Centre clandestin de détention
Les centres clandestins de détention (CCD) furent des installations secrètes employées par les forces armées et de sécurité argentines pour exécuter le plan systématique de « disparition » de personnes, dans le cadre de la « guerre sale » poursuivie par la dictature militaire de 1976 à 1983. 500 centres de détention avaient été recensés en 2009 [1] mais leur nombre est en constante révision. Avant même les élections de 1983 marquant la fin de la dictature, le Centre d'études légales et sociales (CELS) d'Emilio Mignone en avait déjà recensé plus de 300 [2].
Les Forces Armées classaient les CCD en deux types :
- les « lieux de rassemblement de détenus » (LRD), organisés de façon stable, préparés pour loger, torturer et assassiner de grandes quantités de détenus ;
- les « lieux de transit » (LT), organisés de façon plus précaire, destinés à fonctionner comme premier lieu de résidence des détenus-« disparus ».
Panorama général
Le plan de répression de la dictature, auto-proclamé « Processus de réorganisation nationale », d'abord dirigé par le général Videla, faisait partie des opérations clandestines et extra-judiciaires de contre-insurrection, commencées quelques années plus tôt, dans le cadre de l'« Opération Indépendance » (Operativo Independencia (es)), pour éliminer la dissidence politique. Cependant, alors que l'« Opération Indépendance », inspirée des opérations de police mises en œuvre pendant la « bataille d'Alger », visait essentiellement la guérilla de l'ERP dans la province de Tucumán, la stratégie de la junte s'est étendue à tout le pays et à toute sorte d'opposants, dont les civils non engagés dans des opérations armées, les femmes, les enfants, les amis et connaissances des opposants, etc. Des opérations similaires furent perpétrées par d'autres États du Cône sud dans le cadre de la généralisation de la « guerre sale » et de l'opération Condor, tandis que l'Argentine elle-même exporta son « savoir-faire » en Amérique centrale (opération Charly).
Les premiers CCD auraient Ă©tĂ© installĂ©s sous le gouvernement d'Isabel PerĂłn en 1975, avant le coup d'État militaire du 24 mars 1976. Durant cette annĂ©e fonctionnaient dĂ©jĂ la Escuelita en Faimallá, dans la province de Tucumán et el Campito, dans la province de Buenos Aires. Toujours en 1975, un CCD fut organisĂ© dans l'usine de l'entreprise Acindar Ă Villa ConstituciĂłn, prĂ©sidĂ©e par JosĂ© Alfredo MartĂnez de Hoz, ministre de l'Économie de la dictature, comme partie intĂ©grante de la structure rĂ©pressive pour contenir la grève dĂ©clarĂ©e par le syndicat mĂ©tallurgiste UOM (es) en [3]. Toutefois, selon La Republica, dès 1973, le vice-chef de la police fĂ©dĂ©rale argentine, Alberto Villar, Ă©tait le contact argentin des escadrons de la mort uruguayens, et les enlèvements et dĂ©tention dans des centres (en particulier ceux de la "CoordinaciĂłn" Federal ou de la Brigada de San Justo) se faisaient alors sous l'autoritĂ© des forces argentines [4].
En 1976, selon des chiffres largement sous-estimés puisque datant de 2001, période antérieure aux procès qui ont permis la découverte de centaines d'autres CCD, 610 CCD étaient en opération , dont plusieurs ne furent que temporaires et circonstanciels. Après les premiers mois suivant le coup d'État, le nombre se stabilise à 364 CCD. En 1977, la quantité est réduite à 60, en 1978 à 45 CCD, puis en 1979 à 7. En 1980, il n'en reste que 2 : l'École Supérieure de Mécanique de l'Armée (ESMA) et el Campito. En 1982 et 1983, l'ESMA était le seul camp de concentration toujours en usage (Seoane 2001, 227/228).
Ă€ Buenos Aires, il y a eu 60 centres, dans la province de CĂłrdoba 59, et Ă Santa Fe 22.
Cinq grands centres furent l'axe central de tout ce système : l'ESMA et le Club Atlético dans la ville de Buenos Aires; el Campito et le Vesubio dans le grand Buenos Aires; et la Perla dans la province de Córdoba.
Malgré leurs différences, les CCD furent organisés avec une structure et un régime de fonctionnement similaires. Tous les CCD comptaient une ou plusieurs salles de tortures, de grands espaces pour constamment garder les « disparus » en condition de grande précarité, et un quartier d'appartements pour les tortionnaires et les gardes. Presque tous avaient aussi un service médical. Dans certains cas, un service religieux permanent était à la disposition du personnel militaire.
Les « Groupes de travail » (GT, grupos de tareas), aussi connus comme patotas, étaient chargés de perpétrer les enlèvements, généralement de nuit. Immédiatement les détenus-« disparus » étaient amenés au CCD leur correspondant, où ils restaient en permanence encapuchonnés et menottés. Ils étaient alors sévèrement torturés et interrogés par les membres des GT. La durée de cette torture initiale variait considérablement, mais durait généralement d'un à deux mois. À la suite de cette période initiale de torture et d'interrogatoires, différentes possibilités étaient envisagées :
- l'assassinat du ou de la détenu(e)-disparu(e). Dans tous les CCD on utilisait l'euphémisme de "transport" pour parler des assassinats. Les méthodes d'assassinat et de disparition des cadavres varièrent des « vols de la mort » pendant lesquels les disparus étaient jetés en bas d'un hélicoptère au milieu du Rio de la Plata, aux pelotons d'exécutions, fosses communes, tombes anonymes, incinérations, etc. En raison de la disparition du cadavre, le décès de la personne était nié par les autorités, de même que son arrestation qui avait eu lieu de façon extra-judiciaire. S'il s'agissait d'une femme enceinte, on attendait parfois l'accouchement, afin d'enlever ensuite le bébé et de le donner à des militaires (cas des bébés séquestrés).
- le blanchiment : on inculpait officiellement le détenu-« disparu ». À partir de 1980, cette situation pouvait aboutir soit à la déportation et à l'exil, en vertu de l'art.23 de la Constitution, soit à la condamnation à une peine de prison par un tribunal militaire. Contrairement à la dictature brésilienne, ainsi qu'aux disparitions antérieures de l'histoire argentine, très peu de détenus furent officiellement inculpés, et la plupart exécutés de façon extra-judiciaire (c'est-à -dire assassinés sans que leurs corps ne soit retrouvés).
- la liberté. Extrêmement rare. En outre, le détenu pouvait être libéré puis assassiné - cas, par exemple, du sénateur péroniste Guillermo Vargas Aignasse (es), enlevé le , libéré le , crime pour lequel le général Antonio Domingo Bussi a été condamné en [5].
- rester disparus, pour différentes raisons (esclavage, comme collaborateurs, comme otages, etc.)
Pendant le passage au CCD, on procédait systématiquement à la déshumanisation des détenus-disparus par divers procédés : substitution du nom par un numéro, viols, animalisation, humiliation, entassement, conditions de logement intolérables, dénuement forcé, racisme, antisémitisme, homophobie…
Il existait aussi un procédé commun pour les détenues enceintes : on reportait l'assassinat et on la faisait accoucher clandestinement. Ensuite, on effaçait les traces possibles d'identité du bébé et on le remettait, pour son éducation à une famille intimement liée au système répressif, dans certains cas à l'assassin ou au tortionnaire d'un ou des parents biologiques.
Ville de Buenos Aires
L'École supérieure de mécanique de la Marine (ESMA)
Le centre clandestin de détention le plus connu, l'emblème du Proceso, fut l'École supérieure de mécanique de la Marine (ESMA). Situé dans le salon des officiers de cette institution de l'armée argentine, à Buenos Aires, dans le quartier Núñez, au 8200 Avenida del Libertador, le centre resta en fonction de jusqu'en . Le procès de l'ESMA, entamé fin 2009, implique 19 accusés, dont le capitaine Alfredo Astiz, de la disparition forcée et de la torture de 85 victimes [6].
Le centre dépendait ultimement de l'amiral Eduardo Massera, et fut directement à la charge du Groupe de Travail 3.3/2, dirigé par le contre-amiral Ruben Chamorro et le capitaine el Tigre Acosta. D'autres tortionnaires connus, parce que condamnés par la suite pour crimes contre l'humanité, firent partie de ce groupe, dont Alfredo Astiz, Ricardo Miguel Cavallo (es) et Adolfo Scilingo. Le capitaine José Dunda, qui fut nommé lors des années 1980 attaché militaire au Brésil [7], travaillait aussi dans ce centre.
L'ESMA devint la base du pouvoir politique de la Marine et en particulier de Massera. Elle fut fermĂ©e en , après les Ă©lections ayant portĂ© le radical RaĂşl AlfonsĂn au pouvoir, quelques jours avant l'investiture d'AlfonsĂn.
Le , le prĂ©sident NĂ©stor Kirchner et le maire de Buenos Aires, AnĂbal Ibarra, signèrent l'« accord entre l'État national et la ville autonome de Buenos Aires pour la construction de l'espace pour la mĂ©moire et pour la promotion des Droits Humains sur le domaine de l'ESMA » (accord n°8/04). La dĂ©cision fut annoncĂ©e lors d'une grande cĂ©rĂ©monie, durant laquelle on ouvrit théâtralement les portes de l'ESMA.
Le garage El Olimpo
El Olimpo fut un centre clandestin de détention situé dans l'ouest de la ville de Buenos Aires, dans le quartier Velez Sarfield entre les rues Olivera, Ramón Falcón, Fernández et Rafaela. À l'entrée du centre un écriteau disait "Bienvenu à l'Olympe des Dieux. Les Centurions", d'où il tire son nom. Le centre ne fonctionna que 6 mois, d' à . Passèrent tout de même entre ces murs 700 détenus-disparus desquels 50 survécurent[3].
Ce centre clandestin était sous l'autorité de Guillermo Suárez Mason (es), surnommé « le boucher de l'Olympe », commandant du Ier Corps de l'Armée Argentine. Le responsable du camp fut le major de l'armée Guillermo Minicucci, de qui dépendaient aussi des officiers de la Police fédérale comme Julio Simón (es) ("el Turco Julián") et Juan Antonio del Cerro (« Colores »). Certains de ces policiers, dont Eugenio Pereyra Apestegui, qui forçait les détenus à écouter des discours d'Hitler et des chansons de Nino Bravo, ou Ricardo Taddei, qui emmenait une télévision pour obliger les détenus à regarder la messe, sont aujourd'hui inculpés pour crimes contre l'humanité [8].
L'édifice était un hangar utilisé comme terminal d'autobus jusqu'au début du « Processus de Réorganisation National », moment de son expropriation par les Forces armées. Au début de 1978, des détenus-« disparus » transportés depuis d'autres centres furent contraints d'y construire des cellules.
Le CCD avait quatre rangées de 20 cellules, chacune avec des anneaux de fer aux murs pour y attacher les prisonniers. Les installations comptaient deux salles de torture avec câblage électrique renforcé. On trouvait aussi sur les lieux une salle de garde, un salon des sous-officiers, les chambres des geôliers, des latrines, un bain, une zone de douches et un magasin où étaient déposés les réfrigérateurs et téléviseurs volés pendant les opérations d'enlèvement.
Durant la transition démocratique, l'édifice passa aux mains de la Police fédérale, qui l'a converti en garage. Le domaine fut déclaré site historique par la loi no 1197 de l'Assemblée législative de la ville de Buenos Aires, et fut transféré en à la charge du gouvernement de la ville en conformité avec l'accord signé entre le Président Kirchner et le maire Ibarra le [9]. En 2006, le gouvernement de la ville de Buenos Aires, conjointement avec les organisations de quartiers et des droits de l'homme se rencontrèrent pour décider de l'usage du domaine pour le futur.
En 1999, Marco Bechis réalisa un film nommé Garage Olimpo.
Automotores Orletti
Le centre clandestin de dĂ©tention Automotores Orletti, sous les ordres d'AnĂbal Gordon (l'agent du Bataillon d'intelligence 601 RaĂşl Guglielminetti faisait partie du « groupe de travail » de ce CCD) Ă©tait aussi utilisĂ© par l'armĂ©e uruguayenne. Ainsi, 23 Uruguayens, torturĂ©s dans ce centre, ont ensuite Ă©tĂ© illĂ©galement transfĂ©rĂ©s en Uruguay sous les ordres du major JosĂ© "Nino" Gavazzo, chargĂ© de l'OpĂ©ration Condor en Uruguay, et de l'OCOA [4]. Le , le syndicaliste uruguayen Hugo MĂ©ndez, participant des Grupos de AcciĂłn Unificadora (GAU), fut torturĂ© dans ce centre [10]. Avec Francisco Candia, enlevĂ© en mĂŞme temps, les deux furent tuĂ©s par les Argentins en reprĂ©sailles Ă l'assassinat, le , du gĂ©nĂ©ral Cardozo, chef de la police fĂ©dĂ©rale, par les Montoneros (erronĂ©ment attribuĂ©, Ă l'Ă©poque, Ă l'ERP [11]), ce qui suscita des heurts avec les autoritĂ©s uruguayennes, seuls les agents des pays en question Ă©tant autorisĂ©s, dans le cadre de l'opĂ©ration Condor, Ă assassiner leurs ressortissants [4]. Les « disparitions » de ces deux syndicalistes, qui avaient Ă©tĂ© dĂ©tenus au garage Orletti avec des membres uruguayens du Parti pour la victoire du peuple (PVP) d'Hugo Cores), avaient Ă©tĂ© rĂ©pertoriĂ©es par le rapport de la CONADEP [11]). Leur trace a pu ĂŞtre reconstituĂ©e par l'Equipe argentine d'anthropologie lĂ©gale, qui a montrĂ© qu'ils avaient Ă©tĂ© enterrĂ©s anonymement au cimetière de Chacarita puis transfĂ©rĂ©s dans l'ossuaire anonyme en 1981, ce qui a empĂŞchĂ© de rĂ©cupĂ©rer leurs dĂ©pouilles [11].
En , vingt-deux autres Uruguayens furent torturés à Orletti puis transférés lors du « second vol » illégal, et demeurent à ce jour desaparecidos [4]. Le colonel José Nino Gavazzo (SID uruguayen) et d'autres militaires ont été condamnés en première instance, sous le gouvernement Vázquez, dans le cadre du procès pour ce « second vol » [12].
Club Atlético
Des fouilles sont encore en cours sur le site de l'ex-Centre de détention Club Atlético. Ce centre clandestin de détention était situé au 1200 Paseo Colón, à Buenos Aires, au sud de la ville, près du Quartier de La Boca. Son nom vient de la proximité du Club de foot Boca Juniors.
C'était un édifice public, détruit pour construire l'autoroute du . On découvrit ensuite ses ruines et la municipalité de Buenos Aires a commencé les travaux nécessaires pour transformer l'endroit en lieu de mémoire.
Dans le Grand Buenos Aires
El Campito
El Campito fut le principal camp de concentration utilisé par l'armée. Il était aussi connu comme los Tordos (les gris). Le camp était situé au Campo de Mayo, à San Miguel, lointaine banlieue de Buenos Aires, la garnison la plus importante d'Argentine entre 1975 et 1982. Y passèrent 5000 détenus-disparus [13], 43 survécurent.
Le Campo de Mayo est une énorme aire militaire de 5000ha, à 30 km du centre-ville de Buenos Aires. Situé près des villes de San Miguel et Villa Mayo dans la zone où se croisent la route nationale 8 et la route provinciale 202, qui bordent le domaine. Dans l'hôpital militaire du Campo de Mayo, une unité était dédiée aux accouchements clandestins.
Au Campo de Mayo fonctionnèrent de mars 1976 à 1980, 4 CCD : el Campito, Las Casitas, la prison militaire des accusés et l'hôpital militaire.
Le centre était sous les ordres du commandement des Instituts Militaires, qui à l'époque de son fonctionnement étaient à la charge des généraux Santiago Omar Riveros (condamné en , avec plusieurs autres militaires, à la prison à perpétuité pour crimes contre l'humanité [13]), José Montes (es), Cristino Nicolaides et Reynaldo Benito Bignone. Le camp était dirigé directement par le lieutenant-colonel Jorge Vosso et le major médecin Julio César Caserotto, qui dirigeait le service de la maternité de l'hôpital militaire.
Après les accouchements clandestins, les bébés étaient séquestrés, leur identité était supprimée et on les remettait habituellement à des couples stériles de militaires. Dans plusieurs cas, les "parents adoptifs" participèrent aux assassinats des parents biologiques des enfants.
Un des répresseurs du Campito, l'ex-sergent Victor Ibañez, se confessa et décrivit les caractéristiques du camp. Son témoignage est retranscrit dans le livre de Fernando Almirón, Campo Santo(1999). Dans un passage, Ibañez dit :
« Quand je suis entré dans la place, ce qui me frappa en premier ce fut l'image de tous ces gens ainsi, enfermés. Les matelas partout sur les dalles rouges avec oreillers appuyés contre les murs. Un à côté de l'autre, une file qui faisait tout le tour du hangar. Toutes les fenêtres étaient couvertes par des couvertures vertes qui ne laissaient pas passer la lumière du soleil. Les lampes étaient toujours allumées, jamais on ne savait quand c'était le jour ni quand c'était la nuit(1). Sur chacun de ces vieux matelas de laine rayés étaient assis les détenus. Encapuchonnés, avec les mains attachées en avant avec une corde et en silence [14] »
Avec la transition démocratique, en 1983, plusieurs projets de transformation de ce lieu furent présentés : établir un pôle industriel, créer un centre d'études tertiaires et universitaires, en faire une réserve écologique, etc.
El Vesubio
El Vesubio (nommé Empresa el Vesubio par les forces armées) fut un centre de détention utilisé par l'armée qui était situé dans la prison fédérale de La Tablada, dans la ville de La Matanza (grand Buenos Aires), près de l’intersection du Camino de Cintura et de l’autoroute Riccheri qui mène à l’aéroport international Pastrini. Utilisé par la Triple A avant le coup d’État de 1976, sous le nom de La Ponderosa, ce CDD, qui fut utilisé pour détenir au moins 400 personnes [15], entra ainsi en fonction dès 1975, et cessa d'être utilisé en 1978[16]: il fut alors démoli, dans l’effort de dissimuler à la Commission interaméricaine des droits de l'homme, en visite en Argentine, la nature véritable de la politique de la junte. Plusieurs vols de bébés eurent lieu dans ce centre [17].
Le CCD se trouvait dans la zone militaire #1, sous la juridiction du Ier Corps de l'ArmĂ©e, dirigĂ© par le gĂ©nĂ©ral Carlos Guillermo Suárez Mason, qui visitait rĂ©gulièrement le camp, et directement Ă la charge de la CRI (Central de ReuniĂłn de Inteligencia) du rĂ©giment 3 de La Tablada, sous le commandement du Colonel Federico Minicucci. Les colonels Juan Bautista Sasiain et Franco Luque travaillaient aussi dans ce CDD, qui Ă©tait directement dirigĂ© par le major Pedro Alberto Durán Saenz. Ce dernier, qui avait l'habitude d'abuser sexuellement des dĂ©tenues [15], fut par la suite nommĂ© colonel, puis attachĂ© militaire Ă Mexico sous la prĂ©sidence de RaĂşl AlfonsĂn [7].
Les lieux où on logeait les détenus-disparus étaient appelés las cuchas, et sur le centre de torture on y avait été installé un écriteau qui disait « si vous le savez, chantez, sinon, endurez » [16].
À cet endroit furent détenus, entre autres, le scénariste de BD Héctor Oesterheld (mort en 1978) [15], l'écrivain Haroldo Conti (mort vers 1976) [15], la citoyenne allemande Elisabeth Kaesemann (es) (morte en 1977); la franco-argentine Elena Alfaro, alors enceinte, qui fut torturée et violée, et témoigna par la suite devant la justice argentine [18], et son compagnon Luis Alberto Fabbri, directeur du quotidien La Respuesta[19]; la psychologue Ana Maria di Salvo (qui a survécu [7]), etc.
L'une des tĂ©moins, Mercedes Joloidovsky, militante des Montoneros sĂ©questrĂ©e le , passa une dizaine de jours au Vesubio, oĂą elle fut torturĂ©e nue, avant d'ĂŞtre transfĂ©rĂ©e au « Sheraton » (province de BsAs) puis au commissariat de Ramos MejĂa; elle fut finalement dĂ©fĂ©rĂ©e devant le Conseil de guerre et resta emprisonnĂ©e trois ans et quatre mois Ă l'UnitĂ© 21 d'Ezeiza[20]. Son compagnon, Luis MarĂa Vidal, fut trouvĂ© par les militaires juste après avoir avalĂ© une capsule de cyanure; transfĂ©rĂ© dans un centre de dĂ©tention, il est mort sous la torture [20].
Elena Alfaro témoigna avoir assisté aux préparatifs de la mise en scène de la mort de 17 personnes, dont son compagnon, ainsi que Rodolfo Goldin, Daniel Jesús Ciufo et Catalina Oviedo de Ciufo, présentée comme le résultat d'un affrontement armé, à Monte Grande (Grand Buenos Aires), avec les militaires [19] - [21].
D'autres prisonniers du Vesubio furent identifiĂ©s par la justice italienne et allemande : Rodolfo Bourdieu, Claudio Gimbini, Mario Sagroi, Esteban Adrian, Ofelia Alicia Cassano, le couple Rosita Luján Taranto de Altamiranda et Horacio Altamiranda (assassinĂ©s, leur bĂ©bĂ© fut enlevĂ© et donnĂ© Ă une famille de militaires - il ne retrouva sa vĂ©ritable identitĂ© que dans les annĂ©es 2000, devenant la nièce no 88 des Grands-mères de la place de Mai [22]), Juan Marcelo Guinar Soler, Graciela Moreno, Jorge Antonio Capello, Irma Beatriz Marquez, Silvia de Sánchez, JĂłrge Máximo Vásquez, Luciano Scimia, Jorge Watts, Marta Barea, MarĂa del Pilar GarcĂa et Françoise Dauthier, enlevĂ©e avec ses deux fillettes (3 ans et demi et 18 mois) après l’assassinat de son mari argentin, et qui est l’une des 18 victimes françaises de la dictature [23].
Défendue par maître William Bourdon, la survivante Elena Alfaro déposa plainte, en 1998, en France, contre les militaires argentins, aux côtés de la famille Dauthier [23]. En raison de l'annulation des lois du Punto Final y Obediencia Debida réalisées en 2003, la justice argentine ordonna en 2006 l'inculpation et l'arrestation de huit militaires qui agirent au Vesubio : le général (R) Hector Gamen, alias "Beta", Pedro Durán Sáenz, ou “Delta”, chef direct du centre, José Néstor Maidana, Hugo Pascarelli, Ramón Erlán, Roberto Carlos Zeolitti, Diego Chemes, Alberto Neuendorf, membre de la Triple A qui travaillait au camp depuis 1975 [15].
En 2009, l'équipe argentine d'anthropologie judiciaire (es) identifia les restes de Laura Feldman, séquestrée au Vesubio (à l'âge de 18 ans), dans le cimetière de Lomas de Zamora, mais aucun des inculpés n'a été pour le moment accusé d'homicide [20].
À ce jour, le terrain est détérioré et inutilisé. Un projet de loi a été déposé à la Chambre des députés pour transformer le domaine en un lieu de commémoration.
La Mansión Seré
La "Demeure Seré" (Mansión ou Quinta Seré) aussi connue comme Atila, fut un centre de détention clandestin (CCD) qui fonctionna dans une maison antique de 2 étages, située rue Blas Pareras à la limite entre les localités de Castelar et d'Ituzaingó, dans la banlieue Morón, du grand Buenos Aires.
Entre 1977 et 1978, ce lieu fonctionna comme centre clandestin de détention sous la juridiction de la Force Aérienne avec l'assistance de la police provinciale de Buenos Aires basée à Castelar.
Le film CrĂłnica de una fuga (2006) (Chronique d'une fugue), du rĂ©alisateur Adrián Caetano[24] recrĂ©e l'histoire rĂ©elle de la fugue de ce centre de Claudio Tamburrini, Daniel Rusomano, Guillermo Fernández et Carlos GarcĂa.
À partir de l'année 2000, la "Demeure Seré" comme Maison de la Mémoire et de la Vie et la Direction des Droits Humains de la municipalité de Morón.
BahĂa Blanca
Le CCD de BahĂa Blanca (province de Buenos Aires), appelĂ© l'Escuelita de BahĂa Blanca (la « petite Ă©cole de BahĂa Blanca ») et qui abritait une maternitĂ© clandestine, Ă©tait sous le commandement du gĂ©nĂ©ral Abel Teodoro Catuzzi (es), second commandant du Ve corps de l'armĂ©e en 1979, et du gĂ©nĂ©ral Osvaldo RenĂ© Azpitarte, commandant du Vecorps [25]. Le coloniel Antonio Losardo Ă©tait le chef de la section locale des renseignements [25].
Profondément catholique, Catuzzi considérait la torture comme une forme de « purification » des détenus [26] et de « nécessité chrétienne » [25]. Une dizaine de gardes de ce CDD furent arrêtés début février 2010 [27]; les généraux Catuzzi et Azpitarte et le colonel Losardo sont décédés avant 2006 [25].
Province de CĂłrdoba : La Perla et le centre du D-2
La Perla, aussi appelĂ©e l'« UniversitĂ© », fut le principal centre de dĂ©tention (CCD) utilisĂ© hors de la zone du Grand Buenos Aires. Y passèrent 3000 dĂ©tenus-disparus[28]. DirigĂ© par le gĂ©nĂ©ral Luciano BenjamĂn MenĂ©ndez, qui a Ă©tĂ© condamnĂ© en 2008 et 2009 Ă la prison perpĂ©tuelle [29], il Ă©tait situĂ© Ă 12 km de la ville de CĂłrdoba, sur la route nationale no 20 qui mène de la capitale Ă Carlos Paz. On peut voir le centre depuis la route, sur la droite, en allant vers Carlos Paz, face Ă l'usine Corcemar.
La Perla fut installée en 1975, avant le coup d'État du , et fut démantelée en 1979. Le président Nestor Kirchner organisa le le transfert du centre aux familles des victimes, afin d'en faire un lieu de commémoration des crimes de la dictature [30], et un concert du chanteur de rock León Gieco fut alors organisé.
Le centre Ă©tait dans la Zone militaire 3 basse, Ă charge du IIIe Corps de l'ArmĂ©e, sous le commandement du gĂ©nĂ©ral Luciano BenjamĂn MĂ©nĂ©ndez, qui inspectait frĂ©quemment le CCD, avec comme second le gĂ©nĂ©ral Sasaian, et le colonel CĂ©sar Emilio AnadĂłn comme commandant direct du centre de dĂ©tention.
Dans le livre Sobrevivientes de La Perla (« Survivants de La Perla »), le couple Contini témoigne :
« À La Perla, les prisonniers étaient fusillés dans les champs limitrophes du centre. On les y amenait dans un camion baptisé Menéndez Benz. Geuna conta : "avant de descendre du véhicule, on leur liait les mains. Ensuite on les descendait et on les obligeait à s'agenouiller devant la fosse et on les fusillait. Des officiers de tous les grades des unités du IIIe Corps participaient aux exécutions, depuis le sous-lieutenant jusqu'au général".[31] »
Un MusĂ©e de la MĂ©moire a Ă©tĂ© crĂ©Ă© dans les annĂ©es 2000, dans le bâtiment occupĂ© Ă CĂłrdoba par le DĂ©partement de Renseignement D-2, de la police locale, sur le pasaje Santa Catalina, Ă cĂ´tĂ© de l'HĂ´tel de Ville. Le centre clandestin de dĂ©tention du D2 fonctionnait en particulier comme « centre de transit », oĂą passaient les « dĂ©tenus-disparus » qu'on destinait Ă La Perla ou Ă la prison du quartier San MartĂn. Plusieurs dĂ©tenus y furent assassinĂ©s [29].
Province de Tucumán: Escuelita de Famaillá et Opération Indépendance
L'Escuelita de Famaillá eut le triste privilège d'être construite dans les moments initiaux de l'expérience des camps de concentration argentins, fondé dès , dans le cadre de l'Opération Indépendance (es) visant l'ERP. En , le camp de détention passa sous la responsabilité du général Antonio Domingo Bussi (condamné en 2008 pour crimes contre l'humanité). Jusqu'au coup d'État de 1976, le centre fonctionna dans une école en construction dans la ville de Famaillá; un autre CDD fut ensuite utilisé.
Notes et références
- Eduardo Luis Duhalde, CARTA PÚBLICA A LA Sra. GRACIELA FERNANDEZ MEIJIDE, El Emilio, 9 août 2009
- Rodolfo Matarrollo, Aporte de la lucha contre el terrorismo de Estado del derecho, p. 25-30 (en part. p. 26) in CELS (dir.), Memoria, Verdad y Justicia: Las estrategias durante la dictadura y los desafĂos desde la transiciĂłn hasta el presente, 1999
- "El Olimpo del horror", El PaĂs, 1er janvier 2006
- Roger RodrĂguez, Uruguay era el "CĂłndor 5" y Gavazzo figura como "el jefe" de "CONDOROP", La Republica, 5 janvier 2009
- Perpetua sin cárcel común para Bussi en Tucumán: hubo incidentes frente al Tribunal, El Clarin, 28 août 2008
- Se reanudĂł el juicio por los crĂmenes de la ESMA, Página/12, 14 janvier 2010
- Osvaldo Bayer, Batallas argentinas, Página/12, 6 juin 1998
- Diego MartĂnez, Los represores tienen la palabra, Página/12, 9 dĂ©cembre 2009
- Informe sobre el traspaso del predio al GCBA 4/10/2004
- JosĂ© Hugo MĂ©ndez DonadĂo, el Negro MĂ©ndez, 30 juin 2008
- Rapport annuel 2001 de l'EAAF (Équipe argentine d'anthropologie judiciaire (en)), p. 98 sq.
- Caso Gelman: la Justicia reconstruyĂł los Ăşltimos momentos de MarĂa Claudia, La RepĂşblica, 16 dĂ©cembre 2009
- Diego MartĂnez, "Fueron crĂmenes sistemáticos y a gran escala", Pagina/12, 13 aoĂ»t 2009
- Fernando AlmirĂłn, Campo Santo(1999)
- Irina Hauser, Ocho represores presos por El Vesubio, Página/12, 31 mars 2006
- CONADEP, Nunca Más, EUDEBA, 1985
- Embarazadas en El Vesubio, site des Grands-mères de la place de Mai
- TĂ©moignage d'Elena Alfaro, sur le site de Desaparecidos.org
- Luis Alberto Fabbri, Desaparecidos.org
- Alejandra Dandan, “HacĂamos listados de los que entraban”, Pagina/12, 9 septembre 2010
- Elihu Lauterpacht, C. J. Greenwood, Andrew Oppenheimer (dir.), International Law Reports, vol. 104 - 1997 - 805 pages, p. 31
- Stella Calloni, La Corte anulará los indultos de militares decretados por Menem, La Jornada, 2007
- Dix-huit français ont disparu sous la dictature. Argentine : justice pour les suppliciés, Le Nouvel Observateur, 12 novembre 2009
- "CrĂłnicas de una fuga"
- D.M., La maternidad de Catuzzi en La Escuelita, Página/12, 23 janvier 2006
- “SalĂ de la cárcel con ganas de tomar vino y hacer el amor”, RĂo Negro, 8 mai 2006 [lire en ligne]
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Annexes
Voir aussi
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