative Buenos Aires, Rosario, Córdoba, San Miguel de Tucumån
Groupes Ashkénaze, Séfarade, Mizrahim et autres
Groupe majoritaire Ashkénaze
Histoire
31 mars 1492 DĂ©cret de l'Alhambra (expulsion des juifs hors d’Espagne)
24 mars 1813 AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale constituante, abolition de l’Inquisition
1862 Fondation de la Congrégation israélite de Buenos Aires
1885 et 1889 Arrivée en Argentine de 2385 juifs à bord du navire Weser (1re immigration juive de masse)
1890 Fondation de la colonie agricole juive Moisés Ville (province de Santa Fe)
1891 PremiÚre immigration juive organisée (par le baron Hirsch)
1894 Fondation de l'AMIA (d’abord sous le nom de Jevrá Kedushá)
27 septembre 1897 Construction de la synagogue Libertad Ă  Buenos Aires
Janvier 1919 Pogrom de la Semaine tragique
Mai 1960 Capture d’Eichmann
1992 et 1994 Attentas terroristes contre resp. l’ambassade d’IsraĂ«l et contre l’AMIA

Voir aussi

Bien que de nombreux Juifs aient quittĂ© l’Argentine depuis lors — d’abord dans les dĂ©cennies 1970 et 1980, pour Ă©chapper Ă  la rĂ©pression de la junte militaire, puis de 1998 Ă  2002, pour fuir la crise Ă©conomique —, Ă  destination notamment d’IsraĂ«l (quelque 10 000 juifs au total dans les annĂ©es 2000) et de l’Europe (en particulier l’Espagne) ou de l’AmĂ©rique du Nord, le pays reste le foyer de la plus vaste population juive de toute l’AmĂ©rique latine[1] et, aprĂšs les États-Unis et le Canada, de la troisiĂšme du continent sud-amĂ©ricain, avec environ 230 000 membres aux alentours de l’annĂ©e 2014[2], la population juive au sens large se chiffrant cependant Ă  environ 300 000 ; ces effectifs reprĂ©sentent environ 0,5 % de la population argentine totale. Compte tenu de la composition des vagues d’immigration successives, on peut estimer que la population juive actuelle est Ă  80 % d’origine ashkĂ©naze, SĂ©farades et Mizrahim Ă©tant donc en nette minoritĂ©[3]. La majeure partie vit Ă  Buenos Aires, CĂłrdoba, Rosario, San Miguel de TucumĂĄn et dans d’autres grandes villes.

Une certaine hostilitĂ© officielle Ă  l’égard des juifs se manifesta dĂšs la fin du XIXe siĂšcle, sous les espĂšces du soupçon d’inaptitude des juifs Ă  faire corps avec le reste de la sociĂ©tĂ© argentine, notamment lorsque des colons agricoles juifs entreprirent de crĂ©er leurs premiĂšres Ă©coles. Au lendemain de la RĂ©volution russe d'octobre 1917, les thĂ©ories rĂ©volutionnaires, plus particuliĂšrement anarchistes, furent dĂ©libĂ©rĂ©ment amalgamĂ©es par les classes dirigeantes d’alors aux prĂ©jugĂ©s traditionnels contre les juifs, soupçonnĂ©s en consĂ©quence de fomenter la rĂ©volution socialiste ; l’hostilitĂ© ainsi fabriquĂ©e contre les « Russes » (lire : les juifs d’Europe orientale)[4], sera Ă  l’origine des graves violences (matĂ©rielles et physiques) commises en contre les juifs de l’Once, dans le cadre d’une virulente grĂšve gĂ©nĂ©rale qu’il est convenu d’appeler la Semaine tragique, violences se soldant par une centaine de morts juives — unique cas de pogrom jamais enregistrĂ© sur le continent sud-amĂ©ricain[5]. Pendant la Seconde Guerre mondiale, une attitude discriminatoire de la Direction des migrations ressort sans Ă©quivoque de l’examen du solde des immigrants refoulĂ©s et admis (seul un sur quatre juifs Ă©tait admis Ă  immigrer, contre globalement trois sur quatre). Dans l’immĂ©diat aprĂšs-guerre, avec Santiago Peralta Ă  la Direction de l’immigration, seuls 3 000 rĂ©fugiĂ©s de guerre, sur un total de 71 421 accueillis (toutes nationalitĂ©s confondues) jusqu’en 1949, Ă©taient des juifs. Des flambĂ©es d’antisĂ©mitisme eurent lieu sous le gouvernement de PerĂłn, lors de l’ñpre conflit opposant celui-ci avec l’Église en 1953, puis Ă  la suite de l’enlĂšvement d’Eichmann, et enfin sous la dictature militaire, oĂč les juifs Ă©taient nettement sur-reprĂ©sentĂ©s parmi les victimes de la rĂ©pression illĂ©gale. À signaler enfin les attentats sanglants de 1992 contre l’ambassade d’État d’IsraĂ«l, et celui de 1994 contre l’AMIA.

L’apport de la communautĂ© juive Ă  la vie intellectuelle argentine, passĂ©e et prĂ©sente, apparaĂźt notable, en particulier dans les domaines de la presse, de la radiotĂ©lĂ©diffusion (oĂč plusieurs juifs font figure de pionniers), de la culture (thĂ©Ăątre yidiche, littĂ©rature), de la recherche et de l’enseignement universitaires (le prix Nobel de mĂ©decine CĂ©sar Milstein Ă©tait juif), etc. La communautĂ© est solidement organisĂ©e autour d’un ensemble d’institutions, notamment l’AMIA, la DAIA (DelegaciĂłn de Asociaciones Israelitas Argentinas), parmi les principales. La synagogue de la CIRA (CongregaciĂłn Israelita de la RepĂșblica Argentina), sise rue Libertad Ă  Buenos Aires, et par lĂ  dĂ©nommĂ©e synagogue Libertad, est la plus ancienne d’Argentine.

Immigration juive en Argentine

Buenos Aires est la ville Ă  la population d’origine juive de loin la plus importante d’Argentine et d’AmĂ©rique latine en gĂ©nĂ©ral.

Antécédents et situation des juifs en Europe

Carte montrant la prĂ©sence juive par pays, oĂč les États hĂ©bergeant les communautĂ©s juives les plus importantes sont figurĂ©s dans des nuances de bleu plus foncĂ©es. La communautĂ© juive argentine est l’une des plus nombreuses au monde, et l’une des plus notoires en raison de son intĂ©gration et sa participation Ă  la sociĂ©tĂ© argentine, et de ses apports culturels. Du point de vue des effectifs, les juifs argentins reprĂ©sentent la troisiĂšme communautĂ© juive sur le continent amĂ©ricain, et la cinquiĂšme au niveau mondial.

Les dĂ©crets ayant dĂ©terminĂ© l’expulsion des juifs hors d’Espagne en 1492 Ă©taient en vigueur Ă©galement dans l’Empire colonial espagnol, ce qui signifie que les juifs n’étaient pas autorisĂ©s Ă  y rĂ©sider lĂ©galement. Il est possible toutefois que quelques-uns soient arrivĂ©s en AmĂ©rique espagnole comme crypto-juifs ou marranes, c’est-Ă -dire comme descendants de juifs sĂ©farades qui, quoique convertis au christianisme, Ă©taient restĂ©s secrĂštement fidĂšles au judaĂŻsme et pratiquaient la religion clandestinement. Peut-ĂȘtre pensaient-ils que sur un territoire aussi Ă©loignĂ© que les colonies amĂ©ricaines, le contrĂŽle de l’Église sur les nouveaux chrĂ©tiens serait moins sĂ©vĂšre qu’en Europe. D’autre part, il y avait, surtout aprĂšs 1810, des juifs parmi la population Ă©trangĂšre de Buenos Aires, par exemple parmi les commerçants anglais et français[6].

Dans l’Empire russe, les juifs subirent jusqu’au milieu du XIXe siĂšcle une sĂ©rie de pratiques discriminatoires et la violence de l’État. Cette politique hostile pouvait se manifester par des lois spĂ©ciales (impĂŽts particuliers, restrictions quant au lieu de rĂ©sidence, service militaire de 25 ans, entre autres) ou se traduire par des pogroms, c’est-Ă -dire des attaques physiques dirigĂ©es contre des villages juifs et tolĂ©rĂ©es voire organisĂ©es par les autoritĂ©s. La situation des juifs russes allait en outre s’aggravant par la croissance dĂ©mographique spĂ©cifiquement juive de la fin du XIXe siĂšcle. En effet, rien que dans la pĂ©riode de 1880 Ă  1897, la population juive de l’Empire passa de 4 Ă  5,25 millions. À partir de 1855, le tsar Alexandre II, conscient du retard de la Russie vis-Ă -vis des autres puissances europĂ©ennes, se proposa de moderniser son Empire. Parmi les mesures qu’il prit alors figurait notamment la cessation des restrictions de rĂ©sidence pour les juifs et l’abolition du service militaire spĂ©cial. Cependant, devant le mĂ©contement des paysans et du prolĂ©tatriat industriel, et devant l’opposition croissante des groupes rĂ©volutionnaires, le tsar en revint bientĂŽt Ă  remettre en vigueur les anciennes mesures rĂ©pressives. En particulier, pour ce qui est des juifs, depuis 1870 seul un tiers des membres d’un conseil communal pouvait ĂȘtre juif, y compris dans les localitĂ©s oĂč ceux-ci Ă©taient majoritaires. Les Ă©coles juives ouvertes dans la dĂ©cennie 1840 furent Ă  nouveau fermĂ©es, et des pogroms eurent lieu Ă  Odessa (en 1871) et dans le Caucase (en 1878). À la suite de l’assassinat du tsar en 1881, une nouvelle vague de pogroms dĂ©ferla sur les villages juifs, et l’on comptabilisera, dans la seule annĂ©e suivant l’attentat, 150 de ces attaques. En 1882, le nombre de mĂ©decins juifs habilitĂ©s Ă  servir dans l’armĂ©e fut restreint Ă  5 %, ce en dĂ©pit de leur notable activitĂ© pendant la guerre russo-turque. Une opĂ©ration de licenciement fut menĂ©e contre les juifs occupĂ©s Ă  des postes officiels, et Ă  partir de 1889, les juifs devaient solliciter un permis spĂ©cial pour pouvoir exercer la profession d’avocat. Dans la dĂ©cennie 1890 fut dĂ©crĂ©tĂ©e l’expulsion des juifs hors des deux principales villes russes, Saint-PĂ©tersbourg et Moscou. Dans cette derniĂšre ville, l’expulsion de 1891 frappa quelque 20 mille artisans juifs Ă©tablis lĂ  lĂ©galement depuis l’époque d’Alexandre II. Les Ă©tudiants juifs ne pouvaient globalement dĂ©passer les 10 % de l’ensemble des Ă©tudiants (3 % dans les villes ci-avant mentionnĂ©es). Beaucoup d’institutions furent directement interdites aux juifs. Les juifs ne pouvaient pas acquĂ©rir de biens immeubles en dehors des villes. En 1903 se produisit un sanglant pogrom Ă  Chișinău, provoquant la mort d’une cinquantaine de personnes et en blessant plus de 500. Des attaques eurent lieu Ă©galement Ă  Odessa, avec 300 morts, Ă  BiaƂystok et Ă  Siedlce. À partir de 1905, un groupement paramilitaire, la Centurie noire, exĂ©cuta ou impulsa une vague de pogroms sanglants. En 1906, un pogrom Ă  BiaƂystok se solda par un bilan de 200 morts. Entre le pogrom de Chișinău de 1903 et celui de Byalistok, les villages juifs eurent Ă  subir au total 254 attaques[7].

Motifs pour Ă©migrer

Suivant les Ă©poques, les motifs ont Ă©tĂ© : les expulsions, les persĂ©cutions, les pogroms, l’antisĂ©mitisme. De l’Inquisition jusqu’à l’Holocauste, la communautĂ© juive a pu trouver sur les terres argentines un foyer oĂč s’établir. Les Juifs vinrent dans le RĂ­o de la Plata Ă  partir du XVIe siĂšcle, en provenance d’Espagne, du Portugal et d’Afrique du nord. Par la suite, aux XIXe et XXe siĂšcles, la zone d’origine fut principalement l’Europe occidentale, surtout l’Allemagne, et l’Europe de l’est, au premier chef la Russie et la Roumanie. Les causes de cette Ă©migration Ă©taient notoirement les politiques oppressives (du tsarisme dans l’Empire russe notamment) ou des situations de crise mettant en pĂ©ril la base Ă©conomique des familles juives. La discrimination (antisĂ©mitisme) que subissaient les juifs en Europe dans l’entre-deux-guerres, en particulier sous le nazisme, fut le moteur principal poussant les juifs Ă  s’embarquer pour les États-Unis et l’AmĂ©rique du Sud[8].

XVIIe siĂšcle

Le poĂšte et essayiste Luis Franco affirme que dans le seul mois d’ arrivĂšrent Ă  Buenos Aires huit navires amenant un grand nombre de passagers d’origine juive en provenance de Lisbonne et de Lima. Une bonne partie de ces immigrants s’adonneront au commerce et Ă  diverses activitĂ©s productives, comme l’argenterie, la menuiserie, et aussi Ă  l’agriculture, d’abord comme mĂ©tayers, puis comme propriĂ©taires de domaine (estancieros) et dĂ©tenteurs d’esclaves. Ces immigrants s’intĂ©grĂšrent dans la sociĂ©tĂ© de Buenos Aires en Ă©pousant les filles et petites-filles des tout premiers habitants de la ville, et furent ainsi Ă  l’origine du patriciat argentin.

« Lorsqu’on analyse les patronymes de Buenos Aires portĂ©s par les personnes en vue dans ces temps-lĂ , on s’aperçoit en effet que tous, ou quasiment tous, sont issus d’une souche judĂ©o-portugaise, plus ou moins modifiĂ©e par l’apport de sang aragonais, navarrais ou basque (Arana, Argañaraz, GarcĂ­a, Zabala, Irala, Torres, Pereda, Insiarte, Gaete, GarrigĂłs, Ezcurra, BelĂĄustegui, Otolora, Pereyra, Ramos, SĂĄenz Valiente, Acevedo, Cueto, Piñeiro, Vidal, Fragueiro, Pinto, Pacheco, Rocha, etc.). »

— Luis Franco[9]

Pourtant, Ă  l’époque coloniale, le sĂ©jour de personnes de confession juive Ă©tait interdite. En outre, les catholiques suspectĂ©s d’ĂȘtre judaĂŻsants Ă©taient persĂ©cutĂ©s par le tribunal de l’Inquisition, comme l'atteste l’histoire du mĂ©decin Francisco Maldonado da Silva, brĂ»lĂ© vif par ledit tribunal Ă  Lima[10]. Ce nonobstant, beaucoup parmi les nĂ©gociants d’origine portugaise dans la vice-royautĂ© du RĂ­o de la Plata Ă©taient des juifs sĂ©farades, mĂȘme s’ils ne se constitueront en communautĂ© organisĂ©e qu’aprĂšs que l’Argentine se fut rendue indĂ©pendante de l’Espagne. Vers l’annĂ©e 1810, des juifs venus de France et d’autres parties d’Europe occidentale commencĂšrent Ă  s’installer sur le territoire argentin. Dans les Provinces-Unies du RĂ­o de la Plata, l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale constituante rĂ©unie le proclama l’extinction de l’Inquisition, ce qui ne signifia pas pour autant que les juifs pouvaient vivre librement dans ce qui allait devenir l’Argentine actuelle[10].

XIXe siĂšcle

La puissante vague d’immigration juive qui dĂ©ferla sur l’Argentine Ă  partir de la fin du XIXe siĂšcle Ă©tait alimentĂ©e par les communautĂ©s juives d’Europe orientale. Les juifs persĂ©cutĂ©s dans leur pays d’origine et accueillis en Argentine se retrouvaient dans un pays en gestation, ayant besoin de grands contingents de nouveaux citoyens, et qui recevait les immigrants dans un climat de libertĂ© et avec des promesses de dĂ©veloppement. L’Argentine en effet Ă©tait un pays neuf, qui venait de mettre fin Ă  plus d’un demi-siĂšcle de luttes intestines, de guerres civiles et de fragmentation en provinces autonomes. Vers 1880, l’État argentin enfin consolidĂ© pouvait Ă  prĂ©sent s’engager sur la voie du progrĂšs et de la croissance Ă©conomique en s’intĂ©grant dans le marchĂ© mondial de production et de commerce. Les juifs, aux cĂŽtĂ©s de milliers d’autres immigrants europĂ©ens, Ă©taient appelĂ©s eux aussi Ă  s’associer Ă  cet effort[11].

L’un des problĂšmes majeurs de ce pays neuf Ă©tait sa pĂ©nurie de population. Les difficultĂ©s Ă  trouver de la main-d’Ɠuvre pour les travaux des champs, pour la construction de chemins de fer, la manutention portuaire et ou pour toute autre activitĂ© nĂ©cessaire Ă  l’intĂ©gration efficace de l’économie argentine dans le marchĂ© mondial compromettaient la rĂ©ussite du projet de dĂ©veloppement. De surcroĂźt, par suite de la raretĂ© de la main-d’Ɠuvre, le coĂ»t du travail Ă©tait trop Ă©levĂ© pour les employeurs. Pour toutes ces raisons, il apparaissait vital aux milieux dirigeants argentins de mettre en Ɠuvre une politique active propre Ă  attirer des immigrants vers le territoire national[12].

Au moment oĂč le nouvel État national commençait Ă  s’organiser politiquement, vers le milieu du XIXe siĂšcle, c’était une immigration europĂ©enne que la classe dirigeante avait en vue, avec pour objectifs, premiĂšrement, de mettre Ă  la disposition des secteurs productifs de forts effectifs de main-d’Ɠuvre, deuxiĂšmement, d’influencer ainsi dans un sens favorable le niveau des salaires, et troisiĂšmement, de faire peupler par des immigrants les Ă©tendues de terre situĂ©es aux marges du pays — marginalitĂ© qui n’était pas nĂ©cessairement conditionnĂ©e par la qualitĂ© de la terre, mais par la situation geographique ; il s’agissait en effet de terres confinant aux territoires tenus par les Indiens, tant dans le Litoral (zones riveraines des deux grands fleuves, Uruguay et ParanĂĄ) que dans le sud, et peupler cette zone frontaliĂšre, avec l’assistance de colonnes armĂ©es, devait permettre Ă  la fois d’incorporer davantage de terre productive Ă  l’économie d’exportation et garder Ă  distance les Indiens sans obĂ©rer les finances de l’État. La politique d’immigration Ă©tant une prioritĂ© pour l’État argentin, on promulgua sous la prĂ©sidence de NicolĂĄs Avellaneda la loi de l’Immigration et de la Colonisation, qui prĂ©voyait l’ouverture d’agences en Europe afin de porter Ă  la connaissance du public la politique argentine en la matiĂšre et de faciliter l’immigration, ainsi que la mise en place de mĂ©canismes favorisant l’intĂ©gration et l’insertion des immigrants fraĂźchement arrivĂ©s au pays[13].

Cependant, justement parce que la richesse argentine rĂ©sidait dans la terre, accĂ©der Ă  la propriĂ©tĂ© de celle-ci Ă©tait quasi impossible pour les immigrants. Les meilleures terres Ă©taient concentrĂ©es aux mains de grands propriĂ©taires terriens peu disposĂ©s Ă  les cĂ©der. MĂȘme Ă  supposer qu’un immigrant eĂ»t rĂ©ussi Ă  s’acquĂ©rir un petit domaine, il ne pourrait pas entrer en compĂ©tition avec les grands producteurs, lesquels accĂ©daient plus facilement au crĂ©dit, Ă©taient familiers des filiĂšres de commercialisation et partie prenante Ă  la fixation des prix. L’accĂšs malaisĂ© Ă  la propriĂ©tĂ© de la terre fut une des raisons pour lesquelles la plupart des immigrants finiront par s’installer dans les villes[14].

Les immigrants se destinant Ă  la campagne devaient se rĂ©signer Ă  prendre Ă  bail des parcelles de terre, en s’efforçant de nĂ©gocier le meilleur contrat possible avec le propriĂ©taire. De plus, attendu que les immigrants disposaient de peu de capital, et que nombre d’entre eux avaient de toute façon l’intention de retourner en Europe au bout de quelques annĂ©es, ils prĂ©fĂ©raient prendre Ă  bail la plupart des terres au lieu d’un acheter une petite Ă©tendue[13].

Le pourcentage d’étrangers, atteignant 30 % en Argentine, devint le plus Ă©levĂ© parmi les pays d’immigration. (Aux États-Unis par exemple, le taux de population Ă©trangĂšre ne dĂ©passa jamais les 15 %.) Entre 1880 et 1930, qui fut la pĂ©riode d’immigration massive en Argentine, on vit affluer plus de six millions de personnes, dont un peu plus de la moitiĂ© restera dans le pays. De l’ensemble des immigrants, 46 % provenaient d’Italie, 33 % d’Espagne, 3,5 % de France et 3 % de l’Empire russe — avec, parmi ces derniers, les premiers juifs[15].

En 1846 se produisit un afflux de juifs venus d’Allemagne, dont les effectifs demeurent inconnus. Avant 1855, les juifs Ă©taient originaires d’Europe de l’ouest, et c’était Ă  Buenos Aires qu’ils s’établissaient. Une immigration juive de ce type se poursuivra jusqu’au milieu du XIXe siĂšcle. En 1853, le judaĂŻsme argentin commença Ă  exister en tant que communautĂ©[8].

L’Inquisition fut abolie en 1813 et la libertĂ© religieuse sera inscrite dans la constitution argentine de 1853 ; toutefois, les cultes non catholiques auxquels avaient songĂ© les constituants ne concernaient que les seuls cultes protestants, et non le judaĂŻsme. De fait, le nombre de juifs arrivĂ©s en Argentine avant 1880 restait infime, et c’étaient presque toujours des reprĂ©sentants de maisons de commerce ou de banques europĂ©ennes[6].

En 1860, un couple d’origine française (qui peut-ĂȘtre envisageait de toute façon de retourner en France) dut, pour pouvoir cĂ©lĂ©brer un mariage juif reconnu lĂ©galement, dĂ©poser un recours auprĂšs de la Cour suprĂȘme de justice. Vers le milieu du XIXe siĂšcle, les juifs vivant en Argentine ne dĂ©passaient toujours pas la centaine. En 1862, aux approches de la pessa'h, ce groupe rĂ©duit songea Ă  se regrouper dans une entitĂ© communautaire. Dix ashkĂ©nazes argentins (masculins) se rĂ©unirent pour prier, donnant par lĂ  naissance Ă  la CongrĂ©gation israĂ©lite de Buenos Aires, ou CongrĂ©gation israĂ©lite de la RĂ©publique argentine (CIRA), dont le premier prĂ©sident fut Segismundo Aguerbag[16].

En 1876, le gouvernement argentin autorisa l’exercice du ministùre du rabbinat juif, et devint favorable à l’immigration juive en provenance de l’Empire russe.

Le dĂ©but de l’immigration juive : les colonies agricoles

À la fin du XIXe siĂšcle et dans les premiĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle, un important nombre de juifs ashkĂ©nazes vint alors en Argentine au dĂ©part de l’Europe de l’est, fuyant les persĂ©cutions et les pogroms. Les immigrants juifs en arrivant en Argentine trouvĂšrent Ă  s’employer comme agronomes et vignerons dans la province de Mendoza, et comme ingĂ©nieurs en Terre de feu, dans les annĂ©es de 1883 Ă  1886. D’autres exerçaient des mĂ©tiers ouvriers, d’agriculteur et d’industriel[8].

Immigrants juifs débarquant du vapeur Weser en 1889 à Buenos Aires.

Sous la prĂ©sidence de Julio Argentino Roca, un dĂ©cret invitait spĂ©cifiquement les juifs russes Ă  immigrer en Argentine, et JosĂ© MarĂ­a Bustos fut nommĂ© agent du gouvernement argentin en Europe, avec pour mission de stimuler cette immigration. Depuis lors, et face Ă  la grave situation des juifs dans l’Empire russe, les communautĂ©s juives d’Europe occidentale, rĂ©unies dans l’Alliance IsraĂ©lite Universelle (AIU), allaient favoriser l’immigration des juifs d’Europe orientale vers l’Argentine, immigration dont le financement serait Ă  charge du philanthrope juif, le baron Maurice de Hirsch. En 1888, huit familles juives d’Ukraine arrivĂšrent en Argentine lors d’une opĂ©ration mise sur pied par l’Alliance, et allĂšrent se fixer Ă  Monigotes, dans la province de Santa Fe. Plus tard viendront les rejoindre cinquante autres familles[17], qui fonderont la colonie aujourd’hui disparue de Colonia de Aronsville.

En 1889, un groupe de juifs de l’Empire russe rencontra Ă  Paris le grand propriĂ©taire foncier Rafael HernĂĄndez (frĂšre de l’écrivain JosĂ© HernĂĄndez, auteur du MartĂ­n Fierro), qui reprĂ©sentait le gouvernement argentin, et signa un contrat pour l’achat de terres dans la province de Buenos Aires. La superficie des parcelles ainsi acquises variait entre 25 et 100 hectares, en fonction des possibilitĂ©s de l’acquĂ©reur. Le vendeur s’engageait d’autre part, aux termes du contrat, Ă  fournir outils agricoles, nourriture et provisions, dont le prix serait Ă  acquitter plus tard, dĂšs aprĂšs la premiĂšre rĂ©colte. Le gouvernement argentin subventionna le passage en bateau des colons et l’Alliance israĂ©lite universelle prit en charge le voyage des familles impĂ©cunieuses. En outre, l’Alliance entreprit des dĂ©marches auprĂšs du gouvernement argentin pour que celui-ci prenne soin des nouveaux immigrants. Ainsi 120 familles, comprenant 820 juifs russes environ, s’embarquĂšrent Ă  BrĂȘme sur le vapeur Weser, dont l’accostage en 1889 est considĂ©rĂ© comme marquant le dĂ©but de l’immigration organisĂ©e de juifs en Argentine[18].

La synagogue Baron Hirsch à Moisés Ville.

Cependant, en dĂ©barquant du Weser, les immigrants dĂ©couvrirent que les terres promises avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© cĂ©dĂ©es Ă  bail quelque temps auparavant. La hausse du prix de la terre, consĂ©cutive Ă  un pic de l’exportation de produits agricoles, avait conduit HernĂĄndez Ă  se rĂ©tracter du contrat. Refusant de partir vers une destination de substitution dans le Chaco (oĂč les juifs russes eussent difficilement supportĂ© le climat), les nouveaux immigrants conclurent un autre contrat, cette fois avec le propriĂ©taire Pedro Palacios, payant les terres 40 pesos l’hectare, alors que leur valeur ne dĂ©passait pas les 10 pesos, puis se rendirent sur place, dans la province de Santa Fe. Toutefois, Palacios nĂ©gligea d’expĂ©dier l’outillage promis, et pendant deux mois, les colons ne devront leur survie qu’aux aumĂŽnes lancĂ©es des trains et Ă  la charitĂ© des ouvriers du chemin de fer. Le Dr Wilhelm Loewenthal, chargĂ© par l’Alliance d’examiner la situation des colonies de Santa Fe, constata leur Ă©tat lamentable et entreprit des dĂ©marches auprĂšs du gouvernement de Santa Fe, du ministĂšre des Relations extĂ©rieures (auquel ressortissait l’immigration) et de Pedro Palacios. Fin 1889 enfin, Palacios transfĂ©ra les juifs vers leurs terres et les pourvut du nĂ©cessaire pour l’élevage de carpes. En 1890, les colons juifs fondaient officiellement leur colonie, baptisĂ©e MoisĂ©s Ville, en hommage au hĂ©ros biblique MoĂŻse. Les immigrants du Weser durent ainsi leur survie Ă  la divulgation de leur situation par Loewenthal[19] - [20]

En 1889, quelque 1 200 immigrants dĂ©barquĂšrent en Argentine, qui avaient fait le voyage au dĂ©part de l’Allemagne, une nouvelle fois Ă  bord du Weser, et aussi du Bremer. Ils Ă©taient en gĂ©nĂ©ral originaires de la rĂ©gion de Podolie en Ukraine. Ils suivaient scrupuleusement les prĂ©ceptes de la religion, et respectaient la tradition en matiĂšre de tenue vestimentaire, de port de barbe etc.[21] Entre 1885 et 1889, aprĂšs que les menaces d’expulsion des juifs hors du territoire de la Russie se furent intensifiĂ©es, c’est ainsi un total de 2 385 juifs qui arrivĂšrent en Argentine Ă  bord du navire Weser, de qui il est su que 2 260 sont restĂ©s dans le pays. En 1888 parut Ă  Buenos Aires le premier journal Ă©crit en caractĂšres hĂ©braĂŻques, intitulĂ© El FonĂłgrafo Hebraico et dirigĂ© par FabiĂĄn S. Halevy[8].

Cependant, il se produisit en 1889 un tournant dĂ©cisif concernant l’immigration, consĂ©quence du changement de gouvernement et de politique d’immigration et de colonisation. Une annĂ©e plus tard, en 1890, l’Argentine lançait son plan d’immigration, lequel prĂ©voyait notamment l’acquittement par l’État argentin des frais de passage, ce qui contribua Ă  faire venir, de 1891 Ă  1896, plus de 20 000 juifs en provenance de Russie et de Roumanie, lesquels s’établiront en grande majoritĂ© dans les provinces de Buenos Aires, d’Entre RĂ­os et de Santa Fe. En 1891, le vapeur Pampa, affrĂ©tĂ© par le baron Hirsch, amena 817 immigrants juifs depuis l’Ukraine, la Pologne, la Lituanie et la Bessarabie. Cette immigration donna naissance Ă  la colonie de Carlos Casares et Ă  d’autres colonies dans la province d’Entre RĂ­os[21]. À partir de 1894 apparurent Ă  Buenos Aires les premiĂšres Ă©bĂ©nisteries et les premiers ateliers de couture dĂ©tenus par des juifs[8].

En 1891, le baron Hirsch fonda officiellement la Jewish Colonization Association (JCA), vouĂ©e Ă  l’acquisition de terres et Ă  l’organisation des migrations juives depuis l’Europe de l’est. Parmi ses objectifs figurait celui de « faciliter l’émigration des IsraĂ©lites des pays d’Europe et d’Asie, oĂč ils sont persĂ©cutĂ©s par des lois restrictives spĂ©ciales et oĂč ils sont privĂ©s de droits politiques, Ă  destination d’autres rĂ©gions oĂč ils puissent jouir de ceux-ci »[22] - [23].

Plaque commémorative à Oberå, dans la province de Misiones, apposée par les immigrants juifs, en reconnaissance à la province pour avoir ouvert ses portes à la communauté juive.

AprĂšs MoisĂ©s Ville fut fondĂ©e la colonie Mauricio, dans la province de Buenos Aires, prĂšs de Carlos Casares, et ensuite les colonies Clara et San Antonio, en Entre RĂ­os. Entre la crĂ©ation de la JCA en 1891 et la mort du baron Hirsch en 1896, la JCA gĂ©ra l’immigration d’une dizaine de milliers de juifs en Argentine, originaires principalement d’Europe orientale. Par la pratique de la vente Ă  tempĂ©rament, la JCA sut faciliter l’accession Ă  la propriĂ©tĂ© de la terre. Ainsi, vers 1940, 80 % des colons juifs avaient terminĂ© de rembourser leurs dettes et Ă©taient donc devenus propriĂ©taires[24]. Il existait par ailleurs des colones juives crĂ©Ă©es sans le secours de la JCA, soit par des colons en dĂ©saccord avec celle-ci, soit par des immigrants rĂ©solus de s’organiser eux-mĂȘmes. De telles colonies existaient dans les provinces de Buenos Aires, de RĂ­o Negro, du Chaco et de La Pampa[23]. Aussi, si certes beaucoup de ces immigrants juifs choisissaient de s’installer dans les principales villes d’Argentine, nombre d’autres acquirent des terres par le biais de la JCA et Ă©tablirent de petites colonies agricoles (comunas) dans l’intĂ©rieur du pays, plus particuliĂšrement dans les provinces de Santa Fe et d’Entre RĂ­os[25].

Dans chaque colonie, l’activitĂ© agricole, tout en s’adaptant aux conditions particuliĂšres de la zone oĂč elle Ă©tait implantĂ©e, Ă©tait toujours mixte, c’est-Ă -dire s’appuyant en mĂȘme temps sur les cultures, l’élevage avec ses dĂ©rivĂ©s, l’apiculture, l’horticulture, etc.[26] Les habitants de ces colonies rurales juives sont dĂ©signĂ©s par le surnom de gauchos juifs, en rĂ©fĂ©rence Ă  un livre portant ce titre d’Alberto Gerchunoff.

Le coopĂ©rativisme fit son apparition dans les coloneis juives en 1900, Ă  Basavilbaso, dans la province d’Entre RĂ­os. Plus tard, les coopĂ©ratives de toutes les colonies s’unirent dans la Fraternidad Agraria, qui se chargeait de les coordonner[23]. Les colonies juives entreprenaient d’autre part de crĂ©er leur propres hĂŽpitaux, Ă©coles et bibliothĂšques. En fait, la quasi-totalitĂ© des pionniers de l’intelligentsia judĂ©o-argentine est issue des premiĂšres familles arrivĂ©es dans les colonies dans le cadre de l’immigration organisĂ©e par la JCA[26].

En Entre Ríos furent créées les colonies juives suivantes :

  • Dans le dĂ©partement de ColĂłn : la Colonia San Antonio, grande de 22386 hectares, dont le centre urbain est Pueblo Cazes (fondĂ© en 1892) ; la Colonia Palmar-Yatay, de 1893, avec son centre urbain autour de gare d’Ubajay, et couvrant 11 368 hectares.
  • Entre les dĂ©partements d’Uruguay et de GualeguaychĂș : la Colonie Lucienville, de 40 630 hectares, avec pour bourg-centre la localitĂ© de Basavilbaso (1894).
  • Dans le dĂ©partement de ParanĂĄ : la Colonia Luis Oungre, s’étendant sur 9 239 hectares (1924). Cette colonie et la Colonia Leonardo Cohen, de 13 835 hectares Ă  La Paz y Villaguay (1931) entourent la Villa Alcaraz.
  • Par des juifs rĂ©chappĂ©s de l’Allemagne nazie fut crĂ©Ă©e en 1936, dans le dĂ©partement La Paz, la Colonia Avigdor, vaste de 17 175 hectares.

En 1895, on comptait dans les colonies de la JCA 1 222 colons ; en 1934, 2 944, et en 1940, 3 609. AprĂšs cette date s’amorça une pĂ©riode de dĂ©clin pour les colonies juives : en 1970, il ne restait plus guĂšre que 2000 colons et leurs familles[28]. Souvent, la recherche de meilleures conditions de scolaritĂ© pour leurs enfants incitait les colons Ă  quitter les zones rurales et Ă  dĂ©mĂ©nager pour les grandes villes, c’est-Ă -dire lĂ  oĂč l’État argentin tendait Ă  orienter ses investissements dans le domaine Ă©ducatif et sanitaire[29].

Colonies fondées par des immigrants juifs en Argentine[30]
IntĂ©rieur d’une synagogue Ă  MoisĂ©s Ville.
Allée Estado de Israel dans la ville de Mendoza.

L’immigration juive urbaine

Historiquement, et comme tous les peuples minoritaires, le juif, arrivĂ© dans la sociĂ©tĂ© d’accueil, avait coutume de s’implanter de prĂ©fĂ©rence en milieu urbain. En Argentine Ă©galement, une fois rĂ©volue la pĂ©riode des colonies agricoles, la majoritĂ© des juifs d’Europe de l’est alla s’installer dĂ©sormais dans les principales villes du pays, au premier chef Ă  Buenos Aires, mais aussi Ă  CĂłrdoba, Rosario et San Miguel de TucumĂĄn, entre autres. À l’instar de tous les contingents migratoires, les juifs tendaient Ă  se regrouper dans certains quartiers dĂ©terminĂ©s. Cette propension au regroupement s’explique par la circonstance que les migrations s’organisaient en rĂšgle gĂ©nĂ©rale sur la base de filiĂšres de migration, et par les liens de solidaritĂ© entre compatriotes, c’est-Ă -dire originaires du mĂȘme pays ou de la mĂȘme rĂ©gion, la communautĂ© de quartier permettant ensuite Ă  l’immigrant non encore en possession de la langue locale de pouvoir nĂ©anmoins communiquer avec ses voisins. Dans le cas des juifs, qui en plus de la langue partageaient une religion particuliĂšre, habiter le mĂȘme quartier leur facilitait l’organisation de lieux de culte, l’accĂšs Ă  des aliments conformes aux prĂ©ceptes rituels, la crĂ©ation de salles amĂ©nagĂ©es pour l’éducation de leurs enfants dans les traditions et dans la religion juives, etc.[31]

De la mĂȘme façon que pour la plupart des courants migratoires de cette Ă©poque, les premiers quartiers oĂč tendaient Ă  se concentrer les juifs de Buenos Aires furent les environs du port, en l’occurrence, La Boca et Barracas. Peu Ă  peu, Ă  mesure que le dĂ©mĂ©nagement des familles plus aisĂ©es laissait vacantes leurs propriĂ©tĂ©s, et que les prix de leurs loyers se faisaient plus accessibles, les juifs s’en allĂšrent s’installer dans le centre-ville. Le premier noyau de peuplement juif hors zone portuaire apparut aux alentours de la Plaza Lavalle, en face de l’actuel Palais de justice. En 1895, 62 % des ashkĂ©nazes d’Argentine vivaient dans cette zone. La deuxiĂšme Ă©tape dans le processus de regroupement par quartier consista dans le dĂ©mĂ©nagement des juifs en direction de l’actuel quartier Once[32]. Ce quartier, en plus d’ĂȘtre lieu de rĂ©sidence, vit aussi surgir les institutions religieuses et communautaires juives, de mĂȘme que les premiers Ă©tablissements commerciaux, surtout dans le secteur du textile. Pour les juifs, le quartier Once figura bientĂŽt comme leur centre communautaire, oĂč notamment la langue yidiche pouvait s’entendre dans les rues[33].

Le , la premiĂšre pierre de l’actuelle Synagogue de la CongrĂ©gation israĂ©lite de la RĂ©publique argentine (CIRA) fut posĂ©e au n° 785 de la rue Libertad, dans un Ăźlot attenant Ă  la Plaza Lavalle, lors d’une cĂ©rĂ©monie Ă  laquelle assista le maire de Buenos Aires, Francisco Alcobendas[21]. Il y avait Ă  ce moment quelque 13 mille juifs en Argentine. Les deux premiers rabbins de la CIRA furent Henry Joseph et, Ă  partir de 1906, Samuel Halphon (ou HalphĂłn dans la graphie espagnole) ; Français tous les deux, et qualifiĂ©s par la communautĂ© juive de Paris, ils appartenaient au secteur de la communautĂ© le plus proche du judaĂŻsme d’Europe occidentale, c’est-Ă -dire le plus instruit et le plus imprĂ©gnĂ© par les valeurs des LumiĂšres. Il s’agissait, y compris du point de vue religieux, d’un milieu plus enclin Ă  s’intĂ©grer aux autres fractions de la sociĂ©tĂ© argentine[34].

À la mĂȘme Ă©poque, d’autres siĂšges religieux juifs furent crĂ©Ă©s, qui non seulement servaient de lieu de priĂšre en communautĂ©, mais faisaient office Ă©galement de centres d’éducation juive traditionnelle. (À noter que les temples juifs ne requĂ©raient de consĂ©cration d’aucune sorte, et que bien souvent il s’agissait simplement d’un lieu oĂč pouvait se rĂ©unir un minimum de dix hommes juifs adultes, condition indispensable Ă  la priĂšre communautaire.) Au dĂ©but, les juifs tendaient Ă  se grouper en fonction de leur pays ou rĂ©gion d’origine pour exercer leurs pratiques religieuses[34].

Une des premiĂšres tĂąches institutionnelles de la communautĂ© juive fut d’obtenir le permis d’amĂ©nager son propre cimetiĂšre, afin de pouvoir inhumer ses morts conformĂ©ment aux rites religieux. Alors que les protestants avaient obtenu un tel permis dĂšs 1821, les juifs durent attendre jusqu’à 1894 avant que leur Chevra Kedusha (CongrĂ©gation pieuse) fĂ»t acceptĂ©e. Jusque-lĂ , les juifs avaient enterrĂ© leurs morts Ă  la Chacarita ou dans le cimetiĂšre protestant ; cependant, aprĂšs 36 enterrements juifs entre 1896 et 1897, les protestants faisaient savoir qu’il y n’avait plus de place. En 1936, la communautĂ© ashkĂ©naze inaugura son cimetiĂšre principal Ă  La Tablada, dans la proche banlieue ouest de Buenos Aires[33].

XXe siĂšcle

Immigration juive en Argentine
dans l’entre-deux-guerres[35]
AnnéeEffectifsAnnéeEffectifsAnnéeEffectifs
191928019286.81219374.178
19202.07119295.98619381.050
19214.09519307.80519394.300
19227.19819313.69219401.850
192313.70119322.75519412.200
19247.79919331.96219421.318
19256.92019342.2151943524
19267.53419353.1591944384
19275.58419364.2611945728
Jacobo Joselevich, dirigeant communautaire du début du XXe siÚcle. Il fut président de la Fédération sioniste argentine.

Ce ne sera pas avant 1900 que, par voie de dĂ©cret du prĂ©sident Roca, la Chevra Kedusha obtint la personnalitĂ© juridique. Son bĂątiment actuel (2014), sis au no 633 de la rue Pasteur, fut inaugurĂ© en 1945. Conçu Ă  l’origine pour rĂ©soudre le problĂšme des inhumations, la Chevra Kedusha Ă©largit ses fonctions par la suite, jusqu’à se muer en 1949 en l’Association mutuelle israĂ©lite argentine (AMIA). Les objectifs de cette association sont mutualistes, philanthropiques et culturelles, et comprennent, — outre celui de promouvoir, chez les membres de la communautĂ© juive, la transmission de la culture et des valeurs juives —, celui de dĂ©velopper les liens entre les communautĂ©s juives du monde entier, en ce compris celle d’IsraĂ«l, et de garantir l’engagement de la communautĂ© juive argentine envers son pays. D’autre part, l’AMIA dĂ©ploie une activitĂ© d’aide sociale pour les nĂ©cessiteux, tant juifs que non juifs[36].

En 1900 fut fondĂ© l’organisation Ezrah (Aide), sous l’égide de laquelle l’HĂŽpital israĂ©lite de Buenos Aires put ĂȘtre Ă©difiĂ© en 1921. Ainsi, Ă  l’instar des Britanniques, des Italiens, des Français, des Espagnols et des Allemands, la communautĂ© juive fait-elle bĂ©nĂ©ficier toute la sociĂ©tĂ© argentine d’un hĂŽpital ouvert Ă  tous. Virent le jour Ă©galement une Ligue argentine israĂ©lite contre la tuberculose, et, en 1915, le Foyer israĂ©lito-argentin pour personnes ĂągĂ©es et orphelins (Hogar Israelita-Argentino para Ancianos y HuĂ©rfanos)[37].

Entre 1906 et 1912, l’immigration juive s’accrut Ă  un rythme d’environ 13 000 immigrants par an, la majoritĂ© de ceux-ci provenant d’Europe orientale, mais aussi du Maroc et de l’Empire ottoman. Les immigrants juifs en Argentine surent s’adapter rapidement et joueront bientĂŽt un rĂŽle important dans la sociĂ©tĂ© argentine[38].

En 1919, sous la prĂ©sidence d’HipĂłlito Yrigoyen du parti radical, lors de ce qu’il est convenu d’appeler la Semaine tragique, les forces de police, des militaires et des groupes civils « patriotiques » composĂ©s de jeunes gens des classes supĂ©rieures, perpĂ©trĂšrent dans le quartier portĂšgne de l’Once le seul pogrom jamais enregistrĂ© sur le continent sud-amĂ©ricain. Plus de 100 juifs furent assassinĂ©s et plusieurs centaines blessĂ©s ; des viols furent commis, et des biens et des livres brĂ»lĂ©s, au cri de « que meurent les juifs »[39] - [40].

En 1920, environ 150 000 juifs vivaient en Argentine. À partir de 1928[41], et plus spĂ©cialement aprĂšs qu’Adolf Hitler eut pris le pouvoir en 1933, des vagues d’immigrants juifs dĂ©ferlĂšrent sur l’Argentine, venant de l’Allemagne nazie et du reste de l’Europe occupĂ©e, dont plusieurs milliers de juifs allemands.

MalgrĂ© certaines restrictions, l’Argentine sera le pays latino-amĂ©ricain qui entre 1933 et 1945 recueillit le plus grand nombre de rĂ©fugiĂ©s juifs. À partir de 1928, aux environs de 45 000 juifs europĂ©ens entrĂšrent dans le pays, dont probablement la moitiĂ© de façon illĂ©gale[42].

Dans les annĂ©es 1930 et 1940, l’Argentine vit son secteur manufacturier croĂźtre en nombre d’entreprises, mais tout en gardant la configuration antĂ©rieure de son industrie, Ă  savoir quelques rares grandes usines et beaucoup de petites entreprises. La fabrication Ă©tait une occupation pour Ă©trangers : en 1939, la moitiĂ© des propriĂ©taires et travailleurs des petits ateliers de fabrication Ă©taient des immigrants, et bon nombre parmi eux des rĂ©fugiĂ©s juifs rĂ©cemment arrivĂ©s d’Europe centrale[25].

AvĂšnement de l’État d’IsraĂ«l

La premiĂšre ambassade d’IsraĂ«l en Argentine, rue Arroyo Ă  Buenos Aires.

Au dĂ©but des annĂ©es 1950, l’immigration juive commença Ă  diminuer, dans le mĂȘme temps que l’Argentine Ă©tablissait des relations diplomatiques avec l’État d’IsraĂ«l. En effet, l’Argentine fut le troisiĂšme pays Ă  rĂ©connaĂźtre IsraĂ«l, le , sous le gouvernement de Juan PerĂłn, et noua aussitĂŽt avec ce pays des relations diplomatiques[43]. Le gouvernement pĂ©roniste fut aussi le premier d’AmĂ©rique latine Ă  conclure un accord commercial bilatĂ©ral avec IsraĂ«l. ParallĂšlement Ă  l’action de l’État, la Fondation Eva PerĂłn envoyait par navire des vĂȘtements et des mĂ©dicaments pour soulager les milliers de migrants juifs arrivĂ©s dans l’État hĂ©breu nouvellement crĂ©Ă©, dons pour lesquels la ministre israĂ©lienne Golda Meir remercia personnellement lorsqu’elle visita l’Argentine en . TĂ©moin aussi de l’attitude favorable du pĂ©ronisme, Eva PerĂłn assista Ă  l’inauguration du siĂšge de l’OrganizaciĂłn Israelita Argentina (OIA) Ă  Buenos Aires, en [44]. De 1950 jusqu’au , l’ambassade d’IsraĂ«l avait son siĂšge au no 910 de la Calle Arroyo, Ă  l’angle de la Calle Suipacha[45].

Le , le ministĂšre des Relations extĂ©rieures et du Culte (la Chancellerie) informa que le Pouvoir exĂ©cutif reconnaissait l’État d’IsraĂ«l comme État souverain. Cinq jours avant de transfĂ©rer sa rĂ©sidence de Montevideo vers Buenos Aires, Jacob Tsur (premier ambassadeur israĂ©lĂ­en) se vit offrir par la communautĂ© juive uruguayenne[46] de passer quelques jours avec sa famille dans la ville balnĂ©aire de Punta del Este, oĂč il s’entretint avec deux Argentins, qui lui suggĂ©rĂšrent d’acquĂ©rir Ă  Buenos Aires une demeure dans un quartier distinguĂ©, pouvant servir Ă  la fois de lĂ©gation et de rĂ©sidence. Sept mois aprĂšs l’arrivĂ©e de Tsur Ă  Buenos Aires, acquisition fut faite d’un petit hĂŽtel particulier situĂ© en plein dans le quartier diplomatique. La transaction s’était effectuĂ©e par le truchement de la famille Mihanovich, qui Ă©tait domiciliĂ©e au 910 de la Calle Arroyo. AprĂšs achĂšvement des travaux de rĂ©novation, l’ambassade fut inaugurĂ©e le en 1950[47]. Tsur la dĂ©crivit comme « l’une des plus belles ambassades d’IsraĂ«l dans le monde » ; ElĂ­as Teubal, un des deux Argentins rencontrĂ©s Ă  Punta del Este, lui avait dit que l’édifice « devait dĂ©passer, en beautĂ©s et Ă©quipements, l’ambassade du Liban », qui en ce temps-lĂ  Ă©tait la seule reprĂ©sentation diplomatique proche-orientale prĂ©sente Ă  Buenos Aires[47]. DĂšs sa mise en service, l’ambassade remplit une fonction importante dans la vie communautaire juive en Argentine, notamment comme lieu de cĂ©lĂ©brations et de rĂ©unions[47].

À l’heure actuelle, aprĂšs la destruction de cette ambassade originelle de la Calle Arroyo par l’attentat de 1992, les services diplomatiques de l’État d’IsraĂ«l sont hĂ©bergĂ©s au dixiĂšme Ă©tage de la Torre La Buenos Aires, sur l’avenue de Mai[48].

XXIe siĂšcle

Drapeau d'Israël sur la Plaza de las Colectividades, dans la ville de Trelew (province du Chubut).

Pendant la crise Ă©conomique de 1999-2002, environ 4 400 juifs argentins firent leur alya (retour en IsraĂ«l)[49]. AprĂšs le rĂ©tablissement de l’économie argentine en 2003 et la restauration de la croissance, l’émigration s’inflĂ©chit, et quelques-uns qui avaient quittĂ© le pays pour IsraĂ«l retournĂšrent en Argentine. Au total, quelque 10 000 juifs argentins ont Ă©migrĂ© vers Israel dans les annĂ©es 2000. La situation Ă©conomique obligea plusieurs institutions juives, telles qu’écoles, centres communautaires, clubs et congrĂ©gations, Ă  fusionner[50].

Les fĂȘtes de Roch Hachana et du Yom Kippour, ainsi que les premiers et les deux derniers jours de Pessa'h, ont Ă©tĂ© officiellement reconnus comme jours fĂ©riĂ©s[51].

En 2006, la population juive d’Argentine Ă©tait chiffrĂ©e Ă  environ 184 500 personnes selon certaines estimations, Ă  250 000 selon d’autres[52]. La majoritĂ© vit Ă  Buenos Aires, CĂłrdoba, Rosario, San Miguel de TucumĂĄn et dans d’autres grandes villes. La communautĂ© juive argentine est par la taille la troisiĂšme d’AmĂ©rique, derriĂšre celles des États-Unis et du Canada, et la plus grande d’AmĂ©rique latine. Ces effectifs reprĂ©sentent environ 0,5 % de la population argentine totale, qui selon le recensement de 2001 s’établissait Ă  36,26 millions de personnes, et il a Ă©tĂ© calculĂ© que 1,4 % de l’ensemble des juifs dans le monde vivent dans ce pays [52].

Aux alentours de 60 % de la communautĂ© juive d’Argentine rĂ©side d’une part Ă  Buenos Aires, CĂłrdoba et Rosario, et d’autre part dans les colonies agricoles des provinces de Buenos Aires, d’Entre RĂ­os et de Santa Fe, fondĂ©es autrefois spĂ©cialement pour accueillir les immigrants, et dont les plus importantes sont aujourd’hui Basavilbaso, MoisĂ©s Ville et Villa DomĂ­nguez[53].

Dans la province de TucumĂĄn, qui hĂ©berge la collectivitĂ© juive la plus nombreuse du nord argentin, un gouverneur de province prĂȘta serment, pour la premiĂšre fois dans l’histoire de l'Argentine, devant les rouleaux de la Thora. Des synagogues, centres culturels et cercles juifs existent Ă  San Miguel de TucumĂĄn, Ă  Yerba Buena et Ă  ConcepciĂłn.

À Buenos Aires, certains quartiers se signalent par une forte prĂ©sence de population juive ; ce sont en particulier : Balvanera (avec le quartier d’Once), Villa Crespo, Belgrano, Barracas, entre autres. Plusieurs parmi eux possĂšdent des synagogues et des cercles juifs.

PrĂšs de 70 % des juifs argentins sont ashkĂ©nazes, c’est-Ă -dire originaires d’Europe centrale et orientale, et quelque 30 % sont sĂ©farades, c’est-Ă -dire venus d’Espagne, du Portugal, du Maroc, des Balkans, de Syrie, de Turquie et d’Afrique du Nord.

La loi 20843 de 1907 disposait que le titulaire du Pouvoir exĂ©cutif pouvait, sur sollicitation des parents, se faire le parrain religieux du septiĂšme enfant mĂąle d’une famille argentine. En 2009, la loi fut modifiĂ©e Ă  l’effet d’inclure les septiĂšmes enfants fĂ©minins, les enfants de religion juive et les pĂšres et mĂšres cĂ©libataires. Fin 2014, il fut annoncĂ© qu’un septiĂšme enfant mĂąle nĂ© de parents juifs serait marrainĂ© par Cristina FernĂĄndez de Kirchner lors d’une cĂ©rĂ©monie Ă  cĂ©lĂ©brer dans une synagogue de Buenos Aires[54].

En , le Centre communautaire juif et le Temple NCI-Emanu El, qui accueille tant la tendance du judaĂŻsme conservateur que du judaĂŻsme rĂ©formĂ©, s’accordaient Ă  l’unanimitĂ© pour cĂ©lĂ©brer dans ledit temple un mariage entre personnes de mĂȘme sexe, premier mariage juif religieux officiel entre personnes de mĂȘme sexe en AmĂ©rique latine[55].

Antisémitisme

Plaza Embajada de Israel Ă  Buenos Aires : tilleuls plantĂ©s Ă  la mĂ©moire de chacune des victimes de l’attentat terroriste contre l’ambassade d’IsraĂ«l de 1992.

Les premiers signes d’antisĂ©mitisme se firent jour avec l’arrivĂ©e du navire Weser le , lorsque le directeur de l’Immigration, Lix Klett, tenta d’empĂȘcher les juifs de dĂ©barquer, au moment oĂč dĂ©jĂ  les autres passagers Ă©taient allĂ©s Ă  terre. Au terme de deux jours de discussions, et sous la pression des journaux et de la communautĂ© juive, les candidats immigrants furent autorisĂ©s Ă  mettre le pied sur le sol argentin. La raison qui poussa finalement Lix Klett Ă  cĂ©der fut le fait que « les immigrants Ă©taient dĂ©jĂ  propriĂ©taires de terre argentine, achetĂ©e Ă  HernĂĄndez »[10] - [56].

La peur de l’immigrant comme menace Ă  l’ordre Ă©tabli cĂ©da bientĂŽt la place Ă  la crainte d’un phĂ©nomĂšne beaucoup plus dangereux encore pour la classe propriĂ©taire : le mouvement ouvrier organisĂ©. Les immigrants juifs relĂšveraient de chacun de ces deux pĂ©rils : ĂȘtre Ă©trangers et ĂȘtre rĂ©volutionnaires. L’immigration juive du reste avait quelques caractĂ©ristiques particuliĂšres : les immigrĂ©s juifs n’envisageaient pas de s’en retourner au bout de quelque temps dans aucun autre pays, vu qu’ils n’avaient aucun lien privilĂ©giĂ© avec aucun autre État. Ce nĂ©anmoins, c’est principalement sur eux qu’allaient retomber les prĂ©jugĂ©s et la xĂ©nophobie Ă  la fin du XIXe siĂšcle et au dĂ©but du XXe[57].

Si certes les accusations classiques propres au Moyen Âge (d’alliance avec le diable ou de crimes commis pour raisons rituelles contre les chrĂ©tiens) n’avaient plus cours, les prĂ©jugĂ©s associant les juifs Ă  l’usure, aux taux d’intĂ©rĂȘt Ă©levĂ©s, Ă  l’avarice et Ă  un rapport maladif avec l’argent, perduraient. Les Russes pour leur part Ă©taient au dĂ©but du XXe siĂšcle amalgamĂ©s avec le fantasme de la rĂ©volution socialiste (encore que les juifs ashkĂ©nazes Ă©taient souvent assimilĂ©s Ă  des « Russes » en Argentine)[58].

Le mouvement ouvrier juif

Comme beaucoup d’autres immigrants, les ouvriers juifs eurent eux aussi tĂŽt fait de mettre sur pied des organisations capables de reprĂ©senter leurs intĂ©rĂȘts ; en 1897 fut ainsi crĂ©Ă© le Centre ouvrier israĂ©lite[59]. Toutefois, plus fort que la solidaritĂ© de classe Ă©tait le sentiment d’appartenance communautaire, type de solidaritĂ© de laquelle pouvaient ĂȘtre partie prenante tant les ouvriers que leurs patrons. Le premier syndicat juif ouvrier, fondĂ© en 1906, regroupait les chapeliers. Un an plus tard fut fondĂ©e l’Organisation des travailleurs socialistes dĂ©mocratiques juifs, dont les Ă©lections internes furent remportĂ©es par des militants socialistes issus du Bund. Ce dernier entendait s’insĂ©rer dans les rangs du Parti socialiste (PS), mais comme fraction Ă  part. En particulier, au motif que les persĂ©cutions anti-juives faisaient que l’ouvrier juif avait Ă  mener une lutte double contre l’oppression et qu’il Ă©tait dĂ©tenteur d’une culture particuliĂšre apportĂ©e d’Europe, le Bund s’efforçait de maintenir le yidiche comme idiome de propagande du groupe. Mais le PS argentin, au rebours du PS amĂ©ricain, ne reconnaissait pas de fractions ethniques en son sein ; pas davantage le parti n’admettait-il l’existence de syndicats juifs autonomes comme il y en avait en Europe, arguant qu’en Argentine des persĂ©cutions spĂ©cifiquement dirigĂ©es contre les juifs ne se produisaient pas. Le refus d’admettre une fraction autonome juive n’est pas imputable Ă  des prĂ©jugĂ©s anti-juifs, attendu que le PS autorisait l’usage du yidiche lorsque les ouvriers juifs ne comprenaient pas le castillan ; en cela, cette politique coĂŻncidait avec celle du Parti social-dĂ©mocrate russe, qui Ɠuvrait alors Ă  renverser le tsar. Au surplus, il y avait des militants juifs tant parmi les dĂ©fenseurs bundistes du yidiche que parmi leurs contradicteurs dans le PS. À partir de 1908, le Bund publia le journal Der Avangard (littĂ©r. L’Avant-garde), qui sera Ă©ditĂ© jusque dans la dĂ©cennie 1920, puis remis en circulation aprĂšs 1930 sous le titre de PĂĄginas Socialistas. Les rĂ©dacteurs de ce journal dĂ©fendaient la langue yidiche et la culture sĂ©culaire juive. Le mouvement anarchiste avait aussi son lot de militants juifs, tĂ©moin notamment le fait qu’en 1908, le journal anarchiste La Protesta publia pendant quatre mois une page en yidiche. Les anarchistes juifs Ă©ditaient aussi leur propre revue, qui cependant n’eut que peu de rĂ©percussion, et fondĂšrent en 1916 l’organisation culturelle AsociaciĂłn Racionalista JudĂ­a. Ils faisaient partie de la centrale syndicale anarchiste FederaciĂłn Obrera Regional Argentina (FORA) et se distinguĂšrent plus particuliĂšrement par leur lutte contre la traite des blanches[60].

Le , fĂȘte du Travail, une manifestation ouvriĂšre fut durement rĂ©primĂ©e par la police ; parmi les quatre morts rĂ©sultant de l’intervention policiĂšre figurait Jacobo Resnicoff, ĂągĂ© de 22 ans. Le , le militant anarchiste d’origine juive SimĂłn Radowitzky, 18 ans, lança une bombe qui assassina le commissaire en chef de la police fĂ©dĂ©rale, le colonel RamĂłn L. FalcĂłn. Radowitzky, condamnĂ© Ă  mort, eut sa peine commuĂ©e en dĂ©tention Ă  perpĂ©tuitĂ© et fut incarcĂ©rĂ© dans la prison d'UshuaĂŻa. La non mise Ă  mort de Radowitzsky donna lieu Ă  des manifestations au cri de « les Russes dehors ». À la loi de RĂ©sidence, qui permettait l’expulsion des immigrants indĂ©sirables, fut adjointe en 1910 la loi dite de DĂ©fense sociale, au motif que, aux dires du prĂ©sident Figueroa Alcorta, les ouvriers de gauche et anarchistes nourrissaient le dessein de saboter les festivitĂ©s du centenaire de la rĂ©volution de Mai. Le fantasme du socialisme dĂ©rivait de la RĂ©volution russe de 1917 et des tentatives rĂ©volutionnaires de BaviĂšre en 1918 et 1919 ou de Hongrie de 1919. Les juifs Ă©taient, en raison de ce qu’ils venaient pour la plupart de Russie, associĂ©s Ă  ces Ă©lĂ©ments subversifs et de contestation sociale. Ainsi s’alliaient contre les juifs de Buenos Aires les prĂ©jugĂ©s traditionnels contre leur religion, les accusations de domination juive sur le monde capitaliste, et les soupçons de fomenter la rĂ©volution socialiste ‒ tous Ă©lĂ©ments qui prĂ©sideront au pogroms survenus dans le cadre de la Semaine tragique[61].

Ces pogroms, qui se produisirent en Ă  Buenos Aires, furent commis par des groupes de jeunes gens des classes supĂ©rieures et Ă©taient tolĂ©rĂ©s, sinon encouragĂ©s par les autoritĂ©s[62], afin de contrecarrer une grĂšve gĂ©nĂ©rale, dont les citoyens juifs Ă©taient tenus responsables. Dans le cadre de cette grĂšve, et de la vague de rĂ©pression qu’elle suscita, des groupes paramilitaires, tels que la Ligue patriotique argentine, envahirent les quartiers juifs, assassinant, violant et molestant les habitants, et brĂ»lant maisons, biens et livres. Les forces de police mirent en dĂ©tention, puis torturĂšrent le journaliste juif Pedro Wald, Rosa Weinstein, Juan Zelestuk et Sergio Suslow, sous la fausse incrimination de fomenter une conspiration « judĂ©o-communiste »[62]. Bon nombre de militants durent Ă©migrer[25]. Dans son ouvrage intitulĂ© Koschmar / Pesadilla (littĂ©r. Cauchemar), publiĂ© en 1929, Wald relatera les sĂ©vices qu’il avait eus alors Ă  subir[63] - [61].

Immigration juive dans la décennie 1930

À partir de 1928, des vagues d’immigrants juifs arrivĂšrent en Argentine depuis l’Allemagne, plus particuliĂšrement aprĂšs l’arrivĂ©e au pouvoir de Hitler en 1933. L’Argentine mit alors en Ɠuvre une politique migratoire tendant Ă  empĂȘcher l’immigration de juifs et Ă  refuser l’asile aux juifs persĂ©cutĂ©s. Beaucoup d’immigrants juifs allemands s’ introduisirent dans le pays illĂ©galement[42] - [41].

Installation murale de l’AMIA Ă  la mĂ©moire des victimes mortelles de l’attentat terroriste survenu en 1994.

En 1937, le consul d’Argentine dans la ville de Gdynia, en Pologne, envoya plusieurs notes au ministre Carlos Saavedra Lamas, sous l’intitulĂ© de « problĂšme sĂ©mite ». Dans celle du , il Ă©crivit : « Je suis d’opinion qu’il conviendrait que l’on mette plus d’entraves Ă  l’immigration de cette race, qui part de Pologne animĂ©e de la plus profonde rancƓur envers le chrĂ©tien, et disposĂ©e Ă  commettre les plus grands excĂšs »[64].

En 1938, peu avant le dĂ©but de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement argentin du prĂ©sident Roberto M. Ortiz ordonna, par une circulaire secrĂšte signĂ©e par le chancelier (ministre des Affaires Ă©trangĂšres) radical JosĂ© MarĂ­a Cantilo, aux consuls argentins en Europe de refuser le visa aux « indĂ©sirables et expulsĂ©s », ce qui englobait aussi les citoyens juifs d’Europe[42].

En 1940, alors que l’on permettait l’entrĂ©e en Argentine de travailleurs provenant de Suisse, de Hollande, de Pologne et de Hongrie, entre autres, on blĂąmait l’afflux illĂ©gal de 2000 juifs. La pratique discriminatoire de la Direction des migrations dans la pĂ©riode 1940-1943 apparaĂźt clairement Ă  l’examen du solde des immigrants refoulĂ©s et admis : globalement, sur quatre immigrants, un seulement Ă©tait refusĂ©, tandis que dans le cas des immigrants juifs, seul un sur quatre Ă©tait admis Ă  entrer[65].

Pourtant, en dĂ©pit de ces restrictions, l’Argentine fut le pays latino-amĂ©ricain qui recueillit entre 1933 et 1945 le plus grand nombre de rĂ©fugiĂ©s juifs, Ă  savoir, depuis 1928, un nombre autour de 45 000 juifs europĂ©ens, dont probablement une moitiĂ© entra illĂ©galement[42].

Circulaire numéro 11 de 1938

La Circulaire 11 de 1938, expĂ©diĂ©e sous la prĂ©sidence de Roberto M. Ortiz, de l’Union civique radicale antipersonnaliste, Ă©tait spĂ©cifiquement conçue pour faire cesser l’entrĂ©e en Argentine de juifs europĂ©ens fuyant le rĂ©gime nazi.

La Circulaire numĂ©ro 11 de l’annĂ©e 1938 Ă©tait un des secrets le plus jalousement gardĂ©s par l’État argentin. SignĂ©e le par le chancelier (ministre des Affaires Ă©trangĂšres) JosĂ© MarĂ­a Cantilo, puis envoyĂ©e Ă  toutes les reprĂ©sentations diplomatiques argentines dans le monde[66], la Circulaire avait Ă©tĂ© spĂ©cifiquement Ă©tablie pour stopper l’afflux en Argentine de juifs europĂ©ens fuyant le nazisme. Consigne Ă©tait donnĂ©e tacitement de refuser le visa aux citoyens d’origine juive, au moment oĂč l’Allemagne nazie mettait l’Holocauste en marche[67].

Dans le premier paragraphe, la circulaire se rĂ©fĂ©rait Ă  la confĂ©rence d’Évian, rĂ©unie en France du 6 au de cette mĂȘme annĂ©e, oĂč plus d’une trentaine de pays, y compris les États-Unis et l’Argentine, avaient signĂ© un accord par lequel ils s’étaient engagĂ©s Ă  garantir le sort des rĂ©fugiĂ©s juifs qui fuyaient l’Allemagne nazie et l’Autriche ‒ autrement dit, l’Argentine, alors qu’elle participait Ă  une confĂ©rence sur ces rĂ©fugiĂ©s, Ă©mettait une consigne tendant Ă  leur interdire l’entrĂ©e sur son territoire. Ainsi la circulaire neutralisait secrĂštement « les engagements [...] pouvant dĂ©river de notre participation aux confĂ©rences et organisations internationales qui Ă©tudient en ce moment une solution gĂ©nĂ©rale en la matiĂšre ». L’organisation internationale Ă  laquelle il est fait allusion n’est autre que la SociĂ©tĂ© des Nations, qui au dĂ©but de la mĂȘme annĂ©e avait Ă©galement traitĂ© le sujet des rĂ©fugiĂ©s juifs fuyant l’Allemagne. La circulaire faisait Ă©galement mention des « conventions bilatĂ©rales derniĂšrement conclues pour l’admission d’agriculteurs Ă©trangers », allusion claire aux accords de colonisation signĂ©s par l’Argentine et tendant Ă  admettre sur son territoire des agriculteurs juifs allemands[67].

Afin d’endiguer l’afflux de juifs que ces accords pourraient engendrer, la circulaire ordonnait aux consuls argentins « de refuser le visa [...] Ă  toute personne Ă  propos de qui il est fondĂ© de considĂ©rer qu’elle quitte son pays d’origine au titre d’indĂ©sirable ou d’expulsĂ© »[66]. La dĂ©signation « indĂ©sirable », valant synonyme de juif, Ă©tait d’usage courant dans les documents de la Chancellerie de l’époque. Les archives de la Chancellerie conservent Ă©galement des lettres dans lesquelles les consuls argentins invoquaient la « Circulaire n°11 » comme justificatif au refus de visa aux juifs. Aussi, sans user expressĂ©ment du terme de « juifs », la circulaire ne laissait-elle aucun doute sur son objectif[67].

La Circulaire numĂ©ro 11 de 1938 fut mise au jour en 1998 par la chercheuse Beatriz Gurevich lors de son passage par la CEANA (Commission d’élucidation des activitĂ©s du nazisme en Argentine, en espagnol ComisiĂłn de Esclarecimiento de las Actividades del Nazismo en la Argentina), entitĂ© mise sur pied par le chancelier Guido Di Tella sous le gouvernement de Carlos Menem. Beatriz Gurevich redĂ©couvrit la circulaire « Ă©garĂ©e » parmi les caisses de l’ambassade d’Argentine Ă  Stockholm en SuĂšde[68]. Cependant, aprĂšs que la chercheuse eut quittĂ© son poste, non sans avoir d’abord fait part de sa dĂ©couverte, les autoritĂ©s d’alors dĂ©cidĂšrent d’archiver Ă  nouveau le document et, vraisemblablement, de le dĂ©truire et de ne pas en rĂ©vĂ©ler le contenu[69]. Ce n’est qu’aprĂšs que la Fondation Wallenberg eut pris la dĂ©cision de rendre publique une copie sur son site internet que la Circulaire 11 commença Ă  ĂȘtre massivement connue en Argentine et dans le reste du monde[69]. La consigne officielle fut en outre portĂ©e au grand jour par la publication en 2002 de l’ouvrage The Real Odessa du journaliste et essayiste argentin Uki Goñi[66].

La circulaire, toujours en vigueur depuis 1938 bien qu’ayant cessĂ© d’ĂȘtre appliquĂ©e, fut abrogĂ©e au terme de prĂšs de soixante-dix ans, le , sous le gouvernement du prĂ©sident NĂ©stor Kirchner. Celui-ci Ă©tait prĂ©sent lorsque le chancelier Rafael Bielsa abrogea la circulaire secrĂšte de son ministĂšre dans le Salon Sud de la Casa Rosada[68]. Y assistaient Ă©galement le ministre de l’IntĂ©rieur argentin, AnĂ­bal FernĂĄndez, et Natalio Wengrower, vice-prĂ©sident de la Fondation Wallenberg[66] - [68].

Sous le PĂ©ronisme

Le plan d’industrialisation lancĂ© par le prĂ©sident Juan PerĂłn en 1946 nĂ©cessitait la venue de supplĂ©ments de main-d’Ɠuvre. Jusqu’à 1947, Santiago Peralta, pro-fasciste et ouvertement anti-juif, se trouvait Ă  la tĂȘte de la Direction des immigrations. Selon lui, l’admission des immigrants devait s’appuyer sur des critĂšres de sang, et non de nationalitĂ© ou de situation Ă©conomique ; il s’agissait pour lui en effet d’éviter l’afflux de peuples « racialement infĂ©rieurs », et au contraire de privilĂ©gier l’entrĂ©e de peuples latins. Pourtant, on dĂ©livra des permis d’entrĂ©e Ă  des Croates, Ukrainiens, Polonais, Hongrois, Allemands et Autrichiens, qui non seulement n’était pas latins, mais en plus Ă©taient dans de nombreux cas des rĂ©fugiĂ©s « d’aprĂšs-guerre », c’est-Ă -dire d’anciens collaborateurs des nazis. Selon l’Organisation internationale pour les rĂ©fugiĂ©s, l’Argentine accueillit 32 172 immigrants de cette catĂ©gorie. Sur un total de 71 421 rĂ©fugiĂ©s de guerre accueillis jusqu’en 1949, seuls 3000 Ă©taient des juifs. La DAIA dĂ©nonça la discrimination subie par les juifs lors de la sĂ©lection des immigrants admissibles sur le territoire, Ă  la suite de quoi PerĂłn, s’étant engagĂ© Ă  examiner le dossier, fit mettre Ă  pied Peralta en 1947. NĂ©anmoins, sur les 440 000 immigrants admis cette annĂ©e-lĂ , seulement 1000 Ă©taient juifs, et en 1949, le gouvernement pĂ©roniste accorda l’amnistie aux immigrants illĂ©gaux, mesure qui bĂ©nĂ©ficiait certes aux fugitifs nazis, mais aussi aux juifs entrĂ©s en Argentine clandestinement. À la faveur de la rĂ©forme constitutionnelle accomplie cette mĂȘme annĂ©e, un article fut ajoutĂ© condamnant explicitement la discrimination sur base raciale[70].

En octobre et , pendant que se dĂ©roulaient les luttes politiques qui aboutiront finalement Ă  l’élection de Juan PerĂłn Ă  la prĂ©sidence en 1946, il se produisit plusieurs incidents antisĂ©mites. Encore qu’il y eĂ»t des groupes antisĂ©mites parmi les partisans de PerĂłn, son parti condamna expressĂ©ment les attaques, et la dĂ©lĂ©gation de La Plata en vint mĂȘme Ă  demander Ă  ses membres de dĂ©fendre, y compris en mettant en jeu leur vie, les juifs contre l’« agression nazi-fasciste »[71]. Cependant PerĂłn, quoique condamnant l’antisĂ©mitisme pratiquĂ© en son nom, ne prit pas de mesures contre le principal groupe nationaliste et xĂ©nophobe pĂ©roniste, l’Alliance libĂ©ratrice nationaliste (ALN), mais aprĂšs son accession au pouvoir, les membres de l’ALN seront Ă©cartĂ©s des postes de pouvoir. AprĂšs qu’une bombe eut Ă©clatĂ© en 1947 dans la synagogue de la Calle Libertad, la police fit Ă©vacuer les locaux de l’ALN et ferma sa revue[72].

Sous le pĂ©ronisme, des juifs vinrent Ă  remplir des charges politiques importantes. Par exemple, Abraham Krislavin fut nommĂ© vice-ministre de l’IntĂ©rieur, la fonction politique la plus Ă©levĂ©e jamais occupĂ©e par un juif jusqu’alors, et Liberto Rabovich devint le premier juif Ă  ĂȘtre dĂ©signĂ© juge fĂ©dĂ©ral. Beaucoup de juifs tirĂšrent profit de l’essor d’une industrie nationale orientĂ©e sur le marchĂ© intĂ©rieur, surtout dans le secteur textile, du cuir ou du meuble ‒ parmi eux, JosĂ© Ber Gelbard, nĂ© en Pologne en 1917, qui fut l’une des principales figures de la ConfederaciĂłn General EconĂłmica, association patronale industrielle pĂ©roniste. PerĂłn lui-mĂȘme tenta de s’approcher de la communautĂ© juive. En 1947, Natalio CortĂ©s, fils de colons juifs de MoisĂ©s Ville, fonda l’Organisation israĂ©lite argentine (OIA), destinĂ©e Ă  devenir une sorte de DAIA pĂ©roniste. Bien que l’OIA fĂ»t en compĂ©tition avec la DAIA au regard de la reprĂ©sentation de la communautĂ© juive, cette derniĂšre sut toujours maintenir, malgrĂ© sa neutralitĂ© partidaire, de bonnes relations avec le gouvernement de PerĂłn ; du reste, l’OIA ne parvint jamais Ă  ĂȘtre reprĂ©sentative de la majoritĂ© juive. PerĂłn autant que son Ă©pouse Eva Duarte rĂ©pudiaient explicitement l’antisĂ©mitisme criollo (c’est-Ă -dire des Argentins de souche et d’ascendance hispanique)[73]. La PremiĂšre Dame dĂ©clara que « ceux Ă  l’origine de l’antisĂ©mitisme furent les gouvernants qui envenimaient le peuple avec des thĂ©ories fausses, jusqu’à ce que vĂźnt avec PerĂłn l’heure de proclamer que nous sommes tous Ă©gaux »[74].

Selon le recensement de 1947, le premier Ă  consigner la religion des personnes interrogĂ©es, l’Argentine comptait Ă  cette Ă©poque quelque 250 000 juifs, soit des effectifs relativement rĂ©duits, en comparaison d’autres communautĂ©s minoritaires telles que la communautĂ© syro-libanaise, la plus grande des groupes de population arabes, qui comprenait 400 000 personnes[75].

L’aprĂšs-pĂ©ronisme et antisĂ©mitisme dans les annĂ©es 1950 et 1960

Dans le courant de sa deuxiĂšme prĂ©sidence, PerĂłn commença Ă  se distancer de l’Église catholique, et finit par en devenir un adversaire acharnĂ©. Des groupes nationalistes accusĂšrent alors les juifs et les francs-maçons de semer la discorde entre PerĂłn et l’Église. Lors de manifestations organisĂ©es Ă  CĂłrdoba, on entendit le slogan « Dehors PerĂłn et ses amis juifs ». Les accusations retombaient aussi sur le ministre de l’IntĂ©rieur, Ángel Borlenghi, dont la femme Ă©tait juive[76]. Au lendemain du coup d’État de septembre 1955 qui renversa PerĂłn, le premier cabinet ministĂ©riel, dirigĂ© par Eduardo Lonardi, comprenait bon nombre de personnalitĂ©s liĂ©es au nationalisme antisĂ©mite. AprĂšs l’accession Ă  la prĂ©sidence du gĂ©nĂ©ral Aramburu en , tous ces Ă©lĂ©ments furent Ă©cartĂ©s, en mĂȘme temps que Lonardi lui-mĂȘme[77].

Dans les dĂ©cennies 1950 et 1960, l’un des principaux mouvements antisĂ©mites d’Argentine, l’organisation fasciste Mouvement nationaliste Tacuara, lança une sĂ©rie de campagnes antisĂ©mites consistant en bagarres de rue, vandalisme dans les synagogues et profanations de cimetiĂšres juifs[78]. Apparu en 1957, ledit mouvement Ă©tait une organisation paramilitaire composĂ©e de jeunes gens issus de familles aisĂ©es et liĂ©s Ă  l’origine Ă  des organisations Ă©tudiantes catholiques ; Ă  sa tĂȘte se trouvait un jeune homme descendant de Juan Manuel de Rosas, Alberto Ezcurra Uriburu, qui considĂ©rait les juifs comme des Ă©trangers, et la dĂ©mocratie comme un systĂšme faux qu’il y avait lieu de combattre pour parvenir Ă  faire Ă©merger un pays « exempt de politiciens, de dĂ©magogues et de juifs ». Un des mentors du mouvement Ă©tait le pĂšre Julio Meinvielle, pour qui la sociĂ©tĂ© chrĂ©tienne mĂ©diĂ©vale reprĂ©sentait le modĂšle Ă  suivre, et qui tenait que le libĂ©ralisme et le socialisme Ă©taient deux idĂ©ologies dangereuses que les juifs avaient contribuĂ© Ă  crĂ©er[79].

À la suite de l’enlĂšvement d’Adolf Eichmann en , des actes de vandalisme furent commis contre des institutions juives, des attentats Ă  l’explosif eurent lieu dans plusieurs synagogues, et des Ă©tudiants juifs devinrent la cible d’agressions. Par exemple, Edgardo Manuel Trolnik, Ă©lĂšve de 15 ans, fut blessĂ© par balles dans une attaque antisĂ©mite le lors d’une assemblĂ©e au CollĂšge national Sarmiento de Buenos Aires. Graciela Narcisa Sirota, Ă©tudiante de 19 ans, fut enlevĂ©e le en pleine voie publique, puis — pour venger la capture d’Eichmann, aux dires des ravisseurs — torturĂ©e sauvagement, les ravisseurs lui laissant sur la poitrine la marque d’une svastika faite avec des cigarettes allumĂ©es[80]. En rĂ©action, la communautĂ© juive appela Ă  une grĂšve des commerçants pour le , mouvement qui dĂ©borda la seule communautĂ© juive pour s’étendre aux Ă©coles secondaires, qui se vidĂšrent de leurs Ă©lĂšves[78]. D’autres voix, relevant davantage de l’antisĂ©mitisme classique, se firent Ă©galement entendre Ă  cette occasion. Le primat d’Argentine, le cardinal Antonio Caggiano, condamna le rapt et le jugement, au motif qu’Eichmann Ă©tait venu en Argentine « en quĂȘte de pardon et d’oubli, [...] et notre devoir de chrĂ©tiens est de lui pardonner ce qu’il a fait ». Cependant, l’évĂ©nement affecta les juifs argentins plus fondamentalement en ceci que des groupes nationalistes se mirent Ă  formuler des accusations de double allĂ©geance, comme si les juifs argentins Ă©taient des espions Ă©trangers (israĂ©liens, en l’occurrence), qui ne mĂ©ritaient pas d’ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des citoyens argentins Ă  part entiĂšre[81].

En 1964, dans un climat de grĂšves et d’occupations d’usine, ainsi que de conflits ouverts au sein mĂȘme du camp pĂ©roniste, opposant ses ailes droite et gauche, une nouvelle escalade antisĂ©mite allait se produire[82]. Le , RaĂșl Alterman, militant du Parti communiste, ĂągĂ© de 32 ans, fut assassinĂ© devant la porte de la maison de ses parents. Les rĂ©clamations de la DAIA auprĂšs des autoritĂ©s et les manifestations de protestation qu’elle organisa ne purent empĂȘcher que les parents d’élĂšves juifs, terrorisĂ©s par la prolifĂ©ration de ces actes antisĂ©mites, ne crĂ©ent Ă  cette Ă©poque les premiĂšres Ă©coles juives « intĂ©grales » (voir ci-dessous)[83] - [84] - [85].

TroisiÚme péronisme

JosĂ© Ber Gelbard, ministre de l'Économie sous le troisiĂšme pĂ©ronisme.

Au dĂ©but des annĂ©es 1970, avant le retour de PerĂłn en Argentine, parut un ouvrage intitulĂ© El Plan Andinia, rĂ©digĂ© par un antipĂ©roniste connu, Walter Beveraggi Allende, qui prĂ©tendait dĂ©noncer l’existence d’un plan ourdi par le supposĂ© « sionisme international » et visant Ă  fonder un État juif en Patagonie argentine. Par ailleurs, Beveraggi plaidait pour l’avĂšnement d’un gouvernement militaire et prĂŽnait le terrorisme contre le mouvement populaire qui rĂ©clamait le retour de PerĂłn en Argentine[86].

Dans le dernier gouvernement de PerĂłn, le portefeuille de l’économie fut dĂ©tenu entre et par le juif d’origine polonaise JosĂ© Ber Gelbard. Le projet Ă©conomique de Gelbard prĂ©voyait de dĂ©velopper la petite et moyenne industrie nationale, de concert avec les ouvriers syndicalisĂ©s, et contre les organisations patronales UniĂłn Industrial Argentina et SociĂ©tĂ© rurale. Sa condition de juif fut exploitĂ©e non seulement par les publications antisĂ©mites, telles que El Caudillo, Consigna Nacional, ou Cabildo, mais aussi par l’aile droite du parti pĂ©roniste, qui aprĂšs la mort de PerĂłn allait accaparer de plus en plus d’espaces de pouvoir. À en croire lesdites publications, l’échec Ă©conomique de l’Argentine faisait partie de la conspiration juive mondiale[87]. Gelbard fut ainsi accusĂ© de servir les intĂ©rĂȘts du « sionisme international », de permettre l’évasion fiscale des patrons juifs, et d’ĂȘtre communiste et antipĂ©roniste, entre autres. Le Plan Andinia fut Ă  nouveau invoquĂ©, cette fois par la revue Primicia Argentina, liĂ©e Ă  la centrale syndicale pĂ©roniste 62 Organisations. Finalement, en , Gelbard fut contraint de dĂ©missionner, sans pour autant que cela fĂźt cesser les attaques antisĂ©mites. Dans le contexte d’affrontements de plus en plus violents entre les diffĂ©rents secteurs de la sociĂ©tĂ© argentine qui caractĂ©risa l’annĂ©e 1975, plusieurs agressions eurent lieu aussi contre des membres de la communautĂ© juive. Lors d’une d’elles, une meute attaqua, le jour du Nouvel an juif, les fidĂšles en train de sortir du temple Agudat Dodim, dans le quartier de Flores[88]. Ce nonobstant, durant cette pĂ©riode, les juifs argentins gardĂšrent ouvertes leurs institutions et continuĂšrent du reste Ă  jouir de tous leurs droits civils et politiques. Les cas d’agressions physiques restĂšrent des faits isolĂ©s et ne cesseront d’ĂȘtre considĂ©rĂ©s illĂ©gaux[89].

Le gouvernement militaire (1976-1983)

La communautĂ© juive n’échappa pas aux diffĂ©rentes formes de violence parrainĂ©es et impulsĂ©es par les groupes liĂ©s Ă  la dictature militaire. Il se produisit des explosions dans des synagogues et dans des Ă©coles juives, des mitraillages de bĂątiments communautaires et des profanations de cimetiĂšre, encore qu’aucun de ces incidents ne fĂźt de victimes mortelles. D’autre part, en dĂ©pit de la censure militaire de la presse, diverses revues antisĂ©mites continuaient Ă  se publier, comme Cabildo[90].

La communautĂ© juive apparaĂźt sur-reprĂ©sentĂ©e parmi les victimes de la rĂ©pression illĂ©gale. Sur les 8960 cas de dĂ©tention-disparition recensĂ©s officiellement en 1984 sous le gouvernement AlfonsĂ­n et non Ă©lucidĂ©s, entre 800 et 1296[91] concernent des citoyens juifs ou des personnes dont un des parents Ă©tait juif. Le pourcentage de juifs dans la population gĂ©nĂ©rale argentine, qui se situe en dessous de 1 %, est Ă  mettre en regard du taux de disparus juifs ou d’origine juive, lequel s’établit aux alentours de 9 %[92]. De surcroĂźt, les dĂ©tenus d’origine juive avaient dans les camps de dĂ©tention illegaux une probabilitĂ© de survie infĂ©rieure Ă  la moyenne ; beaucoup de survivants ont rapportĂ© qu’il Ă©tait de coutume de rĂ©server un traitement diffĂ©renciĂ© aux prisonniers juifs, qui avaient Ă  subir des sĂ©vices plus graves de la part de leurs tortionnaires[93].

Restauration de la démocratie

Durant cette pĂ©riode, sous la prĂ©sidence de RaĂșl AlfonsĂ­n, la communautĂ© juive eut plusieurs de ses membres parmi les personnalitĂ©s les plus haut-placĂ©es du gouvernement, depuis l’important poste de ministre de l’Économie, occupĂ© les premiĂšres annĂ©es par Bernardo Grinspun, jusqu’à quelques fonctions politiques trĂšs en vue, exercĂ©es notamment par l’économiste Mario Brodersohn et par les dĂ©putĂ©s CĂ©sar Jaroslavsky (chef du groupe parlementaire de son parti Ă  la Chambre des dĂ©putĂ©s), Marcelo Stubrin, Adolfo Gass et Enrique Mathov. Dans le domaine culturel, nombre d’artistes et d’intellectuels d’origine juive apparaissaient dans l’entourage du gouvernement, soit par affinitĂ© politique avec le radicalisme, soit en raison de leur rĂŽle dans la politique culturelle mise en Ɠuvre par AlfonsĂ­n ; on peut citer Ă  cet Ă©gard les noms de Marcos Aguinis, Eliahu Toker, Santiago Kovadloff, Manuela Fingueret et Sergio RenĂĄn[94].

Le fut adoptĂ©e la loi 23.592, connue Ă©galement sous le nom de Loi antidiscriminatoire, dont l’artisan Ă©tait l’avocat pĂ©naliste Bernardo Beiderman[95] - [96] - [97].

Dans les annĂ©es 1990, la communautĂ© juive argentine fut la cible de deux graves attentats terroristes, Ă  ce jour non Ă©lucidĂ©s : celui contre l’ambassade d’IsraĂ«l le , provoquant la mort de 29 personnes et en blessant 242 autres, et celui dirigĂ© contre l’AMIA (Association mutuelle israĂ©lite argentine) Ă  Buenos Aires, le , tuant 85 personnes et en blessant plus de 300[98].

En 2001, la Chancellerie (ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres) argentine apposa une plaque commĂ©morative sur le siĂšge du ministĂšre en l’honneur des douze diplomates argentins qui pendant la Seconde Guerre mondiale, en dĂ©pit des consignes d’interdiction, avaient aidĂ© Ă  donner refuge aux juifs persĂ©cutĂ©s. Le Centre Simon Wiesenthal et la Fondation internationale Raoul Wallenberg ont critiquĂ© la dĂ©cision, faisant valoir qu’au moins une des personnes ainsi honorĂ©es avait nĂ©gligĂ© de s’occuper de la situation d’une centaine de juifs argentins qui vivaient en GrĂšce, aux Pays-Bas et en Pologne, et que les autres fonctionnaires n’avaient fait qu’accomplir leur mission consulaire[42]. En effet, documents Ă  l’appui, la Fondation Wallenberg fit remarquer qu’en 1943, Luis H. Irigoyen, l’un des diplomates honorĂ©s pour son attitude Ă  l’ambassade d’Argentine Ă  Berlin, « se dĂ©sintĂ©ressa du sort de 100 Argentins juifs » que pourtant le rĂ©gime d’Adolf Hitler offrait de rapatrier vers l’Argentine comme un geste de bonne volontĂ© Ă  l’égard de ce pays, avec lequel l’Allemagne nazie entretenait de bonnes relations[68]. Le , le chancelier Rafael Bielsa signa la RĂ©solution 999 disposant que la plaque controversĂ©e fĂ»t retirĂ©e[99].

Enseignement juif en Argentine

PremiĂšres Ă©coles

En raison du souci de transmettre la religion et les traditions culturelles judaĂŻques, l’enseignement dispensĂ© aux nouvelles gĂ©nĂ©rations a toujours revĂȘtu une importance fondamentale dans les communautĂ©s juives. Mais d’autre part, dĂšs le XVIIIe siĂšcle, des personnalitĂ©s et des institutions juives s’étaient manifestĂ©es en Europe pour soutenir que l’éducation religieuse juive devait se complĂ©ter par l’enseignement de la culture locale des peuples parmi lesquels les juifs vivaient[100]. Cette prise de conscience porta les premiers immigrants juifs en Argentine Ă  considĂ©rer la crĂ©ation d’écoles juives comme une prioritĂ©. DĂšs la fin du XIXe siĂšcle, et malgrĂ© les difficultĂ©s des premiers temps, les premiĂšres Ă©coles juives furent mises en place dans les colonies agricoles argentines, avec des maĂźtres que fournissait l’Alliance israĂ©lite universelle (AIU) et qui Ă©taient en rĂšgle gĂ©nĂ©rale des juifs marocains, compĂ©tents en langue espagnole et en culture europĂ©enne occidentale. Vers 1912, les colonies agricoles disposaient dĂ©jĂ  de 61 Ă©coles[101]. Ces Ă©coles remplissaient une fonction sociale importante pour la transmission non seulement de la culture juive, mais aussi de la culture nationale argentine. Ces Ă©tablissements se trouvant sous la tutelle des synagogues, la formation que recevaient les enfants Ă©tait principalement de nature religieuse : apprendre Ă  prier et Ă  lire la Thora en hĂ©breu afin d’ĂȘtre capable de l’interprĂ©ter.

École juive Ă  MoisĂ©s Ville (province de Santa Fe).

Cependant, Ă  une Ă©poque oĂč il Ă©tait primordial pour l’État national argentin de nationaliser les immigrants, ou Ă  tout le moins d’insuffler aux enfants vivant sur le territoire le sentiment de nationalitĂ© argentine, ces Ă©coles communautaires apparaissaient suspectes. En 1908, l’inspecteur des Ă©coles Ernesto Bavio Ă©crivit dans El Monitor de la EducaciĂłn ComĂșn, la revue officielle du Conseil national de l’éducation, un article dans lequel il se dĂ©clarait opposĂ© aux Ă©coles juives, au motif qu’en enseignant en yidiche elles contrarieraient l’intĂ©gration des immigrants et de leurs enfants[102]. Ricardo Rojas dĂ©nonça, dans La restauraciĂłn nacionalista, les Ă©coles juives comme Ă©tant « l’un des facteurs actifs de dissolution nationale, conjointement avec les Ă©coles allemandes, italiennes et anglaises » ; Ă  ses yeux, l’objectif des Ă©coles devait consister Ă  « argentiniser » les enfants d’immigrants, en faisant du patriotisme argentin une espĂšce de religion capable de remplacer Dieu par la Patrie Ă  l’école. Pourtant, nonobstant ces alarmes, les Ă©coles juives n’en Ă©taient encore qu’au stade embryonnaire, et le resteront jusque dans la dĂ©cennie 1930. Les premiĂšres Ă©coles dans cette pĂ©riode Ă©taient l’école Herzl (fondĂ©e en 1906 Ă  Buenos Aires), puis une Ă©cole dans le quartier de Barracas Ă  Buenos Aires (depuis 1908), et une autre dans le quartier de Caballito (1909). À Buenos Aires, les Ă©coles religieuses ne cĂ©deront la place aux Ă©coles laĂŻques qu’à partir de 1920 environ. À cette Ă©poque, les Ă©lĂšves juifs frĂ©quentaient les Ă©coles officielles dans la matinĂ©e, et les Ă©coles juives dans l’aprĂšs-midi[101].

Entre-temps, de plus en plus de voix au sein de la Chevra Kedusha (future AMIA) plaidaient pour une extension des fonctions de cette institution, qui s’était jusque-lĂ  bornĂ©e Ă  assurer les rites funĂ©raires. Aussi fut-il dĂ©cidĂ© en 1935 de crĂ©er le Vaad Hachinouch (Vaad Hajinuj dans la graphie espagnole) ou Conseil de l’enseignement, ayant sous son Ă©gide quelque 1700 Ă©lĂšves[101].

En 1933, plusieurs Ă©coles juives laĂŻques furent fermĂ©es pendant un temps, sous l’incrimination d’ĂȘtre « communistes », par le rĂ©gime issu du coup d’État de 1930. À la suite du congrĂšs du Conseil de l’enseignement de 1935, oĂč la crĂ©ation d’écoles non confessionnelles fut prĂ©conisĂ©e, les premiĂšres Ă©coles laĂŻques juives crĂ©Ă©es en ce sens seront l’école Bialik, Ă  Villa Devoto, et ShĂłlem Aleijem, dans les quartiers de Villa Crespo et de Mataderos. En 1937, huit Ă©coles laĂŻques furent Ă  nouveau fermĂ©es par la police. Le sĂ©nateur MatĂ­as SĂĄnchez Sorondo crut nĂ©cessaire d’alerter le CongrĂšs au sujet du danger communiste et de la participation juive au mouvement laĂŻc[103].

Dans les premiĂšres annĂ©es, les Ă©coles juives n’avaient qu’un seul maĂźtre, qui donc donnait cours pour tous les degrĂ©s. Jusqu’en 1940, le taux d’enfants juifs en Ăąge scolaire effectivement scolarisĂ©s restait faible. Toutefois, Ă  partir de cette date, ce pourcentage se mit Ă  croĂźtre, croissance dans laquelle l’école SchĂłlem Aleijem de Villa Crespo joua un rĂŽle de premier plan : c’était en effet le premier bĂątiment scolaire de la communautĂ© juive capable de donner place Ă  des centaines d’élĂšves. Ce fut en outre la premiĂšre Ă©cole Ă  produire du matĂ©riel didactique et des livres de lecture, Ă  mettre au point un programme d’études Ă©laborĂ©, et Ă  organiser une colonie de vacances dans les environs de Buenos Aires. À partir de 1950, l’AMIA, hĂ©ritiĂšre de la Chevra Kedusha, augmenta les dotations destinĂ©es Ă  l’enseignement et commença Ă  accorder des subsides aux Ă©coles pour leur permettre d’accueillir des Ă©lĂšves issus de familles incapables de financer des Ă©tudes dans un Ă©tablissement privĂ©[103].

Les écoles « intégrales »

Jusqu’alors, l’enseignement juif faisait alterner, en un roulement quotidien, les deux rĂ©gimes scolaires, juif et officiel — si dans la matinĂ©e, ils assistaient aux classes de l’école d’État, dans l’aprĂšs-midi, ils se voyaient dispenser, dans une autre Ă©tablissement, un enseignement juif. Seules deux Ă©coles, toutes deux religieuses, avaient commencĂ© Ă  offrir dans leurs propres locaux Ă  la fois l’enseignement officiel — c’est-Ă -dire le programme prescrit par le ministĂšre de l’Éducation — et l’enseignement juif, et ce pour la raison que les classes de l’école d’État se tenaient aussi les samedis, jour de repos pour les juifs pratiquants, quand mĂȘme les cours du samedi n’étaient en rĂ©alitĂ© pas un empĂȘchement rĂ©dhibitoire pour la majoritĂ© des juifs argentins[104].

Cependant, le rĂ©seau scolaire de la communautĂ© juive avait commencĂ© Ă  subir une profonde transformation. En premier lieu, il s’était produit une dispersion des nouvelles gĂ©nĂ©rations de juifs vers d’autres quartiers de Buenos Aires, ce qui obligeait Ă  ouvrir des Ă©coles dans d’autres quartiers. De plus, il ne s’agissait plus dĂ©sormais de l’intĂ©gration d’immigrants ignorants de la langue locale, mais d’Argentins dont la langue maternelle Ă©tait devenu le castillan. Selon le recensement de 1960 (le dernier Ă  avoir enregistrĂ© la religion des habitants), 97,6 % des juifs ĂągĂ©s de 14 ans ou moins Ă©taient nĂ©s en Argentine. L’école Tarbut (Culture) Ă©tait depuis 1960 en activitĂ© dans la zone d’Olivos, avec un jardin d'enfants et une section primaire intĂ©grale, c’est-Ă -dire dispensant tant l’enseignement juif que celui officiel tel que requis par le ministĂšre de l’Éducation. Cette Ă©cole se mit Ă  privilĂ©gier l’enseignement de la langue anglaise, y consacrant presque autant d’heures qu’aux matiĂšres en rapport avec la culture juive. Vers 1966, le grand Buenos Aires comptait encore neuf autres Ă©coles de ce type. Fin 1966, le gouvernement militaire d’OnganĂ­a dĂ©veloppa les Ă©coles officielles Ă  double scolaritĂ©, ce qui rendit impossible aux Ă©lĂšves de frĂ©quenter deux Ă©coles, et sera un motif pour la communautĂ© juive de tendre Ă  promouvoir les Ă©coles intĂ©grales. En 1970, toutes les Ă©coles, Ă  l’exception de deux, s’étaient ainsi faites intĂ©grales. C’est aussi vers cette Ă©poque qu’on se mit Ă  privilĂ©gier dans les Ă©coles les travaux pratiques d’informatique, l’anglais et l’éducation physique au dĂ©triment de l’enseignement des matiĂšres proprement judaĂŻques[105].

Dans les annĂ©es 1930, la nĂ©cessitĂ© se fit jour dans la communautĂ© juive d’ouvrir Ă©galement des Ă©coles secondaires, la raison en Ă©tant que par suite des politiques restrictives du gouvernement argentin concernant l’immigration juive, il Ă©tait devenu impossible de faire venir des enseignants juifs europĂ©ens, obligeant les instances juives d’Argentine Ă  songer Ă  une formation d’enseignants au pays. En 1939 fut crĂ©Ă© le SĂ©minaire pour maĂźtres, et en 1951, l’école Cholem Aleikhem (ou SchĂłlem Aleijem, dans la graphie espagnole) ouvrait son Ă©cole secondaire, dont dix autres dĂ©jĂ  seront en activitĂ© en 1962 Ă  Buenos Aires. En 1964, le Tarbut ouvrait son Ă©tablissement secondaire intĂ©gral, tandis que la mĂȘme annĂ©e l’école technique ORT ouvrait Ă©galement ses portes. En 1969, on inaugura l’école Heichal (Heijal) Hatarbut, ou Palais de la culture, au no 632 de la rue Ayacucho ; l’école comprenait un SĂ©minaire pour maĂźtres, une formation en Sciences judaĂŻques, le CollĂšge secondaire Rambam, une section de formation de maĂźtresses de jardin d’enfants, une salle de rĂ©union et un microcinĂ©ma[106].

Le Vaad Hachinouch, ou Conseil de l’éducation, qui avait Ă  sa charge la formation de quelque 1700 Ă©lĂšves, fut mis en place en 1935.

Parmi les enseignants qui jouĂšrent un rĂŽle de pionnier dans les Ă©coles et dans l’Ɠuvre de formation des enfants des colonies juives, il faut citer en particulier :

  • Samuel Halphon (rabbin, d’origine française)
  • Leopoldo Najenson
  • Miguel Wollach
  • Iehuda Leib Winocur (auteur du premier dictionnaire hĂ©breu-espagnol)
  • MoisĂ©s RĂșbin

Plusieurs dĂ©cennies plus tard, l’Ɠuvre fut poursuivie par :

  • JosĂ© Menedelson (qui fut l’organisateur et le directeur du sĂ©minaire de maĂźtres hĂ©braĂŻques)
  • JosĂ© MonĂ­n
  • Jaime Finkelstein
  • N. Naihois
  • P. Erlich
  • Rosa Weinschelbaum de Ziperovich

L’enseignement juif aujourd’hui (2019)

Le Consejo Central de EducaciĂłn JudĂ­a en la RepĂșblica Argentina Ɠuvre Ă  l’épanouissement de la communautĂ© juive par un enseignement diversifiĂ© et pluraliste, engagĂ© dans la vie juive locale et intĂ©grant tous les modes de fonctionnement institutionnels, dans le respect des principes prophĂ©tiques de la justice sociale et avec une participation active Ă  la sociĂ©tĂ© argentine[107].

La section de l’enseignement de l’AMIA joue, Ă  tous les niveaux du systĂšme Ă©ducatif, un rĂŽle clef dans la formation, la professionnalisation et la formation continue, dĂ©veloppe et contrĂŽle les plans et programmes d’étude, Ă©dite et publie des matĂ©riels pĂ©dagogiques, et reprĂ©sente les institutions du rĂ©seau auprĂšs des diffĂ©rentes instances Ă©ducatives officielles, tant municipales que nationales[107].

Formation informelle

L’apprentissage informel est l’un des grands domaines d’activitĂ© de la fondation BamĂĄ et dĂ©pend de son dĂ©partement Maaian. Y sont proposĂ©es des activitĂ©s telles que l’école de madrihim (en esp. madrijim), l’ulpan (maĂźtres de danse prodiguant leurs enseignements Ă  travers la danse rikudim), le lenaied (journĂ©es d’habilitation Ă  la formation informelle), et Israel Bamachane (projet visant Ă  permettre des sĂ©jours en IsraĂ«l).

À Buenos Aires, il existe plus de 50 institutions juives pratiquant ce type de formation, avec diffĂ©rentes orientations, comme p. ex. la FACCMA (FederaciĂłn Argentina de Centros Comunitarios Macabeos), les communautĂ©s NOAM, et les Centres de jeunesse sionistes. En semaine, des activitĂ©s sont proposĂ©es autour de thĂšmes juifs et non juifs, par le biais de jeux, de dĂ©bats, de chansons et d’activitĂ©s manuelles.

À la FACCMA, une des activitĂ©s pratiquĂ©es sont les maccabiades, c’est-Ă -dire des rĂ©unions d’athlĂštes juifs, autour d’un certain nombre de jeux.

Les communautĂ©s NOAM ont pour objectif de renforcer et de dĂ©velopper le judaĂŻsme massorti (Ă  savoir : conservateur) chez les jeunes des kehilot (communautĂ©s) que l’on s’applique Ă  mettre en rapport les uns avec les autres par le biais d’expĂ©riences et de pratiques significatives, Ă  l’effet de faire naĂźtre un cadre d’union, de participation, de collaboration et de travail en Ă©quipe. Cette institution reprĂ©sente les DĂ©partements de jeunesse du mouvement conservateur Massorti. Ses projets se destinent non seulement aux hanihim (janijim), mais aussi aux madrihim, aux coördinateurs, aux directeurs et aux familles.

Enfin, les Centros Juveniles Sionistas relĂšvent en Argentine de l’Organisation sioniste mondiale. Celle-ci maintient le site web I-Zionist, comme site du Centre de communications pour la diaspora et la lutte contre l’antisĂ©mitisme, lequel est une initiative conjointe du DĂ©partement d’activitĂ©s pour IsraĂ«l et de lutte contre l’antisĂ©mitisme et du DĂ©partement des activitĂ©s pour la diaspora. Le but de I-Zionist est de lancer et de diffuser des activitĂ©s Ă  visĂ©e sioniste, en collaboration avec tous militants dĂ©sireux de travailler Ă  renforcer sa prĂ©sence au niveau mondial et de s’initier, au moyen d’activitĂ©s et de projets, Ă  la culture, la politique et la sociĂ©tĂ© israĂ©liennes. Les activitĂ©s sont menĂ©es par les madrihim (meneurs, le mot hĂ©breu madrih signifiant « celui qui marque le chemin »), qui remplissent l’office d’éducateurs ; il s’agit de jeunes personnes de dix-sept ans, qui s’offrent volontairement Ă  enseigner Ă  des enfants et adolescents entre deux et dix-sept ans ce qu’ils ont appris en quelque occasion, Ă  savoir : l’enseignement reçu sur les festivitĂ©s, l’histoire, la culture, la religion, les chants, les danses, et des informations actuelles sur IsraĂ«l, et ce sur un mode divertissant, par des jeux, des danses, des films, des chansons, des actions, des activitĂ©s, etc., le tout sous la devise « Propager avec joie et amour la valeur d’ĂȘtre juif ».

Contributions des juifs Ă  la culture argentine

Les apports de la communautĂ© juive Ă  la culture argentine ont Ă©tĂ©, et sont encore, apprĂ©ciables, que ce soit dans les sciences, les arts, la musique, l’humour, le thĂ©Ăątre, les sports, l’enseignement, les mĂ©dias, la littĂ©rature, etc.

À titre d’exemple, l’un des trois prix Nobel de science dont s’enorgueillit l’Argentine, CĂ©sar Milstein, Ă©tait juif. Dans le domaine musical, la communautĂ© juive de la mĂ©sopotamie joua un rĂŽle important dans le dĂ©veloppement du chamamĂ©, style folklorique originaire de cette rĂ©gion[108].

Histoire

Parmi les premiers grands noms du cinĂ©ma national argentin, on relĂšve celui du producteur Max Glucksmann (1875-1946), qui stimula dĂšs les premiĂšres annĂ©es du XXe siĂšcle l’activitĂ© cinĂ©matographique naissante (production, distribution et projection de documentaires et de courts mĂ©trages). Il fut le producteur de quelques-uns des films les plus marquants de l’époque, dans le genre dramatique aussi bien que dans le genre policier ou historique. Parmi ses productions les plus connues, on peut citer Moisesville (de 1925) et Asilo de huĂ©rfanos (de 1927, littĂ©r. Asile d’orphelins), qui composent un document unique sur le processus de colonisation juive en Argentine.

Parmi les pionniers du cinĂ©ma argentin figure Ă©galement le cinĂ©aste portĂšgne LeĂłn Klimovsky (1906-1996), qui rĂ©alisa quelques longs mĂ©trages cĂ©lĂšbres, dont notamment El tĂșnel (de 1952, d’aprĂšs un roman d’Ernesto Sabato). Il fonda en outre le premier cinĂ©-club du pays en 1928[109].

Films à thématique juive

Si la thĂ©matique juive a Ă©tĂ© plus d’une fois portĂ© Ă  l’écran par le cinĂ©ma national argentin tout au long de son histoire, c’est surtout dans les derniĂšres dĂ©cennies que l’on assiste Ă  une multiplication de longs mĂ©trages mettant en scĂšne des protagonistes juifs. DiffĂ©rents thĂšmes y sont abordĂ©s, mais plus particuliĂšrement : le stĂ©rĂ©otype de l’immigrant juif ; le rĂ©cit de l’arrivĂ©e des juifs en Argentine et leur rĂŽle ultĂ©rieur dans la colonisation des terres ; l’antisĂ©mitisme ; et l’homme juif contemporain et ses conflits.

Ces thĂ©matiques ont Ă©tĂ© exploitĂ©es par nombre de rĂ©alisateurs et de scĂ©naristes, qui ont traduit dans leur Ɠuvre leur propre vision. Sont Ă  mentionner en particulier les films suivants :

  • Los gauchos judĂ­os (1975), mise en scĂšne : Juan JosĂ© Jusid
  • DiapasĂłn (1986), mise en scĂšne : Jorge Polaco
  • Pobre Mariposa (1986), mise en scĂšne : RaĂșl de la Torre
  • Debajo del Mundo (1987), mise en scĂšne : Beda Docampo FeijĂło
  • El camino del sur (1988), mise en scĂšne : Juan Bautista Stagnaro
  • Sol de Otoño (1996), mise en scĂšne : Eduardo Mignogna
  • Un amor en Moises Ville (2001), mise en scĂšne : Antonio Ottone
  • El abrazo partido (2005), mise en scĂšne : Daniel Burman
  • Anita (2009), mise en scĂšne : Marcos Carnevale
  • JudĂ­os por elecciĂłn (2011), mise en scĂšne : Matilde MichaniĂ©
  • El rey del Once (2016), mise en scĂšne : Daniel Burman

Documentaires :

  • El año que viene en... Argentina (2005), rĂ©alisation : Jorge Gurvich et Shlomo Slutzky.

En 2004, un film collectif commĂ©moratif pour les dix ans de l’attentat contre l’AMIA, intitulĂ© 18-J, et rĂ©alisĂ© par plusieurs metteurs en scĂšne juifs et non juifs, entreprend de mettre en lumiĂšre la sociĂ©tĂ© judĂ©o-argentine contemporaine[110].

DĂ©buts

Le thĂ©Ăątre en yiddish arriva Ă  Buenos Aires en mĂȘme temps que les juifs ashkĂ©nazes. Vers 1902, les juifs russes, polonais, hongrois, roumains, fort nombreux dĂ©jĂ  Ă  Buenos Aires, frĂ©quentaient assidĂ»ment cette forme de thĂ©Ăątre. Se rendre au thĂ©Ăątre reprĂ©sentait non seulement un moment de distraction, mais fournissait aussi l’occasion de rencontrer ses compatriotes et d’entendre et de parler l’idiome maternel. Dans le rĂ©pertoire proposĂ© prĂ©dominaient les mĂ©lodrames populaires et les comĂ©dies musicales qui exprimaient sur le mode semi-rĂ©aliste les problĂšmes de l’alter heim (de l’ancien foyer), avec ses conflits classiques : mariages arrangĂ©s, fiancĂ©es dĂ©solĂ©es, disparitĂ©s entre gĂ©nĂ©rations, et dĂ©racinements divers. Ces Ɠuvres Ă©taient chaudement approuvĂ©es par les spectateurs, qui les accompagnaient de leurs commentaires et de leurs ovations, et de leur chƓur les chansons interprĂ©tĂ©es sur le podium. Ce qui Ă©tait mis en scĂšne reprĂ©sentait tout ce qui avait dĂ» ĂȘtre quittĂ© pour toujours et aidait Ă  ne pas renoncer Ă  son identitĂ©, si compromise par les efforts d’acclimatation Ă  la nouvelle vie, Ă  des coutumes et nĂ©cessitĂ©s inconnues. Au fil du temps, des piĂšces tirĂ©es du rĂ©pertoire universel et traduites, ou d’auteurs traitant de thĂšmes juifs dans d’autres langues, allaient aussi ĂȘtre reprĂ©sentĂ©es. Les compagnies se produisant en Argentine Ă©taient souvent Ă©trangĂšres, d’Europe ou des États-Unis, et le financement de leur venue posait donc des difficultĂ©s pour une communautĂ© pour lors encore impĂ©cunieuse[111].

Affiche du théùtre yidiche Olimpo.

Les premiĂšres troupes de thĂ©Ăątre jouant en yidiche apparurent en 1908 : l’une, la limpia (la propre, qui n’admettait pas les canailles), Ă©tait dirigĂ©e par Gutentag-Marienhof, et l’autre, qui gardait la porte ouverte Ă  tous, Ă©tait menĂ©e par des artistes Ă©trangers (Akselrod, Shilling, Rosa Bry, aux cĂŽtĂ©s de quelques comĂ©diens locaux). Ces deux compagnies thĂ©Ăątrales augmenteront bientĂŽt la frĂ©quence de leurs reprĂ©sentations, passant d’un rythme d’une fois par semaine Ă  deux fois, puis, en 1913, le directeur de la deuxiĂšme compagnie attira de Londres un couple de comĂ©diens, Vaksman et son Ă©pouse, pour lesquels il loua un thĂ©Ăątre, un petit local sis Avenida Corrientes et dĂ©nommĂ© Bijou.

La compagnie limpia, voulant mettre en avant une vedette susceptible de s’imposer publiquement, attira Moris Moshkovitz, qui avait Ă©tĂ© l’initiateur de Goldemburg, et loua le thĂ©Ăątre Olimpo rue PueyrredĂłn (disparu depuis lors). Moshkovitz « fit Ă©poque » dans le thĂ©Ăątre juif d’Argentine en montant le Cadavre vivant de LĂ©on TolstoĂŻ, le PĂšre (d’August Strindberg), Kean (d’Alexandre Dumas), les Mauvais Bergers (d’Octave Mirbeau), Shylock et d’autres Ɠuvres (de Gordin). L’Olimpo devint ainsi le vĂ©ritable temple de l’art juif[112].

Développement ultérieur

En 1916, deux thĂ©Ăątres Ă©taient en activitĂ© Ă  Buenos Aires, qui empruntĂšrent Ă  l’Europe un rĂ©pertoire de plus haut niveau, avec des acteurs de qualitĂ©, et introduisirent les styles d’interprĂ©tation nouveaux alors en vogue dans les capitales europĂ©ennes. Dans les annĂ©es 1920, aprĂšs la PremiĂšre Guerre mondiale, de nouvelles vagues d’immigrants juifs arrivĂšrent en Argentine, porteurs d’expĂ©rience en matiĂšre de lutte sociale et un grand besoin d’épanouissement culturel, ce qui valut au thĂ©Ăątre juif un grand essor tant artistique qu’économique, Ă  telle enseigne que le comĂ©dien judĂ©o-amĂ©ricain Boris Tomashevsky dĂ©cida de passer Ă  des reprĂ©sentations quotidiennes[111].

L’Association des acteurs juifs (Ídisher Actiorn Farein), fondĂ©e en 1922, lutta durement pour convaincre les directeurs de thĂ©Ăątre juifs de la nĂ©cessitĂ© d’organiser des saisons thĂ©Ăątrales avec des troupes intĂ©gralement composĂ©es d’acteurs rĂ©sidant en Argentine, qui Ă©taient parfois de qualitĂ© supĂ©rieure aux acteurs invitĂ©s, mais n’avaient pas leur renommĂ©e et ne pouvaient donc garantir au directeur la rĂ©ussitĂ© Ă©conomique de la saison. MalgrĂ© tout, la pĂ©riode qui va de 1930 Ă  1950 fut brillante pour le thĂ©Ăątre yidiche, qui parvint Ă  maintenir en activitĂ© six salles de thĂ©Ăątre simultanĂ©ment. Buenos Aires passait pour l’un des quatre centres de thĂ©Ăątre juif les plus prestigieux au monde, aux cĂŽtĂ©s de la Russie, de la Pologne et des États-Unis[111].

Le thĂ©Ăątre yiddish en Argentine est illustratif de la contribution de la communautĂ© juive Ă  la culture nationale en gĂ©nĂ©ral, et au thĂ©Ăątre argentin en particulier. Cependant, avec le passage du temps et par certaines circonstances particuliĂšres, le processus atteignit son point d’inflexion et le dĂ©clin s’amorça. Les nouvelles gĂ©nĂ©rations de juifs argentins, c’est-Ă -dire ceux qui, enfants, avaient frĂ©quentĂ© avec leurs parents le thĂ©Ăątre yidiche comme une cĂ©rĂ©monie, abandonnaient peu Ă  peu le yidiche et, quand mĂȘme ils ne s’assimileront pas totalement, dĂ©ployaient dĂ©sormais leurs idĂ©es et leurs activitĂ©s en espagnol et se tournaient vers les problĂ©matiques sociopolitiques argentines et latinoamĂ©ricaines. Finalement, avec l’établissement de l’État d’IsraĂ«l, qui proclama langue officielle du nouvel État une langue hĂ©braĂŻque remise Ă  neuf, un coup mortel fut assĂ©nĂ© au yidiche, qui cessa depuis lors d’ĂȘtre enseignĂ©e obligatoirement dans les Ă©coles communautaires et fut relĂ©guĂ©e au second plan. Les thĂ©Ăątres n’eurent plus qu’à fermer leurs portes et le thĂ©Ăątre yiddish n’était plus reprĂ©sentĂ© que dans la salle de spectacle de l’AMIA[111].

Littérature juive en Argentine

La littĂ©rature juive en Argentine s’attacha Ă  exprimer dans ses Ɠuvres autant l’identitĂ© historique juive que celle nationale argentine. Selon l’essayiste Solomon Lipp, l’Ɠuvre littĂ©raire des auteurs d’ascendance juive en Argentine en particulier, et en AmĂ©rique latine en gĂ©nĂ©ral, constitue un apport culturel significatif, car elle place « dans une perspective nouvelle la vision de l’homme qui lutte pour survivre dans son environnement ». Bien qu’il y eĂ»t des cas isolĂ©s d’immigration juive pendant l’époque coloniale et aprĂšs l’indĂ©pendance, une littĂ©rature vĂ©ritablement hispano-juive n’apparut pas avant le XXe siĂšcle, et ne surgira qu’avec l’arrivĂ©e des juifs d’Europe orientale. Ce fut en Argentine que surgirent les premiers colons juifs d’AmĂ©rique hispanique ; puis ces « gauchos juifs » produiront les Ă©crivains qui allaient enrichir par leurs Ɠuvres la littĂ©rature argentine.

Leurs principaux thĂšmes Ă©taient — au-delĂ  de la gratitude envers l’Argentine pour avoir offert aux juifs un lieu oĂč s’établir et oĂč reconstruire leur vie — les problĂšmes typiques rĂ©sultant de l’immigration, Ă  savoir les difficultĂ©s de l’« homme marginal » Ă  s’ajuster Ă  son nouveau milieu et Ă  ses nouveaux concitoyens. Dans le cas spĂ©cifique du juif s’ajoute la contrariĂ©tĂ© de voir les jeunes s’assimiler en dĂ©pit des efforts de la vieille gĂ©nĂ©ration pour prĂ©server les valeurs culturelles et traditionnelles.

Mouvements littéraires juifs à Buenos Aires

Les dĂ©buts de la littĂ©rature juive en Argentine remontent Ă  la revue Mundo Israelita de 1923. Ses collaborateurs les plus notables, SalomĂłn Resnik et LeĂłn Dujovne, s’attachaient, par leurs traductions et en attirant l’attention du public sur certains livres, Ă  assurer une place pour la littĂ©rature yiddish dans leur revue. Leur dessein Ă©tait de conserver la tradition du peuple juif, en particulier chez les jeunes.

Une autre institution de premiĂšre importance Ă©tait la Sociedad Hebraica Argentina (1926), grĂące Ă  laquelle des livres purent ĂȘtre publiĂ©s et la culture juive propagĂ©e. Parmi les finalitĂ©s expresses de cette sociĂ©tĂ© figuraient la diffusion de la connaissance sur l’histoire et la culture juives et sur ses manifestations en philosophie, en littĂ©rature, dans l’art et dans les sciences ; la promotion de la langue hĂ©braĂŻque et de la littĂ©rature juive ; et la constitution d’une bibliothĂšque spĂ©cialisĂ©e en Ă©tudes judaĂŻques. L’activitĂ© Ă©ditoriale Ă©tait Ă©galement un des champs d’action de la sociĂ©tĂ©[113].

Parmi les Ă©crivains argentins juifs ou d’origine juive, il convient de citer : Alberto Gerchunoff (Los gauchos judĂ­os), Marcos Aguinis (La gesta del marrano, La cruz invertida), Manuela Fingueret (Hija del silencio), Isidoro Blaistein (DublĂ­n al sur, Anticonferencias), Samuel Eichelbaum (Un guapo del 900), GermĂĄn Rozenmacher (Cabecita negra, RĂ©quiem para un viernes a la noche), Marcelo Birmajer (Historias de hombres casados, El fuego mĂĄs alto), Simja Sneh (El pan y la sangre, Sin rumbo), Alicia Steimberg (Cuando digo Magdalena, La selva), CĂ©sar Tiempo (Sabadomingo, SabatiĂłn argentino, Libro para la pausa del sĂĄbado), Mauricio Goldberg (Donde sopla la nostalgia, La soledad de Trillo), Samuel Tarnopolski (Alarma de indios en la frontera sur, La mitad de nada), Ricardo Feierstein (SinfonĂ­a Inocente, Mestizo), AndrĂ©s Rivera (El farmer, La revoluciĂłn es un sueño eterno, El verdugo en el umbral), Bernardo Verbitsky (Villa Miseria tambiĂ©n es AmĂ©rica, Etiquetas a los hombres), MarĂ­a Esther de Miguel (Las batallas secretas de Belgrano), Alicia Dujovne Ortiz (l’Arbre de la gitane, Eva PerĂłn, la Madone des sans-chemise), Santiago Kovadloff (Sentido y riesgo de la vida cotidiana, La nueva ignorancia), Ana MarĂ­a ShuĂĄ (Los amores de Laurita, El libro de los recuerdos), Juan Gelman (Carta a mi madre, Ni el flaco perdĂłn de Dios), Edgardo Cozarinsky (La novia de Odessa, El rufiĂĄn moldavo), David Viñas (Los hombres a caballo, Dar la cara, JaurĂ­a), SaĂșl Sosnowski (Borges y la cĂĄbala, La orilla inmanente. Escritores judĂ­os argentinos), Bernardo Kordon (Tacos Altos, Alias gardelito - Un horizonte de cemento - Kid Ñandubay), Diego Paszkowski (Tesis sobre un homicidio), Alejandra Pizarnik (Árbol de Diana, Los trabajos y las noches), JosĂ© Narosky (Si todos los hombres, Si todos los sueños), HĂ©ctor YĂĄnover (Hacia principios del hombre, Las iniciales del amor, Memorias de un librero), etc.[114]

Radio et télévision

Des personnalitĂ©s juives ou d’origine juive ont eu une part notable Ă  l’histoire de la tĂ©lĂ©vision argentine, et dĂšs les origines. C’est un immigrant juif d’origine bulgare Ă©tabli dans la province d’Entre RĂ­os, Jaime Yankelevich, qui apporta dans le pays, en 1951, la premiĂšre station de tĂ©lĂ©vision, Canal 7 ; il Ă©tait Ă©galement le patron de Radio Argentina, transformĂ© plus tard en Radio Belgrano. Un autre pionnier de l’histoire de la tĂ©lĂ©vision argentine fut Alejandro Romay, patron de Canal 9[115].

Presse

La presse juive a Ă©tĂ© particuliĂšrement prolifique, et ce dĂšs l’arrivĂ©e des immigrants, Ă  la fin du XIXe siĂšcle. Un haut taux d'alphabĂ©tisation, y compris mĂȘme chez les juifs pauvres, qui pour des impĂ©ratifs religieux devaient ĂȘtre capables de lire les textes sacrĂ©s, explique la large diffusion des matĂ©riaux Ă©crits. D’autre part, conformĂ©ment au dicton populaire selon lequel « lĂ  oĂč il y a deux juifs, il y a trois opinions », chaque groupe de pensĂ©e tendait Ă  crĂ©er sa propre publication. Une estimation indique qu’entre 1920 et 1930, il y avait 18 journaux et revues relevant de la communautĂ© italienne, 15 de la communautĂ© espagnole, et 24 de la communautĂ© juive, pourtant beaucoup plus rĂ©duite[116]. Entre les annĂ©es 1898 et 1938 seront Ă©ditĂ©es en Argentine environ 130 publications juives, dont notamment : Der Spigl (littĂ©r. Le Miroir), hebdomadaire fondĂ© en 1930 ; la publication Teater ; Dos Fraie Vort (littĂ©r. La Libre Parole), feuille anarchiste ; et Dos Arbeter Lebn (littĂ©r. La Vie ouvriĂšre). La tendance sioniste s’exprimait par la voix des publications : El Sionista (1904), dirigĂ© par Jacobo Liachovitzky ; La Esperanza de IsraĂ«l ; Amanecer (littĂ©r. Aurore), expĂ©rience pionniĂšre de la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle d’un journal juif rĂ©digĂ© en espagnol, encore qu’il ne devait perdurer que quelques annĂ©es ; Najrijtn (littĂ©r. Nouvelles) ; Raices (littĂ©r. Racines), revue culturelle qui connut deux pĂ©riodes, 1960 et 1990. Mentionnons encore : Davke, Heredad, Majshavot du Seminario RabĂ­nico Latino-amĂ©ricain ; Comentario, dirigĂ© dans ses ultimes phases par JosĂ© Isaacson (de l’Instituto Judeo-Argentino de Cultura e InformaciĂłn) ; RenovaciĂłn ; Tiempo Plural, de la Sociedad Hebraica Argentina ; Comunidades ; La Voz de IsraĂ«l (littĂ©r. La Voix d’IsraĂ«l) ; La Voz Judia (revue religieuse orthodoxes) ; et d’autres[117].

Il y eut donc en Argentine de nombreux mĂ©dias qui se consacraient Ă  rendre compte de l’actualitĂ© du peuple juif dans le monde et de l’actualitĂ© du judaĂŻsme en Argentine. En 1904 apparut Ă  Buenos Aires la publication anarchiste La Protesta, Ă  l’existence Ă©phĂ©mĂšre, qui comportait une page en yiddish. Entre 1909 et 1912 parut le journal Di Yidishe Colonistn (littĂ©r. Les Colons juifs). Le quotidien Der Tog (littĂ©r. Le Jour), Ă©ditĂ© par Yaacov Shimon Liachovich de 1913 Ă  1916, fut la premiĂšre vĂ©ritable grande expĂ©rience de parution d’un journal juif en Argentine.

Di Yidishe Zaitung (littĂ©r. Le Journal juif) vit le jour le et, comme il contenait des informations tant modiales que locales, de la littĂ©rature de haut niveau, des supplĂ©ments, etc., sera pendant de longues annĂ©es un journal trĂšs lu. Le journal se faisait l’écho des inquiĂ©tudes de la judĂ©itĂ© argentine, en particulier celle de Buenos Aires, ville oĂč il avait son siĂšge. Ses directeurs furent LeĂłn Maas, JosĂ© Mendelsohn et MatĂ­as Stoliar.

Di Presse (littĂ©r. La Presse), le deuxiĂšme des grands journaux de la communautĂ© judĂ©o-argentine, parut pour la premiĂšre fois le , et Ă©tait Ă©ditĂ© par une association de transfuges de El Diario Israelita (Di Presse Ă©tait idĂ©ologiquement Ă  gauche). Par la rĂ©daction du journal passeront une sĂ©rie de grands journalistes, comme Pinie Wald, Jacob Botoshansky et d’autres. En 1974, son rĂ©dacteur en chef Ă©tait Moishe Koifman. Le journal cessa de paraĂźtre en .

En 1936, on tenta d’éditer un nouveau quotidien, Morguen-Zaitung (littĂ©r. Journal du matin), mais sans succĂšs.

Davar, Ă©ditĂ© Ă  partir de 1945 par la Sociedad Hebraica Argentina, rendait compte de la vie littĂ©raire judĂ©o-argentine. Dans les colonies agricoles juives Ă©taient publiĂ©s Der Yidisher Colonist in Arguentine (littĂ©r. Le Colon juif en Argentine) et El Colono Cooperador. À signaler enfin Nueva Presencia (Ă©ditĂ© de 1977 Ă  1987 par Herman Schiller), qui s’érigea en dĂ©fenseur des droits de l'homme sous la dictature militaire entre 1976 et 1983.

Gastronomie

McDonald's cachĂšre dans le centre commercial Abasto Ă  Buenos Aires.

Les juifs qui dĂ©barquaient en Argentine emportaient avec eux — outre leur musique, leurs coutumes religieuses et d’autres Ă©lĂ©ments culturels — Ă©galement leur art culinaire. De chaque rĂ©gion d’origine des nouveaux immigrants parvenaient ainsi en Argentine les saveurs et les habitudes culinaires. Les juifs du Proche-Orient (ou SĂ©farades) apportĂšrent les Ă©pices, l’anisette, les noix, les fruits secs, les pistaches, les dragĂ©es (utilisĂ©es lors de fĂȘtes, pour le bon augure), la cannelle, l’eau de rose, l’eau de fleur d'oranger, le pain de pita, etc.[118]. Quant aux juifs ashkĂ©nazes, ils introduisirent en Argentine des produits et des saveurs en provenance du centre, du nord et de l’est de l’Europe, dont en particulier des mets Ă  base de pommes de terre, les galettes, les assortiments de poisson, les produits bouillis.

Dans le centre commercial Abasto Ă  Buenos Aires, l’atrium de restauration comprend un McDonald's cachĂšre, cas unique au monde hors IsraĂ«l, inaugurĂ© en 1998. Une partie de son personnel est juif et le contrĂŽle en est confiĂ© Ă  un rabbin[119] - [120] - [121].

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