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Mircea Eliade

Mircea Eliade, nĂ© le [1] Ă  Bucarest (Roumanie) et mort le Ă  Chicago (États-Unis), est un historien des religions, mythologue, philosophe et romancier roumain. Polyglotte, il parlait et Ă©crivait couramment cinq langues : le roumain, le français, l'allemand, l'italien et l'anglais. Il lisait aussi l'hĂ©breu, le persan et le sanskrit. Ainsi, la majeure partie de ses travaux universitaires a Ă©tĂ© Ă©crite d'abord en roumain, puis en français et en anglais.

Mircea Eliade
Description de l'image Stamp of Moldova 038.jpg.
Naissance
Bucarest
Drapeau de la Roumanie Roumanie
DĂ©cĂšs
Chicago
Drapeau des États-Unis États-Unis
Activité principale
Distinctions
Auteur
Langue d’écriture Roumain
Français
Anglais
Genres

ƒuvres principales

Mircea Eliade est considĂ©rĂ© comme l'un des fondateurs de l'histoire moderne des religions. Savant studieux des mythes, Eliade Ă©labora une vision comparĂ©e des religions, en trouvant des relations de proximitĂ© entre diffĂ©rentes cultures et moments historiques. Au centre de l'expĂ©rience religieuse de l’homme, Eliade situe la notion du « SacrĂ© ».

Sa formation d'historien et philosophe l'a amenĂ© Ă  Ă©tudier les mythes, les rĂȘves, les visions, le mysticisme et l'extase. En Inde, Eliade Ă©tudia le yoga et lut, directement en sanskrit, des textes classiques de l'hindouisme qui n'avaient pas Ă©tĂ© traduits dans des langues occidentales.

Auteur prolifique, il cherche à trouver une synthÚse dans les thÚmes qu'il aborde (excepté dans son Histoire des religions, qui reste purement analytique). De ses documents est souvent souligné le concept de « Hiérophanie », par lequel Eliade définit la manifestation du transcendant dans un objet ou dans un phénomÚne de notre cosmos habituel.

Vers la fin du XXe siÚcle, quelques textes d'Eliade nourrissent la vision gnoséologique de mouvements religieux, apparus avec la contre-culture des années 1960.

Biographie

Enfance

Mircea Eliade naquit Ă  Bucarest d’un pĂšre officier de l’armĂ©e de terre roumaine, Gheorghe Eliade (dont le nom patronymique Ă©tait Ă  l’origine Ieremia)[2] - [3], et de Jeana nĂ©e Vasilescu[4] - [5]. FidĂšle de l’Église orthodoxe roumaine, Gheorghe Eliade dĂ©clara la naissance de son fils quatre jours avant la date rĂ©elle, afin de la faire coĂŻncider avec la fĂȘte des Quarante martyrs de SĂ©baste du calendrier liturgique[3]. Mircea Eliade avait une sƓur, Corina, future mĂšre du sĂ©miologue Sorin Alexandrescu[6] - [7]. La famille dĂ©mĂ©nagea plusieurs fois entre Tecuci et Bucarest, pour finalement se fixer dans la capitale en 1914[2] ; les Eliade s’y achĂšteront une maison rue Melodiei, non loin de la place Rosetti, que Mircea habitera jusque tard dans son adolescence[7].

Eliade garda un souvenir particuliĂšrement heureux de son enfance et relatera plus tard l’impact qu’eurent sur son esprit d’enfant diffĂ©rents Ă©pisodes et rencontres inhabituels. Lors de l’un de ces Ă©pisodes, qui eut lieu pendant la campagne de Roumanie de la PremiĂšre Guerre mondiale, alors qu’Eliade avait une dizaine d’annĂ©es, il fut tĂ©moin du bombardement de Bucarest par des dirigeables allemands et de la ferveur patriotique qui s’empara de la capitale occupĂ©e Ă  la nouvelle que la Roumanie avait Ă©tĂ© en mesure de contenir l’avancĂ©e des Empires centraux en Moldavie[8].

Mais, plus particuliĂšrement, cette phase de sa vie fut marquĂ©e par une expĂ©rience tout Ă  fait singuliĂšre, qui se produisit lorsque certain jour il fit son entrĂ©e dans un salon qu’une « inquiĂ©tante lumiĂšre iridescente » avait transformĂ© en un « palais de conte de fĂ©es », expĂ©rience qu’Eliade appellera une Ă©piphanie[9] - [10]. RemĂ©morant cet Ă©pisode, il Ă©crivit :

« Pendant de nombreuses annĂ©es, j’ai pratiquĂ© l’exercice de ressaisir ce moment Ă©piphanique, et Ă  chaque fois, je retrouvai la mĂȘme plĂ©nitude. Je m’y glissais comme dans un fragment de temps hors durĂ©e — sans commencement, milieu ou fin. Pendant mes derniĂšres annĂ©es de lycĂ©e, tandis que je luttais contre de profonds accĂšs de mĂ©lancolie, je rĂ©ussissais parfois Ă  revenir encore Ă  la lumiĂšre vert or de cet aprĂšs-midi. [...] Mais, bien que la bĂ©atitude fĂ»t la mĂȘme, cela finit par devenir impossible Ă  supporter, car ma tristesse s’en trouvait trop fortement aggravĂ©e. C’est Ă  ce moment-lĂ  que je sus que le monde auquel appartenait le salon [...] Ă©tait un monde perdu Ă  tout jamais[11]. »

Robert Ellwood, professeur de religion, auteur de The Politics of Myth, qui fut le disciple de Mircea Eliade[12], considĂ©rait ce type particulier de nostalgie comme l’un des thĂšmes les plus caractĂ©ristiques de l’Ɠuvre thĂ©orique et de la vie d’Eliade[10].

Adolescence et débuts littéraires

AprĂšs des Ă©tudes primaires Ă  l’école de la rue MĂąntuleasa[2], Mircea Eliade frĂ©quenta le CollĂšge national Spiru Haret de Bucarest, oĂč il fut le camarade de classe d’Arșavir Acterian, de Haig Acterian et de Petre Viforeanu, et pendant quelques annĂ©es celui, plus ĂągĂ©, de Nicolae Steinhardt, lequel deviendra son ami[13]. Parmi ses autres condisciples figuraient aussi le futur philosophe Constantin Noica[3] et l’ami de celui-ci, le futur historien de l’art Barbu Brezianu[14].

Enfant, Eliade Ă©tait fascinĂ© par le monde naturel, qui forme le dĂ©cor de ses toutes premiĂšres tentatives littĂ©raires[3], ainsi que par le folklore roumain et par la foi chrĂ©tienne telle que vĂ©cue par les paysans[7]. En grandissant, il se proposa de dĂ©celer et de consigner ce qui lui apparaĂźtrait comme la source commune de toutes les traditions religieuses[7]. L’intĂ©rĂȘt du jeune Eliade pour la culture physique et l’aventure le porta Ă  pratiquer l’alpinisme et le nautisme[7], et aussi Ă  rejoindre les boy scouts roumains[15].

Avec un groupe d’amis, il conçut et fit construire un bateau Ă  voiles, puis le manƓuvra sur le Danube, de Tulcea Ă  la mer Noire[16]. En mĂȘme temps, Eliade tendait Ă  s’éloigner de son milieu scolaire, Ă©tant peu enclin Ă  se plier Ă  la discipline requise et obsĂ©dĂ© par l’idĂ©e qu’il Ă©tait plus laid et moins viril que ses condisciples[3]. Afin de se renforcer le caractĂšre, il se contraignait Ă  avaler des insectes[3] et ne dormait que quatre ou cinq heures par nuit[8]. À un certain moment, il Ă©tait en situation d’échec dans quatre matiĂšres scolaires, dont la langue roumaine[3].

En contrepartie, il se plongea dans l’étude des sciences naturelles et de la chimie, de mĂȘme que dans l’occultisme [3], et Ă©crivit de courts textes sur des sujets d’entomologie[8]. MalgrĂ© les inquiĂ©tudes de son pĂšre, qui craignait de voir se dĂ©tĂ©riorer sa vue dĂ©jĂ  affaiblie, Eliade lisait avec passion[3]. L’un de ses auteurs prĂ©fĂ©rĂ©s Ă©tait HonorĂ© de Balzac, dont il Ă©tudia l’Ɠuvre attentivement[3] - [8]. Il dĂ©couvrit aussi les nouvelles modernistes de Giovanni Papini et les ouvrages d’anthropologie sociale de James George Frazer[8].

Son intĂ©rĂȘt pour ces deux auteurs l’incita Ă  apprendre par ses propres moyens l’italien et l’anglais ― maĂźtrisant donc dĂ©jĂ , vers 1925, l'allemand, l'anglais, le français et l’italien[5] ―, et s’initia par ailleurs aux langues persane et hĂ©braĂŻque[2] - [8]. Dans le mĂȘme temps, il se familiarisa avec les poĂ©sies de Saadi et avec l’épopĂ©e mĂ©sopotamienne de Gilgamesh[8]. Il s’intĂ©ressa Ă©galement Ă  la philosophie, Ă©tudiant notamment Socrate, Vasile Conta et les stoĂŻciens Marc AurĂšle et ÉpictĂšte, et lut des livres d’histoire, les deux historiens roumains qui l’influencĂšrent dans son jeune Ăąge Ă©tant Bogdan Petriceicu Hasdeu et Nicolae Iorga[8]. Sa premiĂšre Ɠuvre publiĂ©e fut Inamicul viermelui de mătase (« l’Ennemi du ver Ă  soie »), qui parut en 1921[2], suivie, alors qu’il avait quatorze ans, de la nouvelle Cum am găsit piatra filosofală (« Comment j’ai dĂ©couvert la pierre philosophale »)[8] - [17]. Quatre ans plus tard, Eliade achevait de rĂ©diger sa premiĂšre Ɠuvre parue en volume, le roman autobiographique Romanul adolescentului miop (« le Roman de l'adolescent myope »)[8].

Études universitaires et sĂ©jour en Inde

Mircea Eliade en 1933.

En 1925, Eliade s'inscrivit Ă  la facultĂ© de philosophie et lettres de l’universitĂ© de Bucarest. C'est alors qu'il subit l'influence de Nicolae C. Ionescu (mieux connu en Roumanie sous le nom de Nae Ionescu), alors professeur assistant de logique et mathĂ©matique, Ă©galement journaliste, et dont il deviendra le disciple et l’ami[3] - [7] - [18]. L'engagement de ce confrĂšre Ă  l'extrĂȘme-droite et le sien furent critiquĂ©s et ont terni la rĂ©putation d'Eliade[5] - [19]. Ce dernier se sentait tout spĂ©cialement attirĂ© par les idĂ©es radicales d’Ionescu et par son intĂ©rĂȘt pour la religion, qui reprĂ©sentaient une rupture avec la tradition rationaliste incarnĂ©e par les aĂźnĂ©s de l’universitĂ© tels que Constantin Rădulescu-Motru, Dimitrie Gusti et Tudor Vianu, lesquels Ă©taient tous redevables, quoiqu’à des degrĂ©s variĂ©s, Ă  la dĂ©funte sociĂ©tĂ© littĂ©raire Junimea[3]. En 1927, il entreprit un voyage en Italie, oĂč il rencontra Papini[2] et collabora avec l’universitaire Giuseppe Tucci. En 1928, il fit la connaissance, Ă  l'universitĂ© de Bucarest, d’Émile Cioran, lui aussi liĂ© Ă  la Garde de fer[19], et d’EugĂšne Ionesco, prĂ©lude Ă  une longue amitiĂ© qui se poursuivra en France.

Il consacra son mĂ©moire de maĂźtrise Ă  la Renaissance italienne et, en particulier, aux philosophes Marsile Ficin, Giordano Bruno et Tommaso Campanella, et obtint son diplĂŽme en 1928. L'humanisme de la Renaissance est demeurĂ© une influence majeure dans les travaux d’Eliade[5] - [2].

Eliade dĂ©couvrit l'Ɠuvre de RenĂ© GuĂ©non dans les annĂ©es 1920 : les nombreux articles de GuĂ©non sur le symbolisme eurent sur lui un impact majeur[20] - [21] - [22]. Il dĂ©clara en 1932 que GuĂ©non Ă©tait « l'homme le plus intelligent du XXe siĂšcle [23] ». Eliade approfondit l’Ɠuvre de GuĂ©non, en particulier l'Introduction gĂ©nĂ©rale Ă  l'Ă©tude des doctrines hindoues et L'homme et son devenir selon le VĂȘdĂąnta, durant son sĂ©jour en Inde en 1929-1931[24]. AprĂšs-guerre, GuĂ©non se fĂ©licitera qu'Eliade reprenne la thĂšse de l'universalitĂ© de ces symboles qu'il dĂ©veloppera plus particuliĂšrement dans son TraitĂ© d'histoire des religions publiĂ© en 1949 et prĂ©facĂ© par Georges DumĂ©zil[25] - [26] - [27]. Ce traitĂ© est d'ailleurs structurĂ© autour de symboles fondamentaux dont la plupart proviennent de la lecture des articles de GuĂ©non[28]. Eliade cita trĂšs rarement GuĂ©non : mĂȘme s'il disait adhĂ©rer Ă  ses idĂ©es en privĂ©, il dĂ©clara ne pas pouvoir l'exprimer ouvertement pour ne pas s'aliĂ©ner les milieux universitaires, hostiles Ă  GuĂ©non aprĂšs guerre[27].

AprĂšs l’obtention de sa licence de philosophie, Ă  l’ñge de vingt et un ans, il s’embarqua Ă  l’automne 1928 pour l’Inde, oĂč il sĂ©journera durant trois ans Ă  Calcutta, dans le Bengale occidental, pour y prĂ©parer son doctorat Ă  l’universitĂ© de Calcutta. Le mobile de ce voyage fut la dĂ©couverte que le Maharadjah de Cassimbazar finançait, au bĂ©nĂ©fice d’étudiants europĂ©ens, des voyages d’études en Inde. Ayant introduit une demande, Eliade se vit octroyer une allocation pour quatre ans, laquelle fut ensuite doublĂ©e par une bourse d’études roumaine[29]. Ce voyage fut pour lui une vĂ©ritable initiation qui marquera ses travaux ultĂ©rieurs. RentrĂ© en Roumanie en , il commença la rĂ©daction de sa thĂšse sur le yoga, laquelle deviendra le Yoga, immortalitĂ© et libertĂ©[30].

À Calcutta, il Ă©tudia le sanskrit et la philosophie sous la direction de Surendranath Dasgupta, ancien Ă©tudiant bengali de l’universitĂ© de Cambridge, professeur Ă  l’universitĂ© de Calcutta, et auteur d’une History of Indian Philosophy en cinq tomes. Avant de mettre pied sur le sous-continent indien, Eliade visita briĂšvement l’Égypte[2]. Une fois en Inde, il parcourut de vastes zones de la rĂ©gion, et fit un court sĂ©jour dans l'Ăąshram himalayen de Swami Shivananda[31]. Il acquit les bases de la philosophie indienne et, parallĂšlement, apprit le sanscrit, le pali et le bengali, toujours sous la tutelle du professeur Dasgupta[29]. Il eut Ă©galement l’occasion de s’intĂ©resser aux actions de Mahatma Gandhi, qu’il lui fut donnĂ© de rencontrer personnellement[32], et au Satyagraha en tant que phĂ©nomĂšne ; plus tard, Eliade adaptera les idĂ©es de Gandhi dans son discours sur la spiritualitĂ© et la Roumanie[32]. En 1930, ayant Ă©tĂ© accueilli dans le logis de Dasgupta, Eliade s’éprit de sa fille, la poĂ©tesse et romanciĂšre Maitreyi Devi, et fera paraĂźtre plus tard un roman autobiographique Ă  peine transposĂ©, intitulĂ© Maitreyi. La Nuit bengali, dans lequel il laisse entendre qu'il eut des rapports physiques avec elle[33].

En 1933, aprĂšs avoir soutenu une thĂšse sur la pratique du yoga, il obtint son titre de docteur en philosophie, puis, de 1933 Ă  1940, enseigna la philosophie indienne Ă  l’universitĂ© de Bucarest[3] - [7] - [34] - [35], et en particulier, de 1936 Ă  1937, la mĂ©taphysique, en qualitĂ© de maĂźtre-assistant auprĂšs de Nae Ionescu[36]. L’ouvrage tirĂ© de sa thĂšse, qui fut traduit en français trois ans plus tard[29], eut une forte rĂ©percussion dans les milieux universitaires, Ă  l’étranger autant qu’en Roumanie[7]. Il insista par la suite que ce livre Ă©tait une premiĂšre Ă©tape vers une comprĂ©hension non seulement des pratiques religieuses indiennes, mais aussi de la spiritualitĂ© roumaine[37]. Dans la mĂȘme pĂ©riode, Eliade entama une correspondance avec le philosophe d’origine ceylanaise Ananda Coomaraswamy[38]. ParallĂšlement, il poursuit une carriĂšre d'Ă©crivain, et son roman Maitreyi. La Nuit bengali (trad. française chez Gallimard, 1950) obtint un prix au printemps 1933[30].

De rĂ©centes recherches (par Alexandra Laignel-Lavastine et de Daniel Dubuisson[39] - [40]) montrent qu’Eliade cĂ©da aussi aux sirĂšnes Ă  la mode dans sa jeunesse, en devenant l'un des chefs de file de la « Jeune GĂ©nĂ©ration roumaine » (un mouvement nationaliste) en 1927[40]. À cette Ă©poque, ses articles dans la revue Vremea et le quotidien CuvĂąntul contribuĂšrent Ă  donner une assise philosophique au « Mouvement LĂ©gionnaire » (Garde de fer) de Codreanu[41]. On le voit alors ennemi des LumiĂšres, des francs-maçons, du bolchĂ©visme, et de la dĂ©mocratie parlementaire (instaurĂ©e en Roumanie en 1921), influences considĂ©rĂ©es comme « d'importation Ă©trangĂšre », et partisan de « l’insurrection ethnique » de la majoritĂ© roumaine (globalement moins instruite) contre les minoritĂ©s locales et « l’invasion juive[40] ».

En 1933, Mircea Eliade, qui vivait avec l’actrice Sorana Țopa, s’éprit de Nina Mareș, qu’il finira par Ă©pouser[6] - [7] - [42]. Celle-ci, dont il avait fait la connaissance par l’intermĂ©diaire de son nouvel ami Mihail Sebastian, avait dĂ©jĂ  une fille, Giza, d’un homme dont elle avait divorcĂ©[7]. Eliade dĂ©cida par la suite d’adopter Giza[43], aprĂšs quoi tous trois s’installĂšrent dans un appartement sis au no 141 du boulevard Dacia Ă  Bucarest[7], dont Eliade s’absentera pendant un temps en 1936 pour effectuer un voyage au Royaume-Uni et en Allemagne, lors duquel il visitera pour la premiĂšre fois Londres, Oxford et Berlin[2].

En 1937, il rencontra Julius Evola — admirateur de Codreanu, et alors en voyage en Roumanie — chez Nae Ionescu. Ce sera le dĂ©but d'une correspondance rĂ©guliĂšre entre les deux hommes[44].

Dans la revue Vremea (« Le Temps » en roumain) du , il publia des Ă©crits antimaçonniques, suggĂ©rant un rapprochement entre la « mentalitĂ© » des francs-maçons et celle des communistes russes, qu’il jugeait « monovalente » et « abstraite ».

Criterion et CuvĂąntul

Immeuble boulevard Dacia Ă  Bucarest, oĂč Eliade vĂ©cut de 1934 Ă  1940.

AprĂšs avoir fait publier plusieurs contributions, gĂ©nĂ©ralement polĂ©miques, dans des revues universitaires, Eliade vint Ă  ĂȘtre remarquĂ© par le journaliste Pamfil Șeicaru, qui l’invita Ă  collaborer Ă  la revue nationaliste CuvĂąntul, connue pour l’ñpretĂ© de son ton[3], et qui Ă  ce moment-lĂ  accueillait aussi des articles de Nae Ionescu[3].

La rencontre initiale d’Eliade, en tant que l’une des reprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© littĂ©raire Criterion (1933–1934), avec l’extrĂȘme droite traditionnelle fut polĂ©mique : les confĂ©rences du groupe furent envahies par des membres de la Ligue de dĂ©fense nationale-chrĂ©tienne d’A. C. Cuza, hostiles Ă  ce qu’ils considĂ©raient comme du pacifisme et lançant des insultes antisĂ©mites Ă  certains orateurs, parmi lesquels Mihail Sebastian[45] ; en 1933, ce dernier fut parmi les signataires d’un manifeste contre le racisme d’État de l’Allemagne nazie[46].

En 1934, tandis que Sebastian Ă©tait publiquement insultĂ© par Nae Ionescu, et que celui-ci avait prĂ©facĂ© le livre De două mii de ani... (« Il y a deux mille ans
 ») de celui-lĂ  en y mĂȘlant des rĂ©flexions sur la « damnation Ă©ternelle » des Juifs, Mircea Eliade condamna cette attitude d’Ionescu, et fit observer que ses rĂ©fĂ©rences Ă  la devise Hors de l’Église point de salut Ă©tait en contradiction avec la notion de Dieu tout-puissant[47] - [48]. En revanche, il argua que le texte d’Ionescu ne prouvait pas son antisĂ©mitisme[49].

En 1936, quand il commenta l’histoire primitive du royaume de Roumanie et de sa communautĂ© juive, il dĂ©plora l’expulsion des savants juifs du sol roumain, songeant en particulier Ă  Moses Gaster, Heimann Hariton Tiktin et Lazăr ƞăineanu[50]. Mais Ă  cette Ă©poque, l’attention d’Eliade s'Ă©tait surtout focalisĂ©e sur l’idĂ©e de renouveau civilisationnel, ainsi qu’en atteste cette rĂ©plique qu’il donna Ă  l’étĂ© 1933 Ă  une critique antimoderniste Ă©crite par George Călinescu :

« Tout ce que j’appelle de mes vƓux est un changement profond, une transformation complĂšte. Mais, pour l’amour de Dieu, dans n’importe quelle direction autre que la spiritualitĂ©[51]. »

Lui et ses amis Emil Cioran et Constantin Noica se trouvaient alors sous l’influence du Trăirism, Ă©cole de pensĂ©e constituĂ©e autour des idĂ©aux exprimĂ©s par Ionescu. Tout en Ă©tant une forme d’existentialisme, le Trăirism Ă©tait aussi une synthĂšse de croyances, tant traditionnelles que nouvelles, d’extrĂȘme droite[52]. TĂŽt dĂ©jĂ , une polĂ©mique publique avait Ă©clatĂ© entre Eliade et Camil Petrescu : les deux adversaires cependant finirent par se rĂ©concilier et devinrent plus tard de bons amis[43].

Tout comme Mihail Sebastian, qui commençait lui aussi Ă  ĂȘtre sous l’influence d’Ionescu, Eliade gardait des contacts avec des intellectuels de tout l’éventail politique : Ă  leur entourage appartenaient ainsi les personnalitĂ©s de droite Dan Botta et Mircea Vulcănescu, les apolitiques Camil Petrescu et Ionel Jianu, et encore Belu Zilber, qui Ă©tait membre du Parti communiste roumain illĂ©gal[53]. Le groupe comprenait aussi Haig Acterian, Mihail Polihroniade, Petru Comarnescu, Marietta Sadova et Floria Capsali[47]. Eliade Ă©tait proche Ă©galement de Marcel Avramescu, anciennement Ă©crivain surrĂ©aliste, qu’il initia Ă  l’Ɠuvre de RenĂ© GuĂ©non[54]. Avramescu, docteur en sciences kabbalistiques et futur clĂ©rical orthodoxe roumain, se joignit Ă  Eliade pour Ă©diter l’éphĂ©mĂšre magazine Ă©sotĂ©rique Memra (le seul en son genre en Roumanie)[55].

Parmi les jeunes intellectuels qui assistaient Ă  ses cours figuraient Mihail Șora, son Ă©tudiant prĂ©fĂ©rĂ©, Eugen Schileru et Miron Constantinescu, qui se feront plus tard un nom en tant que, respectivement, philosophe, critique d’art, et sociologue et personnalitĂ© politique du futur rĂ©gime communiste[43]. Mariana Klein, qui deviendra l’épouse de Șora, Ă©tait aussi l’une des Ă©tudiantes d’Eliade et sera plus tard l’auteur d’ouvrages sur son activitĂ© universitaire[43].

UltĂ©rieurement, Eliade racontera qu’il avait lui-mĂȘme enrĂŽlĂ© Belu Zilber comme contributeur Ă  CuvĂąntul, dans le but de permettre Ă  celui-ci de resituer les sujets traitĂ©s par le journal dans une perspective marxiste[53]. Leurs rapports cependant s’aigrirent en 1935, aprĂšs que Zilber eut publiquement accusĂ© Eliade de remplir l’office d’agent de la police secrĂšte, la Siguranța Statului ; Ă  cette assertion, Sebastian rĂ©torqua en affirmant que Zilber Ă©tait lui-mĂȘme un agent secret, Ă  la suite de quoi ce dernier se rĂ©tracta[53].

Engagement politique dans les années 1930

Les articles rĂ©digĂ©s par Eliade avant et aprĂšs son adhĂ©sion aux principes de la Garde de fer (ou du Mouvement lĂ©gionnaire, appellation alors plus usuelle), et dont le premier en date est Itinerar spiritual (« ItinĂ©raire spirituel », paru en plusieurs livraisons dans CuvĂąntul en 1927), sont axĂ©s autour des diffĂ©rents idĂ©aux politiques prĂŽnĂ©s par l’extrĂȘme droite. Ils dĂ©notent son rejet du libĂ©ralisme et des objectifs de modernisation de la RĂ©volution roumaine de 1848 (perçus comme une « apologie abstraite de l’humanitĂ© »[56] et comme une « imitation simiesque de l’Europe occidentale »)[57], de mĂȘme que de la dĂ©mocratie elle-mĂȘme (qu’il accusait d’« avoir pour effet d’écraser toute tentative de renaissance nationale »[58]), et chantent les louanges de l’Italie fasciste de Benito Mussolini au motif qu’en Italie, selon Eliade, « celui qui pense par lui-mĂȘme est promu aux plus hautes fonctions dans le plus bref dĂ©lai »[58]. Il s’y dĂ©clare partisan d’un État nationaliste ethnique s’appuyant sur l’Église orthodoxe (en 1927 en effet, en dĂ©pit de son intĂ©rĂȘt toujours vif pour la thĂ©osophie, il conseilla « le retour Ă  l’Église » aux jeunes intellectuels)[59], point de vue qu’il opposa au nationalisme laĂŻc de Constantin Rădulescu-Motru, entre autres[60] ; dĂ©signant son idĂ©al national spĂ©cifique par le terme de roumanianisme, Eliade voyait cet idĂ©al, en 1934 encore, comme n’étant « ni du fascisme, ni du chauvinisme »[61].

Eliade se montrait en particulier insatisfait du taux de chĂŽmage sĂ©vissant chez les intellectuels, dont les carriĂšres dans les institutions subventionnĂ©es par l’État avaient Ă©tĂ© rendues prĂ©caires par suite de la Grande DĂ©pression[62].

En 1936, Eliade devint la cible d’une campagne hostile dans la presse d’extrĂȘme droite pour s’ĂȘtre rendu coupable de « pornographie » dans ses romans Domnișoara Christina et Isabel și apele diavolului, tandis que des accusations similaires Ă©tait lancĂ©es contre d’autres personnalitĂ©s du monde de la culture, telles que Tudor Arghezi et Geo Bogza[63]. Aussi les Ă©valuations contemporaines de l’Ɠuvre d’Eliade apparaissent-elles fort contrastĂ©es, quand on songe que cette mĂȘme annĂ©e 1936, Eliade se vit dĂ©cerner un prix par la SociĂ©tĂ© des Ă©crivains roumains, dont il Ă©tait membre depuis 1934[64]. À l’étĂ© 1937, par l’effet d’une dĂ©cision officielle consĂ©cutive aux accusations susmentionnĂ©es, et malgrĂ© les protestations d’étudiants, il fut suspendu de ses fonctions Ă  l’universitĂ©[65]. Eliade cependant dĂ©cida de poursuivre en justice le ministĂšre de l’Instruction publique, requĂ©rant des dommages et intĂ©rĂȘts symboliques de 1 leu[66] ; ayant gagnĂ© son procĂšs, il put rĂ©intĂ©grer son poste d’assistant auprĂšs de Ionescu[66].

Ce nonobstant, il apporta en 1937 ouvertement sa caution intellectuelle Ă  la Garde de fer, qu’il dit considĂ©rer comme « une rĂ©volution chrĂ©tienne visant Ă  crĂ©er une nouvelle Roumanie »[67] et comme un groupe capable « de rĂ©concilier la Roumanie avec Dieu »[67]. Les articles de sa main qui parurent Ă  cette Ă©poque dans des publications de la Garde de fer telles que Sfarmă Piatră et Buna Vestire, renferment de longs Ă©loges aux dirigeants du mouvement, notamment Corneliu Zelea Codreanu, Ion Moța, Vasile Marin et Gheorghe Cantacuzino-Grănicerul[68] - [69]. La trajectoire ainsi suivie par Eliade coĂŻncidait en fait avec celle de ses proches collaborateurs et d’une grande partie des intellectuels de sa gĂ©nĂ©ration, avec les notables exceptions de Petru Comarnescu, du sociologue Henri H. Stahl, du futur auteur dramatique EugĂšne Ionesco et de Mihail Sebastian[70].

Il finit par adhĂ©rer au parti Totul pentru Țară (litt. Tout pour le pays), bras politique de la Garde de fer[3] - [71], et appuya la campagne Ă©lectorale de celui-ci en vue des Ă©lections gĂ©nĂ©rales de 1937 dans le județ de Prahova, ainsi qu’en atteste le fait que son nom figure sur une liste, publiĂ©e dans Buna Vestire, recensant les membres du parti investis de responsabilitĂ©s Ă  l’échelon du județ[71].

Emprisonnement et carriĂšre diplomatique

Ses agissements au sein de la Garde de fer lui valurent d'ĂȘtre arrĂȘtĂ© le et briĂšvement incarcĂ©rĂ©[40], dans le cadre d’un ensemble de mesures rĂ©pressives contre la Garde de fer dĂ©cidĂ©es avec l’accord du roi Carol II. Au moment de son arrestation, il venait d’interrompre dans la revue Vremea sa chronique sur Provincia și legionarismul (« la Province et l’IdĂ©ologie lĂ©gionnaire »), et avait Ă©tĂ© identifiĂ© par le premier ministre Armand Călinescu comme propagandiste de la Garde de fer[72].

Eliade fut retenu pendant trois semaines dans une cellule au siĂšge de la Siguranța Statului, pour l’amener Ă  signer une « dĂ©claration de dissociation » d’avec la Garde de fer, mais Eliade s’y refusa[73]. Dans la premiĂšre semaine d’aoĂ»t, il fut transfĂ©rĂ© vers un camp de fortune Ă  Miercurea-Ciuc. Lorsqu’il se mit Ă  expectorer du sang en , il fut admis dans un hĂŽpital Ă  Moroeni[73]. Ensuite, le , il fut simplement remis en libertĂ© et travailla alors Ă  Ă©crire sa piĂšce de thĂ©Ăątre Iphigenia (Ă©galement orthographiĂ© Ifigenia)[47].

En , aprĂšs que la Garde de fer fut arrivĂ©e au pouvoir en mĂȘme temps que fut instaurĂ©e la dictature militaire de Ion Antonescu (l’État national lĂ©gionnaire, Statul Național Legionar)[41], Eliade est nommĂ©, grĂące au concours d’Alexandru Rosetti, attachĂ© culturel du rĂ©gime auprĂšs de la lĂ©gation de Roumanie Ă  Londres, poste auquel il sera mis fin bientĂŽt Ă  la suite de la rupture des relations diplomatiques entre la Roumanie et la Grande-Bretagne[73]. Son sĂ©jour Ă  Londres avait cependant durĂ© assez de temps pour permettre aux services secrets britanniques de le cataloguer comme « le plus nazi » des membres de la lĂ©gation roumaine[40].

AprĂšs avoir quittĂ© la capitale britannique, il remplit la fonction de Conseiller et de Responsable de presse (ultĂ©rieurement d’AttachĂ© culturel)[42] - [74] - [75] - [76] Ă  l’ambassade de Roumanie au Portugal Ă  Lisbonne, de jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’abord comme diplomate au service de l’État national lĂ©gionnaire, puis enfin au service du rĂ©gime d’Ion Antonescu. Sa fonction consistait Ă  diffuser de la propagande en faveur de l’État roumain[42].

En , plusieurs semaines aprĂšs que la sanglante rĂ©bellion lĂ©gionnaire eut Ă©tĂ© Ă©crasĂ©e par Antonescu, Iphigenia fut montĂ©e au ThĂ©Ăątre national de Bucarest ; cependant, la piĂšce fut bientĂŽt soupçonnĂ©e d’avoir Ă©tĂ© inspirĂ©e par l’idĂ©ologie de la Garde de fer, voire d’avoir Ă©tĂ© inscrite au programme du thĂ©Ăątre comme tentative de subversion lĂ©gionnaire[47].

En 1942, il rĂ©digea un livre Ă  la gloire de « l'État chrĂ©tien et totalitaire » de Salazar (Salazar și revoluția Ăźn Portugalia, 1942)[41] - [76] - [77] - [78], oĂč il affirme que « l’État salazarien, qui est un État chrĂ©tien et totalitaire, est fondĂ© d’abord et au premier chef sur l’Amour » [77]. Le de la mĂȘme annĂ©e, il fut reçu par Salazar lui-mĂȘme, qui le chargea de transmettre Ă  Antonescu son conseil de retirer l’armĂ©e roumaine du front de l’est (« [À sa place], je ne la laisserais pas s’enliser en Russie ») [79]. Eliade indiqua que ces contacts avec un chef d’État d’un pays neutre l’avaient placĂ© dans le collimateur de la Gestapo, mais qu’il rĂ©ussit nĂ©anmoins Ă  communiquer l’avertissement de Salazar Ă  Mihai Antonescu, le ministre des Affaires Ă©trangĂšres de Roumanie[32] - [79].

À l’automne 1943, il se rendit dans la France occupĂ©e, oĂč il rejoignit Emil Cioran, et oĂč il rencontra Ă©galement l’universitaire Georges DumĂ©zil et l’écrivain collaborateur Paul Morand[42]. Dans le mĂȘme temps, il se porta candidat pour un poste de chargĂ© de cours Ă  l’universitĂ© de Bucarest, puis se retira de la compĂ©tition, laissant Constantin Noica et Ion Zamfirescu concourir seuls au poste, devant un comitĂ© d’évaluation composĂ© entre autres de Lucian Blaga et de Dimitrie Gusti (le choix qui, Ă  l’encontre de la recommandation de Blaga, se porta finalement sur Zamfirescu, sera sujet Ă  controverse)[80]. Dans ses notes personnelles, Eliade Ă©crivit qu’il avait cessĂ© de s’intĂ©resser Ă  cette fonction, car ses visites Ă  l’étranger lui avaient fait comprendre qu’il avait « quelque chose de grand Ă  dire », et qu’il ne pouvait fonctionner au-dedans « d’une culture mineure »[42]. Toujours pendant la guerre, Eliade fit un voyage Ă  Berlin, oĂč il eut une entrevue avec le controversĂ© thĂ©oricien politique Carl Schmitt[7] - [42], et visita frĂ©quemment l’Espagne de Franco, oĂč il assista notamment au congrĂšs scientifique lusitano-espagnol tenu Ă  Cordoue en 1944[42] - [81] - [82]. C’est d’ailleurs Ă  Lisbonne et lors de ses voyages en Espagne qu’Eliade fit la rencontre des philosophes JosĂ© Ortega y Gasset et Eugenio d'Ors, gardant par la suite avec ce dernier des liens d’amitiĂ© et le contactant encore Ă  plusieurs reprises aprĂšs la guerre[81].

Son Ă©pouse Nina Eliade tomba malade d’un cancer de l’utĂ©rus et mourut durant leur sĂ©jour Ă  Lisbonne fin 1944. Ainsi que le veuf le notera plus tard, la maladie fut sans doute provoquĂ©e par une opĂ©ration d’avortement qu’elle avait subie au dĂ©but de leur vie en couple[42]. Il succomba alors Ă  des crises de dĂ©pression, qui s’exacerbĂšrent quand la Roumanie et les alliĂ©s de l’Axe subirent de lourdes dĂ©faites sur le front de l’est[42] - [82]. S’il envisagea de retourner en Roumanie comme soldat ou comme moine[42], il restait dans le mĂȘme temps continuellement en quĂȘte d’antidĂ©presseurs efficaces, et sans cesser de se soigner lui-mĂȘme Ă  l’aide d’extraits de passiflore, et, pour finir, de mĂ©thamphĂ©tamine[82]. Vraisemblablement ne s’agissait-il pas lĂ  de sa premiĂšre expĂ©rience avec la drogue : de certaines mentions dans ses carnets, au demeurant assez vagues, il a pu ĂȘtre infĂ©rĂ© que Mircea Eliade consomma de l’opium lors de son voyage pour Calcutta[82]. Plus tard, commentant l’Ɠuvre d’Aldous Huxley, Eliade Ă©crivit que la mescaline dont l’auteur britannique avait fait usage comme source d’inspiration avait quelque chose de commun avec sa propre expĂ©rience, pour laquelle il indiqua 1945 comme date de rĂ©fĂ©rence, ajoutant qu’il Ă©tait « superflu d’expliquer pourquoi »[82].

Les annĂ©es d’aprĂšs-guerre

DĂšs qu’apparurent des signes permettant d’augurer que le rĂ©gime communiste avait pris pied durablement en Roumanie, Eliade choisit de ne pas retourner dans le pays. Le , il s’installa Ă  Paris avec sa fille adoptive Giza, et Georges DumĂ©zil l’invita Ă  la Ve section de l’École pratique des hautes Ă©tudes[43] - [2] - [42] pour y prĂ©senter les premiers chapitres de ce qui deviendra plus tard son TraitĂ© d’histoire des religions[30] - [7].

La mĂȘme annĂ©e, il rĂ©dige en effet, en roumain d’abord, les ProlĂ©gomĂšnes Ă  l’histoire des religions, qui paraĂźtront par la suite en français sous le titre de TraitĂ© d’histoire des religions (1949) avec une prĂ©face de DumĂ©zil[17]. En 1949, il se fit particuliĂšrement connaĂźtre du public français avec la parution chez Gallimard de son essai sur le Mythe de l'Ă©ternel retour. En 1956, il fit paraĂźtre son ouvrage le plus cĂ©lĂšbre, le SacrĂ© et le Profane (Gallimard, 1956). Certains ont indiquĂ© qu’il n’était pas inhabituel pour lui Ă  cette Ă©poque de travailler jusqu’à 15 heures par jour[35]. Eliade convola en secondes noces avec l’exilĂ©e roumaine Christinel Cotescu[7] - [83], qui Ă©tait descendante de boyards et la belle-sƓur du chef d’orchestre Ionel Perlea[83].

À partir de cette pĂ©riode, Eliade et son Ă©pouse Christinel Cottesco voyagĂšrent en Europe et aux États-Unis, poursuivant leurs recherches, tout en Ă©tant sollicitĂ©s de part et d'autre pour des confĂ©rences et des colloques.

Avec Emil Cioran et d’autres expatriĂ©s roumains, Eliade se rallia Ă  l’ancien diplomate Alexandru Busuioceanu et l’aida Ă  diffuser des opinions anti-communistes auprĂšs du public ouest-europĂ©en[84]. Il s’impliqua Ă©galement, pour une brĂšve pĂ©riode, dans la parution d’une revue en langue roumaine, intitulĂ©e Luceafărul (« l’Étoile du matin »)[84] et reprit contact avec Mihail Șora, qui s’était vu octroyer une bourse pour Ă©tudier en France, et avec la femme de celui-ci, Mariana[43]. En 1947, en butte Ă  des difficultĂ©s matĂ©rielles, il trouva, par l’entremise d’Ananda Coomaraswamy, un emploi de professeur de français aux États-Unis, dans une Ă©cole de l’Arizona ; cet arrangement toutefois prit fin Ă  la mort de Coomaraswamy en septembre[38].

À partir de 1948, il Ă©crivit pour la revue Critique, crĂ©Ă©e et Ă©ditĂ©e par Georges Bataille[2]. L’annĂ©e suivante, il partit visiter l’Italie, oĂč il rĂ©digea les 300 premiĂšres pages de son roman ForĂȘt interdite, et qu’il visitera une troisiĂšme fois en 1952[2]. Durant ces mĂȘmes annĂ©es, il frĂ©quentait rĂ©guliĂšrement, Ă  partir de 1950, aprĂšs avoir Ă©tĂ© recommandĂ© par Henry Corbin en 1949[38], les rencontres d’Eranos (fondĂ©es par Carl Gustav Jung) Ă  Ascona en Suisse, oĂč il put rencontrer, outre Jung, Olga Fröbe-Kapteyn, Gershom Scholem et Paul Radin[85] - [17], et qu’il dĂ©crira comme « l’une des expĂ©riences culturelles les plus crĂ©atives du monde occidental moderne »[86]. Il collabora par ailleurs au magazine Antaios Ă©ditĂ© par Ernst JĂŒnger[35].

Carriùre aux États-Unis

En , il dĂ©mĂ©nagea pour les États-Unis, et s’installa l’annĂ©e suivante Ă  Chicago[2] - [7], ayant en effet Ă©tĂ© invitĂ© par Joachim Wach Ă  prononcer une sĂ©rie de confĂ©rences dans l’institution Ă  laquelle celui-ci appartenait, l’universitĂ© de Chicago[38]. Il est gĂ©nĂ©ralement admis qu’Eliade et Wach ont Ă©tĂ© les fondateurs de l’école de Chicago, laquelle jeta les fondements de ce qui deviendra l’étude des religions dans la deuxiĂšme moitiĂ© du XXe siĂšcle[87]. À la suite de la mort de Wach, survenue en 1955 avant que lesdites confĂ©rences eussent Ă©tĂ© prononcĂ©es, Eliade fut nommĂ© son remplaçant, et prit en 1964 le titre de Sewell Avery Distinguished Service Professor of the History of Religions[2]. À partir de 1954, aprĂšs la parution de la premiĂšre Ă©dition de son ouvrage sur l’éternel retour, Eliade connut aussi le succĂšs commercial : le livre eut plusieurs rĂ©Ă©ditions, sous des titres diffĂ©rents, et se vendit Ă  plus de 100 000 exemplaires[88].

Devenu membre de l’AcadĂ©mie amĂ©ricaine des arts et des sciences en 1966[2], Mircea Eliade fut Ă©galement appelĂ© Ă  diriger l’Encyclopedia of Religion, qui paraissait aux Ă©ditions Macmillan, et enseigna en 1968 l’histoire religieuse Ă  l’universitĂ© de Californie Ă  Santa Barbara[89]. C’est aussi durant cette mĂȘme pĂ©riode que Mircea Eliade acheva de rĂ©diger sa volumineuse et influente History of Religious Ideas (trad. française sous le titre Histoire des croyances et des idĂ©es religieuses, 1976), oĂč il prĂ©sente un aperçu de ses principales thĂšses originales sur l’histoire des religions[7]. À quelques occasions, il voyagea hors des États-Unis, notamment afin d’assister au congrĂšs sur l’histoire des religions Ă  Marbourg en 1960, et pour visiter la SuĂšde et la NorvĂšge en 1970[2].

Au dĂ©but, Eliade fut violemment attaquĂ© par la presse du Parti communiste roumain, principalement par RomĂąnia Liberă, qui le qualifia d’« idĂ©ologue des gardes de Fer, ennemi de la classe ouvriĂšre, apologue de la dictature de Salazar »[90]. Cependant, dans le mĂȘme temps, le rĂ©gime entreprit des dĂ©marches secrĂštes pour s’assurer son soutien ainsi que celui de Cioran ; la metteuse en scĂšne de thĂ©Ăątre Marietta Sadova, veuve du metteur en scĂšne fasciste Haig Acterian, fut envoyĂ©e Ă  Paris avec mission de rĂ©tablir le contact avec les deux hommes[91]. Bien que ces rencontres eussent Ă©tĂ© organisĂ©es par les autoritĂ©s roumaines, elles allaient par la suite ĂȘtre exploitĂ©es comme preuves contre elle lors du procĂšs qui lui sera intentĂ© en pour trahison (et oĂč Constantin Noica et Dinu Pillat allaient ĂȘtre ses principaux dĂ©fenseurs)[91]. La police secrĂšte roumaine, la Securitate, dĂ©crivit Eliade comme un espion au service du Secret Intelligence Service britannique et un ancien agent de la Gestapo[92].

Ensuite cependant, sous la prĂ©sidence de Gheorghe Gheorghiu-Dej au dĂ©but des annĂ©es 1960, il bĂ©nĂ©ficia d’une lente rĂ©habilitation dans son pays d’origine[93]. Au cours de la dĂ©cennie 1970, Eliade fut approchĂ© de diverses façons par le rĂ©gime de Nicolae Ceaușescu, afin de l’amener Ă  retourner en Roumanie[7]. Cette nouvelle dĂ©marche Ă©tait motivĂ©e par la nouvelle ligne nationaliste officielle et par l’aspiration de la Roumanie Ă  l’indĂ©pendance vis-Ă -vis du bloc de l'Est, ces deux phĂ©nomĂšnes portant le gouvernement roumain Ă  voir dans le prestige d’Eliade un atout politique. L’entretien que Mircea Eliade accorda au poĂšte Adrian Păunescu, durant la visite de celui-ci Ă  Chicago en 1970, constitua un Ă©vĂ©nement sans prĂ©cĂ©dent ; Eliade complimenta Păunescu Ă  la fois pour son militantisme et pour son adhĂ©sion aux dogmes officiels, et dĂ©clara estimer que

« la jeunesse d’Europe de l’Est est incontestablement supĂ©rieure Ă  celle de l’Europe occidentale. [...] Je suis convaincu que dans dix ans la jeune gĂ©nĂ©ration rĂ©volutionnaire ne se comportera pas comme le fait aujourd’hui la minoritĂ© bruyante des contestataires occidentaux. [...] La jeunesse de l’Est a assistĂ© Ă  l’abolition des institutions traditionnelles, a acceptĂ© cela [...] et n’est pas satisfaite des structures mises en place, mais cherche plutĂŽt Ă  les amĂ©liorer[94]. »

La visite de Păunescu's Ă  Chicago fut suivie par celle de l’écrivain nationaliste officiel Eugen Barbu, puis par celle d’un ami d’Eliade, Constantin Noica, qui venait d’ĂȘtre libĂ©rĂ© de prison[69]. Eliade envisagea alors de retourner en Roumanie, mais ses compagnons intellectuels roumains en exil (parmi lesquels Virgil Ierunca, de Radio Free Europe, et Monica Lovinescu) surent finalement le persuader de repousser les avances communistes[69]. En 1977, se joignant Ă  d’autres intellectuels roumains exilĂ©s, il signa un tĂ©lĂ©gramme de protestation contre les mesures de rĂ©pression nouvellement prises par le rĂ©gime de Ceaușescu[3]. En 2007, l’anthropologue roumain Andrei Oișteanu relata comment, vers 1984, la Securitate fit — en vain — pression sur lui pour qu’il devĂźnt un agent d’influence au sein mĂȘme du cercle de Chicago qui s'Ă©tait constituĂ© autour d’Eliade[95].

Dans la derniĂšre partie de sa vie, le passĂ© fasciste d’Eliade fut peu Ă  peu dĂ©voilĂ© publiquement, provoquant chez lui une tension nerveuse qui contribua sans doute Ă  la dĂ©tĂ©rioration de son Ă©tat de santĂ©[3]. À partir de la mĂȘme Ă©poque, sa carriĂšre d’écrivain se trouva entravĂ©e par une grave arthrite[43]. Le prix Bordin de l’AcadĂ©mie française en 1977, et le titre de docteur honoris causa dĂ©cernĂ© par l’universitĂ© de Washington en 1985, seront les derniers honneurs acadĂ©miques qui lui seront confĂ©rĂ©s[2].

Mircea Eliade s’éteignit Ă  l’hĂŽpital Bernard Mitchell de Chicago en . Huit jours auparavant, il avait Ă©tĂ© victime d’une apoplexie alors qu’il lisait les Exercices d’admiration d’Emil Cioran, et perdit ensuite sa facultĂ© de parole[9]. Quatre mois plus tĂŽt, un incendie avait partiellement dĂ©truit son bureau Ă  l’école de thĂ©ologie Meadville Lombard, Ă©vĂ©nement qu’il avait interprĂ©tĂ© comme un prĂ©sage[3] - [9]. Son disciple roumain Ioan Petru Culianu, lorsqu’il Ă©voqua la rĂ©action de la communautĂ© scientifique Ă  la nouvelle de cette mort, dĂ©crivit le dĂ©cĂšs d’Eliade comme « un mahaparanirvana », le comparant ainsi au passage de Gautama Buddha[9]. Son corps fut incinĂ©rĂ© Ă  Chicago, et les obsĂšques furent cĂ©lĂ©brĂ©es sur le site de l’UniversitĂ©, dans la chapelle Rockefeller[2] - [9]. La cĂ©rĂ©monie, Ă  laquelle assistĂšrent quelque 1 200 personnes, comporta la lecture publique du texte d’Eliade dans lequel il Ă©voque l’épiphanie de son enfance, lecture publique effectuĂ©e par le romancier Saul Bellow, son collĂšgue Ă  l’universitĂ©[9]. Sa tombe se trouve dans le cimetiĂšre de Oak Woods, dans le quartier de Greater Grand Crossing Ă  Chicago[96].

Théories et histoire des religions

Persistance de la pensée mythique dans les sociétés modernes

En 1953 Eliade publia « Les mythes du monde moderne[97] », un essai trĂšs remarquĂ© qui expliquait que la lecture quotidienne de l’homme du XXe siĂšcle prolonge les activitĂ©s mythologiques de l’ùre des religions dĂ©istes. Il note aussi que les grandes idĂ©ologies (nazisme, communisme...) de notre temps sont des crĂ©ations mythologiques. Mais ces idĂ©es n'ont pas Ă©tĂ© poursuivies, ni par Eliade, ni par l'histoire des religions. (Elles l'ont Ă©tĂ©, par contre, par toute la branche de la psychologie archĂ©typique dont James Hillman est le promoteur[98]). Dans les premiers volumes de son « Histoire des croyances et des idĂ©es religieuses », on promet une suite comportant l’analyse des « thĂ©ologies athĂ©istes (sic) contemporaines », mais un deuxiĂšme volume parut, puis un troisiĂšme sans parvenir aux temps prĂ©sents. Eliade ne dĂ©sirait probablement pas « transfĂ©rer » les idĂ©ologies dans le domaine religieux. Deux lectures sont possibles de l'essai : pour beaucoup de lecteurs, notamment de l’édition en anglais, Eliade prend ses distances avec tout ce qui est profane (« secular »). En traitant le communisme de mythe, il le diminue et le met devant ses propres contradictions. Les mythologies modernes seraient des fragments ou des survivances de la crĂ©ativitĂ© d’autrefois. Mais selon une autre lecture de l'essai, Eliade voulait, au contraire, souligner la continuitĂ© dans l’évolution. En conclusion de l'essai il dit : « Il est indispensable de reconnaĂźtre qu'il n’existe plus de solution de continuitĂ© entre le monde « primitif » ou « arriĂ©rĂ© » et l'Occident moderne. Il ne suffit plus, comme il suffisait il y a un demi-siĂšcle, de dĂ©couvrir et d’admirer l’art nĂšgre ou ocĂ©anien ; il faut redĂ©couvrir les sources spirituelles de ces arts en nous-mĂȘmes, il faut prendre conscience de ce qui reste encore de « mythique » dans une existence moderne, et qui reste tel, justement parce que ce comportement est, lui aussi, consubstantiel Ă  la condition humaine, en tant qu’il exprime l’angoisse devant le Temps. »

La premiĂšre lecture focalise sur le marxisme anti-religieux comme l’« adversaire » des religions. La deuxiĂšme considĂšre que beaucoup des pionniers du mouvement social français ont revendiquĂ© l’étiquette religieuse pour le mouvement[99] et cela jusqu’à LĂ©on Blum en 1945 (À l'Ă©chelle humaine). Dans son essai, Eliade s’empare de l’idĂ©e de l’absence de « solution de continuitĂ©[100] » dans l’histoire des idĂ©es, mais ensuite il l’abandonne.

Nature générale de la religion

Parmi les travaux d’Eliade sur l’histoire des religions, les Ă©crits les plus remarquĂ©s sont ceux ayant trait Ă  l’alchimie[101], au chamanisme, au yoga et surtout Ă  ce qu’il nomma l’éternel retour, c’est-Ă -dire la croyance implicite, supposĂ©ment prĂ©sente dans la pensĂ©e religieuse en gĂ©nĂ©ral, que le comportement religieux n’est pas seulement une imitation d’évĂ©nements sacrĂ©s, mais aussi une participation Ă  ceux-ci, et que donc il rĂ©instaure le temps mythique des origines. La pensĂ©e d’Eliade fut en partie influencĂ©e par Rudolf Otto, Gerardus van der Leeuw, Nae Ionescu et par les Ă©crits de l’école traditionaliste (RenĂ© GuĂ©non et Julius Evola)[54]. Par exemple, le SacrĂ© et le Profane d’Eliade s’appuie en partie, notamment pour dĂ©montrer comment la religion Ă©merge de l’expĂ©rience du sacrĂ©, sur le concept du numineux formulĂ© par Rudolf Otto, et sur les mythes du temps et de la nature.

Eliade s’attacha Ă  dĂ©celer des parallĂ©lismes trans-culturels et des Ă©lĂ©ments d’unitĂ© dans les diffĂ©rentes religions, en particulier dans les mythes. Wendy Doniger, qui fut la collĂšgue d’Eliade de 1978 Ă  la mort de celui-ci, observa qu’« Eliade argua hardiment en faveur d’universaux, lĂ  oĂč il aurait pu arguer avec moins de risque en faveur de modĂšles rĂ©currents Ă  haute prĂ©valence »[102]. Son TraitĂ© d’histoire des religions fut louĂ© par Georges DumĂ©zil pour sa cohĂ©rence et sa capacitĂ© Ă  dĂ©gager la substance commune de mythologies diverses et distinctes[103].

Robert Ellwood a dĂ©crit comme suit la mĂ©thode mise en Ɠuvre par Eliade pour aborder la religion. Eliade aborde la religion en adoptant le point de vue d’une personne idĂ©alement « religieuse », qu’il dĂ©nomme, dans ses Ă©crits, homo religiosus. Ce que font fondamentalement les thĂ©ories d’Eliade, c’est de dĂ©crire comment ce homo religiosus envisagerait le monde[104]. Ceci n’implique pas que tous les pratiquants religieux pensent et agissent en homo religiosus, mais signifierait plutĂŽt que le comportement religieux « Ă©nonce Ă  travers son propre langage » que le monde est tel que le homo religiosus le verrait, peu importe que dans la vie rĂ©elle les participants au comportement religieux en soient conscients ou non[105]. Cependant, Ellwood remarque qu’Eliade « tend Ă  glisser au-delĂ  de cette derniĂšre qualification », en infĂ©rant que dans les faits les sociĂ©tĂ©s traditionnelles penseraient comme le homo religiosus[105].

Le sacré et le profane

MoĂŻse ĂŽtant ses souliers devant le buisson ardent (illustration tirĂ©e d’une Ă©dition de Speculum Humanae Salvationis datant du XVIe siĂšcle).

Eliade postule que, de façon gĂ©nĂ©rale, la pensĂ©e religieuse repose sur une distinction nette entre sacrĂ© et profane[106]. Qu’il adopte la forme d’un Dieu unique, d’une pluralitĂ© de Dieux, ou d’ancĂȘtres mythiques, le sacrĂ© renferme en lui toute la « rĂ©alitĂ© », ou toute valeur, les autres choses n’acquĂ©rant de « rĂ©alitĂ© » que pour autant qu’elles participent de ce sacrĂ©[107].

La maniĂšre eliadienne d’apprĂ©hender la religion est axĂ©e sur son concept d’hiĂ©rophanie (manifestation du sacrĂ©), concept qui inclut, mais sans s’y limiter, le concept plus ancien et plus restrictif de thĂ©ophanie (manifestation d’un dieu)[108]. Du point de vue de la pensĂ©e religieuse, les hiĂ©rophanies confĂšrent, selon Eliade, structure et orientation au monde, en Ă©tablissant un ordre sacrĂ©. L’espace « profane » de l’expĂ©rience non religieuse ne se prĂȘte qu’à une subdivision gĂ©omĂ©trique ; il ne fait aucune « diffĂ©renciation qualitative et, partant, aucune orientation [n’est] fournie en vertu de sa structure inhĂ©rente »[109]. Aussi l’espace profane n’offre-t-il Ă  l’homme aucun modĂšle de comportement. Au rebours de l’espace profane, le lieu d’une hiĂ©rophanie possĂšde une structure sacrĂ©e Ă  laquelle l’homme religieux s’efforce de se conformer. Une hiĂ©rophanie Ă©quivaut Ă  la « rĂ©vĂ©lation d’une rĂ©alitĂ© absolue, opposĂ©e Ă  la non rĂ©alitĂ© de la vaste Ă©tendue environnante »[110]. En guise d’exemple d’espace sacrĂ©, rĂ©clamant de l’homme une certaine rĂ©action, Eliade Ă©voque le rĂ©cit de MoĂŻse tombant en arrĂȘt devant la manifestation de Yahweh sous la forme d’un buisson ardent (Exode 3:5) et rĂ©agissant en ĂŽtant ses chaussures[111].

Mythes de l’origine et temps sacrĂ©

Eliade note que dans les sociĂ©tĂ©s traditionnelles, le mythe incarne la vĂ©ritĂ© absolue concernant le temps primordial[112]. Dans les mythes, celui-ci correspond au temps oĂč le sacrĂ© apparut pour la premiĂšre fois et Ă©tablit la structure du monde ; les mythes prĂ©tendent dĂ©crire les Ă©vĂ©nements primordiaux qui ont fait que la sociĂ©tĂ© et le monde naturel sont tels qu’ils sont. Eliade estime que tous les mythes sont sous ce rapport des mythes de l’origine : « le mythe est ainsi toujours le rĂ©cit d’une crĂ©ation »[113].

Nombre de sociĂ©tĂ©s traditionnelles croient que le pouvoir d’une chose rĂ©side dans son origine[114]. Si origine Ă©quivaut Ă  pouvoir, alors « c’est la premiĂšre manifestation d’une chose qui est significative et valable »[115] (la rĂ©alitĂ© et la valeur d’une chose ne sont fondĂ©es que dans leur premiĂšre apparition).

Selon la thĂ©orie d’Eliade, seul le sacrĂ©, seule la premiĂšre apparition d’une chose ont de la valeur, et par voie de consĂ©quence, seule la premiĂšre apparition du sacrĂ© a de la valeur. Le mythe dĂ©crit la premiĂšre apparition du sacrĂ© ; c’est pourquoi l’ñge mythique est le temps sacrĂ©[112], le seul temps valable : « l’homme primitif n’était intĂ©ressĂ© que par les commencements [...], peu lui importait ce qui lui Ă©tait arrivĂ© Ă  lui-mĂȘme, ou Ă  d’autres semblables Ă  lui, dans des temps plus ou moins Ă©loignĂ©s » [116]. Eliade postula que c’est lĂ  la raison de la « nostalgie des origines », qui apparaĂźt dans beaucoup de religions, et qui est le dĂ©sir de retourner au paradis primordial[116].

L’éternel retour et la « terreur de l’histoire »

Eliade affirme que l’homme traditionnel n’attache aucune valeur Ă  la marche linĂ©aire des Ă©vĂ©nements historiques ; pour lui, seuls les Ă©vĂ©nements de l’ñge mythique prĂ©sentent de la valeur. Pour donner de la valeur Ă  sa propre vie, l’homme traditionnel crĂ©e des mythes et accomplit des rites. Attendu que l’essence du sacrĂ© se situe seulement dans l’ñge mythique et dans la premiĂšre apparition du sacrĂ©, toute apparition plus tardive Ă©quivaudra en fait Ă  cette premiĂšre apparition ; en re-narrant et en rĂ©accomplissant les Ă©vĂ©nements mythiques, mythes et rites « rĂ©actualisent » ces Ă©vĂ©nements[117]. Eliade use volontiers du terme d’« archĂ©types » pour dĂ©signer les modĂšles mythiques Ă©tablis par le sacrĂ©, cependant l’usage que fait Eliade de ce terme doit ĂȘtre distinguĂ© de l’usage qu’en fait la psychologie de Jung[118].

Autrement dit, affirme Eliade, le comportement religieux non seulement remémore les événements sacrés, mais aussi en participe :

« En imitant les actes exemplaires d’un dieu ou d’un hĂ©ro mythique, ou simplement en relatant leurs aventures, l’homme d’une sociĂ©tĂ© archaĂŻque se dĂ©tache d’un temps profane et rĂ©intĂšgre par magie le grand temps, le temps sacrĂ©[112]. »

Eliade nomma ce phĂ©nomĂšne « Ă©ternel retour » — qu'il importe de distinguer du concept philosophique d’éternel retour. Wendy Doniger estime que la thĂ©orie d’Eliade de l’éternel retour « est devenue un truisme dans l’étude des religions »[119].

La notoire conception « cyclique » du temps prĂ©sente dans la pensĂ©e ancienne est attribuĂ©e par Eliade Ă  la croyance dans l’éternel retour. Par exemple, les cĂ©rĂ©monies du Nouvel An chez les MĂ©sopotamiens, les anciens Égyptiens, et chez d’autres peuples proche-orientaux remettent en Ɠuvre leurs mythes cosmogoniques. Ainsi, par la logique de l’éternel retour, chaque cĂ©rĂ©monie de nouvel an Ă©tait-il, aux yeux de ces peuples, le commencement du monde. D’aprĂšs Eliade, ces peuples ressentaient, Ă  des intervalles rĂ©guliers, le besoin de revenir aux commencements, transformant le temps en un mouvement circulaire[120].

Selon Eliade, la soif de persister dans l’ñge mythique a pour corollaire une « terreur de l’histoire » : l’homme traditionnel dĂ©sire se soustraire Ă  l'enchaĂźnement linĂ©aire des Ă©vĂ©nements (qu’il considĂšre, indique Eliade, comme dĂ©nuĂ© de toute valeur inhĂ©rente ou de sacralitĂ©). Eliade suggĂšre que l’abandon de la pensĂ©e mythique et la pleine acceptation du temps linĂ©aire, historique, avec sa « terreur », est l’une des raisons de l’anxiĂ©tĂ© de l’homme moderne[121]. Les sociĂ©tĂ©s traditionnelles, se refusant Ă  une entiĂšre reconnaissance du temps historique, rĂ©ussissent dans une certaine mesure Ă  Ă©chapper Ă  cette angoisse.

Coincidentia oppositorum

Eliade postule que de nombreux mythes, rites et expĂ©riences mystiques comportent une « union des contraires » ou « coincidentia oppositorum », et va jusqu’à affirmer qu’elle fait partie intĂ©grante du « schĂ©ma mythique »[122]. Beaucoup de mythes, Ă©crit Eliade, « se prĂ©sentent Ă  nous sous une double rĂ©vĂ©lation » :

« Ils expriment d’une part une opposition diamĂ©trale de deux figures divines issues d’un seul et mĂȘme principe, et destinĂ©es, dans beaucoup de versions, Ă  se rĂ©concilier dans quelque illud tempus eschatologique, et d’autre part, la coincidentia oppositorum dans la nature mĂȘme de la divinitĂ©, qui se prĂ©sente, tour Ă  tour, voire simultanĂ©ment, comme bienveillante et terrible, crĂ©atrice et destructrice, solaire et serpentine, etc. (en d’autres mots, en acte et en puissance)[123]. »

Eliade relĂšve que « Yahweh est Ă  la fois aimable et vengeur ; le dieu des mystiques et thĂ©ologiens chrĂ©tiens est terrible et aimable en mĂȘme temps » [124]. Il note que le mystique indien et chinois s’applique Ă  atteindre « un Ă©tat d’indiffĂ©rence et de neutralitĂ© parfaites » aboutissant Ă  une union des contraires oĂč « le plaisir et la douleur, le dĂ©sir et la rĂ©pulsion, le froid et le chaud [...] sont effacĂ©s de sa conscience » [124].

Selon Eliade, l’attrait de la coincidentia oppositorum s’explique par « la profonde insatisfaction de l’homme face Ă  sa situation rĂ©elle, ce que l’on appelle la condition humaine »[125]. Dans beaucoup de mythologies, la fin de l’ñge mythique s’accompagne d’une « chute », d’un « changement ontologique fondamental » dans la structure du monde[126]. Vu que la coincidentia oppositorum est un concept contradictoire, il reprĂ©sente une rĂ©cusation de la structure logique actuelle du monde, une inversion de la « chute ».

Aussi l’insatisfaction de l’homme traditionnel vis-Ă -vis de l’ñge post-mythique s’exprime-t-il comme le sentiment d’ĂȘtre « dĂ©chirĂ© et sĂ©parĂ© »[125]. Dans beaucoup de mythologies, l’ñge mythique perdu Ă©tait un paradis, « un Ă©tat paradoxal dans lequel les contraires existent cĂŽte Ă  cĂŽte sans conflit, et oĂč les multiplications forment autant d’aspects d’une unitĂ© mystĂ©rieuse »[126]. La coincidentia oppositorum, en ce qu'elle reprĂ©sente une rĂ©conciliation des contraires et l’unification de la diversitĂ©, est l’expression du dĂ©sir de recouvrer l’unitĂ© perdue du paradis mythique :

« Au plan de la pensĂ©e prĂ©-systĂ©matique, le mystĂšre de la totalitĂ© englobe les efforts de l’homme pour atteindre une perspective oĂč les contraires sont abolis, oĂč l’Esprit du Mal se rĂ©vĂšle comme un stimulant du Bien, et oĂč les DĂ©mons apparaissent comme la face nocturne des Dieux[126]. »

Exceptions à la nature générale des religions

Le Jugement dernier (détail) dans une mosaïque byzantine du XIIe siÚcle à Torcello.

Eliade reconnaĂźt que toutes les religions ne prĂ©sentent pas les attributs exposĂ©s dans sa thĂ©orie du temps sacrĂ© et de l’éternel retour. Les traditions zoroastrienne, juive, chrĂ©tienne et musulmane posent comme sacrĂ© ou susceptible de sanctification le temps linĂ©aire et historique, tandis que certaines traditions orientales rejettent dans une large mesure la notion de temps sacrĂ©, et cherchent Ă  se soustraire aux cycles du temps.

Cependant, le fait que le judaĂŻsme et le christianisme font appel Ă  des rites implique nĂ©cessairement, selon Eliade, qu’ils gardent un certain sens cyclique du temps :

« Par cela seul qu’il Ă©tait une religion, le christianisme dut garder au moins un aspect mythique — le temps liturgique, c’est-Ă -dire la redĂ©couverte pĂ©riodique de l’illud tempus des commencements [et] une imitation du Christ comme modĂšle exemplaire[127]. »

Toutefois, le judaĂŻsme et le christianisme ne voient pas le temps comme un cercle tournant sans fin sur lui-mĂȘme, ni ne considĂšrent un tel cycle comme dĂ©sirable, en tant que moyen d’avoir part au sacrĂ©. Ces religions au contraire incorporent le concept d’histoire linĂ©aire progressant vers une Ăšre messianique ou vers le Jugement dernier, introduisant ainsi l’idĂ©e de « progrĂšs » (les humains doivent Ɠuvrer pour le paradis futur)[128]. Cependant, la vision eliadienne de l’eschatologie judĂ©o-chrĂ©tienne peut aussi se comprendre comme Ă©tant cyclique en ceci que la « fin des temps » est un retour Ă  Dieu : « La catastrophe finale mettra fin Ă  l’Histoire, et donc restaurera l’homme dans son Ă©ternitĂ© et sa bĂ©atitude »[129].

Le zoroastrisme, religion prĂ©-islamique de l’Empire perse qui apporta une notable « contribution Ă  la formation religieuse de l’Occident »[130], adhĂšre Ă©galement Ă  un sens linĂ©aire du temps. D’aprĂšs Eliade, les HĂ©breux avaient un sens linĂ©aire du temps avant mĂȘme d’avoir Ă©tĂ© influencĂ©s par le zoroastrisme[130]. En fait, Eliade considĂšre la culture des HĂ©breux, et non celle des zoroastriens, comme la premiĂšre Ă  vĂ©ritablement « valoriser » le temps historique, et la premiĂšre Ă  voir tous les Ă©vĂ©nements historiques majeurs comme les Ă©pisodes successifs d’une rĂ©vĂ©lation divine continue[131]. Toutefois, raisonne Eliade, le judaĂŻsme Ă©labora sa mythologie du temps linĂ©aire en ajoutant des Ă©lĂ©ments empruntĂ©s au zoroastrisme — y compris le dualisme Ă©thique, la figure du sauveur, la rĂ©surrection future du corps, et l’idĂ©e du progrĂšs cosmique vers « le triomphe final du Bien »[130].

Les religions indiennes connaissent en gĂ©nĂ©ral une conception cyclique du temps, telle que p.ex. la doctrine hindoue du kalpa. Selon Eliade, la plupart des religions qui ont une vision cyclique du temps l’ont Ă©galement incorporĂ©e dans leur doctrine : ils le voient comme une maniĂšre de retourner au temps sacrĂ©. Pourtant, dans le bouddhisme, le jaĂŻnisme et d’autres formes d’hindouisme, le sacrĂ© gĂźt en dehors du flux du monde matĂ©riel (appelĂ© maya, ou « illusion »), et l’on ne peut y accĂ©der qu’en Ă©chappant aux cycles du temps[132]. Étant donnĂ© que le sacrĂ© est en dehors du temps cyclique, lequel conditionne l’homme, celui-ci ne pourra atteindre au sacrĂ© qu’en se dĂ©robant Ă  la condition humaine. Pour Eliade, les techniques du yoga visent Ă  ce que l’homme puisse s’échapper des limitations du corps, permettant Ă  l’ñme (Ăątman) de s’élever au-dessus du maya pour atteindre le sacrĂ© (nirvana, moksha). L’image de la « libĂ©ration », de la mort vis-Ă -vis de son propre corps, et de la re-naissance avec un corps nouveau, se rencontre frĂ©quemment dans les textes yogiques, et figure l’évasion hors de la servitude de la condition humaine temporelle[133]. Eliade traite en dĂ©tail de ces sujets dans Le Yoga. ImmortalitĂ© et libertĂ©.

Symbolisme du centre

L’Arbre cosmique Yggdrasill, reprĂ©sentĂ© sur une miniature islandaise du XVIIe siĂšcle.

Un thĂšme rĂ©current dans l’analyse eliadienne du mythe est l’axis mundi, le centre du monde. Selon Eliade, le centre cosmique est un corollaire nĂ©cessaire de la division de la rĂ©alitĂ© en un espace sacrĂ© et un espace profane. L’espace sacrĂ© contient toute la valeur, et le monde n’acquiert de but et de sens qu’au travers des hiĂ©rophanies :

« Dans l’expansion homogĂšne et infinie, dans laquelle aucun point de rĂ©fĂ©rence n’est possible et oĂč donc aucune orientation n’est Ă©tablie, la hiĂ©rophanie rĂ©vĂšle un point fixe absolu, un centre[110]. »

L’espace profane n’offrant donc Ă  l’homme aucune orientation dans sa vie, il est nĂ©cessaire que le sacrĂ© se manifeste par une hiĂ©rophanie, lors de laquelle sera instaurĂ© un site sacrĂ© permettant Ă  l’homme de s’orienter. Le site d’une telle hiĂ©rophanie Ă©quivaut Ă  un « point fixe, un centre »[110]. Ce centre abolit l’« homogĂ©nĂ©itĂ© et la relativitĂ© de l’espace profane »[109], car il devient « l’axe central de toute orientation future »[110].

La manifestation du sacrĂ© dans l’espace profane constitue, par dĂ©finition, un exemple d'une chose faisant irruption dans un plan d’existence Ă  partir d’un autre plan d’existence. C’est pourquoi la hiĂ©rophanie initiale qui Ă©tablit le centre doit ĂȘtre un lieu oĂč existe un point de contact entre des plans diffĂ©rents, ce qui, raisonne Eliade, explique l’apparition frĂ©quente de cette image mythique oĂč sont convoquĂ©s l’Arbre cosmique ou le Pilier reliant ciel, terre et sĂ©jour des morts[134].

Eliade relĂšve que lorsque des sociĂ©tĂ©s traditionnelles fondent un nouveau territoire, elles accomplissent souvent des rituels de consĂ©cration qui reproduisent la hiĂ©rophanie qui avait auparavant Ă©tabli le centre et fondĂ© le monde[135]. En outre, la conception des Ă©difices traditionnels, en particulier des temples, reproduit d'ordinaire l’image mythique de l’axis mundi, reliant entre eux les niveaux cosmiques diffĂ©rents. Par exemple, les ziggourats babyloniennes furent construits de sorte Ă  ressembler Ă  des montagnes cosmiques traversant les sphĂšres cĂ©lestes, et le rocher du temple de JĂ©rusalem Ă©tait supposĂ© pĂ©nĂ©trer profondĂ©ment dans le tehom, c’est-Ă -dire dans les eaux primordiales[136].

En accord avec la logique de l’éternel retour, l’emplacement d’un tel centre symbolique sera de fait le centre du monde :

« L’on pourrait dire, de façon gĂ©nĂ©rale, que la majoritĂ© des arbres sacrĂ©s et rituels que nous rencontrons dans l’histoire des religions ne sont que des rĂ©pliques, copies imparfaites de cet archĂ©type exemplaire, l’arbre cosmique. Donc, tous ces arbres sacrĂ©s sont pensĂ©s comme Ă©tant au centre du monde, et tous les arbres et poteaux rituels [...] sont, en quelque sorte, magiquement projetĂ©s dans le centre du monde[137]. »

Dans l’interprĂ©tation eliadienne, l’homme religieux ressent apparemment le besoin de vivre non seulement prĂšs de, mais aussi, autant que possible, dans le centre mythique, Ă©tant donnĂ© que le centre est le point de communication avec le sacrĂ©[138].

Il s’ensuit, selon Eliade, que les gĂ©ographies mythiques de nombre de sociĂ©tĂ©s traditionnelles partagent des configurations communes. Au milieu du monde connu se trouve le centre sacrĂ©, « un lieu sacrĂ© par-dessus tout »[139] ; ce centre sert de point d’ancrage de l’ordre Ă©tabli[109]. Autour du centre sacrĂ© s’étend le monde connu, le rĂšgne de l’ordre Ă©tabli ; et, au-delĂ  du monde connu, s’étend le rĂšgne chaotique et dangereux, « peuplĂ© de fantĂŽmes, de dĂ©mons, [et] d’'Ă©trangers' (que l’on [identifie aux] dĂ©mons et aux Ăąmes des morts) »[140]. D’aprĂšs Eliade, les sociĂ©tĂ©s traditionnelles situent leur monde connu au centre, parce que (dans leur perspective) leur monde connu est un rĂšgne obĂ©issant Ă  un ordre reconnaissable, et en consĂ©quence doit ĂȘtre le rĂšgne dans lequel le sacrĂ© se manifeste ; les rĂ©gions au-delĂ  du monde connu, qui apparaissent Ă©tranges et Ă©trangĂšres, doivent se trouver loin du centre, en dehors de l’ordre fixĂ© par le sacrĂ©[141].

Le Dieu TrĂšs-Haut

Selon certaines thĂ©ories Ă©volutionnistes de la religion, en particulier celle d’Edward Burnett Tylor, les cultures progressent naturellement de l’animisme et du polythĂ©isme vers le monothĂ©isme[142]. Dans cette vision, les cultures plus avancĂ©es sont donc supposĂ©es ĂȘtre plus monothĂ©istes, et inversement, les cultures plus primitives plus polythĂ©istes. Pourtant, bon nombre parmi les sociĂ©tĂ©s prĂ©-agricoles les plus primitives croient en un Dieu du ciel[143]. Par consĂ©quent, selon Eliade, les auteurs postĂ©rieurs au XIXe siĂšcle rejetĂšrent la thĂ©orie de Tylor postulant une Ă©volution Ă  partir de l’animisme[144]. La dĂ©couverte de Dieux du ciel suprĂȘmes chez les primitifs porta Eliade Ă  soupçonner que les tout premiers hommes vĂ©nĂ©raient un ĂȘtre cĂ©leste suprĂȘme[145]. Dans Patterns in Comparative Religion, Eliade Ă©crit que « la priĂšre la plus rĂ©pandue dans le monde est adressĂ©e Ă  'Notre PĂšre qui ĂȘtes aux cieux.' Il est possible que les priĂšres les plus anciennes de l’homme fussent adressĂ©es au mĂȘme pĂšre cĂ©leste »[146].

Toutefois, Eliade est en dĂ©saccord avec Wilhelm Schmidt, qui pensait que la forme la plus ancienne de religion Ă©tait un strict monothĂ©isme. Eliade rĂ©cuse cette thĂ©orie du monothĂ©isme primordial (Urmonotheismus) comme Ă©tant « rigide » et « inopĂ©rante »[147]. « Tout au plus », Ă©crit-il, « ce schĂ©ma [de la thĂ©orie de Schmidt] rend-il compte de l’évolution [religieuse] de l’homme depuis l’ùre palĂ©olithique »[148]. Si un Urmonotheismus exista effectivement, ajoute Eliade, il dut probablement diffĂ©rer Ă  maints Ă©gards des conceptions de Dieu prĂ©valant dans beaucoup de croyances monothĂ©istes modernes : par exemple, le Dieu TrĂšs-Haut primordial a pu se manifester comme un animal sans perdre son statut d’Être suprĂȘme cĂ©leste[149].

Eliade estimait que les Êtres suprĂȘmes cĂ©lestes Ă©taient en rĂ©alitĂ© moins courants dans les cultures avancĂ©es[150], et spĂ©cula que la dĂ©couverte de l’agriculture ait pu mettre Ă  l’avant-plan une sĂ©rie de dieux et dĂ©esses de la fertilitĂ©, amenant l’Être suprĂȘme cĂ©leste Ă  s’estomper et Ă  finir par s’évanouir tout Ă  fait dans beaucoup de religions anciennes[151]. MĂȘme dans les sociĂ©tĂ©s primitives de chasseurs-cueilleurs, le Dieu TrĂšs-Haut est une figure vague et distante, sĂ©journant haut au-dessus du monde[152]. Souvent, aucun culte ne lui est vouĂ©, et des priĂšres ne lui sont adressĂ©es qu’en dernier ressort, aprĂšs que tout le reste a Ă©chouĂ©[153]. Eliade appela ce Dieu TrĂšs-Haut distant un deus otiosus (« Dieu oisif »)[154].

Dans les systĂšmes de croyance comportant un deus otiosus, le Dieu TrĂšs-Haut distant est supposĂ© avoir Ă©tĂ© plus proche des hommes pendant l’ñge mythique. AprĂšs achĂšvement de son Ɠuvre de crĂ©ation, le Dieu TrĂšs-Haut « dĂ©laissa la terre et se retira dans les cieux les plus Ă©levĂ©s »[155]. C’est lĂ  un exemple de la distance du sacrĂ© vis-Ă -vis de la vie profane postĂ©rieure Ă  l’ñge mythique : en se soustrayant, par le comportement religieux, Ă  la condition profane, des figures telles que les chamans retournent aux conditions de l’ñge mythique, lesquelles incluent la proximitĂ© avec le Dieu TrĂšs-Haut (« par son vol ou son ascension, le chamane [
] rencontre le Dieu du ciel en face Ă  face et lui parle directement, ainsi que l’homme le faisait parfois in illo tempore »)[156]. Les comportements chamaniques en rapport avec le Dieu TrĂšs-Haut constituent un exemple particuliĂšrement marquant de l’éternel retour.

Aperçu général

Un chaman accomplissant un cérémonial à Touva.

L’Ɠuvre thĂ©orique d’Eliade comprend une Ă©tude du chamanisme, le Chamanisme et les techniques archaĂŻques de l’extase, recensement des pratiques chamanistiques dans diffĂ©rentes zones gĂ©ographiques. Son ouvrage Mythes, rĂȘves et mystĂšres traite Ă©galement du chamanisme avec quelque dĂ©tail.

Dans Chamanisme, Eliade plaide pour un usage restrictif du terme de chaman, qui ne doit pas ĂȘtre appliquĂ© Ă  n’importe quel magicien ou guĂ©risseur traditionnel, ce qui risquerait de rendre le terme redondant ; en mĂȘme temps cependant, il prĂ©conise de ne pas restreindre le terme aux seuls praticiens du sacrĂ© de SibĂ©rie et d’Asie centrale (c’est du reste Ă  partir d’un des titres de cette fonction, Ă  savoir ĆĄamĂĄn, considĂ©rĂ© par Eliade comme Ă©tant d’origine toungouse, que le terme fut introduit dans les langues occidentales)[157]. Eliade dĂ©finit le chaman comme suit :

« On le croit capable de guĂ©rir, comme tous les mĂ©decins, et d’opĂ©rer des miracles du type du fakir, comme tous les magiciens [
]. Mais au-delĂ , il est un psychopompe, et il se peut qu’il soit aussi un prĂȘtre, un mystique et un poĂšte[158]. »

Si nous dĂ©finissons le chamanisme de cette maniĂšre, affirme Eliade, nous nous apercevons alors que le vocable couvre un Ă©ventail de phĂ©nomĂšnes qui partagent une « structure » et une « histoire » communes et uniques[158]. Ainsi dĂ©fini, le chamanisme tend Ă  se manifester dans ses formes les plus pures dans les sociĂ©tĂ©s de chasseurs et dans les sociĂ©tĂ©s pastorales telles que celles de SibĂ©rie et d’Asie centrale, qui rĂ©vĂšrent un Dieu TrĂšs-Haut « sur la voie de devenir un deus otiosus »[159]. Eliade considĂ©rait le chamanisme de ces rĂ©gions comme son exemple le plus reprĂ©sentatif.

Dans son Ă©tude du chamanisme, Eliade mettait l’accent sur l’attribut du chaman qui lui permet de reconquĂ©rir la condition de l’homme d’avant la « chute » hors du temps sacrĂ© : « L’expĂ©rience mystique la plus reprĂ©sentative des sociĂ©tĂ©s archaĂŻques, celle du chamanisme, trahit la nostalgie du paradis, le dĂ©sir de recouvrer l’état de libertĂ© et de bĂ©atitude d’avant la chute »[156]. Cette aspiration, qui selon Eliade est en tant que telle commune Ă  presque tous les comportements religieux, se manifeste dans le chamanisme de plusieurs maniĂšres spĂ©cifiques.

Mort, résurrection et fonctions secondaires

Selon Eliade, l’un des thĂšmes chamanistiques les plus ordinaires est constituĂ© par la mort et la rĂ©surrection supposĂ©es du chamane. Ces phĂ©nomĂšnes se produisent en particulier lors de son initiation[160]. Souvent, la procĂ©dure est censĂ©e ĂȘtre accomplie par des esprits qui dĂ©membrent le chamane et lui arrachent la chair de dessus les os, pour ultĂ©rieurement recomposer les morceaux et le ramener Ă  la vie. À plus d’un Ă©gard, cette mort et rĂ©surrection illustrent l’élĂ©vation du chamane au-dessus de la nature humaine.

Si le chaman meurt de sorte Ă  pouvoir s’élever au-dessus de la nature humaine, c’est d’abord Ă  un niveau tout Ă  fait littĂ©ral. AprĂšs qu’il a Ă©tĂ© dĂ©membrĂ© par les esprits initiatiques, ceux-ci remplacent ses anciens organes par d’autres, neufs et magiques (le chaman meurt Ă  son moi profane afin de pouvoir ressusciter en un ĂȘtre nouveau, sanctifiĂ©)[161]. DeuxiĂšmement, en Ă©tant rĂ©duit Ă  ses seuls os, le chaman vit une renaissance Ă  un niveau plus symbolique : dans beaucoup de sociĂ©tĂ©s de chasseurs et de sociĂ©tĂ©s pastorales, l’os reprĂ©sente la source de la vie, de sorte que se voir rĂ©duit Ă  un squelette « Ă©quivaut Ă  rĂ©intĂ©grer l’utĂ©rus de la vie primordiale, c’est-Ă -dire Ă  un renouveau complet, une renaissance mystique »[162]. Eliade considĂ©rait ce retour Ă  la source de la vie comme essentiellement Ă©quivalant Ă  l’éternel retour[163]. TroisiĂšmement, le phĂ©nomĂšne chamanistique de la mort et de la rĂ©surrection rĂ©itĂ©rĂ©es reprĂ©sente une transfiguration Ă  d’autres Ă©gards Ă©galement. Le chaman ne meurt pas qu’une seule fois, mais plusieurs fois : Ă©tant mort lors de l’initiation, puis ressuscitĂ© dotĂ© de pouvoirs nouveaux, le chaman peut envoyer son esprit hors de son corps en missions ; ainsi, sa carriĂšre entiĂšre consistera en une succession de morts et rĂ©surrections rĂ©pĂ©tĂ©es. La nouvelle capacitĂ© du chaman de mourir et de revenir Ă  la vie montre qu’il n’est plus liĂ© par les lois du temps profane, en particulier par la loi de la mort : « la capacitĂ© de “mourir” et de revenir Ă  la vie [...] dĂ©note que [le chaman] a dĂ©passĂ© la condition humaine »[164].

S’étant hissĂ© au-dessus de la condition humaine, le chaman est dĂ©liĂ© du courant de l’histoire et jouit ainsi des conditions de l’ñge mythique. Dans beaucoup de mythes, les hommes peuvent parler aux animaux ; de mĂȘme, Ă  l’issue de leur initiation, beaucoup de chamans affirment ĂȘtre en mesure de communiquer avec les animaux. D’aprĂšs Eliade, c’est lĂ  une des manifestations du retour du chaman « Ă  l’illud tempus que nous dĂ©crivent les mythes paradisiaques »[165].

Le chaman peut descendre dans l’outre-monde ou monter au ciel, souvent en escaladant l’arbre du Monde, le pilier cosmique, l’échelle sacrĂ©e, ou quelque autre forme d’axis mundi[166]. Souvent, le chaman monte au ciel pour parler au Dieu TrĂšs-Haut. Attendu que les dieux (en particulier le Dieu TrĂšs-Haut, selon le concept de deus otiosus dĂ©veloppĂ© par Eliade) Ă©taient plus proches des hommes dans l’ñge mythique, il s’ensuit que le pouvoir du chaman de communiquer aisĂ©ment avec le Dieu TrĂšs-Haut reprĂ©sente une abolition de l’histoire et un retour Ă  l’ñge mythique[156]. En raison de son pouvoir de communiquer avec les dieux et de descendre au pays des morts, le chaman remplit souvent l’office de psychopompe et de guĂ©risseur[158].

Discours sur la méthode

En ce qui concerne la mĂ©thode, si beaucoup de critiques ont vu Eliade comme historien de la religion, Michel Meslin a soulignĂ© que Mircea Eliade est un morphologue de la religion[167]. Douglas Allen a analysĂ© son Ɠuvre du point de vue de la phĂ©nomĂ©nologie de la religion[168]. Bryan S. Rennie a apportĂ© beaucoup d’arguments pour dĂ©montrer qu’Eliade est d’abord un philosophe de la religion[169]. Mircea Itu a dĂ©crit les idĂ©es religieuses et la conception philosophique d’Eliade[170]. Eliade a Ă©tĂ© placĂ© entre la philosophie et la thĂ©ologie par Carl Olson[171], pendant qu'Adrian Marino a remarquĂ© l’adhĂ©sion d’Eliade Ă  l’hermĂ©neutique[172]. Natale Spineto, qui a Ă©crit sur l’interprĂ©tation de l’Ɠuvre d’Eliade[173], relĂšve qu’Eliade a souvent utilisĂ© la mĂ©thode comparative en adoptant le style de James George Frazer, la rigueur historique de Raffaele Pettazzoni et l’élargissement de la sphĂšre de comparaison de Vittorio Macchioro[174].

La phĂ©nomĂ©nologie de la religion et l’hermĂ©neutique

Selon Paul RicƓur, la fonction centrale de l'hermĂ©neutique est de rĂ©cupĂ©rer et de restaurer le sens. Il choisit le modĂšle de la phĂ©nomĂ©nologie de la religion, en soulignant qu'elle est caractĂ©risĂ©e par la prĂ©occupation sur l’objet. Selon Rudolf Otto, le sacrĂ© est le mysterium tremendum et fascinans[175]. Gerardus van der Leeuw l’envisage comme une autocratie[176]. Cette autocratie devient une thĂ©orie de kratophanie chez le phĂ©nomĂ©nologue nĂ©erlandais de la religion et de hiĂ©rophanie chez le phĂ©nomĂ©nologue roumain de la religion, Mircea Eliade[177]. L’objet de la religion, le sacrĂ©, est vue en relation avec le profane[178]. Leur relation n’est pas exprimĂ©e par l'opposition, mais par la complĂ©mentaritĂ©[179], qui devient l'unitĂ© dans l'hermĂ©neutique de l’hiĂ©rophanie chez Eliade[180].

Mircea Eliade a envisagĂ© une hermĂ©neutique totale. Sa conception sur l’hermĂ©neutique a Ă©tĂ© analysĂ©e en dĂ©tail par Adrian Marino[181]. Eliade suit le modĂšle proposĂ© par Paul RicƓur, en Ă©crivant sur les trois grands rĂ©ductionnistes : Karl Marx, qui est rĂ©ductionniste, parce qu’il a rĂ©duit la sociĂ©tĂ© Ă  l'Ă©conomie, en particulier aux rapports de production; Friedrich Nietzsche, qui est rĂ©ductionniste, parce qu’il a rĂ©duit l’homme Ă  un concept arbitraire du surhomme et Sigmund Freud, qui est rĂ©ductionniste, parce qu’il a rĂ©duit la nature humaine Ă  un instinct sexuel. Paul RicƓur les a appelĂ©s les trois grands destructeurs, les maĂźtres de la suspicion[182].

Philosophie eliadienne

RĂ©flexions philosophiques de jeunesse

Outre ses essais politiques, le jeune Mircea Eliade en Ă©crivit d’autres, de portĂ©e philosophique. Ces essais, qui se rattachaient Ă  l’idĂ©ologie du Trăirism, adoptaient souvent un ton prophĂ©tique, et valurent Ă  Eliade d’ĂȘtre saluĂ© comme un hĂ©raut par plusieurs chefs de file de sa gĂ©nĂ©ration[8]. Quand Eliade, ĂągĂ© de 21 ans, publia son Itinerar spiritual, le critique littĂ©raire Șerban Cioculescu le qualifia de « pilier dirigeant de la jeunesse spirituellement mystique et orthodoxe »[8]. Cioculescu faisait Ă©tat de son « impressionnante Ă©rudition », mais en relevant que celle-ci Ă©tait « plĂ©thorique Ă  l’occasion, se grisant poĂ©tiquement Ă  ses propres abus »[8]. Un collĂšgue de Cioculescu, Perpessicius, percevait le jeune auteur et sa gĂ©nĂ©ration comme marquĂ©s par « le spectre de la guerre », ce qu’il mit en rapport avec diffĂ©rents essais Ă©crits par Eliade dans les dĂ©cennies 1920 et 1930, essais dans lesquels l’auteur brandissait la menace d’une imminente nouvelle dĂ©flagration, et rĂ©clamait dans le mĂȘme temps qu’il fĂ»t permis Ă  la jeunesse d’accomplir sa volontĂ© et de jouir d’une pleine libertĂ© avant de pĂ©rir[8].

L’une des contributions remarquĂ©es dans cette catĂ©gorie d’écrits est un essai d’Eliade rĂ©digĂ© en 1932 et intitulĂ© Soliloquii (« Soliloques »), dans lequel l’auteur explore la philosophie existentielle. George Călinescu, qui y dĂ©cela « un echo des cours de Nae Ionescu »[183], dressa un parallĂšle avec les essais d’un autre disciple d’Ionescu, Emil Cioran, en observant que ceux de Cioran Ă©tait « d’un ton plus exaltĂ© et rĂ©digĂ©s dans la forme aphoristique de Kierkegaard »[184]. Călinescu rappela le rejet par Eliade de l’objectivitĂ© ainsi que son indiffĂ©rence affirmĂ©e envers tout reproche de « naĂŻvetĂ© » ou de « contradictions » que le lecteur serait susceptible de lui adresser, de mĂȘme que ses pensĂ©es dĂ©daigneuses concernant les « donnĂ©es thĂ©oriques » et la philosophie dominante en gĂ©nĂ©ral (Eliade considĂ©rant en effet cette derniĂšre comme « inerte, stĂ©rile et pathogĂšne »)[183]. Eliade conclut son essai en notant : « un cerveau sincĂšre est inexpugnable, car il s’interdit toute relation avec des vĂ©ritĂ©s extĂ©rieures »[185].

Le jeune auteur prit soin toutefois de prĂ©ciser que l’existence qu’il envisageait n’était pas la vie « des instincts et des idiosyncrasies personnelles », qui selon lui dĂ©terminaient la vie d’une bonne part de l’humanitĂ©, mais celle d’un ensemble distinct de « personnalitĂ©s »[185]. Il dĂ©crivit ces « personnalitĂ©s » comme Ă©tant caractĂ©risĂ©es Ă  la fois par le « but » et par « une alchimie beaucoup plus compliquĂ©e et dangereuse »[185]. Cette distinction est, selon George Călinescu, l’echo de la mĂ©taphore de l’homme telle que formulĂ©e par Ionescu, oĂč l’homme Ă©tait vu comme « le seul animal pouvant Ă©chouer Ă  vivre », et de celle du canard, qui « restera canard quoi qu’il fasse »[186]. Pour Eliade, ce Ă  quoi visent les personnalitĂ©s est l’infinitĂ© : « amener, consciemment et glorieusement, l’[existence] Ă  se gaspiller dans autant de ciels qu’il est possible, en s’accomplissant et se polissant sans cesse, et en recherchant l’ascension et non la circonfĂ©rence »[185].

Dans la vision d’Eliade, deux voies s’ouvrent Ă  l’homme dans ce parcours. L’une est la gloire, que procure soit le travail, soit la procrĂ©ation, et l’autre l’ascĂ©tisme de la religion ou de la magie — ces deux derniĂšres visant, selon Călinescu, Ă  atteindre l’absolu, y compris lĂ  oĂč Eliade dĂ©crit la derniĂšre citĂ©e comme une « expĂ©rience abyssale » dans laquelle l’homme risque de s’abĂźmer[183]. AprĂšs avoir signalĂ© que l’adjonction d’« une solution magique » aux options envisageables semble ĂȘtre une contribution originale d’Eliade lui-mĂȘme Ă  la philosophie de son mentor Ionescu, Călinescu dit supposer qu’Eliade en Ă©tait tributaire Ă  Julius Evola et Ă  ses disciples[183]. Il rappela aussi qu’Eliade appliqua ce concept Ă  la crĂ©ation humaine, spĂ©cifiquement Ă  la crĂ©ation artistique, et cita l’auteur dĂ©crivant cette derniĂšre comme « une joie magique, la rupture victorieuse du cercle de fer » (reflet de l’Imitatio Dei, ayant pour but le salut de l’ñme)[183].

Anti-réductionnisme et « transconscience »

Eliade Ă©tait, de profession, historien des religions. Cependant, ses ouvrages thĂ©oriques puisent abondamment dans les terminologies philosophique et psychologique. Ils renferment en outre, relativement Ă  la religion, un certain nombre d’arguments de nature philosophique. En particulier, Eliade sous-entend souvent l’existence, derriĂšre tous les phĂ©nomĂšnes religieux, d’une « essence » psychologique ou spirituelle universelle[187]. En raison de ce type d’arguments, d’aucuns ont accusĂ© Eliade de gĂ©nĂ©ralisation abusive et d’« essentialisme », voire de poursuivre un dessein thĂ©ologique sous les dehors de recherches historiques. D’autres au contraire tiennent qu’Eliade doit se comprendre comme un thĂ©oricien disposĂ© Ă  discuter ouvertement de l’expĂ©rience sacrĂ©e et de ses consĂ©quences[188].

Dans ses Ă©tudes sur la religion, Eliade rejette certaines approches rĂ©ductionnistes[189], estimant qu’un phĂ©nomĂšne religieux ne saurait ĂȘtre rĂ©duit Ă  un pur produit de la culture et de l’histoire. S’il est vrai, concĂšde-t-il, que la religion engage « l’homme social, l’homme Ă©conomique, etc. », pour autant « tous ces facteurs conditionnants pris ensemble ne suffisent pas Ă  rendre compte de la vie de l’esprit »[190].

Cette position anti-rĂ©ductionniste permet Ă  Eliade de rĂ©futer l’accusation qui lui Ă©tait adressĂ©e de vouloir trop gĂ©nĂ©raliser et de privilĂ©gier des universaux aux dĂ©pens du particulier. Eliade ne nie pas que tout phĂ©nomĂšne religieux est certes façonnĂ© par la culture et l’histoire particuliĂšres dont il est le produit :

« AprĂšs que le Fils de Dieu se fut incarnĂ© pour devenir le Christ, il lui fallut parler l’aramĂ©en ; il ne pouvait se conduire que comme un HĂ©breu de son temps [...]. Son message religieux, quelque universel qu’il fĂ»t, Ă©tait conditionnĂ© par l’histoire passĂ©e et prĂ©sente du peuple hĂ©breu. Si le Fils de Dieu Ă©tait nĂ© en Inde, son langage parlĂ© aurait dĂ» se conformer Ă  la structure des langues indiennes[190]. »

Eliade s’oppose Ă  ceux qu’il appelle les philosophes « historicistes » ou « existentialistes », qui se refusent Ă  reconnaĂźtre « l’homme en gĂ©nĂ©ral » derriĂšre les hommes particuliers produits par des situations particuliĂšres[190] (Eliade dĂ©signant d’ailleurs Emmanuel Kant comme le prĂ©curseur probable de ce type d’« historicisme »)[190]. Ajoutant que la conscience humaine transcende (n’est pas rĂ©ductible Ă ) son conditionnement historique et culturel[191], il va jusqu’à suggĂ©rer la possibilitĂ© d’une « transconscience »[192]. Par lĂ , Eliade ne se rĂ©fĂšre pas nĂ©cessairement Ă  un quelconque Ă©lĂ©ment surnaturel ou mystique : sous le dĂ©nominateur de « transconscient », il range un ensemble de motifs, symboles, images et nostalgies religieux qui sont supposĂ©ment universels et dont l’origine ne saurait dĂšs lors se ramener Ă  tel ou tel conditionnement historique et culturel particulier[193].

Platonisme et « ontologie primitive »

Selon Eliade, les choses, dans la vision de l’homme traditionnel, « n’acquiĂšrent leur rĂ©alitĂ©, leur identitĂ©, qu’à proportion de ce qu’ils participent d’une rĂ©alitĂ© transcendante »[107]. Aux yeux de l’homme traditionnel, le monde profane est « dĂ©pourvu de signification », et ce n'est qu’à condition de se rapporter Ă  un idĂ©al, de se conformer Ă  un modĂšle mythique, qu'une chose peut Ă©merger du monde profane[194].

Eliade considĂšre cette vision de la rĂ©alitĂ© comme un Ă©lĂ©ment fondamental de l’« ontologie primitive » (l’ontologie Ă©tant l’étude de l’existence ou de la rĂ©alitĂ©)[194]. Il y voit une similaritĂ© avec la philosophie de Platon, qui croyait que les phĂ©nomĂšnes physiques n’étaient que les pĂąles reflets passagers de modĂšles Ă©ternels ou de « formes » (Ă  ce sujet, voir ThĂ©orie des formes) ; il Ă©crivit :

« Platon pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le philosophe par excellence de la 'mentalitĂ© primitive', c’est-Ă -dire comme le penseur ayant rĂ©ussi Ă  donner crĂ©dit et validitĂ© philosophiques aux modes de vie et au comportement de l’humanitĂ© archaĂŻque[194]. »

Eliade postule que la thĂ©orie des formes platonicienne reprĂ©sente la persistance, au sein de la philosophie grecque, de l’« ontologie primitive », ajoutant que le platonisme est la version « la plus Ă©laborĂ©e » de ladite ontologie primitive[195].

Dans son ouvrage The Structure of Religious Knowing: Encountering the Sacred in Eliade and Lonergan, John Daniel Dadosky observe que par cet Ă©noncĂ©, Eliade se reconnaissait « redevable envers la philosophie grecque en gĂ©nĂ©ral, et Ă  la thĂ©orie platonicienne des formes en particulier, de sa propre thĂ©orie des archĂ©types et de la rĂ©pĂ©tition »[196]. Toutefois, Dadosky remarque en mĂȘme temps que « la prĂ©caution est de mise lorsque l’on essaie d’évaluer la dette d’Eliade envers Platon »[197]. Dadosky cite Robert Segal, professeur de religion, pour qui il faut se garder de confondre la thĂ©orie platonicienne et l’« ontologie primitive » eliadienne : pour Eliade, les modĂšles idĂ©els sont des schĂ©mas qu’une personne ou un objet peut imiter ou non ; pour Platon au contraire, il y a une forme pour toute chose, et une chose reflĂšte une forme par le seul fait qu’elle existe[198].

Existentialisme et laïcité

Eliade propose de discerner, derriĂšre les formes culturelles diverses prises par les diffĂ©rentes religions, cet universal : l’homme traditionnel, affirme-t-il, « croit toujours qu’il existe une rĂ©alitĂ© absolue, le sacrĂ©, lequel transcende ce monde, mais se manifeste dans ce mĂȘme monde, en le sanctifiant et en le rendant rĂ©el »[199]. En outre, c’est par le sacrĂ© que le comportement de l’homme traditionnel acquiert but et sens : « En imitant le comportement divin, l’homme se place et se maintient prĂšs des dieux — c’est-Ă -dire dans le rĂ©el et dans le significatif »[199].

D’aprĂšs Eliade, « l’homme moderne non-religieux se trouve dans une situation existentielle nouvelle »[199]. Pour l’homme traditionnel, les Ă©vĂ©nements historiques acquiĂšrent du sens par ceci qu’ils imitent le sacrĂ© et les Ă©vĂ©nements transcendants ; l’homme non-religieux au contraire s’est privĂ© de modĂšles sacrĂ©s qui lui indiquent ce que doivent ĂȘtre l’histoire et le comportement humain, et devra en consĂ©quence dĂ©cider par lui-mĂȘme comment l’histoire doit se dĂ©rouler — en effet, il « se considĂšre comme seul sujet et acteur de l’histoire, et refuse tout appel Ă  la transcendance »[200]. Dans la pensĂ©e religieuse, le monde a un dessein objectif Ă©tabli par des Ă©vĂ©nements mythiques, auxquels l’homme doit se conformer : « le mythe enseigne [Ă  l’homme religieux] les ‘rĂ©cits’ primordiaux qui l’ont constituĂ© existentiellement »[201]. Du point de vue de la pensĂ©e laĂŻque en revanche, tout dessein doit ĂȘtre inventĂ© et imposĂ© au monde par l’homme. Par suite de cette « situation existentielle » nouvelle, le sacrĂ© devient, explique Eliade, le principal obstacle Ă  la « libertĂ© » de l’homme non-religieux. En se voyant comme le vĂ©ritable artisan de l’histoire, l’homme non-religieux s’oppose Ă  toute notion d’un ordre ou d’un modĂšle externe imposĂ© (p.ex. par une divinitĂ©) auquel il serait tenu d’obĂ©ir : l’homme moderne « se façonne lui-mĂȘme, et il ne se façonne complĂštement qu’à proportion de ce qu’il se dĂ©sacralise lui-mĂȘme et le monde. [...] Il ne sera vĂ©ritablement libre qu’aprĂšs qu’il aura tuĂ© le dernier dieu »[200].

Vestiges de la religion dans le monde laĂŻc

Selon Eliade, il sera impossible Ă  l’homme laĂŻc de s’affranchir entiĂšrement de la pensĂ©e religieuse. De par sa nature mĂȘme, le laĂŻcisme est tributaire de la religion pour l’affirmation de son identitĂ© : en s’opposant aux modĂšles sacrĂ©s, en insistant que l’homme doit façonner lui-mĂȘme l’histoire, l’homme laĂŻc n’arrive Ă  fixer son identitĂ© que par sa contestation de la pensĂ©e religieuse : « Il [l’homme laĂŻc] ne se reconnaĂźt que dans la mesure oĂč il ‘se libĂšre’ et ‘se purifie’ des ‘superstitions’ de ses ancĂȘtres »[202]. Cependant, l’homme moderne « maintient un ample fonds de mythes camouflĂ©s et de rites dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s »[203]. P.ex., les Ă©vĂ©nements sociaux modernes gardent certaines similaritĂ©s avec les rites initiatiques traditionnels, et les romans modernes mettent en scĂšne des motifs et thĂšmes mythiques[204]. En dĂ©finitive, l’homme laĂŻc reste partie prenante de quelque chose comme l’éternel retour : par la lecture de littĂ©rature moderne, « l’homme moderne rĂ©ussit Ă  obtenir une â€˜Ă©vasion hors du temps’ comparable Ă  lâ€™â€˜Ă©mergence hors du temps’ accomplie par les mythes »[205].

Eliade dĂ©cĂšle des traces de pensĂ©e religieuse jusque dans les acadĂ©mies laĂŻques et proclame que mĂȘme les scientifiques modernes sont motivĂ©s par le dĂ©sir religieux de retourner au temps sacrĂ© des origines :

« L’on pourrait dire que la quĂȘte ardente des origines de la Vie et de l’Esprit ; que la fascination par les ‘mystĂšres de la Nature’ ; le pressant besoin de pĂ©nĂ©trer et de dĂ©chiffrer la structure interne de la MatiĂšre — toutes ces aspirations et appĂ©tences dĂ©notent une sorte de nostalgie du primordial, de la matrice universelle originelle. La MatiĂšre, la Substance reprĂ©sentent l’origine absolue, le commencement de toutes choses[206]. »

Eliade pense que la montĂ©e du matĂ©rialisme au XIXe siĂšcle contraignit la nostalgie religieuse des « origines » Ă  s’exprimer dĂ©sormais au travers de la science. Il dĂ©signe son propre domaine de spĂ©cialitĂ©, l’histoire des religions, comme l’un de ceux qui durant le XIXe siĂšcle Ă©taient obsĂ©dĂ©s par les origines :

« La nouvelle discipline de l’histoire des religions se dĂ©veloppa rapidement dans ce contexte culturel. Et, bien entendu, elle suivit un mĂȘme modĂšle : l’approche positiviste des faits et la recherche des origines, du tout premier commencement de la religion.
Toute l’historiographie occidentale Ă©tait Ă  cette Ă©poque-lĂ  obsĂ©dĂ©e par la quĂȘte des origines. [...] Cette recherche des origines des institutions humaines et des crĂ©ations culturelles prolonge et complĂšte la quĂȘte du naturaliste vers l’origine des espĂšces, le rĂȘve du biologiste de capter l’origine de la vie, les efforts du gĂ©ologue et de l’astronome pour comprendre l’origine de la terre et de l’univers. D’un point de vue psychologique, l’on peut dĂ©chiffrer ici la mĂȘme nostalgie du ‘primordial’ et de l’‘originel’[206]. »

Dans certains de ses Ă©crits, Eliade dĂ©peint les idĂ©ologies politiques modernes comme de la mythologie laĂŻcisĂ©e. Ainsi, le marxisme « reprend et poursuit l’un des grands mythes eschatologiques du monde proche-oriental et mĂ©diterranĂ©en, savoir : le rĂŽle rĂ©dempteur qu’ont Ă  jouer les Justes (les â€˜Ă©lus’, les ‘bĂ©nis’, les ‘innocents’, les ‘envoyĂ©s’, de nos jours les prolĂ©taires), dont les souffrances sont invoquĂ©es pour changer le statut ontologique du monde »[207]. Eliade voit dans le mythe trĂšs rĂ©pandu de l’Âge d’or, « lequel, suivant un certain nombre de traditions, se situe au commencement et Ă  la fin de l’histoire », un « prĂ©cĂ©dent » Ă  la vision marxienne d’une sociĂ©tĂ© sans classes[208]. Selon Eliade en somme, la croyance de Marx dans le triomphe final du bien (le prolĂ©tariat) sur le mal (la bourgeoisie) constitue « une idĂ©ologie judĂ©o-chrĂ©tienne vĂ©ritablement messianique »[208]. Pour Eliade, l’idĂ©ologie marxiste, en dĂ©pit de l’hostilitĂ© de Marx envers la religion, fonctionne au-dedans d’un cadre conceptuel hĂ©ritĂ© de la mythologie religieuse.

Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©es, Eliade relĂšve que l’idĂ©ologie nazie renfermait un mysticisme pseudo-paĂŻen s’appuyant sur l’antique religion germanique. Le succĂšs inĂ©gal de ces deux idĂ©ologies peut s’expliquer, suggĂšre-t-il, par les diffĂ©rences de nature entre la mythologie pseudo-germanique des Nazis et celle pseudo-judĂ©o-chrĂ©tienne de Marx :

« En comparaison de l’optimisme vigoureux du mythe communiste, la mythologie propagĂ©e par les nationaux-socialistes semble particuliĂšrement inepte ; et cela n’est pas seulement dĂ» aux limites du mythe racial (comment peut-on imaginer que le reste de l’Europe accepte volontairement de se soumettre Ă  la race des maĂźtres ?), mais avant tout en raison du pessimisme fondamental de la mythologie germanique. [...] En effet, l’eschaton prophĂ©tisĂ© et attendu par les anciens Germains Ă©tait le ragnarok, c’est-Ă -dire une fin du monde catastrophique[208]. »

L’homme moderne et la « terreur de l’histoire »

Pour Eliade, si l’homme moderne continue de porter des « traces » de « comportement mythologique », c’est parce qu’il Ă©prouve un intense besoin de temps sacrĂ© et d’éternel retour[209]. Quoique l’homme moderne se revendique non-religieux, il est incapable finalement de trouver quelque valeur Ă  la succession linĂ©aire des Ă©vĂ©nements historiques ; mĂȘme l’homme moderne en effet ressent la « terreur de l’histoire » : « Ici Ă©galement [...] il y a toujours la lutte contre le Temps, l’espoir d’ĂȘtre libĂ©rĂ© du poids du ‘temps mort’, du Temps qui Ă©crase et qui tue »[210].

Selon Eliade, cette « terreur de l’histoire » se fait particuliĂšrement aiguĂ« lorsque l’homme moderne se trouve confrontĂ© Ă  des Ă©vĂ©nements historiques violents et menaçants — le constat seul qu’un Ă©vĂ©nement terrible s'est produit, qu’il s’inscrit dans l’histoire, n’apporte que peu de rĂ©confort Ă  ceux qui en souffrent. Eliade pose la question rhĂ©torique de savoir comment l’homme moderne peut « supporter les catastrophes et les horreurs de l’histoire — des dĂ©portations et massacres collectifs, aux bombardements atomiques — si, au-delĂ  de celles-ci, il ne peut entrevoir ni signe, ni sens transhistorique »[211].

Eliade indique que si aux yeux de l’homme ancien, les rĂ©pĂ©titions d’évĂ©nements mythiques confĂ©raient une valeur et un sens sacrĂ©s Ă  l’histoire, l’homme moderne en revanche, ayant rĂ©pudiĂ© le sacrĂ©, doit par consĂ©quent inventer de lui-mĂȘme une valeur et un dessein sous-jacent. En l’absence de sacrĂ© capable de donner une valeur absolue, objective aux Ă©vĂ©nements historiques, l’homme moderne se retrouve avec « une vision relativiste ou nihiliste de l’histoire » et une subsĂ©quente « ariditĂ© spirituelle »[212]. Au chapitre 4 (la Terreur de l’histoire) du Mythe de l’éternel retour et au chapitre 9 (Symbolisme religieux et Angoisse de l’homme moderne) de Mythes, rĂȘves et mystĂšres, Eliade explique longuement que le rejet de la pensĂ©e religieuse est la cause premiĂšre des anxiĂ©tĂ©s de l’homme moderne.

Dialogue interculturel et « nouvel humanisme »

Eliade estime que l’homme moderne peut Ă©chapper Ă  la « terreur de l’histoire » en s’instruisant des cultures traditionnelles ; selon lui, l’hindouisme p.ex. aurait des conseils Ă  donner aux Occidentaux modernes. D’aprĂšs plusieurs branches de l’hindouisme, le monde du temps historique est illusoire, et la seule rĂ©alitĂ© absolue est l’ñme immortelle, ou Ăątman, prĂ©sente dans l’homme. Aussi, Ă©crit Eliade, les Hindous, en refusant de voir dans le temps historique la vraie rĂ©alitĂ©, ont-ils su se soustraire Ă  la terreur de l’histoire[213]. Mais Eliade imagine la mĂ©fiance et les rĂ©ticences du philosophe occidental ou continental Ă  l’endroit de cette vision hindoue de l’histoire :

« L’on peut aisĂ©ment deviner ce qu’un philosophe europĂ©en de l’histoire ou un philosophe existentialiste rĂ©pliquerait [...]. Vous me demandez, dirait-il, de ‘mourir Ă  l’histoire’ ; mais l’homme n’est pas, et ne peut ĂȘtre autre chose que de l’histoire, car sa vĂ©ritable essence est la temporalitĂ©. Ainsi, ce que vous me demandez, c’est de renoncer Ă  mon existence authentique et de trouver refuge dans une abstraction, dans l’Être pur, dans l’ñtman : il me faudrait sacrifier ma dignitĂ© en tant que crĂ©ateur de l’histoire, afin de vivre une existence anhistorique, inauthentique, vide de tout contenu humain. Eh bien, je prĂ©fĂšre m’arranger avec mon angoisse : du moins celle-ci ne peut-elle pas me priver d’une certaine grandeur hĂ©roĂŻque, celle de prendre conscience de ma condition humaine et de l’accepter[214]. »

Cependant, Eliade explique que la vision hindoue de l’histoire n’implique pas nĂ©cessairement un rejet de l’histoire ; au contraire mĂȘme, dans l’hindouisme, l’existence humaine historique n’est pas cette « absurditĂ© » que beaucoup de philosophes continentaux ont coutume d’y voir[214]. Dans l’hindouisme, l’histoire est une crĂ©ation divine, et l’on peut vivre en elle avec contentement moyennant que l’on observe vis-Ă -vis d’elle un certain degrĂ© de dĂ©tachement : « L’on est dĂ©vorĂ© par le Temps, par l’Histoire, non pas parce que l’on vit en eux, mais parce qu’on se les imagine rĂ©els et que, par consĂ©quent, l’on oublie ou sous-Ă©value l’éternitĂ© »[215].

En outre, Eliade explique que les Occidentaux pourraient apprendre de cultures non-occidentales Ă  dĂ©celer dans la souffrance et la mort autre chose que la seule absurditĂ©. Dans les cultures traditionnelles, la souffrance et la mort ont valeur de rites de passage ; de fait, leur rites initiatiques comportent souvent une mort et une rĂ©surrection symboliques, ou des ordalies symboliques, suivies d’apaisement. Par analogie, raisonne Eliade, l’homme moderne pourrait apprendre Ă  regarder ses propres ordalies historiques, voire la mort, comme des initiations nĂ©cessaires en vue du prochain stade de son existence[216].

Eliade va jusqu’à suggĂ©rer que la pensĂ©e traditionnelle est Ă  mĂȘme d’apporter un soulagement Ă  la vague angoisse suscitĂ©e par « notre obscur pressentiment de la fin du monde, ou, plus exactement, de la fin de notre monde, de notre propre civilisation »[216]. Beaucoup de cultures traditionnelles possĂšdent des mythes dans lesquels elles ont intĂ©grĂ© la fin de leur monde ou de leur civilisation ; toutefois, ces mythes n’ont pas pour effet « de paralyser ni la Vie, ni la Culture »[216]. Ces cultures traditionnelles privilĂ©gient le temps cyclique et, par lĂ , l’inĂ©vitable avĂšnement d’un monde nouveau, ou d’une civilisation nouvelle, sur les ruines de l’ancien. Aussi restent-elles sereines, mĂȘme lorsqu’elles envisagent les temps derniers[217].

Eliade postule qu’une renaissance spirituelle occidentale est possible dans le cadre des traditions spirituelles occidentales[218]. Toutefois, il souligne que pour engager une telle renaissance, les Occidentaux auraient besoin d’ĂȘtre stimulĂ©s par des idĂ©es provenant de cultures non occidentales. Dans son Mythes, rĂȘves et mystĂšres, Eliade pose qu’« une rencontre authentique » entre cultures « pourrait bien constituer le point de dĂ©part d’un nouvel humanisme, Ă  l’échelle mondiale »[219].

Christianisme et « salut » de l’Histoire

Mircea Eliade croit dĂ©celer dans les religions abrahamiques le point de basculement entre l’ancienne vision cyclique du temps et celle moderne, linĂ©aire, mais note que dans le cas de ces religions, les Ă©vĂ©nements sacrĂ©s ne se limitent pas Ă  un Ăąge primordial Ă©loignĂ©, mais persistent tout au long de l’histoire : « le temps n’est plus [seulement] le Temps circulaire de l’éternel retour ; il est devenu Temps linĂ©aire et irrĂ©versible »[220]. Il voit ainsi dans le christianisme l’ultime exemple d’une religion embrassant un temps historique linĂ©aire. Quand Dieu est nĂ© en tant qu’homme, plongĂ© dans le courant de l’histoire, « l’histoire tout entiĂšre devient une thĂ©ophanie »[221]. Selon les termes d’Eliade, « le christianisme s’évertue Ă  sauver l’histoire »[222] : dans le christianisme en effet, le sacrĂ© s’introduit dans un ĂȘtre humain (le Christ) pour sauver les hommes, mais le sacrĂ© s’introduit en mĂȘme temps dans l’histoire pour sauver celle-ci et changer les Ă©vĂ©nements historiques, y compris ordinaires, en quelque chose qui soit « capable de transmettre un message transhistorique »[222].

Dans la perspective d’Eliade, le « message transhistorique » du christianisme pourrait ĂȘtre la ressource la plus importante dont dispose l’homme moderne pour faire face Ă  la terreur de l’histoire. Dans son ouvrage intitulĂ© Mito (« Mythe »), le germaniste et critique littĂ©raire italien Furio Jesi affirme qu’Eliade dĂ©nie Ă  l’homme la position de vĂ©ritable protagoniste de l’histoire : pour Eliade, la vraie expĂ©rience humaine ne consiste pas Ă  « faire l’histoire » intellectuellement, mais Ă  Ă©prouver les joies et les peines de l’homme. Ainsi, dans la perspective d’Eliade, le rĂ©cit du Christ devient-il le mythe parfait Ă  l’usage de l’homme moderne[223]. Pour le christianisme, Dieu, en naissant en tant que Christ, s’insĂ©ra volontairement dans le temps historique et accepta les souffrances qui en rĂ©sultĂšrent. En s’identifiant au Christ, l’homme moderne peut apprendre Ă  affronter les Ă©vĂ©nements historiques douloureux[223]. En somme, selon Jesi, Eliade voit le christianisme comme la seule religion capable de sauver l’homme de la « terreur de l’histoire »[224].

Dans la vision d’Eliade, l’homme traditionnel assimile le temps Ă  une rĂ©pĂ©tition infinie d’archĂ©types mythiques. L’homme moderne au contraire a abandonnĂ© les archĂ©types mythiques pour entrer dans un temps historique linĂ©aire. Or, Ă  la diffĂ©rence de beaucoup d’autres religions, le christianisme accorde de la valeur au temps historique. Eliade en conclut que le « christianisme se rĂ©vĂšle ĂȘtre ainsi incontestablement la religion de ‘l’homme dĂ©chu’ », de l’homme moderne qui a perdu « le paradis des archĂ©types et de la rĂ©pĂ©tition »[225].

« Gnosticisme moderne », romantisme et nostalgie eliadienne

AprĂšs analyse des similaritĂ©s entre les « mythologistes » Eliade, Joseph Campbell et Carl Jung, Robert Ellwood conclut que ces trois mythologistes modernes, qui tous trois pensent que les mythes rĂ©vĂšlent la « vĂ©ritĂ© intemporelle »[226], remplissent le rĂŽle qui Ă©tait celui des gnostiques dans l’AntiquitĂ©. Les divers mouvements religieux que recouvre le terme gnosticisme partagent tous cette doctrine de base que le monde environnant est fondamentalement mal ou inhospitalier, que nous nous trouvons piĂ©gĂ©s dans le monde, sans que nous n’y soyons pour rien, et que nous ne pouvons ĂȘtre sauvĂ©s de ce monde qu’au moyen d’un savoir (gnose) secret[227]. Ellwood pose que les trois mythologistes susnommĂ©s Ă©taient des « gnostiques modernes Ă  part entiĂšre »[228], et fait remarquer :

« Que ce soit dans la Rome d’Auguste ou dans l’Europe moderne, la dĂ©mocratie n’a que trop facilement ouvert la voie au totalitarisme, la technologie fut mise aussi promptement au service de la bataille que du confort, et une immense richesse cĂŽtoie une pauvretĂ© abyssale. [...] Les gnostiques passĂ©s et prĂ©sents cherchaient des rĂ©ponses non dans le cours des Ă©vĂ©nements humains extĂ©rieurs, mais dans la connaissance du commencement du monde, de ce qui se trouve au-dessus et au-delĂ  du monde, et des lieux secrets de l’ñme humaine. C’est Ă  tout cela que les mythologistes ont fait appel, et ils gagnĂšrent de nombreux et fidĂšles adeptes[229]. »

Selon Ellwood, les trois mythologistes croyaient aux doctrines de base du gnosticisme, fĂ»t-ce sous leur forme laĂŻque. Ellwood pense d’autre part que le romantisme, qui stimula l’étude moderne de la mythologie[230], eut sur eux une forte influence. En accord avec l’idĂ©e romantique selon laquelle l’émotion et l’imagination avaient la mĂȘme dignitĂ© que la raison, les romantiques, raisonne Ellwood, inclinaient Ă  penser que la vĂ©ritĂ© en politique « peut se connaĂźtre moins par des considĂ©rations rationnelles que par la capacitĂ© de celle-ci Ă  allumer les passions » et, partant, que la vĂ©ritĂ© en politique est « fortement susceptible d’ĂȘtre trouvĂ©e [...] dans un passĂ© Ă©loignĂ© »[230].

En tant que gnostiques modernes, poursuit Ellwood, les trois mythologistes se sentaient aliĂ©nĂ©s du monde moderne qui les entourait. En tant que spĂ©cialistes, ils avaient connaissance de sociĂ©tĂ©s primordiales fonctionnant diffĂ©remment des sociĂ©tĂ©s modernes ; en tant qu’intellectuels influencĂ©s par le romantisme, ils considĂ©raient les mythes comme une gnose salvatrice, apte Ă  leur offrir les « voies d’un Ă©ternel retour vers des Ăąges primordiaux plus simples, oĂč furent forgĂ©es les valeurs qui dirigent le monde »[231].

De plus, Ellwood dĂ©signe le sentiment de nostalgie personnel d’Eliade comme la source de son intĂ©rĂȘt pour — voire de ses thĂ©ories sur — les sociĂ©tĂ©s traditionnelles[232]. Il cite les propres paroles d'Eliade oĂč celui-ci reconnaĂźt dĂ©sirer un Ă©ternel retour pareil Ă  celui par lequel l’homme traditionnel retourne au paradis mythique : « Ma prĂ©occupation essentielle est prĂ©cisĂ©ment de trouver le moyen d’échapper Ă  l’Histoire, de me sauver Ă  travers le symbole, le mythe, le rite, les archĂ©types »[233].

Pour Ellwood, la nostalgie d’Eliade n’a pu ĂȘtre que renforcĂ©e par son exil de Roumanie : « Dans ses derniĂšres annĂ©es, Eliade ressentait son propre passĂ© roumain comme les peuples primordiaux ressentaient le temps mythique. Il Ă©tait entraĂźnĂ© Ă  y retourner, cependant il savait qu’il ne pourrait pas y vivre, et tout cela avait quelque chose de dĂ©lĂ©tĂšre »[234]. Ellwood suggĂšre que cette nostalgie, en mĂȘme temps que le sentiment que « l’exil est l’une des mĂ©taphores les plus profondes de la vie humaine »[235], a marquĂ© de son empreinte les thĂ©ories d’Eliade. Ellwood en veut pour preuve le concept eliadien de la « terreur de l’histoire », contre laquelle l’homme moderne ne dispose plus d’aucun rempart[236]. Ellwood dĂ©tecte dans ledit concept un « Ă©lĂ©ment de nostalgie » des temps anciens « oĂč le sacrĂ© Ă©tait fort et oĂč la terreur de l’histoire avait Ă  peine encore levĂ© la tĂȘte »[237].

Voix critiques

Généralisations abusives

Pour Ă©tayer ses thĂ©ories, Eliade convoque un large Ă©ventail de mythes et de rites ; nĂ©anmoins, il a Ă©tĂ© accusĂ© de vouloir gĂ©nĂ©raliser Ă  l’excĂšs, et beaucoup de chercheurs jugent que les Ă©lĂ©ments de preuve qu’il apporte sont insuffisants et ne permettent pas de considĂ©rer comme principes universels, ou mĂȘme seulement gĂ©nĂ©raux, de toute pensĂ©e religieuse les propriĂ©tĂ©s gĂ©nĂ©rales postulĂ©es par Eliade. Selon l’un de ces chercheurs, « Eliade a pu certes ĂȘtre l’historien des religions contemporain le plus diffusĂ© et le plus influent », mais « beaucoup, sinon la plupart, des spĂ©cialistes en anthropologie, en sociologie, et mĂȘme en histoire des religions ont soit dĂ©daignĂ© soit bientĂŽt rĂ©pudiĂ© » les travaux d’Eliade[238].

Geoffrey Kirk, spĂ©cialiste en lettres classiques, critique l’affirmation d’Eliade que les aborigĂšnes d'Australie et les anciens MĂ©sopotamiens auraient connu les concepts d’« ĂȘtre », de « non-ĂȘtre », de « rĂ©el » et de « devenir », nonobstant qu’il leur manquĂąt les termes pour les dĂ©signer. Kirk estime en outre qu’Eliade Ă©tend abusivement le champ d’application de ses thĂ©ories, et cite comme exemple la thĂšse d’Eliade selon laquelle le mythe moderne du bon sauvage s’expliquerait par la propension religieuse Ă  idĂ©aliser l’ñge primordial et mythique[239] ; pour Kirk, « de telles extravagances, combinĂ©es Ă  une rĂ©pĂ©titivitĂ© marquĂ©e, ont fait qu’Eliade est peu apprĂ©ciĂ© chez les anthropologues et chez les sociologues »[239]. Kirk soupçonne qu’Eliade a Ă©difiĂ© sa thĂ©orie de l’éternel retour Ă  partir des fonctions que remplit la mythologie chez les aborigĂšnes d’Australie, pour l’appliquer ensuite Ă  d’autres mythologies sur lesquelles cette thĂ©orie ne saurait s’appliquer ; p.ex., Kirk relĂšve que l’éternel retour est inapte Ă  rendre compte adĂ©quatement des fonctions de la mythologie amĂ©rindienne ou grecque[240]. Kirk conclut que si « l’idĂ©e d’Eliade constitue une grille de perception qui est valable pour certains mythes, elle ne peut servir de guide Ă  une apprĂ©hension correcte de chacun d’eux »[241].

Il n’est jusqu’à Wendy Doniger ― successeur d’Eliade Ă  l’universitĂ© de Chicago ― qui n’ait fait observer (dans son avant-propos Ă  Chamanisme d’Eliade) que l’éternel retour n’est pas applicable Ă  tous les mythes et rites, mĂȘme s’il vaut pour un grand nombre d’entre eux[242]. Toutefois, si Doniger s’accorde Ă  dire qu’Eliade tendait Ă  faire des gĂ©nĂ©ralisations excessives, elle note que son penchant Ă  « s’engager hardiment en faveur d’universaux » lui permit de discerner des structures sous-jacentes « qui embrassent le globe tout entier et l’ensemble de l’histoire humaine »[243]. Que ses thĂ©ories soient vraies ou non, raisonne-t-elle, les thĂ©ories eliadiennes demeurent utiles « comme points de dĂ©part Ă  l’étude comparĂ©e des religions ». Elle signale que les thĂ©ories d’Eliade se sont rĂ©vĂ©lĂ©es capables d’assimiler « de nouvelles donnĂ©es auxquelles Eliade n’avait pas accĂšs »[244].

Support empirique insuffisant

Plusieurs chercheurs ont reprochĂ© aux travaux d’Eliade de manquer de fondement empirique. Ainsi est-il fait grief Ă  Eliade d’avoir nĂ©gligĂ© « d’élaborer une mĂ©thodologie appropriĂ©e pour l’histoire des religions et d’établir cette discipline au rang de science empirique »[245], encore que ces mĂȘmes critiques reconnaissent que « quoi qu’il en soit, l’histoire des religions ne devrait pas viser Ă  devenir une science empirique »[245]. Est mise en cause en particulier, comme Ă©tant indĂ©montrable empiriquement, la thĂšse d’Eliade selon laquelle le sacrĂ© est un Ă©lĂ©ment structurel de la conscience humaine : « nul jusqu’ici n’a rĂ©ussi Ă  ramener au jour cette catĂ©gorie de base qu’est le sacrĂ© »[246]. L’anthropologue Alice Kehoe a Ă©tĂ© fort critique vis-Ă -vis de l’ouvrage d’Eliade sur le chamanisme, notamment au motif qu’il n’était pas anthropologue mais historien ; elle reproche Ă  Eliade de n’avoir jamais fait de travail de terrain et de ne s’ĂȘtre jamais mis en contact avec un quelconque groupe indigĂšne pratiquant le chamanisme, et que son Ɠuvre a Ă©tĂ© composĂ©e Ă  partir de sources diverses sans jamais avoir Ă©tĂ© corroborĂ©e par une recherche directe sur le terrain[247]. Le professeur Kees W. Bolle, de l’universitĂ© de Californie Ă  Los Angeles, argua en revanche que « l’approche du professeur Eliade [Ă©tait], dans tous ses travaux, empirique »[248], et accorda Ă  Eliade une place Ă  part, eu Ă©gard Ă  ce que Bolle considĂ©rait comme une « attention [qu’Eliade prĂȘta plus spĂ©cialement] aux diverses motivations particuliĂšres » sous-tendant les diffĂ©rents mythes[248].

D’autres ont pour leur part stigmatisĂ© sa tendance Ă  mĂ©connaĂźtre les aspects sociaux de la religion[69]. Le chercheur français Daniel Dubuisson a mis en cause la stature universitaire d’Eliade et la scientificitĂ© de ses travaux, pointant le (prĂ©sumĂ©) refus d’Eliade d’envisager les religions dans leur contexte historique et culturel, et soulignant que la notion eliadienne de hiĂ©rophanie prĂ©suppose l’existence rĂ©elle d'un niveau surnaturel[76].

Ronald Inden, historien spĂ©cialisĂ© en histoire de l’Inde et professeur Ă  l’universitĂ© de Chicago, critiqua Mircea Eliade et d’autres grandes figures intellectuelles (telles que Carl Jung et Joseph Campbell entre autres) pour avoir concouru Ă  la construction d’une « vision romantique » de l’hindouisme[249] ; il observe que leur maniĂšre d’aborder le sujet s’appuyait principalement sur une approche orientaliste et a fait en sorte que l’hindouisme a pu apparaĂźtre « comme un royaume privĂ©, produit de l’imagination et du sentiment religieux, qui fait dĂ©faut Ă  l’homme occidental moderne mais dont il Ă©prouve le besoin »[249].

Un modĂšle explicatif sans fenĂȘtre sur autrui

Dans L’Erreur de Mircea Eliade, Albert Assaraf met l’accent sur une carence du modĂšle thĂ©orique eliadien lourde de consĂ©quences pour l’histoire des religions. Eliade, en dĂ©pit de l’impressionnante richesse de ses sources documentaires, vide les faits religieux de leur dimension relationnelle. Son systĂšme explicatif, dominĂ© par les thĂ©ories de l’ĂȘtre et des archĂ©types, est sans fenĂȘtre sur autrui, sans interactions interpersonnelles, sans circularitĂ© systĂ©mique. Le « plus navrant », Ă©crit Albert Assaraf, est qu’Eliade, en fin de TraitĂ© d’histoire des religions, admet le caractĂšre central du symbolisme du lien, au point de le comparer Ă  un super-archĂ©type « qui tente de se rĂ©aliser sur tous les plans de l’expĂ©rience magico-religieuse[250] ». Eliade consacre mĂȘme une longue monographie sur les dieux lieurs et le symbolisme des nƓuds dans Images et symboles, paru en 1952. Pour autant, « liens, ficelles, cordes, lassos, etc., restent pour [Eliade] des choses qu’il range dans un rĂ©servoir statique d’images innĂ©es : le transconscient. Mais nullement la matĂ©rialisation d’interactions interpersonnelles dynamiques[251] ».

Du reste, pour montrer le caractĂšre Ă©minemment relationnel des phĂ©nomĂšnes religieux, L’Erreur de Mircea Eliade s’emploie Ă  traduire en des termes relationnels les grands sujets de prĂ©dilection d’Eliade. Le sacrĂ© et son ambivalence, le symbolisme du centre, la non-homogĂ©nĂ©itĂ© de l’espace, le retour au temps des origines, le retour pĂ©riodique au Chaos, la mort-renaissance, l’initiation, le sacrifice, la coĂŻncidence des contraires. Enfin, la structure des symboles longuement dĂ©veloppĂ©e par Eliade dans TraitĂ© d’histoire des religions.

ExtrĂȘme droite et influences nationalistes

Si, sans doute, son Ɠuvre thĂ©orique n’a jamais Ă©tĂ© subordonnĂ©e Ă  ses opinions politiques de jeunesse, l’école de pensĂ©e Ă  laquelle Eliade avait adhĂ©rĂ© dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres, Ă  savoir : le trăirism, ainsi que les ouvrages de Julius Evola, oĂč il continua ensuite de puiser inspiration, sont thĂ©matiquement liĂ©s avec le fascisme, notamment en adhĂ©rant Ă  la Garde de fer[54] - [76] - [252] - [253]. L’écrivain et universitaire roumain Marcel Tolcea a indiquĂ© qu’à travers l’interprĂ©tation particuliĂšre faite par Evola de l’Ɠuvre de GuĂ©non, Eliade garda un lien traçable indirect avec les idĂ©ologies d’extrĂȘme droite, y compris dans ses productions purement thĂ©oriques[54]. Daniel Dubuisson s’attarda plus particuliĂšrement au concept eliadien de homo religiosus, reflet selon lui de l’élitisme fasciste, et argua que les visions qu’avait Eliade du judaĂŻsme et de l’Ancien Testament, visions qui dĂ©signent les HĂ©breux comme les ennemis de l’antique religion cosmique, permettaient en dĂ©finitive Ă  Eliade de sauvegarder et perpĂ©tuer un discours antisĂ©mite[76].

Dans une piĂšce de 1930 signĂ©e par Eliade, Julius Evola Ă©tait prĂ©sentĂ© comme un grand penseur tandis que les intellectuels controversĂ©s Oswald Spengler, Arthur de Gobineau, Houston Stewart Chamberlain et l’idĂ©ologue nazi Alfred Rosenberg y Ă©taient couverts d’éloges[76]. Evola, qui ne cessera de dĂ©fendre les principes essentiels du fascisme mystique, protesta un jour auprĂšs d’Eliade en lui reprochant de nĂ©gliger de le citer, lui et GuĂ©non ; Eliade rĂ©pliqua que ses Ɠuvres Ă©taient Ă©crites pour un public contemporain gĂ©nĂ©ral, et non Ă  l’attention des initiĂ©s de cercles Ă©soteriques[254]. AprĂšs les annĂ©es 1960, Eliade prĂȘta, conjointement avec Evola, Louis Rougier et d’autres intellectuels, son soutien Ă  Alain de Benoist et Ă  son controversĂ© Groupement de recherche et d'Ă©tudes pour la civilisation europĂ©enne, incarnation de la mouvance intellectuelle de la Nouvelle Droite[255].

Eliade vouait aussi un intĂ©rĂȘt particulier Ă  l’antique culte de Zalmoxis et du supposĂ© monothĂ©isme de celui-ci[256] - [257]. Cela, de mĂȘme que sa conclusion que la romanisation avait Ă©tĂ© superficielle dans la Dacie romaine, rejoignait la vision Ă  laquelle souscrivaient les partisans contemporains du nationalisme protochroniste[69] - [256]. D’aprĂšs l’historien Sorin Antohi, Eliade pourrait bien avoir encouragĂ© des protochronistes tels qu’Edgar Papu Ă  mener les recherches qui aboutiront Ă  l’affirmation que les Roumains du Moyen Âge avaient Ă©tĂ© les prĂ©curseurs de la Renaissance[258].

Dans son Ă©tude sur Eliade, Jung et Campbell, Robert Ellwood aborde lui aussi les liens entre travaux thĂ©oriques d’une part et engagements politiques controversĂ©s d’autre part, faisant remarquer que ces mythologistes ont tous trois Ă©tĂ© accusĂ©s d’adopter des positions politiques rĂ©actionnaires. Ellwood relĂšve le parallĂšle Ă©vident existant entre le conservatisme inhĂ©rent au mythe, lequel en effet convoque un Ăąge d’or primordial, et le conservatisme politique de l’extrĂȘme droite[259]. Toutefois, Ellwood tient Ă  prĂ©ciser que l’explication est sans doute plus complexe que cela. De quelque cĂŽtĂ© que leurs sympathies politiques aient pu se situer, Ă©crit-il, les trois mythologistes susmentionnĂ©s apparaissaient souvent « apolitiques sinon anti-politiques, rejetant avec dĂ©dain tout salut ici-bas »[260]. En outre, la nature de la connexitĂ© entre mythologie et politique diffĂšre pour les trois mythologistes concernĂ©s : dans le cas d’Eliade, Ellwood croit qu’un fort sens de la nostalgie (« de l’enfance, du temps jadis historique, de la religion cosmique, du paradis »)[104] a pu dĂ©terminer non seulement ses centres d’intĂ©rĂȘt thĂ©oriques, mais aussi ses reprĂ©sentations politiques.

Compte tenu que dans la derniĂšre partie de sa vie Eliade s’était gardĂ© Ă  l’écart de toute politique, Ellwood dut s'Ă©vertuer Ă  extraire des travaux universitaires d’Eliade une philosophie politique implicite. Ellwood estime que la nostalgie des traditions anciennes prĂ©sente chez l’Eliade Ă  l’ñge mĂ»r ne fait pas de lui pour autant un rĂ©actionnaire au sens politique, ni mĂȘme un rĂ©actionnaire indolent, et ira jusqu’à conclure qu’en rĂ©alitĂ© Eliade Ă©tait Ă  la fin de sa vie un « moderniste radical »[261] ; en effet, selon Ellwood :

« Ceux qui considĂšrent la fascination d’Eliade pour le primordial comme simplement rĂ©actionnaire, dans l’habituelle acception politique ou religieuse de ce mot, n’apprĂ©hendent pas l’Eliade de la maturitĂ© d’une maniĂšre suffisamment radicale. [...] Pour lui, la tradition n’était pas exactement une prescription au sens de Burke, ni la confiance sacrĂ©e de demeurer vivant gĂ©nĂ©ration aprĂšs gĂ©nĂ©ration, attendu qu’Eliade Ă©tait pleinement conscient que la tradition, tout comme les hommes et les nations, ne vit que par le changement voire par l’occultation. DĂšs lors, la chose Ă  faire n’est pas de tenter vainement de la garder immuable, mais de la mettre au jour lĂ  oĂč elle se cache[261]. »

Selon Eliade, des Ă©lĂ©ments religieux perdurent dans la culture laĂŻque, mais « camouflĂ©e » sous des formes nouvelles[262]. Aussi Ellwood suppose-t-il qu’Eliade pensait dans son Ăąge mĂ»r que l’homme moderne devait prĂ©server les Ă©lĂ©ments du passĂ©, mais ne devait pas tenter de les restaurer dans leur forme originelle par des politiques rĂ©actionnaires[263]. Il soupçonne qu’Eliade eĂ»t prĂ©conisĂ© « un État minimal plutĂŽt que maximaliste », apte Ă  permettre la transformation spirituelle personnelle sans l’imposer[264].

Nombre de commentateurs ont taxĂ© Eliade d’« essentialisme », forme de gĂ©nĂ©ralisation par laquelle une « essence » commune est abusivement attribuĂ©e Ă  un groupe entier — en l’occurrence, Ă  toutes les sociĂ©tĂ©s « religieuses » ou « traditionnelles ». Au surplus, certains ont cru dĂ©tecter un lien entre d’une part le prĂ©sumĂ© « essentialisme » d’Eliade en ce qui touche Ă  la religion, et d’autre part l’essentialisme fasciste rapportĂ© aux races et aux nations[265]. Aux yeux d’Ellwood cependant, ce lien « semble assez tortueux, ne se rĂ©duisant en dĂ©finitive qu’à guĂšre plus qu’un argument ad hominem destinĂ© Ă  attacher Ă  toute l’Ɠuvre [thĂ©orique] d’Eliade l’opprobre qu’inspirent Ă  toute personne dĂ©cente les troupes d’assaut et la Garde de Fer »[265]. NĂ©anmoins, Ellwood reconnaĂźt que certaines tendances communĂ©ment Ă  l’Ɠuvre dans la « pensĂ©e mythologique » aient pu porter Eliade, ainsi que Jung et Campbell, Ă  concevoir certains groupes humains d’une façon « essentialiste », et que cela puisse expliquer leur supposĂ© antisĂ©mitisme :

« Une tendance Ă  penser en termes gĂ©nĂ©riques les peuples, races, religions ou partis, laquelle tendance est indiscutablement, ainsi que nous le verrons, l’écueil le plus redoutable de la pensĂ©e mythologique, y compris de celle de mythologistes modernes du nombre desquels sont nos trois auteurs, peut permettre la jonction avec un antisĂ©mitisme naissant, ― ou la jonction peut avoir lieu d’autre maniĂšre[266]. »

ƒuvre littĂ©raire

Caractéristiques générales

Nombre des Ɠuvres littĂ©raires de jeunesse de Mircea Eliade, en particulier les toutes premiĂšres, se signalent par leur charge Ă©rotique et par l’accent mis sur l’expĂ©rience subjective. De style moderniste, ces Ă©crits ont pu ĂȘtre comparĂ©s Ă  ceux d’écrivains roumains contemporains tels que Mihail Sebastian[267], I. Valerian[268], et Ion Biberi[269]. Outre vers HonorĂ© de Balzac et Giovanni Papini, ses prĂ©coces goĂ»ts littĂ©raires portaient Eliade vers Aldous Huxley et Miguel de Unamuno[43], ainsi que vers AndrĂ© Gide[8]. Il lut Ă©galement avec intĂ©rĂȘt la prose de Romain Rolland, de Henrik Ibsen, et des penseurs des LumiĂšres Voltaire et Denis Diderot[8]. Jeune homme, il lisait les Ɠuvres d’auteurs roumains comme Liviu Rebreanu et PanaĂŻt Istrati ; au dĂ©but, il Ă©tait Ă©galement intĂ©ressĂ© par les Ɠuvres en prose de Ionel Teodoreanu, mais les dĂ©savoua plus tard en critiquant leur auteur[8].

Analysant l’Ɠuvre d’Eliade afin d’en dĂ©terminer les traits principaux, George Călinescu souligna qu’Eliade Ă©tait, sur le plan stylistique, fortement redevable Ă  l’écrivain français AndrĂ© Gide, et conclut qu’il figurait, avec Camil Petrescu et quelques autres, parmi les disciples gidiens de premier plan dans la littĂ©rature roumaine[4] ; il signala qu’à l’instar de Gide, Eliade pensait que l’artiste « ne prend pas position, mais Ă©prouve le bien et le mal tout en s’affranchissant de l’un et de l’autre, et en maintenant une curiositĂ© intacte »[4]. Un aspect spĂ©cifique de cette insistance sur l’expĂ©rience est constituĂ© par l’expĂ©rimentation sexuelle ; Călinescu relĂšve Ă  cet Ă©gard que les Ɠuvres de fiction d’Eliade tendent Ă  mettre en scĂšne une figure masculine « possĂ©dant toutes les femmes praticables dans une famille [donnĂ©e] »[270], et que d’autre part, Eliade dĂ©peint les femmes en rĂšgle gĂ©nĂ©rale comme « moyens de base en vue d’une expĂ©rience sexuelle et rĂ©pudiĂ©es ensuite avec un rude Ă©gotisme »[270].

Aux yeux de Călinescu, une telle vision de la vie devait dĂ©boucher fatalement sur la « banalitĂ© », ayant pour effet Ă  son tour que les jeunes auteurs allaient ĂȘtre saisis par le « culte du moi » et par « un mĂ©pris envers la littĂ©rature »[4]. De façon plus polĂ©mique, Călinescu postula que la focale supposĂ©ment mise par Mircea Eliade sur la « jeunesse agressive » servit Ă  instiller chez ses collĂšgues Ă©crivains roumains de l’entre-deux-guerres l’idĂ©e qu’ils partageaient une commune destinĂ©e en tant que gĂ©nĂ©ration Ă  part[4]. En outre, le mĂȘme commentateur mit en relief que les rĂ©cits d’Eliade, quoique situĂ©s en Roumanie, Ă©taient dĂ©pourvus d’une « perception de la rĂ©alitĂ© immĂ©diate », et, que si l’on prend en considĂ©ration les noms non traditionnels que l’écrivain inclinait Ă  donner Ă  ses personnages roumains, ces derniers ne dĂ©notaient aucune « spĂ©cificitĂ© »[271]. De plus, toujours dans l’opinion de Călinescu, les rĂ©cits Eliade Ă©taient souvent des « compositions sensationnalistes du genre des revues illustrĂ©es »[272]. L’évaluation que fera Mircea Eliade lui-mĂȘme de sa propre production littĂ©raire d’avant 1940 oscillera entre expressions de fiertĂ©[42] et l’ñpre verdict qu’elle avait Ă©tĂ© Ă©crite Ă  l’intention « d’un lectorat de petites dames et de lycĂ©ens »[75].

Une caractĂ©ristique secondaire, mais unificatrice et prĂ©sente dans la plupart des rĂ©cits d’Eliade, est le dĂ©cor dans lequel se dĂ©roule l’action, savoir : une Bucarest magique et en partie fictive[7]. Ces rĂ©cits furent aussi, pour une part, des vecteurs servant Ă  illustrer, ou Ă  faire affleurer, ses propres recherches dans le domaine de la religion, de mĂȘme que les concepts qu’il introduira plus tard[7]. Ainsi des commentateurs tels que Matei Călinescu et Carmen Mușat ont-ils argumentĂ© qu’une caractĂ©ristique principale de l’Ɠuvre fantastique d’Eliade est la permutation qu’il opĂšre entre surnaturel et monde physique : selon cette interprĂ©tation, Eliade transforme la rĂ©alitĂ© quotidienne en un lieu inintelligible, tandis que la sphĂšre surnaturelle intrusive promet au contraire de rĂ©vĂ©ler le sens de la vie[273]. Cette notion fut Ă  son tour mise en relation avec les idĂ©es d’Eliade sur la transcendance, en particulier avec sa vision que les miracles, une fois qu’ils ont Ă©tĂ© « camouflĂ©s » dans la vie ou dans l’Histoire, deviennent alors « mĂ©connaissables »[273].

Romans d’inspiration orientale

L’une des premiĂšres Ɠuvres de fiction d’Eliade, le controversĂ© rĂ©cit Ă  la premiĂšre personne intitulĂ© Isabel și apele diavolului (1930 ; trad. fr. Isabelle et les eaux du diable, 1999), prend pour sujet la figure d’un universitaire jeune et brillant, dont la principale crainte est, selon ses propres dires, « d’ĂȘtre commun »[274]. Les expĂ©riences du personnage sont consignĂ©es dans des « blocs-notes », oĂč il tient registre de ses expĂ©riences singuliĂšres, vĂ©cues en Inde britannique, pour la plupart sexuelles, et dont l’enchaĂźnement compose le rĂ©cit. Le narrateur se dĂ©crit lui-mĂȘme comme Ă©tant dominĂ© par « une indiffĂ©rence diabolique » envers « toute chose ayant un rapport avec l’art ou la mĂ©taphysique », et prĂ©fĂ©rant se concentrer sur l’érotisme[274]. Reçu comme hĂŽte par un pasteur, l’universitaire envisage des aventures amoureuses avec l’épouse du pasteur, avec sa servante, et finalement avec sa fille Isabel. AprĂšs avoir persuadĂ© le fils adolescent du pasteur Ă  fuguer, avoir Ă©tĂ© l’initiateur sexuel d’une fille de 12 ans, puis l’amant d’une femme beaucoup plus ĂągĂ©e, le personnage tente donc aussi de sĂ©duire Isabel. Bien qu’elle s’éprenne de lui, la jeune fille ne cĂšde pas Ă  ses avances, mais finira par permettre qu’un autre personnage abuse d’elle et la rende enceinte, en laissant ensuite savoir Ă  l’objet de son affection qu’elle n’a pas cessĂ© pendant tout ce temps de penser Ă  lui[275].

L’un des livres les plus cĂ©lĂšbres d’Eliade, le roman Maitreyi (1933 ; trad. fr. la Nuit bengali, 1950), repose sur son propre vĂ©cu, et renferme de façon dissimulĂ©e des dĂ©tails de ses rapports avec Surendranath Dasgupta et avec la fille de celui-ci, la poĂ©tesse et romanciĂšre Maitreyi Devi. Le personnage principal, Allan, est un Anglais qui rend visite Ă  un ingĂ©nieur indien, Narendra Sen, et fait la cour Ă  sa fille, qui se donne Ă  elle-mĂȘme le nom de Maitreyi. À nouveau, le rĂ©cit est construit Ă  partir de « blocs-notes » dans lesquels Allan Ă©crit ses commentaires, technique narrative que Călinescu qualifie d’« ennuyeuse », et son rĂ©sultat de « cynique »[275].

Allan prend place ainsi aux cĂŽtĂ©s des autres personnages masculins d’Eliade qui privilĂ©gient l’action, la sensation et l’expĂ©rience ; ses chastes rapports avec Maitreyi sont encouragĂ©s par Sen, qui en escompte un mariage, institution que le potentiel beau-fils europĂ©en cependant abhorre[275]. Allan en revanche est trĂšs dĂ©sireux de dĂ©couvrir la version orientale de l’amour platonique que pourrait lui apporter Maitreyi et qui se caractĂ©rise par un attachement spirituel plutĂŽt que par le contact physique[276]. Cependant, leur relation vire bientĂŽt au physique, et Maitreyi dĂ©cide de s’attacher Ă  Allan comme on le ferait Ă  un mari, mais par une noce informelle et intime, lors de laquelle elle fait vƓu d’amour et invoque une dĂ©esse de la terre pour sceller leur union[271]. Lorsqu'il dĂ©couvre cela, le pĂšre Narendra Sen devient furieux, rejette l’hĂŽte et maintient Maitreyi dans le confinement. En rĂ©action, sa fille rĂ©sout d’avoir des rapports sexuels avec un Ă©tranger de modeste extraction, afin de devenir enceinte dans l’espoir que ses parents l’autoriseront en consĂ©quence d’épouser son amant. Toutefois, le rĂ©cit jette aussi le doute sur les comportements antĂ©rieurs de Maitreyi, en rĂ©percutant des rumeurs selon lesquelles elle n’était pas vierge au moment oĂč elle et Allan s’étaient rencontrĂ©s pour la premiĂšre fois, ce qui semble dĂ©noncer son pĂšre comme un hypocrite[271].

George Călinescu se montre rĂ©ticent vis-Ă -vis de ce roman, Ă©pinglant que les rapports physiques autant que la rage du pĂšre apparaissent artificiels, et pointant que la mise en doute par Eliade de l’honnĂȘtetĂ© de ses personnages indiens avait tournĂ© l’intrigue en un exercice d’« humour ethnologique »[271]. Relevant par ailleurs que l’Ɠuvre exploite le thĂšme classique du mĂ©tissage, qui rappelle les Ɠuvres de François-RenĂ© de Chateaubriand et de Pierre Loti[275], le critique conclut que le principal mĂ©rite du livre est d’avoir introduit le genre exotique dans la littĂ©rature roumaine[271].

L’Ɠuvre prĂ©coce de Mircea Eliade comprend encore Șantier (litt. Chantier), compte rendu, en partie romancĂ© et en partie sous forme de journal, de son sĂ©jour en Inde, ouvrage auquel George Călinescu reproche sa « monotonie », et, tout en lui faisant crĂ©dit d’un ensemble d’« observations intelligentes », critiqua la « banalitĂ© de ses dialogues idĂ©ologiques »[271]. Șantier d’autre part attira l’attention en raison de l’évocation de la toxicomanie, en particulier celle de l’opium, dont il a Ă©tĂ© suggĂ©rĂ© qu’elle fait rĂ©fĂ©rence Ă  une expĂ©rience rĂ©elle qu’Eliade aurait eu lors de son voyage[82].

Portraits d’une gĂ©nĂ©ration

Dans son premier roman, Ă©crit Ă  la premiĂšre personne et intitulĂ© le Roman de l'adolescent myope, Eliade dĂ©crit ses expĂ©riences d’élĂšve de lycĂ©e[8]. Ce roman atteste de l’influence qu’exerçait sur lui l’Ɠuvre de Giovanni Papini, en particulier son roman autobiographique Un homme fini de 1913[8]. Chacun des chapitres se lit comme une nouvelle autonome et l’Ɠuvre dans son ensemble joue sur la ligne de dĂ©marcation entre roman et journal intime[8]. Le critique littĂ©raire Eugen Simion considĂ©ra ce roman comme Ă©tant, parmi les tentatives littĂ©raires prĂ©coces d’Eliade, celle prĂ©sentant « la plus grande valeur », mais estima que le livre, pour « ambitieux » qu’il fĂ»t, avait Ă©chouĂ© Ă  atteindre « un format esthĂ©tiquement satisfaisant »[8]. Selon Simion, la qualitĂ© d’innovation du roman rĂ©sidait dans sa technique, dans son projet de dĂ©peindre avec authenticitĂ© les expĂ©riences vĂ©cues, et dans les Ă©clairages qu’il offre de la psychologie de l’adolescent[8]. La rĂ©putation de ce roman provient aussi de ce que le narrateur y est dĂ©crit pratiquant l’auto-flagellation[8].

Le personnage central du roman d’Eliade Întoarcerea din rai (1934 ; trad. fr. « Retour du paradis », 2014) est de Paul (Pavel) Anicet, jeune homme recherchant la connaissance Ă  travers ce que Călinescu dĂ©signa par l’« excĂšs sexuel »[271], et qui au terme de sa quĂȘte se retrouve avec une sensibilitĂ© Ă©moussĂ©e : confrontĂ© Ă  la mort de son pĂšre, Anicet fond en larmes, mais seulement aprĂšs avoir assistĂ©, d’un bout Ă  l’autre, Ă  tout un long dĂźner[271]. Les autres personnages, destinĂ©s Ă  incarner la gĂ©nĂ©ration d’Eliade, recherchent tous la connaissance soit Ă  travers la violence, soit en se retirant du monde ; toutefois, Ă  l’opposĂ© d’Anicet, ils Ă©chouent finalement Ă  se dominer rigoureusement[271]. Paul lui-mĂȘme finit par abandonner sa croyance en l’érotisme comme moyen d’apprentissage, et se suicide dans l’espoir d’atteindre ainsi Ă  l’unitĂ© primordiale. Cette solution, comme le nota George Călinescu, fait Ă©cho au singulier meurtre dans les Caves du Vatican de Gide[271]. Eliade lui-mĂȘme indiqua que le sujet du livre Ă©tait « la perte de la bĂ©atitude, des illusions et de l’optimisme qui avaient dominĂ© les vingt premiĂšres annĂ©es de la Grande Roumanie[277]. Selon Robert Ellwood, le roman traduit le sentiment d’Eliade d’une perte de « l’atmosphĂšre d’euphorie et de foi » de son adolescence[234]. Călinescu critique Retour du paradis, qualifiant les dialogues de « maladroits », sa ligne narrative de « vide », et sa valeur artistique d’« inexistante », mais dĂ©clare que le lecteur pourrait nĂ©anmoins trouver l’ouvrage pertinent Ă  titre de « document d’une mentalitĂ© »[271].

Le long roman les Hooligans (Huliganii) se prĂ©sente comme une fresque familiale, mais derriĂšre celle-ci, c’est le tableau de toute une gĂ©nĂ©ration qui est brossĂ©. Le protagoniste central du livre, Petru Anicet, est un compositeur qui fait grand cas de l’expĂ©rimentation ; les autres personnages sont Dragu, qui estime qu’une « expĂ©rience de hooligan » (terme Ă  prendre au sens d'Ă©meutier) constitue « le seul dĂ©part dans la vie qui soit fĂ©cond », et le militant totalitaire Alexandru Pleșa, en quĂȘte de « vie hĂ©roĂŻque » Ă  travers l’enrĂŽlement de la jeunesse dans des « rĂ©giments parfaits, tous pareillement intoxiquĂ©s par un mythe collectif »[278] - [279]. Călinescu pense que les jeunes personnages masculins sont tous redevables au Raskolnikov de Fiodor DostoĂŻevski de Crime et ChĂątiment[270]. Anicet, qui partage en partie avec Pleșa l’idĂ©e d’une expĂ©rimentation collective, est Ă©galement portĂ© sur des aventures Ă©rotiques et entreprend de sĂ©duire les femmes de la famille Lecca, qui ont louĂ© ses services comme professeur de piano[270]. Le romancier d’origine roumaine Norman Manea qualifia l’expĂ©rience d’Anicet de « dĂ©fi ostentatif aux conventions bourgeoises, dĂ©fi dans lequel maladies vĂ©nĂ©riennes et lubricitĂ© se tiennent compagnie »[278]. Lors d’un Ă©pisode du livre, Anicet convainc Anișoara Lecca de voler, Ă  titre d’acte gratuit, ses propres parents, outrage qui conduira sa mĂšre Ă  la dĂ©chĂ©ance morale et finalement au suicide[270]. George Călinescu reprocha au roman ses incohĂ©rences et ses « excĂšs de dostoĂŻevskisme », mais dut mĂ©connaĂźtre que le portrait de la famille Lecca Ă©tait « suggestif » et que les scĂšnes dramatiques Ă©taient Ă©crites avec « une quiĂ©tude poĂ©tique remarquable »[270].

La matiĂšre du roman Nunta Ăźn cer (1938 ; trad. fr. sous le titre Noces au paradis, 1981) est constituĂ©e des Ă©changes Ă©pistolaires entre deux amis (masculins), dont l’un est un artiste et l’autre un homme ordinaire, et qui se lamentent de leurs respectives dĂ©convenues amoureuses : le premier se plaignant d’une amoureuse qui dĂ©sirait des enfants de lui alors qu’il n’en voulait pas, tandis que le deuxiĂšme Ă©voque son abandon par une femme qui, au contraire de son souhait Ă  lui, ne voulait pas devenir enceinte de lui. Eliade laisse entendre au lecteur qu’ils parlent en rĂ©alitĂ© d’une seule et mĂȘme femme[272].

Littérature fantastique


Les tout premiers ouvrages de Mircea Eliade, qui pour la plupart ne furent publiĂ©s qu’ultĂ©rieurement, appartiennent au genre fantastique. L’un des premiers parmi ces exercices littĂ©raires Ă  ĂȘtre imprimĂ©, Cum am găsit piatra filosofală (1921 ; Comment j’ai dĂ©couvert la pierre philosophale), rĂ©vĂšle que l’auteur Ă©tait attirĂ© dĂšs l’adolescence par les sujets qu’il allait ensuite explorer tout au long de sa carriĂšre, en particulier l’ésotĂ©risme et l’alchimie[8]. Écrit Ă  la premiĂšre personne, le rĂ©cit dĂ©peint une expĂ©rience qui, pendant un moment, semble aboutir Ă  la dĂ©couverte de la pierre philosophale[8]. Parmi les Ă©crits prĂ©coces d’Eliade sont Ă  ranger Ă©galement deux canevas de romans : Minunata călătorie a celor cinci cărăbuși in țara furnicilor roșii (litt. « le Merveilleux Voyage des cinq scarabĂ©es vers le pays des fourmis rouges ») et Memoriile unui soldat de plumb (« MĂ©moires d’un soldat de plomb »)[8]. Dans le premier citĂ©, une compagnie de scarabĂ©es espions est dĂ©pĂȘchĂ©e chez les fourmis rouges, et leur pĂ©riple fournit le prĂ©texte Ă  des commentaires satiriques[8]. Quant au deuxiĂšme, Memoriile unui soldat de plumb, Eliade indiqua lui-mĂȘme qu’il s’agissait d’un projet ambitieux, conçu comme une grande fresque englobant la naissance de l'univers, l’abiogĂ©nĂšse, l’évolution humaine, et toute l’histoire universelle[8].

Le conte fantastique Domnișoara Christina (1936 ; trad. fr. Mademoiselle Christina, 1978), qui provoqua un scandale[270], a pour sujet le destin d’une famille excentrique, les Moscu, dont la demeure est hantĂ©e par le fantĂŽme d’une jeune femme assassinĂ©e, connue sous le nom de Christina. L’apparition prĂ©sente quelques caractĂšres communs avec les vampires et les strigoi : il est rĂ©putĂ© boire le sang du bĂ©tail et celui d’un jeune membre de la famille[270]. Le jeune homme Egor devient la cible du dĂ©sir de Christina, et le conte le dĂ©crit faisant l’amour avec elle[270]. AprĂšs avoir observĂ© que l’intrigue et le dĂ©cor rappelaient les rĂ©cits d’épouvante de l’écrivain allemand Hanns Heinz Ewers, et avoir dĂ©fendu Domnișoara Christina contre les dures critiques, Călinescu souligna le caractĂšre « affligeant » de l’« environnement international » dans lequel surgit cette Ɠuvre[270]. Ayant relevĂ© dans le rĂ©cit un ensemble d’élĂ©ments renvoyant Ă  la nĂ©crophilie, au fĂ©tichisme menstruel et Ă  l’éphĂ©bophilie, il conclut que le livre Ă©tait sous-tendu par une propension Ă  cultiver une « profonde impuretĂ© »[270].

Le court rĂ©cit intitulĂ© Șarpele (1936 ; trad. fr. Andronic et le Serpent, 1979) fut caractĂ©risĂ© par George Călinescu comme « hermĂ©tique »[270]. Lors d’une randonnĂ©e en forĂȘt, plusieurs personnages sont tĂ©moins d’un acte de magie accompli par le personnage masculin d’Andronic, qui rĂ©ussit Ă  convoquer un serpent hors du fond d’une riviĂšre et Ă  le confiner sur une Ăźle. À la fin du rĂ©cit, Andronic et le personnage fĂ©minin de Dorina se retrouvent ensemble sur cette mĂȘme Ăźle, nus et enlacĂ©s en une sensuelle Ă©treinte[270]. Călinescu voulut y voir une allusion Ă  la gnose, Ă  la Kabbale et Ă  la mythologie babylonienne, tout en rattachant le serpent Ă  Ophion, figure anguipĂšde et symbole majeur de la mythologie grecque[270]. Il se dĂ©clara cependant insatisfait de cette mise en jeu d’images symboliques, trouvant cet artifice « languissant »[272].

La nouvelle Un om mare (1945 ; litt. Un grand homme), rĂ©digĂ©e pendant le sĂ©jour d’Eliade au Portugal, met en scĂšne une personne ordinaire, l’ingĂ©nieur Cucoanes, qui grandit incessamment et de façon incontrĂŽlĂ©e, atteignant des proportions Ă©normes et finissant par disparaĂźtre dans les zones inhabitĂ©es des Monts Bucegi[280]. Les rĂ©fĂ©rences de ce rĂ©cit furent consignĂ©es par Eliade dans la mĂȘme section de ses notes privĂ©es que celle oĂč il avait copiĂ© les expĂ©riences d’Aldous Huxley, constatation qui porta Matei Călinescu Ă  postuler que Un om mare Ă©tait un produit direct de la prise de drogues par l’auteur[82]. Ce mĂȘme commentateur, dans l’opinion de qui Un om mare Ă©tait « sans doute la nouvelle la plus mĂ©morable d’Eliade », Ă©tablit un lien avec les uriași, personnages de gĂ©ant issus du folklore roumain[280].

Autres Ă©crits

Eliade rĂ©interprĂ©ta la figure mythologique d’IphigĂ©nie dans sa piĂšce de thĂ©Ăątre homonyme de 1941. Ici en effet, la jeune fille s’éprend d’Achille, et accepte d’ĂȘtre sacrifiĂ©e sur le bĂ»cher, comme moyen d’assurer Ă  la fois le bonheur de son amant (en accord avec les prĂ©dictions d’un oracle) et la victoire de son pĂšre Agamemnon dans la guerre de Troie[281]. Commentant cette association entre amour et mort, Ă  quoi se livre le personnage d’IphigĂ©nie, le critique de thĂ©Ăątre roumain Radu Albala Ă©crivit qu’il s’agissait d’un possible Ă©cho de la lĂ©gende de Meșterul Manole, dans laquelle le maĂźtre-bĂątisseur du monastĂšre de Curtea de Argeș dut sacrifier son Ă©pouse en Ă©change de la permission d’achever l’ouvrage[281]. En opposition aux versions antĂ©rieures du mythe dues Ă  Euripide et Jean Racine, celle d’Eliade se termine par un sacrifice pleinement accompli[281].

À cĂŽtĂ© de son Ɠuvre de fiction, Eliade Ă©crivit en exil plusieurs volumes de mĂ©moires, de journaux intimes et de rĂ©cits de voyage, qui couvrent diffĂ©rentes phases de sa vie et furent publiĂ©s sporadiquement. L’un des premiers reprĂ©sentants de cet ensemble d’écrits est India, qui recueille les comptes rendus de ses dĂ©placements Ă  travers le sous-continent indien[81]. Sergio Vila-SanjuĂĄn, collaborateur au quotidien espagnol La Vanguardia, qualifia de « grand livre » le premier volume de l’Autobiographie d’Eliade (embrassant la pĂ©riode de 1907 Ă  1937), mais jugea que l’autre volume principal Ă©tait « plus conventionnel et insincĂšre »[7]. Selon Vila-SanjuĂĄn, ces textes rĂ©vĂ©leraient Mircea Eliade comme « un personnage dostoĂŻevskien », de mĂȘme que comme « une personne accomplie, une figure goĂ©thĂ©enne »[7].

Un ouvrage qui suscita un intĂ©rĂȘt particulier est son Jurnal portughez (litt. « Journal portugais »), achevĂ© de rĂ©diger pendant son sĂ©jour Ă  Lisbonne et publiĂ© seulement aprĂšs la mort de son auteur. Une portion de ce journal, celle qui traitait de son sĂ©jour en Roumanie, est supposĂ©e avoir Ă©tĂ© perdue[6]. Ses voyages en Espagne, relatĂ©s en partie dans Journal portugais, devinrent l’objet d’un volume Ă  part, Jurnal cordobez (litt. « Journal cordouan »), qu’Eliade composa Ă  partir de diffĂ©rents blocs-notes indĂ©pendants[81]. Jurnal portughez montre Eliade en butte Ă  la dĂ©pression et Ă  une crise politique, et fut considĂ©rĂ© par Andrei Oișteanu comme « une [expĂ©rience de lecture] absolument bouleversante, par l’immense souffrance que [le livre] exhale »[82]. Selon l’historien de la littĂ©rature Paul Cernat, une partie de l’ouvrage est « un chef-d’Ɠuvre de son Ă©poque », tandis que quelque 700 pages seraient mieux Ă  leur place dans la section Divers Ă©crits de la bibliographie d’Eliade[42]. Remarquant que le livre comprend des passages oĂč Eliade parle de lui-mĂȘme en termes Ă©logieux, notamment en se comparant favorablement Ă  Goethe et au poĂšte national roumain Mihai Eminescu, Cernat taxa l’écrivain d’« Ă©golĂątrie », et alla jusqu’à en infĂ©rer qu’Eliade Ă©tait « prĂȘt Ă  enjamber des cadavres au motif de sa 'mission' spirituelle »[42]. Les mĂȘmes passages portĂšrent le philosophe et journaliste Cătălin Avramescu Ă  estimer que le comportement d’Eliade dĂ©notait de la « mĂ©galomanie »[75].

Eliade est Ă©galement l’auteur de plusieurs essais de critique littĂ©raire. Dans sa jeunesse, parallĂšlement Ă  son Ă©tude sur Julius Evola, il publia des essais qui initiĂšrent le public roumain Ă  quelques auteurs reprĂ©sentatifs de la philosophie et de la littĂ©rature espagnole modernes, parmi lesquels Adolfo Bonilla San MartĂ­n, Miguel de Unamuno, JosĂ© Ortega y Gasset, Eugeni d'Ors, Vicente Blasco Ibåñez et Marcelino MenĂ©ndez y Pelayo[81]. Il Ă©crivit aussi un essai Ă  propos de l’Ɠuvre de James Joyce, en la mettant en liaison avec ses propres thĂ©ories sur l’éternel retour (« [la littĂ©rature de Joyce] est saturĂ©e de nostalgie du mythe de l’éternel recommencement »), et tenant Joyce lui-mĂȘme pour une figure anti-historiciste « archaĂŻque » entre les modernistes[282]. Dans les annĂ©es 1930, Eliade Ă©dita les Ɠuvres complĂštes de l’historien roumain Bogdan Petriceicu Hasdeu[8].

M. L. Ricketts dĂ©couvrit et traduisit en anglais une piĂšce de thĂ©Ăątre inĂ©dite Ă©crite par Mircea Eliade Ă  Paris en 1946 et intitulĂ©e Aventura Spirituală (« Une aventure spirituelle »). Le texte fut publiĂ© pour la premiĂšre fois dans Theory in Action, la revue du Transformative Studies Institute[283], en 2012. 

Adaptations Ă  l’écran

Controverse : antisémitisme et liens avec la Garde de fer

PremiĂšres prises de position publiques

Dans les premiĂšres annĂ©es de sa carriĂšre publique, Eliade se montra Ă©minemment tolĂ©rant vis-Ă -vis des juifs en gĂ©nĂ©ral, et de la minoritĂ© juive de Roumanie en particulier. Ainsi sa prĂ©coce condamnation des politiques antisĂ©mites nazies s’accompagna-t-elle, en ce qui concerne son propre pays, de nettes rĂ©serves Ă  l’égard des attaques de Nae Ionescu contre les juifs et de tentatives de sa part pour en attĂ©nuer les effets[47] - [284].

À la fin des annĂ©es 1930, Mihail Sebastian, ostracisĂ© par les mesures antisĂ©mites du gouvernement roumain, fut amenĂ© Ă  s’interroger sur l’engagement de ses amis roumains aux cĂŽtĂ©s de l’extrĂȘme droite. La rupture idĂ©ologique qui s’ensuivit entre Eliade et lui a Ă©tĂ© comparĂ©e par l’écrivain Gabriela Adamesteanu Ă  celle entre Jean-Paul Sartre et Albert Camus[278]. Dans son Journal, publiĂ© longtemps aprĂšs sa mort survenue en 1945, Sebastian affirme que les actions d’Eliade dans les annĂ©es 1930 tĂ©moignent bien de son antisĂ©mitisme ; selon Sebastian, Eliade fut aimable avec lui jusqu’au moment oĂč Eliade dĂ©cida de s’engager en politique et de couper en mĂȘme temps tous ses liens avec Sebastian[47] - [285]. Cependant, avant que leur relation d’amitiĂ© ne vĂźnt Ă  se briser, Sebastian s’accorda le loisir, affirme-t-il, de fixer par Ă©crit le contenu de leurs conversations (que d’ailleurs il publiera plus tard), lors desquelles Eliade aurait notamment exprimĂ© des points de vue antisĂ©mites. Aux dires de Sebastian, Eliade aurait dit en 1939 :

« La rĂ©sistance des Polonais Ă  Varsovie est une rĂ©sistance juive. Seuls les youpins sont capables de menacer d’envoyer femmes et enfants sur la ligne de front, pour tirer avantage des scrupules des Allemands. Les Allemands n’ont aucun intĂ©rĂȘt Ă  la destruction de la Roumanie. Un gouvernement pro-allemand seul peut nous sauver... Ce qui se passe Ă  la frontiĂšre avec la Bucovine est un scandale, car de nouvelles vagues de juifs sont en train d’inonder le pays. PlutĂŽt qu’une Roumanie une nouvelle fois envahie par les youtres, il serait prĂ©fĂ©rable d’avoir un protectorat allemand[286]. »

La relation d’amitiĂ© entre Eliade et Sebastian dĂ©clina abruptement durant la guerre : ce dernier, craignant pour sa sĂ©curitĂ© sous le rĂ©gime pro-nazi d’Ion Antonescu, espĂ©rait qu’Eliade, alors en fonction dans la diplomatie, intervĂźnt en sa faveur ; mais, lors de son bref retour en Roumanie, Eliade ne vit ni n’approcha Sebastian[7] - [47].

UltĂ©rieurement, Mircea Eliade exprimera ses regrets de n’avoir pas eu l’occasion de racheter son amitiĂ© avec Sebastian avant que celui-ci ne pĂ©rĂźt dans un accident de la route[42] - [79]. Paul Cernat dĂ©cela dans cette affirmation d’Eliade l’aveu qu’il « comptait sur le soutien [de Sebastian], en vue de se rĂ©intĂ©grer dans la vie et la culture roumaines », et suggĂšre qu’Eliade ait pu escompter de son ami qu’il se portĂąt garant de lui face Ă  des autoritĂ©s hostiles[42]. Certaines des derniĂšres notes consignĂ©es par Sebastian dans son journal indiquent que leur auteur repensait avec nostalgie Ă  ses anciens rapports avec Eliade, et qu’il en dĂ©plorait l’issue[7] - [47].

Eliade fournit deux explications distinctes de son refus de rencontrer Sebastian, la premiĂšre s’appuyant sur la circonstance que ses faits et gestes Ă©taient surveillĂ©s par la Gestapo, la seconde, formulĂ©e dans son journal, invoquant la honte qu’il aurait Ă©prouvĂ©e Ă  reprĂ©senter un rĂ©gime qui cherchait Ă  humilier les juifs, et qui lui faisait Ă©viter d’avoir Ă  affronter son ancien ami[47]. Un autre point de vue sur cette affaire fut donnĂ© en 1972 par le magazine israĂ©lien Toladot, qui souligna qu’en sa qualitĂ© de reprĂ©sentant officiel, Eliade Ă©tait au courant qu’Antonescu avait consenti Ă  la mise en Ɠuvre de la solution finale en Roumanie et savait comment cela Ă©tait susceptible d’affecter Sebastian[47]. D’autre part, des rumeurs circulaient selon lesquelles Sebastian et Nina Mareș Ă©taient amants, ce qui a pu contribuer au dissentiment entre les deux hommes de lettres[7].

Hormis son engagement dans un mouvement connu pour son antisĂ©mitisme, Eliade s’abstenait habituellement de faire des dĂ©clarations Ă  propos de la question juive. Un article cependant qu’il intitula Piloții orbi (« les Pilotes aveugles ») et qui parut dans le quotidien Vremea en 1936, atteste de ce qu’il souscrivait Ă  quelques-unes au moins des accusations profĂ©rĂ©es par la Garde de fer Ă  l’encontre de la communautĂ© juive :

« Depuis la guerre [comprendre : la PremiĂšre Guerre mondiale], les juifs se sont mis Ă  occuper les villages des Maramureș et de la Bucovine, et acquis la majoritĂ© absolue dans les bourgs et villes de Bessarabie[287]. [...] Il serait absurde de s’attendre Ă  ce que les juifs se rĂ©signent Ă  devenir une minoritĂ© avec certains droits et avec de trĂšs nombreux devoirs — aprĂšs qu’ils ont goĂ»tĂ© le miel du pouvoir et conquis autant de positions de commandement qu’il leur fut possible de faire. Les juifs se battent en ce moment de toutes leurs forces pour maintenir leurs positions, dans l’attente d’une future offensive — et, pour ma part, je comprends leur lutte et admire leur vitalitĂ©, tĂ©nacitĂ©, gĂ©nie[288]. »

Une annĂ©e plus tard, un texte, assorti de sa photo et censĂ© ĂȘtre sa rĂ©ponse Ă  une enquĂȘte menĂ©e par la revue Buna Vestire de la Garde de fer sur les motifs de soutenir ce mouvement, parut dans les colonnes de ladite revue. Le bref extrait suivant de ce texte pourrait dĂ©noter un sentiment anti-juif :

« La nation roumaine peut-elle finir sa vie dans le plus triste des dĂ©clins dont fĂ»t jamais tĂ©moin l’histoire, minĂ©e par la misĂšre et la syphilis, conquise par les juifs et mise en lambeaux par des Ă©trangers, dĂ©moralisĂ©e, trahie, vendue pour quelques millions de leis[47] - [289] ? »

D’aprĂšs le critique littĂ©raire Z. Ornea, Eliade nia, dans les annĂ©es 1980, la paternitĂ© de ce texte, expliquant que sa signature et sa photographie avaient Ă©tĂ© usurpĂ©es par Mihail Polihroniade, rĂ©dacteur en chef du magazine, pour en pourvoir un texte que ce dernier avait rĂ©digĂ© lui-mĂȘme aprĂšs avoir Ă©chouĂ© Ă  obenir la contribution d’Eliade ; il ajouta qu'Ă©tant donnĂ© son respect pour Polihroniade, il n’avait pas souhaitĂ© s’exprimer publiquement sur cette affaire antĂ©rieurement[290].

Exil et polémiques de son vivant

Dumitru G. Danielopol, confrĂšre diplomate en poste Ă  Londres pendant le sĂ©jour d’Eliade dans cette ville, dĂ©clara que celui-ci se plaisait Ă  s’identifier comme « un phare du mouvement [savoir : de la Garde de fer] » et comme une victime de la rĂ©pression exercĂ©e par Carol II[69]. En , lorsque l’« État national lĂ©gionnaire » vit le jour, le ministĂšre britannique des Affaires Ă©trangĂšres mit Mircea Eliade sur sa liste noire, aux cĂŽtĂ©s de cinq autres Roumains, en raison de ses accointances avec la Garde de fer et de soupçons qu’il s’apprĂȘtait Ă  espionner pour le compte de l’Allemagne nazie[92]. Selon diverses sources, le diplomate Eliade se proposait aussi, pendant qu’il rĂ©sidait comme diplomate au Portugal, d'y diffuser de la propagande en faveur de la Garde de fer[69]. Dans son Jurnal portughez, Eliade se dĂ©finit lui-mĂȘme comme « un LĂ©gionnaire » [7] - [42], et Ă©voque telle pĂ©riode de sa vie au dĂ©but des annĂ©es 1940 comme son « apothĂ©ose lĂ©gionnaire »[42] - [47].

La dĂ©politisation d’Eliade Ă  ses dĂ©buts dans la carriĂšre diplomatique Ă©tait Ă©galement vue avec mĂ©fiance par son ancien ami intime EugĂšne Ionesco, qui indiqua qu’à l’issue de la DeuxiĂšme Guerre mondiale, la conviction personnelle d’Eliade, telle qu’il en fit part Ă  ses amis, revenait Ă  dire que « tout est fichu dĂšs lors que le communisme a gagnĂ© »[291]. Ces rĂ©vĂ©lations font partie de l’examen sommaire et sĂ©vĂšre auquel Ionesco soumit, dans une lettre adressĂ©e Ă  Tudor Vianu, le parcours des diffĂ©rents intellectuels aux affinitĂ©s lĂ©gionnaires, dont beaucoup Ă©taient de ses amis ou de ses anciens amis[69] - [292]. En 1946, Ionesco communiqua Ă  Petru Comarnescu qu’il ne dĂ©sirait voir ni Eliade ni Cioran, et qu’il les considĂ©rait tous deux comme des « LĂ©gionnaires pour toujours », ajoutant : « nous sommes des hyĂšnes les uns pour les autres »[293].

Belu Zilber, communiste et ancien ami d’Eliade, refusa, lorsqu’il assista Ă  la confĂ©rence de Paris en 1946, de rencontrer Eliade, au motif que celui-ci, quand il Ă©tait affiliĂ© Ă  la Garde de fer, avait « dĂ©noncĂ© les gens de gauche », et prĂ©cisa, opposant Eliade Ă  Cioran, que « tous deux sont des LĂ©gionnaires, mais [que Cioran] est, lui, honnĂȘte »[294]. Trois ans aprĂšs, les activitĂ©s politiques d’Eliade furent Ă  nouveau l’objet de dĂ©bats quand une traduction italienne de son Techniques du Yoga Ă©tait sur le point d’ĂȘtre publiĂ©e Ă  la maison d’édition Giulio Einaudi, aux penchants de gauche ; la polĂ©mique fut probablement orchestrĂ©e par les autoritĂ©s roumaines[295].

En , lorsque Horia Sima, qui dirigeait la Garde de fer dĂ©sormais en exil, fut rĂ©pudiĂ© par une faction au sein de ce mouvement, le nom de Mircea Eliade figurait sur une liste de personnes soutenant Sima, encore qu’il soit toujours possible que cette mention ait Ă©tĂ© faite sans son consentement[295]. Selon le tĂ©moignage du dissident en exil et romancier Dumitru Țepeneag, Eliade aurait exprimĂ© vers cette mĂȘme Ă©poque sa sympathie envers les membres de la Garde de fer en gĂ©nĂ©ral, qu’il dĂ©crivait comme « courageux »[296]. À l’inverse, selon Robert Ellwood, le Mircea Eliade qu’il frĂ©quenta dans les annĂ©es 1960 Ă©tait totalement apolitique, se tenait Ă  l’écart des « passions politiques de ce temps-lĂ  aux États-Unis », et « disait-on, ne lisait jamais les journaux »[297], jugement partagĂ© par Sorin Alexandrescu[6]. Ioan Petru Culianu, l’un des disciples d’Eliade, rappela que les journalistes dĂ©signaient l’universitaire roumain comme « le grand reclus »[9]. Nonobstant son retrait de l’engagement politique radical, la prospĂ©ritĂ© de la Roumanie continua, poursuivit Ellwood, Ă  le prĂ©occuper. Il se voyait, lui et d’autres intellectuels roumains en exil, comme membres d’un cercle Ɠuvrant Ă  « maintenir la culture d’une Roumanie libre et, par-dessus tout, Ă  publier des textes devenus impubliables en Roumanie mĂȘme »[298].

À partir de 1969, le passĂ© d’Eliade devint sujet Ă  dĂ©bat public en IsraĂ«l. L’historien Gershom Scholem demanda Ă  Eliade de s’expliquer sur ses anciennes attitudes, ce que celui-ci consentit Ă  faire, mais en termes vagues[47] - [69] - [299]. Au terme de cet Ă©change, Scholem manifesta son insatisfaction, et argua qu’IsraĂ«l ne saurait souhaiter la bienvenue Ă  l’universitaire roumain[69]. Dans les derniĂšres annĂ©es de la vie d’Eliade, son disciple Culianu mit au jour et critiqua publiquement ses activitĂ©s en faveur de la Garde de fer dans les annĂ©es 1930 ; les relations entre les deux hommes s’en aigrirent[300]. L’autre disciple roumain d’Eliade, Andrei Oișteanu, observa que dans les annĂ©es qui suivirent la mort d’Eliade, des conversations avec diffĂ©rentes personnes ayant connu Eliade avaient rendu Culianu moins sĂ»r de ses affirmations antĂ©rieures, et l’avaient portĂ© Ă  dĂ©clarer : « Monsieur Eliade n’a jamais Ă©tĂ© antisĂ©mite, membre de la Garde de fer, ou pro-nazi. Mais, en tout Ă©tat de cause, je suis portĂ© Ă  croire qu’il Ă©tait plus proche de la Garde de fer que je n’aurais aimĂ© le croire »[301].

Dans les premiers temps de sa polĂ©mique avec Culianu, Mircea Eliade dĂ©plora dans un de ses Ă©crits qu’« il ne soit pas possible d’écrire une histoire objective » de la Garde de fer et de son chef Corneliu Zelea Codreanu[302]. AllĂ©guant que les gens « ne voudront accepter rien moins que des apologĂ©tiques [...] ou des exĂ©cutions », il soutint : « AprĂšs Buchenwald et Auschwitz, mĂȘme des personnes honnĂȘtes sont incapables d’objectivitĂ© »[302].

Polémiques posthumes

Outre les arguments prĂ©sentĂ©s par Daniel Dubuisson, les points de vue critiques sur l’engagement politique de Mircea Eliade et son adhĂ©sion Ă  l’antisĂ©mitisme et au fascisme ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©s par Adriana Berger, Leon Volovici, Alexandra Lagniel-Lavastine, Florin Țurcanu et d’autres, qui se sont attachĂ©s Ă  dĂ©celer des indices d’antisĂ©mitisme chez Eliade aussi bien dans son Ɠuvre Ă©crite qu'Ă  travers ses liaisons avec des antisĂ©mites contemporains, tels que le fasciste occultiste italien Julius Evola. Volovici, par exemple, reproche Ă  Eliade non seulement son appui Ă  la Garde de fer, mais aussi d’avoir rĂ©pandu l’antisĂ©mitisme et l’antimaçonnisme en Roumanie dans les annĂ©es 1930[303]. En 1991, le romancier exilĂ© Norman Manea fit paraĂźtre un essai oĂč il condamnait fermement l’attachement d’Eliade Ă  la Garde de fer[7].

À l’opposĂ©, d’autres universitaires, comme Bryan Rennie, ont affirmĂ© qu’il n’y a pas Ă  ce jour de preuves de l’affiliation d’Eliade, ou de services actifs rendus par lui, Ă  quelque mouvement ou organisation fasciste ou totalitaire que ce soit, ni d’engagement rĂ©el de sa part dans un tel mouvement, ni davantage d’indication d’un appui continu prĂȘtĂ© par lui Ă  des idĂ©aux nationalistes aprĂšs que leur nature fondamentalement violente eĂ»t Ă©tĂ© mise au jour. Ils soutiennent d’autre part que l’enseignement et les travaux d’Eliade ne sont porteurs d’aucune empreinte d’opinions politiques explicites, ajoutant que ceux qui attaquent Eliade poursuivent des objectifs politiques[32] - [304]. L’universitaire roumain Mircea Handoca, responsable de l’édition roumaine des Ă©crits d’Eliade, affirme que la controverse autour d’Eliade avait Ă©tĂ© attisĂ©e par un groupe d’écrivains en exil, dont Manea Ă©tait un des principaux reprĂ©sentants, et pense pour sa part que l’association d’Eliade avec la Garde de fer relevait de la conjecture, induite chez certains critiques par l’attachement du jeune Eliade aux valeurs chrĂ©tiennes et par ses positions conservatrices, de mĂȘme que par sa croyance qu’une Roumanie lĂ©gionnaire pourrait faire pendant Ă  l’Estado Novo portugais[7]. Handoca pense qu’Eliade revit ses positions dĂšs qu’il eut dĂ©couvert que les LĂ©gionnaires avaient versĂ© dans la violence, et assure qu’il n’y existe aucune preuve rĂ©elle de l’affiliation d’Eliade Ă  la Garde de fer comme mouvement politique[7]. De plus, JoaquĂ­n GarrigĂłs, traducteur de l’Ɠuvre d’Eliade en langue espagnole, certifia qu’aucun des textes d’Eliade qu’il lui avait Ă©tĂ© donnĂ© de consulter ne le montre comme Ă©tant antisĂ©mite[7]. Sorin Alexandrescu, neveu de Mircea Eliade et son commentateur, certifie que les opinions politiques d’Eliade Ă©taient essentiellement conservatrices et patriotiques, motivĂ©es en partie par sa crainte de l’Union soviĂ©tique, crainte partagĂ©e par nombre d’autres jeunes intellectuels[7]. Arguant de l’admiration Ă©prouvĂ©e par Eliade pour Gandhi, diffĂ©rents autres auteurs concluent qu’Eliade devait ĂȘtre un avocat de la non-violence[7].

Robert Ellwood met lui aussi l’engagement d’Eliade dans la Garde de fer en relation avec son conservatisme, et fait le lien entre d’une part cet aspect de la vie d’Eliade et d’autre part sa nostalgie et ses recherches sur les sociĂ©tĂ©s primitives. Selon Ellwood, la part d’Eliade qui ressentait une attirance pour « la libertĂ© de nouveaux commencements telle que suggĂ©rĂ©e par les mythes primitifs » est la mĂȘme que celle qui Ă©prouvait de l’attrait pour la Garde de fer, avec sa notion quasi mythologique d’un nouveau commencement par une « rĂ©surrection nationale »[305] ; plus fondamentalement encore, Ellwood voit Eliade comme une personne « instinctivement spirituelle » qui comprenait la Garde de fer comme un mouvement spirituel[306]. Dans l’opinion d’Ellwood, Eliade Ă©tait conscient que l’« Ăąge d’or » de l’antiquitĂ© Ă©tait dĂ©sormais hors de portĂ©e pour un profane, que cet Ăąge pouvait ĂȘtre rappelĂ© mais non rĂ©instaurĂ© ; aussi un « Ăąge d’argent secondaire s’étendant sur les quelques derniĂšres centaines d’annĂ©es », sous les espĂšces de la renaissance culturelle du royaume de Roumanie au XIXe siĂšcle, a-t-il dĂ» lui apparaĂźtre comme un objet de nostalgie « plus accessible »[307]. Pour le jeune Eliade, la Garde de fer dut sembler une voie par oĂč revenir Ă  l’ñge d’argent d’une Roumanie glorieuse, ce mouvement annonçant en effet vouloir « se vouer au renouveau culturel et national du peuple roumain par un appel Ă  ses racines spirituelles »[297]. Ellwood dĂ©peint le jeune Eliade comme quelqu’un de « capable d’ĂȘtre enflammĂ© par des archĂ©types mythologiques et inconscient du mal qui allait se dĂ©chaĂźner »[308].

Compte tenu qu’Eliade s’est plus tard mis en retrait de la politique, et eu Ă©gard aussi au caractĂšre trĂšs personnel et idiosyncratique de sa forme ultĂ©rieure de religiositĂ©[264], Ellwood conjecture que l’Eliade de la maturitĂ© aurait probablement rejetĂ© le « sacrĂ© corporatiste » de la Garde de fer[264]. Selon Ellwood, le dĂ©sir d’une « rĂ©surrection » de la Roumanie, Ă©prouvĂ© par l’Eliade de la maturitĂ©, est certes le mĂȘme dĂ©sir que celui qui porta le jeune Eliade Ă  soutenir la Garde de fer, mais l’auteur mĂ»r s’est efforcĂ© de lui donner une expression apolitique sous la forme d’un engagement Ă  « prĂ©server la culture d’une Roumanie libre » dans son pays d’origine de l’autre cĂŽtĂ© de l’ocĂ©an[309]. Dans l’un de ses textes, Eliade Ă©crivit : « contre la terreur de l’Histoire, seules existent deux possibilitĂ©s de dĂ©fense : l’action ou la contemplation »[310] ; selon Ellwood, le jeune Eliade choisit la premiĂšre option, tentant de rĂ©former le monde par l’action, tandis que l’Eliade mĂ»r essaya de rĂ©sister intellectuellement Ă  la terreur de l’Histoire[234].

La version des Ă©vĂ©nements donnĂ©e par Eliade lui-mĂȘme, version oĂč son implication dans la politique d’extrĂȘme droite est prĂ©sentĂ©e comme marginale, se rĂ©vĂ©la contenir plusieurs imprĂ©cisions et des affirmations non vĂ©rifiables[69] - [311]. Par exemple, Eliade dit que son amitiĂ© pour Nae Ionescu avait seule donnĂ© lieu Ă  son arrestation[312]. L’on sait qu’à une autre occasion, rĂ©agissant Ă  une requĂȘte de Gershom Scholem, il nia expressĂ©ment avoir jamais contribuĂ© Ă  la revue Buna Vestire[69]. Sorin Antohi relĂšve d’autre part qu’« Eliade mourut sans jamais avoir clairement exprimĂ© de regrets pour ses sympathies envers la Garde de fer »[313]. Z. Ornea remarqua que dans un bref passage de son Autobiographie, celui oĂč il Ă©voque l’incident Einaudi, Eliade parle de « mes actes imprudents et mes erreurs commis dans ma jeunesse » comme d’« une sĂ©rie de malentendus qui devaient me poursuivre toute ma vie »[314] ; Ornea observa que c’était lĂ  la seule fois oĂč l’universitaire roumain commenta son engagement politique avec une dose d’auto-critique, et fit contraster cette dĂ©claration avec l’habituel refus d’Eliade de discuter « pertinemment » de ses anciennes positions[295]. Ayant passĂ© en revue les arguments avancĂ©s en soutien d’Eliade, Sergio Vila-SanjuĂĄn conclut : « NĂ©anmoins, les billets pro-LĂ©gionnaires d’Eliade perdurent dans les bibliothĂšques de presse, et il ne fit jamais montre de regret pour ses liens [avec la Garde de fer] et ne cessa, jusque dans ses tout derniers Ă©crits, d’invoquer la figure de son maĂźtre Nae Ionescu »[7].

Dans son Felix Culpa, Manea accusa directement Eliade d’avoir enjolivĂ© ses mĂ©moires dans le but de minimiser un passĂ© embarrassant[7]. La parution de Jurnalul portughez relança le dĂ©bat Ă  propos de la rĂ©ticence d’Eliade Ă  dĂ©savouer la Garde de fer. Sorin Alexandrescu dit pouvoir conclure de certaines notes de ce journal qu’Eliade avait bien « rompu avec son passĂ© d’extrĂȘme droite »[6]. Cătălin Avramescu taxa cette conclusion de tentative de le « blanchir », et, rĂ©agissant Ă  l’assertion d’Alexandrescu selon laquelle le soutien de son oncle Ă  la Garde de fer avait toujours Ă©tĂ© superficielle, expliqua qu’en fait Jurnal portughez, ainsi que d’autres Ă©crits de la mĂȘme Ă©poque, manifestait le dĂ©senchantement d’Eliade Ă  la suite des positions pro-chrĂ©tiennes des LĂ©gionnaires et, parallĂšlement, sa sympathie croissante pour le nazisme et les penchants paĂŻens de celui-ci[75]. Paul Cernat, aprĂšs avoir soulignĂ© que c’était le seul des ouvrages autobiographiques d’Eliade Ă  n’avoir pas Ă©tĂ© remaniĂ© par son auteur, conclut que le livre prouve a contrario qu’Eliade avait toujours tentĂ© de « camoufler » ses sympathies politiques au lieu de les rejeter rĂ©solument et pour de bon[42].

Andrei Oișteanu argua que dans sa maturitĂ©, Eliade s’était Ă©loignĂ© de ses anciennes positions et qu’il en Ă©tait mĂȘme venu jusqu’à sympathiser avec la gauche non-marxiste et avec le mouvement hippie[89] - [95]. Il nota que si Eliade s’était effrayĂ© au dĂ©but des consĂ©quences du militantisme hippie, les intĂ©rĂȘts que lui et eux partageaient, en plus de leur position en faveur du communalisme et de l’amour libre, l’avaient amenĂ© Ă  estimer que les hippies formaient un « mouvement quasi religieux » qui « redĂ©couvrait la sacralitĂ© de la vie »[315]. AprĂšs avoir proposĂ© de diviser les commentateurs d’Eliade en deux camps, l’un « maximaliste » et l’autre « minimaliste » — le premier tendant Ă  amplifier, le second Ă  estomper l’importance de l’impact qu’eurent sur Eliade les idĂ©es lĂ©gionnaires —, Oișteanu prĂŽna une attitude de modĂ©ration en rappelant que les tentations fascistes d’Eliade Ă©taient Ă  corrĂ©ler avec les choix politiques de sa gĂ©nĂ©ration dans son ensemble[299].

Symbolisme politique dans la fiction d’Eliade

Plusieurs analystes ont tentĂ© de mettre les Ɠuvres de fiction d’Eliade en rapport avec ses conceptions politiques, et avec la politique roumaine en gĂ©nĂ©ral. TrĂšs tĂŽt dĂ©jĂ , George Călinescu mit en Ă©vidence que le modĂšle totalitaire esquissĂ© dans le roman Huliganii s'appuyait sur « une allusion Ă  certains mouvements politiques de jadis [...], sublimĂ©s dans une philosophie de la mort, abstruse s’il en est, et tenue pour le chemin de la connaissance »[270]. À l’inverse, Întoarcerea din rai prend pour sujet, entre autres, une rĂ©bellion communiste avortĂ©e, dans laquelle les personnages principaux avaient Ă©tĂ© amenĂ©s Ă  s’engager[271].

Le sacrifice d’IphigĂ©nie, devenu un acte volontaire dans la version qu’en donna Eliade, fut interprĂ©tĂ© par diffĂ©rents commentateurs, Ă  commencer par Mihail Sebastian, comme une allusion complaisante Ă  la foi dans l’engagement et dans la mort, telle que professĂ©e par la Garde de fer, ainsi qu’à l’issue sanglante de la rĂ©bellion des LĂ©gionnaires de 1941[47]. Dix ans aprĂšs la premiĂšre, lorsque la piĂšce fut rĂ©Ă©ditĂ©e par d’anciens LĂ©gionnaires rĂ©fugiĂ©s en Argentine, le texte de cette nouvelle Ă©dition fut rĂ©visĂ© avant publication par Eliade lui-mĂȘme[47]. C’est du reste la lecture d’Iphigenia qui incita Culianu Ă  effectuer des recherches sur les affiliations politiques passĂ©es de son ancien mentor[47].

Un om mare fut Ă  l’origine d’une controverse particuliĂšre, lorsque Culianu crut dĂ©celer dans le personnage central une rĂ©fĂ©rence directe Ă  Corneliu Zelea Codreanu et Ă  sa montĂ©e en popularitĂ©, interprĂ©tation reposant en partie sur une similaritĂ© entre, d’une part, deux sobriquets dont avait Ă©tĂ© affublĂ© le chef lĂ©gionnaire (l’un par ses adversaires, l’autre par ses partisans), et d’autre part, sur le nom mĂȘme du personnage principal, Cucoanes[280]. Matei Călinescu, sans rejeter la lecture de Culianu, argumenta qu’en tout Ă©tat de cause, la piĂšce en tant que telle s’était toujours dĂ©robĂ©e Ă  toute interpretation politique[280]. Commentant cet Ă©change, l’historien de la littĂ©rature et essayiste Mircea Iorgulescu mit en doute l’assertion originale de Culianu, puisque, Ă  sa connaissance, il n’existe aucune preuve historique pour Ă©tayer un tel point de vue[280].

En marge des Ɠuvres principales d’Eliade, sa tentative littĂ©raire de jeunesse, le roman fantastique Minunata călătorie a celor cinci cărăbuși in țara furnicilor roșii, qui met en scĂšne une population de fourmis rouges vivant dans une sociĂ©tĂ© totalitaire et se constituant en bandes pour harceler les scarabĂ©es, a pu ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme une allusion Ă  l’Union soviĂ©tique et au communisme[8]. Bien qu’Eliade finĂźt par ĂȘtre admis en Roumanie communiste, cette Ɠuvre fut interdite de publication pendant cette pĂ©riode, la censure officielle y ayant en effet identifiĂ© quelques fragments jugĂ©s spĂ©cialement problĂ©matiques par les censeurs[8].

Postérité

Hommages et rémanence

Buste d’Eliade dans l’allĂ©e des Classiques Ă  Chișinău.

Une chaire d’Histoire des religions, financĂ©e par un fonds de dotation et rattachĂ©e Ă  la Divinity School de l’universitĂ© de Chicago, reçut le nom d’Eliade en reconnaissance de son importante contribution Ă  la recherche thĂ©orique dans ce domaine ; la titulaire actuelle (et la premiĂšre en exercice) est Wendy Doniger.

Pour Ă©valuer les apports d’Eliade et de Joachim Wach Ă  la discipline de l’Histoire des religions, l’universitĂ© de Chicago choisit l’annĂ©e 2006 (situĂ©e Ă  mi-chemin entre le 50e anniversaire de la mort de Wach et le 100e anniversaire de la naissance d’Eliade) comme date d’une confĂ©rence de deux jours consacrĂ©e Ă  Ă©changer des rĂ©flexions sur la contribution universitaire respective de ces deux auteurs, ainsi que sur leur attitude politique (dĂ»ment recadrĂ©e dans le contexte social et historique) et sur les rapports entre leur vie et leur Ɠuvre[87].

En 1990, dans le sillage de la RĂ©volution roumaine, Eliade fut Ă©lu Ă  titre posthume membre de l’AcadĂ©mie roumaine. En Roumanie mĂȘme, la revue Archaeus (revue fondĂ©e en 1997, et affiliĂ©e Ă  la facultĂ© d’histoire de l’universitĂ© de Bucarest) Ă©tablit un Ă©tat rĂ©capitulatif de l’hĂ©ritage de Mircea Eliade dans le domaine de l’Histoire des religions. La 6e ConfĂ©rence spĂ©ciale de l’Association europĂ©enne pour l’étude de la Religion et de l’Association internationale d’histoire des religions, consacrĂ©e Ă  l’Histoire religieuse de l’Europe et de l’Asie, eut lieu Ă  Bucarest du au ; une section importante de ce congrĂšs Ă©tait dĂ©diĂ©e Ă  la mĂ©moire de Mircea Eliade, dont l’hĂ©ritage dans le domaine de l’Histoire des religions fut soigneusement examinĂ© par diffĂ©rents universitaires, certains desquels avaient Ă©tĂ© ses Ă©tudiants Ă  l’universitĂ© de Chicago[316].

Comme il fut soulignĂ© par Sorin Antohi, Eliade, Emil Cioran et Constantin Noica « reprĂ©sentent, dans la culture roumaine, les expressions ultimes de l’excellence, [Eliade et Cioran] ayant apportĂ© la preuve que la culture roumaine de l’entre-deux-guerres (et, par extension, la culture roumaine dans son ensemble) Ă©tait Ă  mĂȘme d’atteindre le plus haut niveau de profondeur, de raffinement et de crĂ©ativitĂ© »[313]. Lors d’une enquĂȘte menĂ©e en 2006 par une chaĂźne de la tĂ©lĂ©vision publique roumaine pour dĂ©signer les Plus Grands Roumains de l’histoire, Mircea Eliade arriva au 7e rang ; son dossier avait Ă©tĂ© dĂ©fendu par le journaliste Dragoș Bucurenci. Un boulevard du quartier Primăverii, dans le nord de Bucarest, fut rebaptisĂ© Ă  son nom, de mĂȘme qu’une rue Ă  Cluj-Napoca, et son nom fut donnĂ© Ă  des lycĂ©es Ă  Bucarest, Sighișoara et Reșița. La maison des Eliade rue Melodiei Ă  Bucarest fut dĂ©molie sous le rĂ©gime communiste et un immeuble Ă  appartements Ă©rigĂ© Ă  sa place ; sa deuxiĂšme rĂ©sidence, boulevard Dacia, porte une plaque commĂ©morative en son honneur[7].

L’image d’Eliade dans la perception contemporaine s’explique aussi par sa dimension politique. L’historien Irina Livezeanu note que le respect dont il jouit en Roumanie correspond Ă  celui portĂ© Ă  d’autres « penseurs et politiciens nationalistes » ayant « fait leur rentrĂ©e sur la scĂšne contemporaine en grande partie comme des hĂ©ros d’un passĂ© prĂ©- et anticommuniste », notamment Nae Ionescu et Cioran, mais aussi Ion Antonescu et Nichifor Crainic[317]. Par ailleurs, selon Oișteanu, qui s’appuie sur les notes personnelles d’Eliade lui-mĂȘme, il y avait un intĂ©rĂȘt rĂ©ciproque entre l’auteur et la communautĂ© hippie amĂ©ricaine, certains membres de celle-ci voyant mĂȘme dans Eliade « un gourou »[89].

À partir de 1970, Eliade fut membre du comitĂ© de patronage de la revue Nouvelle École du Groupement de recherche et d'Ă©tudes pour la civilisation europĂ©enne (GRECE) aux cĂŽtĂ©s notamment de personnalitĂ©s comme Jean Mabire et Roland Gaucher, mais aussi des reprĂ©sentants de l'Ă©sotĂ©risme et du mysticisme tels que Raymond Abellio ou Louis Pauwels[318]. La figure d’Eliade fut Ă©galement convoquĂ©e, aux cĂŽtĂ©s de Julius Evola, comme source d’inspiration et maĂźtre Ă  penser par les reprĂ©sentants de la Nouvelle Droite allemande se rĂ©clamant de la rĂ©volution conservatrice des annĂ©es 1920 en Allemagne (on citera Ă  cet Ă©gard en particulier le magazine controversĂ© Junge Freiheit et l’essayiste Karlheinz Weißmann)[319] - [320]. Cependant les intellectuels de ce rĂ©seau ont aussi utilisĂ© la pensĂ©e de bon nombre d'autres savants rĂ©putĂ©s comme Georges DumĂ©zil, Christian J. Guyonvarc'h, Martin Heidegger, etc.[321]. En 2007, la biographie d’Eliade par Florin Țurcanu fut publiĂ©e dans une traduction allemande par la maison d’édition Antaios, qui est un organe de la Neue Rechte[320] ; la grande presse allemande n’en fit du reste aucune recension[320]. D’autres sections de l’extrĂȘme droite europĂ©enne revendiquent aussi Eliade comme leur inspirateur, et lui imputent Ă  mĂ©rite ses relations avec la Garde de fer ; on citera ici les exemples du nĂ©o-fasciste italien Claudio Mutti et des groupements roumains qui se plaisent Ă  faire remonter leurs origines au Mouvement lĂ©gionnaire[299].

Dans Occultisme, sorcellerie et modes culturelles (1978), Eliade n'hésita pas à témoigner de son admiration pour René Guénon, ce qui a contribué à ranger ses travaux du cÎté de l'ésotérisme[322].

Références à Eliade dans la littérature, au cinéma et au théùtre

Peu aprĂšs leur parution, les romans et nouvelles de Mircea Eliade furent souvent la cible de traitements satiriques : ainsi, avant qu’ils ne deviennent amis, Nicolae Steinhardt, usant du pseudonyme d’Antisthius, en publia-t-il plusieurs parodies[13]. Maitreyi Devi, qui s’insurgea contre le compte rendu fait par Eliade de leur rencontre et de leurs relations, en donnera, en guise de rĂ©plique aux Nuits bengali, sa propre version romancĂ©e, rĂ©digĂ©e originellement en langue bengali, sous le titre de Na Hanyate, puis traduite en anglais sous le titre It Does Not Die[33]. Plusieurs auteurs, dont Ioan Petru Culianu, ont dressĂ© un parallĂšle entre la piĂšce Rhinoceros d’EugĂšne Ionesco, de 1959, qui appartient au thĂ©Ăątre de l'absurde et met en scĂšne la population d’une petite ville en proie Ă  une mĂ©tamorphose collective, et l’impact qu’eut le fascisme dans l'entre-deux-guerres sur certains des proches amis d’Ionesco, parmi lesquels Eliade[323].

En 2000, Saul Bellow fit paraĂźtre son controversĂ© roman Ravelstein, dont l’action se dĂ©roule Ă  l’universitĂ© de Chicago et dont un des personnages est Radu Grielescu, que plusieurs critiques ont identifiĂ© avec Eliade. Le portrait de celui-ci, brossĂ© Ă  travers les dĂ©clarations du personnage Ă©ponyme, est sujet Ă  polĂ©mique : Grielescu, prĂ©sentĂ© comme un disciple de Nae Ionescu, avait pris part au pogrom de Bucarest de 1941, et se trouve Ă  Chicago en tant qu’universitaire rĂ©fugiĂ©, sollicitant l’amitiĂ© d’un confrĂšre juif en vue de sa propre rĂ©habilitation[324]. La critique littĂ©raire et traductrice roumaine Antoaneta Ralian, qui connaissait personnellement Bellow, expliqua dans un article de 2005 que ce portrait peu flatteur Ă©tait en grande partie attribuable Ă  certaines circonstances particuliĂšres dans la vie de Bellow, qui en effet venait de divorcer de son Ă©pouse Alexandra Bagdasar, Roumaine d’origine et disciple d’Eliade [325] ; elle tint aussi Ă  rappeler que lors d’un entretien en 1979, Bellow exprima son admiration pour Eliade[325].

Le film La Nuit bengali, de 1988, mis en scĂšne par Nicolas Klotz, sur un scĂ©nario de Jean-Claude CarriĂšre d’aprĂšs la traduction française de Maitreyi, est interprĂ©tĂ© par l’acteur britannique Hugh Grant dans le rĂŽle d’Allan, le personnage europĂ©en inspirĂ© d’Eliade, et par Supriya Pathak dans le rĂŽle de Gayatri, personnage basĂ© sur la figure de Maitreyi Devi (laquelle avait refusĂ© qu’on la citĂąt nommĂ©ment)[33]. Le film, taxĂ© de pornographique par des militants hindous, ne fut projetĂ© qu’une seule fois en Inde[33]. Outre la Nuit bengali, les films tirĂ©s d’Ɠuvres d’Eliade, ou s’y rĂ©fĂ©rant, sont entre autres : Mircea Eliade et la redĂ©couverte du SacrĂ© (1987), qui s’inscrit dans la sĂ©rie documentaire tĂ©lĂ©visĂ©e Architecture et GĂ©ographie sacrĂ©es de Paul Barba-Negra ; Domnișoara Christina, film roumain de 1992, mis en scĂšne par Viorel Sergovici ; Eu Adam (1996), de Dan Pita ; et l'Homme sans Ăąge (2007, d’aprĂšs Jeunesse sans jeunesse), de Francis Ford Coppola.

Dans les derniĂšres annĂ©es du rĂ©gime de Nicolae Ceaușescu, la piĂšce de thĂ©Ăątre Iphigenia figura de nouveau dans les programmes des thĂ©Ăątres ; en , une nouvelle version, mise en scĂšne par Ion Cojar, eut sa premiĂšre au ThĂ©Ăątre national de Bucarest, avec dans les rĂŽles principaux Mircea Albulescu, Tania Filip et Adrian Pintea[281]. Parmi les Ɠuvres d’Eliade adaptĂ©es au thĂ©Ăątre, citons encore : La Țigănci, qui fit l’objet de deux adaptations, Cazul Gavrilescu (« l’Affaire Gavrilescu »), mis en scĂšne par Gelu Colceag et reprĂ©sentĂ© au thĂ©Ăątre Nottara[326], et une piĂšce homonyme du metteur en scĂšne Alexandru Hausvater, dont la premiĂšre eut lieu au thĂ©Ăątre Odeon de Bucarest en 2003 (avec notamment Adriana Trandafir, Florin Zamfirescu et Carmen Tănase dans la distribution)[327]. En , Ă  l’occasion du 100e anniversaire de la naissance d’Eliade, la SociĂ©tĂ© roumaine de radiodiffusion organisa une Semaine Mircea Eliade, durant laquelle furent diffusĂ©es plusieurs adaptations pour la radio d’Ɠuvres de l’auteur[328]. En septembre de cette mĂȘme annĂ©e, la metteuse en scĂšne et auteur dramatique Cezarina Udrescu rĂ©alisa un spectacle multimĂ©dia inspirĂ© d’un certain nombre d’Ɠuvres Ă©crites par Mircea Eliade lors de son sĂ©jour au Portugal ; intitulĂ© Apocalipsa după Mircea Eliade (« l’Apocalypse selon Mircea Eliade »), le spectacle, interprĂ©tĂ© par Ion Caramitru, Oana Pellea et Răzvan Vasilescu, eut lieu dans le cadre d’un festival culturel organisĂ© par la radio publique roumaine[329]. Du rĂ©cit Domnișoara Christina furent tirĂ©s deux livrets d’opĂ©ra : le premier opĂ©ra, de mĂȘme titre, est l’Ɠuvre du compositeur roumain Șerban Nichifor et connut sa premiĂšre reprĂ©sentation en 1981 sous l’égide de la radio publique roumaine[330] ; le second, intitulĂ© La señorita Cristina, fut Ă©crit par le compositeur espagnol Luis de Pablo et jouĂ© pour la premiĂšre fois en l’an 2000 au Teatro Real de Madrid[81].

Publications (liste non exhaustive)

Travaux historiques, essais

  • Yoga, essai sur les origines de la mystique indienne, Bucarest-Paris, P. Geuthner, Fundatia pentru literatură, « BibliothĂšque de philosophie roumaine », 1936.
  • (ro) Salazar și revoluția din Portugalia, București, Gujan, 1942.
  • Os Romenos latinos do Oriente, Lisboa, Livraria ClĂĄssica Editora, 1943.
  • Technique du Yoga, Paris, Gallimard, 1948.
  • Le Mythe de l'Ă©ternel retour. ArchĂ©types et rĂ©pĂ©tition, traduit du roumain par Jean Gouillard et Jacques Soucasse, Paris, Gallimard, « Les Essais », 1949 ; nouvelle Ă©dition revue et augmentĂ©e, « IdĂ©es », 1969. (extrait)
  • TraitĂ© d’histoire des religions, prĂ©face de Georges DumĂ©zil, traduction du roumain, par Mme Carciu, Jean Gouillard, Alphonse Juilland, Mihai Sora et Jacques Soucasse, Ă©dition revue et corrigĂ©e par Georges DumĂ©zil, Paris, Payot, « BibliothĂšque scientifique », 1949 ; nouvelle Ă©dition, 1964 ; 1974. (ISBN 2-228-50091-7) ; « Petite bibliothĂšque Payot », 1977 (ISBN 2-228-33120-1) ; 1983 (ISBN 2-228-13310-8) ; 1989 (ISBN 2-228-88129-5)
  • Le chamanisme et les techniques archaĂŻques de l’extase, Paris, Payot, « BibliothĂšque scientifique », 1950 ; 2e Ă©dition revue et augmentĂ©e, 1968 ; « PayothĂšque », 1978. (ISBN 2-228-50101-8)
  • Psychologie et histoire des religions. À propos du symbolisme du « centre », Zurich, Rhein-Verlag, 1951. (Extrait de Eranos. Jahrbuch, 19)
  • Images et symboles. Essais sur le symbolisme magico-religieux, Paris, Gallimard, « Les Essais », 1952 ; rĂ©Ă©d. avec une nouvelle prĂ©face, « Tel », 1979 (ISBN 2-07-028665-7) ; avec un avant propos de Georges DumĂ©zil, « Tel », 1980 (ISBN 2-07-028665-7)
  • Le Yoga. ImmortalitĂ© et libertĂ©, Paris, Payot, « BibliothĂšque scientifique », 1954 ; nouvelle Ă©dition revue et corrigĂ©e, « Petite bibliothĂšque Payot », 1968 ; « PayothĂšque », 1972 ; « Petite bibliothĂšque Payot » ; nouvelle Ă©dition revue et corrigĂ©e, 1977. (ISBN 2-228-33250-X) ; 1983 (ISBN 2-228-13360-4) ; 1991 (ISBN 2-228-88350-6)
  • Forgerons et alchimistes, Paris, Flammarion, « Homo Sapiens », 1956 ; nouvelle Ă©dition corrigĂ©e et augmentĂ©e, « Champs », 1977.
  • Mythes, rĂȘves et mystĂšres, Paris, Gallimard, « Les Essais », 1957 ; rĂ©Ă©d. « IdĂ©es », 1972.
  • Naissances mystiques. Essai sur quelques types d'initiation, Paris, Gallimard, 1959.
  • Techniques du yoga, Paris, Gallimard, « Les Essais », Paris, 1959 ; nouvelle Ă©dition revue et augmentĂ©e, « IdĂ©es », 1975. (ISBN 2-07-035328-1)
  • MĂ©phistophĂ©lĂšs et l'androgyne, Paris, Gallimard, « Les Essais », 1962 ; rĂ©Ă©d. 1972 ; « IdĂ©es », 1981 (ISBN 2-07-035435-0)
  • Patanjali et le yoga, Paris, Éditions du Seuil, « MaĂźtres spirituels », Paris, 1962.
  • Aspects du mythe, Paris, Gallimard, « IdĂ©es », 1963 ; rĂ©Ă©d. « Folio essais », 1988 (ISBN 2-07-032488-5)
  • Le SacrĂ© et le profane, traduction de l'allemand de Das Heilige und das Profane, Paris, Gallimard, « IdĂ©es », 1965 ; rĂ©Ă©d. « Folio essais », 1987 (ISBN 2-07-032454-0)
  • De Zalmoxis Ă  Gengis-Khan. Études comparatives sur les religions et le folklore de la Dacie et de l'Europe orientale, Paris, Payot, « BibliothĂšque historique », 1970.
  • La Nostalgie des origines. MĂ©thodologie et histoire des religions (The Quest, meaning and history in religion), traduction de Henry Pernet et Jean Gouillard, Paris, Gallimard, « Les Essais », 1971 ; rĂ©Ă©d. « IdĂ©es », 1978 (ISBN 2-07-035397-4)
  • Religions primitives, t. 1. Religions australiennes, (History of religions) traduit de l'anglais par Laurent Jospin, Paris, Payot, « Petite bibliothĂšque Payot », 1972.
  • Australian religions. An introduction, Ithaca-Londres, Cornell University Press, « Symbol, myth, and ritual series », 1973.
  • De l'Âge de la pierre aux mystĂšres d'Eleusis. Histoire des croyances et des idĂ©es religieuses, t. 1, Paris, Payot, « BibliothĂšque historique », 1976. (ISBN 2-228-11670-X) ; rĂ©Ă©d. 1983 (ISBN 2-228-11674-2); rĂ©Ă©d.1996 (ISBN 2-228-88158-9)
  • Initiation, rites, sociĂ©tĂ©s secrĂštes, naissances mystiques. Essai sur quelques types d'initiation, Paris, Gallimard, « IdĂ©es », 1976. (ISBN 2-07-035332-X)(prĂ©cĂ©demment paru en anglais sous le titre : Birth and rebirth, il s'agit d'un recueil de textes remaniĂ©s de confĂ©rences prononcĂ©es Ă  l'UniversitĂ© de Chicago en 1956, sous le titre : Patterns of initiation).
  • De Gautama Bouddha au triomphe du christianisme. Histoire des croyances et des idĂ©es religieuses, t. 2, Payot, « BibliothĂšque historique », Paris, 1978 ; rĂ©Ă©d. 1983 (ISBN 2-228-12162-2) ; 1989 (ISBN 2-228-12160-6)
  • Occultisme, sorcellerie et modes culturelles, traduction de l'anglais (Occultism, witchcraft and cultural fashions) par Jean Malaquais, Paris, Gallimard, « Les Essais », 1978. (ISBN 2-07-028257-0)
  • De Mahomet Ă  l'Ăąge des RĂ©formes. Histoire des croyances et des idĂ©es religieuses, t. 3, Payot, « BibliothĂšque historique », Paris, 1983 (ISBN 2-228-13160-1) ; rĂ©Ă©d. 1989 (ISBN 2-228-88160-0)
  • Briser le toit de la maison. La crĂ©ativitĂ© et ses symboles, partiellement traduit de l'anglais et du roumain, Paris, Gallimard, « Les Essais », 1986 (ISBN 2-07-070600-1)
  • Sur l'Ă©rotique mystique indienne, Paris, L'Herne, 1956. RĂ©Ă©dition en poche 2008 (ISBN 978-2851976529)
  • Une nouvelle philosophie de la lune, Paris, L'Herne, 1943. rĂ©Ă©dition en poche 2001 (ISBN 978-2851972262)
  • Commentaires sur la lĂ©gende de MaĂźtre Manole, Paris, L'Herne. RĂ©Ă©dition 1994 (ISBN 978-2851972224)
  • L'Ăźle d'Euthanasius, Paris, L'Herne
  • (Ă©diteur en chef), The Encyclopedia of religion, New York, Macmillan, 1987. (ISBN 0-02-909480-1) ;
  • (co-auteur), Dictionnaire des religions, Paris, Plon, 1990. (ISBN 2-259-02030-5)
  • Cosmologie et Alchimie babyloniennes, Paris, Gallimard (coll. «Arcades»), 1991

Romans

  • La Nuit bengali (Maitreyi), 1933.
  • ForĂȘt interdite (Noaptea de SĂąnziene), traduit du roumain par Alain Guillermou, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1955.
  • Minuit Ă  Serampore (Nopți la Serampore, 1940), suivi de Le Secret du Docteur Honigberger, traduit par Albert-Marie Schmidt, revu par l'auteur, Paris, Stock, 1956 ; rĂ©Ă©d. « BibliothĂšque cosmopolite », (ISBN 2-234-01230-9).
    • La nouvelle fantastique « Minuit Ă  Serampore » fut rĂ©Ă©ditĂ©e seule par Jean Palou dans Nouvelles histoires Ă©tranges, Casterman, 1966, p. 291-345.
  • Nuvele, Madrid, Artegrafia, « Colectia Destin », 1963.
  • Amintiri, Madrid, ArtegrafĂ­a, « Colectia Destin », 1966.
  • Maitreyi. Nuntǎ Ă­n cer, cu un studiu introductiv de Dumitru Micu, Bucuresti, Editura pentru literaturǎ, 1969.
  • La Țigănci. Și alte povestiri, cu un studiu introductiv de Sorin Alexandrescu Bucuresti, Editura pentru literatura, 1969. (ISBN 2-07-035328-1)
  • Youth Without Youth (Romanian: TinereĆŁe fără tinereĆŁe), 1976. PortĂ© Ă  l'Ă©cran par Francis Ford Coppola en 2007, sous le titre de L'homme sans Ăąge.
  • În curte la Dionis, Madrid, imp. Benzal, « Caietele Inorogului », 1977. (ISBN 84-400-3322-2).
  • Le Vieil homme et l'Officier, (Pe strada MĂąntuleasa) traduit du roumain par Alain Guillermou, Paris Gallimard, « Du monde entier », 1977 ; rĂ©Ă©d. « L'Imaginaire », 1981 (ISBN 2-07-025367-8)
  • Mademoiselle Christina, roman (Domnișoara Christina) traduit du roumain par Claude B. Levenson, Paris, L'Herne, « Les Livres noirs », 1978 (ISBN 2-245-00895-2) ; rĂ©Ă©d. Paris, L'Herne, 2009.
  • La Nuit bengali, (Maitreyi) traduction du roumain par Alain Guillermou, Paris, Gallimard, « Folio », 1979 ; rĂ©Ă©d. 1989 (ISBN 2-07-037087-9).
  • Le serpent ou Andronic et le serpent, (Șarpele) traduit du roumain par Claude B. Levenson, Paris, L'Herne, « Les Livres noirs », 1979. (ISBN 2-85197-806-3)
  • Noces au paradis, (Nunta Ăźn cer) traduit du roumain par Marcel Ferrand, Paris, L'Herne, « Roman », 1981. (ISBN 2-85197-700-8) ; rĂ©Ă©d. 1986, « L'Imaginaire », (ISBN 2-07-070656-7).
  • La lumiĂšre qui s'Ă©teint, traduit du roumain par Alain Paruit, Paris, L'Herne, « Roman ».
  • Le Temps d'un centenaire, suivi de Dayan, (Tinerețe fără tinerețe) traduit du roumain par Alain Paruit, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1981.
  • À l’ombre d’une fleur de lys (La umbra unui crin), Gallimard, 1985. Version roumaine dans Nuvele inedite, Editura Rum-Irina, Bucharest, 1991.
  • Les dix-neuf Roses, (Nouăsprezece trandafiri) traduit du roumain par Alain Paruit, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1982. (ISBN 2-07-025382-1)
  • Les Hooligans, roman, (Hooligans, Huliganii) traduction du roumain par Alain Paruit, Paris, L'Herne, Roman, 1987. (ISBN 2-85197-701-6)
  • Le Roman de l'adolescent myope (Romanul adolescentului miop), traduit par Irina Mavrodin, Actes Sud, 1992, 247 p. (ISBN 2-86869-780-1)Gaudeamus
  • Gaudeamus, 1928 (Ă©ditĂ© en français chez Actes Sud en 1993, 266 p.)
  • Isabelle et les eaux du diable (Isabel și apele diavolului), L'Herne/Fayard, Paris, 1999, 229 p.

Nouvelles

  • Uniformes de gĂ©nĂ©ral, nouvelles, traduction du roumain par Alain Paruit, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1981.
  • Les Trois grĂąces, nouvelles, traduction du roumain par Marie-France Ionesco et Alain Paruit, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1984. (ISBN 2-07-070035-6)

MĂ©moires, souvenirs, entretiens

  • Fragments d'un journal I (1945-1969), traduction du roumain par Luc Badesco, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1973. (ISBN 2-07-028529-4) ; rĂ©Ă©d. 1986 (ISBN 2-07-028529-4)
  • L'Épreuve du labyrinthe. Entretiens avec Claude-Henri Rocquet, Paris, P. Belfond, « Entretiens », 1978 (ISBN 2-7144-1181-9) ; rĂ©Ă©d. 1985 (ISBN 2-7144-1774-4)
  • Les Promesses de l'Ă©quinoxe (1907-1937). MĂ©moire I, traduction du manuscrit roumain par Constantin N. Grigoresco, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1980.
  • Fragments d'un journal II (1970-1978), traduction du manuscrit roumain par C. Grigoresco, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1981.
  • Les Souvenirs de Venise de W. Siegfried, tĂ©moignages de Mircea Éliade, EugĂšne Ionesco, Dan Nemteanu, rassemblĂ©s par Ionel Jianou, Neuilly, Les Amis de W. Siegfried, 1984.
  • Journal des Indes, traduction du roumain par Alain Paruit, Paris : L'Herne, « MĂ©andres ».
  • L'Inde, traduction du roumain par Alain Paruit, Paris : L'Herne, « MĂ©andres », 1988. (ISBN 2-85197-205-7)
  • Les Moissons du solstice (1937-1960). MĂ©moire II, traduction du manuscrit roumain par Alain Paruit, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1988. (ISBN 2-07-071252-4)
  • Fragmentarium, traduction du manuscrit roumain par Alain Paruit, Paris, L'Herne, « MĂ©andres » 1989. (ISBN 2-85197-209-X)
  • OcĂ©anographie, traduction du manuscrit roumain par Alain Paruit, Paris, L'Herne, « MĂ©andres ».
  • Les Routes de l’Inde, Paris, L'Herne, « Essais » 2013. (ISBN 978-2-85197-453-2)

Théùtre

  • Iphigenia, piesă Ăźn 3 acte, Bucuresti, Teatrului national, 10 februarie 1941, Valle Hermoso, « Cartea pribegiei », 1951.

Notes et références

  1. Dans ses Memorii, parus aux Ă©d. Humanitas en 1991, Mircea Eliade Ă©crit : « Je suis nĂ© Ă  Bucarest le 9 mars 1907 (le 25 fĂ©vrier, selon le calendrier ancien) ». Il existe toutefois une note de bas de page des Ă©diteurs portant que la date de naissance rĂ©elle d’Eliade est le 28 fĂ©vrier/13 mars 1907, sur la foi de l’acte de naissance dĂ©couvert et publiĂ© par Constantin Popescu-Cadem dans la Revista de istorie și teorie literară en 1983.
  2. Biografie, dans Handoca.
  3. (ro)Silviu Mihai, A doua viață a lui Mircea Eliade (« La DeuxiĂšme Vie de Mircea Eliade »), dans Cotidianul, 6 fĂ©vrier 2006 ; consultĂ© le 31 juillet 2007.
  4. Călinescu, p. 956.
  5. (en) Mircea Eliade-biograpy notice établie d'aprÚs l'article « Mircea Eliade » de Bryan Rennie, dans Routledge Encyclopedia of Philosophy, 1998.
  6. Simona Chițan, Nostalgia după RomĂąnia (« Nostalgie de la Roumanie »), entretien avec Sorin Alexandrescu, dans Evenimentul Zilei, 24 juin 2006.
  7. Sergio Vila-Sanjuån, Paseo por el Bucarest de Mircea Eliade (« Promenade à travers la Bucarest de Mircea Eliade »), in La Vanguardia, 30 mai 2007 (es); consulté le 16 janvier 2008.
  8. (ro) Ion Hadùrcă, Mircea Eliade la ßnceputuri (« Mircea Eliade à ses débuts »), dans Revista Sud-Est, 1/2007 ; consulté le 21 janvier 2008.
  9. Ioan P. Culianu, Mahaparanirvana, dans El Hilo de Ariadna, Vol. II
  10. Ellwood, p. 98–99.
  11. Eliade, Autobiography, dans Ellwood, p.98–99.
  12. Ellwood, p. 5
  13. Steinhardt, dans Handoca.
  14. (ro)Veronica Marinescu, ’Am luat din ĂźntĂąmplarile vieții tot ce este mai frumos’, spune cercetatorul operei brĂąncușiene (« Dans les occurrences de la vie, je pris tout le meilleur », dit l’analyste de l’Ɠuvre de Brancusi »), entretien avec Barbu Brezianu, dans Curierul Național, 13 mars 2004 ; consultĂ© le 22 fĂ©vrier 2008.
  15. Maria Vlădescu, 100 de ani de cercetași (« 100 ans de scoutisme »), dans Evenimentul Zilei, 2 aoĂ»t 2007.
  16. Constantin Roman, Continental Drift: Colliding Continents, Converging Cultures, CRC Press, Institute of Physics Publishing, Bristol et Philadelphie 2000, p. 60. (ISBN 0-7503-0686-6)
  17. La Vie et l'Ɠuvre de Mircea Eliade (1907-1986) par Ralph Stehly, professeur d'histoire des religions, universitĂ© Marc-Bloch, Strasbourg.
  18. Călinescu, p. 954, 955; Nastasă, p. 76.
  19. Traian Sandu : Fascisme roumain, 2014, Éditeur : Perrin, (ISBN 2262033471)
  20. X. Accart : Le renversement des clartés, p. 1084
  21. J.-P. Laurant : Le sens caché, p. 257
  22. D. Bisson : Une politique de l'esprit, p. 380-384
  23. X. Accart : Le renversement des clartés, p. 744
  24. D. Bisson : Une politique de l'esprit, p. 256
  25. M.-F. James : ÉsotĂ©risme et christianisme, p. 269
  26. D. Bisson : Une politique de l'esprit, p. 272
  27. D. Bisson : Une politique de l'esprit, p. 276
  28. Daniel Dubuisson, « Le mythe et ses doubles : politique, religion et métaphysique chez Mircea Eliade », Presses universitaires de Paris Nanterre Presses universitaires de Paris Nanterre,
  29. Nastasă, p. 237.
  30. Maurice Olender, « Mircea Eliade », dans EncyclopÊdia Universalis, 2007.
  31. McGuire, p. 150 ; Nastasă, p. 237.
  32. Kelley L. Ross, Mircea Eliade, sur le site friesian.com ; consulté le 16 juillet 2007.
  33. Ginu Kamani, A Terrible Hurt: The Untold Story behind the Publishing of Maitreyi Devi (« Une offense terrible : l’histoire non dite derriĂšre la publication de Maitreyi Devi »), sur le site web de la University of Chicago Press ; consultĂ© le 16 juillet 2007.
  34. Biografie, dans Handoca ; Nastasă, p. 237.
  35. Albert Ribas, Mircea Eliade, historiador de las religiones (« Mircea Eliade, historien des religions »), dans El Ciervo. Revista de pensamiento y cultura, annĂ©e 49, no 588 (mars 2000), p. 35–38.
  36. Nastasă, p. 442; Ornea, p. 452.
  37. Eliade, in Nastasă, p. 238
  38. McGuire, p. 150.
  39. Alexandra Laignel-Lavastine, Cioran, Eliade, Ionesco. L'oubli du fascisme, Paris, PUF, « Perspectives critiques », 2002. (ISBN 2-13-051783-8) : voir la recension de Thomas Roman, « RhinocĂ©risation des esprits », sur Parution.com, 12 novembre 2002 ; et Daniel Dubuisson, Impostures et pseudoscience, l'Ɠuvre de Mircea Eliade, prĂ©face d'Isac Chiva, Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, « Savoirs mieux », 2005. (ISBN 2-85939-874-0)
  40. Michel Winock, « Cioran, Eliade, Ionesco. Trois Roumains et le fascisme », dans L'Histoire, no 266, juin 2002.
  41. Voir Ă  ce propos Michael Löwy, « Impostures et pseudo-science. L'Ɠuvre de Mircea Eliade de Daniel Dubuisson », dans Archives de sciences sociales des religions, no 132, 2005. Mis en ligne le 20 fĂ©vrier 2006. ConsultĂ© le 26 octobre 2007.
  42. (ro)Paul Cernat, Jurnalul unui om mare (« le Journal intime d'un grand homme »), dans Observator Cultural, no 338, septembre 2006 ; consulté le 23 janvier 2008.
  43. Șora, dans Handoca.
  44. loc. cit., p. 42, note 3.
  45. Ornea, p. 150–151, 153.
  46. Ornea, p. 174–175.
  47. (ro)Andrei Oișteanu, « Mihail Sebastian și Mircea Eliade: cronica unei prietenii accidentate (« Mihail Sebastian et Mircea Eliade : chronique d'une amitiĂ© accidentĂ©e ») »(Archive.org ‱ Wikiwix ‱ Archive.is ‱ Google ‱ Que faire ?), dans : 22, no 926, dĂ©cembre 2007 ; consultĂ© le 18 janvier 2008.
  48. Eliade, 1934, dans Ornea, p. 408 ; cf. Ă©galement Ellwood, p. 85.
  49. Eliade, 1934, dans Ornea, p. 408–409.
  50. Eliade, 1936, dans Ornea, p. 410.
  51. Eliade, 1933, dans Ornea, p. 167.
  52. Ornea, chapitre IV.
  53. (ro) Stelian Tănase, Belu Zilber, 2e partie, dans 22, no 701, août 2003 ; consulté le 4 octobre 2007.
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  97. ÉditĂ© dans : Mythes, rĂȘves et mystĂšres, Paris 1957.
  98. Citons Les Vieux Sots, d’Adolf GuggenbĂŒhl-Craig.
  99. Saint-Simon, Fourier, Enfantin, Buchez, Proudhon etc.
  100. solution de continuité = discontinuité.
  101. « Eliade offre un arriĂšre-plan thĂ©oretique pour comprendre l’alchimie du point de vue de l’histoire des religions. L’alchimie est une technique spirituelle et peut s’entendre non comme un moment important dans l’histoire des sciences, mais plutĂŽt comme une sorte de phĂ©nomĂšne religieux, avec ses propres rĂšgles particuliĂšres. » (George Florin Calian, Alkimia Operativa and Alkimia Speculativa. Some Modern Controversies on the Historiography of Alchemy, Budapest, Annual of Medieval Studies at CEU, (lire en ligne), p. 169.)
  102. Avant-propos de W. Doniger Ă  la version anglaise de Chamanisme d’Eliade (Ă©dition de la Princeton University Press, New Jersey 1972, p. xii).
  103. DumĂ©zil, "Introducere", dans Eliade, Tratat de istorie a religiilor: Introducere (« TraitĂ© d’histoire des religions » – « ArchĂ©types en religion comparĂ©e »), Humanitas, Bucarest 1992.
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  105. Ellwood, p. 104.
  106. Eliade, Patterns in Comparative Religion, p. 1.
  107. Eliade, le Mythe de l’éternel retour, p. 5.
  108. Eliade, le SacrĂ© et le Profane, p. 20–22 ; Shamanism, p. xiii.
  109. Eliade, le Sacré et le Profane, p. 22.
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  111. Eliade, le Sacré et le Profane, p. 20.
  112. Eliade, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 23.
  113. Eliade, Mythe et Réalité, p. 6.
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  120. Eliade, Mythe et RĂ©alitĂ©, p. 47–49.
  121. Eliade, le Mythe de l’éternel retour, chapitre 4 ; Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 231–245.
  122. Dans Patterns in Comparative Religion (p. 419), Eliade donne à une section traitant de la coincidentia oppositorum le titre de "Coincidentia Oppositorum—The Mythical Pattern". Beane et Doty choisirent de retenir ce titre lorsqu’ils publiùrent cette section dans Mythes, Rites, et Symboles (p. 449).
  123. Eliade, Mythes, Rites, et Symboles, p. 449.
  124. Eliade, Mythes, Rites, et Symboles, p. 450.
  125. Eliade, Mythes, Rites, et Symboles, p. 439.
  126. Eliade, Mythes, Rites, et Symboles, p. 440.
  127. Eliade, Mythe et Réalité, p. 169.
  128. Eliade, Mythe et RĂ©alitĂ©, p. 64–65, 169.
  129. Eliade, le Mythe de l’éternel retour, p. 124.
  130. Eliade, A History of Religious Ideas, vol. 1, p. 302.
  131. Eliade, A History of Religious Ideas, vol. 1, p. 356.
  132. Eliade, le Sacré et le Profane, p. 109.
  133. Eliade, Myths, Rites, Symbols, Volume 2, p. 312–14.
  134. Eliade, le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, p. 259–260.
  135. Eliade, le SacrĂ© et le Profane, p. 32–36.
  136. Eliade, le Sacré et le Profane, p. 40, 42.
  137. Eliade, Images et Symboles, p. 44.
  138. Eliade, le Sacré et le Profane, p. 43.
  139. Eliade, Images et Symboles, p. 39.
  140. Eliade, le Sacré et le Profane, p. 29
  141. Eliade, Images et Symboles, p. 39–40 ; Eliade, le SacrĂ© et le Profane, p. 30.
  142. Eliade, "The Quest for the 'Origins' of Religion", p. 157, 161.
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  144. Eliade, The Quest for the 'Origins' of Religion, p. 161.
  145. Eliade, Patterns in Comparative Religion, p. 38, 54 ; Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 176.
  146. Eliade, Patterns in Comparative Religion, p. 38.
  147. Eliade, "The Quest for the 'Origins' of Religion", p. 162 ; voir aussi Eliade, Patterns in Comparative Religion, p. 54–58.
  148. Eliade, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 176.
  149. Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 176–77. .
  150. Eliade, Patterns in Comparative Religion, p. 54–55.
  151. Eliade, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 138.
  152. See Eliade, Patterns in Comparative Religion, p. 54–56.
  153. Eliade, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 134–36 ; le Mythe de l’éternel retour, p. 97.
  154. Eliade, Mythe et RĂ©alitĂ©, p. 93–94.
  155. Eliade, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 134.
  156. Eliade, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 66.
  157. Eliade, le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, p. 3–4.
  158. Eliade, Chamanisme, p. 4.
  159. Eliade, le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, p. 6, 8–9.
  160. Voir par exemple, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 82–83.
  161. Eliade, le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, p. 43.
  162. Eliade, le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, p. 63.
  163. Eliade, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 84.
  164. Eliade, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 102.
  165. Eliade, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 63.
  166. Eliade, Mythes, rĂȘves et mystĂšres, p. 64.
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  188. Wendy Doniger p.ex. (dans sa prĂ©face Ă  l’édition anglaise de 2004 de Shamanism, p. xv), aprĂšs avoir signalĂ© qu’Eliade avait Ă©tĂ© accusĂ© d’« ĂȘtre un crypto-thĂ©ologien », argue qu’il vaut mieux caractĂ©riser Eliade comme un « hiĂ©rogien ouvert ». De mĂȘme, Robert Ellwood (Ellwood, p. 111.) nie qu’Eliade ait fait de la « thĂ©ologie clandestine ».
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  287. Un prĂ©jugĂ© courant Ă  la fin de la dĂ©cennie 1930 voulait que les juifs ukrainiens d’Union soviĂ©tique avaient illĂ©galement obtenu la citoyennetĂ© roumaine aprĂšs avoir franchi la frontiĂšre et pĂ©nĂ©trĂ© en Marmatie et en Bukovine. En 1938, cette accusation servit de prĂ©texte pour le gouvernement Octavian Goga-A. C. Cuza Ă  suspendre et Ă  remettre en cause tous les cas de citoyennetĂ© garantie aux juifs aprĂšs 1923, rendant celle-ci trĂšs malaisĂ©e Ă  rĂ©cupĂ©rer (Ornea, p. 391). La mention faite par Eliade de la Bessarabie se rĂ©fĂšre vraisemblablement Ă  une pĂ©riode antĂ©rieure, avant le processus de constitution de la Grande Roumanie.
  288. Eliade, 1936, dans Ornea, p. 412–413 ; repris partiellement dans le Rapport final de la Commission Wiesel, p. 49.
  289. Eliade, 1937, in Ornea, p. 413 ; in the Final Report, p. 49
  290. Ornea, p. 206 ; Ornea est sceptique concernant ces explications, compte tenu du long laps de temps Ă©coulĂ© avant qu’Eliade ne les fournisse, et Ă©galement eu Ă©gard au fait que l’article lui-mĂȘme, en dĂ©pit de la hĂąte avec laquelle il a dĂ» ĂȘtre Ă©crit, renferme des rĂ©fĂ©rences remarquablement prĂ©cises Ă  un grand nombre d’articles rĂ©digĂ©s par Eliade pour des publications Ă©parses et s’étalant sur une longue pĂ©riode.
  291. Ionesco, 1945, dans Ornea, p. 184.
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Voir aussi

Bibliographie critique

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    Préface d'Antoine Compagnon
  • (es) Albert Assaraf, L’Erreur de Mircea Eliade. Une autre histoire des religions est possible, Paris, Connaissances et Savoirs, coll. « Liens et histoire », , 190 p. (ISBN 978-2342363647).
  • David Bisson, RenĂ© GuĂ©non, une politique de l'esprit, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, , 528 p. (ISBN 978-2-36371-058-1)
  • Daniel Dubuisson, Mythologies du XXe siĂšcle DumĂ©zil, LĂ©vi-Strauss, Eliade, Presses universitaires du Septentrion, 2e Ă©dition, 2008 (ISBN 978-2-7574-0067-8)
  • Daniel Dubuisson, « L'Ă©sotĂ©risme fascisant de Mircea Eliade », dans Actes de la recherche en sciences sociales, 1995, vol. 106, no 106-107, p. 42-51. [lire en ligne]
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  • Isabela Vasiliu-Scraba, * Isabela Vasiliu-Scraba, Harismele Duhului SfĂąnt si fotografia „de 14 ani” (Mircea Eliade), Ăźn rev. „Acolada”, Satu Mare, anul XIV, nr. 12 (157), decembrie 2020, pp. 12-13

Articles connexes

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